BUNOUST, Auguste (1888-1921) : La Marchande de fleurs, une figure
lexovienne (1919).
Saisie du texte : O. Bogros pour la collection électronique
de la Médiathèque André Malraux de Lisieux (6.IX.2016)
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Texte établi sur l'exemplaire de la médiathèque
contenu dans le cahier n°2 des Lexoviana
du baron Tardif de Moidrey (Bm Lx
: Ms 118-2).
UNE FIGURE LEXOVIENNE
La marchande de fleurs
[ Le Réveil de Lisieux, 29 Novembre 1919]
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Je la rencontrai rue Grande-Rue, s'avançant avec précaution dans
une robe bleu roi aux applications de guipure noire. Elle était ornée
d'un toquet de paille aux coques tombantes, et, dans sa main,
frissonnaient, comme deux vraies fleurs de Dieu, deux anémones en
papier. Elle tourna vers moi sa face enfarinée, et me sourit. C'était
le premier signe d'accueil que me donnât le visage inconnu de Lisieux,
depuis deux mois que je m'y trouvais. Il m'en souvient comme de toutes
les bonnes choses, ou qui paraissent telles au goût de mon cœur. J'ai
su depuis, en effet que la pauvre femme avait mésusé et trafiqué de ce
sourire, alors qu'il avait gardé sa fraîcheur et qu'il était doux et
tentant sous le regard des hommes. J'ai appris aussi qu'une longue
suite d'infortunes avait dû corrompre dans cette âme misérable la
notion du Bien qui, pour s'éclairer, a peut-être besoin d'un mince
rayon de joie. A mes yeux, du reste, l'inoffensive folie où avait
glissé la marchande de fleurs l'a toujours placée un peu hors du monde
et du verdict des consciences. Comment tenir rigueur à une « innocente
» d'un passé qu'elle a elle-même oublié, et qui ne se survit que dans
la souffrance rédemptrice ? Et comment ne point se sentir indulgent à
une existence aussi malheureuse que coupable, dont les derniers jours
se reposent et s'apaisent dans l'imitation ingénue de précieuses
corolles ?
Bien entendu, elle vivait, non pas de son commerce, mais de charités
discrètes qui laissaient intacte cette dignité de grande coquette
déchue où elle se drapait pour notre curiosité amusée. Car c'était là
qu'éclatait pour ainsi dire, la nuance distinctive de sa manie, et que
résidait la mélancolique drôlerie du personnage. Une idée fixe la
hantait : promener, par rues et venelles, l'élégante silhouette d'une
poupée parée, poudrée et fleurie. Elle me rappelait ces fillettes
qui jouent « à la belle dame », s'affublent des défroques de leurs
mères, se tirent la révérence, font des mines et ridiculisent ce qu’au
fond peut être elles envient. Qui dénombrera les robes vénérables, les
mantes désuètes, les tuniques fripées, les garnitures déteintes, qui,
soudain sorties de l'oubli des placards et des penderies, achevèrent
sur le dos de la marchande de fleurs, une carrière qu'elles croyaient
close avec les derniers ans du siècle dernier ? Remarquez que cette
femme, si parfaitement indifférente aux formidables vicissitudes du
temps présent, se tenait au courant des révolutions de la mode. Elle
savait rétrécir ou arrondir un bas de jupe, selon le caprice de
l'heure. Elle s'entendait à moderniser le galurin qui avait reçu jadis
le baptême du soleil sous l'azur glorieux où s'affichait la Tour
Eiffel, elle aussi fraîchement née.
En quel retrait s'élaboraient ces savants rapetassages ? J'ai recueilli
les indications les plus contradictoires sur le domicile de l'étrange
fleuriste. Elle semble en avoir changé aussi souvent que de... chapeau.
On m'a cité tour à tour, comme lui ayant servi d'éphémère abri, un
galetas de la rue d'Ouville, un hangar dépendant de la communauté de la
Miséricorde, une des serres du Jardin Public. Mon ancienne
propriétaire, dont la dévotion alerte et souriante fréquente les messes
matinales, m'a déclaré l'avoir vue, pelotonnée et grelottante, au pied
d'un pilier de l'église Saint-Jacques, quand vacillait dans les vitraux
l'aube des hivers, triste comme le regard d'un petit aveugle. Pauvre
être, lavé et blanchi par la douleur, et qui, n'ayant plus de péchés à
se faire pardonner, dormait hardiment dans les confessionnaux !...
*
* *
La marchande de fleurs vient de mourir à l'hôpital, sur un lit blanc,
dans une salle paisible où l'on peut savourer le bruit lointain des
bourrasques s'acharnant sur les épaules des gens solides. J'ignore si
quelque piété délicate a disposé sur son cercueil l'une de ces fleurs
irréelles qu'elle aimait à fabriquer d'un geste machinal et vif. Il
appartenait peut-être à un poète dont l'imagination s'embaume et se
consume aux jardins d'artifice du Rêve, d'offrir à sa mémoire cette
simple touffe de pensées attendries.
Aug. BUNOUST.
La malheureuse dépeinte
ci-dessus, était une nommée Larçonnier, d’une
bonne famille de Lisieux. Elevée au pensionnat Husse, 22, Bd
Duchesne-Fournet, elle se maria et tint un commerce de et plumes au
n°100 Grande Rue (là où est Jean, le Fleuriste). Ayant eu des déboires
matrimoniaux, et son mari étant mort tragiquement, elle plaça toute son
affection sur son fils engagé à 18 ans et qui était devenu rapidement
au grade de sergent major. Elle apprit un jour que ce malheureux
s’était brûlé la cervelle. Ce dernier coup du sort, fit sombrer à tout
jamais la pauvre tête de la mère, et son commerce. Elle est morte à
l’hospice de la route de Paris, dans le courant d’octobre 1919.
Elle nous remet en mémoire une
autre folle, bien inoffensive, qui
était, par tous les temps, assise sur un pavé, à l’angle de la
propriété Montgommery de la rue Basse-Navarin, où elle tendait la main,
sans jamais proférer une parole. Elle s’appelait Bressancourt, et
disparut un beau matin !!
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