BOUTRY,
Léon
(1861-19..) : Charivaris
(1901).
Saisie du texte : S. Pestel pour la collection électronique de la Médiathèque André Malraux de Lisieux (08.XI.2011) Relecture : A. Guézou Adresse : Médiathèque André Malraux, B.P. 27216, 14107 Lisieux cedex -Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01 Courriel : mediatheque@cclisieuxpaysdauge.fr, [Olivier Bogros] obogros@cclisieuxpaysdauge.fr http://www.bmlisieux.com/ Diffusion libre et gratuite (freeware) Orthographe et graphie conservées. Les illustrations ne sont pas reproduites. Texte établi sur l'exemplaire de la Médiathèque (Bm Lx : Norm 148) du Pays normand, revue mensuelle illustrée d'ethnographie et d'art populaire, 2ème année, 1901. Charivaris
par Léon Boutry ~*~LE Dictionnaire de l’Académie (1694) définit le charivari : « Un bruit tumultueux de poêles, poêlons, chaudrons, etc., accompagné de cris et de huées que l’on fait la nuit devant la maison des personnes veuves et âgées qui se sont nouvellement remariées. » Les charivaris, lit-on d’autre part au Vocabulaire français (1768), si contraires au bon ordre et à la tranquillité publique, furent autrefois tellement en usage que les Reines mêmes n’étaient pas épargnées. Le sixième plaidoyer d’Etienne Bouchin, imprimé en 1620, prouve que cet abus était autorisé dans certaines juridictions, du moins à Beaune, où les juges condamnèrent les nouveaux mariés à payer les frais d’un charivari. Les sérénades charivariques sont fort anciennes. Par ce seul motif qu’elles s’avisaient souvent de parodier les cérémonies religieuses, les synodes et les conciles eurent plusieurs fois à intervenir : dès l’année 1337, d’après du Cange, et sans doute antérieurement à cette date, les documents faisant défaut. Quoi qu’il en soit de la question d’origine, la Normandie comme les autres provinces, « dota » de vacarmes plus ou moins assourdissant les veufs convolant en secondes quoique justes nopces, les vieillards qui épousaient de jeunes femmes, ou inversement les femmes d’âge trop... mûr s’acoquinant aux grâces de vigoureux jouvenceaux. Chez nous aussi la coutume est de vieille origine ; elle est demeurée longtemps en nos mœurs populaires en dépit des condamnations auxquelles les trop exubérantes manifestations donnèrent lieu. Les exemples que nous présentons, à titre purement anecdotique, nous reportent à la fin du XVIIe siècle. Ils sont extraits des documents du baillage criminel conservés aux archives de l’Orne (série B, non inventoriée) ; c’est dire que s’ils n’ont pas la valeur de la nouveauté dans le genre, ils ont au moins le mérite de l’inédit. *
* * Or, nous sommes en la ville d’Alençon, au lundi cinq mars 1685, qui par une singulière coïncidence est jour de « lundy Carnaval », autrement dit jour de réjouissances sinon de désordres. « Le nommé Lescuier, homme veuf, vient de célébrer ses noces avec la nommée Ribot ». La cérémonie s’est passée sans incidents notables à l’église du faubourg de Montsort, et le repas n’a été troublé par aucune intervention désagréable. Mais voilà que sur les trois à quatre heures de l’après-midi, le quartier commence à s’émouvoir vis-à-vis la maison de l’épousée. Ce sont d’abord les enfants qui mènent grand tapage, et puis les voisins s’assemblent, jasent ferme et complotent quelque mauvais tour. Peut-être les mariés n’ont-ils pas acquitté la prime populaire de « dispense » : pot de vin, galette ou autre ; peut-être sont-ils l’objet de vieilles inimitiés dans ce coin de paroisse ? On ne sait. Toujours est-il qu’il y a là le nommé Chevallier, tessier ou tisserand, Bouvier dit des Noyers avec sa femme, le carleur ou savetier Henry Barillet, un certain Dubois également tisserand, et pas mal de gens, hommes et femmes, qui vont avoir la bonne fortune d’être acteurs à l’algarade, mais retenus seulement comme simples témoins à l’enquête. Se borner au traditionnel concert de casseroles et de chaudrons serait pour nos gaillards passablement banal en la circonstance doublée d’une fête carnavalesque. Pendant que certains assistants s’en tiennent au rite habituel, l’un d’eux imagine de creuser deux « sortes de fosses » en face la porte à la maison de la mariée. D’enthousiasme, la motion est accueillie ; tout le monde se met à l’ouvrage, et c’est bientôt fait. Ensuite on apporte une bancelle que l’on recouvre d’un linge blanc. La femme Bouvier des Noyers fournit « une manière d’une méchante coiffe de taffetas noir » à l’effet de simuler un drap mortuaire ; des enfants façonnent au moyen de lattes trois petites croix : deux sont placées aux extrémités de la bancelle, et la troisième « dessus, avec du buis comme pour servir de goupillon ». Enfin chacun contribue de son mieux à la représentation macabre ; à tel point que les témoignages ne permettent pas de déterminer bien exactement les diverses responsabilités. L’aménagement est parachevé, on n’attend plus que l’arrivée des époux pour commencer le tintamarre, ou suivant l’expression même d’un document de la procédure, pour « faire une scène de charivary superstitieuse ». Or le tisserand Dubois prélude déjà à l’orchestration en frappant vigoureusement sur une pelle en fer, quand la vue du rassemblement attire l’attention de maître Jean Collet, prestre habitué en l’église Saint-Pierre de Montsort. Le bon abbé s’approche et voit dans la « représentation comme une profanation des mystères et cérémonies de l’église ». Il s’indigne, et s’adressant aux spectateurs restés coi : - Ce n’est pas bien, dit-il, de se mocquer de la religion ; cela donne lieu aux huguenots de se mocquer de la religion catholique. Puis il saisit la balancelle, la projette à terre et brise un des pieds. Qui fut satisfait de la remontrance et du geste ? Probablement pas un de nos compères. On est bien près de s’insurger, et le tisserand Bouvier en vient même à se fâcher tout rouge. - Pourquoy, reproche-t-il à l’abbé, pourquoy rompez-vous ma bancelle ; si c’était un autre que vous, cela ne se passerait pas ainsy. Et pendant qu’il replace les objets en leur position première, il jure contre l’abbé ; de plus, ajoute un témoin, il finit par lui dire de « s’aller faire fou... respect de son caractère ! » Ici s’arrête le dossier de la procédure, probablement parce que les faits précédents étaient seuls repréhensibles et par les sentences de police, notamment par celle du premier febvrier 1683. Il est bien permis de penser qu’on ne s’en tint pas là, bien que le nommé Chevallier nous paraisse avoir été seul incriminé dans l’affaire. Celui-ci se défendit d’ailleurs d’avoir eu en veue de commettre aucune dérision qui put concerner le sacrement de mariage » ; il ignorait que les charivaris fussent défendus et croyait à une simple réjouissance du Carnaval..... *
* * A supposer que l’intervention du prêtre eût mis fin au charivari, nous trouvons quatre ans auparavant une autre « fête » à laquelle rien ne manqua. La scène se passe encore à Alençon, Carfour des Estaux, le six may de l’an 1681. Cette fois, il paraît expédient de laisser le soin du récit à la victime elle-même en reproduisant textuellement la plainte qu’il adressa « à Monsieur le Bailly d’Alençon ou à Monsieur son Lieutenant Général criminel audit lieu. » « Supplye humblement Jacques Boullard, marchand dindandier, et vous rend plainte à l’encontre des dénommez Chesnay, Saint-Marc fils de Saint-Marc, boullenger, Le Jard le jeune, le nommé Gougon dit Bellespine le jeune, Marie Birée fille, et autres leurs complices. Et vous remonstre que mardy dernier, sixième jour du présent mois de may et an et jour de la célébration de son mariage avec Anne Macé, s’en retournant de la maison de Pierre Dornais, beau-frère de ladite Macé, où ils auroient souppé sur les dix à onze heures du soir, ils trouvèrent au carfourg des Estaux, proche duquel est la maison dudit plaintif, plusieurs personnes attroupées pour luy faire du désordre. Et au mesme instant qu’il fut entré en sa maison avec ledit Macé et quelques uns de ses parens, il entendit un grand bruit de poilles et de chaudrons et plusieurs personnes quy crioent ensemble au feu, au feu chez le chaudronnier Boullard ! Il est mort, il est mort ! Et plusieurs injures dont les tesmoings déposeront. Ce quy obligea les personnes quy avoient conduit ledit Boullard en sa maison de sortir pour apaiser ce bruit. Mais ils ne reçurent que des injures ; si bien qu’ils creurent qu’il leur estoit plus expédient de se retirer chez eux, ainsy que ledit Boullard dans sa maison, où il ne fut pas plus tôt enfermé que continuant leurs cris et teintamare effroiable entremeslé de plusieurs injures, ilz firent effort d’enfoncer la porte ; et voyant qu’ils n’en pouvoient venir à bout, ils s’atachèrent à la boutique dont ils enfoncèrent un des carreaux et y jettèrent plusieurs immondices des plus salles et des plus villaines et que l’honnesteté et le respect empesche de nommer ! Sy bien que ledit Boullard voyant ces viollences, aima mieux se retirer en sa chambre, laisser ses marchandises à l’abandon quy estoyent dans sa boutique dont un des carreaux estoit enfoncé, que d’exposer sa personne à leurs emportements. Et comme ces sortes de procédez sont des plus criminels et contraires au repos et la tranquillité et seureté publique, que mesme ils sont très expressement deffendus à l’esgard mesme des personnes quy se remarient pour la seconde fois, à plus forte raison pour ceux quy, comme le dit Boullard et ladite Macé, sa femme, se marient pour la première fois ; alors que les choses se passent avec tant d’importance jusques à enfoncer les maisons et boutiques des marchands, dont l’on peult piller les marchandises à la faveur d’un tel désordre et à une heure aussy indeue, pourquoy il requiert. « A ces causes mondit-sieur qu’il vous plaise... » Or il plut à M. le Lieutenant criminel de mander les témoins ; et ceux-ci reconnurent le bien fondé de la plainte. Marie Birée, l’une des accusées, s’était réellement emparé « d’un bassin à faire le poil en la boutique de son beau-frère, chirurgien », réellement aussi elle avait consciencieusement « frappé dessus avec des ciseaux qu’elle avait pendus à sa ceinture ». D’ailleurs nombre de bons compagnons avaient été vus « menant grand bruit » sur les chaudrons. L’un d’eux s’était même saisi d’un « petit marteau » pendant à l’enseigne du chaudronnier et s’en était servi pour cogner à tour de bras sur la porte d’entrée. Et puis la foule s’était grandement excitée au vacarme, à tel point que le lendemain, le nommé Arnouil, ne se gênait pas de tenir les propos suivants : - Quand il auroit deub en couster beaucoup d’argent, je n’aurois pas cessé le charivary. » Enfin la plainte évite de narrer tous les détails : les immondices auraient été lancées au visage du pauvre chaudronnier. - C’est pour te réjoui le cœur ! aurait crié un des agresseurs les plus acharnés. Bref, le désordre et les avanies furent complets ; on comprend de reste que la victime réclama des dommages-intérêts jusqu’à concurrence de la somme de mille livres. *
* * Or, si nous avons relaté ces deux épisodes, ce n’est point dans le but d’établir la réalité des charivaris chez nos « bons » aïeux. Le fait ne saurait être mis en doute non-seulement au XVIIe siècle, mais encore aux périodes subséquentes beaucoup plus voisines de la nôtre. Notre but a été de retracer des scènes de la vie populaire, où les artisans d’une petite ville viennent tenir les principaux rôles. C’est qu’au dernier charivari, comme au premier, on peut remarquer la présence exclusive des représentants de divers corps de métiers : marchands, pâtissier, boulanger, fournier, sellier, fourbisseur, chapelier, brasseur d’eau-de-vie, tisseran, mégissier et bonnetier, soit tout le quartier ouvrier qui est venu agir ou assister à la « fête ». Leur conduite a été déplorable ; mais doit-on se hâter de s’étonner au récit de ces manifestations grotesques et quelque peu barbares ? Les charivaris, réapparaissant quelquefois dans les campagnes, sont généralement disparus des mœurs urbaines, – nul ne sera tenté d’en appeler le retour ; – cependant, on doit également le reconnaître, les cancans, les commérages, les jalousies mesquines qui autrefois les ont provoqués, existent toujours ; ils ne paraissent pas prêts d’être inscrits au chapitre des choses rétrospectives. Si de nos jours les époux, – de tout âge, – ont conquis après les festins et le bal, le droit, je ne dirai pas au sommeil, ce qui serait presque irrév[ér]encieux, mais à la tranquillité de « l’Enfin seuls », les langues ont avant la noce mené assez bruyamment leur tapage pour que les bienfaits de notre civilisation « économique et, malgré tout, protectionniste » viennent désormais assurer, avec le calme des rues, la préservation des casseroles et autres ustensiles de cuisine !... Léon BOUTRY.
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