Chargé de
continuer cette Statistique routière jusqu’aux limites normandes, je
dois prendre le lecteur à l’endroit où M. de Caumont vient de le
laisser, c’est-à-dire à l’entrée de Lisieux, dont voici une brève
description, et que nous allons d’abord traverser.
La route franchit la vallée dans la ville même de Lisieux, qui est
fortement encaissée entre de vertes collines, au confluent des rivières
de Touques et d’Orbec. On commence à descendre vis-à-vis le château
moderne de Bourguignoles ; et, après avoir dépassé le faubourg de
Saint-Désir, qui forme une commune distincte de celle de Lisieux, on
entre dans la ville, auprès de l’abbaye des Bénédictines. Une chapelle,
bâtie il y a deux ans, remplace celle que la Révolution leur a enlevée,
et qui est aujourd’hui l’église paroissiale de la commune de
Saint-Désir et d’une partie de la ville. Cette église, ainsi que toutes
les autres constructions de l’abbaye, date du XVIIIe siècle. Elle a une
nef avec collatéraux : orientée dans le sens contraire des autres
églises, son portail s’avance sur le versant du coteau. Une ogive
insignifiante, accolée à l’extérieur du chevet, est le dernier reste de
l’ancienne paroisse détruite il y a cinquante ans.
Le voyageur traverse bientôt les eaux réunies de la Touque et de
l’Orbiquet : près du pont, deux maisons gardent encore des vestiges de
l’ancienne porte de Caen. Quelques pas plus loin, on édifie des
maisonnettes de plâtre et de sapin sur l’emplacement de l’Hôtel-Dieu,
ou hôpital des Mathurins, supprimé en 1840. L’église, conservée au
culte depuis la Révolution, n’a été fermée et enfin abattue qu’en 1841.
Elle présentait, sur le bord de la rue, une nef du XIIIe siècle, avec
un seul collatéral du côté de l’épître.
La place Royale vient ensuite, et l’on aperçoit le grand portail de
l’ancienne cathédrale. Une des façades de l’évêché, occupé maintenant
par les tribunaux et la sous-préfecture, s’appuie contre l’une des
tours de l’église : cette façade est bâtie en pierres et en briques,
dans le goût monumental de l’époque de Louis XIII. La majeure partie
des anciens jardins de l’évêché forme aujourd’hui un jardin public,
orné de terrasses, d’où l’on jouit d’une vue riante et étendue.
La place St-Pierre est au centre de la ville. On gravit ensuite une rue
fort rapide, et, après avoir coupé le boulevard, on a, sur la droite,
les constructions modernes de l’hôpital général. La route de Paris
subit aussitôt une bifurcation ; en face, une route nouvelle vient
d’être percée, pour conduire à Pont-Audemer et éviter en même temps, à
l’aide d’un embranchement, la forte montée de l’ancienne grande route.
Celle-ci, qui tourne à droite, longe les bâtiments de l’hôpital, et
sort de la ville, bordée de belles habitations. C’est dans le vallon,
au nord, que naissent les sources dont les eaux alimentent les
nombreuses fontaines publiques. A mi-côte, au milieu d’un quinconce,
une croix de fer, appelée la Croix-Saint-Ursin, indique l’endroit où,
suivant la tradition locale, les reliques de saint Ursin, qu’honore
particulièrement la ville de Lisieux, se seraient miraculeusement
arrêtées, lorsqu’au XIIIe siècle on en opéra la translation. Un vieux
tableau très-curieux, conservé dans l’une des chapelles de l’église de
Saint-Jacques, représente les circonstances de cet évènement
merveilleux.
Lisieux est une cité très-ancienne, qui fut capitale des Lexovii, à
l’époque romaine. Malgré cette antique importance, son évêché, supprimé
aujourd’hui, n’avait été fondé qu’après tous les autres évêchés
normands. Nous ne pouvons ici aborder son histoire, car la nature
sommaire de ces notes de voyage nous force de nous abstenir de tous les
détails purement historiques. On peut consulter les travaux que MM. L.
Dubois, H. de Formeville et A. Bordeaux de Prestreville ont publiés sur
leur ville natale et sur ses évêques.
Disons seulement que le diocèse de Lisieux a été, en vertu du
concordat, démembré entre les deux évêchés de Bayeux et d’Evreux. La
ville épiscopale et toute la partie comprise dans le département du
Calvados dépendent désormais du diocèse de Bayeux. Le titre même a été
éteint, et il ne subsiste plus que la cathédrale, la liturgie et
quelques usages locaux.
L’ancienne cathédrale, dédiée à saint Pierre et à saint Paul, est
très-vaste. Sa façade sévère, et accompagnée de deux tours, est
précédée d’un parvis élevé au-dessus d’un certain nombre de degrés. La
nef, soutenue par des colonnes monocylindriques à bases garnies
d’
agrafes
ou
empattements,
est séparée du choeur, de même style, par
un transept à dimensions majestueuses. Ce transept est couronné par une
grosse tour en lanterne, et doublé d’une espèce de nef transversale, où
sont établis des autels. Les collatéraux font le tour de l’édifice, et,
derrière le rond-point du choeur, il y a trois chapelles. L’étage
supérieur de la nef, le choeur et les transepts sont percés par des
lancettes sans divisions. Mais le jour arrive, en outre, dans le
vaisseau par les chapelles qui s’ouvrent dans les collatéraux de la
nef, et qui, greffées sur les flancs de l’édifice aux XIVe et XVe
siècles, sont éclairées par de vastes fenêtres. Sauf ces additions et
la grande chapelle de la Vierge bâtie derrière le sanctuaire par
l’évêque Cauchon, qui avait condamné Jeanne-d’Arc lorsqu’il était
évêque de Beauvais, l’église de Saint-Pierre est une cathédrale des
premières années du XIIIe siècle, rendue plus austère encore par les
derniers reflets du style roman. Ce style se manifeste surtout à
l’extérieur par les corniches garnies de corbeaux. La Révolution a
complètement saccagé cette église, et la nudité causée par le
pillage subsiste tout entière. Le mobilier présente donc peu de détails
: les orgues sont détruites, mais les stalles méritent l’attention. On
n’a pas besoin d’indiquer les six grandes scènes de la vie de saint
Pierre et de saint Paul, suspendues dans le choeur, et qui, malgré leur
mérite, ont, comme tous les grands tableaux ainsi placés, le tort de
masquer les lignes architecturales. – L’amateur de peinture visitera,
en outre, un saint Sébastien dans l’une des chapelles de l’abside, et
l’antiquaire se gardera de quitter cette église sans donner un
coup-d’oeil aux deux curieux tombeaux qu’on voit, sous des arcades,
dans
le transept septentrional. Les médaillons qui ornent l’un d’eux
paraissent l’oeuvre d’un sculpteur byzantin. – Parmi ce qui subsiste
encore des vitraux, on doit remarquer un panneau du XIIIe siècle à
l’une des fenêtres qui sont derrière le sanctuaire.
D’importants travaux s’exécutent au grand portail de Saint-Pierre : le
portail latéral est complètement réparé. C’est M. Danjoy qui a dirigé
ces restaurations avec son talent et sa sage réserve habituels.
Au côté septentrional de la cathédrale, on voyait, il y a environ
quinze ans, la chapelle de St-Paul dans le palais épiscopal, bâtie par
l’évêque Guillaume III d’Asnières. Cette petite église, du XIIIe siècle
et d’un style très-pur, a été rasée pour construire une caserne de
gendarmerie.
L’église St-Jacques, bâtie tout entière dans les premières années du
XVIe siècle, à la place d’une autre plus ancienne, a été dédiée le 1er
juin 1540, sous l’épiscopat du cardinal Leveneur. L’église de
Pont-l’Evêque, qui lui ressemble beaucoup, en a été, dit-on, une copie.
St-Jacques est un édifice d’un seul jet, qui appartient au style ogival
tertiaire. L’architecture extérieure est maigre, et dépourvue de toutes
les dentelles qu’on voit souvent aux édifices du même temps. Comme la
construction a été faite sur une pente rapide dans le sens de l’axe de
l’église, le choeur se trouve au niveau du sol, tandis que la façade
est
élevée au haut de perrons subdivisés en plusieurs volées et ornés de
fontaines, ce qui forme l’agrément du grand portail couronné par un
assez maussade clocher en ardoise, évidemment inachevé.
L’intérieur est léger et élégant. Trois nefs, de longueur égale,
composent, avec des chapelles placées à droite et à gauche, cette
église assez vaste, mais qui n’a pas de transepts. Le vaisseau est
soutenu par deux rangs de colonnes monocylindriques, et sans autres
chapiteaux que la
pénétration
des nervures des voûtes. Au reste, même
sobriété de sculptures à l’intérieur qu’à l’extérieur. Il n’y a ni
galeries ouvragées, ni clefs de voûtes exubérantes, ni dais, ni
pinacles travaillés à jour. L’église St-Jacques n’appartient nullement
au gothique fleuri ; ce n’est pas non plus une oeuvre du style de la
Renaissance. Ce qui faisait sa décoration intérieure, c’étaient ses
vitres peintes des plus riches couleurs. Les verrières, qui subsistent
encore, contribuent beaucoup à l’embellissement de cette église, qui,
malgré ses défauts, est une jolie église. Les stalles, de la
Renaissance, présentent des panneaux très-richement sculptés.
On a placé dernièrement, à St-Jacques, un orgue, dont les boiseries,
composées dans le style fleuri du XVe siècle, ont été exécutées par M.
Léonard, sculpteur en bois à Lisieux, sur les dessins de M. l’abbé
Tournesac, du Mans.
Outre ses édifices religieux, Lisieux offrait encore, il y a peu
d’années, à la curiosité du voyageur, de beaux restes de
fortifications. Mais, d’ici peu, tout aura disparu. L’achat fait par la
municipalité, il y a environ dix ans, d’une grosse tour placée au coin
du jardin de l’ancien Doyenné, et qui était l’ornement du boulevard,
est un fait inexcusable, puisque la ville ne s’est fait céder cette
tour que pour donner aux particuliers l’exemple d’une inutile
destruction.
Les maisons de bois des XVe et XVIe siècles sont très-nombreuses ;
elles peuvent être rapportées à trois types différents, et plusieurs
présentent de remarquables sculptures. On doit citer surtout deux
maisons contiguës, rue aux Fêvres, qui sont encore des spécimens
très-complets de la transition du style ogival à celui de la
Renaissance. Les accessoires ornés, tels que détails de serrurerie, de
menuiserie ; les girouettes en terre cuite, etc., peuvent, à Lisieux,
abondamment garnir les albums des artistes archéologues.
La suppression de l’évêché, en dispersant le haut clergé, et la
dilapidation de la bibliothèque de la cathédrale achevée sous l’Empire,
ont porté un funeste coup à la culture des lettres dans Lisieux,
devenue une ville exclusivement commerciale. Mais, au point de vue
manufacturier, c’est la première ville du Calvados. Elle est aussi la
plus peuplée après Caen, surtout si l’on y joint la population des deux
communes de St-Désir et de St-Jacques, qui forment ses faubourgs.
Malgré les tendances industrielles des habitants, on trouve à
l’hôtel-de-ville une nouvelle bibliothèque encore peu nombreuse, et un
musée où se trouve une oeuvre célèbre, Jésus-Christ appelant à lui les
petits enfants, par Flandrin ; vaste toile qu’on ne pourrait bien juger
que dans un local plus spacieux que le musée de Lisieux. Le modèle
original du lion de Barye est la pièce capitale de la salle des
sculptures.
Deux artistes contemporains sont nés à Lisieux : l’un est M.
Duval-Lecamus, peintre de genre bien connu ; l’autre, architecte
enthousiaste et qui s’était pénétré du génie des vieux maîtres, est
mort, après une vie courte et agitée, au monastère des Dominicains de
Bosco, en Piémont. Le R. P. Alexandre Piel fut l’un des premiers qui
tentèrent, de nos jours, de reprendre l’oeuvre interrompue de
l’architecture chrétienne, et d’édifier encore des églises gothiques :
ce fut à la suite de ces travaux qu’il entra dans l’ordre des Frères
prêcheurs, que l’abbé Lacordaire venait relever en France.
Lisieux possède aussi une Société d’émulation, fondée en 1836, et qui a
publié un volume.
M. le docteur Billon, membre de l’Association normande, qui connaît
parfaitement toutes les particularités archéologiques du pays, provoque
de tous ses efforts la création d’un musée d’antiquités, destiné à
sauver tous les fragments journellement dispersés.
Quand la Société française et l’Association normande se réunirent à
Lisieux en 1836, M. Leroy-Beaulieu avait pris l’engagement de créer ce
musée, à la sollicitation de M. de Caumont.
De Lisieux à l’Hôtellerie, il y a trois lieues pendant lesquelles la
route présente peu d’intérêt. Toutefois, à deux lieues de Lisieux, sur
la gauche, se trouve, dans les terres, le château de Fumichon, formé de
nombreux pavillons en briques et en pierre, et bâti dans le style à la
mode sous Louis XIII. On entrevoit un peu ses grands toits d’ardoises,
de la route. Sur le même côté, on aperçoit le petit clocher arrondi de
l’église de Firfol. Firfol est un ancien prieuré.
A droite, on distingue le clocher massif, les futaies et le château de
Marolles, bâti dans le style du siècle dernier. La terre de Marolles
appartient à MM. de Piperey, membres de l’Association normande.
L’Hôtellerie, relais de poste, est une bourgade que traverse la route.
On passe le long de l’église, qui est du XVe siècle, et à côté de
laquelle se trouve une vieille maison de la même époque.
M. Bouet a trouvé ce blason sur la cuve d’anciens fonts baptismaux
recueillis dans un jardin voisin, chez M. Lallier, membre de
l’Association normande : c’est celui du cardinal d’Annebaut, évêque de
Lisieux, de 1540 à 1559. M. Lallier étant le propriétaire de la maison
que nous venons de citer, nous lui adressons nos voeux pour qu’il la
conserve.
L’église de l’Hôtellerie passe pour avoir été primitivement fondée par
la reine Blanche, mère de saint Louis, qui, revenant de
Basse-Normandie, fut subitement prise de mal d’enfant, et fit ses
couches dans une hôtellerie placée sur le chemin, hôtellerie qui serait
devenue, par la fondation d’une église, le noyau du village.
A environ un quart de lieue de l’Hôtellerie, on franchit la limite du
département du Calvados pour entrer dans celui de l’Eure. Une haute
borne, placée sur le côté gauche de la route, marque l’endroit précis
où l’on passe d’un département dans l’autre. A trois quarts de lieue de
l’Hôtellerie, la route départementale n° 18 vient s’embrancher à gauche
de la route. Elle conduit à Thiberville, gros bourg placé à quelques
centaines de pas dans les terres. Thiberville est un chef-lieu de
canton, qui n’a d’intéressant que ses très-forts marchés, où affluent
les productions d’une des plaines les plus fertiles du département de
l’Eure.
A peu près à cinq lieues de Lisieux, on trouve Duranville, dont
l’église, située au sud, immédiatement sur le bord de la route, est
d’architecture romane. Le portail à plein-cintre, avec deux colonnes,
est peu orné d’ailleurs. Le mur septentrional qui longe la grande route
est complètement dépourvu d’ouvertures ; son antiquité n’en est pas
moins révélée par les contreforts très-peu saillants qui le décorent.
J’ai remarqué, dans les parties anciennes de cette église, l’emploi
d’une pierre calcaire, remplie de cellules comme la pierre meulière, et
qui m’a paru identique avec le
travertin
des Anciens, si répandu dans
toutes les ruines romaines de la contrée. – Il y a dans le cimetière de
Duranville un if, peut-être aussi vieux que l’église, et dont trois
hommes auraient peine à embrasser le tronc.
Derrière l’église on aperçoit le château de Bellemare, qui paraît dater
du siècle dernier.
Un peu avant Duranville, on a longé le hameau de la
Chaussée, dont le
nom significatif rappelle encore que la grande route occupe, où nous
sommes, l’emplacement de la voie romaine de Lisieux à Brionne.
Folleville est situé à moins d’un quart de lieue, à gauche, en face de
Duranville. Le Theil-Nolent vient ensuite sur le même côté, et l’on
aperçoit très-bien, à peu de distance de la route, son église, de
l’architecture la plus triviale. Tout auprès, dans une ancienne ferme
d’abbaye, il y a une grange dîmière à chevet percé de lancettes
ogivales, plus monumentale que l’église actuelle. Une lieue plus loin,
toujours à gauche, de belles avenues de tilleuls conduisent d’une
demi-lune plantée sur le bord de la route au château de Lamberville,
près le Marché-Neuf. La façade du château, qu’on distingue
parfaitement, est construite en briques, avec chaînes et moulures en
pierre, et peut dater des premières années du XVIIIe siècle.
On arrive aussitôt au Marché-Neuf, relais de poste situé sur les
confins des trois cantons de Thiberville, Bernay et Brionne. Le
Marché-Neuf est partagé, en conséquence, entre les trois communes de
Boissy-Lamberville, Plasnes et Berthouville.
A moitié de la distance qui sépare le Theil-Nolent du Marché-Neuf, on a
coupé la route départementale n° 20 allant de Lieurey, à gauche, à
Bernay, à droite.
La route, ayant subi une légère déviation un peu au-dessus de l’église
de Duranville, cesse de suivre le tracé de la voie romaine, qui,
continuant en ligne droite, après avoir passé par le Theil-Nolent et
Lamberville, traverse le village de Chemin-Haussé, sur le territoire de
Berthouville, et, tendant vers Brionne, s’éloigne de plus en plus de la
route actuelle.
En suivant celle-ci, on fait environ une lieue sur la lisière
méridionale du canton de Brionne, laissant à gauche dans les terres
Berthouville, célèbre pour les vases et les ustensiles sacrificatoires
qu’un cultivateur y découvrit, en mars 1830, dans un champ du hameau du
Villaret. Ces soixante-dix objets en argent, pesant environ 50 livres,
sont couverts presque tous d’inscriptions et de figures en relief ; ils
paraissent avoir appartenu à un temple de Mercure, appelé
Canetum, et
avoir été enfouis précipitamment, soit à l’approche d’une invasion des
Barbares, soit à la suite d’une dernière suspension du culte païen,
lors des premiers progrès du Christianisme naissant. – Les vestiges de
constructions romaines abondent dans le voisinage.
C’est à une lieue du Marché-Neuf qu’on peut apercevoir, dans un bouquet
d’arbres, à droite de la route, l’église de Boisney, la plus
remarquable de toutes celles placées sur le trajet de Lisieux à Evreux.
Le transept de cette église, en pierre de taille, présente un groupe
élégant de fenêtres romanes. « On y remarque trois autels en marbre et
plusieurs pierres sépulcrales provenant de l’abbaye du Bec, entr’autres
la tombe de Robert de Floques, illustre guerrier du temps de Charles
VII. » Il y a dans le cimetière deux ifs monstrueux. On a imprimé et
répété que l’un d’eux a vingt pieds, et l’autre seize pieds de
diamètre
: c’est sans doute de
circonférence
qu’il faut lire.
Non loin de Boisney, on trouve le hameau de Malbrouck, formé, il y a
une vingtaine d’années, au point de jonction des routes de Paris à
Cherbourg et de Bordeaux à Rouen. La route, à gauche, tend à Brionne,
petite ville très-ancienne, qui paraît être le
Breviodurum de
l’itinéraire d’Antonin, et où aboutissaient quatre voies romaines.
Brionne fut, au Xe siècle, le chef-lieu d’un comté. On y voit encore
les restes imposants d’un donjon du XIe siècle et l’église abandonnée
de Saint-Denis, dans laquelle, en 1050, se tint un Concile célèbre
contre l’hérésie de Bérenger sur l’Eucharistie. Brionne, chef-lieu de
canton, qui envoie un député à la Chambre, est à deux lieues de
Malbrouck.
A droite, la route de Bordeaux conduit à Bernay, chef-lieu
d’arrondissement.
Malbrouck dépend de la commune de Carsix, dont l’église, à une
demi-lieue, offre quelques parties du XIe ou du XIIe siècle.
On a institué, dans ce hameau, une foire en mémoire du passage de
Louis-Philippe, le 28 août 1833.
A peu de distance de Malbrouck, la plaine commence à s’incliner, et la
route descend dans une gorge très-accidentée, qui s’embranche sur la
vallée de la Risle. On laisse derrière soi les fertiles plaines du
Lieuvin, et, à gauche, celles du Roumois (
Rothomagensis pagus),
commençant à Brionne, ancienne limite du diocèse de Rouen. Des buttes
arides et très-sauvages dominent la route des deux côtés. Ces bruyères
dépendent d’une grande terre, celle de la Rivière-Thibouville. Des
futaies succèdent aux bruyères, et l’on aperçoit bientôt, dans une
petite plaine cultivée, le village de Fontaine-la-Sorêt. L’église, un
peu à gauche de la route, n’est guère moins intéressante que celle de
Boisney, et, comme elle, elle a été signalée depuis long-temps au monde
savant par M. Auguste Leprévost, aux écrits duquel nous avons emprunté
plusieurs détails. La nef et la tour offrent des parties curieuses dans
le style roman du XIe ou plutôt XIIe siècle ; mais les arcatures de la
tour ont été presqu’entièrement refaites, lors d’une restauration toute
récente. Le chevet date des premières années du XVIe siècle ; il est
bâti en damier, appareil curieux qui paraît avoir fait fureur dans les
diocèses d’Evreux et de Lisieux, au moment de la Renaissance. Ce
chevet, ainsi échiqueté de pierres blanches et de silex noir formant
des carreaux très-réguliers, est percé d’une ogive à deux meneaux et à
couronnement flamboyant, où une brillante verrière représente saint
Jean-Baptiste, saint Martin et une sainte.
Un ruisseau, qui prend sa source aux environs, vient bientôt
s’encaisser sur le bord de la route, et y faire marcher, conduite dans
un auget, la roue pittoresque d’un moulin à tan. Sur le bord opposé,
une entaille faite aux flancs du coteau révèle la constitution
géologique du sol ; on y prend de la craie légèrement glauconieuse, où
nous avons remarqué des empreintes fossiles qui paraissent appartenir à
des bivalves du genre
ostrea.
M. Charles Le Normand, membre de l’Institut, possède une maison de
campagne sur le coteau de Fontaine-la-Sorêt. Une vieille chapelle, où
se rendent des processions ; un ruisseau, qui naît près de la chapelle,
sont les poétiques accessoires de cette habitation.
Enfin, on entre dans la verte vallée de la Risle : on est alors à la
Rivière-Thibouville, relais de poste aux chevaux, où l’on jouit de
points de vue vantés. Sur la pente du coteau qu’on vient de descendre,
s’élève le vaste château de la Carogère, bâti, à la fin du siècle
dernier, par un fermier-général, M. d’Augny. Le corps de logis et les
ailes sont construits en briques, avec moulures et cordons en pierre.
Les bois, qui couvrent les deux côtés de la vallée, dépendent de cette
grande terre appartenant à M. le comte de Revilliasc, qui habite Caen.
Sur le coteau opposé, on distingue assez bien, lorsque le temps est
clair, la masse du donjon et des maisons de la ville de Brionne. La
route de Pont-Audemer à Evreux longe la vallée, et vient s’embrancher
sur la gauche de la route de Paris, dans le hameau même de la
Rivière-Thibouville. – En suivant cette direction, Brionne est à cinq
quarts de lieue, et le Bec à deux lieues ; le Bec, fameux par sa
savante abbaye, où enseignèrent Lanfranc et saint Anselme, et qui,
depuis l’Empire, est un dépôt de remonte !
Le village de la Rivière-Thibouville se compose de moulins et
d’auberges groupés au passage de la Risle. Il y avait autrefois un
château-fort, qui a soutenu des attaques aux XVe et XVIe siècles. La
famille des barons de Thibouville faisait grande figure : aujourd’hui,
ce village n’a pas même une individualité ; il dépend à la fois des
communes de Fontaine-la-Sorêt, de Nassandres, et même de Brionne. On
bat du blé dans son ancienne église paroissiale, dont les ogives sont
murées, et autour de laquelle des pans de murs, qui paraissent les
restes du château, se mirent dans les eaux paisibles de la Risle. Cette
église et ces ruines criblées de boulets portent le cachet des
constructions des temps d’Henri IV ou de Louis XIII.
A la Rivière-Thibouville, on est à moitié chemin de Lisieux à Evreux.
Plusieurs voitures publiques s’y arrêtent.
Lorsqu’on a gravi la côte pour sortir de la vallée, on entre de nouveau
dans de grandes plaines en labour. La route est désormais
très-monotone. On a quatre lieues et demie à faire pour gagner la
Commanderie, qui est le relais le plus prochain ; neuf lieues, pour
arriver à Evreux. Avant la Commanderie, on ne trouve sur la route que
des maisons isolées. Harcourt, berceau de l’illustre maison de ce nom,
est trop loin sur la gauche pour qu’on puisse l’apercevoir. C’est un
gros bourg, autrefois comté, puis duché, où existe un hôpital, dont la
chapelle romane a été bâtie en 1184. L’église d’Harcourt renferme des
fonts baptismaux du XIVe siècle, publiés dans le Bulletin monumental,
t. XI, p. 56.
Le château féodal d’Harcourt, dans les dépendances duquel avait été
fondée l’abbaye du Parc en 1255, est aujourd’hui la propriété de la
Société centrale d’agriculture, qui y possède de vastes plantations de
pins.
Un peu au-delà de la côte de la Rivière-Thibouville, on voit, sur la
gauche, les avenues et le château de Bigars, qui appartiennent à M.
Lizot, président du tribunal civil de Rouen. L’église de Goupillères en
est peu éloignée.
En face, à peu de distance de la route, se trouve Périers ; puis, plus
loin, Thibouville. Rouge-Périers, où habite M. Dupont (de l’Eure), est
dans les terres, entre Harcourt et le Neubourg.
A Ecardenville, dont l’église est un peu à droite de la route, on
traverse la route départementale de Beaumont-le-Roger au Neubourg. Bray
et Combon se présentent successivement à droite dans la plaine : on est
alors sur un point assez élevé, d’où l’on peut apercevoir pendant
long-temps le château, l’église et la masse confuse des maisons de la
petite ville du Neubourg, située à gauche, à la naissance d’un vallon.
Le Neubourg, privé d’eau courante, donne son nom aux vastes plaines qui
l’environnent de toutes parts : c’est une localité commerçante, que ses
halles et son marché ont rendue importante.
Lorsqu’on a passé la hauteur du Neubourg, on voit, sur le même côté, la
petite flèche, couverte d’essentes, de l’église du Tremblay, et l’on
coupe bientôt la route départementale du Neubourg à Conches, au hameau
des Quatre-Routes, qui s’est assez récemment formé à ce point de
jonction.
La Commanderie, relais de poste dépendant de la commune de Ste-Colombe,
doit son nom à une Commanderie de Malte toute voisine, et dont les
tourelles frappaient, naguère encore, l’attention du voyageur, dès
qu’il avait dépassé les dernières maisons de cette bourgade.
Les grands bâtiments moitié monastiques, moitié féodaux de la ferme du
Commandeur, se voient encore à peu de distance de la grande route, à
droite. Cette Commanderie, dite de St-Etienne-de-Renneville, fut
fondée, vers le commencement du XIIe siècle, par Richard de Harcourt,
chevalier du Temple, qui y fut inhumé. L’ordre de Malte la posséda
ensuite jusqu’à la Révolution de 1789. Le manoir des Commandeurs n’a
été démoli qu’en mai 1847, et nous signalâmes alors cette destruction
dans le Bulletin monumental. Nous sommes heureux d’en pouvoir offrir
ici un dessin, grâce à une lithographie que des amis de l’archéologie,
MM. Laumonier, de Conches, exécutèrent et firent tirer à
petit nombre, il y a sept à huit ans.
L’édifice ne présentait, à l’extérieur, qu’une partie digne d’intérêt,
l’extrémité flanquée de deux tourelles rondes en pierre de taille, avec
des assises de silex, et qui paraissait dater des premières années du
XVIe siècle. Mais, intérieurement, on trouvait une immense cheminée
recouverte de peintures et d’attributs héraldiques, et un grand nombre
de peintures murales masquées par un badigeon écaillé. – Nous avons
visité les restes de ce manoir lorsqu’il a été à peu près démoli, et
nous avons remarqué, parmi les débris de sa construction, d’énormes
poutres semées de fleurs de lys, et un bon nombre de pierres sculptées.
Les fragments les plus intéressants pour l’histoire sont, d’abord, un
grand morceau de dalle tumulaire du XVIe siècle, sur laquelle avaient
été incrustés le visage, les mains d’un chevalier, plus une croix de
Malte, et autour de laquelle on lit en caractères gothiques :
lect. l
Denis natif de MAINUER ?
en Picardie lequel trespassa le
dimenche
tiers. jour de iuillet lan mil cinq cens et qu.... ;
ensuite quatre
écussons en relief : l’un chargé de deux faces,l’autre d’une croix sur
champ colorié en rouge, le troisième d’une croix pattée (de Malte)
aussi sur fond rouge, et le quatrième encore parfaitement émaillé
d’
azur aux trois
maillets d’or, au chef cousu et abaissé de gueules,
chargé d’une croix d’argent ; sans doute celui du
chevalier qui avait
rebâti le manoir.
Les peintures murales, lavées par la pluie, avaient repris de la
vivacité, et nous avons pu en retrouver l’ensemble sur les grandes
pierres qui jonchent le sol. D’abord, la partie supérieure d’un
Ecce
Homo, la tête d’un Christ flagellé, etc., nous ont fait
voir que les
scènes de la Passion décoraient une salle. Elle était peinte à fresque
sur la pierre, et le Christ avait partout une auréole rouge couverte de
rayons dorés. – Toutes les autres peintures, faites à l’huile,
s’écaillaient plus ou moins. Un crucifiement, où le Christ a les bras
très-élevés, suivant le symbole janséniste, attestait qu’une autre
Passion, de proportions plus petites, avait encore été exécutée à une
époque postérieure. Sur une autre pierre, nous avons trouvé toute une
scène, de la grandeur d’un tableau de chevalet, où deux cavaliers,
coiffés de chapeaux à plumes, jouaient du luth, en compagnie d’une
dame. Le fond représente un paysage : c’est le seul sujet profane que
nous ayons retrouvé. Il nous a paru du commencement du XVIIe siècle.
Deux immenses pierres, provenant du manteau de la grande cheminée, nous
ont présenté la partie inférieure de trois vastes écussons soutenus par
des griffons aux serres redoutables, puis les trois casques ombragés de
lambrequins exorbitants et fermés de grilles dorées qui surmontaient
ces blasons.
Enfin les autres débris étaient recouverts d’arabesques et d’ornements,
assez grossièrement peints, des XVIe et XVIIe siècles, et même de
quelques marbrures du XVIIIe.
Semerville est à gauche de la route, à peu de distance de la
Commanderie. Viennent ensuite, et tout à côté, les futaies et les
longues avenues de Graveron, propriété de la famille de Mme de
Salvandy. Le château est un édifice inachevé du XVIIe siècle, à
bossages et à compartiments de pierre et de briques, dont le grand toit
d’ardoises fait un bon effet. Nous avons dessiné le croquis ci-devant,
non de la route, mais auprès de la grille, à l’extrémité de l’avenue.
L’église de Graveron, cachée dans les arbres comme celle de Semerville,
est tout auprès du château. Elle n’a aucun intérêt.
St-Melain-la-Campagne est une église fermée, placée non loin et en face
de Graveron. La route passe ensuite à Tournedos, et l’on aperçoit
successivement, toujours à droite, le clocher de Bois-Hubert ; puis, à
trois quarts de lieue de la route, les avenues et le château du Fay, à
M. le baron de Sepmanville, d’Evreux.
Lorsque la vue n’a plus été arrêtée sur la gauche par les avenues de
Graveron, on a aperçu au loin le clocher de Quitteboeuf, puis des
horizons bleuâtres, entremêlés de futaies lointaines qui appartiennent
à l’arrondissement de Louviers.
Toujours, à gauche, on trouve ensuite Bernienville ; puis, très près de
la route, Pithienville. Les postillons font souffler leurs chevaux à un
groupe d’auberges formé sur le bord de la route, et indiqué sur les
cartes routières sous le nom de la Mère-Odue. L’étymologie est toute
contemporaine ; c’était le nom d’une vieille femme, qui, pendant de
nombreuses années, a tenu la première auberge bâtie à cet endroit.
Arrivé à cette hauteur, on voit pendant assez long-temps, au fond de la
plaine, à gauche, la tour de l’église de Sacquenville, qui fait
diversion aux flèches d’ardoises de toutes les églises environnantes.
L’église de Sacquenville est aussi la plus monumentale d’entre elles.
Saint-Martin-la-Campagne, puis Gauville-la-Campagne, succèdent à
Pithienville, à la gauche du voyageur.
A droite, après avoir perdu de vue les futaies éloignées du château du
Fay, on aperçoit Claville, dont le gros clocher d’ardoises couronne un
petit portail de la Renaissance ; puis deux petites églises fermées,
Neuville et Branville, plus rapprochées de la route. Branville est en
face de Gauville. Enfin, assez près de la route, on aperçoit, depuis
l’été de 1847, le clocher de l’église nouvelle de Parville. Dans ce
dernier édifice, le progrès contemporain s’est manifesté par des
fenêtres s’ouvrant à deux battants et ornées de grands carreaux.
A Parville, le terrain commence à s’accidenter, et bientôt la route
descend dans la vallée de l’Iton, dont on aperçoit les coteaux crayeux
à gauche, et boisés à droite.
Les clochers d’Evreux se présentent en face du voyageur, au fond de la
vallée.
Au bas de la côte, le hameau de Cambolles dépend d’Evreux, et n’en est
séparé que par la magnifique avenue d’ormes, bordée de canaux, qui sert
d’entrée à cette ville. A droite, la route de Laigle et d’Alençon vient
s’embrancher à la route de 1re classe. C’était là qu’il y a douze ans
arrivaient les avenues séculaires du château de Navarre, demeure
princière, bâtie par Hardouin de Mansard et entourée d’immenses jardins
créés par Lenôtre. Le dôme du château, répétition du château de Marly,
s’apercevait au milieu de la vallée. Des mains des ducs souverains de
Bouillon, qui y tenaient leur cour, Navarre est passé dans celles de
l’impératrice Joséphine, qui s’y réfugia après le divorce de Napoléon,
et a été vendu par le duc de Leuchtemberg, héritier des Beauharnais,
aux hommes de la bande noire. Les belles eaux et les ombrages des beaux
jardins de Navarre ont été chantés par Fontanes. Des usines peu
nombreuses utilisent maintenant l’eau de quelques-unes des anciennes
cascades.
La route de Paris ne traverse pas Evreux dans sa longueur. Les
quartiers qu’elle parcourt n’étaient même autrefois que des faubourgs.
C’est à gauche que se trouvent, d’abord en entrant, le couvent de la
Providence, le grand séminaire actuel, et l’église abbatiale de
St-Taurin. A droite, le portail de la Cour d’assises, qui fut l’église
d’un séminaire, se présente sur la rue. La préfecture se voit plus loin
à gauche, puis les tours de la cathédrale. En sortant de la ville, à
droite, on aperçoit le petit séminaire et sa chapelle, reste de
l’église de St-Aquilin, l’une des huit paroisses d’avant la Révolution.
Evreux, chef-lieu de préfecture, est une très-ancienne cité. Son évêché
subsiste depuis bientôt quinze siècles. Les comtes d’Evreux ont joué un
très-grand rôle au moyen-âge. Mais, dans ces simples indications de
voyage, nous ne pouvons tracer, même en abrégé, l’histoire de cette
ville. Nous renverrons ceux qui voudraient un résumé succinct, et
complet cependant, des événements dont elle a été le théâtre, au
Dictionnaire statistique et historique de l’Eure, par M. Gadebled,
ouvrage estimable auquel nous avons emprunté plus d’un renseignement.
Malgré les nombreuses destructions accomplies dans Evreux depuis la
Révolution, et principalement sous l’Empire, cette ville possède encore
plusieurs monuments. Le touriste qui voudra la visiter, devra faire une
longue station à la cathédrale, belle église qui présente des parties
très-remarquables et où abondent les vitres peintes et les sculptures
sur bois, et aller voir ensuite l’église de Saint-Taurin, la tour de
l’horloge ou beffroi communal, le palais épiscopal et les ruines de
l’abbaye de St-Sauveur. Une description monumentale de la ville
dépasserait au reste de beaucoup le cadre de ce travail. Citons, parmi
les choses très-notables, le choeur de la cathédrale, des XIVe et XVe
siècles ; le portail du nord de la même église, chef-d’oeuvre de style
flamboyant, qui date des premières années du XVIe siècle ; le transept
méridional de St-Taurin, d’architecture romane, ornée de marqueterie à
compartiments de couleur rouge et bleue, et la châsse magnifique dans
laquelle sont conservées les reliques de St-Taurin, 1er évêque
d’Evreux, oeuvre d’orfèvrerie du XIIIe siècle, qui a mérité d’être
citée
avec les châsses de Cologne et d’Aix-la-Chapelle.
Presque toutes les maisons d’Evreux étant revêtues de plâtre et ayant
une apparence moderne, il n’y reste plus guère de façades à caractère
monumental. On doit cependant remarquer deux maisons de bois, rue
Grande, nos 12 et 46.
Tandis que le département du Calvados possède une douzaine de Sociétés
savantes, celui de l’Eure n’en a plus qu’une seule, subventionnée par
le Conseil général, et qui a son siége à Evreux. En revanche, cette
Société, dont l’agriculture est le but principal, admet dans son libre
programme à peu près toutes les branches des connaissances humaines.
Elle publie chaque année ses travaux.
Evreux compte au nombre de ses plus jolies promenades son Jardin des
Plantes, très-peu fréquenté, malgré l’élégance de sa distribution en
amphithéâtre. C’est à l’entrée de ce jardin qu’on trouve la
bibliothèque publique, un cabinet d’histoire naturelle et un dépôt
d’antiquités, collections dont le développement n’est arrêté que par
l’insuffisance du local, et qui sont confiées aux soins d’un érudit, M.
Chassant, inspecteur d’arrondissement de l’Association normande.
A la sortie d’Evreux, après avoir monté la côte, dont une nouvelle
route auxiliaire n’ôte pas la rapidité, on découvre à droite les restes
d’un manoir du XVe siècle, digne d’intérêt, et dont on peut visiter
l’intérieur, où subsistent plusieurs grandes cheminées à manteau
sculpté. La ferme, qui entoure ce vieil édifice, s’appelle le Long
Buisson, et passe pour avoir appartenu autrefois aux Templiers.
Derrière le Long-Buisson se trouvent les avenues du château de
Melleville, qui a encore deux tourelles carrées du temps de Louis XIII,
et dont les bosquets ont, dit-on, été esquissés par Lenôtre.
Sur un plan plus reculé, on remarque le clocher de Guichainville, et
les grands arbres qui environnent le château.
A gauche de la route, la vue ne rencontre rien d’intéressant, si ce
n’est le toit conique des tourelles du manoir de Fauville qu’on peut à
peine distinguer, puis les clochers d’Huest et de Gauciel. Mais, à
environ deux lieues d’Evreux, on longe, de ce côté, le parc, élégamment
dessiné, du Breuil, qui vient border la route. Ce parc et le château
moderne qu’il environne sont la création de M. de Titer, comte de
Glatigny, l’un des membres de l’Association normande.
A droite, on a pu suivre des yeux, dans le lointain, la tour de la
belle église de Prey ; puis, à une distance beaucoup plus rapprochée,
le clocher de Saint-Aubin-du-Vieil-Evreux. C’est de ce côté, presqu’en
face le Breuil, qu’est située la commune du Vieil-Evreux, célèbre par
les ruines romaines qui couvrent son territoire. L’importance de ces
ruines, les nombreux objets d’art qui y ont été découverts, l’existence
d’un vaste théâtre, et surtout les débris d’un grand aqueduc dont on
retrouve les traces à près de quatre lieues de là, avaient d’abord fait
penser à MM. Rever et Leprévost que c’était là qu’existait
Mediolanum
Aulercorum, l’une des plus importantes cités des Gaules.
Mais les
dernières fouilles opérées par M. Bonnin et la découverte de plusieurs
inscriptions font penser à ce savant que Mediolanum a toujours été où
se trouve Evreux actuel, et que le Vieil-Evreux n’aurait été qu’un
établissement secondaire dont il est question dans la légende de saint
Taurin. L’emplacement des bains et celui du théâtre ont été acquis par
le département.
Au-delà du Breuil, on passe devant Miséry, dont on aperçoit le clocher
au milieu des arbres qui environnent le château de M. le comte de
Semerville.
Du côté opposé, beaucoup plus haut que le Vieil-Evreux, on laisse
Cierrey, et on découvre la flèche lointaine de St-Germain-de-Fresnay,
puis celle de Martainville-du-Cormier. Caillouet se trouve ensuite tout
près de la route, et l’église et le château d’Orgeville un peu plus
loin. La maçonnerie de l’église de Caillouet est en partie appareillée
en arête de poisson.
L’église qu’on voit à gauche est celle de Boncourt ; les coteaux
bleuâtres qu’on aperçoit de temps à autre devant soi, sont ceux de la
vallée d’Eure, et touchent aux frontières normandes.
Dès qu’on a dépassé Orgeville, on commence à longer le vaste parc du
Buisson-de-Mai, beau domaine où ont habité long-temps deux bâtards
d’Orléans, les abbés de Saint-Phar et de Saint-Albin, et qui appartient
aujourd’hui à M. le comte d’Ons-en-Bray. Le château du Buisson-de-Mai,
flanqué de quatre pavillons surmontés de campanilles, passe pour être
l’oeuvre de l’architecte Mansard.
La route descend beaucoup devant cette belle terre, et, à un détour de
la côte, on aperçoit Préaux, manoir du XVIIe siècle, perché sur un
escarpement sauvage, mais dont les pavillons féodaux ont dernièrement
été rendus aussi modernes que possible.
A l’entrée de la vallée d’Eure, St-Aquilin-de-Pacy borde la route. On
arrive bientôt à Boudeville, ancienne baronnie et haute-justice de la
maison de Montmorency. Boudeville dépend de St-Aquilin, quoique n’étant
séparé de Pacy que par le pont.
Pacy-sur-Eure, chef-lieu de canton, est une très-petite ville,
autrefois fortifiée, qui a figuré dans l’histoire, à partir du XIIe
siècle. Philippe-Auguste et saint Louis ont résidé dans son
château-fort, dont il ne reste plus de traces. L’église de Pacy est
petite et assez laide ; mais elle appartient au style ogival
primordial. La nef et les collatéraux paraissent du commencement du
XIIIe siècle ou des dernières années du XIIe. La transition du style
roman au beau gothique à lancettes y présente des particularités
très-dignes d’être étudiées. Cette église a été enrichie dernièrement
de plusieurs grandes verrières modernes.
Un certain nombre de rues existent à droite et à gauche de la route.
Rue des Moulins, on remarque un ancien édifice du XVIe siècle, dont le
pignon, percé de fenêtres à croix, est décoré de deux grandes
gargouilles (1). Du côté du faubourg de Pacel, on retrouve des débris
de l’enceinte fortifiée, qui, de ce côté, était la limite de la
Normandie ; car Pacel dépendait du pays de France, et sa haute-justice,
distincte de la justice normande de Pacy, ressortissait au Parlement de
Paris. Encore aujourd’hui, une rue de ce quartier s’appelle la
rue de
France.
Le département de l’Eure s’étend cependant à une lieue et demie
au-dessus de Pacy, et les communes d’Aigleville et de Chaignes, qu’on
traverse bientôt, sont encore de sa circonscription.
Si, en sortant de Pacy, on jette un coup-d’oeil à gauche au pied du
coteau, on aperçoit les grands toits du château de Ménilles, édifice
considérable du XVIe siècle. L’église de Ménilles avoisine le château ;
elle renferme plusieurs inscriptions, et son portail est élégamment
sculpté dans le goût de la Renaissance. Les vignobles de cette bourgade
sont réputés dans le pays pour leur vin, et surtout pour le raisin de
table.
Mais nous sommes arrivés au terme de notre travail, et les horizons qui
se déploient désormais n’ont plus rien de commun avec les horizons
normands.
(Extrait de l’Annuaire
normand pour 1849.)
NOTE
:
(1) Cette vieille construction en pierres nous a été signalée par M.
Marche, coiffeur à Evreux, amateur très-zélé de l’archéologie du
moyen-âge.