BRÉARD, Charles
(1839-1913) : L'Hiver de 1709 aux
environs de Pont-Audemer (1902).
Saisie du texte : O. Bogros pour la collection électronique de la Médiathèque André Malraux de Lisieux (25.V.2012) [Ce texte n'ayant pas fait l'objet d'une seconde lecture contient immanquablement des fautes non corrigées]. Adresse : Médiathèque André Malraux, B.P. 27216, 14107 Lisieux cedex -Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01 Courriel : mediatheque@cclisieuxpaysdauge.fr, [Olivier Bogros] obogros@cclisieuxpaysdauge.fr http://www.bmlisieux.com/ Diffusion libre et gratuite (freeware) Orthographe et graphie conservées. Texte établi sur l'exemplaire de la Médiathèque (Bm Lx : Norm 148) du Pays normand, revue mensuelle illustrée d'ethnographie et d'art populaire, 3ème année, 1902. L'Hiver
de 1709 aux environs de Pont-Audemer
par Charles Bréard ~*~DURANT
l'année 1709, tous les maux parurent fondre sur la France. Aux
calamités de la guerre, vinrent se joindre les fléaux de la nature :
rigueurs exceptionnelles du froid, gelées tardives, inondations,
famine. Ce fut l'épreuve suprême des campagnes. Un hiver affreux qui
dura trois mois ne laissa aucune espérance de récolte ; la misère
publique était à son comble. A la halle de Beuzeville, on payait la
somme de blé 70 livres ; la même quantité (deux hectolitres) n'avait
coûté que 10 livres, au maximum, l'année précédente. L'intensité du
froid occasionna la mort d'un grand nombre de personnes. On lui
attribua aussi la disparition d'un grand et bel arbre commun dans nos
forêts, le châtaignier; il abondait surtout dans la forêt de Touques ;
dans les parties sablonneuses des taillis de la forêt de Montfort, on
citait plusieurs châtaigniers célèbres par leur énormité.
Dernièrement nous avons retrouvé le souvenir de cet hiver désastreux dans des notes que, pour son usage, rédigeait un habitant de la paroisse de Saint-pierre-du-Châtel, aujourd'hui Saint-Pierre-du-Val. Ce brave homme se nommait Nicolas Vacquet. C'était le greffier de la haute-justice de l'abbaye de Grestain. Ces fonctions, comme on pense bien, ne constituaient pas une occupation très absorbante. Mais le « père Vaquet », pour nous servir d'une appellation usitée alors, était un bourgeois habile qui à son modeste emploi de greffier avait su en joindre un autre, celui de receveur des moines de Grestain sur six paroisses de la vicomté de Pont-Audemer. Il avait de la sorte son entrée chez les cultivateurs et dans deux ou trois maisons de petite noblesse dont les biens criblés d'hypothèques étaient guettés par les bourgeois de Pont-Audemer, anciens meuniers, anciens tanneurs, négociants retirés, à qui de nos jours les dictionnaires héraldiques donnent une généalogie. Par ses occupations journalières, ses habitudes et ses soins, Nicolas Vaquet avait un intérêt particulier à fréquenter les marchés, à en connaître les cours, à noter les variations en hausse ou en baisse dans le cours des denrées. Aussi mettait-il sur le papier des observations commerciales dont il tirait parti pour le recouvrement des redevances de l'abbaye et pour administrer sagement ses propres biens. Il avait conservé sur la malheureuse récolte de 1709 dont on n'avait rien pu tirer les notes qui suivent, et il les avait continuées jusqu'en 1725, c'est-à-dire pendant une période où notre région eut à souffrir de la cherté des céréales. Ch. Br. « En l'année 1709, l'yver à commenché et la nége le 6e jour de janvier audit an 1709, a duré sur la terre jusque au 12e de febverier sans démarrer; et la grande géllée qu'il a faite a fait mourir tous les blés du costé de Roüen, la Picardye, pays d'Artois et autres lieux ; elle a fait mourir toultes les ronches et tous les houx, les nouyers et beaucoup de pommiers et poireriers et autres arbres, et touttes les vignes sont mortes, et la plupart des pays ont fait labourer leurs blés et ont fait de l'orge qui coustoit jusqu'à 100 sols le boisseau, mesure du Pont-Audemer. Pandant ladite année 1709, le bled a bien enchéri ; il a vallu, le 12e mai 1709, 40 livres la somme (1), mesure de Beuzeville ; le moys de juin ensuivant, 46 livres la somme, et les pois 3 liv. 6 s. le boisseau, mesure de Beuzeville. Pandant ledit yver il est mort, à Paris, pandant le grand froid, trente-sept mille personnes. « Il est venu des arrests de par le roy qu'il faut déclarer au greffe du bailliage du Pont-Audemer tous les bleds et autres grains que l'on peult avoir. Il est aussy fait défense par ledit arrest de vendre aucuns grains aux maisons ; il fault tout porter aux halles. L'on met en escript toultes les sommes de bled qui sont dans lesdites halles. « L'année dernière qui estoil 1708, le bled ne valait que 61 iv., 7 liv. 5 sols, 8 liv. 15 s. jusqu'à 10 liv. 10 s. la somme, mesure de Beuzeville; et le bled germé ne valloit que 13 s. et 14 s. « L'orge fut fixée, au mois de may, à 4 l. le boisseau, mesure du Pont-Audemer, et le bled a vallu 70 livres la somme, mesure de Beuzeville, aux mois de juillet et aoust audit an 1709. « Le bled a vallu pour la semenche, à la saison, le prix de 63 livres la somme. « Le 5e ou 6e de juillet 1709, toutte la populace de Roüen s'est révoltée, ne pouvant avoir de pain. Ils ont cassé les portes de l'Intendant ; il a eu paine de se sauver et de s'enfermer dans le vieux Pallays de Rouen; et l'on a fait venir quatre cents dragons pour empescher le désordre qui pouvait arrivé dans la ville de Roüen. « Il est arrivé à Honfleur, le 3e jour d'aoust 1709, cinquante dragons pour rester dans ladite ville jusqu'à nouvel ordre. « Le 8e de septembre 1709, le vieux bled de l'année 1708 vaut 70 livres la somme, mesure de Beuzeville. « Le 12e jour de novembre 1709, le bled a vallrr 56 liv. la somme, mesure de Beuzeville. « Le 4e de febverier 1710, le bled a vallu 35 et 37 livres la somme, mesure de Beuzeville. « Le 11e jour de mars 1710, le bled a vallu 45 livres la somme, mesure de Beuzeville, au lieu de Beuzeville. « Le 8e averi11710, le bled a vallu, à Beuzeville, 27 1iv. la somme, mesure de Beuzeville. « Le 24e de juin 1710, le bled a vallu à Beuzeville 271iv. la somme, mesure de Beuzeville. « Le grand yver de l'année 1709 a fait sy grandement tort aux arbres qu'ils ont esté deux ou trois années sans raporter ; et le sildre a vallu jusques à 14 sols le pot pandant 1710 et 1711, et mesme à Pennedepie jusques à 18 sols le pot. « Le 17e de febverier 1711, il est arivé une grande avallaison d'eaux qui a duré plusieurs jours, et l'eau estoit si grosse qu'elle entraina tous les ponts dedans Pontaudemer, et la prison pensa eslre entraînée ; elle entraina des maisons, des tonneaux de sildre, jusques à des enfans qui estoient dans leurs berts sans pouvoir leur donner secours, de manière que dans le Pilori, au Pont-Audemer, elle estoit sy haute qu'un cheval n'eust pas pu aller, sans nager à l'entrée, jusques dans l'esglise de Saint Oüen. Elle a fait tort dans le Pontaudemer de cent mille livres. Aux marests, il y eut des gens qui furent trois ou quatre jours montés à des arbres sans pouvoir en démarrer, que l'on eut painne d'aller avec des basteaux leur porter du pain. « En l'année 1711, le Roy a fait payer le dixiesme denier du bien et revenu que l'on peut avoir. Je paye à Saint-Pierre 50 livres sans les rentes hypotecques. « L'année 1713, le bled, mesure de Beuzeville, valait 38, 39 et 40 livres la somme. « Pendant l'année 1713, le pont de Ficquefleur a esté rebasty par le sieur Hobey, tailleur de pierres. Il a fallu que les paroisses payent leur part pour refaire ledit pont ; le dit pont a esté fait pandant les moys de Juin et Juillet 1713. « Au mois de juillet, le bled a vallu 72 livres la somme, mesure de Beuzeville, en l'année 1725 ; et prés de 100 livres à Lisieux. « II est venu une inondation, au mois de décembre, de neige qui estoit, à un pays, de neuf pieds de haut, en ladite année 1725. » NOTE : (1) La somme de blé égale deux hectolitres. |