Audiobooks by Valerio Di Stefano: Single Download - Complete Download [TAR] [WIM] [ZIP] [RAR] - Alphabetical Download  [TAR] [WIM] [ZIP] [RAR] - Download Instructions

Miguel de Cervantes y Saavedra - Don Quijote de la Mancha - Ebook:
HTML+ZIP- TXT - TXT+ZIP

Wikipedia for Schools (ES) - Static Wikipedia (ES) 2006
CLASSICISTRANIERI HOME PAGE - YOUTUBE CHANNEL
SITEMAP
Make a donation: IBAN: IT36M0708677020000000008016 - BIC/SWIFT:  ICRAITRRU60 - VALERIO DI STEFANO or
Privacy Policy Cookie Policy Terms and Conditions
L. Du Bois : Préjugés et superstitions en Normandie (1843)
DU BOIS, Louis (1773-1855) : Préjugés et superstitions en Normandie (1843).
Saisie du texte : S. Pestel pour la collection électronique de la Médiathèque André Malraux de Lisieux (31.V.2007).
Relecture : A. Guézou.
Adresse : Médiathèque André Malraux, B.P. 27216, 14107 Lisieux cedex
-Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01
Courriel : mediatheque@ville-lisieux.fr, [Olivier Bogros] obogros@ville-lisieux.fr
http://www.bmlisieux.com/

Diffusion libre et gratuite (freeware)
Orthographe et graphie conservées. 
Article extrait des Recherches archéologiques, historiques, biographiques et littéraires sur la Normandie  publiées à Paris, en 1843 par  Dumoulin, libraire-éditeur [pp. 296-325]. Texte établi sur l'exemplaire disponible en mode image sur le site Google-Recherche de livres de la société Googlecorrigé  à partir de l'exemplaire de la Médiathèque (Bm Lx : Norm 295). 


Préjugés et superstitions en Normandie

par
Louis Du Bois

 ~*~

Nous avons déjà, dans les Archives Normandes (t. I, p. 243), fait connaître le Gobelin ou Cheval Baïard [voir in fine], et nous promîmes de donner la suite des traditions fabuleuses et des préjugés conservés en Normandie, surtout dans la partie occidentale du département de l’Orne. Lorsque nous rédigeâmes en 1808 le grand Mémoire Statistique de ce département, et, les années suivantes jusque à notre départ pour l’Italie, les Annuaires de la même contrée, nous insérâmes quelques fragmens d’un travail fait avec beaucoup de soin sur les récits même des paysans.

Nous allons continuer de publier plusieurs chapitres de cette composition revue et augmentée.

~*~


DU LOUP-GAROU OU VAROU.


                           Fit lupus, et veteris servat vestigia formæ,
                        Canities eadem est, eadem violentia vultu,
                        Iidem oculi lucent, eadem feritatis imago.
                                OVIDE, Mét. liv. I, v. 237.


On trouve le Loup-Garou dans les contes superstitieux de la pluplart des peuples : car les erreurs et les sottises ont pour ainsi dire fait le tour du globe, et se sont assises en souveraines sur le trône de l’univers.

Il est bien probable que ce scélérat de Lycaon que dans son propre palais Jupiter prit la peine de changer en loup, fut un des premiers et sera toujours le plus célèbre des loups-garous anciens et modernes.

Sans doute ce nom de loup-garou signifie le loup dont il importe beaucoup de se garrer ; peut-être aussi cette dénomination vient-elle du mot gare, employé par les paysans pour bigarré, de plusieurs couleurs : le loup-garou étant quelquefois de couleurs variées. On disait autrefois être en garrouage pour dire être en débauche, et la conduite du loup-garou en effet n’est pas une conduite à suivre ; c’est dans ce sens que La Fontaine a dit :

                Que Jupiter était en garrouage,
                De quoi Junon était en grande rage.

Du Cange dérive le mot garou de l’Anglais Were, primitif celtique d’où les latins ont fait Vir, homme ; Were à la même signification : ainsi le loup-garou serait un loup homme ou un homme changé en loup. De Were on a fait Garou, comme de William on a fait Guillaume, de Vespa guêpe, de Vadum gué, de Viscum gui, etc. Si l’on en croit Mitalier, le mot de Garou est juif ; Saumaise le dérive de Varare, passer, courir. Pasquier dit en parlant des loups-garous (VIII, 61), que Pline (liv. 8) « se moque de ceux qui de son tems croyaient que quelques hommes étaient transformés en loups : erreur qui s’est transmise jusque à nous quand nous les appelons loups-garous. Vrai que, pour en user proprement, il le faudrait rapporter à la lycanthropie, maladie discourue par les médecins, quand une personne, affligée d’une imagination furieuse, pense être transformée en loup. »

Le loup-garou, le guérou ou varou, est une sorte de loup par excellence qui, dans les longues nuits de l’hiver, surtout pendant l’avent de Noël, infeste principalement les campagnes, répand l’alarme et l’épouvante dans les cerveaux assez bien disposés des paysans.

Le loup-garou a donné naissance à une encyclopédie d’histoires répétées d’âge en âge, et transmises soigneusement par les crédules grand’mères à leurs petits-enfans épouvantés. Il est le héros très actif de presque tous les contes merveilleux ; il est le grand moteur de tout ce qu’il y a de mieux dans ce genre.

Des loups cruels, jadis très communs à cause de la grande quantité de forêts qui couvrait la Gaule, profitant des longues nuits pour commettre plus sûrement leurs brigandages, ont probablement donné l’être à l’histoire des loups-garous ; et, comme l’ignorant est surtout avide de prodiges, il a bien fallu supposer que des loups aussi carnassiers étaient des loups surnaturels : ce qui offrait à la peur une excuse et aux contes extravagans une source intarissable d’intérêt, de fictions et de développemens. Ces mauvais principes qui ne règnent que pendant les longues nuits d’hiver, ces génies soit du bien, soit du mal, qu’on retrouve partout où le mal est mêlé de bien, où la rigueur des hivers succède au charme de l’été, où le jour fait place à la nuit, ces idées qui avaient fait adopter par les Perses un Oromase et un Arimane, n’ont pas peu contribué à mettre en crédit les loups-garous, les sorciers, les laitices, les larves, et cette foule d’esprits bienveillans ou pervers qui sont censés exposer les hommes à tant de chances diverses.

Le loup-garou est en Normandie un homme dont le diable s’est emparé et que, tous les soirs après le coucher du soleil, il revêt d’une peau de loup, de chèvre ou de mouton. Cette peau s’appèle une hure. Le diable, auquel ce malheureux est échu en partage, le traite fort durement ; les coups de bâton trottent, les croquignoles et les nasardes ne sont point épargnées ; les gourmades et les horions pleuvent à foison ; le pauvre patient est fouetté cruellement. C’est ce qui arrive surtout, si à l’heure que Satan lui a fixée, le possédé ne se trouve pas exactement au rendez-vous qui est ordinairement le pied d’un if ; le malin va trouver chez lui le retardataire, l’entraîne rapidement par les oreilles, et l’étrille d’importance, et pour le bon exemple, au centre de chaque carrefour, et devant toutes les croix du voisinage.

Si un homme courageux rencontre le loup-garou et qu’il ait pour lui de bonnes intentions, il peut arracher au diable sa proie ; mais il faut ou que le diable soit aussi fin qu’on le dit, ou que les hommes courageux soient passablement rares : car on raconte fort peu d’histoires de loups-garous délivrés.

Il est vrai que la délivrance d’un loup-garou n’est pas une affaire aussi facile qu’on peut l’imaginer ; il faut beaucoup d’adresse pour amener à bon port cette périlleuse entreprise. Quoi qu’il en soit, voici la recette la plus certaine ou au moins la plus accréditée parmi les paysans. Lorsque on rencontre le loup-garou et qu’on veut l’arracher à la puissance du diable, il faut lui porter dans le front trois coups de couteau bien appliqués. Si le sang coule, le loup-garou est sauvé, sa peine lui est remise, sa hure tombe, comme celle d’Azor rendu à la tendre Zémire ; il redevient ce qu’il était auparavant. Dans quelques cantons on prétend qu’il faut tirer trois gouttes de sang. On n’est pas bien sûr que les loups-garous ne soient condamnés à courir que pendant quatre ans : suivant les autorités les plus authentiques, la pénitence d’un loup-garou dure sept années. Cette pénitence rigoureuse peut être abrégée : elle finit au moment où le malheureux est délivré. Mais si, en cherchant à l’affranchir du pouvoir infernal, on a le malheur de le manquer, c’est-à-dire de ne pas faire couler de son sang les gouttes requises ou de ne pas l’atteindre au front, il s’opère une sorte de tacite réconduction et le bail et la peine recommencent pour sept ans entiers. Il faut que le malheureux coure sur de nouveaux frais.

Les loups-garous ont quelquefois été l’objet de poursuites judiciaires. En 1574, le parlement de Dôle (Recueil C. p. 175) rendit un arrêt qui condamna au feu un anthropophage qui, déguisé en loup-garou, avait dévoré des enfans ; en général il est beaucoup moins féroce dans nos contrées et de nos jours.

Voici l’origine des loups-garous selon les paysans. Avant la révolution on était dans l’usage de publier des monitoires dans les églises contre les malfaiteurs qui n’avaient pu être découverts par des moyens naturels, et contre ceux qui, ayant connaissance du crime et du criminel, ne les dénonçaient pas. Ces monitoires recevaient aussi le nom de Quérémonies ou de Quérimonies. Les paysans étaient persuadés que, si, malgré les différentes publications des monitoires au prône de la messe, le criminel restait inconnu et laissait passer la troisième publication, il appartenait au diable et était obligé de courir le loup-garou. Il en était de même de ceux qui avaient refusé de faire la dénonciation du coupable.

Comme c’est pendant l’hiver et à travers les mauvais chemins des campagnes que court le loup-garou, il doit être couvert de boue : c’est à cause de cet accident, qu’on dit, proverbialement, d’une personne qui se trouve en cet état, qu’elle est crottée comme un varou.

======================

DES REVENANS.


On fait sur les revenans des histoires de toute espèce, plus effrayantes les unes que les autres, mais toutes à peu près calquées sur un même type. Ces récits, faits souvent à l’enfance docile par la vieillesse respectée, obtiennent beaucoup de confiance et doivent puissamment contribuer à augmenter la poltronnerie, à affaiblir les facultés intellectuelles, et à consolider de plus en plus l’influence de cette tourbe de charlatans qui compromettent si scandaleusement la santé et l’existence, ou qui pour le moins escroquent l’argent des dupes, tributaires constans et jamais désabusés.

A la fin des automnes et pendant les hivers, dans les longues veillées, les paysans se rassemblent autour du foyer. Là, un conteur, c’est souvent une vieille fort crédule, fait le récit, d’autant plus sûr d’être cru qu’il est plus absurde, de quelques histoires de revenans. Historiographe scrupuleux, le conteur détermine le lieu de l’événement, l’époque et les témoins. Ces récits, qui inspirent de l’intérêt à proportion de l’horreur qu’ils font naître, se transmettent de race en race, et sont toujours censés arrivés à une époque peu éloignée ; le narrateur, pour inspirer plus de confiance, assure même qu’il a vu, ce qui s’appèle vu, de ses propres yeux vu. Ces récits sont tous fort effrayans, et les accessoires du lieu où cette espèce de drame est joué ne contribuent guères à rassurer les auditeurs. Le vent qui souffle sur les toits ébranlés, qui agite les arbres du voisinage, et qui se prolonge en sifflemens aigus à travers les parois entr’ouvertes et les portes mal jointes ; la lueur sombre d’une lampe obscure ou d’une noire chandelle de résine de Mélèze, la disposition à la terreur de la part de l’auditoire, la crédulité persuasive du conteur pénétré, la peur naïve des petits enfans, le coup de tête si éloquent des vieillards, les réflexions morales de la maman, les auditeurs qui se serrent par degrés, à proportion de l’effroi qui va croissant : tout cela dispose merveilleusement l’assemblée ; le conteur a moins de frais à faire ; et lorsque on a le courage de se retourner, il n’est pas certain qu’on ne voie rien d’épouvantable sur les murailles où se jouent, en reflets douteux, la lumière et l’ombre. L’Anglais Thompson et notre Saint-Lambert nous peignent tout cela avec beaucoup de vérité, d’énergie et de grâces.

    Thus struggling thro’ the dissipated grove,
    The whirling tempest raves along the plain ;
    And on the cottage thatch’d, or lordly roof,
    Keen-fastening, shakes them to the solid base.
    Sleep, frighted, flies ; and round the rocking dome,
    For entrance eager, howls the savage blast.
    Then too, they say, thro’ all the burthen’d air,
    Long groans are heard, shrill sounds, and distant sighs,
    That, utter’d by the dæmon of the night,
    Warn the devoted wretch of woe and death.

                THOMPSON, WINTER. 185.

    Mean time the village rouses up the fire ;
    While well attested, and as well believ’d,
    Heard solemn, goes the goblin story round,
    Till superstitions horror creeps o’er all.

                THOMPSON, WINTER. 616.

J’ai essayé de traduire ces vers excellens. Les miens ne le sont pas ; mais ils rendront la plus grande partie des idées de Thompson ; et cette faible esquisse sera le mince croquis d’un beau tableau. La langue anglaise a beaucoup d’énergie et de naturel ; elle excelle surtout à peindre la nature sombre et forte, et à exciter de profondes émotions.

    Le tourbillon ravage et les bois et la plaine,
    Attaque des palais la cime souveraine
    Et sur le chaume obscur descend en rugissant.
    Le sommeil effrayé fuit le toit gémissant ;
    Et le souffle féroce en ses hurlemens sombres
    Joint sa propre terreur à la terreur des ombres.
    Alors l’homme timide entend au sein des airs
    Du démon de la nuit les sinistres concerts,
    D’affreux gémissemens, des cris, de longues plaintes
    Qui, glaçant d’épouvante et centuplant les craintes,
    Infaillibles arrêts et du ciel et du sort,
    Annoncent aux mortels l’infortune et la mort.
    Rangée en demi cercle auprès du feu nocturne,
    Du crédule hameau la troupe taciturne
    S’assemble ; alors on conte aux assistans pieux
    Des spectres effrayans les exploits merveilleux.
    On écoute avec transe, on croit avec simplesse,
    Quand tout-à-coup l’horreur atteint l’âme et la blesse.

Pour dédommager mes lecteurs, je vais terminer par les beaux vers de Saint-Lambert, ces citations poétiques : ils sont tirés du chant de l’Hiver, dans son poéme des Saisons.

    On entend quelquefois des cris lents et funèbres,
    Des hurlemens affreux rouler dans les ténèbres,
    Et se mêler dans l’air aux tristes sifflemens
    Qui partent d’un vieux dôme ébranlé par les vents :
    Ces funèbres concerts que les monts réfléchissent
    Semblent être l’écho des mânes qui gémissent.
    Le lâche qui poursuit l’innocent opprimé,
    L’ingrat qui blesse un coeur dont il était aimé,
    Le perfide assassin, le monstre sanguinaire
    Qui plongea le couteau dans le sein de son frère,
    Croit voir en ce moment les spectres des enfers
    Et leurs lugubres jeux couvrir les champs déserts :
    Leurs longs gémissemens, leurs clameurs lamentables    
    Retentissent dans l’ombre au fond des coeurs coupables.

Pour donner un échantillon des traditions populaires relatives aux revenans, je citerai l’histoire suivante, bien attestée et, qui pis est, crue avec opiniâtreté.

Un chicaneur s’était approprié une terre par des procès injustes et de faux témoignages. Il mourut. Après sa mort, il revenait sur cette terre revêtu de plus de formes effrayantes que la mythologie n’en donne à Protée. On voyait quelquefois des blocs de feu, des flammes étincelantes, des animaux noirs et farouches ; on entendait aussi les cris les plus déchirans et les plus sinistres. La nuit qui rend le repos à l’univers entier l’exilait de ce lieu de désolation. La maison qu’il avait habitée était en proie au même tumulte : il la parcourait pendant les ténèbres, tantôt apparent et tantôt invisible en tout ou en partie. Souvent on apercevait une main qui enlevait des morceaux de pain, qui emportait le beurre et d’autres objets. Avait-on la négligence de laisser les portes ouvertes après le coucher du soleil, le revenant ne manquait pas de disperser et d’entraîner dehors les meubles, les habillemens et tout ce qui lui plaisait ;

De telles scènes seraient vraiment déplorables ; mais il y a remède à tout, excepté à la mort, dit le proverbe. Ces sortes de revenans sont pour la plupart des âmes damnées en punition de grandes fautes ou de crimes qui n’ont pas reçu leur châtiment. Ces âmes reviennent pour demander des prières. Quelques messes ou quelques pélerinages même, suivant l’occurrence, suffisent pour obtenir leur repos et celui des malheureux qu’elles venaient visiter.

Un homme damné mange après sa mort le suaire qui lui couvre le visage. Le suaire est un mouchoir plié en triangle, imbibé par ses trois pointes dans de la cire vierge qu’on a fait fondre. Ce malheureux pousse du fond du tombeau des cris sourds et effrayans ; on voit même un échantillon des flammes infernales s’élever au-dessus de la fosse qui renferme le cadavre. Les paysans assurent que leurs curés ont grand soin pendant les nuits de visiter les cimetières pour s’assurer de la bonne conduite des défunts. Quand ces curés entendent des cris, quand ils voient des flammes, quand ils s’aperçoivent que la fosse reste toujours aussi élevée qu’elle l’était à l’époque de l’inhumation, ils en induisent qu’il y a là un malheureux damné qui deviendrait bientôt un varou ou loup-garou, si l’on n’y mettait ordre. Alors, aidé du sacriste, le curé s’arme d’une bêche neuve, ouvre la fosse et coupe la tête du cadavre. C’est comme on fait pour les Vampires en Dalmatie. Il l’emporte, malgré les chiens qui sont des diables déguisés, et qui semblent réclamer leur proie ; il jète cette tête dans une rivière, au fond de laquelle elle creuse un précipice au lieu même où elle a été jetée. C’est à ces têtes, il n’en faut pas douter, que l’on doit attribuer l’origine des précipices et des fosses très profondes qui se trouvent dans quelques rivières. En Allemagne aussi on croit aux morts rongeurs de leur suaire ; et pour les empêcher de le manger, ce qui serait cause de la mort des proches parens du défunt, on cloue sous leur menton une planche qui ne leur permet pas d’ouvrir les mâchoires.

Un revenant avait, pendant sa vie, déplacé la borne de son champ, et empiété sur celui de son voisin. Il revenait toutes les nuits à l’endroit même où il avait commis son crime, et criait d’une voix lamentable : « Où la remettrai-je ? où la remettrai-je ? où faut-il la remettre ? » Ce malheureux réprouvé hurlait ainsi depuis fort long-tems, et on n’avait pu trouver le moyen de faire taire cette voix questionneuse et cesser ces importunes visites. Enfin un étranger, qui se trouva là par hasard, plus habile ou plus heureux, s’avisa de répondre : « Remets la borne au lieu où tu l’as prise. » A cette réponse si simple, la borne fut replacée, l’âme obtint repos et l’accorda par conséquent (1).

On voit encore revenir d’autres objets non moins épouvantables. Ce sont des esprits malins qui se donnent rendez-vous dans ce chêne jadis si cher aux Druïdes. Là, réunis en sabat nocturne et bruyant, des matoux âgés de sept années font un effroyable charivari. Il est aisé de reconnaître la cause de cette superstition. Les chats, pendant leurs amours, font en effet beaucoup de bruit ; et les matoux, comme les mâles de toutes les espèces animées, n’obtiennent parfois l’objet de leurs désirs que par une victoire vivement disputée sur leurs rivaux : ce qui assurément n’offre rien de surnaturel. Mais les paysans ne voient pas comme tout le monde. De là vient pour eux l’idée que le chat est l’image du diable ; que le diable se déguise souvent en chat noir ; que certain os de la tête d’un chat noir rend invisible. De là, bien entendu, dérive la persécution souvent atroce qu’éprouve de la part des brutaux cet aimable, utile et malheureux animal qui eut jadis en Egypte, par une exagération opposée, des autels, des prêtres, des tombeaux et des embaumeurs.

La nuit (car il faut remarquer que c’est toujours pendant cette période de la journée que se passent les choses surnaturelles) on voit dans les champs, auprès des bois, sur le bord des étangs et des vieilles masures, une foule d’Esprits Malins sous toute sorte de travestissemens. Quelquefois on est témoin de danses nocturnes (2) ; on rencontre de belles dames qui ne sont, à vrai dire, que des diables incarnés suscités par Satan pour faire des dupes et qui parviennent quelquefois à leurs fins.

Il est fort dangereux aussi d’être mal avec les meneurs de loups. Ces meneurs de loups sont une sorte de magiciens fort mal intentionnés : ils ne se font pas scrupule de se faire suivre par des loups affidés, avec lesquels ils sont de complicité, et auxquels ils livrent à dévorer les bestiaux de leurs ennemis. Ainsi quand un loup quelconque a fait pendant la nuit quelque ravage, on l’attribue sans hésiter aux maléfices des meneurs de loups ; et on n’a garde, comme de raison, de prendre des précautions utiles.

Personne n’ignore que c’est dans les longues nuits du commencement de l’hiver que sont arrivées la plupart des histoires de revenans, d’esprits qui crient, etc. En effet, à cette époque les oiseaux de passage, tels que les courlis, les oies et les canards sauvages, traversent les airs en nombreux et bruyans bataillons. Les corbeaux se rassemblent aussi vers la même époque. Voilà la cause de ces cris si effrayans pour les malheureux que l’ignorance abrutit et que l’irréflexion égare sans cesse.

Un curé de Villedieu (département de la Manche) parle dans une lettre insérée dans la Bibliothèque physico-économique de 1789, de cris en l’air mal interprétés par les superstitieux et qu’il attribue avec raison à des oiseaux. Cet accident fort naturel est connu sous les noms de chasse Arthur, chasse Arthus, chasse Saint-Hubert, chasse du diable, chasse Saint-Eustache, chasse Caïn etc.

Ces prétendues chasses aériennes, arrivant toujours pendant la nuit, remontent à une haute antiquité et sont connues autre part qu’en France : Magnusen, p. 375, parle des chasses d’Odin qui traversait les airs escorté par les Ases ; les paysans du VIIIe siècle croyaient que certaines sorcières galoppaient dans les airs, pendant la nuit, pour servir d’escorte à Diane (Canons du Synode de Lestines en 743). Encore aujourd’hui à Francfort-sur-le-Mein le peuple s’entretient fréquemment d’un chasseur mystérieux qui habite les ruines du gothique château de Rodenstein, et qui durant les nuits court dans les airs avec un grand fracas de meutes, de cors de chasse et même de roulement de voitures : ce qui est plus grave que d’effrayer momentanément les bonnes gens, car le peuple ne doute pas que ce tapage n’annonce la guerre.

Dans le département de l’Orne on appèle Mère Harpine, chasse Artus ou chasse Hennequin une troupe de prétendus esprits infernaux qui traversent les airs en jetant des cris aigres et prolongés. La Mère Harpine est le chef de la bande redoutable. Si, lorsque on l’entend, on a le malheur de dire : « je prends part à la chasse », on reçoit des lambeaux de cadavres ; car la Mère Harpine, comme les Goules des Orientaux, ne se nourrit, ainsi que ses associés, que de corps morts qu’ils ont déterrés pour leurs provisions et qu’ils promènent dans les airs. Sa rencontre offre encore de plus grands dangers, auxquels pourtant il n’est pas impossible de remédier. Lorsque on entend au-dessus de sa tête la chasse funeste, il faut se hâter de tracer un cercle autour de soi avec un bâton ou simplement avec le bras. A l’abri de ce rempart aussi assuré que celui dans lequel l’arabe du désert place ceux auxquels il accorde l’hospitalité, le plus timide devient brave, le faible est fort, le danger disparaît, et l’empire du malin n’est plus désormais qu’une puissance pour rire. Les démons essaient en vain de franchir la ligne insurmontable qui les arrête tout court. Pour qu’ils puissent partir, ils sont forcés de venir à résipiscence et de demander honteusement leur grâce. Le voyageur, qui n’a rien de plus pressé que de se débarrasser de cet infernal voisinage, trace un nouveau cercle à l’inverse du premier, et tout aussitôt la huaille noire s’échappe avec de grands cris.

    Ces esprits dont on nous fait peur
    Sont les meilleures gens du monde.

Voilà bien ce que fait la chasse Artus ; et l’origine de cette chasse, la voici d’après les traditions les plus authentiques.

Un prêtre qui a eu des liaisons impures avec une religieuse et qui meurt sans avoir fait pénitence, est condamné, ainsi que la pauvre none, à courir les airs. Luther épousa son amante et on ne sait pas ce qui en arriva dans l’autre monde ; Urbain Grandier fut brûlé dans ce monde-ci pour des liaisons réelles ou prétendues avec les Ursulines de Loudun. Mais tout cela n’est rien : c’est bien pis quand les âmes de ces réprouvés reviennent effrayer les vivans qui n’y sont pour rien. Le prêtre et la none, pour réparation de leurs amours, sont après leur mort changés en diables, mais en diables si hideux, si épouvantables, que leurs confrères ne peuvent les souffrir. Toute la cohorte infernale se met à leurs trousses, les chasse le soir du séjour ténébreux, les poursuit dans les airs et pousse des hurlemens affreux jusque au retour du jour, pendant lequel tout le cortége diabolique retourne à son poste en enfer.

Tout le monde connaît ces exhalaisons de gaz inflammable qui brillent quelquefois dans les endroits marécageux et qui effraient tant les enfans et les vieilles. Ces feux sont appelés dans nos campagnes la Fourlore, le feu follet ou le feu errant. Ce sont des âmes damnées ; et, suivant quelques personnes, ces âmes sont celles de prêtres criminels ou libertins. Elles cherchent à éblouir les voyageurs, à les entraîner dans les précipices et à les jeter dans l’eau. Quand le feu follet, esprit d’ailleurs fort jovial, est venu à bout de son entreprise, il quitte sa victime avec de grands éclats de rire, et il disparaît.


(1)Les Skelvrangares sont en Suède des revenans qui, pendant leur vie, ont rendu de faux témoignages, ou bien qui ont reculé les bornes de leur propriété au détriment de leurs voisins. Ces âmes damnées sont après leur mort condamnées à hurler dans les bois.
(2) En Suède (car, Hommes du Nord, nos ancêtres ont probablement importé et acclimaté dans la Neustrie plusieurs des croyances populaires des contrées d’où ils sortaient), le Stram-man, l’homme du fleuve, est un génie qui habite le fond des eaux. Il les quitte la nuit pour faire danser, sur le gazon des rivages, les Alfes de la mythologie scandinave, qui, comme les Nymphes grecques, se plaisent sur les prairies et dans les bois. Comme on voit parfois le matin quelques traces de pas sur la rosée, on ne manque pas de les attribuer à ces amusemens chorégraphiques.


===============

DE TARANE.


Il est une commune rurale, entre Lisieux et Falaise, où s’est fidèlement conservé le nom de cet antique dieu de nos Pères les Gaulois. Cette commune est Le Ménil-Simon ; ce dieu est le Taranis celte, dont l’autel, comme celui de son collègue Teutatès, était aussi redoutable à l’humanité que l’autel sanglant de Diane dans la Tauride Scythique. Du moins c’est ce qu’affirme le grand poëte Lucain (Pharsale, I ; 446) :

    Et Taranis Scythicæ non mitior ara Dianæ.

Taranis, ou bien, comme disent nos paysans, Tarane était le même dieu que le Jupiter Tonnant des Grecs et des Romains. En effet, l’auteur de la Religion des Gaulois (Paris, 1727 ; I ; p. 281) dit avec raison que le mot Taran signifie tonnerre dans l’Armorique et la province de Galles.

Comme tout dégénère suivant les censeurs moroses, Tarane est descendu des cieux d’où il effrayait les mortels, et parfois causait de grands ravages : il est devenu dans notre Pays-d’Auge, et surtout aux environs de St.-Julien-le-Foucon, une divinité de bas étage, qui court nuitamment le pays, bat la campagne pendant l’Avent, et même à d’autres époques, se déguise tantôt en belle dame, tantôt en grand chien, et se fait un jeu malin d’épouvanter les jeunes paysannes qui ne s’en cachent pas, et même quelques paysans ahuris qui chantent pour se rassurer et pour faire croire qu’ils n’ont pas peur.

A la fin du siècle dernier, il existait au Ménil-Simon un particulier nommé Le Dentu, lequel passait pour grand sorcier auprès de quelques bonnes gens qui ne l’étaient guères. Or, ce brave homme avait fait pacte avec le diable qui lui avait octroyé le don de se métamorphoser à volonté et même de se rendre invisible, liberté grande dont le bon Le Dentu n’a jamais abusé que je sache, quoique j’aie vu, ce qui s’appèle vu, plusieurs villageois du pays qui m’ont raconté l’histoire des variations de ses espiégleries, mais dans lesquelles je dois consciencieusement confesser que tout me paraissait fort innocent, acteurs, spectateurs et auditeurs, tous bénévoles à qui mieux mieux, moi compris.

Je croyais que la mort du pauvre Le Dentu, et peut-être les révolutions qui de 1789 à 1830 se sont succédées dans notre bonne France, avaient fait oublier Tarane, comme tant d’autres belles choses ; mais cette péripétie de catastrophes politiques a eu beau briser des trônes et broyer des myriades d’hommes, Tarane a survécu. A l’heure où j’écris ces lignes, comme disent élégamment les épistolaires, le culte du vieux dieu Gaulois prospère le soir dans nos villages, et fait encore peur aux jeunes filles : peur qui bien constatée semblerait prouver que Stace et Pétrone n’avaient pas tant tort que l’on croit, lorsque ils disaient :

    Primus in orbe deos fecit timor.

Quoi qu’il en soit, je ne connais rien de plus effrayant et par conséquent de plus révéré dans la vallée de St.-Julien-le-Foucon que l’antique Tarane, excepté peut-être la Fourlore à la flamme éblouissante, la chasse Arthur ou chasse Caïn dont les dogues aboient comme la ceinture de Scylla, le Loup-Garou, les Revenans, le Rongeur-d’os habitué des vieilles boucheries, et quelques autres démons, farfadets ou lémures, dont les vieilles femmes offraient l’imagination des enfans, et qui font palpiter le coeur des jeunes filles d’un autre sentiment, mais avec autant de vivacité, que celui qu’on doit et reproche

    A ce beau dieu qu’on nous peint dans l’enfance,
    Et dont les jeux ne sont pas jeux d’enfant.


===================

DES VOISINS.


Qui a bon voisin a bon matin, dit le proverbe, et le proverbe a raison. Cet axiome n’est pas nouveau : Hésiode disait (1), il y a 2700 ans : « un méchant voisin est un mal. Le bon voisin offre un bien inappréciable : heureux l’homme qui en trouve de cette sorte ! N’est-ce pas à de mauvais voisins que les laboureurs doivent la perte de leurs bestiaux ? » Thémistocle mettant sa maison en vente prescrivait au crieur public d’avertir qu’elle offrait le mérite d’un bon voisinage. C’était un axiome chez les Romains qu’un mauvais voisin était toujours la cause de quelque mal. De nos jours encore, au rapport du docteur Savaresi, les Egyptiens croient beaucoup à la fatale influence de l’envie de leurs voisins ainsi que des personnes qui viennent les visiter.

La tendance à croire le mal par préférence ; l’infortune plus fréquente que le bonheur ; la propension, si naturelle au coeur humain, à soupçonner des embûches et à croire des torts, s’excuser à sans cesse pour accuser autrui, rendent cette idée de l’influence du voisinage assez généralement funeste et insociale. Aussi les paysans sont-ils trop souvent disposés à haïr leurs voisins, à leur porter envie, à leur attribuer des torts. Ailleurs cette idée exagérée et misanthropique a beaucoup moins de résultats fâcheux. La politesse introduite dans quelques classes de la société ne les a peut-être pas rendues beaucoup meilleures ; mais au moins la malignité n’a recours qu’à la médisance ou à la calomnie, armes favorables à la lâcheté et qui portent de cruelles atteintes. Dans les campagnes, à ce fléau souvent se joignent des mauvais traitemens et des vengeances violentes, parfois même le meurtre.

On voit que les mêmes absurdités à peu de chose près règnent sur toute la surface du globe. On retrouve nos préjugés européens jusque au fond de l’Afrique et de l’Amérique. Le voyageur Robert (2) rapporte que « les nègres de Paraghisi (3) le prièrent d’employer ses lumières pour empêcher les sorciers, qu’ils appèlent Fittazares, de nuire à leurs bestiaux et surtout à leurs enfans qu’ils fesaient mourir par des maladies de langueur, lorsque ils portaient de la haine à leur famille. »

Chez nous, si un paysan possède une vache qui ne produise plus de beurre, ce qui arrive souvent par un défaut de soin dans la conservation du lait ou de la crème, il ne manque pas d’attribuer cet accident fâcheux à quelque mauvais voisin. Il va trouver la sorcière en crédit dans le pays : il est bon de savoir que les sorciers sont encore nombreux dans les campagnes, que leur profession y est un métier fort lucratif et leur exercice un emploi très redoutable. La sorcière alors, bien et dûment payée, consulte gravement les sorts et rend avec non moins de gravité un oracle qui est presque toujours le même. Il prescrit de faire sortir de l’étable tous les bestiaux qui s’y trouvent : on arrête le dernier sortant ; on le saisit aux cornes, et il faut bon gré mal gré qu’il franchisse à reculons le seuil de la porte et qu’il gagne la cour. L’animal peu accoutumé, bien entendu, à cette marche rétrograde, refuse de sortir : il se débat ; l’exercice devient pénible ; la pauvre bête mugit ; le paysan crie ; les murs sont rudement et fréquemment heurtés ; le tumulte redouble avec les efforts et les tentatives inutiles. A ce tapage prolongé, les voisins, comme on s’en doute, ne manquent guères d’accourir… Il est censé que le premier qui survient est l’auteur du maléfice qui empêchait la vache de produire son beurre.

C’est ainsi qu’on récompense la bonne volonté d’un voisin officieux qui vient, dans une louable inquiétude, savoir la cause d’un tumulte inattendu, et qui est disposé à obliger celui qu’il croit être en danger. Ce brave homme est certain d’être battu ; et justice est faite tout aussi équitablement que par nos anciens Jugemens de Dieu.

Il est bien clair alors que la sorcière a rencontré juste ; et, quoiqu’il soit tout simple que le plus alerte et le plus obligeant du voisinage soit accouru le premier au bruit qu’il entendait, il est certain de toute évidence qu’il n’a dû, qu’il n’a pu venir  qu’entraîné par la force de l’enchantement à laquelle il n’a su résister. Alors la conviction est bien acquise. C’est par ces procédés barbares que le paysan crèdule s’imagine avoir fait une bonne oeuvre en frappant son voisin qui était peut-être son meilleur ami et qui du moins était complètement innocent.


(1) Poème des Travaux et des Jours, vers 346 et suivans.
(2) Histoire des Voyages, par La Harpe ; t . I, p. 280.
(3) En Afrique, vers les Iles du Cap-Vert.



===============

SORTILÉGES.


« Il n’y a point de nation plus prévenue en faveur du sort des augures » disait Tacite en parlant des Germains de son tems, auxquels les Romains ne le cédaient guères. Nos paysans ressemblent beaucoup, de ce côté surtout, à ces antiques Germains. Leur crédulité est sans motif et sans bornes ; l’expérience, cette pierre de touche des théories et des aperçus, l’expérience les trouve incorrigibles.

Cette croyance qui admet les sortiléges échauffe et tourmente l’imagination exaltée, affaiblit l’esprit, dispose à la terreur, façonne à la dépendance absolue ; et, comme l’a très bien dit une femme de génie (Mme de Staël), « La sorcellerie est en elle-même beaucoup plus effrayante que les dogmes religieux les plus absurdes. Ce qui est inconnu, ce qui n’est guidé par aucune volonté intelligente, porte la crainte au dernier degré. »

Nous nous bornerons à citer quelques traits, parmi la foule de ceux que nous pourrions présenter.

Remarquons d’abord que les plus grands sorciers, ceux qui guérissent sans remèdes et par de simples paroles, ceux qui font retrouver les objets perdus ou volés, ceux qui connaissent l’avenir, sont ou des mendians, ou de vieilles femmes indigentes, qui nous rappèlent l’auteur de l’Embarras des Richesses qui en fut lui-même si peu embarrassé qu’il mourut à l’hôpital, et sont comme Moïse qui conduisit ses Hébreux à la Terre Promise, mais n’y entra pas. On attribue surtout un grand pouvoir surnaturel aux bergers, sans doute parceque le soir ils peuvent observer les planètes, et le jour constater les vertus des simples.

Les filles qui aspirent à la dignité d’épouses et de mères et qui brûlent d’envie de voir remplacer l’état précaire du célibat par les avantages du mariage, et la soumission à la puissance paternelle par l’association à l’empire conjugal, consultent souvent le sort pour savoir quand elles deviendront l’objet des recherches, de la préférence et de l’amour d’un jeune homme. Alors la pythonisse consultée prend un verre d’eau, l’anneau béni d’une épouse, et un cheveu de la consultante. Munie de cet appareil imposant, la magicienne suspend l’anneau avec le cheveu ; elle plonge à cinq reprises différentes la bague mystérieuse dans le verre d’eau et tient la main étendue et ferme. On examine avec une curiosité scrupuleuse l’effet du sortilége, et voici l’arrêt du destin : il s’écoulera avant le mariage autant d’années que l’anneau a frappé de fois les parois du verre.

Pour obtenir aussi les décisions du sort en semblable matière, on laisse tomber d’un peu haut une pièce d’argent dans un plat rempli d’eau. On compte combien de fois la pièce est parvenue au fond du vase et s’y est arrêtée : ce nombre est celui des années qui précéderont le mariage. Aussitôt que cette pièce, après avoir touché le fond du vase, a été rejetée à terre, l’opération est finie, et les consultans sont bien certains de connaître l’avenir.

Quand on ne peut venir à bout de faire le beurre, on prétend qu’un malin esprit a jeté un sort sur la crême. Pour faire cesser le charme, il faut traire les vaches dans un vase d’airain et y porter du sel avec une feuille de buis béni.

On attribue aux sorciers le pouvoir de donner des poux, d’envoyer des rats, de faire mourir ou au moins maigrir les bestiaux, de communiquer des maladies aux hommes, de faire pacte avec le diable, de connaître les lieux où sont cachés les trésors, de révéler l’avenir, de connaître tout ce que l’on fait même en secret, de jeter des sorts et de les enlever. A tant d’avantages sont joints quelques inconvéniens et beaucoup de désagremens : on fuit les sorciers, on les redoute, on les regarde comme damnés ; on est persuadé qu’il doit leur arriver tôt ou tard de grandes calamités.

La crédulité, cette paralysie presque incurable de l’esprit humain, est répandue sur tout le globe. L’histoire nous prouve que, chez les peuples même qui ont joué les plus beaux rôles dans les drames politiques, les augures, les devins, les oracles ont fait souvent le destin des empires et des hommes. Socrate, Pythagore, Cicéron furent accessibles à ces erreurs funestes.

La géographie nous montre aussi d’un bout du monde à l’autre l’espèce humaine en proie aux superstitions les plus ridicules comme aux préjugés les plus atroces. Nous avons peu à envier aux peuplades du Congo et du Bénin. En Allemagne aussi, dit l’anglais Brooke, qui y voyageait en 1762, dans la Vestphalie surtout, des hommes qui même pourraient passer pour instruits croient aux esprits et aux revenans. L’Italie et l’Espagne fourmillent d’hommes qui sont dupes des mêmes sottises.

On croit à l’existence d’hommes qui battent les Vergettes. Ces Vergettes sont ce qu’on appèle ailleurs la Verge d’Aaron. On dit que les trésors sont ordinairement cachés dans un tertre couvert de broussailles ; lorsque on soupçonne l’existence d’un trésor, on s’adresse au Batteur de Vergettes, et l’effet de son sortilége est de faire paraître l’argent.

On peut opérer des sortiléges avec la fleur de la fougère ; mais malheureusement cette fleur est difficile à saisir : on ne peut la voir et la cueillir qu’à minuit précis. Une minute, une seconde même, de plus ou de moins, suffit pour empêcher de la discerner.

Sous le nom d’Egare on désigne une prétendue plante inconnue qui égare le malheureux qui, sans se douter de rien, a posé le pied sur cette herbe funeste. Il est bien évident que des ivrognes, qui se seront égarés dans leur route, auront découvert et publié l’existence prétendue de cette plante si redoutée qui a donné lieu au proverbe : il a marché sur de mauvaise herbe, pour dire il s’est fourvoyé.

Veut-on savoir si un parent mort est ou damné ou sauvé ? Il faut s’adresser au curé de la paroisse ; il lit dans le grimoire, car le grimoire est connu partout. Le curé évoque de l’enfer tous les démons,

    Peuple ayant queue, ayant cornes et griffes,
    Si maints tableaux ne sont point apocryphes,

ainsi que dit La Fontaine.

L’intéressé à la découverte apporte un demi-boisseau de pois, pour servir probablement de salaire aux malins-esprits. A mesure qu’ils se présentent pendant l’évocation, on leur donne un pois à chacun. La liste s’épuise enfin, et le dernier diable appelé satisfait cathégoriquement à la demande.

C’est à Lucifer que s’adressent les coupables qui viennent à résipiscence. Un homme qui a commis un crime le prie de l’en acquitter. Aussitôt le criminel est saisi, l’exécution se fait avec prestesse ; et le patient est dépouillé ; c’est-à-dire écorché vif. C’est là le cas de faire peau neuve : ce qui ne manque pas d’arriver. Apparemment, le criminel en changeant de peau, change aussi de conduite.

La poule aux oeufs d’or était une poule précieuse et depuis la mort de celle d’Esope et de La Fontaine, on croyait bonnement qu’il n’y avait pas moyen de s’en procurer une autre. Heureusement c’est une erreur : il suffit de se donner au diable pour obtenir de lui une poule noire qui ponde de l’or tant qu’on veut. On assure aussi qu’avec une poule noire ordinaire, mais complètement noire, on arrive au même but : le possesseur de ce précieux oiseau le porte à un point où doivent aboutir cinq chemins ; il crie à haute voix par cinq ou sept fois consécutives : « Argent de ma poule noire ! » Comme le diable est très friand d’un tel morceau, il ne manque pas d’accourir et de se présenter au vendeur. Ce dernier, pour peu qu’il entende le commerce, recevra en argent comptant une soixantaine et même une centaine de mille francs.

Celui qui se livre au démon devient sorcier et doit lui appartenir douze ans après le pacte. Il est prudent toutefois de stipuler que les jours qui entrent dans la composition de ces années seront comptés à raison de vingt-quatre heures chacun ; car le diable ne manquerait pas de les réduire à douze heures en ne comptant réellement que le jour, et de s’emparer de sa proie au bout de la sixième année : ce qui ferait un terrible mécompte et une perte réelle de cent pour cent. Il paraît que le secret de la poule noire n’est pas connu de tout le monde : il y a beaucoup de pauvres hères qui ont beau se donner au diable et qui n’en deviennent pas plus riches. Au reste, c’est par cet expédient tout simple que les paysans expliquent la cause des fortunes qui leur paraissent très rapides. Non seulement, pour obtenir du diable beaucoup d’argent, on peut se vendre à lui, mais on peut aussi lui vendre sa femme et ses enfans : c’est tout profit.

Dans l’ouest du département de l’Orne, on appèle la Mazarine une femme puissante qui passe pour être la mère de tous les diables anciens et modernes. Ce n’est pas du tout une Diablesse sans conséquence que la Mazarine. Elle possède dans la forêt de Fougères un très beau château, malheureusement peu facile à trouver comme celui de Bramavaca, qui est situé, pour qu’on ne doute pas de son existence, sur le sommet d’une montagne escarpée vers les confins du département des Hautes-Pyrénées. La forêt de Fougères (département d’Ille-et-Vilaine) est voisine de la Normandie : elle contient 1770 hectares. On y trouve un dolmen connu sous le nom de Pierre du Trésor, sans doute à cause de la tradition fabuleuse dont nous parlons ici. Celui qui aspire à la fortune se met en quête ; il dirige ses pas vers la forêt de Fougères ; il trouve sur sa route un petit ruisseau sans apparence et non pas sans pouvoir. S’il met le pied dans le ruisseau, il est sûr d’avoir le cou cassé par le diable. Ce mauvais pas franchi, on arrive au château ; on entre ; on trouve une masse immense de richesses. Alors une voix se fait entendre et crie solennellement : « Prends de cet or autant que tu voudras, mais n’en prends pas plus que tu n’en pourras porter. » Le retour a lieu aussitôt ; et le nouvel enrichi, tout fier qu’il est de son acquisition, n’a garde d’oublier ce précepte de la sagesse : rien de trop. Il ne s’est chargé que convenablement. On dit que les petits ruisseaux font les grandes rivières ; en effet au lieu où coulait le petit ruisseau, se trouve une rivière fort large ; mais l’histoire ne dit pas qu’elle empêche de passer. L’enrichi jouit de ses richesses comme il le juge à propos ; mais au bout des douze années, il appartient au diable qui en fait ce qu’il juge à propos. Le nom de Mazarine ne saurait être ancien ; il remonte probablement au commencement du règne de Louis XIV, au ministère du cardinal Mazarini. Comme le peuple n’aimait pas ce ministre, il est possible que, dans un pays encore aujourd’hui si peu avancé en civilisation, les paysans l’aient cru fils du diable et aient nommé de son nom sa mère prétendue.

De tous les sortiléges le plus redoutable est celui qui menace les nouveaux mariés. Tout le monde a entendu parler de l’aiguillette nouée. Ce conte n’est pas nouveau. On sait que cette aiguillette n’est autre chose qu’un cordon qui tient rapprochées les deux parties des culottes anciennes ;

    Et l’on est convenu de prendre un mot honnête
            Au lieu d’un mot qui ne l’est pas.

On lit encore dans les liturgies, et les prêtres n’ont pas cessé de réciter une formule par laquelle « ils excommuniaient ceux qui, par maléfice, sortilége ou enchantement, tenteraient d’empêcher la réunion des époux. » Assurément il n’en fallait pas tant pour confirmer les paysans et même les personnes un peu crédules, dans la ridicule persuasion qu’il existe des sorciers, qu’on peut faire des maléfices, et qu’il est possible de nouer l’aiguillette.

Quand un aspirant au mariage craint que son épouse ne soit aimée de quelque malveillant, ou qu’il redoute les maléfices de quelque ennemi, pour prévenir les effets du charme, il fait placer par le cordonnier entre les semelles de la chaussure de la jeune fille qu’il épouse, un peu de sel ou une pièce d’argent, sans qu’elle s’en aperçoive : cela suffit pour empêcher de nouer l’aiguillette, et préserve les nouveaux mariés de toute entreprise malencontreuse. C’est encore une précaution prudente, lorsque on craint quelque accident conjugal, de se placer, pendant qu’on est à genoux à la messe du jour des noces, sur une partie de l’habillement de l’épousée, sans qu’elle s’en doute.

Si l’on n’avait pas eu la sagesse de prévoir cet accident, et qu’il fût arrivé, les deux époux souffriraient de fort grandes douleurs auxquelles pourtant il est un remède facile et simple. Les vêtemens qu’ils portaient le jour de la célébration du mariage, mis dans l’eau bouillante, suffisent pour faire cesser le sortilége, pour contraindre le malfaiteur à venir demander grâce, et pour remettre les époux dans la jouissance de toute la plénitude de leurs droits.

Pour empêcher le diable de pénétrer dans un appartement, on se borne à poser en croix deux brins de paille à la porte. C’est un moyen aussi infaillible que de mettre son habit à l’envers pour ôter aux sorciers tout pouvoir de jouer un mauvais tour.

Quand un cheval éprouve des tranchées, il est inutile d’avoir recours au vétérinaire : on va trouver un sorcier. Cet habile homme s’informe simplement de la couleur du malade, dit tout bas quelques mots mystérieux, fait un signe de croix, et tout est fini : mais ce sortilége devra être renvoyé au lendemain, si le sorcier a déjà dans la journée fait ce signe qui n’a chez lui de valeur qu’une fois par jour.

L’écart d’un cheval, l’entorse d’une personne se guérissent radicalement, dès qu’on a, sur la partie douloureuse, fait à jeun des signes de croix avec le pouce de la main gauche, et prononcé ces efficaces paroles : Ante, Ante te, super Ante, Ante te.

Un incendie s’éteint avec quelques mots de sortilége, pourvu qu’on y joigne quelques coups de pied sur le pavé d’un des coins de l’édifice attaqué par le feu. C’est un moyen aussi sûr que prompt et économique ; et, si on n’y a pas recours la plupart du tems, c’est que, comme plusieurs autres sortiléges de ce genre, celui-là est un grand péché.

Un habitant de la commune de Bonnebosq, et il n’est pas le seul qui ait été l’objet de quelque sortilége, avait la fièvre depuis long-tems ; les remèdes n’y fesaient rien. Il est vrai qu’il n’y joignait pas la diète nécessaire, et que, au lieu de tisanne, il s’abreuvait de maître-cidre (de cidre pur). Un certain jour, certain pauvre se présente à la porte du malade et demande l’aumône. Celui-ci répond au mendiant que la fièvre l’empêche de travailler, et qu’il ne saurait rien donner. - « Qu’à cela ne tienne ! dit l’indigent, je vous guérirai. - Bah ! s’écria la ménagère de la maison. Mon mari guérira bien sans votre magie. - Oh ! que non ! nous verrons. » Le villageois, qui était plus crédule que sa femme, et qui voulait en finir avec sa maladie, prêta l’oreille aux insinuations du mendiant qui prononça quelques paroles mystérieuses, et appliqua sur le bras du malade un papier contenant un sort, et joignit à ces puissans moyens une pantomime qui, par malheur, excita le rire de la femme. Ce rire et son incrédulité ne tardèrent pas à être punis comme ils le méritaient : car tous ces hommes surnaturels ne veulent pas qu’on rie et surtout à leurs dépens. Après avoir fait son affaire, le magicien apostropha ainsi, en se retirant, la pauvre ménagère : « Madame, vous vous moquez, mais votre mari sera bien guéri que vous serez bien malade ! » En effet, peu de jours après cet entretien, elle perdit la raison dont elle avait fait un si mauvais usage. On fut obligé de l’enfermer. Dans cet état, elle se mit à effiler sa couverture de lit, en fit des cordelettes qu’elle tendit pour se livrer à l’exercice des funambules, et sortit pour aller sur les arbres sauter de branche en branche comme un écureuil, sans faire fléchir sous le poids de son corps de faibles rameaux qui se seraient cassés sous un chat. Le mari bien et bientôt guéri, comme on s’en doute, alla consulter des sorciers pour enlever le sort qui affligeait sa femme. Ils n’en purent venir à bout. Celui qui l’avait infligé était plus fort qu’eux : c’est ce que l’on voit communément chez les fées avec lesquelles aussi il n’est pas prudent de plaisanter. Enfin l’homme de Bonnebosc se décide à se rendre dans le Pays-de-Caux, qui ne passe pourtant pas pour receler des sorciers, et qui, si on l’accusait de magie en voyant ses opulentes récoltes, pourrait dire comme ce Romain montrant ses instrumens aratoires : Voilà mes sortiléges ! Toutefois, un sorcier fut trouvé, et moyennant finance il retira le sort à condition qu’on désignerait un individu sur lequel il serait reporté, et qui, en conséquence, mourrait dans le cours de l’année. Au lieu d’un être animé le villageois eut l’humanité de choisir une aubépine. La malade recouvra la santé, et l’arbre ne tarda pas à mourir.


=========================
DU GOBLIN OU CHEVAL BAYARD (*)
[Archives annuelles de la Normandie :
historiques, monumentales, littéraires et artistiques
Première année
Caen : Mancel, 1824.- XVI-296 p. NORM 5581
]
_______


LE Goblin ou Gobelin, dont le nom se retrouve aussi en Angleterre, est un génie malicieux, espiégle et dégourdi ; toujours prêt à faire quelques niches, toujours en activité de service, assez bon diable d’ailleurs, point trop exigeant, jouissant au surplus d’une grande puissance dont il a le bon esprit de ne pas abuser, ce qui n’est pas commun, comme on sait, surtout parmi les diables.

La protection du Goblin n’est pas du tout à dédaigner. Pour être bien avec lui, il suffit de ne point parler mal sur son compte : c’est un point sur lequel il est fort chatouilleux. Il aime beaucoup les enfans et les chevaux. Cette affection est loin d’être stérile, comme tant d’autres : il donne aux uns de la bouillie, aux autres du foin ; il étrille ceux-ci, il berce ceux-là. Il fait bien, à la vérité, quelque espiéglerie en passant, mais il les aime tendrement, les caresse beaucoup, et les fouette à l’avenant : car qui aime bien, châtie bien. Au reste, cela n’arrive que lorsqu’il est mécontent. Quand le Goblin a pris quelqu’un en affection, enfant ou cheval, il n’est sorte de bons procédés qu’il n’emploie ; ses attentions sont sans borne, comme ses bons soins sont sans terme. Tout cela n’empêche pas qu’il ne se livre aussi à quelques malices, de peur d’en perdre l’habitude ; car

    Naturam expellas furcá, tamen usque recurrat ;

il se plaît quelquefois à lutiner ses protégés ; tantôt il chatouille, il pince les enfans ; tantôt il ébourriffe les crins des chevaux. Et des crins entremêlés annoncent infailliblement sa  présence et sa protection. Il aime assez les métamorphoses ; et quoique le sort des chevaux ne soit guère plus heureux dans les campagnes qu’il ne l’est à Paris, le Goblin se change souvent en cheval. Il est vrai de dire pourtant que sa métamorphose est de courte durée. Ce temps, qu’il sait mettre à profit, lui suffit pour jouer quelques tours assez plaisans.

Il n’est pas vrai de dire, comme l’a fait Labbe (1), que le nom de Gobelin vient du bruit que cet esprit est censé faire en remuant les gobelets. Ce nom est très-ancien. Orderic Vital (2), qui écrivait dans le XIIe. siècle, parle à propos des miracles de saint Taurin, évêque d’Evreux, d’un démon que le saint chassa du temple de Diane, et qui, du temps d’Orderic Vital, continuait d’exister à Evreux, où il prenait toutes sortes de formes, sans pourtant blesser personne. Le peuple l’appelle encore le Goblin, dit le grave historien de St.-Evroul. Ce que Cassien (3) rapporte du Gobelin a beaucoup de rapport avec l’opinion qu’en conservent nos paysans, ce qui prouve bien l’antiquité très-reculée de toutes ces rêveries, si redoutables pour eux. Cassien représente le Goblin comme un esprit immonde à la vérité, mais à cela près, jovial et plaisant, qui n’est pas nuisible, et qui se plaît à rire aux dépens des passans qui lui tombent sous la main.

Le Goblin a beaucoup de rapports avec le Nissen des paysans de la Norwège. Le Nissen, suivant ces bonnes gens, a soin des bestiaux, et surtout du cheval, qu’il affectionne particulièrement. Il les tue quand on les néglige. Ces paysans croient aussi à des génies qui substituent leurs petits monstres aux enfans qu’ils enlèvent. C’est là probablement l’origine des enfans qu’on croit changés en nourrice.

Dans le département de l’Orne, les paysans ont vu, « de leurs propres yeux vu, ce qui s’appelle vu, » (4) plus d’un de leurs camarades bien attrappés par le Goblin. Vers le soir, le villageois croyait bonnement enfourcher son cheval ; point du tout : il était fort étonné de n’académiser qu’un Goblin. C’est en vain qu’il voulait quitter sa monture ; il n’en était pas quitte à si bon marché : les caracols, les soubresauts, les pirouettes, les pétarades n’étaient pas épargnés. Le Goblin danse la gavotte aussi bien, sans doute, que le fesaient les chevaux de Franconi au théâtre de la Cité. A droite, à gauche, en avant, en arrière, le malheureux était berné presque autant que le sobre et courageux écuyer du héros de la Mancha. Pour terminer la parade joyeuse, et, sans doute, aussi pour rafraîchir le patient, le cheval soi-disant jetait lestement son cavalier au beau milieu de quelque mare, ou bien dans quelque fossé plein d’une ample provision d’eau.

Le Goblin est sujet aussi à se changer en petit garnement ; et, pour être bien avec lui, il faut l’appeler le bon garçon ; ce nom le flatte beaucoup ; et pour si peu de civilité, on ne désoblige pas volontiers. D’ailleurs, rien de si complaisant et de si poli que le villageois quand il a peur. Le Goblin hante principalement les vieux donjons et les châteaux abandonnés ; il veille sur les trésors. Quand on veut le faire déguerpir, comme il aime beaucoup la symétrie, il suffit de déplacer ce qu’il a mis en ordre. On peut aussi jeter ça et là de la graine de lin dans l’appartement qu’on veut lui faire quitter : sa vivacité naturelle ne lui permet pas de la ramasser ; il finit par s’impatienter, et il va chercher fortune ailleurs. On ne dit pas si on le ferait décamper en usant du remède qui fut employé à Naples contre le pauvre Belphégor, et qui eut un si favorable succès quand Mathéo lui dit pour lui faire prendre la fuite :

    .  .  .  C’est Madame Honesta
    Qui vous réclame, et va par tout le monde
    Cherchant l’époux que le ciel lui donna.

Les traditions n’en disent rien ; mais il est présumable qu’à cet avertissement, le Goblin, d’ailleurs médiocrement patient, fuirait encore plus vite.

NOTES.
(*) Nous donnerons par la suite plusieurs articles curieux sur les usages, les préjugés et l’ancien idiôme conservés en Normandie. Ce chapitre fut inséré en partie dans le grand Mémoire statistique du département de l’Orne, ainsi qu’une suite de chapitres du même genre, dont plusieurs reparurent dans les Annuaires du même département.
(1) Etymologies, Ire. part., p. 262, au mot Gobes.
(2) Hist. ecclés., liv. 5, p. 556, règne de Guillaume-le-Conquérant, an 1080.
(3) Collat. 7, ch. 32.
(4) Molière.


Static Wikipedia 2008 (no images)

aa - ab - af - ak - als - am - an - ang - ar - arc - as - ast - av - ay - az - ba - bar - bat_smg - bcl - be - be_x_old - bg - bh - bi - bm - bn - bo - bpy - br - bs - bug - bxr - ca - cbk_zam - cdo - ce - ceb - ch - cho - chr - chy - co - cr - crh - cs - csb - cu - cv - cy - da - de - diq - dsb - dv - dz - ee - el - eml - en - eo - es - et - eu - ext - fa - ff - fi - fiu_vro - fj - fo - fr - frp - fur - fy - ga - gan - gd - gl - glk - gn - got - gu - gv - ha - hak - haw - he - hi - hif - ho - hr - hsb - ht - hu - hy - hz - ia - id - ie - ig - ii - ik - ilo - io - is - it - iu - ja - jbo - jv - ka - kaa - kab - kg - ki - kj - kk - kl - km - kn - ko - kr - ks - ksh - ku - kv - kw - ky - la - lad - lb - lbe - lg - li - lij - lmo - ln - lo - lt - lv - map_bms - mdf - mg - mh - mi - mk - ml - mn - mo - mr - mt - mus - my - myv - mzn - na - nah - nap - nds - nds_nl - ne - new - ng - nl - nn - no - nov - nrm - nv - ny - oc - om - or - os - pa - pag - pam - pap - pdc - pi - pih - pl - pms - ps - pt - qu - quality - rm - rmy - rn - ro - roa_rup - roa_tara - ru - rw - sa - sah - sc - scn - sco - sd - se - sg - sh - si - simple - sk - sl - sm - sn - so - sr - srn - ss - st - stq - su - sv - sw - szl - ta - te - tet - tg - th - ti - tk - tl - tlh - tn - to - tpi - tr - ts - tt - tum - tw - ty - udm - ug - uk - ur - uz - ve - vec - vi - vls - vo - wa - war - wo - wuu - xal - xh - yi - yo - za - zea - zh - zh_classical - zh_min_nan - zh_yue - zu -

Static Wikipedia 2007 (no images)

aa - ab - af - ak - als - am - an - ang - ar - arc - as - ast - av - ay - az - ba - bar - bat_smg - bcl - be - be_x_old - bg - bh - bi - bm - bn - bo - bpy - br - bs - bug - bxr - ca - cbk_zam - cdo - ce - ceb - ch - cho - chr - chy - co - cr - crh - cs - csb - cu - cv - cy - da - de - diq - dsb - dv - dz - ee - el - eml - en - eo - es - et - eu - ext - fa - ff - fi - fiu_vro - fj - fo - fr - frp - fur - fy - ga - gan - gd - gl - glk - gn - got - gu - gv - ha - hak - haw - he - hi - hif - ho - hr - hsb - ht - hu - hy - hz - ia - id - ie - ig - ii - ik - ilo - io - is - it - iu - ja - jbo - jv - ka - kaa - kab - kg - ki - kj - kk - kl - km - kn - ko - kr - ks - ksh - ku - kv - kw - ky - la - lad - lb - lbe - lg - li - lij - lmo - ln - lo - lt - lv - map_bms - mdf - mg - mh - mi - mk - ml - mn - mo - mr - mt - mus - my - myv - mzn - na - nah - nap - nds - nds_nl - ne - new - ng - nl - nn - no - nov - nrm - nv - ny - oc - om - or - os - pa - pag - pam - pap - pdc - pi - pih - pl - pms - ps - pt - qu - quality - rm - rmy - rn - ro - roa_rup - roa_tara - ru - rw - sa - sah - sc - scn - sco - sd - se - sg - sh - si - simple - sk - sl - sm - sn - so - sr - srn - ss - st - stq - su - sv - sw - szl - ta - te - tet - tg - th - ti - tk - tl - tlh - tn - to - tpi - tr - ts - tt - tum - tw - ty - udm - ug - uk - ur - uz - ve - vec - vi - vls - vo - wa - war - wo - wuu - xal - xh - yi - yo - za - zea - zh - zh_classical - zh_min_nan - zh_yue - zu -

Static Wikipedia 2006 (no images)

aa - ab - af - ak - als - am - an - ang - ar - arc - as - ast - av - ay - az - ba - bar - bat_smg - bcl - be - be_x_old - bg - bh - bi - bm - bn - bo - bpy - br - bs - bug - bxr - ca - cbk_zam - cdo - ce - ceb - ch - cho - chr - chy - co - cr - crh - cs - csb - cu - cv - cy - da - de - diq - dsb - dv - dz - ee - el - eml - eo - es - et - eu - ext - fa - ff - fi - fiu_vro - fj - fo - fr - frp - fur - fy - ga - gan - gd - gl - glk - gn - got - gu - gv - ha - hak - haw - he - hi - hif - ho - hr - hsb - ht - hu - hy - hz - ia - id - ie - ig - ii - ik - ilo - io - is - it - iu - ja - jbo - jv - ka - kaa - kab - kg - ki - kj - kk - kl - km - kn - ko - kr - ks - ksh - ku - kv - kw - ky - la - lad - lb - lbe - lg - li - lij - lmo - ln - lo - lt - lv - map_bms - mdf - mg - mh - mi - mk - ml - mn - mo - mr - mt - mus - my - myv - mzn - na - nah - nap - nds - nds_nl - ne - new - ng - nl - nn - no - nov - nrm - nv - ny - oc - om - or - os - pa - pag - pam - pap - pdc - pi - pih - pl - pms - ps - pt - qu - quality - rm - rmy - rn - ro - roa_rup - roa_tara - ru - rw - sa - sah - sc - scn - sco - sd - se - sg - sh - si - simple - sk - sl - sm - sn - so - sr - srn - ss - st - stq - su - sv - sw - szl - ta - te - tet - tg - th - ti - tk - tl - tlh - tn - to - tpi - tr - ts - tt - tum - tw - ty - udm - ug - uk - ur - uz - ve - vec - vi - vls - vo - wa - war - wo - wuu - xal - xh - yi - yo - za - zea - zh - zh_classical - zh_min_nan - zh_yue - zu -

Sub-domains

CDRoms - Magnatune - Librivox - Liber Liber - Encyclopaedia Britannica - Project Gutenberg - Wikipedia 2008 - Wikipedia 2007 - Wikipedia 2006 -

Other Domains

https://www.classicistranieri.it - https://www.ebooksgratis.com - https://www.gutenbergaustralia.com - https://www.englishwikipedia.com - https://www.wikipediazim.com - https://www.wikisourcezim.com - https://www.projectgutenberg.net - https://www.projectgutenberg.es - https://www.radioascolto.com - https://www.debitoformativo.it - https://www.wikipediaforschools.org - https://www.projectgutenbergzim.com