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Considérations sur les primes accordées dans le département de l'Orne pour l'encouragement de l'élève des chevaux (1842)
Considérations sur les primes accordées dans le département de l'Orne pour l'encouragement de l'élève des chevaux par M. de Blanpré (1842).
Saisie du texte : O. Bogros pour la collection électronique de la Médiathèque André Malraux de Lisieux (27.II.2016)
[Ce texte n'ayant pas fait l'objet d'une seconde lecture contient immanquablement des fautes non corrigées].
Adresse : Médiathèque André Malraux, B.P. 27216, 14107 Lisieux cedex
-Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01
Courriel : mediatheque@lintercom.fr, [Olivier Bogros] obogros@lintercom.fr
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Texte établi sur l'exemplaire de la Médiathèque (Bm Lx : Norm 850) de l'Annuaire des Cinq Départements de l'Ancienne Normandie, 9e année, 1843, publié en 1842 à Caen par l'Association Normande chez H. Le Roy.


CONSIDÉRATIONS SUR LES PRIMES ACCORDÉES DANS LE DÉPARTEMENT DE L'ORNE
pour l'encouragement de l'élève des chevaux ;

Par M. DE BLANPRÉ,
Inspecteur de l'Association normande,
Membre du Conseil général de l'Orne et ancien capitaine de cavalerie.


~ * ~

A Monsieur DE CAUMONT, Directeur de l'Association normande.

MONSIEUR,

M. le préfet de l'Orne m'ayant appelé pour la cinquième fois à faire partie du jury préposé à la distribution des primes que le Conseil général accorde aux plus belles juments de race normande , nées et élevées dans le département, permettez-moi de profiter de cette circonstance pour vous adresser quelques observations sur l'état de l'industrie chevaline en Normandie.

Chacun se plaint avec raison de l'état d'appauvrissement et de langueur d'une industrie si prospère autrefois, si mourante aujourd'hui, quoique la mode, l'intérêt et l'ignorance se plaisent toutefois à considérer comme incurable une plaie qui, pour être profonde, n'est pourtant pas sans remèdes.

Nous sommes loin, à la vérité, du temps où la Normandie seule suffisait à remonter les écuries du Roi, les gardes-du-corps, la garde royale et la cavalerie de la ligne. J'avais tenté de faire entrevoir dans un rapport fait au Conseil général de l'Orne, en 1840, et dont j'ai eu l'honneur de vous adresser un exemplaire, les résultats désastreux où nous conduisent l'insouciance du Gouvernement et les fausses doctrines de l'Administration des haras.

Nous avions bien prévu, en effet, qu'au moindre bruit de guerre, les ressources de la France seraient insuffisantes ; et, peu de mois après, on voyait se renouveler d'immenses adjudications pour l'achat de 20,000 chevaux étrangers.

Le mal est donc bien grand , Monsieur ; et pourtant, quoi qu'on puisse dire ou croire, il n'est pas vrai qu'il soit arrivé au point où il n'est plus permis d'espérer. Les distributions de primes auxquelles je viens d’assister, me donnent, au contraire, l'assurance qu'avec des efforts intelligents de la part du commerce, des propriétaires et le concours du Gouvernement, on arriverait assez promptement à une situation plus heureuse.

Les environs d'Alençon présentaient peu de juments au concours des années précédentes, et le jury s'est trouvé parfois embarrassé pour distribuer les dix primes accordées à cette localité. Cette année, au contraire, sur les 21 juments présentées, presque toutes étaient dignes d'encouragement. Le jury a remarqué plus d'ensemble et une grande distinction chez presque toutes les juments primées. Ces animaux offraient, en général, les qualités rares et précieuses qui constituent les belles poulinières.

MM. Lacour et Leroux, de Cérisé ; Godichon, de Semalé, méritent qu'on signale leurs efforts et leurs succès.

Au Mesle-sur-Sarthe, 41 juments se présentaient pour recevoir les vingt primes attribuées à cette circonscription. Le concours était fort brillant, et le jury, aussi bien que M. le directeur du haras du Pin, ont reconnu chez toutes les juments primées une distinction de formes, de qualités et d'allures qu'on aurait peine à rencontrer dans les cantons les plus productifs de la Grande-Bretagne.

MM. Ragou, de Coulonges ; Forcinal, de Saint-Aubin ; Deshayes , de La Ferrière ; Delouche , de Laleu ; Despuy , de Boitron, ne sauraient être trop encouragés.

Au haras du Tin, le nombre des juments présentées était inférieur à celui des années précédentes. 41 juments seulement étaient inscrites, au lieu de 55 à 60 qui se présentent habituellement. Le mauvais temps , le grand, nombre d'avortements , ont sans doute contribué à celte notable diminution, dont on pourrait néanmoins trouver une cause plus grave dans l'état d'incertitude et de méfiance que font naître parmi les éleveurs voisins du haras les changements et les mutations continuelles de systèmes et d'agents dans la marche de ce service.

Cependant, Monsieur, le jury a pu facilement distribuer ces vingt-cinq-primes à dès poulinières d'un incontestable mérite, amenées par MM. Souchey , du Merlerault  ; Le Comte, de Neuville; Chartel, du Merlerault ; Gaillet, d’Aunou-le-Faucon ; Vienne, de Nonant, etc., etc.

Les juments placées en premières primes dans ces différents concours, sont filles des étalons Railleur, Rathler, Impérieux, Fortuné, Prétender, Euttham, Vaillant ; et je ferai remarquer qu'aucun de ces étalons, un seul excepté, n'appartient au pur sang.

Ainsi, Monsieur, malgré les fautes de l'Administration des haras, l'envahissement du marché français par les chevaux étrangers, la défaveur de la mode et les déplorables mesures prises par le ministère de la guerre, le département de l'Orne possède encore, sur quelques cantons seulement, plus de 100 poulinières d'élite.

On doit admettre qu'un bien plus grand nombre de juments très-propres à la reproduction, et particulièrement aptes à donner des chevaux de guerre, ne sont pas présentées à la prime, à cause du mérite reconnu de celles qu'on y conduit et du petit nombre de primes à distribuer.

Il est également incontestable que beaucoup de poulinières restent inconnues, parce qu'elles ne se trouvent pas dans les conditions d’origine, d'âge, de saillie et d'espèces prescrites par le Conseil général (1).

Certes il ne faut pas se féliciter de cet état de choses qui est bien loin d'être brillant ; mais il prouve qu'il ne serait pas impossible de ramener, eu quelques années, l'industrie chevaline à un état de prospérité que nous appelons de tous nos vœux ; et en signalant sommairement les circonstances fâcheuses, causes de la dégénérescence actuelle, peut-être serait-il aisé de pressentir par quels moyens on arriverait à un état meilleur.


Nul doute que les désastres de la Révolution et les longues guerres de l'Empire n'aient puissamment contribué à dépeupler la Normandie, en même temps que la misère, triste fruit de deux invasions, obligeait les éleveurs ruinés à vendre leurs meilleures poulinières. Les Anglais et les Allemands, qui savaient de longue date le mérite de nos juments, profitèrent habilement de nos malheurs pour les acheter presque toutes à cette époque ; et l'expérience nous prouve qu'aujourd'hui presque tous les bons chevaux allemands et beaucoup de chevaux anglais proviennent du croisement des mères normandes avec le sang arabe.

Le vicomte d'Aure écrivait en 1838 : « Lorsque le commerce, en 1815, abandonna la Normandie pour se porter à l'étranger où l'on trouva des chevaux tout dressés, les éleveurs diminuèrent leurs élèves. A cette époque, l'Allemagne, qui voulait réparer le mal que les guerres de l'Empire lui avaient fait, envoya en Normandie, qu'elle savait être un pays précieux, pour y acheter les poulinières. Je crois pouvoir affirmer que c'est le manque de bonnes juments qui est la cause de la dégénération du pays, etc. »

La Restauration, justement effrayée de la position de cette importante industrie, fit de louables efforts pour la protéger. L'Administration des haras pensait qu'il fallait imiter les Anglais, et qu'en commençant brusquement le croisement des chevaux de sang avec les juments normandes, on arriverait aux mêmes résultats. Malheureusement on ne songeait pas,

1° Que les Anglais, riches de leurs juments et des nôtres, possédaient la véritable source de production qui nous manquait presque complètement ;

2° Que l'industrie chevaline, confiée presqu'en totalité à l'aristocratie anglaise ou à de riches fermiers, se trouvait en France entre les mains d'herbagers et de paysans écrasés par les impôts de guerre et par les ravages de l'invasion ;

3° Que les Anglais se servent de leurs chevaux avant de les vendre, et les livrent au commerce éprouvés et dressés, tandis que nos éleveurs, marchands de bœufs en général, oublient leurs chevaux au milieu des herbages d'où ils ne sortent que pour la vente.

Qu'ainsi nulle analogie ne pouvait rapprocher cette industrie chez les deux peuples. D'ailleurs nos étalons n'étaient pas tous merveilleux ; hâtons-nous de dire toutefois que s'ils furent une des causes du peu de succès obtenus, la disette de juments et l'imperfection du peu de mères que nous possédions fut indubitablement la plus sérieuse cause du mal.

Néanmoins, à mesure que l'époque des désastres s’éloignait, la paix, si nécessaire à l’agriculture, ramenait avec elle l'aisance et la sécurité ; et l'espèce chevaline , malgré tant de rudes atteintes , ne tarda pas à se ressentir de ses salutaires effets.

L'Administration des haras, confiée à des hommes comme les d'Abzac, les Strubber, les Bonneval, etc., était parvenue en 1830, sinon à placer l'industrie chevaline dans un état complet de prospérité, du moins à obtenir des résultats tels, que les écuries d'attelage du Roi, les gardes-du-corps et la cavalerie de la garde ne comptaient pas un cheval qui ne fût indigène ! Les marchés de chevaux de troupe étrangers avaient totalement disparu.

La révolution de 1830 a fermé tout d'un coup cet important débouché, et les officiers de remonte achetaient en 1832 et 1833, aux très-modestes prix des chevaux de la ligne, tout ce qui avait été destiné aux attelages du Roi, aux gardes du-corps et à la garde royale. Aujourd’hui, cette bonne espèce de chevaux a tout-à-fait disparu du département de l'Orne ; grâces en soient rendues aux croisements avec le pur sang !!

Car, tandis que cette crise nouvelle, en décourageant profondément les éleveurs, portait une grave atteinte à l'élève des chevaux, l'Administration des haras vint augmenter les désastres, en se jetant aveuglément dans une voie pernicieuse d'essais aussi précipités qu'inintelligents.

Depuis cette époque, et je le dis avec regret, ainsi que je l'exprimais au Conseil général de l'Orne en 1840, j'ai la conviction que cette Administration a puissamment contribué à la décadence dont on se plaint. Sans cesse, préoccupés d'obéir aux extravagances de la mode, les officiers des haras n'ont jamais étudié la question d'industrie chevaline sous le rapport économique. S'ils étaient davantage, au milieu des pays d'élèves , et moins souvent les échos des décisions de la Société d'encouragement, ils s'apercevraient depuis long-temps que leurs stériles efforts pour lutter avec les Anglais et pour former une race beaucoup trop chère et parfaitement inutile pour la plus grande masse des consommateurs, ouvrent une large porte à la race allemande toute dressée et à bon compte, et que les chevaux normands, presque tous bruts et beaucoup plus chers, se trouvent entièrement exclus du marché.

L'élève des chevaux de course dans les haras est une déplorable innovation, propre, tout au plus à distraire ceux qui connaissent le charlatanisme de l'entraînement et l'agiotage des hippodromes. N'est-il pas désolant de voir appliquer a une question aussi importante les joujoux du club Jockey et les instruments de cette nouvelle roulette ? Le sang de course avec les juments normandes ne peut produire et n'a produit jusqu'à ce jour qu'une race décousue et, en définitive, inapplicable au service de la totalité des acheteurs. On a. donc quelque raison de se plaindre de voir puiser ainsi dans la bourse de chacun pour un emploi stérile, absurde et en dehors de tous les besoins comme de toutes les opinions.

L'instabilité des agents des haras détruit la confiance, empêche d'utiles relations entre eux et les éleveurs, rend' illusoires des essais sans persévérance, ôte aux agents la sécurité nécessaire, tandis que l'inspection générale de ce service, parodie assez ridicule de ce qui se passe dans l’armée, enlève aux chefs d'établissements la considération dont ils devraient être entourés, pour les réduire au rôle beaucoup trop modeste de chefs d'écurie.

Si les haras sont coupables, il est juste aussi de signaler les fautes des éleveurs. Leur entêtement et leur routine font évidemment à cette industrie un mal infini. Beaucoup d'entre eux, trop insouciants dans le choix des poulinières comme dans l'étude des croisements rationnels, attribuent aux défauts de l'étalon des mécomptes qui ne sont que le résultat de leur ignorance et de l'infériorité de leurs juments.

Un système d'hygiène malentendu, une fâcheuse économie dans la nourriture nécessaire aux chevaux d'espèce, sont parfois la cause d'une médiocrité chez les élèves, dont on accuse invariablement les pères. L’éducation enfin, si importante surtout avec les chevaux du Merlerault pleins d'énergie et de force, est presque complètement négligée. Cette indifférence des éleveurs à détruire une des causes principales, la plus grave peut-être, de la défaveur du commerce  est d'autant plus déplorable, que les succès obtenus au haras du Pin, sous ce rapport, prouvent que les chevaux merleraultins peuvent, tout aussi bien que les chevaux anglais, acquérir un degré complet de docilité et de douceur. Il faut désormais ranger au nombre des préjugés ridicules celui qui prête à l'eau, à l'herbe et à l'avoine du continent une vertu pernicieuse au caractère des chevaux.

L'Administration de la guerre devrait offrir à nos chevaux leur plus important débouché. J'avais exprimé, au nom d'une Commission du Conseil général, le vœu que le service des haras fût réuni au ministère de la guerre, désir excité surtout par l'espoir de trouver dans cette haute Administration plus de fixité dans les agents comme dans les doctrines, plus de sollicitude pour le pays, plus d'expérience et de lumières enfin que parmi les officiers des haras, la plupart étrangers à l'agriculture et aux questions commerciales.

Je dois avouer que celle opinion est aujourd'hui sinon détruite, du moins fortement ébranlée.

Personne n'ignorait que les ressources de la France sont insuffisantes, et que l'éventualité d'une guerre forcerait à recourir aux chevaux étrangers ; mais ce que personne ne pouvait s'imaginer, c'est que, dès le premier jour, l'Administration se jetterait avec fureur dans le triste système des fournitures par adjudication ; que ces marchés, passés à la hâte et à de désastreuses conditions, donneraient de nouveau l'exemple de scandales dont on devait se croire sauvé ; que l'on verrait ces déplorables mesures survivre à la crise que nous traversions alors ; et qu'au moment où j'écris , les régiments se recrutent encore de toutes les rosses dont les Juifs des bords du Rhin veulent bien nous gratifier.

Si l'on voulait démentir cette mauvaise opinion à l'égard de nos achats, je demanderais s'il n'est pas vrai que le plus grand nombre des chevaux achetés pour les corps sont, en ce moment, ou réformés ou morts ; et je pourrais, au besoin, citer tel régiment où quatre mois après la réception de 70 ou 80 chevaux allemands, il n'en restait plus qu'une vingtaine, dont le colonel demandait la reforme à grands cris.

Et pourtantces chevaux ont et s achetés beaucoup plus cher que les nôtres. Aujourd'hui que les bruits de guerre inventés par l'intérêt politique ont cessé , ne donne-t-on pas jusqu'à 900 francs pour des chevaux de hussards, de tout âge, de toutes qualités, sans avoir égard aux tares, etc., tandis que les chevaux français se paient 500 fr. pour cette arme avec un luxe de conditions, de garanties et d'obstacles équivalant à une prohibition ?

Ainsi, Monsieur, en même temps que l'on achetait avec un empressement qui tenait du vertige tout ce qui se présentait aux frontières, les officiers de remonte placés à l'intérieur n'avaient rien de plus à sacrifier à leurs achats.

Comme si le plus simple examen ne devait pas faire comprendre que, dans notre pays où le prix des baux et le montant des impositions sont incomparablement plus élevés qu'en Allemagne , les principes les plus élémentaires, même des partisans de la libre concurrence, exigeaient au moins une égalité de tarif et de conditions entre les Français et les étrangers. Et non seulement il fallait une égalité, mais la stricte justice demandait en faveur des chevaux français une prime proportionnelle, avec la différence du prix des baux et des impositions en France et en Allemagne.

Rien de cela n'a été fait, et l'on a porté un coup mortel à l'industrie qu'on avait le devoir de protéger. Qui pourrait croire que l'Administration de la guerre, comme si elle voulait saper les branches les plus solides de notre industrie nationale, achète à l'étranger jusqu'à des chevaux d'artillerie et du train ! Comme si les chevaux de gros trait ne pullulaient pas en France ! comme si le Perche à lui seul n'était plus que suffisant pour remonter l'artillerie et le train ! comme si nos chevaux communs ne nous étaient pas enviés par les étrangers qui viennent, à tout prix, nous arracher nos étalons percherons et nos juments !

Le ministère de la guerre prétend qu'il ne voulait pas dépouiller le pays de ses ressources. Argument déplorable et qui décèle une profonde ignorance ou une indifférence bien coupable !

Le ministre peut-il penser que son refus d'acheter contraindra les éleveurs à garder leurs chevaux ! Peut-il croire sérieusement que les fermiers, pour payer ; que les propriétaires, pour leurs besoins ; que les cultivateurs, en un mot, changeant tout d'un coup le roulement de leur commerce et le mouvement de leur exploitation, conserveront tous leurs chevaux, parce qu'il plaît au ministre d'en acheter ailleurs ! M. le ministre peut-il penser qu'on arrête la marche du commerce par ordre ! Peut-il ignorer d'ailleurs, que les officiers de remonte ont chaque jour le chagrin de voir partir pour les frontières les chevaux qu'ils ne peuvent acheter, et qui entrent dans les corps nantis du privilège d'être anglais ou allemands !

Pourquoi, si l'on admettait une différence dans les prix, n'a-t-on pas accordé aux chevaux indigènes, la latitude d’âge, de taille et de tares, admise pour les chevaux étrangers ; et dans les régiments où les chevaux sont incorporés, pourquoi n'a-t-on pas pour les chevaux indigènes le luxe de soins , de pansements et de régimes adopté pour les chevaux anglais ?

En définitive, protéger une industrie en accumulant les obstacles, en fermant les débouchés et en accordant une énorme prime au produit similaire étranger, c'est, je l'avoue, une doctrine toute neuve, et dont l'honneur revient en totalité à l'Administration de la guerre.

Les demi-mesures sont généralement inefficaces ; le ministère de la guerre devait ou prendre les haras, ou ne pas se mêler de la reproduction. La concurrence des étalons militaires contre ceux des haras ne peut avoir qu'un mauvais effet pour les premiers ; il n'est pas un propriétaire qui élève dans le modeste espoir de vendre ses chevaux à la troupe, il faut dans ce genre d'industrie viser plus haut pour ne pas atteindre trop bas, et l'espérance d'alimenter, soit les écuries des haras, soit le haut commerce de Paris, fera toujours préférer les chevaux des haras.

Il est à craindre, au surplus, que les formes établies pour l'admission des poulinières, aussi bien que le peu de latitude laissée aux officiers acheteurs dans leurs acquisitions, ne fasse plus de mal que de bien à l'industrie dont j'essaie la défense..

L'élève des poulains dans les dépôts de remonte n'est pas une pensée qui puisse être féconde en résultats. Les établissements militaires, ne sont pas propres à ce minutieux emploi. La ration, militaire, la disette de pailles et de plantes légumineuses, l'absence d'herbages et la mauvaise qualité des fourrages rendent chimérique, à mon avis, l'éducation de jeunes animaux pour l'existence desquels la variété des aliments, leur choix, une énorme litière, un parcours vaste et commode, une multitude de petits soins, qui ne se peuvent expliquer réglementairement, sont de toute nécessité. Sans compter que la négligence bien connue des cavaliers et l'inexpérience inévitable de beaucoup d'officiers en semblable matière seront impuissantes à remplacer les soins de toutes les minutes et la sollicitude des éleveurs.

Qu'il nous soit permis enfin, Monsieur, d'exprimer un profond regret ; c'est que, trompée par les personnes chargées de cette partie de son service, S. M., dont la haute et tutélaire bienveillance s'étend sur toutes les branches de la richesse nationale, n'ait pas daigné, jusqu'à ce jour, accorder sa puissante protection à l'industrie chevaline.

Telles sont, Monsieur, les causes nombreuses qui arrêtent, sur le sol si riche de la France, le développement de l'élève des chevaux.

Dans ce vaste pays, où l'on rencontre des germes pour toutes les races, les chevaux communs pullulent de tous côtés ; les chevaux d’espèce, seuls, diminuent et menacent de disparaître. Que chacun, frappé de cette triste mais trop réelle situation, fasse donc de constants efforts pour en sortir !

Le premier, le plus efficace des moyens, c'est d'augmenter le nombre de nos juments poulinières. Si l'Administration des haras, au lieu d'affecter des prix fabuleux à des chevaux d'une célébrité suspecte et malheureux dans leurs produits comme Napoléon, par exemple, en destinait une partie à l'achat de belles juments d'espèce carrossière, distribuées à certaines conditions aux meilleurs éleveurs du pays ;

Si les Conseils généraux convertissaient en juments poulinières l'argent qu'ils distribuent en primes, et que ces juments fussent données à des éleveurs à la condition de ne les pas vendre pendant un nombre d'années voulues ;

Si le Gouvernement voulait également convertir en achats de juments (toujours confiées aux éleveurs les mieux connus) une partie des fonds qu'il jette follement sur les hippodromes, nul doute que les salutaires effets de ces mesures ne se fissent bientôt sentir.

MM. les inspecteurs généraux des haras devraient être contraints d'habiter leur circonscription. Il s'établirait entre eux et les propriétaires des relations mutuellement propres à faire cesser la routine des uns comme à modifier les doctrines trop absolues des autres.

Les éleveurs doivent se convaincre qu'eux non plus ne sont pas infaillibles ; ils devraient appliquer à leurs élèves une nourriture et une hygiène appropriées aux chevaux d’espèces, et surtout s'occuper avec un soin particulier de l'éducation de leurs jeunes chevaux presque toujours si négligée. Il ne s'agit pas d'invoquer la coutume, mais bien de la changer quand elle est contraire à la volonté des acheteurs. Il faut faire la marchandise comme on la demande. Avec la division des fortunes et la spontanéité de celles qui s’élèvent, les grandes écuries et les écuyers ont disparu. Il importe donc pardessus tout de présenter sur le marché des chevaux d'un prix raisonnable, et assez dociles pour se laisser diriger par des mains souvent les plus novices.

Que le ministère de la guerre, avant de jeter aux étrangers l'or de la France, achète d'abord les chevaux du pays ; qu'il comprenne qu'en donnant des chevaux anglais et allemands un prix supérieur à celui destiné aux chevaux français, il perd cette industrie, commet une souveraine injustice, accuse une profonde ignorance et justifie les accusations qu'on lui lance de toutes parts.

Qu'il accorde à ses officiers plus de latitude et de confiance ; car, en réduisant dans certains dépôts leur action à celle de simples courtiers, il leur ôte la considération, la confiance et le zèle.

Qu'il songe qu'intermédiaires entre le commerce et l'armée, les chefs des dépôts de remonte ne remplissent pas leur mission, quand, par une sévérité mal entendue, ils laissent échapper une bonne partie des chevaux de leur circonscription.

Le ministère de la guerre se dispose à acheter 300 étalons. En les supposant au prix de 8,000 fr. l'un dans l’autre, ce serait une somme de 2.400,000 fr. que l'on sacrifierait à cet achat. Or, après l'étrange opinion que cette Administration nous a donnée de ses doctrines économiques, la prétention de trouver sur-le-champ 300 étalons convenables est, il faut le dire, au-dessus de tout ce qu'on pouvait attendre. Il n'est qu'une réponse ; c'est que le ministère n'achètera pas 300 étalons, parce que la chose est tout simplement impossible ; et je répéterai au ministère ce que j'ai dit aux haras : Nous manquons de juments ; et si un bon étalon suffit à 30 poulinières, ces 50 poulinières ne se trouvent nulle part assez agglomérées. Affectez donc à l'achat de bonnes juments une partie de la somme destinée à votre étourdissant achat de 300 étalons, et vous en apercevrez bientôt les salutaires effets.

Peut-être, Monsieur, trouvera-t-on trop de rigueur dans ces lignes : à cela je me hâte de répondre qu'il n'est jamais entré dans ma pensée d'être désobligeant pour telle ou telle personne. Je serais désolé qu'on pût s'appliquer individuellement les reproches que j'adresse aux masses ; mais les Administrations publiques sont soumises au contrôle et au jugement de chacun. A chacun appartient le droit de critiquer les actes et de signaler les abus quand le vaisseau marche mal ; à chacun le droit de crier : Vous faites fausse route. Ce n'est qu'en faisant entendre le langage franc et souvent un peu rude de la vérité, que l'on parvient à réformer les abus, à dévoiler les fautes, à signaler les injustices ; ce n'est qu’ainsi, Monsieur, que l'on fait œuvre de bon citoyen et que l'on sert bien son pays.


NOTE :
(1) Les conditions principales sont : que les juments soient de demi-sang, exemptes de tares, même les plus indifférentes à la reproduction ; qu'elles aient 4 pieds 8 pouces au moins ; qu'elles soient âgées de 8 ans au moins, de 14 au plus ; qu'elles soient nées et élevées dans le département, et qu'elles aient été saillies par un étalon du haras ou approuvé.


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