Avant la Révolution, Lisieux, ville épiscopale (1), possédait plusieurs établissements d'instruction publique, notamment un collège tenu par des Eudistes, deux séminaires et une Bibliothèque publique.
Cette Bibliothèque était dirigée par le chapitre diocésain ; le public y était admis deux fois par semaine et c'était un chanoine qui était bibliothécaire.
En supprimant l'évêché de Lisieux, de même que de toutes les communautés religieuses, la Révolution s'empara de leur mobilier, qu'elle fit vendre, à l'exception toutefois des Bibliothèques qu'elle conserva comme étant l'outillage le plus propre à la culture intellectuelle du peuple émancipé.
La Bibliothèque de la cathédrale resta donc dans son état et s'enrichit même de beaucoup de livres provenant des émigrés, des congrégations ecclésiastiques supprimées, etc., dans l'étendue du district.
Seule, la ville de Lisieux possédait, avant la Révolution, sept grandes bibliothèques, savoir : 1° de l'évêque, 2° du chapitre, 3° du grand séminaire, 4° du petit séminaire, 5° des Mathurins, 6° des Jacobins ou Dominicains, 7° des Capucins.
A ces bibliothèques il faut ajouter, je crois, celles qui existaient dans le couvent d'Orbec et dans les prieurés de Sainte-Barbe-en-Auge et de Friardel ; ce qui, on le conçoit, formait une masse considérable de livres sur lesquels j'ai recueilli les notes suivantes.
Apportés d'abord au ci-devant évêché, tous ces livres, considérés comme un embarras, restèrent absolument dédaignés par l'administration municipale qui, du reste, avait bien autre chose à faire que de s'en occuper ; mais à la suite du décret du 2 janvier 1792, relatif aux Bibliothèques confisquées, le département envoya à Lisieux des commissaires qui enlevèrent tous les ouvrages précieux qu'ils y trouvèrent, tant dans la Bibliothèque du ci-devant chapitre que dans les autres Bibliothèques apportées au district comme bien national.
Les événements politiques de 1792 et de 1793 firent-ils oublier la Bibliothèque publique de Lisieux ? On pourrait le croire. Du reste, elle devait être, après le passage des commissaires de 1792, dans un tel désordre, que tout travail n'y était plus possible, et ce ne fut qu'à la suite du décret du 18 pluviôse an II (6 février 1794) que le recensement de cet amas de volumes fut commencé. Ce recensement est ordonné le 12 floréal an II (1er mai 1794), par les administrateurs du directoire du district, lesquels nomment à cet effet les citoyens Brière jeune, ci-devant professeur, Le Vilain, Bénard dit la Couture, Dubois fils, Fromage.
D'abord indiqué dans la ci-devant église des Ursulines, l'emplacement de la Bibliothèque du district est, peu après (18 floréal), dans le local qu'occupait la Société populaire dans le ci-devant palais épiscopal, mesure qui soulève les plus vives protestations de la part de cette Société (2).
Après des obstacles réitérés et qui duraient encore au 23 fructifor an II (11 septembre 1794), l'installation de la Bibliothèque se fait enfin dans le local choisi en dernier lieu, à la fin de 1795 (3) et, le 11 frimaire suivant (2 décembre 1795), les citoyens Fromage, Le Vilain et Louis Dubois, commissaires nommés pour le recensement des Bibliothèques nationales du district de Lisieux et pour l'établissement de la Bibliothèque publique de cette commune, constatent d'abord de nombreuses soustractions opérées dans le dépôt de livres ; la découverte de plusieurs auteurs de ces soustractions ; la restitution de plusieurs volumes de l'Académie. Les volumes recensés sont au nombre de 9,300 et il y en a en tout environ 20,000. Les commissaires ajoutent dans leur rapport : "Aujourd'hui, la Bibliothèque, formée dans le ci-devant évêché sur une longueur d'environ cent pieds et une hauteur de dix environ, contient à peu près huit mille volumes ; toutes les tablettes sont garnies au point qu'il y reste à peine de la place pour 400 volumes" (4)
Le 25 frimaire an IV (16 décembre 1795), la municipalité de Lisieux écrivait au ministre de l'Intérieur que le recensement des volumes était presqu'achevé ; "mais - ajoutait-elle - la restitution des livres appartenant aux familles des prêtres déportés y a mis une interruption. Au reste, il y a environ 20,000 volumes recensés maintenant. Cependant, en conséquence du même décret qui porte qu'il sera établi une Bibliothèque publique dans les chefs-lieux du district, on s'est occupé de faire désigner le local qui devait recevoir la nôtre ; il y eut pour cela quelques difficultés assez longues entre la Société populaire de cette commune et le Directoire du district. Enfin les obstacles ayant cessé, on fit placer des tablettes dans l'appartement dont le choix avait été confirmé par le directoire du département et par le Comité d'instruction publique. Ce travail ayant été jugé suffisamment avancé, les commissaires ont tiré du dépôt les livres que peut contenir la Bibliothèque dans l'état où elle se trouve.
La collection que nous possédons n'a rien dont la rareté puisse tenter ; nous ferons tous nos efforts pour qu'elle soit seulement satisfaisante, et nous nous persuadons que vous voudrez bien nous seconder. Il reste encore à ajouter quelques tablettes, pour lesquelles nous pensons quue, vu le prix des matériaux et de la main-d'oeuvre, il ne faut pas moins de dix à douze mille livres en assignats.
On classe maintenant par ordre de matières les livres que l'on a pu faire entrer dans la Bibliothèque, ce qui est déjà avancé, et l'on va faire le catalogue de la Bibliothèque ainsi distribué.
Nous croyons devoir rappeler que les cartes du recensement avec un catalogue des livres recensés ont déjà été envoyés au Comité d'instruction publique de la Convention nationale.
Notre commune attend aussi un établissement d'instruction publique de second ordre. Le Collège de cette ville, malgré l'état de langueur des institutions conservées, subsiste toujours. La ville a fourni l'emplacement et les bâtiments où il se tient ; il y avait même des biens-fonds affectés à l'entretien du Collège et des professeurs, mais ces biens ont été vendus ayant été déclarés nationaux. C'est ce qui nous fait espérer que le Gouvernement fera les frais de l'Ecole centrale supplémentaire que nous sollicitons et qu'on ne peut nous refuser car il serait contre la justice qu'ayant assuré des fonds pour un établissement d'instruction publique, on ne nous l'accorde point, et que la République après s'être mise en possession de ces mêmes fonds ne s'acquitte point des charges utiles auxquels ils ont été destinés.
Beaucoup de considérations se réunissent en faveur de notre commune, citoyen ministre, pour établir ces établissements : 1° elle est éloignée des villes qui en possèdent de semblables, puisque nous sommes à 20 lieues de Rouen, à 10 de Caen et à 18 d'Evreux ; 2° elle est, dans le département, la plus populeuse après le chef-lieu ; 3° les petites villes qui nous entourent pourront profiter de ces institutions : Pont-l'Evêque, Orbec, Bernay, Pont-Audemer, Honfleur profitèrent aussi de celles que nous avions autrefois.
Nous comptons aussi que vous ferez les frais du traitement du Bibliothécaire qui sera nommé.
Des motifs puissants nous engagent à vous prier de vous joindre à nous, citoyen ministre, pour hâter le moment où les parents satisfaits pourront voir leurs enfants aller apprendre les sciences utiles à l'école centrale supplémentaire, et celui où les amateurs, le public et les jeunes gens viendront passer la plus grande partie de leurs loisirs, à la Bibliothèque publique. Les jeunes gens, c'est surtout cette portion précieuse de la Société dont nous désirons voir les moments occupés utilement, et nous sommes persuadés que l'école centrale et la Bibliothèque doivent empêcher de naître en eux l'habitude de l'oisiveté, le goût du jeu et tous les vices.
Nous connaissons votre zèle, citoyen ministre, surtout pour l'instruction publique, et nous ne doutons pas que vous ne nous répondiez par un avis favorable tel que le réclame la justice de notre demande". (5)
Voyons maintenant quels furent les résultats de cette double requête.
Dans une lettre adressée par la Municipalité lexovienne, le 8 pluviôse an IV (28 janvier 1796) au citoyen Jouenne, député au Corps législatif, il est dit : "Citoyen. - Nous avons reçu la pétition relative à la Bibliothèque et à l'instruction publique (6). Nous profiterons des justes observations contenues dans votre lettre, et nous changerons les dispositions de notre pétition que vous recevrez dès qu'elle sera revêtue de toutes les formes convenables...".
Le 11 floréal suivant (30 avril 1796), les administrateurs du directoire du district annonçaient aussi à l'Administration départementale "l'impatience des citoyens de Lisieux qui devaient puiser dans la Bibliothèque des connaissances précieuses". (7)
De nouvelles difficultés viennent bientôt entraver l'organisation de la Bibliothèque publique ; en effet, la création de l'Ecole centrale de Caen faillit dépouiller à nouveau le dépôt de Lisieux, mais le jury d'instruction publique de cet arrondissement proteste énergiquement et dans une lettre adressée à la municipalité, le 30 frimaire an V (20 décembre 1796), ce jury rappelle l'enlèvement de 1792, puis il ajoute : "Ce dépôt, dont le département a pris les meilleurs ouvrages, a été augmenté de beaucoup de volumes... Mais il ne renferme aujourd'hui que des ouvrages peu recherchés sur l'histoire ancienne et moderne, la géographie et les voyages, des dictionnaires qui se trouvent dans toutes les Bibliothèques, etc. On n'y trouve point d'éditions rares, ni d'ouvrages nouveaux, rien sur la philosophie et la législation.
Ce dépôt n'est guère riche qu'en conférence de toutes les couleurs, en ouvrages ascétiques et beaucoup de traités de morale mystique et de dévotion peu estimés. Enfin il n'y a point de doute que la Bibliothèque du département ne soit surchargée par duplicata des ouvrages médiocres déposés dans celle de Lisieux, qui cependant est d'une grande utilité dans une commune privée de tout dépôt littéraire...".
Le jury d'instruction publique ajoute que les tableaux sont de peu de valeur et ne méritent pas être déplacés, qu'il n'y a pas d'instrument de physique, ni de collections sur l'histoire naturelle.
Malgré cette protestation, l'administration centrale du département insista, le 8 pluviôse an V (27 janvier 1797), pour avoir sinon les volumes de suite, du moins les catalogues et cartes afin qu'elle puisse faire la demande de ceux qui lui manqueraient pour compléter la Bibliothèque départementale.
La municipalité de Lisieux ne semble pas s'être pressée d'obtempérer à cette réquisition ; car, deux ans plus tard, ayant été réitérée, la réponse suivante fut faite le 8 prairial an VII (27 mai 1799) au citoyen Hébert, bibliothécaire, près l'administration centrale du département du Calvados : "L'administration ayant désiré vérifier la situation de la Bibliothèque pour vous en rendre un compte exact, n'a pu le faire plus tôt à cause des travaux continuels et pressants que lui ont nécessité les lois sur la conscription et celles sur les impositions.
Nous vous transmettons, suivant vos désirs notre réponse aux questions que vous nous faites concernant les dépôts littéraires dans notre commune. Vous y verrez que la collection que nous possédons n'a rien dont la rareté peut tenter (8) et que vous avez les mêmes ouvrages en nombre suffisants dans les dépôts littéraires de la commune de Caen.
Les fonctions honorables que vous avez à remplir ne s'accordant qu'aux amis des arts et des sciences, nous font espérer que vous n'enlèverez point de notre collection peu intéressante pour l'Ecole centrale, mais indispensable à notre commune où le goût des arts et des sciences communes commence à s'y introduire.
Il est une considération qui vous déterminera sans doute : c'est le projet que nous avons formé d'obtenir une école spéciale qui ne peut être mieux située qu'à Lisieux, puisque nous sommes à 20 lieues de Rouen, 11 de Caen, 18 d'Evreux, elle est dans le département la plus populeuse après le chef-lieu ; les petites communes qui nous entourent pourront profiter de ces institutions. Pont-l'Evêque, Orbec, Bernay, Pont-Audemer, Honfleur, profitaient ainsi de celle que nous avions autrefois.
Nous vous invitons à faire part de ces considérations au ministre de l'intérieur qui sera bientôt convaincu de la nécessité de protéger cet établissement soutenu aux frais de l'administration et dont un grand nombre d'ouvrages sont sa propriété, ainsi que vous l'avez vu par sa réponse à l'article cinquième.
Veuillez bien nous accuser réception de cet envoy".
J'ignore ce qu'il advint de cette requête et si la Bibliothèque fut respectée par le département. Elle ne le fut pas cependant par les pillards pendant les deux années qu'elle eut pour conservateur un Lexovien dont il a déjà été parlé, Louis Dubois. En effet, dans une pièce non datée, mais antérieure au mois de janvier 1799, il est dit que Louis Dubois, ex-bibliothécaire, fait remise des clefs et catalogues des bibliothèques nationales que le ci-devant district avait confiés à sa garde, et il en est déchargé. On observe que, depuis deux ans et plus, sa gestion a été purement bénévole, et que deux procès-verbaux du juge de paix de la première division établissent que l'on s'était introduit deux fois avec effraction dans la Bibliothèque du ci-devant évêché...(9).
Confiée au citoyen Le Bis (René-François-Joachim), avant le 2 pluviôse an VII (21 janvier 1797), la Bibliothèque publique de Lisieux eut encore à subir des déprédations considérables, et le 15 prairial de la même année (3 juin 1799), le citoyen Hébert, bibliothécaire de l'Ecole centrale du département, revenait à la charge pour se faire délivrer des ouvrages.
On ne peut vraiment que regretter qu'il n'ait pas été donné suite à ces demandes réitérées, car on eût évité ainsi la perte d'un grand nombre d'ouvrages évidemment rares et précieux, bien qu'en aient dit les lettrés lexoviens.
Trois années s'écoulent pendant lesquelles la Bibliothèque semble avoir été totalement abandonnée au pillage le plus éhonté. En l'an X, en effet, trois cents volumes furent vendus au sieur Manoury l'aîné, pour la somme de 300 fr., soit vingt sous le volume.
En l'an XI, cependant, le sieur Le Bis était toujours qualifié de conservateur des livres déposés au ci-devannt séminaire ; mais ce titre était purement illusoire et ne servait qu'à lui procurer le logement gratuit ; il est vrai que ce logement lui tenait lieu de traitement.
Le Bis fut un singulier conservateur, si l'on en juge par la lettre suivante que Moysant, bibliothécaire de l'Ecole Centrale du département, écrivait au préfet le 16 floréal an XII (6 mai 1804), lui réclamant à nouveau des livres pour la Bibliothèque du Lycée :
"Les livres de Lisieux étaient en grand nombre et bien conditionnés. Les libraires de Paris m'ont dit en avoir acheté beaucoup. Un religieux m'assure avoir connaissance qu'un particulier en a transporté dix mille volumes dans un département voisin (10), sans aucune autorisation. Je crois le fait fort exagéré, mais quelque réduit que le nombre en soit, il suppose une perte considérable. Ce qui en reste est déposé dans le petit séminaire, en tas. Cette maison est située dans une prairie où l'air est humide et les livres en perdition...".
Le 20 prairial (8 juin 1804), le maire de Lisieux envoie au sous-préfet le catalogue général des livres rédigé lors de leur dépôt à la Bibliothèque de la Ville, avant 1792. Le 24 prairial, en adressant au préfet ce catalogue, le sous-préfet y ajoute ces observations intéressantes :
"Il existait deux dépôts de livres à Lisieux : l'un, qui était le plus considérable, formait une belle Bibliothèque dans l'un des appartements du ci-devant évêché, dont la garde a été confiée à plusieurs particuliers qui ne résident plus à Lisieux, et en dernier lieu au sieur Le Bis, qui a signé le catalogue du 17 fructidor an X (4 septembre 1802) ; - le second, dont on avait enlevé les meilleurs ouvrages pour les réunir à la Bibliothèque de l'évêché, existait dans un des appartements du grand séminaire. Les livres qui y étaient ont été pillés. On a fait les recherches des auteurs et un particulier a été à cet égard, mis en état d'arrestation.
Quant à la Bibliothèque de l'évêché, lorsque le tribunal civil s'est installé dans ce local les meilleurs livres sont restés dans des appartements qui lui étaient destinés et dont il a la clef. Le surplus a été transféré avec des mauvais volumes qui avaient été reportés dans une salle basse, dans les appartements du petit séminaire, en conséquence, de l'arrêté du gouvernement du 8 prairial an XI (28 mai 1803). Ils ont continué d'être gardés par le sieur Le Bis à qui il a été accordé un logement dans le bâtiment pour toute indemnité".
Une année se passe encore et le silence se fait sur les deux dépôts de livres ; mais le 18 ventôse an XIII (9 mars 1805), le préfet prend des mesures pour arrêter le pillage et, le 28 du même mois, le sous-préfet lui écrivait que les livres qui existaient au grand séminaire, rue du Bouteillier, ont été transférés, par son ordre, dans le dépôt confié au sieur Le Bis, bibliothécaire. La partie la plus précieuse de la Bibliothèque de l'évêché est restée dans l'un des appartements occupés par le tribunal civil, sans inventaire et sans récépissé, à la garde du greffier. Leur nombre peut être évalué par aperçu de 1.000 à 1.200 volumes précités.
Il y a loin, on le voit, aux 20.000 volumes.
Le mois suivant, 10 floréal an XIII (21 avril 1805), Moysant, conservateur de la Bibliothèque publique de Caen, revient à la charge et réclame derechef les livres inutiles des Bibliothèques de Lisieux et de Bayeux.
Cette demande reste d'abord sans effet, mais ce ne fut pas pour longtemps.
En effet, le 9 juin 1806, le préfet envoie à Lisieux, le sieur Hébert, bibliothécaire-adjoint de Caen, afin de faire un choix de volumes pour la Bibliothèque de cette ville. Hébert constate que la plupart des ouvrages sont dépareillés ; et, dans une note, il ajoute : "On pourrait soupçonner détenteur de plusieurs ouvrages, M. Dubois, ex-bibliothécaire de la Bibliothèque de l'Orne".
Le rapport au préfet, le 25 juin, par le dit sieur Hébert, contient aussi ces curieux détails : "Les livres qui sont dans les dépôts de Lisieux présentent le plus grand désordre. Au séminaire, ils sont en tas et couverts de poussière (1,000 à 1,200 volumes) ; la majeure partie de ces livres sont des bouquins de nulle valeur. Le même désordre régnait dans la bibliothèque restée au tribunal ; elle est mieux choisie, mais il y a une grande quantité d'ouvrages incomplets ; ils sont renfermés dans sept armoires. - Le transport des livres du grand séminaire, la chute d'une partie des bâtiments de l'évêché, le changement de la salle d'audience du tribunal où était placée une bibliothèque nombreuse et bien choisie, ont occasionné ce désordre, puis le pillage ; cependant les principaux ouvrages se sont retrouvés. "J'ai vu avec plaisir, ajoute Hébert, plusieurs manuscrits, une collection en 82 volumes in-folio des mémoires, rapports des agents et procès-verbaux du clergé de France, les 13 premiers volumes sont manuscrits, quelques belles éditions du XVe siècle". Le Bis, sans aucun traitement, s'est contenté de conserver avec fidélité les livres confiés à sa garde. Les membres des différentes autorités constituées paraissent désirer la conservation d'une bibliothèque, le maire et le conseil général se seraient occupés de cet objet, mais l'état d'incertitude dans lequel ils étaient sur la possibilité de conserver leurs livres, les a forcés d'ajourner la demande qu'ils doivent faire au préfet jusqu'après".
Le 13 juillet suivant, les bibliothécaires de Caen, Moysant et Hébert, font au préfet un nouveau rapport sur la bibliothèque de Lisieux, en lequel on lit : "Le n° 4 offre les éditions du XVe siècle, elles sont peu nombreuses, le seul Chonicon Antonini mérite une attention particulière à cause de sa belle conservation. Le n° 5 renferme les manuscrits, leur conservation en général est belle".
Comme suite à ce rapport, le 24 octobre de la même année, le préfet, "considérant qu'un grand nombre des ouvrages renfermés dans les dépôts de Lisieux sont incomplets, dépareillés, détruits ou endommagés par l'humidité et qu'ils n'ont plus aucune valeur pour l'instruction publique", il rend un arrêté par lequel il ordonne : un nouveau travail de recensement par le bibliothécaire-adjoint de Caen ; la vente de tous les livres dépareillés, gâtés ou hors d'état de servir ; l'envoi au Musée de Caen des bustes de marbre qui sont déposés au petit séminaire de Lisieux (11) ; la rédaction immédiate du catalogue des livres qui resteront au dépôt de Lisieux.
L'ordre fut suivi de près par l'exécution et, le 27 du même mois, Gabriel Hébert, précité, fait vendre, en présence du maire, 5,000 volumes déclarés inutiles, la majeure partie couverts en parchemin, et s'empare des trois bustes en marbre blanc destinés au Musée de Caen et de sept caisses de livres destinés aux trois grandes Bibliothèques départementales : 1° celle du Lycée qui reçut 686 volumes formant 265 ouvrages ; 2° celle de l'Ecole de Droit, 277 volumes (93 ouvrages) ; 3° celle du Séminaire du diocèse de Bayeux, 793 volumes (482 ouvrages), soit au total 1,756 volumes que perdit la ville de Lisieux, outre les 5,000 qui furent vendus à l'encan et à vil prix ; il en restait environ 2,000 presque tous incomplets et de peu de valeur que le maire réclama pour l'Ecole secondaire projetée, demande que le préfet accorda le 20 novembre.
Rédigé le 12 novembre, le catalogue indique que furent enlevés trois incunables ; 1° Chonicon Antonini, de 1484, en 3 volumes ; 2° De proprietatibus rerum, de 1482 ; 3° Stat. mundi, de 1493.
Les ouvrages du XVIe siècle étaient :
Freculphi Chronicon, 1539 ;
Grammatica linguae Chaldae Morelle, 1560 ;
Les Chroniques de France, par Gille, 1560 ;
Demetrii Phalerii de elocutione, 1562 ;
Tabula Palamedis in Averroes opera, 1562 ;
Poetae Graeci principes, H. Steph., 1566 ;
Pindari opera gr. lat., H. Stephanus, 1566, in-24 ;
Lyrici Graeci gr. lat., H. Stephanus, 1566, in-24 ;
Euripidis Tragediae, 1566, 2 vol. in-16 ;
Xenophontis opera, 1569 ;
Pausanias, 1583, in-folio ;
Conciones ex gr. et lat. authoribus gr. lat., H. Steph., 1576 ;
Bibliothèque historiale de Vignier, 15587, 3 vol. ;
Thucydidis opera, gr. lat., H. Steph., 1588 ;
Herodotis opera, gr. lat., H. Steph., 1592 ;
Aldrovandi de avibus, de annelibus insector, de piscibus, de
ornithologia, de mollibus testaceis, de quadrupedibus, de quadrupedibus
digitalis oviparibus (Bononia), 1599 et seq., 8 vol.
Beaucoup d'autres volumes non datés appartenaient probablement à la même époque.
Quant à ceux demandés au préfet pour l'Ecole secondaire de Lisieux ils furent mal accueillis par le directeur de cette école, lequel, le 27 avril 1807, proposait de faire vendre à l'encan tous ces ouvrages dépareillés de théologie (au nombre de 2,022), afin d'acheter quelques bons ouvrages ; cette vente a lieu le lendemain et produit la somme de 1.081 francs 55 centimes, d'où il fallut déduire pour les frais 447 francs 40 centimes ; il resta donc un boni de 634 francs 15 centimes sur l'emploi duquel on ne trouve aucun renseignement (12) ce qui permet de croire qu'il reçut une autre affectation que l'acquisition de livres nouveaux.
On a vu qu'une certaine partie de livres était restée dans un appartement dépendant du tribunal ; or, le 28 juin 1808, le président de ce tribunal demanda au préfet à conserver les livres de jurisprudence qui ne pouvaient servicr à L'Ecole secondaire (13).
Après un intervalle de onze années, un rapport du 13 avril 1817 constate que le dépôt de livres placé dans la chambre du Conseil du Tribunal, formé de 189 volumes, est tout ce qui reste de l'énorme quantité rassemblée en 1792 et dispersée depuis comme il vient d'être dit.
Dix-sept années se passèrent encore sans que la ville de Lisieux soit pourvue d'une Bibliothèque publique et ce ne fut qu'en 1834 que cette utile institution fut formée. Ses succès furent rapides, car trois ans plus tard elle se composait déjà de 3,000 volumes, et comptait près de 80 souscripteurs ; son conservateur était M. Michel, régent de mathématiques (14).