En général, la boiterie est ce qui peut arriver de pire au cheval, car elle est souvent la cause prématurée de sa perte. - Elle se présente sous tant de formes, elle survient pour des causes si différentes, si souvent invisibles (même pour l'homme de l'art), que lorsque cet animal en est atteint, ne pouvant être guéri, il se trouve destiné à bientôt succomber en perdant toute sa valeur. - En effet, il s'use promptement, la souffrance l'affaiblit, les jambes perdent leur aplomb, la souplesse lui manque, il s'abat, se couronne et quelques jours après, il est aux portes de l'abattoir.
Tels sont les trop fréquents résultats des cas de boiterie.
Pour se faire une idée plus complète de la perturbation que la boiterie jette dans la race chevaline, il faut lire l'article suivant inséré dans le journal le Siècle, le 27 Octobre 1863, écrit par M. Léon Gatayes, Rédacteur célèbre des articles hippiques, qu'on lit toujours avec un nouveau plaisir et avec un intérêt tout particulier, à cause des analogies historiques et, dès lors, instructives, dont cet historien émérite ne manque jamais de gratifier son lecteur.
Cet article est ainsi conçu :
«Un homme qui connaissait à fond le coeur humain (ou ce qui en tient lieu chez tant de bipèdes à face humaine), La Rochefoucauld, a dit : La pitié n'est autre chose qu'une habile prévoyance des maux où nous pouvons tomber.
C'est pour cela, sans doute, que l'homme est sans pitié pour le cheval ; il n'a pas à prévoir le cas où, passant un jour à l'état de cheval, boiteux lui-même, on remplacerait le membre malade par une succession de coups de fouet, afin d'en obtenir le même service, et, bien entendu, sans autre préoccupation, que d'en augmenter le nombre et la violence à mesure que l'habitude de la douleur en diminue l'effet.
C'est pourtant le cas pour l'immense quantité de chevaux que l'on rencontre en tout temps, en tous lieux, et dont le mouvement de tête indique suffisamment la souffrance lorsqu'un pied douloureux vient poser sur le sol. - On ne saurait se faire une idée du rôle que jouent les Boiteries dans la fin prématurée d'une notable partie de l'espèce chevaline. Lorsque trois membres sont obligés de faire le service de quatre comme traction ou comme train, - et souvent dans ces deux conditions réunies, - on comprend combien le surcroît de dépenses dans l'effort musculaire doit nécessairement détraquer et briser la machine animale, sans parler du cheval de peine et de service dont c'est le sort habituel ; c'est ainsi qu'ils tombent de main en main, jusqu'à celles de l'équarisseur, souvent le cheval de sang noble finit ainsi sa carrière.
Cette mortalité qui va décimant toutes les écuries, celles du luxe comme celles de l'industrie et de l'armée, tient surtout aux accidents multiples du sabot, trop fragile boîte cornée qui contient les ressorts les plus délicats, les secrets les plus merveilleux de la locomotion. - Malheureusement l'indifférence ou l'ignorance aidant, on déforme l'admirable coffret en en faussant les aplombs, en le comprimant dans le désastreux étau d'une ferrure mal comprise, etc ; de là, compression sur le précieux contenu et les mille accidents qui en résultent. - Aussi, est-ce pour cause de claudication que l'on abat chaque jour une foule de chevaux, qui, redressés, comme on dit, auraient rendu encore d'excellents services.
Or, voici que, après dix années d'observations expérimentales dans son propre pays, la Normandie, et ensuite moitié autant à Paris, un habile praticien, M. Frédéric Desbordeaux, se charge de rendre droit tout cheval boiteux. - Que la claudication soit ancienne ou récente, intermittente, permanente, qu'elle tienne à une cause connue ou inconnue, ou qu'enfin, par l'une ou l'autre de ces causes, elle soit considérée comme incurable, l'opérateur Normand répond du succès.
Depuis quinze ou dix-huit mois, je suis avec intérêt les cures véritablement merveilleuses opérées dans mon quartier des Champs Elysées par M. Desbordeaux. Dans ce quartier et sans parler des autres, on peut en appeler au témoignage de M. Victor Clopet, le marchand de chevaux si connu de la rue Marbeuf ; à M. Morin, ancien Directeur du Tattersall et cent autres encore. Aussi croyons-nous devoir signaler l'établissement etc.»
Au nombre des Boiteries inconnues, il en existe une dont les poulinières sont victimes dans les pays d'élevage. - Déclarée invisible, dès lors incurable, elle était intéressante à étudier pour un hippiâtre spécialiste.
Il arrive donc que, par un beau matin, l'éleveur, allant voir sa poulinière, la trouve boitant tout bas dans la prairie ! Qu'est-il arrivé ? Qu'a-t-elle ? Il n'y a aucune trace d'atteinte ni de contusions, pas plus aux jambes qu'à l'épaule ou ailleurs ! Elle n'était pas ferrée et le pied paraît magnifique, le maréchal lui-même le trouve superbe ; tout le monde y perd, comme on dit, son latin ! De là, l'idée de l'hérédité vient aux uns, celle des rhumatismes aux autres, et par dessus tout ce mystère, s'élève une déclaration d'incurie.
L'intérêt que cette claudication méritait a donc appelé l'attention de l'auteur du petit ouvrage qui va suivre, et quelques observations judicieuses faites dans le pays d'Auge ont amené la découverte du mystère.
Cette boiterie n'est ni héréditaire, ni rhumatismale, ni mystérieuse, ni inguérissable.
Or, le but de cet opuscule est de le démontrer.
Cette petite découverte n'est pas sans intérêt pour l'éleveur, car sa poulinière boiteuse perdait beaucoup de valeur, et le meilleur et le plus beau des poulains à vendre sous elle, avait à subir une dépréciation dans son prix à cause du jugement porté sur l'hérédité de cette claudication assez fréquente.
Pour qu'un livre, quelque petit qu'il soit, devienne efficace et porte bien tous les fruits qu'on en espère, il faut qu'il soit concis, les explications faites avec ordre pour éviter la confusion, et, s'il touche à quelque science, n'étant pas destiné à être lu par l'homme de l'art, que l'emploi des expressions techniques, qui ne peuvent être familières à tout chacun, soit fait avec économie ; les mots les plus usités, le style le plus simple, est ce qui convient dans ce cas. - Or, pour rendre claires et très-compréhensibles les explications, les dissertations qu'il doit contenir, l'auteur a fait tous ses efforts pour atteindre le résultat, en usant de cette méthode autant qu'il l'a pu.
N'ayant pas l'habitude d'écrire des livres, il pourrait se faire qu'il ne remplît pas sa tâche, comme ont dit, artistement ; il est donc sage qu'il appelle, à l'avance, l'indulgence de son lecteur.
On verra aussi, sans doute, quelques redites, mais si elles sont inopportunes pour le laconisme de la rédaction, elles ne seront pas nuisibles à tous ; car, il faut une certaine intuition pour pouvoir, au premier abord, saisir complétement les explications données sur les caprices de la nature, sur les désordres qu'elle cause dans la circonstance qui occupe. - De sorte que quelques lecteurs, dans le nombre, n'auront pas à regretter d'avoir lu deux fois des dissertations sur le même sujet.
Mu par les idées et le sentiment de bienveillance que beaucoup d'hommes ont pour le cheval, qui leur est tant utile et si agréable, puis par goût personnel, par intuition, par amitié enfin aussi pour ce bon et noble animal, il y a de cela bientôt 20 ans, que celui qui écrit ici abandonnait toute carrière pour s'élancer n'importe dans quelle voie hippique, pourvu qu'elle puisse le conduire à l'amélioration du sort de la race chevaline. La boiterie, qui est un des plus grands cas de son malheur dans les mains de l'homme, fut choisie tout spécialement. - Employer son peu d'intelligence à l'étude de l'hippiatrique, à l'observation des différents cas, et surtout à ceux invisibles, dès lors incurables, devint une nécessité. Une grande persévérance mêlée de plus d'un sacrifice aidant, il se vit, après de longues années, couronné d'un succès qu'il utilise particulièrement aujourd'hui dans le silence.
Mais, il doit bien à son pays natal, à ses compatriotes, une révélation qui les intéresse ! C'est donc plus par satisfaction que par combinaison qu'il se plaît à attirer l'attention de l'éleveur de Normandie sur un fait qui touche de près ses intérêts.
Comment l'homme n'aimerait-il pas le cheval ? Pourquoi ne pardonnerait-on pas à celui qui se passionne pour cet être ?
Qu'on lise Buffon, le grand naturaliste immortalisé ! La belle description qu'il fait du cheval n'est-elle pas entraînante ?
«La plus noble conquête, dit-il, que l'homme ait jamais faite, est celle de ce fier et fougueux animal, qui partage avec lui les fatigues de la guerre et la gloire des combats : aussi intrépide que son maître, le cheval voit le péril et l'affronte ; il se fait au bruit des armes, il l'aime et le cherche et s'anime de la même ardeur : il partage aussi ses plaisirs ; à la chasse, aux tournois, à la course, il brille, il étincelle. Mais, docile autant que courageux, il ne se laisse point emporter à son feu ; il sait réprimer ses mouvements : non seulement il fléchit sous la main de celui qui le guide, mais il semble consulter ses désirs, et, obéissant toujours aux impressions qu'il en reçoit, il se précipite, se modère ou s'arrête, et n'agit que pour y satisfaire : c'est une créature qui renonce à son être pour n'exister que par la volonté d'un autre, qui sait même le prévenir, qui, par la promptitude et la précision de ses mouvements, l'exprime et l'exécute, qui sent autant qu'on le désire, et ne rend qu'autant qu'on veut ; qui, se livrant sans réserve, ne se refuse à rien, sert de toutes ses forces, s'excède et même meurt pour mieux obéir».
Pourquoi Buffon n'a-t-il pas parlé de notre poulinière ? Elle avait, il semble, double droit à sa belle plume ! N'a-t-elle pas les charmes, le courage, la bonté des chevaux qu'il dépeint si poëtiquement, les voyant dans les tournois, à la guerre ? Elle y sera bientôt appelée aussi et elle ne faillira pas plus que les autres ! Mais elle a de plus l'utilité de la reproduction, des conditions de nourricière exceptionnelle, une tendresse maternelle si grande, toute sorte de qualités enfin, qui la font reconnaître supérieure à tous les autres quadrupèdes de son sexe.
C'est que Buffon n'a certainement pas eu l'occasion de l'observer dans la prairie, élevant son poulain. - Quelle tendresse maternelle ! quelle douce quiétude, voyant et sentant cet élève, tantôt à la mamelle, tantôt à bondir gaiement et si gracieusement près d'elle !
Que n'aurait-il pas dit encore sur ce changement de tableau, où l'amour maternel est tant marqué ? - La gaieté du poulain le porte à courir, il part tout-à-coup comme une flèche s'éloignant de la mère : alarmée, elle croit que le folâtre veut la fuir, elle craint pour lui un danger, s'élance inquiète, la tête et tous crins au vent ; ses hennissements ont des sons qui annoncent l'anxiété. Les narines ouvertes, l'oeil en feu, elle court de toute sa vitesse, ne pouvant rattraper ce folichon qui, au bruit du galop de la mère, se sauve encore plus vite, bondit encore davantage. - Quelle angoisse ? quelle émotion ? c'est indescriptible ! Le poulain, enfin, se ralentit et se rapproche ; elle le sent revenu à la mamelle, elle le flaire. Dans les nouveaux sons de ses légers et doux hennissements, il semble que l'on entend l'expression du bonheur qu'elle retrouve. Néanmoins, sous l'influence de ce qu'elle vient d'éprouver, elle paraît conserver quelques instants une inquiétude, il lui semble encore qu'un danger a menacé cet être si cher, et ne revient à son calme, que longtemps après. - Quelle bonne créature ! Aussi quel plaisir l'homme n'éprouve-t-il pas à soulager et protéger un pareil être ?
Oui, Buffon a eu tort de l'oublier. Il pouvait embellir son livre en parlant d'elle.
Avant de terminer cet Avant-propos, son auteur exprime l'espoir que MM. les éleveurs accueilleront favorablement ce petit traité d'hippiatrique. - Le discernement, le goût des choses utiles en général, celui du progrès agricole en particulier, qui caractérisent le cultivateur, confirment cette espérance.
D'ailleurs, l'agriculteur est un homme spécial, d'esprit naturel qui lui est propre, qui se développe chaque jour et il ne peut en être autrement. N'est-il pas constamment à la grande école, à étudier la nature ? à observer les grands éléments ? à s'éclairer enfin, en face de l'oeuvre de Dieu, dont il voit la puissance infinie, dont il attend les bienfaits et sur la bonté duquel il espère, pour obtenir la récompense de ses durs travaux ?
Non ! de l'agriculteur on ne doit craindre ni indifférence ni critique pour une idée nouvelle qui constitue une amélioration, tout en protégeant ses intérêts.
Or, c'est avec cette confiance que ce petit ouvrage sera offert au monde agricole.
Dans l'influence de l'humidité trop prolongée sur les sabots du cheval, se trouve le phénomène.
Ni l'hérédité, ni d'autres causes en dehors du sabot, où cette boiterie a son siége, n'existent. - La boiterie est là ! Et n'est que là !
Il n'est donc pas étonnant de la rencontrer, plus fréquemment qu'ailleurs, dans les prairies, dans les herbages où l'écoulement des eaux se fait difficilement, c'est-à-dire sur les terrains plats.
Les désordres que cause le trop d'humidité s'expliquent ainsi : le sabot éprouve ce que les ongles de l'homme éprouveraient s'il les laissait longtemps tremper dans l'eau ; c'est-à-dire privation de la sécrétion et, bientôt, décomposition de la corne dont ils sont formés.
Les humeurs alimentaires du pied du cheval se trouvent ainsi arrêtées tout autour de la couronne sans pouvoir y pénétrer selon leur destination, et il en résulte que le sabot, ne recevant plus cette indispensable liqueur vivifiante, subit immédiatement la même conséquence qu'une branche d'arbre subirait, si elle se trouvait privée de sève et, par comparaison réitérée, s'affaiblit et se décompose comme les ongles de l'homme se décomposeraient ou s'affaibliraient dans l'hypothèse posée à l'alinéa précédent.
Or, les tissus de la couronne se resserrent, le sabot qu'elle tient immédiatement, éprouvant les mêmes privations, se dessèche, se resserre aussi ; puis enfin les quartiers, naturellement faibles, des pieds du devant, subissant à leur tour la conséquence de la même privation, s'amincissent et deviennent tellement plus faibles encore, que le poids de la jument les fait ployer. De là des tiraillements, des pincements dans l'intérieur de cette boîte cornée dont le contenu est si délicat et si sensible. De là, enfin, cette boiterie mystérieuse de la poulinière.
Cette première explication faite, il en faut une seconde, qui ne manque pas d'intérêt, pour parler d'un contraste saisissant. - Ainsi que cela a déjà été dit, le sabot, la corne qui le compose, enfin tout ce qui est à l'air, au jour, à l'extérieur, faisant partie de l'ensemble du pied, est, faute de nourriture, affaibli, déformé, atrophié. - Mais une surprise est réservée à l'observateur. Qu'il lève le pied ? La fourchette est grasse, la sole trop épaisse, une nourriture plus qu'abondante fait même de tout le dessous de ce pied une agglomération difforme : la fourchette, monstrueuse d'embonpoint, fait une confusion ridicule avec la sole, et, remplissant complètement tout le dessous, le pied ne représente plus et ne peut plus représenter qu'un pied plat et comble, partant faible.
Or, voici ce qui est arrivé pour donner naissance à ce deuxième phénomène : les humeurs alimentaires arrêtées au pourtour du sabot, à la couronne, ont trouvé le moyen de faire une dérivation et d'aller opérer une décharge qu'elles entretiennent près des talons, par les tissus graisseux et spongieux de la fourchette et environs ; et, seuls, ceux-là reçoivent injustement l'alimentation destinée au sabot. - Cette sécrétion anormale, cette surabondance de nourriture expliquent la difformité du dessous, qui révèle, comme on a dit, un pied plein, plat et comble appuyant sur le sol, aidant à protéger et même à aggraver les désordres déjà grands, en forçant la pince à se prêter à un évasement et tout le sabot à s'élargir.
Le portrait fidèle de ces pieds, à peu près tous uniformes, est donc celui-ci : au dehors ou à l'extérieur couronne resserrée, sèche, sans bourrelet, tissus faisant pression, cercles sur le sabot, quartiers faibles, sabot évasé, difforme dans sa largeur extravagante et trop court parce qu'il ne pousse plus de haut en bas. - Au dedans, au contraire, abondance de tout : fourchette démesurément grasse, grosse et longue, sole épaisse à l'excès ; enfin, tout un pied ressemblant à un pied forbu et portant en plein sur le sol.
Pour revenir encore une fois sur les effets certains de l'humidité, l'image qu'on vient de voir des pieds défectueux n'est elle pas celle des pieds hollandais ? De ceux de certaines contrées de l'Allemagne ? Enfin de tous ceux qui, mâles ou femelles, se sont trouvés malheureusement, dans des situations identiques, c'est-à-dire, comme notre poulinière, trop longtemps à l'humidité ? Oui, ils se ressemblent tous, mais aussi ils suscitent les mêmes tracasseries à ceux qui les possèdent.
Il suffirait, pour s'en convaincre, de passer quelques jours à Paris pour y visiter les chevaux élevés dans les prairies ou marais des différentes contrées dont on a parlé, même ceux arrivés depuis peu : - toujours des boiteries, des forbures etc, etc. Pourquoi ? parce qu'ils ont des pieds que l'on croirait photographiés sur ceux de notre poulinière boiteuse. Et pourquoi encore ? Parce que, comme les siens, ils ont séjourné trop longtemps dans l'humidité, ayant été élevés dans des marais humides.
On doit donc conclure en passant : «qu'humidité faut au pied d'un cheval, mais pas trop n'en faut».
Et que toute jument qui ne sera pas mise à la pature dans des endroits où il y a des accidents de terrain ou pentes, sera malencontreusement placée dans des herbages à boeufs.
Toutes les défectuosités, toutes les faiblesses organiques, les défauts de constitution, de conformation irrégulière d'un animal quelconque peuvent être héréditaires, mais seulement lorsqu'ils sont naturels.
Tout accident, toute cause artificielle ne se communiquent point à la progéniture par l'hérédité. - Aussi, on ne verra jamais une poulinière mettre bas un poulain borgne, parce qu'elle l'était elle même, ayant eu un oeil crevé par accident depuis sa naissance et après l'achèvement de l'oeuvre de la nature. - De même qu'on ne verra jamais naître un poulain avec des pieds défectueux et boiteux, parce que la mère les a ainsi conformés par une cause artificielle survenue depuis sa naissance, c'est-à-dire encore après l'achèvement de l'oeuvre de la nature.
Oui ! quand cette poulinière naquit, elle avait, comme le poulain qu'elle vient de jeter sur le globe, des sabots parfaitement conformés et, s'ils sont aujourd'hui faibles, défectueux et boiteux, la nature n'y est pour rien : une cause artificielle y est attachée, c'est qu'elle a été placée par la volonté et la main de l'homme dans une situation telle, que l'oeuvre d'entretien a été dérangée ou plutôt arrêtée pour des causes purement artificielles, par le séjour trop prolongé de l'humidité, causes dont ne s'occupe nullement l'hérédité.
Par ce même raisonnement, et ayant établi les causes de la boiterie, il ne paraît pas nécessaire de s'occuper des rhumatismes, puisqu'ils n'étaient aussi qu'imaginaires.
Pour combler la mesure d'arguments et combattre définitivement l'idée de l'hérédité sur cette boiterie, il faut encore faire le raisonnement suivant : tout ce que la nature a fait elle-même peut se communiquer par l'hérédité, et l'homme est incompétent pour réformer quoique ce soit de cet oeuvre. Or, si la boiterie dont on va indiquer le traitement qui, certainement, guérira la poulinière, avait une cause d'hérédité, elle ne serait pas guérissable. Ceci est concluant et paraît l'être assez suffisamment pour qu'on puisse arrêter là ce chapitre et s'occuper du 3e qui contient la méthode pour obtenir guérison de cette fameuse et si trompeuse boiterie.
On doit commencer à faire parer le pied avec beaucoup de soin : sole mise à la rosée, fourchette taillée jusqu'au vif et réduite à sa plus simple expression, la tailler ainsi en montant jusqu'aux talons.
Ceci fait, il faut faire ajuster un fer étampé maigre, portant bien sur les murs sans vide, les éponges ou les branches bien soutenues, mais courtes, pour que les quartiers ou talons soient bien à l'aise. Faire attacher ce fer avec du petit clou, bien mince de lame et exiger du brocheur qu'il y aille à petits coups afin d'éviter tout étonnement du sabot qui nuirait au traitement, en augmentant la souffrance.
Ce pied ainsi ferré, pratiquer une incision dans le milieu de la fourchette, faire cette incision d'environ un centimètre et demi de profondeur, descendant jusqu'à moitié de la longueur de cette fourchette. Cette section ou division des tissus déterminera une petite saignée dont il ne faut pas s'occuper, car elle s'arrêtera d'elle-même peu d'instants après.
Faire aussitôt bouillir du fort vinaigre, y tremper un bouquet d'étoupes, laver avec, l'incision de la fourchette et tout le dessous du pied, sole, etc. - Puis, au moyen de petites éclisses ou d'une petite feuille de tôle ou de fer blanc, taillée de façon à ce qu'elle puisse, faisant tiroir, glisser et tenir sous les branches du fer, introduire, pour y séjourner, le bouquet d'étoupes trempé à nouveau dans le vinaigre bouillant.
Et, sans désemparer, appliquer soigneusement un fort vésicatoire tout autour de la couronne, le renouveler trois jours de suite pour qu'il détermine un gonflement très-apparent des tissus qui la composent.
Quand les croûtes du vésicatoire tomberont, ce qui arrivera dans les douze jours suivants, il faudra graisser tout autour la couronne et deux fois plutôt qu'une par jour. L'onguent du pied est simple à faire : autant de miel rouge ou miel à cheval que de saindoux mêlés à froid.
On fera relever le fer douze ou quatorze jours après et on recommencera à donner les mêmes soins en ferrant, c'est-à-dire, la sole parée à la rosée, la fourchette réduite, le tout bien lavé au vinaigre bouillant, avec la même précaution du premier pansement d'en laisser séjourner sous le pied au moyen d'étoupes imbibées.
Il se déclarera comme symptôme un bourrelet à la couronne qui descendra insensiblement ; ce sera l'indice du retour de la sécrétion ; en descendant, il fortifiera, par plus d'épaisseur, les cornes affaiblies, les quartiers reprendront leur force primitive, et tout cela dans les soixante jours environ, si le traitement est bien fait, si les pieds sont ensuites bien graissés.
A la troisième ferrure, on pourra supprimer l'emploi du vinaigre et laisser la sole à découvert.
On pourra faire travailler au pas après les quinze premiers jours de traitement.
L'emploi de l'onguent pour graisser les pieds, même ceux qui n'ont jamais souffert, ne peut être trop recommandé.
Plus on graissera ceux de notre poulinière, plus on hâtera sa guérison complète.
Mais il serait bon de profiter du moment où, pour elle, dans l'écurie, on a le pot d'onguent à la main, et graisser aussi les voisins, surtout ceux qui sont appelés à courir.
Il y a deux moyens pour empêcher la boiterie du sabot (et dans les boiteries du devant, n'allez jamais les chercher ailleurs), c'est de bien surveiller la ferrure et d'exiger que le pied soit dans le fer et non le fer dans le pied ; exiger encore que le fer, portant bien sur les murs, ne dérange pas l'aplomb. - Un cheval bien ferré, les pieds bien entretenus, placé dans des conditions telles qu'il ne puisse subir les conséquences d'un excès ou de sécheresse ou d'humidité, ne boitera jamais, à moins d'accident étranger aux soins intelligents recommandés pour l'entretien.
La boiterie, ainsi qu'on l'a dit à l'avant-propos, est une véritable calamité pour ces pauvres bêtes. Il n'est donc pas inutile de garder souvenir des quelques recommandations qui précèdent.
Le résumé final du résultat obtenu ou qu'on peut obtenir par la lecture de ce petit traité d'hippiatrique est, en ce qui concerne la boiterie de la poulinière, celui qui suit :
Le mystère de cette boiterie découvert,
Et l'hérédité accusée acquittée par un jugement sans appel,
Et les rhumatismes co-accusés relaxés,
Et les souffrances apaisées,
Et les pertes évitées,
Et le but de ce petit livre atteint,
Et son auteur satisfait, ne cherchant pas d'autre récompense !
En terminant, qu'il me soit permis d'exposer à MM. les éleveurs qui liront cet opuscule :
Que je leur offre mon concours pour le traitement, s'il leur paraissait difficile et trop difficultueux la première fois ;
Fixé à Lisieux pour quelques années, je serai, pendant ce séjour, toujours à leur disposition ;
Que j'utilise mes connaissances en hippiatrique de deux façons : 1° en traitant les chevaux boiteux que j'achète chaque fois qu'il s'en présente qui mérite un traitement ; 2° et que je traite à forfait, payable après guérison, toute sorte de boiterie ;
Que je les prie de garder souvenir de mes offres de service et de croire à tout le dévouement d'un compatriote.
Cet Onguent de pied composé de matières fines, onctueuses et toniques, pénètre facilement dans les tissus de la couronne, fortifie et guérit les pieds les plus affaiblis et atrophiés, amène le retour de la sécrétion, rend la force. la souplesse et le brillant à la corne altérée et évite les boiteries du sabot où, presque toujours, se trouve leur siège. Il est emp1oyé avec beaucoup de succès dans plusieurs administrations et dans beaucoup d'écuries, à Paris et ailleurs.
On expédie n'importe quelle quantité et pour tous pays sur commande faite au dépôt ou par lettre affranchie.
Graisser deux fois par jour pendant les quinze premiers le pourtour de la couronne jusque sur la racine du poil ; enduire de même d'une couche épaisse les tissus de la fourchette en montant jusque sur les talons. Quand on verra la couronne blanchir et un bourrelet s'y former, indice du retour de la sécrétion ou de la nourriture du sabot, on se contentera de graisser une fois le soir en mettant le cheval sur la paille.