Cérémonies
des mariagesdans la partie occidentale du
département de l'Orne
par
Louis
Du Bois~*~
C’EST
ordinairement une veuve vieille et pauvre qui, comme au Groenland, se
charge de faire les propositions de mariage. Celle qui est revêtue de
cette espèce de magistrature, l’entremetteuse active de ces sortes de
marchés, s’appelle Badochet ou Diolevert. Dans nos campagnes ainsi que
partout, un intérêt sordide préside presque toujours à cette union si
sainte, si pure et si belle, quand elle est le fruit de l’estime, de la
sympathie et de l’amour ; quand cette chaste alliance des coeurs est la
récompense des vertus et le prix du mérite ; quand elle est vraiment un
mariage et non pas le rapprochement hétérogène de deux êtres sans
rapports, ou l’ignoble vente de l’indigence à la richesse, ou la simple
conformité établie par l’équilibre du trébuchet de Plutus. Mais hélas !
depuis long-temps
Amour est mort….. le pauvre compagnon
Fut enterré sur les bords du Lignon.
Le
Badochet négocie avec plus ou moins d’intelligence et de bonne foi les
mariages de sa commune. Ce plénipotentiaire féminin, cette vieille, va
trouver un jeune homme ou une jeune fille ; elle fait valoir toutes les
bonnes raisons qu’elle peut trouver, le rapport des caractères, qu’elle
n’a guère étudiés, la bonne conduite réelle ou supposée, l’avantage de
la fortune, qu’elle connaît à peine, la conformité de l’âge, qui n’est
pas toujours chez les filles d’accord avec l’extrait baptistaire,
enfin, les réalités, les fictions, et tout ce que l’imagination et
l’éloquence rustiques peuvent suggérer de plus engageant à la langue la
plus active. Si ces choses conviennent, la bonne vieille, toujours
officieuse, procure aux jeunes gens quelque tête-à-tête décent chez un
de leurs parens. Le jeune homme paie à boire ; l’entrevue a lieu. Si
elle paraît de bon augure, on invite le père, la mère, ou les proches,
à se trouver à l’auberge, parce que le demandant ne peut pas se
permettre d’aller chez la jeune fille avant d’avoir obtenu l’insigne
faveur qu’on appelle l’Entrée de la Maison. Le jour fortuné où il
reçoit cette grâce se nomme en langue vulgaire la Bienvenue ou les
Venantises. Alors on traite réellement le chapitre du mariage, comme on
fait le marché d’un boeuf ou d’un meuble. C’est alors qu’on dit comme
quoi les partis sont sortables ; comme quoi le jeune homme travaille
bien et n’est point ivrogne ; comme quoi la jeune paysanne est
laborieuse et n’endure point trop patiemment les propos et les
goguettes des endormeurs de filles. Non seulement la galanterie ne se
trouve pas à cette réunion, dont les résultats peuvent devenir si
importans, mais la simple urbanité s’enfuit, mais encore l’impolitesse
la plus grossière y est souvent portée jusqu’à l’exagération. « Allons
! dit le jeune prétendant de celle qu’il recherche en mariage, allons !
il faut bien que vous donniez encore quelque chose. Elle est bien
laide, au moins, votre fille ; bonne-dà ! elle n’est guère de débit,
voyez vous ! Ah ça ! il me faut encore quelque chose ; il me faut tant,
et rien de moins ; je n’en rabattrai rien : sinon c’est un marché
manqué. » Après ces complimens et quelques civilités de ce genre, les
parens, de leur côté, vantent leur marchandise ; on fait l’éloge de la
fille ; elle travaille bien ; elle n’est pas trop laide ; elle a
beaucoup de conduite, dieu merci ; elle n’est ni raisonneuse, ni
babillarde, ni dépensière ; elle n’aime pas, grâce à Dieu, à prêter
l’oreille aux galans ; en un mot comme en cent, c’est une fille d’or ;
et, pour terminer l’apologie par une démonstration probante, les parens
arment d’une bêche la jeune fille. Il faut la voir alors travailler au
jardinage et tâcher de prouver son activité et sa force. A partir du
jour qu’une fille a été demandé en mariage ou bien a l’espoir d’être
recherchée, ce n’est plus tout la même personne : la babillarde devient
circonspecte ; la paresseuse se trouve active et empressée ; elle est
forte, sobre, modeste, laborieuse ; elle se rengorge ; elle fait la
belle ; elle pince les lèvres ; elle baisse les yeux ; elle enchaîne sa
langue ; elle adoucit sa voix ; elle devient même, s’il le faut,
engageante, officieuse, enjouée. C’est alors que brillent les plus
beaux atours, que la figure et les mains sont soigneusement décrassées,
et c’est beaucoup assurément. De la veille d’une demande en mariage au
lendemain de cette intéressante mission, il ne s’est écoulé que
quelques heures ; eh bien ! ce peu de temps suffit pour opérer de
grandes métamorphoses : tant est naturel le désir qui porte un sexe
vers l’autre ; tant est grande l’envie de secouer le joug de la
puissance paternelle, la plus douce pourtant de toutes les dépendances,
puisque son empire est toute protection et bienveillance ; tant est
forte la volonté de s’affranchir d’un joug quelconque, pour en prendre
un autre qui peut être plus pesant, mais qu’on ne connaît pas encore,
dont on ne voit que les charmes, et dont on aime à se déguiser les
inconvéniens !
Enfin, après de longs débats,
ordinairement l’affaire est terminée à la satisfaction réciproque des
jeunes gens. L’accord verbal de s’épouser se nomme les Bonnes-Paroles.
On fixe le jour du contrat et celui de la bénédiction nuptiale à
l’église. Dans plusieurs cantons, on appelle se faire enregistrer,
passer l’acte de mariage devant l’officier civil ; on ne regarde comme
mariage que la bénédiction nuptiale. Etrange erreur, qui, comme toutes
les erreurs, peut avoir des suites funestes ! Il y a des mariés qui,
après l’Enregistrement, retardent le mariage de plusieurs mois ; qui,
dans cet intervalle, cessent de se plaire, et s’exposent, en cas d’un
nouveau mariage sans séparation préalable, au cas pendable de
la polygamie,
qui n’a pas cessé d’être un crime punissable par les fers.
La
veille du mariage à l’église, les parens de la future (ce sont des
hommes) viennent avec une charrette chercher son trousseau. Le harnais
est tout décoré ; les chevaux et les boeufs sont ornés de rubans et
marchent gravement : un violon annonce leur arrivée. Au moment du
départ du trousseau, le ménétrier estropie l’air d’une contredanse, et
les assistans se mettent à gigotter de leur mieux. Après cette
cérémonie réjouissante, le cortége se met en marche, précédé du violon,
qui ne cesse de sonner
(c’est là l’expression), devancé par une soeur ou une parente, ou
simplement par la couturière de la future. Cette fille accompagne donc
à pied le trousseau de son amie ; elle est munie de quelques paquets
d’épingles qu’elle distribue une à une aux curieux qui se présentent
devant elle. Les épingles sont offertes de fort bonne grâce ; et, à
moins d’être tout à fait incivil, on ne peut les refuser. On assure
même qu’elles portent chance aux jeunes filles qui les reçoivent en
présent, et qu’elles leur font trouver un mari dans un bref délai. Et
Dieu sait si l’on fait queue pour obtenir une épingle de si bon augure
! Ceux et celles qui reçoivent les épingles embrassent toujours celle
qui les offre, soit la veille du mariage, soit le jour même de cette
fête, jour auquel elles sont présentées par la nouvelle mariée en
personne. Dans quelques cantons, la nouvelle mariée va offrir elle-même
un millier d’épingles, décoré de rubans, aux personnes qu’elle
considère, et qui doivent en revanche lui faire don d’une belle
quenouillée.
Le jour de la noce est enfin arrivé. Il
paraît enfin, ce jour qui doit récompenser la bonne conduite, qui doit
unir à jamais sans doute les coeurs faits pour s’aimer, qui doit mettre
l’amour et la faiblesse sous l’empire tutélaire de la force et de
l’amour. Il luit enfin ce jour si riche d’espoir, si fécond en belles
apparences, si redoutable et si flatteur pour le coeur qui palpite, si
favorable aux désirs qui vont être comblés, si long-temps attendu, et
que pourtant on ne voit pas sans quelque inquiétude.
Les
filles de la maison, lorsqu’il y en a, ou des parentes, ou même des
amies, habillent la nouvelle mariée avec ses plus beaux atours. On
attache derrière son bonnet une petite couronne. Les veuves qui
convolent n’ont plus évidemment de virginité, et par conséquent pas de
couronne. Le jeune épouse arrive aussitôt que la décence lui permet de
se présenter ; il accourt, accompagné de ses parens, revêtu de ses
habits les plus éclatans, et portant au côté les fleurs de la saison.
Les
coups de fusil se font entendre, le ménétrier se surpasse, la gaîté
brille sur tous les fronts des assistans, et le cortége se met en
marche pour l’église du lieu. Montées sur des chevaux, quand la fortune
le permet, les parentes de la jeune fille défilent deux à deux ; elle
monte en croupe derrière un de ses parens, et tout le monde arrive
ensemble à l’église. Les époux descendent de cheval, et le cortége se
range à la porte du temple rustique pour laisser entrer la nouvelle
mariée, qui s’avance appuyée sur la main gauche de celui qui
l’accompagne depuis la maison paternelle. Lorsque le prêtre est arrivé,
le jeune homme va chercher sa fiancée. Les deux époux se placent au
milieu de l’église, sous un crucifix qui est ordinairement attaché à la
voûte. C’est là que le prêtre donne la bénédiction nuptiale ; de-là les
époux suivent le prêtre au maître-autel, où il leur récite l’évangile.
On remet un cierge à chacun des époux ; deux personnes tiennent une
nappe blanche étendue derrière eux en forme de tapisserie. Alors
l’époux présente la main gauche à son épouse ; il la conduit à l’autel
de la Vierge, sur lequel ils déposent leurs cierges, et
récitent quelques prières à voix basse. Ensuite le parent qui avait
accompagné la nouvelle mariée, la conduit hors de l’église. De là on va
déjeûner gaîment.
Le dîner vient. La délicate chère !
Le
dîner est un fort grand repas composé en majeure partie des présens des
convives, qui sont reçus fort poliment à mesure qu’ils arrivent. Un
cuisinier en grand costume est là, coiffé d’un bonnet de coton
d’étiquette, en veste de cérémonie, couvert d’une serviette ou d’un
torchon en place de tablier de cuisine.
On tend
devant la porte ce qu’on appelle des Barricades : ce sont des rubans
auxquels on attache des fleurs, des chapelets, des petites couronnes,
et qui semblent défendre l’entrée de la maison à la nouvelle mariée,
mais qui réellement ne sont qu’une attention délicate. Elle franchit
ces obstacles, distribue libéralement les épingles qui attachaient les
barrières de rubans et les colifichets qui y étaient joints, et
parvient triomphalement au logis de son mari. Ces barricades et cette
petite scène offrent l’allégorie du bonheur d’une épouse qui, malgré
les embûches de l’envie, est parvenue au terme de ses désirs en
obtenant un époux.
Le nouveau marié va au-devant de
sa femme triomphante, la reçoit et l’embrasse, il embrasse également
les nouvelles parentes qu’il vient d’acquérir. Le cuisinier remet à
l’épouse trois pains qu’elle distribue aux pauvres, qui, pendant le
repas, reçoivent encore des potages. La cérémonie des noces est pour
eux un acte solennel d’une bienfesance touchante. Deux cents pauvres
quelquefois assistent à une noce et y sont copieusement nourris. Il
semble que tout, dans ce jour de fête, doit participer à l’allégresse
des convives et des époux : en effet, la félicité qu’on partage en
devient et plus pure et plus douce.
Le mari se rend
à la cuisine. Ce jour est pour lui un jour de corvée par laquelle il
faut bien qu’il mérite son bonheur : il doit servir tous les convives
et partager avec le cuisinier les fatigues de la cérémonie.
Trois
tables sont dressées ; et couvertes de linge blanc, rapprochées par
leurs extrémités, elles forment le fer à cheval : là, sont entassés,
pour ainsi dire, les bouillis, les fricassées, les ragoûts et les
rôtis, le boeuf nourrissant, le mouton aux sucs échauffans, le porc
savoureux et surchargé d’un lard épais, le gâteau brûlant de sel et de
poivre, les oiseaux de basse-cour assez mal assaisonnés quand ils ne
sont pas rôtis, peu de légumes, mais des viandes en quantité, du beurre
salé, des pains de seigle, de blé ou de sarrasin, du poiré acidule, du
cidre médiocre, du vin blanc et capiteux, et de l’eau-de-vie, l’ardente
eau-de-vie au goût d’empyreume. Tel est le menu d’un repas de noces
chez les villageois opulens. Au centre du fer à cheval, est placée
comme un trône la chaise destinée à la nouvelle épouse : cette chaise
est couverte de linge blanc et ornée de trois bouquets de fleurs ; un
drap blanc forme une tapisserie derrière ce trône modeste et si souvent
lorgné d’un oeil d’envie par les jeunes filles de l’assemblée.
Les
plus illustres convives sont placés auprès de Madame La Mariée.
Lorsque
le dîner est fini, on se met à danser sans mesure et sans fin ; puis le
cuisinier et le joueur de violon conduisent Madame La Mariée chez ses
nouveaux voisins, afin qu’elle leur fasse sa visite et leur présente
des épingles. A son retour, on place deux chaises l’une auprès de
l’autre : on y fait asseoir les époux. On danse autour d’eux, puis
chaque convive leur fait présent de sa quenouillée. Cette quenouillée
n’est autre chose que le don d’une quenouille, ou bien de lin, de
chanvre, de toile, de vin, d’argent même, de vaisselle d’étain et
d’autres objets plus ou moins chers, suivant la générosité ou la
fortune des conviés. Chacun danse, en tenant à la main son présent : ce
qui offre un spectacle assez divertissant. Cet usage de porter des dons
aux nouveaux mariés existe aussi en Angleterre, dans le Pays de Galles.
Les
parens du marié portent en pompe et promènent solennellement la jeune
épouse dans la chaise où elle est assise. Le violon ne cesse de faire
merveille ; les assistans chantent la vieille chanson qui commence par
ces vers :
Sur les ponts d’Avignon
J’ai vu chanter la belle, etc.
Joignez
à cet interminable brouhaha le bruit et l’odeur des coups de pistolet
qu’on tire presque continuellement dans l’appartement et dans la cour.
Après
le dîner, les Momons (*) se présentent : ce sont des farceurs déguisés,
masques fort grotesques, et montés sur des chevaux de bois qu’ils
appellent des Bidoches, et qu’ils font caracoler, pour faire rire
l’assemblée. Les Follets, autre espèce de farceurs, les accompagnent
vêtus en bergers du bel air, et décorés de rubans.
Sur
les cinq heures du soir, on se remet à table ; on mange, on danse ; on
mange encore, puis on danse de nouveau. C’est le cuisinier qui danse la
première contredanse avec la mariée ; le mari danse la seconde, puis il
confie sa femme aux autres danseurs, qui se disputent l’honneur de
faire danser Madame La Mariée. Vers huit à neuf heures du soir, les
Réveilleurs arrivent : ce sont les jeunes garçons du voisinage. On
ferme alors les portes, et on se met à détonner à qui mieux mieux, et
le plus haut qu’on peut, la fameuse chanson qui revient si souvent :
Sur les ponts d’Avignon, etc.
Les
Réveilleurs sont amplement régalés de cidre et de poiré ; quant aux
alimens solides, il n’y faut pas songer, un Réveilleur est trop bien
appris pour se permettre de manger à cette cérémonie ; l’usage lui
prescrit de boire seulement, et Dieu sait quel déshonneur il
mériterait, et, qui pis est, quels coups de bâton lui seraient
distribués sur l’omoplate, s’il enfreignait la législation
toute-puissante des usages du pays. A dix heures du soir, le cinquième
ou sixième acte du repas commence. C’est alors qu’on sert le mouton
rôti, et qu’on danse ; après minuit, viennent les oies rôties et
savoureuses, la brûlante eau-de-vie et puis la danse encore ; car, si
l’on mange pour avoir la force de danser, on danse afin de recouvrer
assez d’appétit pour manger.
Le jour arrive, et à
neuf heures du matin on sert le déjeuner, composé de beurre et de
fromage ; puis enfin la bande, gorgée d’alimens, exténuée de fatigue,
accablée de sommeil, et toute en proie aux fumées des boissons, se
sépare avec peine et se disperse à regret.
Voici le
tour du mari. Il redevient le maître de la maison. Le premier usage
qu’il fait de son pouvoir reconquis, est pour prier de passer la
journée chez lui ceux qui lui plaisent davantage ; et le soir, sur le
minuit, les époux sont livrés à eux-mêmes.
Souvent,
dès le premier soir des noces, lorsqu’on présume que les nouveaux
mariés pourraient se retirer de la société pour aller au lit nuptial,
quelques malins dérobent l’épouse, que le mari cherche en vain, qu’il
ne retrouve qu’avec beaucoup de peine et après de longues recherches.
Souvent aussi, de son propre mouvement, Madame La Mariée se cache pour
défendre sa virginité menacée, et pour donner de sa pudeur une opinion
avantageuse.
Plusieurs nouvelles mariées, comme nous
l’avons dit, portent sur le fond de leur coiffure un ornement composé
d’un petit miroir entouré de fil d’argent tressé, de rubans et de
paillettes. Ce colifichet, qu’on nomme une couronne, est un emblême
virginal dont les jeunes filles ont un soin empressé de se parer pour
fermer la bouche aux mauvais plaisans, prouver qu’elles ont été sages,
et qu’elles sont à l’abri des soupçons et des quolibets.
N’oublions
pas de dire que les mariés qui se piquent de dévotion et de savoir
vivre, ne se croient véritablement époux que la troisième nuit après le
mariage, et qu’ils craindraient de commettre un énorme péché s’ils
habitaient ensemble avant cette époque. Préjugé ridicule et stupide qui
a pour base une idée de perfection ! Dans un roman charmant, Sauvigny
retrace en ces termes cet usage de nos pères (c’est Pierre qui parle) :
«
Et puis voyant encore qu’elle ne répondait, me mis à lui dire : Si
toutefois, ô mon cher ange, mes amoureuses tendresses font répugnance à
votre trop grande chasteté, bien que ne soit de l’intérêt de mon amour
d’obéir à vos commandemens, le vas pourtant faire !... Oui, dites cela
que vous voulez…. J’avoue qu’il est d’un saint usage que soient les
époux trois nuits en oraisons, l’un près l’autre, avant qu’avoir
ensemble nulles privotés. Eh bien ! m’amie, soit fait si ce vous plaît.
Or donc, faut que je sache là où est le briquet, j’allumerai un cierge
à votre prie-dieu, et verrez, par-là, combien est pur et non intéressé
l’amour que je vous porte ! Parlez donc voir, m’amie, et je le vas vous
aller chercher tout de suite. Là-dessus je voulais me lever, mais elle
me retint doucement, me passant les bras à l’entour de mon col. »
On
se réunit encore le dimanche qui suit la noce, pour danser de nouveau
en l’honneur des époux. Cela s’appelle Fouetter le chat.
Après
ce dernier gala, les époux sont vraiment maîtres chez eux. Le bonheur
domestique, enfant du calme et du contentement, succède à ces bruyantes
cohues, qu’on est convenu d’appeler des fêtes, et la mariée n’a plus
qu’à endurer patiemment quelques mauvaises plaisanteries sans sel comme
sans ménagement, qui font rougir la pudeur, et auxquelles elle répond
quelquefois en baissant les yeux, plus souvent par des propos assez
énergiques qui prouvent que la sphère de ses connaissances et de sa
hardiesse s’est passablement étendue. Les époux se querellent ensuite ;
on se cogne pour passer le temps, et pour convaincre, puis on se
raccommode. Le mari devient souvent ivrogne et brutal ; la pauvre
épouse est surchargée d’enfans et de misère ; et, pour combler des
malheurs qui rappellent trop souvent les démêlés du Sganarelle de
Molière, leur grossièreté ne connaît pas les charmes naïfs du baiser,
ni ces expressions délicates que trouve la tendresse, et dont elle se
sert pour essayer de rendre, malgré l’indigence des mots, une partie de
ces sentimens qui abondent dans une âme aimante et vive.
LOUIS DU
BOIS.
(*) Le Mumming du nord de
l’Angleterre, le Mummer allemand ont quelque rapport avec le Momon dont
il s’agit ici ; la Druschka, espèce de bouffon que l’on appelle à
toutes les noces des Russes, remplissent à-peu-près les mêmes fonctions.