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P.-A. Lair : Description des jardins de Courset, aux environs de Boulogne-sur-Mer (1836)
LAIR, Pierre-Aimé (1772-1839) : Description des jardins de Courset, aux environs de Boulogne-sur-Mer (extrait d’un voyage en France).- Caen : Imprimerie de F. Poisson, (rue Froide, 18.), 1836.- 24 p. ; 22 cm. – (Extrait du 4e. vol. des Mémoires de la Société Royale d’Agriculture et de Commerce de Caen).
Saisie du texte et relecture : O. Bogros pour la collection électronique de la Médiathèque André Malraux de Lisieux (21.XII.2003)
Adresse : Médiathèque André Malraux, B.P. 27216, 14107 Lisieux cedex
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Orthographe et graphie conservées.
Texte établi sur l'exemplaire de la médiathèque (BM Lisieux : nc).
 
Description des jardins de Courset, aux environs de Boulogne-sur-Mer
(extrait d’un voyage en France)
par
M. P[ierre]-A[imé] Lair

~~~~

 

Au pied de la chaîne circulaire des montagnes qui séparent le haut et le bas Boulonnais, sont situés les jardins de botanique formés par M. du Mont, au village de Courset. Curieux de voir cet établissement célèbre, je profitai pour m'y rendre de mon séjour à Boulogne, qui n'en est qu'à cinq lieues. En suivant la route de Courset, on rencontre Desvres, ville que plusieurs cartes indiquent sous le nom de Désurêne. C'est celui qu'elle a long-tems porté ; et j'en fais l'observation, parce qu'un autre voyageur pourrait y être trompé. Elle est fort ancienne et fut même autrefois considérable, comme on peut s'en convaincre en lisant la notice publiée, il y a trois ans, par un habitant de ce pays , M. Dordre. Elle n'est plus aujourd'hui qu'un simple chef-lieu de canton. On y fabrique des étoffes communes de laine. Cette ville, toute petite qu'elle est, peut se vanter de posséder M. Desoteux, à la fois cordonnier et poète. Il a fait imprimer à Boulogne ; en 1811, un volume de poésies, où l'on trouve d'assez bons morceaux qui prouvent qu'il est moins l'élève de l'art que de la nature. Le tems ne me permit pas de le voir ; il m'empêcha aussi de visiter l'établissement rural de M. Delporte, à la Capelle.

Il faut toujours monter et descendre sur cette route, comme dans une grande partie de celles du Boulonnais. Avant d'arriver à Courset, je gravis une côte trés-rapide, que la pluie rendait encore plus difficile. Mais si dans ce monde tout est compensation, comme a essayé de le prouver M. Azaïs par son système consolateur, c'est particulièrement pour l'hommee qui voyage. Je me trouvai bien dédommagé de mes fatigues lorsque je fus parvenu au sommet de la montagne, d'où l'on découvre presque tout l'arrondissement de Boulogne en forme d'amphithéâtre, terminé par la mer et par les côtes d'Angleterre, que l'on distingue facilement. Cet aspect vraiment pittoresque offre un spectacle non moins étendu que varié. La ville de Desvres, bâtie au pied de la hauteur, ajoute encore à l'effet du tableau. Je ne sais si sous quelques rapports, ce coup d’oeil n'est pas aussi intéressant que celui, du mont Cassel, situé également dans cette partie de la France.

Sur le revers de la montagne commence le parc de Courset. Il s'étend en pente douce jusqu'au fond d'un vallon où l'on trouve à mi-côte le château, dans une position assez agréable. Je fus reçu par M. Malet de Coupigny. Il me dit que M. du Mont de Courset, son beau-père, consacrait ordinairement pendant l'hiver la matinée au travail dans son cabinet, ou il restait renfermé sans recevoir personne ; mais je fis valoir ma qualité d'étranger et M. du Mont m'accueillit de la manière la plus gracieuse. Il poussa même la complaisance jusqu'à m'accompagner dans ses jardins. Notre promenade fut longue ; malgré le mauvais tems, il ne voulut pas rentrer qu'il ne m'eût donné une idée de l'ensemble de ses travaux botaniques. J'avais beaucoup entendu vanter le propriétaire et la propriété de Courset ; je fus bientôt convaincu par moi-même que l'un et l'autre n'étaient pas au-dessous de leur réputation.

En sortant du château, nous entrâmes, dans une prairie. Le parc y tient immédiatement. Il est traversé par une large allée qui prolonge au loin la vue. Sur la gauche du château sont placés les jardins de botanique ; sur la droite, les potagers et deux grands vergers. Telle est la division générale de Courset.

Nous ne fîmes que traverser les jardins potagers ; nous ne restâmes pas long-tems dans le parc, d'ailleurs très-considérable. Il renferme des prés et des terres en labour. Vers l'extrémité, j'aperçus une pépinière fort belle et, une plantation de quatre à cinq cents arbres résineux, à côté d'un quinconce de cent mélèzes, dont la belle venue annonce une terre propice.

Jusque-là je n'avais rien vu que je n'eusse souvent remarqué ailleurs. Nous entrâmes alors dans les, jardins de botanique. Exposés au midi et beaucoup plus étendus en longueur qu'en largeur, ils sont protégés par une haute futaie qui pendant l'été, procure de l'ombrage et oppose par sa masse et la hauteur des arbres un abri contre les vents du nord et de l'ouest. On a pratiqué aussi, dans différentes parties, des palissades d'épine et dé charmille ; elles garantissent les plantes délicates, favorisent le développement de celles qui sont encore jeunes, et les préservent alternativement des grandes chaleurs et des grands froids.

Ces jardins sont à la fois consacrés à des essais de culture, à la multiplication des arbres fruitiers et forestiers, et à la propagation des végétaux de simple agrément. Je remarquai avec plaisir que M. du Mont s'est particulièrement occupé d'acclimater les plantes exotiques de pleine terre, moins à cause de leur rareté que pour les avantages qu'elles peuvent procurer. Malgré l'inconstance et l'intempérie des saisons dans cette contrée maritime, il est parvenu à naturaliser plusieurs plantes étrangères aussi a-t-il pris pour épigraphe de son ouvrage si connu sous le titre du Cultivateur Botaniste, ces vers de l'Homme des Champs :

« Tant les ans et les soins, et l'adroite culture,
« Subjuguent l'habitude et domptent la nature.
« Imitez ce grand art, et des plans délicats
« Nuancez le passage à de nouveaux climats. »

Mais que d'attentions, que de soins, que de déplacemens, selon les saisons exigent la plupart de ces plantes ! Dans combien de détails minutieux en apparence et cependant nécessaires elles entraînent ! Tous les jours M. de Courset, les visite et souvent plusieurs fois chaque jour. Un père ne veille pas avec plus de sollicitude sur ses enfans et n'est pas plus prévoyant sur leurs besoins.

La pente douce qui, se prolonge du parc jusqu'aux jardins est très-favorable aux plantes ; elles reçoivent plus directement les rayons du soleil. M. de Courset en a profité en homme de goût pour y faire des mouvemens de terre qui, diversifiant les sites, semblent multiplier l'espace et agrandir, le terrein déjà très-étendu. Il a aussi pratiqué des allées droites, bordées de différens genres de plantes, dont la réunion, favorable aux observations du botaniste, présente dans un ordre systématique toutes les espèces qui composent chacun de ces genres, et permet de faire entre elles des comparaisons d'autant plus utiles, que M. du Mont s'est conformé à la méthode naturelle de Jussieu, généralement adoptée en France, et devenue en quelque sorte nationale. Il n'a pas négligé non plus les moyens de flatter l'oeil par la diversité des plantes, par la variété de leurs feuilles, de leurs fleurs et de leurs fruits ; il a quelquefois séparé les individus de la même famille, les a dispersés sans méthode et comme au hasard, de manière à produire simplement un effet agréable. Ainsi, après avoir instruit le naturaliste par des rapprochemens , il intéresse l'artiste et l’amateur par des contrastes. Il est le créateur de cette belle propriété ; seul il en a dirigé la distribution, et d'une manière d'autant plus habile qu'il ne possédait pas d'abord tout le terrein, réuni à des époques différentes et par des acquisitions successives. Les plantations ont été commencées en 1784 et la distribution actuelle existe depuis 1792.

M. de Courset m'introduisit dans un bosquet toujours vert de rhododendrons, de kalmies, d'alaternes, de philaries, d'azareros, d'aucubas, au milieu desquels on aperçoit un cèdre du Liban environné d'une haie de charmille. Dans une autre enceinte de forme triangulaire s'élève majestueusement un mélèze d'une hauteur considérable.

Nous visitâmes ensuite les serres chaudes, tempérées et froides, situées dans la partie haute, à l'exposition du midi ; elles me parurent très-bien disposées. Quelques-unes, pratiquées assez profondément en terre, comme celles de M. Noisette et d'autres pépiniéristes de Paris, exigent peu de combustible.

La saison n'était pas favorable pour parcourir les jardins (1) ; mais, elle convenait pour visiter les serres, qui, malgré leur étendue, semblaient encore trop petites, tant elles renfermaient de plantes. M. du Mont possède dans le règne végétal les objets les plus rares. Si un habitant de l'Amérique, des Indes ou de la Nouvelle-Hollande, visitait Courset, il y retrouverait, avec autant de surprise que de plaisir, les plantes qui croissent dans sa patrie et qui prospèrent là comme dans leur climat natal : leur vigueur annonce tous les bons soins qu'on leur prodigue.

Je vis les mélaleucas, les métrosidéros, les eucalyptus et autres espèces que nous a procurés la dernière expédition du capitaine Baudin, et que nous devons au zèle actif du malheureux Péron, mort presqu'à la fleur de l'âge. Mes yeux s'arrêtèrent, sur des protea argentea, qui peut-être ne le cèdent en beauté qu'à ceux que Cels le père donna au jardin de Malmaison. J'aperçus avec intérêt le lin de la Nouvelle-Hollande (phormium tenax), qu'on essaie ici de cultiver en pleine terre (2). Je reconnus beaucoup d'espèces d'aloès, dont la forme singulière contribue à la décoration des serres. M. de Courset possède une grande partie des géranium décrits par lui, au nombre de cent quarante-trois espèces. Je remarquai aussi plus de cent espèces de bruyères, ces jolies plantes qui charment par la forme élégante de leur port, par l'agréable verdure de leurs feuilles et par la couleur de leurs fleurs. Il n'y a peut-être pas en France de collection aussi riche dans cette partie, sans en excepter celles du Muséum d'histoire naturelle de Paris et de Malmaison. MM. Lée, Hibbert et Kennedy en cultivaient en Angleterre, il y a quelques années, environ deux cent trente-huit espèces ; Salisbury en a décrit deux cent quarante-six, et le jardin de Cambridge en renferme trois cent dix. Cette famille, beaucoup plus nombreuse que celle des géranium, serait bien digne de trouver aussi un historien tel que l'Héritier, et un peintre tel que Redouté.

Les orangers, les citronniers ne sont pas ce qu'il y a de plus curieux à Courset. M. du Mont semble avoir négligé ces arbustes qu'on se procure facilement, et dont la culture n'a pas besoin d'être encouragée.

Je quittai avec peine les serres, qui, par leur aspect et leur température, m'étaient également agréables. Prés de là on a consacré quelques portions de terrein à des accessoires nécessaires dans un jardin botanique, et qui ont chacune leur destination. D'un côté s'élève un amphithéâtre autour duquel, pendant la belle saison ont rangées des plantes grasses ; de l'autre est une réunion de plantes alpines ; ici des plates-bandes pour les semis en pleine terre ; là, vis-à-vis d'un côteau tapissé d'arbustes rampans, deux bassins entourés d'arbrisseaux à terre de bruyère.

On trouve abondamment dans le voisinage cette terre, dont la qualité est excellente ; aussi M. du Mont en a-t-il profité pour multiplier la culture de certaines plantes. J'aperçus entre autres des andromèdes, des myrtiles d'une rare beauté. Le sol naturel de ces jardins n'est pas moins favorable à la végétation (3). Mais on ne réunit jamais tous les avantages ; il ne faudrait, pour faire de Courset la plus intéressante des propriétés, qu'un ruisseau qui traversât les jardins ; il contribuerait tout à la fois à l'utilité et à l'agrément. On ne peut s'y procurer que de l'eau de pluie. Au reste, s'il n'y a point de courant d'eau, on n'y voit pas non plus de ces ponts inutiles et même ridicules, placés à grands frais dans de prétendus jardins anglais : on n'y aperçoit point des montagnes factices, des chaumières sans habitans. Cette charmante propriété, bordée de chemins de tous côtés, n'est fermée que par des palissades et des haies : nulle part la vue n'est attristée par des murs.

Une allée sinueuse, bordée d'arbrisseaux étrangers, réunis par petites masses, nous conduisit au bosquet du Printems, où sont rassemblées les plantes qui fleurissent dans cette saison ; il est orné de massifs de cytises, de gaîniers, de viornes, d'aubépines, de lilas, de rosiers, et d'autres arbres et arbrisseaux printanniers ; douze tulipiers couronnent l'enceinte du bosquet. Quel coup d’oeil enchanteur doit offrir, au mois de mai, cet assemblage varié, et combien ne doit-il pas flatter la vue et l'odorat ! On a répandu avec profusion dans cette partie les rosiers, dont les fleurs embellissent tous les lieux. M. du Mont me fit observer que la plupart des terreins et des situations conviennent à ces arbrisseaux ; mais qu'ils se plaisent généralement aux expositions où ils n'ont le soleil que la moitié du jour. Il me cita MM. Dupont, Desmet et Vibert, comme les amateurs, les plus riches en rosiers (4).

L'art a placé secrètement à Courset tous les contrastes qui peuvent flatter l'oeil. Nous passâmes du bosquet du Printems dans celui d'Hiver, où sont réunis en masses régulières deux cents arbres résineux, tels que les pins, les mélèzes, les cèdres. Je vis des sapins argentés de plus de quarante pieds de hauteur et de cinq de circonférence, qui n'ont été plantés qu'en 1790.

Il y avait déjà prés de deux heures que nous nous promenions ; et, malgré la longueur de la marche, je ne me lassais point. M. de Courset en dirigeant mes pas semblait lui-même prendre plaisir à cette promenade ; il répondait avec complaisance à mes questions, et me faisait part de ses observations savantes. Sa conversation instructive était également pleine de charmes. Ma curiosité allait toujours croissant. Nous parvînmes au bas du jardin, dans un vaste parterre où aboutissent quatre allées, et qui contient neuf cents plantes étrangères herbacées. Ce parterre de forme ronde, et dont les planches sont dessinées en spirale, est environné d'une haute palissade d'épine qu'ombragent légèrement des épicéa. Au milieu d'une corbeille est placée une statue de Flore, qui ne mérite pas d'être entourée d'aussi belles plantes. J'aurais plutôt désiré y voir l'élégante statue de cette déesse sortie des mains de Masson, célèbre sculpteur, que sa veuve possède encore, ne trouvant point d'amateur qui offre un prix digne des talens de l'artiste.

Près de là sont placés d'un côté les érables et de l'autre les frênes, parmi lesquels on distingue l'espèce à branches tombantes. Plus loin se trouvent les peupliers et les cornouillers. Je ne dois pas oublier de parler d'un quinconce formé des genres tulipier, platane, tilleul, aune et bouleau, à côté duquel nous ne fîmes que passer. Ces collections annoncent que la botanique fait toujours la partie principale de la distribution de ces jardins, sans cependant nuire à leur ensemble et à l'agrément général.

Nous entrâmes dans une prairie d'une assez grande étendue, au milieu de laquelle sont jetés quelques groupes d'arbres d'un fort bel effet ; celui du centre, en forme pyramidale, est composé d'un sapin qu'environnent des pins d'Ecosse au nombre de six, entourés eux-mêmes de douze thuias qui rendent presque impénétrable l'entrée de ce massif. Vers le midi, on aperçoit un côteau dont l'aspect est embelli par plusieurs hêtres pourpres. Cette prairie est bordée des genres robinier, sassafras, micocoulier, catalpa, halésier, laurier-benjoin, magnolier, koelreuterie, plaqueminier, et un grand nombre d'autres ; mais je crains de fatiguer l'attention par cette nomenclature de noms, la plupart étrangers, et par des détails toujours assez indifférens pour celui qui n'est pas au moins guidé par le souvenir. Je me hâte donc de terminer cette description.

Surpris par la pluie, nous pénétrâmes dans une salle verte où je lus cette inscription :

In juventute impetus ;
In senectute pax :
Uni et alteri voluptas.

(Dans la jeunesse on aime l'agitation ; dans la vieillesse on soupire après le repos : c'est ainsi que chaque âge a ses jouissances.)

Nous avions visité tous les jardins, mais d'une manière générale. Il faudrait beaucoup de tems pour les parcourir en détail, les examiner dans leurs divisions, et observer toutes. les richesses qu'ils renferment : ils contiennent plus de dix arpens. Le parc est encore plus étendu. M. du Mont cultive, sans parler des plantes annuelles, au-delà de trois mille six cents espèces étrangères, vivaces et ligneuses, de toute température, dont la plupart sont très-multipliées. Les châssis ont 120 pieds de longueur, et les serres plus de 160 ; celles-ci renferment de 6 à 7000 pots et 120 caisses : c'est là que l'on peut voir combien la nature est féconde et variée (5).

Je ne me lassais point d'admirer cette réunion immense de plantes que l'on devait à un seul homme, et qui était entretenue par un seul jardinier et un petit nombre d'ouvriers. Le jardinier est chez M du Mont depuis la formation de son établissement ; il en a reçu les premières leçons de botanique. A travers sa simplicité, je remarquai en lui beaucoup de bon sens et même de l'instruction. Tous les jours la collection de M. du Mont ugmente ; on en sera peu surpris. Placé prés des frontières de la France, voisin de la Belgique, de l’Allemagne, de la Hollande et de l'Angleterre, on dirait que Courset est en quelque sorte au centre du monde botanique. Aussi est-il cité comme un modèle dans tous les ouvrages nouveaux sur l'agriculture et le jardinage. On a décrit les jardins de Clifort, de Cels et de beaucoup d'autres botanistes ; quelques-uns mêmes ont obtenu les honneurs de la gravure. Ceux de M. du Mont n'en seraient pas moins dignes ; mais, s'ils sont situés avantageusement pour s'enrichir en plantes rares, ils ne le sont pas, pour être fréquentés par les artistes et les savans. Loin de Paris, d'un accès un peu difficile, c'est presque toujours à la hâte qu'ils sont visités des étrangers.

Au milieu de toutes ces merveilles de la nature et des jouissances qu'elles me faisaient éprouver, je fus tout-à-coup affecté d'une idée triste ; je me disais à moi-même que, si l'on venait à perdre M. de Courset, ces jardins, qui lui ont coûté tant de travaux et de recherches, pourraient disparaître en peu de tems, comme ceux de la Galissonnière, près de Nantes ; de M. Moisson, à Vaux ; de l'abbé Rosier, et de tant d'autres dont il ne reste plus que le souvenir ; mais sans doute que la famille de M. dit Mont héritera de ses goûts et conservera avec, soin cette précieuse collection (6). Telle est d'ailleurs l'influence du voisinage que les amateurs de plantes se sont multipliés dans cette contrée, et que la botanique y a fait de véritables progrès depuis que M. du Mont l'habite. Les serres, les orangeries et les pépinières se propagent aux environs de Courset. On peut citer entre autres le jardin d'Hourecq, près de Sauter, formé par M. de Fromessent : tant il est vrai que l'exemple donné par un homme qui jouit de la considération publique, n'est jamais perdu pour ses concitoyens.

En retournant au château, nous visitâmes encore les serres. Je fixai avec une nouvelle attention mes regards sur plusieurs plantes remarquables, à côté desquelles j'avais d'abord passé rapidement. Nous rentrâmes, et mon respectable guide ne me parut pas fatigué. La connaissance que je venais de prendre de ces jardins augmentait encore le désir que j'éprouvais d'en connaître plus particulièrement le créateur. M. du Mont, baron de Courset, est né à Boulogne ; il a été dans sa jeunesse capitaine de cavalerie. Il m'apprit qu'étant en garnison dans les Pyrénées, au pied des montagnes sur lesquelles la nature a prodigué cette multitude de plantes rares que n'atteint point la main destructive de l'homme, le goût de la botanique s'était emparé de lui : il fit des herborisations, se procura les ouvrages de Tournefort, de Linné, de Jussieu ; en lisant ces livres de botanique, il devint botaniste lui-même. Ce qui n'avait été qu'un goût fut, bientôt une passion ; il quitta le service, se maria à l'âge de 31 ans. Retiré depuis ce tems-là dans le domaine de ses pères, il vit heureux au milieu de sa famille, de ses plantes et de ses livres. Membre correspondant de l'institut de France et de la Société d'Agriculture du département de la Seine, il était aussi de l'ancienne Société d'Agriculture de Paris. Les trimestres de cette Société, des années 1786, 87 et 88, contiennent des observations géorgico-météorologiques, qui prouvent qu'il ne bornait pas son travail à des tableaux arides ; il les accompagnait de réflexions judicieuses sur les végétaux, et les récoltes. Les Annales de l'Agricult. Française et la Biblioth. des Propriét. Ruraux renferment plusieurs mémoires de lui. On remarque, dans le tome 3e. des Annales, les réponses qu'il fit à des questions sur l'agriculture, adressées par le Ministre de l'intérieur en 1793. Il avait déjà publié en 1784 des mémoires, sur l’agriculture du Boulonnais.

Mais, pour apprécier ses vastes connaissances, il faut lire Le Botaniste Cultivateur. Cet ouvrage, dans lequel il a pour but, comme il le dit lui-même, d'inspirer et d'étendre le goût des occupations utiles et aimables qui font le charme de sa vie, n'est point une vaine nomenclature des plantes ; c'est une description simple et précise de leurs caractères, de leurs propriétés, avec la méthode de les conserver et de les propager. C'est un recueil précieux où l'on trouve unie la pratique la plus sûre à la théorie la plus claire ; c'est le résultat de trente années d'expériences et de méditations. Aussi est-il regardé comme le meilleur traité de ce genre qui ait paru en France ; également utile à l'agriculteur et au botaniste, avec lui le savant, apprend encore, et l'homme du monde qui veut s'instruire peut se passer de beaucoup d'autres ouvrages. Une seconde édition a été publiée vers la fin de 1811, en 6 volumes in 8°. ; un 7°. volume a paru en 1814 et sert de complément à cet ouvrage, qui comprend la description de 1400 genres et de 8700 espèces, sans compter les variétés. Le succès qu'a obtenu le Botaniste Cultivateur, et la réputation dont il jouit auraient pu me dispenser d'entrer dans de si longs détails ; aussi n'est-ce qu'un hommage que j'ai voulu rendre à l’auteur. Quoique l'étude de l'histoire naturelle, particulièrement celle de la botanique, fasse sa principale occupation, elle n'absorbe point exclusivement tous ses momens ; il se livre encore aux lettres et aux arts. Il dessine, et de préférence les fleurs ; il se plaît à fixer sur le papier les beautés fugitives qu'il a obtenues de la nature ; son porte-feuille renferme plus de mille plantes dessinées par lui-même dans les Pyrénées ; la musique partage aussi le tems qu'il consacre à ses délassemens. En correspondance avec les savans et les artistes les plus distingués de l'Europe, il est du fond de sa retraite au courant de tout ce qui se passe dans le monde littéraire ; quoique parvenu à l'âge de 67 ans, son ardeur ne se ralentit point.

Pour lui le coeur et l'esprit ont également leurs jouissances ; les plus douces sont celles qu'il trouve au sein de sa famille ; il y goûte tous les charmes de la paternité que l'on apprécie peut-être mieux à la campagne qu'au milieu du tourbillon des villes. J'ai lu peu de livres de morale qui m'aient inspiré des idées plus saines sur le vrai bonheur que la conversation de ce nouveau Théophraste. C'est un grand plaisir en voyageant de rencontrer quelqu'un qui nous rappelle les personnes que nous voyons habituellement ou dont le souvenir nous est cher. Plus j'observais M. du Mont de Courset, plus il me semblait avoir de rapport avec M. Moisson de Vaux, savant botaniste, mort à Caen il y a quelques années : mêmes goûts, même genre de connaissances et de talens, même extérieur, je dirais presque même figure ; il est rare de trouver deux hommes qui offrent autant de traits de ressemblance.

Le tems s'écoulait rapidement et presque sans que je m'en aperçusse ; je me rappelai enfin que j'avais encore 5 lieues à faire. Je quittai avec regret M. de Courset et son intéressante famille. Pressé de regagner Boulogne, je ne pus voir un binot-bascule de l'invention de MM. Dessaux frères ; mais quelques jours après je fus à portée, d'examiner cette charrue nouvelle à St.-Omer, où je trouvai un des inventeurs. J'aurai bientôt occasion, d'en parler à l'article de St.-Omer.

Il était environ trois heures après midi : je repassai par la montagne de Courset, d'où je promenai encore un instant mes regards sur cette vaste étendue de campagnes, de bois, de villages et de sites, qui s'étendent si agréablement à l'horizon. Je traversai Desvres à la hâte. La nuit me surprit ; j'arrivai un peu tard à Boulogne. Je passai la soirée, au salon littéraire, formé par la Société d'Agriculture de cette ville : j'y trouvai le secrétaire M. Pichon ; M Henri, officier du génie, auteur d'un ouvrage sur les antiquités de Boulogne ; M. Delporte, et plusieurs autres membres distingués de cette Société. Je fus curieux de voir si Arthur Young dans son voyage en France, avait fait mention de Courset ; mais il n'en parle point. Ces jardins, si connus actuellement, n'étaient pas encore entièrement formés à l'époque où il passa par Boulogne, en 1787 ; il est d'ailleurs certaines parties de la France qu'il a traversées avec rapidité, et qu'il a décrites quelquefois un peu légèrement.

Je ne puis trop engager les voyageurs à visiter Courset. Le botaniste y trouvera des plantes rares, l'artiste de beaux sites, le littérateur un savant recommandable, l'homme du monde des personnes aimables, et tous y recevront un bon accueil.

(Extrait du 4e. vol. des Mémoires de la Société)
Pour copie conforme :
P.-A. LAIR, Secrétaire.


Notes :
(1) C'était le 20 novembre 1811.
(2) Me trouvant un mois après avec M. Thouin, professeur au Jardin des Plantes de Paris, j'eus occasion de m'entretenir avec lui de la culture du phormium tenax ; il me fit sentir tous les avantages de ce lin de la Nouvelle-Hollande, que les Anglais savent très-bien apprécier. Ils s’attachent beaucoup à le propager pour l'usage de la marine ; les cordages en sont plus solides, et beaucoup moins pesans. Ils tiennent aussi moins de place : avantage considérable à cause du grand nombre d'objets et des provisions immenses qu'exigent les voyages de long cours.
(3) La terre de mon jardin ; dit M. du Mont, est jaunâtre, assez douce au toucher, un peu dure dans le tems sec, parce que le sable y manque, mais perméable à l'eau : c'est ce qu'on nomme une bonne terre à blé. La terre de bruyère dont je me sers est d'un gris brun, légère, sablonneuse, très-propre à faire le mélange ci-dessus indiqué. (Supplément du Botaniste Cultivateur, tome VII, page 8.)
(4) Les espèces et les variétés de rosiers ont été bien multipliées depuis par un grand nombre d'amateurs répandus dans tontes les parties de la France. Nous citerons entre autres M. Gustave Thierry, à Caen, qui, parmi beaucoup d'autres collections dans différens genres, en posséde une des plus belles en rosiers. Du tems de Louis XIV, on ne connaissait que quatre espèces de roses : la rose à cent feuilles, la grosse rose jaune, une rose blanche et la rose à quatre saisons. En 1800, on en comptait cent ; aujourd’hui plus de deux mille variétés distinctes remplissent son catalogue et ornent nos jardins français.
(5) Le VIIe. vol. du Botaniste Cultivateur renferme le catalogue des plantes que l’on cultive à Courset.
(6) M. du Mont a été enlevé par la mort à sa famille et à ses nombreux amis. Mais Madame de Conpigny, sa fille, ne néglige aucun soin et n'épargne aucune dépense pour l'entretien de ce précieux héritage. Les voyageurs de différentes nations qui le visitent, sont reçus par cette dame avec l'affabilité qui la caractérise, et ils retrouvent dans ces vastes jardins une grande partie des belles collections végétales formées par notre célèbre botaniste.


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