DUBOSC, Georges (1854-1927) : Mélingue à Rouen (1925).
Saisie du texte : O. Bogros pour la collection électronique de la Médiathèque André Malraux de Lisieux (6.IX.2016) [Ce texte n'ayant pas fait l'objet d'une seconde lecture contient immanquablement des fautes non corrigées]. Adresse : Médiathèque intercommunale André Malraux, B.P. 27216, 14107 Lisieux cedex -Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01 Courriel : mediatheque-lisieux@agglo-lisieux.fr, [Olivier Bogros] obogros@agglo-lisieux.fr http://www.bmlisieux.com/ Diffusion libre et gratuite (freeware) Orthographe et graphie conservées. Première parution dans le Journal de Rouen du dimanche 5 juillet 1925. Texte établi sur l'exemplaire de la médiathèque (Bm Lx : norm 959-VIII) . Par ci, par là MÉLINGUE A ROUEN par Georges DUBOSC _____ Mélingue ! C'est d'Artagnan de la Jeunesse des Mousquetaires. C'est Buridan de la Tour de Nesle, c'est Lagardère du Bossu, c'est Chicot de la Dame de Montsoreau ! Mélingue, c'est le comédien-sculpteur de Benvenuto Cellini et de Fanfan-la-Tulipe ; c'est Lazare le pâtre et le Sonneur de Saint-Paul ! C'est l'acteur superbe, ardent, enflammé de jeunesse et de mouvement, du drame romantique. C'est l'interprète rêvé d'Alexandre Dumas et de Paul Meurice. Mélingue revit en ce moment pour quelques instants. En effet, l'excellent comédien Jules Truffier, qui appartint longtemps à la Comédie-Française et au Conservatoire, vient de publier une fort alerte et amusante monographie de la carrière de Mélingue, qui contient maints détails inédits, même après la Vie d'artiste, si entraînante, si mouvementée où Alexandre Dumas avait conté les débuts de notre compatriote.
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* * ...Notre compatriote ? Parfaitement, parce que Etienne-Marin Mélingue est un très bon normand, né à Caen, rue du Port, le 16 avril 1807. Alexandre Dumas a tracé le portrait de son vieux père, ancien soldat de Napoléon, devenu douanier ; l'apprentissage du gamin normand comme menuisier ébéniste ornemaniste ; ses débuts chez des saltimbanques de passage et la volée de bois vert du papa, ferme sur les principes. En tableaux alertes, Dumas a rappelé aussi que Mélingue, débarqué de sa province à Paris, sculpta plusieurs chapiteaux de l'église de la Madeleine, en même temps qu'il se mettait à jouer la comédie dans la troupe ambulante du fameux Dumanoir, fondue avec celle de Bertrand, qui déployaient, comme dit Figaro, « plus de science et de calcul pour subsister seulement qu'on en a mis depuis cent ans » pour gouverner les Espagnes . Voilà maintenant Mélingue, toujours aventureux, engagé dans une troupe Victor Marest qui donne des représentations aux Antilles. Mais le directeur tombe en déconfiture et Mélingue en est réduit à s'improviser peintre en miniature, faisant scier des billes de billard pour employer l'ivoire ou peignant des portraits sur une peau de tambour. Comment se fait-il qu'a la Martinique notre jeune comédien, peintre sculpteur, fît la connaissance d'un Rouennais qui lui conseilla de contracter un engagement avec le directeur de Rouen qui était son ami intime? La proposition fut agréée et, quinze jours après, Mélingue, débarqué de l'Ursin au Havre, allait se présenter en 1832 à Louis Walter, qui dirigeait fort brillamment le Théâtre-des-Arts à Rouen, et s'engagea sous son véritable nom.
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* * Alexandre Dumas, dans sa Vie d'artiste, à évidemment légèrement corsé tous les incidents du séjour de Mélingue à Rouen, et Jules Truffier, dans son joli volume, l'a un peu suivi de trop près... mais Dumas est si amusant ! Par exemple, d'après lui, Mélingue aurait été engagé à Rouen sous un banal pseudonyme et ce serait le fameux directeur Haret, qui aurait changé son nom de M. Gustave en celui de Mélingue, le jour où il débutait à l'Odéon dans Buridan de la Tour de Nesle. C'est absolument inexact. Quand le jeune comédien fut engagé au Théâtre-des-Arts, pendant l'année 1832-1833, par le directeur Louis Walter, il portait bien déjà son nom de Mélingue, souvent orthographié par deux L : Mellingue. Il figure au tableau de troupe avec l'emploi de « grande utilité » et avec des appointements, qui n'étaient pas aussi modiques qu'on a bien voulu le dire, puisqu'ils s'élevaient à 2,300 fr. Il faisait partie de la troupe avec le grand premier rôle Alexandre, avec la charmante jeune première Nadèje-Fusil, l' «Orpheline de Vilna » qui avait été recueillie, pendant la retraite de Russie, par l'excellente comédienne Louise Fusil ; avec Mme Duversin, la « mère noble » qui devait mourir cette année même, ce qui valut au Journal de Rouen un émouvant récit des obsèques par la tendre Marceline Desbordes-Valmore. Mélingue figure encore au tableau de troupe de la direction Louis Walter, comme « second financier », toujours sous son nom, n'en déplaise à Alexandre Dumas, pendant l'année 1833-1834. Le début Mélingue à Rouen fut sensationnel, écrit Jules Truffier, car l'impresario voulut le présenter au publie rouennais si difficile avec... un éléphant supérieurement dressé, arrivant du Havre et que l'on annonçait à grand renfort de réclame, C'était, l'éléphant Kiouni, éléphant savant, rival redouté de tous les artistes en représentation. Dans ses Mémoires, le beau jeune premier Laferrière, a raconté que Mlle Mars, en représentation au théâtre de Dijon, de dépit lors de l'arrivée de l'ineffable Kiouni, avait abandonné la ville, après avoir joué une dernière fois le Mariage de Figaro... C'était ce Kiouni qui débuta à Rouen, avec Mélingue, dans une sorte d'à-propos ou de mimodrame, qu'on a attribué à Latoue et à Franconi et qui, en réalité, était d'Emile Vanderbuch et s'appelait L'Eléphant du roi de Siam et le Page. On ne savait lequel des deux protagonistes on devait le plus admirer, Mélingue ou Kiouni, distribuant des fleurs aux dames, portant une lettre, rendant hommage aux mânes du défunt souverain, protégeant l'héritier légitime contre les entreprises du fils de l'usurpateur, le délivrant de la prison où il était enfermé, puis le couronnant. La scène du repas de sa Seigneurie et le pas qu'elle dansait, excitait plus l'admiration des amateurs que les répliques de Mélingue, débutant au Théâtre-des-Arts, en ce mois d'octobre 1832. Les représentations de Kiouni ne durèrent pas très longtemps et au bout de six soirées, Kiouni passa au Théâtre Français où très probablement Mélingue passé cornac, le suivit. De nombreuses représentations... plus dramatiques que celles où Mélingue avait débuté, se suivaient au Théâtre-des-Arts. Le tragédien Ligier y venait interpréter Cinna, en l'honneur de la fête de Pierre Corneille, « la Saint-Pierre », le 29 juin 1832. Il jouait encore Othello, Marino Faliero de Casimir Delavigne, Scylla. Se succédaient ensuite, des représentations de Déjazet, dans Le Tailleur et la Fée et dans Vert-Vert ; de Bocage, le célèbre comédien rouennais, ancien ouvrier indienneur, qui vint faire applaudir le drame romantique Antony, fort mal accueilli à sa première représentation à Rouen et La Tour de Nesle, où Mélingue interpréta fort pittoresquement Landry « tavernier du diable », dans sa grande scène avec Buridan que jouait Bocage. Il dut paraître encore dans de petits rôles, dans le Louis XI de Casimir Delavigne, que Valmore, le mari de Marceline Desbordes, créa à Rouen, cette année même ; dans la Clotilde de Frédéric Soulié, et dans le célèbre mélodrame de Victor Ducange : Il y a seize ans ou les Incendiaires de la Normandie, dont il existe un compte rendu en vers dans le Mémorial de Rouen, sous forme d'une très amusante complainte signée par Louis Veuillot, qui débutait alors dans la presse provinciale. Mais toute cette fin de l'année théâtrale, se terminait par le triomphe fantastique, dont on ne peut se faire une idée, de Paganini et de son violon. On alla même à Rouen jusqu'à frapper des médailles en or, pour célébrer sa gloire !!
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* * Réengagé par Walter pour l'année 1833-1834 comme « second financier », Mélingue, toujours sous ce nom, se fit surtout connaître comme statuaire et sculpteur. On souscrivait alors pour la future statue de Pierre Corneille, qui, sur l'initiative de la Société d'Emulation devait être demandée à David d'Angers, pour se dresser sur le Pont de Pierre. C'était une question d'actualité et, le directeur Walter, bien avisé, demanda à Mélingue, pour la célébration de l'anniversaire du poète du Cid, une statue monumentale. Alexandre Dumas dans une Vie d'artiste a conté la chose, non sans exagérations. Mélingue demeurait dans une vieille maison en bois et la confection de la statue présenta quelques difficultés. Il fallut maints tombereaux de glaise et au vingtième, la maison craqua. En plus, il n'y avait guère de place dans l'atelier improvisé du comédien-sculpteur et pour travailler à la partie basse, Mélingue était obligé de se mettre à plat ventre. Enfin, la statue se trouva terminée, moulée en plâtre et dressée sur la scène du Théâtre-des-Arts, où elle fut reçue par des applaudissements, non pas le 6 juillet, mais le 29 juin 1833, lors de la traditionnelle « Saint-Pierre ». Détail amusant : les strophes en l'honneur de l'auteur du Cid, dites devant la statue de Mélingue, par le comédien Charles, avaient été écrites par le ténor d'opéra de la troupe : Adolphe Dumas, qui après une carrière brillante, se retira à Rouen. Alexandre Dumas a raconté qu'après cette représentation, la statue de Pierre Corneille fut transportée à l'Hôtel-de-Ville où tout Rouen défila... En réalité, cette année-là, vit s'ouvrir dans les galeries du Musée, le 2 juillet 1833, la première exposition municipale, et Mélingue y exposa la maquette de sa statue de Pierre Corneille et cinq autres petits ouvrages. Cette petite statue en bronze de P. Corneille, en pied, haute de 45 cm. est bien connue car il l'offrit en 1843 au comité du Théâtre-Français, et elle figure en plâtre au Musée de Caen, offerte en 1906 par Gaston Mélingue. C'était une œuvre improvisée et rapide, que le critique du Journal de Rouen signale ainsi : « Mélingue, dit-il, a rajeuni le type convenu de Corneille. Il a écrit au pied de la statuette : Epreuve non terminée. Qu'il se remette donc à l'ouvrage. Qu'il essaie de faire briller sur ce visage un éclair de génie afin qu'on n'ait plus besoin que le livret vous dise : Ceci est Corneille ». Que devint la grande statue improvisée par Mélingue pour la fête de Pierre Corneille au théâtre ? Alexandre Dumas rapporte qu'elle fut mise en loterie et fut gagnée par un tailleur-confectionneur de vêtements, qui la plaça à sa porte comme enseigne,Au grand Corneille, jusqu'au jour où, fort délabrée à cause des intempéries du ciel normand, elle dut disparaître. Par contre, figurait à cette première exposition des Artistes rouennais à l'Hôtel de Ville, une autre œuvre du comédien-sculpteur, qu'on garde au Musée de Rouen. C'est le profil charmant de la poétesse délicieuse que fut Marceline Desbordes-Valmore, très en faveur à Rouen, où elle avait jadis débuté comme actrice, vers 1804, et où son mari à cette époque était « grand premier rôle ». Hyacinthe Langlois avait également exposé à ce premier Salon de 1833, un profil à la mine de plomb de Marceline, qu'elle-même a signalé dans son volume, Les Pleurs, d'une façon émouvante. Mélingue à cette époque exécuta aussi les médaillons de Mme Dorval et de Frédéric Lemaître. Pendant cette seconde année de la direction Walter, à Rouen, Mélingue assista aux représentations du prestidigitateur Bosco ; à celles de Virginie Déjazet, qui apparut en travesti dans Bonaparte à Brienne ; à celles de Frédéric Lemaitre, le grand acteur havrais, qui vint jouer à Rouen, en novembre 1833, Richard Darlington, Othello, la Tour de Nesle et l'Auberge des Adrets, où André Hoffmann lui donnait la réplique avec fantaisie dans le rôle de Bertrand.
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* * Pendant tout ce séjour à Rouen, Mélingue n'interpréta point des rôles de premier plan, mais il ne s'en fit pas moins remarquer par sa superbe prestance, par son allure brillante et dégagée, et surtout par le goût pittoresque et artistique de ses costumes, qu'il composait et exécutait lui-même avec les étoffes les plus vulgaires, auxquelles il donnait un caractère extraordinaire. On le remarqua particulièrement dans Gustave III qu'on joua le 25 janvier 1834 et dans Henri III et sa cour, joué aussi au début de la même année. La vogue était alors aux bals masqués, comme elle l'est actuellement aux dancings. Toutes les associations donnaient alors des bals de société, qui généralement se déroulaient au Théâtre-des-Arts. Il y eut ainsi, un Bal d'artistes, organisé par souscription, mais auquel ne pouvaient prendre part que les artistes peintres, musiciens, comédiens. Dans le comité se trouvaient les peintres Gustave Morin, qui fut, conservateur du Musée de peinture, Victor Delamarre, qui a laissé de si beaux dessins au crayon, le portraitiste de Malécy, le compositeur musical Amédée Mereaux, L. Walter, directeur du Théâtre-des-Arts et le comédien Borssat, qui s'était fait connaître comme littérateur. Ce bal avait été organisé par la romantique Revue de Rouen. Il n'est donc pas étonnant d'y trouver une sorte d'eau-forte romantique de Gustave Morin — que Truffier vraisemblablement n'a pas connue — qui représente Mélingue jeune, svelte, la figure maigre et caractérisée, portant une longue houppelande moyenâgeuse, en damas ramagé garnie de fourrures, d'une couleur extraordinairement romantique. Elle se trouve dans la quatrième livraison du Tome III de la Revue de Rouen, qui se montra toujours fort louangeuse pour le comédien-sculpteur qu'elle avait su distinguer. Dans sa chronique théâtrale du 4e fascicule T. III, page 262, elle s'exprime ainsi : « MM. Ernest., Bougnol et Mellingue vont nous quitter. M. Mellingue n'a eu aucune occasion de faire connaître ce qu'il était capable de faire ; il a toujours été chargé de bouts de rôles insignifiants. Cependant ceux qui ont vu M. Mellingue dans Clotilde et dans Henri III ont reconnu en lui de très bonnes dispositions, et il a toujours fait preuve dans ses costumes et dans sa manière de se grimer d'un goût artistique qui nous fait présager qu'il fera quelque chose. Quoi qu'il en soit, Mellingue, comme sculpteur et comme peintre, laisse à Rouen les plus honorables souvenirs ». C'est à ce moment que Mme, Dorval, qui s'était passionnée pour ce beau comédien rouennais, qui lui avait si intelligemment donné la réplique, le recommanda à Alexandre Dumas, qui devait faire entrer Mélingue à l'Odéon et déterminer ainsi l'admirable carrière où il s'est illustré.
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* * Autre titre à la reconnaissance normande. C'est Mélingue qui découvrit Veules sur notre côte normande, Veules-les-Roses qu'il mit à la mode... avec une collaboratrice. En effet, une actrice charmante de la Comédie Française, dont la beauté blonde et frêle, faisait merveille dans Chérubin, prise un beau jour de caprice, sans prévenir aucun de ses amis, se jeta dans une chaise de poste et cria au postillon : « Allez toujours.droit devant vous, vers l'Ouest au hasard, jusqu'à la mer » Lorsque la chaise s'arrêta le lendemain, on était dans le pays de Caux, dans un vallon charmant où sous des ombrages frais coulait, une rivière claire. C'était Veules, que Mlle Anaïs trouva un endroit délicieux. Elle le vanta à son camarade Mélingue. Grand amant de la nature pittoresque il profita des trois jours de la Semaine sainte, les seuls chômés au théâtre, pour pousser jusqu'à Veules. « Pour quelques centaines de francs, a écrit Bergerat qui fut longtemps un quasi-Veulais, Mélingue acquit deux ou trois cents mètres de terrain sur le rivage même, protégé par des roches, et y fit construire une maison de style romantique. Longtemps les deux fils de l'artiste dont Mélingue dirigeait les études purent jouer à saute-mouton sur la grève déserte, sans autres témoins que les mouettes et les corneilles de mer. » Debout derrière le petit mur de sa villa, le comédien-statuaire, la chemise ouverte, le chef couvert d'un bonnet napolitain surveillait ses gas, tout en modelant à la cire quelque statuette. Cette planchette à modeler qui ne quittait jamais Mélingue, cette tenue bizarre, certain tic du visage qui lui prêtait un rictus diabolique, avaient fait à l'artiste une réputation de sorcier et de « jeteux de sorts ». Il voyait même le moment où on ne voudrait pas lui vendre un coin de terre à Veules ou aux environs ! Aussi persuasif que la blonde Miels. Mélingue qui passait tous les étés à pêcher sur la grève avec ses deux fils, convia tous ses amis à s'installer à Veules. Paul Meurice dont Mélingue avait joué — et avec quel brio — Benvenuto et Fanfan-la-Tulipe arriva vers 1873 par la diligence de Motteville ou de Dieppe. Mélingue l'attendait à l'orée de l'avenue d'arbres qui suit le cours de la Veules, où Truffier, son biographe d'aujourd'hui, a longtemps habité lui-même La Chaumière, le pavillon du XVIIIe siècle découvert par Lavedan. Mais Mélingue avait un autre projet, et au débotté, il conduisit son ami jusqu'à la ruine d'une poudrière bâtie par l'Etat, au temps des Anglais sur une sorte de demi-lune, formée par les hautes roches escarpées et dont les phares de Saint-Valery et d'Ailly marquaient les extrémités. Meurice s'écria tout de suite : « Est-ce que la poudrière est à vendre ?» « - Oui, répondit Mélingue, l'Etat s'est déterminé à s'en défaire ; l’adjudication a lieu dans quelques jours. Ce sera bon marché. Me donnez-vous pleins pouvoirs ? ». Paul Meurice acquiesce et bientôt devint propriétaire de ce terrain, dernièrement si ravagé par la tempête, moyennant trois cents francs. « Le domaine s'est étendu, depuis, écrit Jules Truffier, et compose à l'heure actuelle, l'un des plus beaux sites de toute la côte valériquaise. Les arbres et les plantations d'essences les plus rares ont poussé là par la tenacité, la science et les sacrifices du poète-propriétaire. Bien d'autres artistes, entraînés par Mélingue, devaient faire la réputation de Veules : Leroux, de la Comédie-Française ; Eugène Pierron, l'auteur de Livre III, chapitre 1er; Gabriel Marty, le père du savant éditeur Marty-Laveaux. Des poètes, des romanciers augmentèrent encore le nombre des colons : Dumas fils, Lockroy, J.-M. de Heredia, Manuel, Cadol, Henri Rochefort, Lepelletier de Bouhélier, Alexis Bouvier, puis enfin Michelet et Victor Hugo. » Connaît-on ce joli passage d'une lettre de Michelet à Mme Paul Meurice. Nulle plume n'a mieux décrit la grâce de Veules ?
« Ce qui tous les avait charmés c'est le passage incessant du joli au
majestueux, le mélange de grâce et de grandeur, ce que l'Océan a de
plus âpre, côte à côte avec ce que la Normandie a de plus frais. Je
suis donc fanatique de Veules... L'originalité, c'est le parti pris
d'ignorer absolument la mer, de ne pas vouloir la voir.
La charmante petite rivière est l'âme pure, rapide, fourmillante de la contrée. Tout est verdure et culture, moulins, cressonnières. Cette eau gentille se dépêche, sans savoir où elle va. Et tout à coup la voilà en face d'un infini imprévu, noyée dans la grande eau amère. L'une et l'autre donnent un sentiment admirable de la salubrité. Que Meurice a donc prouvé qu'il est un véritable artiste de sens empli en se nichant là. Mais la foule y gâterait tout. Il vaut mieux n'en pas parler. Gardons le secret entre nous ! » Victor Hugo, dans cette maison de Paul Meurice, vint faire aussi quelques séjours à Veules-les-Roses. Il y offrait généralement, un grand banquet, qu'il présidait, aux enfants du pays, joyeusement réunis autour de lui. Ce dîner des enfants pauvres était une tradition que Mme Victor Hugo, sa fille Adèle Hugo, et sa sœur Mme Paul Chenay, avaient introduite à Guernesey pendant l'exil. Bien d'autres villégiaturistes ont encore passé par Veules et ce sont promenés le long de sa petite rivière et des cressonnières. N'empêche qu'ils doivent être reconnaissant à Mélingue, au comédien-sculpteur, qui, dès son enfance et sa jeunesse, avait aimé la mer et avait pratiqué la vie du marin, d'avoir découvert ce coin de la côte normande. C'est un titre de gloire qui s'ajoute à toutes ses couronnes dramatiques. Georges DUBOSC. |