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G. Dubosc : Les vergetiers rouennais (1924)
DUBOSC, Georges (1854-1927) :  Les vergetiers rouennais (1924).
Saisie du texte : S. Pestel pour la collection électronique de la Médiathèque André Malraux de Lisieux (27 Juillet 2016)
Texte relu par : A. Guézou.
Adresse : Médiathèque intercommunale André Malraux, B.P. 27216, 14107 Lisieux cedex
-Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01
Courriel : mediatheque@lintercom.fr, [Olivier Bogros] obogros@lintercom.fr
http://www.bmlisieux.com/

Diffusion libre et gratuite (freeware)

Orthographe et graphie conservées.
Première parution dans le Journal de Rouen du 7 décembre 1924. Texte établi sur l'exemplaire de la médiathèque (Bm Lx : norm 1496) de Par-ci, par-là : études d'histoire et de moeurs normandes, 5ème série, publié à Rouen chez  Defontaine en 1928.


LES VERGETIERS ROUENNAIS
par
Georges DUBOSC
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Il a été souvent parlé des Vergetiers et de la rue où ils habitèrent longtemps, aux environs du Beffroi du Gros Horloge. Il fut aussi question de leurs anciens logis, qu'il serait question de faire disparaître, sauf à modifier le décor et le site typique du Gros Horloge.

Qu'étaient-ce donc que les Vergetiers, qui s'étaient installés à Rouen, dans cette rue ? Elle longeait autrefois l'enceinte de la ville du côté ouest, et tout d'abord fut un prolongement de la rue Massacre, où se trouvaient les Etaux des bouchers. Pendant quelque temps elle fut nommée la rue du fief de Vinchestre et de Lincestre.

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En réalité, ce nom des Vergetiers, qui apparaît vers la fin du XIVe siècle, et qu'on prononce souvent sans connaître sa signification, était celui des Brossiers, réunis en corporation. Les verges ou vergettes qu'ils façonnaient étaient les brosses servant alors à nettoyer et à housser les vêtements. Maintes fois, on les trouve citées dans les inventaires royaux et princiers. Sous Charles V, dans un inventaire de 1380, on trouve mentionnée la « façon d'une verge à nettoyer les robes », comme aussi dans l'inventaire des ducs de Bourgogne, en 1438, où un autre, cité par de Laborde dans son Glossaire, où sont mentionnés, à la date de 1483, « les verges, espoussettes et descrotoires ».

Les premiers statuts qui concernent les Vergetiers parisiens et sur lesquels furent calqués les premiers statuts des Vergetiers rouennais, furent homologués par le célèbre prévôt de Paris, Jacques d'Estouteville, le 21 janvier 1486, et se trouvent aux Archives nationales, réunis en un petit bouquin aux feuilles jaunies qu'a publié de nos jours l'érudit René de Lespinasse.

Les artisans tenant alors boutiques et ouvroirs dans les rues parisiennes, étaient, somme toute, peu nombreux. Dix-sept tout au plus, mais qui exigèrent d'être reconnus comme maîtres, sans avoir fait aucun « chef-d’œuvre », et sans aucune formalité, du seul fait de ce que leurs statuts avaient été homologués. Pour les autres, ils devaient passer la maîtrise, faire le « chef-d’œuvre » de la valeur de 12 sols, et payer un droit de 24 sols, pour fêter leur bienvenue le jour où ils étaient reçus.

Pour fabriquer ces vergettes ou brosses, les maîtres ne pouvaient prendre que deux apprentis, mais ils devaient les garder auprès d'eux trois ans, sous peine de dix sols parisis d'amende, à appliquer, moitié au Roy et moitié à la confrérie du métier. Quant aux fils des Vergetiers-Brossiers, qui travaillaient, soit avec leur père, soit chez d'autres maîtres, après trois ans d'apprentissage, quand ils avaient l'âge voulu, ils étaient reçus sans être soumis au « chef-d’œuvre », tout en versant cependant un droit de bienvenue de 40 sols « pour leur entrée et réception au métier ».

Ces fameuses brosses ou vergettes qu'ils étaient appelés à fabriquer étaient des brosses rondes, qui étaient faites pendant longtemps rien qu'avec des brins de bruyère ou encore de chiendent. L'article 7 des statuts, avec ce souci de loyauté qui caractérise le Moyen-Age, contrairement aux procédés de camelote mis en honneur par les mercantis actuels, spécifie que « les Vergetiers, ne pouvaient mettre aucune bruyère en œuvre à faire les dictes vergettes à netoyer, si elle n'est sèche, loyale et marchande et pareillement la fourniture du dedans, sous peine de confiscation des dites vergettes et de dix sols parisis d'amende ».

Tout, du reste, est méticuleusement réglementé. Le bois des manches de la poignée où s'appliquent les brins de la vergette, doit être bon et résistant. Bien plus la façon dont les verges sont liées est déterminée méticuleusement. « Les vergettes qui seront à quatre liens, seront fournies chacune de six points à la première couture et les autres qui ne sont qu'à trois liens et au-dessous seront fournies chacune de cinq points à la première couture et les autres coutures à l'avenant, suffisamment, ainsi qu'il appartient ».

Tout est détaillé, prescrit formellement, et il nous semble bien qu'il y avait un modèle de la grandeur des trous où devaient être insérés les brins, modèle qui était déposé chez le doyen de la corporation.
Dans leurs visites, les Gardes avaient soin d'apporter ce modèle des trous pour voir si les artisans se conformaient au règlement.

Mêmes prescriptions pour les brosses ou vergettes de soie de pourceau, qui étaient fabriquées aussi par les Vergetiers. Elles devaient être fixées sur un bois plat, la soie poissée et bien « accoutrée sur le dit bois couverte de mégis », une sorte de composition d'eau et d'alun, bon et suffisant. Aussi bien, dans d'autres statuts, on voit que toutes les marchandises des Vergetiers étaient visitées par les jurés et qu'il était défendu de les acheter avant cette visite. Les bruyères, les soies de porc ou de sanglier venues de Moscovie, le chiendent, qui est la racine d'une sorte de graminée, et autres, commandés par les Vergetiers, devaient être déclarés et visités. Les jurés recevaient 3 livres par mille de bruyères, 10 sols par cent de soies de porc et 20 sols par cent de chiendent, qui venait généralement de Provence. Toutes ces matières premières étaient, du reste, ensuite loties entre les Maîtres-Vergetiers.

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Les Vergetiers - Brossiers - Raquetiers rouennais, comme leurs confrères parisiens, avaient d'anciens statuts qui remontaient à 1544, mais qu'à cause des abus nombreux qui s'étaient glissés dans leur corporation, ils jugèrent utile de refaire entièrement en 1716. Le lieutenant au Bailliage, qui était alors François de Houppeville les approuva, et le Parlement les enregistra en 1717. Dans le but de limiter leur nombre, les Maîtres Vergetiers, que Lesguillez dans ses Lettres sur Rouen, rapporte avoir habité la rue des Vergetiers jusqu'à la fin du XVIIIe siècle, statuèrent que les aspirants feraient, au lieu de trois ans, cinq années de service et ne seraient reçus maîtres qu'après cinq années d'apprentissage. Il est vrai que depuis le moyen-âge, le domaine des brossiers et raquetiers s'était étendu de toutes parts. Les nouveaux statuts déterminèrent toutes les sortes de brosses et de vergettes, dont l'emploi s'était de plus en plus spécialisé ! Que de sortes de brosses n'avait-on pas créé, pour mille usages divers, et dont les Vergetiers s'étaient approprié le privilège de la fabrication ! Il y avait d'abord les vergettes, qui sont les véritables brosses à habits, puis les brosses de carrosses, les brosses à chevaux généralement en poil de sanglier, les brosses à tête, les brosses à dents, les brosses à trois faces destinées aux tapissiers pour les meubles, les brosses à chirurgiens ainsi nommées, disent les statuts des Vergetiers de Paris, parce que dès le XIVe siècle « les médecins ordonnèrent aux personnes rhumatisantes de se faire brosser avec des brosses spéciales, pour ouvrir les pores au moyen de cette friction et faire transpirer l'humeur qui est la cause du mal ». Ce serait l'origine du gant de crin.

Bien d'autres brosses de tout genre étaient encore façonnées par les Vergetiers : les brosses pour les imprimeries, si nombreuses à Rouen, pour le tirage des épreuves ; les brosses à lustrer, en soie de sanglier, employées surtout par les Gaîniers et les Chapeliers ; les brosses à morue, employées dans les ports pour laver et dessaler la morue ; les brosses à peindre en bâtiment, que fabriquaient seuls les Vergetiers, les pinceaux appartenant seuls au commerce des épiciers ; les brosses à plancher, munies d'une courroie où se plaçait le pied du frotteur ; les brosses de relieur ; les brosses de toilette ; les brosses à décrotter. Nous en passons et des meilleures ! Outre ces vergettes et ces brosses de toutes sortes, les maîtres Vergetiers furent aussi autorisés à vendre en gros et en détail des cordes à boyaux de toutes grosseurs et espèces, mais seulement celles faites par les Boyaudiers de Rouen ; des raquettes pour les jeux de paume si nombreux dans notre ville au XVII° siècle, toutes espèces de balais et houssoirs de soie ou de plumes, des doroirs à pâtissier, des goupillons et des asperges à bénitier, et même jusqu'à des lavettes. Savez-vous que plus tard on a fait des brosses de toutes matières, avec le tampico qui vient du Mexique et avec le piazava qui vient du Brésil ? Savez-vous que la comète est une brosse à nettoyer les boutons et que la limande est une brosse ovale pour le pansage des animaux ? Bien plus, aux brosses et aux raquettes, on avait joint les aigrettes flottantes pour chapeaux et équipages, et les balais de plumes ou de jonc. Sur la confection de tous ces ouvrages, les statuts prescrivaient comme à Paris toute une minutieuse réglementation concernant les trous des brosses et le nombre des liens qui pouvaient y passer. Les Vergetiers, comme toutes les corporations, avaient leurs armoiries qui figurent dans l'Armorial de d'Hozier, T. XXIII, folio 435 : d'argent à un chevron de gueules, accompagné en chef d'une brosse de même à dextre, d'une vergette de sable à senestre et en pointe d'une raquette de même, cordée de gueules, en pal, le manche en bas.

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En 1762, l'intendant de la province de Normandie, Antoine Feydeau de Brou, prescrivit à toutes les communautés d'arts et métiers, à leurs gardes en charge et syndic, jurés et maîtres de la communauté, d'établir un état des maîtres et des veuves, de le présenter au secrétariat et de donner des renseignements sur les Vergetiers rouennais, sur leurs statuts, sur le coût de l'apprentissage, sur les charges et revenus de la communauté. D'après ces renseignements, on s'aperçoit que les premiers statuts de la corporation que n'a point reproduits Ouin-Lacroix dans son ouvrage sur Les anciennes corporations rouennaises, dataient du 1 er décembre 1544, qu'ils furent refaits le 4 août 1635 et renouvelés, comme nous l'avons dit, le 15 septembre 1716. La corporation n'était point riche et ne possédait point de biens-fonds et pas de rentes sur les particuliers. Ses charges, d'après son doyen Voguet et son garde Louis-Jacques Caban, qui ont signé cet état, le 21 mars 1763, consistaient : en 40 livres pour la Chambre où se réunissaient les Vergetiers ; en 15 livres pour le lieutenant de police ; 12 sous 12 deniers pour la Commission des Gardes ; 40 sous pour les frais de la Confrérie, alors qu'elle ne se trouve point de maître et qu'elle tombe à la charge de la Communauté. Somme toute, les charges s'élevaient à 345 livres. Les rentes aux particuliers consistaient en 20 sous de rente, au capital de 1.000 livres, dus à Caban, par un contrat passé devant notaire, le 13 mars 1720. Cette somme servit à acquitter une rente de 50 francs que la communauté des Vergetiers faisait au sieur Nicolas Hayard, pour les 1.000 livres qu'il lui avait avancées, lors de la création des nouveaux statuts en 1716, qui exigèrent la création d'un office d'inspecteur. Les frais de réception pour les membres de la communauté étaient alors ainsi déterminés : De chaque apprenti, la communauté recevait 4 livres 10 sous pour les gardes et 3 livres pour la confrérie. Pour la réception à la maîtrise : d'un fils de maître, 9 sous pour les gardes et 6 pour la confrérie ; d'un apprenti qui a fait son temps, 9 sous pour les gardes et 12 sous pour la confrérie.

Les principaux Vergetiers-Raquetiers habitaient la rue des Vergetiers, mais il y en avait qui habitaient aux environs, dans tout le quartier environnant la Grosse-Horloge. L'état de la capitation de 1763 cite : Bocquet, rue du Gros-Horloge, taxé à 12 s. ; Charles Bucaille, rue des Vergetiers ; Michel Piednoel, rue du Gros-Horloge, taxés à 18 s. ; Jacques Brésil, rue Massacre ; François Rollet, rue du Gros-Horloge ; Nicolas Ansel, rue du Bac ; Jean David, rue des Vergetiers ; Pierre Paulin, rue Saint-Jean, 7 s. ; Canu, rue Massacre ; François Renier, rue du Petit-Puits, une rue avoisinant le quartier du Vieux-Marché ; Romain Piednoel, rue Saint-Jean ; Louis Caban, rue du Gros-Horloge ; André Bucaille, avec son fils, qui était arquebusier ; la veuve Canu, rue des Vergetiers ; la veuve Noël Caban, rue du Gros-Horloge. Quelques-uns des Vergetiers — qui était somme toute un petit métier — ne payaient pas de capitation ; un vergetier, Langlois, qui avait 85 ans et qui tenait une échoppe près de l'église Saint-Herbland ; un autre, François Mouchard, au même endroit ; un autre, Louis Caban, dont la petite boutique se tenait contre l'église Notre-Dame-de-la-Ronde ; un sieur Dubois et un sieur François Leblant, installés contre le portail de la Calende. Aussi bien, la Chambre qui faisait l'enquête et qui savait le rang secondaire que tenait cette corporation, donnait son avis à leur sujet d'une façon assez dédaigneuse. Elle estimait, dit-elle, « que cette corporation devait être libre. On ne voit point, disait-elle, qu'il puisse résulter aucun préjudice au public, quand un citoyen aura la liberté de faire une brosse, une raquette ou une vergette. Ce sont de petits talents qu'il est bon de laisser à ceux qui n'ont pas la faculté de faire des professions qui demandent de fortes avances.

« Les fabricants qui font usage de brosses auront même par là liberté d'en inaugurer et d'en faire, qui seront plus convenables à leur profession, ce qui doit tendre au bien du fabricant et de la fabrique. » (Archives départ. C. 153.)

Toutes les vergettes, d'après le Dictionnaire du Commerce de Savary des Brûlons, payaient un droit d'entrée en France : 10 livres du cent pesant, suivant un arrêt du 3 juillet 1692. Le droit de la douane de Lyon pour les Vergettes de Paris était de 16 livres, tant d'ancienne que de nouvelle taxation. Les Vergettes de Rouen, qui étaient dès lors fort estimées, payaient 40 s. le tonneau de cinq quintaux.

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La confrérie de la Communauté des Vergetiers rouennais avait sa chapelle à la Cathédrale et se réunissait à la Sainte-Barbe, pour la fête qui se terminait par un banquet. C'était peut-être la principale dépense de cette pauvre corporation rouennaise. Une feuille de leur livre de dépense formule ainsi ce qu'elle doit : Pour les commissions, 19 livres ; pour les lauriers, 9 l. ; pour la garde de la chapelle, 1 l. 61. Pour donner à dîner au chapelain, où tous les maîtres assistent, le jour de sa fête, 47 liv. 10 s. Rente à M. le lieutenant de police, 15 l. Pour la refonte de la cire, 14 l. 115. Pour tapisseries et craquelins, 12 s. Pour l'office par le chapelain, 30 l. 105. Pour requête et rôle de la capitation, 3 l. 45. Pour le porte-châsse et chants, 8 I. 18. Pour les bouquets, 7  l. 16. L'annonce du Clerc et la semonce, 190 l. 105. Service au sieur Bucaille, 77 l. 10 s. Rente au sieur Payen, 20 l. Pour la Chambre, 40 l. Un charroi de bûches, 12 l. Pour formule, papier et chandelle, 5 l. Le total était de 349 l. 19 s., que les trois répartitions sur la Communauté et les reçus des apprentis, ainsi que quelques recettes, arrivaient à compenser.

A la Révolution, comme d'autres corporations, celle des Vergetiers-Brossiers-Raquetiers fut dissoute, ne laissant plus, au coin d'une rue, qu'un nom peu connu !

Georges DUBOSC.


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