BEAUCLAIR,
Henri (1860-1919) : Ville
natale (1904). Saisie
du texte : O. Bogros pour la collection
électronique de la Médiathèque
André
Malraux de Lisieux (04.III.2007)
Texte relu par : A. Guézou
Adresse : Médiathèque André Malraux,
B.P. 27216,
14107 Lisieux cedex
-Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01
Courriel : mediatheque@ville-lisieux.fr, [Olivier Bogros]
obogros@ville-lisieux.fr
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libre et gratuite (freeware) Orthographe et
graphie
conservées. Texte établi sur l'exemplaire de la
Médiathèque (Bm Lx : Norm 31 bis GF) du numéro d'avril 1914 de La
Revue illustrée du Calvados, publiée à Lisieux
par l'Imprimerie Morière.
Ville natale par
Henri Beauclair
~*~
M. Henri BEAUCLAIR Romancier et Poète, Rédacteur en
chef du Petit Journal, Officier de la Légion d'Honneur (D’après
une pointe sèche originale de M. Doisy)
Pendant
le mois qui vient de s'écouler, le Petit Journal a perdu son directeur
M. Charles Prevet. C'est M. Stephen Pichon, sénateur, ancien ministre
des Affaires étrangères, qui lui succède. Nos lecteurs savent-ils que
c'est un de nos compatriotes de Lisieux, M. Henri Beauclair, qui
remplit depuis plusieurs années les délicates fonctions de rédacteur en
chef du grand quotidien. Romancier, poète et journaliste, notre aimable
et distingué confrère est tout cela, et l'est excellemment. Nous
n'avons pas la prétention d'analyser en trois lignes une œuvre aussi
diverse et une personnalité si marquée. Il nous y faudra revenir et ce
sera pour nous une joie cordiale et sincère. Aujourd'hui nous voulons
reproduire une page parue il y a dix ans dans le "Bouais
Jan" et où le
poète de l'Eternelle Chanson , de Pentecôte et des inoubliables
Déliquescences d'Adoré Floupette,
chante avec émotion sa Ville Natale ,
L'académicien Jean Aicard au cours d'une conférence sur de Vigny,
citait il y a quelques jours Henri Beauclair, ce bon poète qui ne
voulait réaliser rien autre chose que « dans une forme simple, un peu
d'humanité ». Le poète n'en aura jamais mis qui nous touche de plus
près, ni qui nous émeuve davantage que dans ce morceau d'une intimité
un peu douloureuse et si fière.Je viens te demander, ô ma Ville Natale, Du calme pour mon coeur, de l'air pour mes poumons ! J'ai traversé des mers et j'ai franchi des monts, Et je t'ai conservé mon amour filiale !
Lorsque je voyageais sous des cieux étrangers, Devant les monuments fameux, dans les ruines, Bien souvent j'évoquai ton cadre de collines ; Je rêvais de pommiers devant les orangers !
Le guide me disait : Voici des paysages Qu'on vient de tous les points de la Terre admirer ! Et je songeais alors, comme pour comparer, Au vallon de la Touque, aux boeufs dans les herbages
Je restai bon normand, si je t'abandonnai ! Je n'ai vu nulle part la maison désirée ; Je ne veux pas vieillir dans une autre contrée, Je mourrai dans tes murs, ô ville où je suis né !
Jadis, je te quittai pour courir, - ah ! Jeunesse ! - La vie aventureuse aux mirages tentants ; J'étais fougueux, j'étais altier, j'avais vingt ans ! Et je méconnaissais ton charme, bonne hôtesse.
C'est le coeur attendri que j'allai, ce matin, Fouler les gros pavés de tes antiques rues ; Je cherchais du regard des maisons disparues, J'ai revu le Collège où j'appris le latin.
Du Palais de l'Évêque aux anciennes tours grises, J'ai marché, comme un pélerin, jusqu'à ce soir ; Sur un banc du Jardin Public j'allai m'asseoir Et moi, le mécréant, j'entrai dans tes églises.
Le passé m'enlaçait avec ses doux liens ; Des fantômes d'amour sont venus m'apparaître ; Et j'ai senti combien est enchaîné mon être Au petit coin de France où dorment tant des miens ! | Ah ! que tous ceux-là que connut mon enfance, Parents, amis, voisins, je les recherche en vain... Comme il en reste peu pour me tendre la main ! Chacun de mes appels tombe dans le silence.
Mes parents ? J'ai perdu les mieux aimés d'entre eux : Père, frère, puis sœur : le sort me fut sévère : En cinq ans j'ai, cinq fois, gravi comme un calvaire Le dur chemin qui conduit aux Champs-Rémouleux.
Mais, ces êtres de qui j'ai clos les yeux, je doute, Parfois, qu'ils soient partis pour ne plus revenir : Tout est plein d'eux, ici ; leur exil va finir... Je m'attends à les voir arriver sur la route.
Cette route, depuis vingt ans, n'a pas changé : Les arbres, toujours drus, ont le même feuillage, Et les mêmes roquets jappent sur mon passage, Cependant que l'on m'a déjà dévisagé...
Derrière son rideau, c'est une ménagère Qui se demande, avec un regard soupçonneux, Quel est cet inconnu, promeneur matineux, Et moi, je sais fort bien le nom de la commère.
De tous petits enfants sont debout sur le seuil ; - O marmaille, maillons de l'éternelle chaîne ! - N'ai-je pas vu, voilà vingt ans, la même scène Et le même vieillard dans le même fauteuil ?
Les générations vivent ; le même geste Est fait par le grand-père et par le petit-fils ; Je reconnais des attitudes, des profils, Car l'aïeul qui partit vit en l'enfant qui reste !
Dans son pays natal, on n'est point isolé. Ici, je serai près de ceux de ma lignée, Gens à l'âme à la fois hautaine et résignée ; Je suis le descendant d'obscurs semeurs de blé ! |
Henri BEAUCLAIR.
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