BEAUCLAIR,
Henri
(1860-1919) : Pentecôte.-
Paris : Léon
Vanier, 1886.- 15 p. ; in-16.
Saisie du
texte : O. Bogros pour la
collection
électronique de la Médiathèque
André Malraux de Lisieux (28.X.2015)
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Texte
établi sur l'exemplaire de la Médiathèque (Bm Lx :
n.c.). de l'Opera di Henri Beauclair de Maria Rosa Capietti (Milan, U.C. del S.C., 1987).
Pentecôte
par
Henri Beauclair
~ * ~
A Gabriel Vicaire.
I
C’est aujourd'hui le saint jour de la Pentecôte : Les habitants d'Honfleur, marchands et matelots, Levés de grand matin, sont montés à la côte Pour entendre la messe à l'église des Flots
Tout le long des bassins, sur les quais, maisons closes, Et les cabarets seuls ont ouvert leurs volets. Les bateaux barbouillés de noir, aux voiles rosés, Sont couchés sur le flanc, là-bas, sur les galets.
Et la joie est partout, c'est aujourd'hui la fête ! Aussi faut-il chanter et célébrer un brin La mère de Jésus qui calme la tempête Et veille tous les jours sur le pauvre marin.
II
La mer était bonne et le ciel clément, Les filets prenaient des poissons d'argent, Tout allait très bien sur le bâtiment.
Le mousse enfourchait le mât de misaine, Le mousse chantait, quand le capitaine Dit : « Ohé ! petit, tais ton antienne !
« Tais ton antienne, ohé, le petit, « Je vois là-bas un nuage maudit « Qui, j'en ai bien peur, vite s'agrandit ! »
Et même il grandit si tôt, le nuage, Qu'en moins d'un moment vint un gros orage, Et l'on se trouvait très loin du rivage.
Et le vent soufflant renversait les mâts. Le bateau craquait du haut jusqu'en bas, Et tous les marins s'écriaient : « Hélas ! »
[Mais le petit] mousse, au mât de misaine, [Tout le] temps chantait sa longue antienne ; [C'était un] cantique à faire neuvaine :
« [O sainte] Marie ! ô mère de Dieu, « [Fais] que ce grand vent s'affaiblisse un peu « (Et que] je revoie encore le ciel bleu !
« Si tu fais cela, ma bonne Marie, « Je mets un cierge à la niche fleurie « Où, bien sûrement, ma mère te prie !
« Oh ! si tu nous fais sortir du malheur, « Je porte le cierge à ta niche en fleur, « En marchant nu-pieds à partir d'Honfleur ! »
Et déjà le vent bien moins se courrouce, Et comme elle est mère et qu'elle est très douce, La Vierge entendit la chanson du mousse,
Fit la vague molle et le ciel clément. — Les filets prenant des poissons d'argent, Tout alla très bien sur le bâtiment.
III
Ça n'a pas duré plus d'une heure à la chapelle ; Après s'être payé l'Évangile à trois sous, Les assistants s'en sont allés en ribambelle Manger de la crevette et boire du pré doux.
Tous sont assis par terre, à deux pas de l'église, Par groupes, comme autour du bercail un troupeau. D'aucuns, au pied des murs, sans que ça scandalise Le vieux curé qui passe en tirant son chapeau.
Comme il fait bon dîner avec l'herbe pour nappe Et pour salle un carré de grands pommiers fleuris ! On n'est, bien sûr, pas mieux chez monseigneur le Pape D'ailleurs, les restaurants deviennent hors de prix !
Et l'on cause en mangeant : — Pierre a repeint sa barque. — La Jeanne est engrossie.— On dit que c'est de Jean. — — Ne me prends pas la taille, Antoine, on nous remarque. — — Avant la République on gagnait de l'argent.—
Tout là-bas, les flots verts et les falaises blanches, Tout près, le Mont-Joli, couvert de boutons d'or, Brillent — comme un tableau tout encadré de branches — Mais personne ne prend garde ce grand décor.
Et tous, en vrais Normands, ont bu verre sur verre, Et sous le lourd soleil les têtes ont chauffé. On a fait succéder le plaisant au sévère, Le refrain au cantique, en prenant le café.
IV
J'avais placé dans mon armoire Un jambon que je conservais Pour la fête de saint Grégoire, Patron de mon cousin Gervais... Quand l'autre jour, sans que j'y compte, Entre chez moi Monsieur le comte : Il a mangé tout mon jambon, Mon jambon si rose, si bon !
J'avais pris pour traire ma vache Une jeunesse de quinze ans ; Comme elle est fraiche, je la cache, Par crainte des gens médisants. Quand l'autre jour, sans que j'y compte, Entre chez moi Monsieur le comte : Tout en riant sous mon menton, Il a baisé ma Jeanneton !
V
L'après-midi se passe à chanter des bêtises. Et les gars aux poils roux, l’œil plein de convoitises. Avec les Jeannetons aux solides appas, Que les propos salés et gais ne gênent pas, Laissant là les papas avec les ménagères, S’en vont au Mont-Joli rôder dans les fougères. Le soleil sous le flot s'enfonce à l'horizon, Et la mer, rose, chante et semble en pamoison.
VI
Des fois, on souffre sur la mer Tout comme un damné dans l'enfer. C'est dans ces moments-là qu'on pense Aux si doux soirs, qu'au Mont-Joli, Sans plus de table que de lit, On fit l'amour et la bombance.
Des fois on est sur le bateau Et l'on ne voit rien que de l'eau. Mais, dans ses yeux on se rappelle Les arbres du petit chemin, Où, bras sous bras et main dans main, On s'en allait avec sa belle !
Puisque je vais bientôt partir, Pour que j'aie à me souvenir, Au Mont-Joli, viens ma mignonne, Sous les grands ormes nous irons, Les branches cachent bien les fronts... C'est mon cœur que je t'abandonne.
VII
Parfois ils sont troublés quand résonnent les pas Des couples de parents qui chantent tout là-bas :
Les bois ensorceleurs Ont fait bien des malheurs !
Des lits de mousses Sont sous les pas. On parle bas, Les voix sont douces...
Les bois ensorceleurs Ont fait bien des malheurs
Dans le corsage Fouille une main. Gare à demain, Fillette sage...
Les bois ensorceleurs Ont fait bien des malheurs !
La joie est bonne ; Mais, en amour, Peine à son tour. Triste est l'automne !
Les bois ensorceleurs. Ont fait bien des malheurs i
A quoi bon écouter ? Et la fillette sage... Laisse le bon ami fouiller dans le corsage.
VIII
Et ces braves gens, l'âme satisfaite, Et peut-être aussi l'estomac gêné, Demain se diront : Assez badiné ! En mer ! les amis, c'est fini la fête !
Puis, ils partiront sans peur du danger — Ce noir compagnon qui les éperonne — « Nous avons fêté la sainte Patronne, « La mère de Dieu va nous protéger ! »
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