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On ne sait pas assez combien de prédispositions funestes résultent de
la vicieuse application de nos vêtements. Les instructions de l'hygiène
à cet égard ne peuvent être trop multipliées ni trop répandues.
Toutes les parties du corps ont payé un fâcheux tribut aux règles trop
souvent arbitraires de la toilette. On s'est déformé le pied avec des
chaussures trop étroites ; on a affaibli la station, déterminé
l'engorgement de l'articulation inférieure de la jambe, au moyen de
hauts talons ajoutés aux chaussures pour faire paraître plus
avantageusement le pied ou la taille. Les jambes, à diverses hauteurs,
ont subi de dangereuses violences, exercées tantôt avec des jarretières
trop serrées, tantôt avec des culottes de peau collantes. Diverses
espèces de ceintures, arrêtées avec des boucles, et tenant ou non aux
culottes, ont fait bien du mal chez les hommes à différents organes de
la poitrine et du bas-ventre.
Mais ces inconvénients ne sont rien à côté de ce que l'on peut
reprocher aux corsets trop serrés des femmes ; et surtout à ceux qui,
garnis de nombreux morceaux de baleine, étaient appelés corps à
baleine. L’avortement, des maladies du foie, du cœur, de l’estomac,
étaient, avec la perte de toute espèce de liberté dans les mouvements,
les conséquences ordinaires de cet abus heureusement devenu très-rare.
Des cravattes trop serrées ont souvent déterminé des coups de sang. On
en a vu de nombreux exemples chez des soldats auxquels la consigne
prescrivait de serrer leurs cols, dans le but de faire rougir et
gonfler la face, et de leur procurer ainsi une bonne mine qu'ils ne
pouvaient attendre d'un régime alimentaire trop peu réparateur. Mais la
plupart de ces abus sont aujourd'hui corrigés.
Il en est un autre beaucoup plus grave, sur lequel je désire
spécialement fixer l'attention publique. Ce dernier est encore dans
toute sa vigueur, et résulte de la mauvaise manière de fixer les
différentes pièces de coiffure des nouveau-nés et des enfants en bas
âge. Dans la manière ordinaire de coiffer les enfants, c'est sur la
circonférence du crâne que l'on prend un point d'appui. Voici quel en
est le mécanisme.
Un morceau de toile triangulaire, aux deux angles postérieurs duquel se
trouvent ajoutés de longs rubans, est serré tout autour du crâne, assez
fortement pour que les bonnets qu'on met ensuite se trouvent aisément
arrêtés sur la première pièce de coiffure appelée
bandeau. Le bandeau
est placé de manière à presser le haut du front, les régions latérales
de la tête à la hauteur du sommet des oreilles, et le bas de l'occiput.
La constriction qu'il exerce est d'autant plus forte, qu'à l'effort
produit par la toile fortement serrée, s'ajoute encore l'effort plus
pénétrant des cordons qui font en-dessus de cette toile deux ou trois
tours.
L'usage du bandeau commence aussitôt que l'enfant est né : c'est le
premier vêtement qu'on applique sur sa tête. Or, à cette époque de la
vie, et plusieurs mois plus tard, le crâne est un assemblage de
membranes aussi molles que du parchemin mouillé, et d'os dont la
consistance, loin d'être celle d'os faits, se rapproche au contraire de
l'élasticité des cartilages les plus minces. Les parties membraneuses
sont à chaque instant soulevées par les mouvements des vaisseaux ;
elles ne sont habituellement soutenues que par le cerveau qu'elles
recouvrent. C'est encore cet organe, activement dilaté par le sang dont
il est pénétré, qui maintient les os dans leur écartement. Comment un
pareil assemblage pourrait-il, sans en souffrir, prêter un point
d'appui fixe à une coiffure serrée sur son contour, et particulièrement
sur ses parties les plus flexibles ?
Le crâne ne fournit cet appui si inconsidérément demandé, qu'en se
déformant dans une proportion correspondante à la force qui l'étreint.
Il en résulte que, chez le plus grand nombre des enfants soumis à
l'usage du bandeau, l'impression de ce moyen est reconnaissable à la
déformation du crâne ; et cette déformation, par l'aspect qu'elle donne
à la boîte osseuse, rappelle aisément la violence à laquelle elle est
due. Voici quels en sont les principaux caractères. Le crâne rétréci se
prolonge en arrière, et présente souvent une dépression circulaire sur
le trajet qu'occupait le bandeau ; en même temps la conque de l'oreille
se trouve atrophiée dans son sommet, qui participait à la compression
exercée sur le contour du crâne.
Des deux figures ci-jointes, l'une montre la forme naturelle d'un crâne
développé à l'abri de toute violence, tandis que la seconde présente un
exemple très-prononcé de la déformation occasionnée par l'usage du
bandeau.
Malheureusement les effets de la compression du bandeau ne se bornent
pas à un changement dans la forme de la boîte osseuse ; mais les
enfants qui l'ont subie sont exposés à devenir épileptiques,
imbécilles, ou au moins très-faibles d’intelligence. Ils sont
très-sujets aux inflammations vulgairement appelées fièvres cérébrales
; et, quand ils sont atteints de ces maladies toujours graves, la
guérison est encore plus difficile que chez les enfants qui, avec une
phlegmasie du même siège et du même degré, n'ont pas de déformation
crânienne. Enfin, quand les sujets à tête déformée par le bandeau
traversent l'enfance sans éprouver aucun de ces tristes effets, ils
sont très-exposés, devenus adultes, à être atteints d'aliénation
mentale.
Il serait d'un grand' intérêt de pouvoir déterminer combien, dans
l'enfance, d'épilepsies, d'imbécillités, de fièvres cérébrales
mortelles, succèdent à l'action de la cause que je signale.
Malheureusement les relevés manquent pour établir cette proportion. Je
suis plus avancé pour déterminer combien de déformations du crâne,
produites par l'action du bandeau, se rencontrent sur un nombre donné
d'aliénés dans l'asile départemental de la Seine-Inférieure. Le nombre
des aliénés de cet établissement était, dans le courant du mois d'août
183', de 431, dont 202 hommes et 229 femmes. Sur le nombre total
existaient 247 têtes déformées par le bandeau, 93 parmi les hommes et
154 parmi les femmes. Ainsi, l'a proportion des déformations
crâniennes, sur la population totale de l'asile, était supérieure à la
moitié ; chez les hommes elle ne s'élevait pas à la moitié de leur
nombre, et chez les femmes elle surpassait les deux tiers. En d'autres
termes, sur le total, sans distinction des sexes, le nombre des
déformations du crâne était de 57 pour 100 : Chez les hommes, de 46 pour 100 ; Chez les femmes, de 67 pour 100.
Ces chiffres en disent assez pour faire apprécier quels sont, chez les
adultes, les dangers de la déformation du crâne ; et pour conjecturer
quel mal plus grand cette cause produit dans l'enfance, époque de la
vie eu les affections du cerveau sont les plus fréquentes et les plus
meurtrières. Tous ces effets d'une pratique vicieuse, suivie parce
qu'en général on en ignore les dangers, seraient prévenus sans doute,
si l'on savait quel mal entraîne son usage. Il faut donc s'efforcer de
populariser la connaissance de ce mal. Ce ne serait pas assez
toutefois, si l'on, n'indiquait en même temps le remède.
D'après ce que nous avons, dit de la structure du crâne, il est
manifeste que, pour éviter toute lésion de l'organe qu'il renferme, on
ne saurait trop attentivement le soustraire à toute cause de
compression habituelle et même passagère. Loin donc de l'étrangler
circulairement, comme on le fait avec le bandeau, on doit se borner à
l'usage de bonnets d'une ampleur convenable, offrant de chaque côté, au
devant des oreilles, des prolongements ou des rubans attachés d'une
manière assez lâche sous le menton, et munis en arrière d'une petite
fente dont on rapproche doucement les deux bords pour appliquer sans
efforts la circonférence du bonnet sur celle du crâne. Voilà pour la
tête. Ce seul changement, substitué à l'usage du bandeau, prévient de
la manière la plus sûre les déformations du crâne, et les maladies qui
en sont la suite.
Ce n'est pas là le seul changement à introduire dans les soins qu'on
donne aux enfants : il en est d'autres encore d'une importance assez
grande pour que j'en doive dire ici quelques mots. Le plus souvent la
tête des enfants est le siège d'une incroyable malpropreté. On respecte
chez ces petits êtres la crasse dont plus tard on débarrasse avec soin
la tête ; et on décore du nom de chapelet les couches de cette crasse,
amassées en écailles dans les cheveux, sur le front, et jusque dans les
sourcils. Il n'y a que des inconvénients à attendre de cette
malpropreté ; et les peuples qui, sachant mieux que nous diriger
l'éducation physique de leurs enfans, les soumettent de bonne heure à
l'usage quotidien du peigne et de la brosse, ont des enfants plus
propres, plus frais, plus sains que les nôtres. Il faut donc faire
comme eux ; et déjà trop d'exemples dans nos grandes villes parlent en
faveur de cette pratique, pour qu'on doive craindre, en la suivant, de
tenter une expérience téméraire.
Ainsi, tous les jours, à partir du moment de la naissance, il faut
enlever, par le moyen du peigne et de la brosse, la crasse qui, faute
de pareils soins, s'amasse en couches épaisses sur la tête des jeunes
enfants, favorise la formation des poux, la suppuration du cuir
chevelu, et par suite l'engorgement des glandes du cou, et cause
d'ailleurs une irritation perpétuelle, d'autant plus nuisible que ces
petits êtres sont doués d'une extrême sensibilité. Qu'avec ces soins
pour la tête, on évite toute constriction autour du corps ; qu'on
substitue des rubans cousus aux épingles pour fixer les langes, et
qu'enfin on lave tous les jours à l'eau froide le corps des enfants :
et on les verra croître florissants de vigueur, de fraîcheur, et de
santé. Ce dernier conseil, l'usage de l'eau froide, a été souvent mal
appliqué ; et ces applications maladroites ont fait beaucoup
d'adversaires à un moyen qui, sagement administré, convient à toutes
les constitutions d'enfants, et surtout aux plus délicates.
Ceux qui veulent que le corps entier de l'enfant soit plongé dans un
bain froid, préconisent une pratique dangereuse. Il n'est même pas
convenable de laver tout d'un coup le corps entier, au moyen d'une
éponge imbibée d'eau froide. Mais, si l'on se borne à laver, l'une
après l'autre, toutes les parties du corps ; si l'on ne passe de la
face au cou, qu'après avoir soigneusement essuyé la face ; si l'on ne
passe du cou à un bras et à un côté de la poitrine, qu'après avoir
complètement séché le cou, l'avoir frictionné même assez pour qu'il en
rougisse ; si l'on ne passe d'un bras à celui du côté opposé, qu'agrès
avoir essuyé, séché, revêtu le premier lavé, et qu'on procède avec les
mêmes précautions pour toutes les parties du corps : on ne tirera que
des avantages de l'eau froide. Les enfants élevés de cette manière ne
s'enrhument presque jamais ; et, dans les saisons les plus froides,
l'eau froide dont on les lave ne leur cause pas la moindre impression
pénible.
L'éducation, physique des enfants commanderait bien d'autres détails ;
mais je dois me borner à ces indications sommaires. Je n'aurai pas
perdu mon temps si elles peuvent faire comprendre les dangers du
bandeau, et les avantages de soins de propreté bien entendus.
FOVILLE, D. M.