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F. Rever : Voyage des Élèves du Pensionnat de l'École Centrale de l'Eure, dans la partie occidentale du Département, pendant les vacances de l'an huit (1802)
[REVER, François (1752-1828)] Voyage des Élèves du Pensionnat de l'École Centrale de l'Eure, dans la partie occidentale du Département, pendant les vacances de l'an huit avec des Observations, des Notes et plusieurs Gravures relatives à l'Histoire Naturelle, l'Agriculture, les Arts, etc.- Evreux : J.J.L. Ancelle, An X [1802].- 179 p-7 f. de pl. depl. ; 21,5 cm.
Saisie du texte : O. Bogros pour la collection électronique de la Médiathèque André Malraux de Lisieux (07.IV.2015)
Relecture : A. Guézou.
Adresse : Médiathèque intercommunale André Malraux, B.P. 27216, 14107 Lisieux cedex
-Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01
Courriel : mediatheque@lintercom.fr, [Olivier Bogros] obogros@lintercom.fr
http://www.bmlisieux.com/

Diffusion libre et gratuite (freeware)

Orthographe et graphie conservées.
Texte établi sur l'exemplaire de la Médiathèque (Bm Lx : Norm 1678)



[Page de titre] Voyage des Élèves du Pensionnat de l'École Centrale de l'Eure, dans la partie occidentale du Département, pendant les vacances de l'an huit

VOYAGE

Des Elèves du Pensionnat de l’Ecole
Centrale de l’Eure, dans la partie
Occidentale du Département,

Pendant les vacances de l’an huit.

Avec des Observations, des Notes et plusieurs Gravures
Relatives à l’Histoire Naturelle, l’Agriculture, lesArts, etc.

__________________________________________

» Qu’on lui mette en fantaisie une honneste curiosité
» de s’enquérir de toutes choses : tout ce qu’il y aura de
» de singulier il le verra : un bâtiment, une fontaine,
» un homme, le lieu d’une bataille ancienne, le passage
» de César ou de Charlemaigne….. La solitude, la
» compagnie, le matin et le vespre, toutes heures
  » lui seront unes, toutes places lui seront d’étude.

Essais de Montaigne, liv. 1. Chap. 25 de
l’institution des enfants. Edit. de Paris an VI.
__________________________________________


[Frontispice] Voyage des Élèves du Pensionnat de l'École Centrale de l'Eure, dans la partie occidentale du Département, pendant les vacances de l'an huit


Rapport des Membres du Conseil d’instruction
de l’Ecole Centrale de
l’Eure, qui ont dirigé le voyage et les
observations des Elèves pendant les
vacances de l’an 8, au Conseil assemblé.

_____

CITOYENS, nous mettons sous vos yeux le recueil des observations que les Elèves du Pensionnat de l’Ecole centrale de l’Eure ont faites avec nous pendant les vacances de l’an 8. Vous y trouverez le tableau de tout ce qui a fixé notre attention : les sites qu’on a vus ; les manufactures qu’on a visitées ; les objets d’histoire naturelle ou d’antiquité qu’on a décrits ; les traits historiques qu’on a pu recueillir : vous y trouverez de même l’exposé fidèle des difficultés qu’on a rencontrées ; des doutes qu’elles ont fait naître, ou des conjectures qu’elles ont suggérées : enfin toutes les recherches auxquelles on s’est livré…. Nous n’ajoutons pas les découvertes qui en ont été le fruit ! Pouvait-on espérer d’en faire de bien importantes en visitant un pays généralement connu, dans le peu de tems qu’on a pu mettre à le parcourir ?

Ce tableau eût peut-être été plus intéressant, si les matériaux qu’il contient eussent été classés dans un ordre méthodique et régulier : mais on ne s’était pas proposé de faire un ouvrage ; on n’avait d’autre intention que de former un seul recueil des notes de tous les voyageurs, et l’on s’est contenté de les réunir dans l’ordre même des courses journalières où les observations ont été faites.

Néanmoins nous pensons que la publicité de ce recueil pourra devenir avantageuse, non-seulement à nos jeunes observateurs, mais encore à tous les Elèves de l’Ecole centrale ; ce sera le moyen de les faire participer aux mêmes recherches et de leur offrir des indications et des exemples propres à leur inspirer le goût de l’observation.

Il est dans doute inutile de vous prévenir que parmi les citations et les développemens qui pourront être inscrits au bas des pages, ou renvoyés à la fin du journal, plusieurs articles n’ont pu être terminés tandis que nous étions en course. Vous savez que la petite bibliothèque ambulante de l’expédition était principalement formée de livres élémentaires : ainsi nous n’avons pu consulter, qu’à notre retour, des ouvrages plus étendus, ou ceux dont les rapports avec nos observations étaient moins directs.
_______

LE Conseil d’instruction publique, vû le rapport qui lui a été fait sur le voyage et les observations des Elèves du Pensionnat de l’Ecole centrale de l’Eure, pendant les vacances de l’an 8, convaincu que la publicité de ces observations peut être utile à tous les Elèves de l’Ecole, approuve, conformément au Règlement du Pensionnat, que les détails du voyage des vacances de l’an 8 soient rendus publics par la voie de l’impression.
                       
Les Membres du Conseil
d’Instruction publique,
Signé, &c.


==============================================

LES ÉLÈVES
A LEURS PARENS.
__________

O vous qui avez prodigué les plus tendres soins à notre première enfance : vous dont les sacrifices continuels sont la preuve d’une affection sans bornes : vous enfin qui faites dépendre votre bonheur de nos progrès dans les sciences et dans la vertu : Recevez les premiers fruits de nos études et de notre application !

A qui pourrions nous les offrir qui méritât plus notre reconnaissance et nos respects ?

De qui pourrions nous espérer qu’ils fussent reçus avec plus d’indulgence et de bonté. ?

______________________________________________

Extrait du Règlement du Pensionnat, pour
le temps des vacances.
________


PENDANT les vacances les élèves du pensionnat de l’Ecole centrale, qui ont remporté des prix, parcourent les endroits du Département, les plus intéressans par leur situation, par l’antiquité des monuments qu’ils renferment, par les manufactures qui s’y trouvent et par le genre de culture dont on s’occupe en ces endroits. Ils dessinent ce dont il leur parait important de conserver les traits ; ils décrivent ce qu’il est utile de faire connaître. Ils recherchent les productions naturelles du sol, ils recueillent les plantes utiles ou rares, ils consignent avec soin tous les détails de leur voyage dans un journal, et ils en arrêtent en commun la rédaction. Au retour de leur expédition, ils déposent dans le Musæum de l’Ecole les fruits de leurs recherches avec leur journal, et le Conseil d’instruction arrête l’impression de ce qui lui paraît digne d’être rendu public.

Chaque année les instrumens propres aux observations qui devront être faites, seront portés avec les bagages de l’expédition.

Les élèves désigneront les officiers du voyage, selon le dégré d’instruction qu’ils leur reconnaîtront pour le genre de travail dont ils seront chargés.

Il y aura deux dessinateurs… deux naturalistes… deux historiographes…. deux phisiciens… deux mécaniciens, etc., etc. Les Professeurs qui pourront prendre part aux observations et au voyage, seront invités, etc….. Les Directeurs du pensionnat accompagneront toujours les élèves, etc.


*
*  *


VOYAGE

ET

OBSERVATIONS

Des Élèves du Pensionnat de l’École
centrale de l’Eure,

Pendant les Vacances de l’an 8. (1)

~ * ~

LE DÉPART.

NOUS partîmes d’Evreux le 15 fructidor an 8, au lever de l’aurore ; jamais elle n’avait annoncé un plus beau jour ; c’était le premier voyage des vacances ; il était projeté depuis long-temps, nous l’avions attendu avec impatience, les endroits que nous devions visiter nous inspiraient le plus grand intérêt ; et le jour du départ nous parut le plus brillant de l’année.

Déjà nous étions loin de la cité, les bagages et les instrumens d’observation suivaient les voyageurs, bientôt nous fûmes à la hauteur de Navarre, et dans un instant nous eûmes dépassé tous les bosquets dont la route est bordée (2).

Nous ne pouvions nous livrer encore à des observations suivies, ni à de longues recherches ; nous étions forcés de nous rendre au lieu désigné pour notre réunion, parce que plusieurs de nos camarades étaient partis pour s’y trouver en même-temps que nous, et que d’autres nous attendaient sur la route.

Il s’agissait d’ailleurs d’aller voir une des grandes marées de l’équinoxe, à l’embouchure de la Seine, et ce spectacle, qui ne pouvait être différé, nous forçait de remettre à notre retour les recherches qui nous auraient retenus trop long-temps ; ainsi pendant plusieurs lieues nos naturalistes n’observèrent, dans la campagne, qu’un petit nombre de plantes échappées au feu de l’été, le plus sec et le plus ardent qu’on eût vû.


LE DÉJEUNER.

La faim nous prit. Bientôt, sur le chemin,
S’offre à nos yeux enseigne, un peu menteuse,
D’un qui vantait son logis et son vin.
Au prime abord de la bande joyeuse
L’hôtesse parut radieuse :
Sur le profit la dame calculait.
C’était Perrette au pot-au-lait.
Bribes de pain, verres d’eau claire,
Notre déjeûner d’ordinaire,
Lui rapportèrent peu d’argent.
Comme elle en faisoit grise-mine,
Certain du petit régiment
Lui souhaita quelque berline,
De ceux qui ne savent marcher,
Sur lit mollet veulent coucher ;
Et, s’ils n’ont morceaux à leur guise,
Ne peuvent desserrer les dents ;
Ceux-là, dit-il, seraient de bonne prise.
Que je les plains, les pauvres gens !
Clos et serrés on les transporte
Dans une roulante prison :
L’ennui près d’eux se place et les escorte ;
Tandis qu’à pied, sur le tendre gazon,
Les ris, les jeux, nous prenant pour leurs frères ;
Voyagent avec nous, sous les mêmes bannières,
Sans effaroucher la raison (3)

LA FIN DU JOUR : LE COUCHER.

Ainsi lestés, nous partons, et nous marchons jusqu’à la fin du jour. Nous cueillîmes le mirtyle, l’aspérule et le lin multiflore que nous offraient des bois situés sur la route ; et la nuit approchant, il fallut songer à faire halte. Ce n’était pas le plus grand embarras du voyage : une tente assez bien close, mais qu’on dresse en plein air, et de la paille fraîche, au lieu de duvet, sont les préparatifs les plus importans qui nous occupent quand il fait beau (4).

Que sait-on ? Les sciences doivent peut être un jour pousser leurs conquêtes jusques chez les Tartares : on sera bien aise alors de pouvoir répandre nos itinéraires parmi eux, afin de les amener graduellement à l’étude sérieuse des lettres, par l’attrait des excursions et des caravanes.

Au surplus, nous nous reposâmes avec plaisir, nous soupâmes de grand appétit, et nous passâmes une des meilleures nuits dont le sommeil ait jamais récompensé les fatigues ou le travail de la veille.

LE LEVER DU SOLEIL : LA VALLÉE DE
RISLE : LA VILLE DE BRIÔNE : LE
MOULIN A FOULON.

Dès le point du jour, nous nous levâmes en célébrant le réveil de la nature, et bientôt après nous fûmes en chemin.

Les habitans de la campagne, encore plus vigilans que nous, s’arrêtaient sur la route pour nous voir défiler. On dormait alors dans les villes : la nuit, réfugiée dans les alcoves, y prolongeait son empire, tandis que le soleil sortant à moitié de l’horizon, faisait étinceler l’émeraude et le rubis dans la rosée.

Nous savions déjà qu’il fallait rapporter à la terre les grands mouvemens dont il n’a, dans le ciel, que l’apparence : son élévation progressive sur l’horizon nous excita naturellement à nous entretenir de cette belle théorie, qu’il étoit réservé à Copernic de dévoiler. Nous étions encore occupés des révolutions annuelles de la terre, de celle des autres planètes, des mouvemens plus étonnans des comètes, lorsque nous découvrîmes Briône, dans la riante vallée de la Risle. L’histoire de l’ancienne province de Normandie, fait mention du château qui dominait la ville. Guy de Bourgogne s’y réfugia vers le milieu du onzième siècle, après la victoire que Guillaume-le-Conquérant obtint sur les ennemis qu’il eût à combattre dans les commencemens de son règne (5).

Elle nous a de même transmis que cette ville fut prise, en 1123, par Henry fils de Guillaume, sur le comte Galeran, et qu’elle fut brûlée, excepté la tour dont il ne put se rendre maître. On voit encore sur la colline, à l’orient de Briône, des restes du château, dont les murs ont dix pieds d’épaisseur (3 mètres 348 millimètres) : ils sont bâtis en silex, et revêtus de pierres blanches, régulièrement taillées en parallelipipedes d’un pied de longueur. On pourrait s’étonner de la petite quantité de chaux qu’on a fait entrer dans cette construction : le mortier, composé en grande partie d’un sable très-fin, est sec et friable, et l’épaisseur des murs a servi à leur conservation beaucoup plus que le soin qu’on mit à les construire.

Le commerce qui se fait à Briône n’est pas étendu ; il n’y a point d’usines dans son voisinage, malgré les avantages de sa position, et nous n’avons vu de remarquable, qu’une foulerie qu’on trouve à quelque distance au-dessous de la ville.

L’emplacement en est extrêmement agréable : le travail de clayonage et de maçonnerie, qui forme les prises d’eau et le courant des moulins, est habilement masqué par la culture de deux isles plantées de peupliers, et la vue qui s’étend au loin dans ce riche vallon, trouve par-tout l’image la plus riante de l’aisance et de la fertilité.

Les procédés du foulon n’étant inconnus de personne, nous ne les décrirons pas ; mais ils étaient nouveaux pour nous, et nous ne vîmes point sans admiration, l’étonnant effet du pilon, dont les coups suffisent pour serrer le tissu des étoffes, et pour les rendre plus fortes et plus épaisses aux dépens de la longueur et du lé qu’elles avaient sur le métier du tisserand.

Cet effet de la pression nous fut développé avec autant de complaisance que de clarté, par un citoyen de Briône, qui voulut bien nous accompagner à la foulerie. Il joignit aux explications qu’il nous donna, des détails étendus sur les matières premières employées dans la fabrication des étoffes, sur les différentes espèces de laine, sur la filature, sur la tissure, sur les manipulations et les apprêts que reçoivent les draps en sortant des mains du foulon. Quelles furent les indications qui firent trouver les procédés de la foulerie, ou les heureux hazards qui en donnèrent les premières idées ? ce furent-là les réflexions qui nous occupèrent en reprenant notre route le long de la vallée. Mais bientôt nos regards furent attirés par les charmes du paysage ; ce n’était plus cet aspect triste et monotone que nous avait présenté, la veille, une plaine aride et jonchée des débris des végétaux ; c’était la nature vivante et parée des plus belles couleurs. On eût dit que toutes les plantes, ayant quitté le sol brûlé des campagnes, se fussent rassemblées sur les bords de la Risle pour recouvrer la fraîcheur et la vie. Nous contemplâmes avec plaisir les aigrettes longues et soyeuses de l’épilobe, les couleurs purpurines de la salicaire, les têtes verticales des cardiaires, les feuilles anguleuses des tussilages, les épics penchés des persicaires, les corymbes de l’eupatoire, les joncs épars et articulés, les potamogetons, les lys et la lentille d’eau. Les buissons eux-mêmes contribuoient à la beauté du spectacle : ils soutenaient en longues guirlandes les fleurs argentines de la clématite, dont la couleur blanche et luisante contrastait agréablement avec les fruits rouges du tamus et de la couleuvrée.

Tandis que les uns faisaient, en courant, leurs recherches de botanique, les autres, dans leur marche plus réglée, mais non moins attentive, contemplaient tout ce qui flattait la vue et pouvait exciter la curiosité.

Ce n’étaient pas seulement les beautés particulières de la vallée, ses sinuosités, son étendue et la longue chaîne de ses collines, c’étaient encore la forme variée de ses prairies, la division de ses champs, la richesse de ses plantations.

C’était l’industrie de l’habitant dans la formation de ses enclos, dans l’ordre de ses vergers, dans la structure de ses habitations, dans la belle tenue de ses haies, dans le choix et la culture de ses arbres.

L’ANCIENNE ABBAYE : LE CHATEAU
EN RUINES : LES PIGEONS.

Le temps s’écoulait ainsi sans ennui, la route même se faisait sans fatigue, lorsque le chemin qui tournait en montant, nous éloigna des bords de la Risle. Ce changement de direction, qui nous fit craindre un instant de perdre de vue une vallée délicieuse, produisit un effet contraire ; du point d’où nous la revîmes bientôt, ses contours ne parurent que plus agréables.

Nous laissâmes sur la droite, un établissement fameux, dont les toits élevés, et les constructions brillantes fixèrent un moment nos yeux : c’était l’ancienne abbaye du Bec, lieu célèbre, où des hommes recommandables par des vertus réelles, se retirèrent, il y a mille ans, pour se livrer, dans la retraite, à l’étude des connaissances de leur siècle !

Plusieurs d’entr’eux obtinrent l’estime et la vénération de leurs contemporains : pendant long-tems l’Angleterre et la France se disputèrent l’avantage de les posséder ; et parmi eux il en est encore dont la mémoire n’a point cessé d’être honorée. Mais les humbles cabanes qu’ils se firent au milieu des forêts, ont duré dix siècles, et les constructions superbes que leurs successeurs élevaient n’étaient pas même terminées, quand des orages politiques foudroyèrent un orgueil déplacé, en dispersant ces immenses richesses que le faste et l’ostentation détournaient de l’emploi qu’on eût toujours dû en faire (note I).

D’autres objets se découvrirent bientôt à nous sur la pointe de la colline ; nous apperçûmes les ruines de l’ancien château de Montfort, et le desir d’aller les reconnaître nous fit redoubler le pas. Nous apprîmes qu’on voyait encore, il y a quarante ans, au pied de cette colline, un couvent d’Annonciades ; dont l’église, quoique gothique, était admirable par l’élégance du dessin et par la hardiesse de sa construction (note II).

Rien ne pouvant nous en rappeler les formes, l’escalade du vieux château fut résolue, et dans un instant nous fûmes tous au pied de ses antiques murailles. Nous savions déjà qu’il n’y a point de château démoli, dans toute l’ancienne province, à qui la renommée ne fasse les honneurs de longs souterrains et de précipices dangereux. L’opinion du pays n’est point en défaut, de ce côté-là, sur la longueur du souterrain, qu’on dit avoir été creusé du haut de la montagne jusqu’au fond de la vallée, continué sous la rivière de Risle et prolongé fort loin en plusieurs branches. Cependant il est très-vrai qu’on n’en découvre aucun vestige, et que les décombres ont obstrué jusqu’à l’ouverture des puits qu’on creusait autrefois, dans ces châteaux, pour le service de la garnison.

Nous fûmes donc bientôt rassurés contre le danger des mauvais pas, et nous tournâmes les fossés qui sont encore très profonds, pour trouver l’accès de cette ancienne forteresse. Un épais taillis en occupe aujourd’hui l’emplacement tout entier, avec une grande partie de ses alentours ; il n’est pas aisé de pénétrer dans les buissons qui en défendent l’entrée, et nous eussions en vain tenté d’en lever un plan exact (6). On y a trouvé plusieurs fois des boulets et des armes ; mais tout ce que l’histoire nous a conservé sur cette place, c’est qu’une partie de ses fortifications fut détruite en 1203, par Jean Sans-Terre, frère de Richard Cœur-de-Lion.

C’est une chose remarquable que l’aspect de ces anciens monumens de la haîne ou de l’ambition des hommes ! A peine y reconnoissez-vous les vestiges des fortifications ; les tours s’écroulent successivement, tout se comble à la longue ; la nature qui reprend ses droits peu à peu, fait croître les arbustes dont elle couronne les cavaliers et les bastions ! L’herbe tapisse les parapets et les murs en ruine, et sur les glacis et la place d’armes que les fureurs de la guerre inondaient de sang autrefois, vous voyez le pâtre conduire aujourd’hui ses troupeaux, et s’asseoir en paix sur des appuis de créneaux renversés et couverts de mousse !

Telles étaient nos pensées au milieu des débris et des ruines, lorsque d’un pan de mur plus élevé que les autres, nous vîmes tout à-coup cinq ou six pigeons que notre présence mettait en fuite. Ces oiseaux timides échappés au ravage des colombiers, et réfugiés parmi les hiboux, dans de vieilles murailles, nous inspirèrent cette espèce d’intérêt auquel on se livre machinalement à notre âge : nous eûmes de l’affection pour eux parce qu’ils avaient couru de grands dangers, et nous voulûmes voir s’ils prospéraient dans leur nouvel établissement. Les plus alertes, traversant les buissons, gravirent sur les premières assises de la muraille : ils s’attendaient à voir les familles naissantes de la colonie….. et au lieu de nids et de petits éclos, ils trouvèrent des lacs et des rêts qu’on leur avait tendus ! La manie de la chasse et la barbarie de l’oiseleur étaient venues les poursuivre jusques sur des précipices, et ces oiseaux échappés au feu de mille fusils, devaient enfin périr dans des pièges et dans des filets.

Mettre en pièces tous ces rêts odieux, fut un arrêt unanime, prêt à s’exécuter !..... mais l’oiseleur qui les avait placés, en eût ressenti de la peine ; il eût regardé l’enlèvement de ses rêts comme un vol, ou comme l’effet de la méchanceté : d’autres que nous, auraient pu devenir l’objet de ses soupçons ou de sa haîne : nous laissâmes donc les filets sans y toucher, nous quittâmes ce lieu de destruction, où rien ne pouvait servir à nous instruire, et nous reprîmes notre route dans la vallée.

L’ÉGLISE ET LE CHATEAU D’ANNEBAULT :
LES FOURMI-LIONS.

A peine étions-nous au pied de la montagne, que nous trouvâmes encore des ruines : l’ancien château d’Annebault, bâti sur pilotis, auprès de la rivière, par l’amiral de France Claude d’Annebault.

On pourrait qualifier cette maison, de superbe extravagance, si plus de vingt anneaux de fer scellés dans le mur de la terrasse, ne concouraient avec la tradition du pays, à persuader que l’amiral avait eu l’utile projet de rendre la rivière de Risle navigable jusqu’au pied de son habitation ; mais cette maison n’a jamais été finie, les ancres qui devaient être sculptées sur sa façade, sont encore en bloc dans quelques endroits, et l’on fait maintenant servir à divers usages, les pierres que l’amiral avait fait venir à grands frais, de plus de quatre lieues, pour les entasser dans l’épaisseur de ses murailles.

L’église d’Annebault est du même tems et de la même construction que le château : on y voit des vitres bien peintes, où l’on remarque divers costumes de ce tems-là (7).

Il y a sous le grand autel un caveau d’environ trois mètres en carré, qui servait de sépulture aux anciens Seigneurs, et l’on voit, dans le cimetière, des tombes en pierre fort épaisses, dont la surface supérieure est taillée en croix. Nous n’avons acquis sur ces tombeaux aucuns renseignemens, non plus que sur le nom de cimetière des Huguenots, qu’on donne à un terrain quadrangulaire, éloigné de l’église d’environ 300 pas vers le nord-est.

Ce cimetière des Huguenots, nous rappela seulement les dénominations haîneuses, ou perfides sous lesquelles les hommes se poursuivent et s’égorgent de temps en temps ; et nous fîmes des vœux pour n’être jamais témoins des scènes d’horreur dont elles sont ou l’occasion, ou le prétexte (note III).

Nous apprîmes en quittant Annebault, qu’on avait autrefois tenté d’y établir une manufacture de bleu de Prusse. On ignore aujourd’hui jusqu’au nom de l’étranger qui avait formé ce projet.

A une demi-lieue ou trois kilomètres d’Annebault, nous vîmes au bord du chemin, dans un ravin de la forêt, les cônes renversés de quelques fourmi-lions : c’étaient les premiers que nous eûssions vus ; nous les recueillîmes donc avec le plus grand soin, et nous marchâmes vers Pont-Audemer, où nous devions passer la nuit.

PONT-AUDEMER.

Rien n’est plus avantageux que la position de cette commune pour toute espèce d’établissement ; et le paysage qu’on peut découvrir du haut des collines entre lesquelles est située la ville, doit être fort agréable.

Nous ne pûmes jouir de toute la beauté du spectacle : la pluie qui ne nous avait pas empêché de monter sur la côte, étendit un voile autour de nous quand nous y fûmes, et nous déroba les points de vue que nous cherchions.

Mais nous contemplâmes les différentes branches de la Risle, distribuées avec le plus grand succès, pour l’arrosement des prairies et le service de la ville où l’on trouve autant de canaux qu’il y a de rues.

C’est à cette heureuse distribution de l’eau, jointe aux qualités particulières qu’on lui reconnaît, que cette ville doit le grand nombre de tanneries qui en font le principal commerce, et qui conservent, non seulement en France, mais chez l’étranger, la juste réputation qu’elles se sont acquise.

LES MANUFACTURES : LA CORROYERIE
FAÇON ANGLAISE

L’espoir que nous avions de voir quelques-unes des fabriques de cette ville, nous ramena dans ses murs (8) ; nous allâmes visiter la corroyerie, façon dite Anglaise, des citoyens Donnet, Plumer et compagnie. Cette fabrique n’est pas la seule dans laquelle on prépare les cuirs de cette manière, à Pont-Audemer ; il y en a d’autres qui s’occupent comme elle de ce genre de travail avec succès : mais elle avait concouru à l’exposition des objets d’industrie au Champ de Mars, en l’an six, elle avait même obtenu le prix ; voilà pourquoi nous désirâmes de visiter ses ateliers.

Nous ne décrirons pas tous les procédés des différentes préparations à l’anglaise, nous nous bornerons à ceux qu’on suit pour les tiges de botte, parce qu’ils sont les seuls que nous ayons eu le temps d’observer.

Les cuirs préparés à la manière anglaise, pour faire des tiges de botte, ont 1.° un dégré très-sensible d’élasticité qu’ils conservent plus ou moins long-temps, et qu’ils acquièrent dans le travail de la corroyerie, par la réduction que fait l’ouvrier d’une plus grande dimension de la peau dans une plus petite ; 2.° une très-grande souplesse qui ne se perd jamais, et qui leur permet de se prêter à tous les mouvemens, sans contracter aucuns de ces plis habituels qui se durcissent peu à peu, et se coupent à la longue ; 3.° ils peuvent devenir par le travail du corroyeur, très-légers en poids, sans rien perdre de leur qualité pour la durée ; 4.° ils ont un œil plus fin, plus lustré et plus brillant que les cuirs préparés d’une autre manière ; ils acqu[i]èrent même par le travail des étires ou des empreintes, un grain qui, tantôt imite les sillons réguliers du cannelé, tantôt le piqué de loup marin, etc.

Toutes les peaux indistinctement ne sont pas propres à recevoir cet apprêt aussi parfaitement les unes que les autres : il y a du choix à faire entre les peaux de la même espèce d’animal, il faut en mettre entre les différentes parties de la même peau.

La peau de cheval est la plus recherchée pour cette préparation, et quoique celle du veau réussisse quelquefois assez bien, elle acquiert rarement les qualités de la première.

Le succès de ces préparations dépend en partie de la manière de tanner, et en partie de celle de corroyer. Dans la tannerie, on apporte la plus grande attention à bien vider le cuir, à bien nettoyer la partie fibreuse de la peau, et l’on retire de l’écorce du chêne, par le moyen des lavages multipliés, tout l’acide gallique ou la substance tannante qu’elle peut contenir.

Dans la corroyerie, on a soin de donner à chaque cuir la destination qui paraît la plus propre, l’apprêt qui convient à l’usage pour lequel on le réserve, et les façons, les manipulations longues et combinées qui le portent à sa perfection : on emploie différens dégras, qui sont des huiles préparées.

PL 1. - Voyage des élèves de l'Ecole Centrale de l'Eure - An 8Un des principaux instrumens qui servent au corroyeur, pour la préparation des cuirs à l’anglaise, est un chevalet, (fig. 2, planche première.) composé d’une table, (B) portée sur trois ais, et sur laquelle l’ouvrier met quelquefois une hausse (A), selon qu’il a besoin d’être élevé au-dessus d’un montant fixé debout à l’une des extrémités de la table. Ce montant n’est pas assemblé perpendiculairement sur la table, et son inclinaison est accommodée à l’usage de l’ouvrier, aussi bien que sa hauteur. Il est revêtu, dans la partie antérieure, d’une planche de bois dur, ordinairement de gayac (C), pour qu’elle résiste davantage et qu’elle ne s’enfonce point sous les pressions qu’elle éprouve.

Lorsque le cuir est suffisamment tanné, le corroyeur le place sur le chevalet pour l’écharner, et il procède à cette opération avec le couteau (fig. 3.), dont la forme et l’usage doivent être décrits. Le fil n’en est pas droit comme celui des couteaux ordinaires, des faulx à raser ou des lunettes : mais quand il a été aminci sur la pierre, on le renverse sur une des surfaces, et la fig. 4, qui indique le plan de la coupe perpendiculaire à l’axe du couteau, fait voir le retour du fil des deux tranchans, ce qui donne plutôt l’idée d’un racloir que d’un couteau.

C’est avec une broche d’acier, appelée fusil, (fig. 5.) que l’ouvrier retourne le fil du couteau, et il importe beaucoup que la ligne du fil après sa courbure soit bien droite et bien égale.

L’ouvrier placé sur la tablette et penché sur le montant (C) tient le couteau des deux mains, le fil tourné vers lui, et en rasant le cuir, du côté de la chair, il en enlève des espèces de feuilles très-larges, et il le réduit à l’épaisseur qu’il veut lui donner, en la rendant parfaitement égale dans toute l’étendue de la peau.

Il faut pour ce travail beaucoup d’adresse, et tous les ouvriers n’acquièrent pas aisément l’habitude qui est nécessaire pour le faire avec succès.

Lorsque le cuir est écharné comme il doit l’être, on le lave de nouveau, on le nettoye avec des brosses et des pierres de grès, on l’imbibe d’autant de dégras que son épaisseur le requiert, et quand il est seché d’eau, l’ouvrier le roule sous une pommelle, qui est une espèce de rabot sans fer, long d’environ dix pouces, courbé dans sa longueur et cannelé dans sa largeur. C’est en roulant le cuir sur lui même, à plusieurs reprises, en le froissant avec la pommelle, que l’ouvrier l’assouplit et qu’il le prépare à conserver long-temps sa souplesse.

Il est alors en état d’être façonné en tige de botte, et pour cela l’ouvrier le mouille et l’étend sur une table de marbre, sur laquelle il ébauche le rétrécissement et les extensions convenables. Cette opération, commencée sur le marbre, s’achève sur une table revêtue de lames de cuivre, en quelques endroits, garnie de deux pièces de fer (bb) en arc de cercle, représentée fig. I.ere, appelée forme.

Les lames de cuivre indiquées par les lettres (aaaa) servent à conserver la surface de la forme qui, sans cela, se creuserait sous le fer de l’étire (fig. 6.)

L’une des pièces de fer en arc est invariablement fixée à la gauche de l’ouvrier ; l’autre pièce est jointe à une tige qui est maintenue par deux brides coudées sous lesquelles elle coule librement. Une vis de pression peut également la fixer à la distance où l’on veut qu’elle soit de la première.

La tige de botte, ébauchée sur la table de marbre, est étendue sur la forme, entre les arcs de fer, et elle s’y colle au moyen du dégras dont on l’abreuve.

L’ouvrier repasse plusieurs fois l’étire (AB, fig. 6) sur le cuir, il étend les extrémités, qu’il aggrandit, tandis que le milieu se resserre sur lui-même entre les arcs.

Cette manipulation se répète pendant long-temps, et la pièce de cuir, dont la figure était un carré ou parrallelograme, est, à la sortie de la forme, plus large dans le haut que dans le bas, et si rétrécie dans son milieu, qu’on la croirait échancrée des deux côtés. Cependant on n’en a rien enlevé, et quand on tire sur les deux côtés, le cuir s’étend et reprend ses premières dimensions, qu’on lui fait perdre de nouveau en le replaçant sur la forme.

Enfin, la tige de botte est de nouveau mouillée, passée en huile, et mise au séchoir, puis rapportée sur le chevalet, lorsqu’il le faut, pour recevoir la dernière et la plus difficile des manipulations. Ce travail n’est cependant nécessaire que lorsque la fleur est un peu éraflée : il consiste à refendre la fleur, ou plutôt à la parer, et il s’opère en enlevant, avec le couteau, une très-légère partie de la fleur, pour rendre à la peau entière le même grain et le même œil, et faire à ce moyen disparaître l’éraflure.

Tels sont les procédés particuliers de cette préparation. Les principaux instrumens dont on se sert, n’étant point décrits dans l’ouvrage sur l’art du tanneur et du corroyeur, par le Citoyen Lalande, ils furent dessinés pour que leur figure se trouvât jointe aux détails que nous comptions donner.

Le couteau sur-tout fut dessiné avec soin, parce que les fabricans nous assurèrent que les qualités qu’il doit avoir, sont une chose très-difficile à saisir ; qu’ils ne pouvaient pas s’en procurer en France, et qu’il n’y avait même en Angleterre qu’une seule famille d’ouvriers qui sçût donner à ce couteau le plus grand dégré de perfection (9).

Nous fumes très-sensibles à cette déclaration des fabricans, nous fîmes des vœux pour que les ouvriers dont la France peut s’honorer, donnent tous leurs soins à la fabrication de ces couteaux ; pour qu’on ne soit pas obligé de les tirer de l’étranger, et que l’imitation d’un procédé utile ne soit plus subordonnée à l’espèce de tribut que le défaut d’instrumens nous impose.

Les renseignemens que nous avons acquis sur l’usage des tiges préparées à la manière anglaise, nous ont convaincus qu’elles étaient les meilleures qu’on pût employer pour marcher avec des bottes, sans être beaucoup plus fatigué que si l’on n’en avait pas.

Il y a même beaucoup de tiges assez bien préparées pour que l’eau ne les pénétre point, et pour qu’elles soient d’une très-longue durée.

Nous ne demandâmes point à voir les autres tanneries de la commune, parce que nous n’avions pas de nouvelles instructions à recevoir, et parce que, si nous avions voulu voir toutes celles qui méritent, par leur travail et par leurs succès, d’être visitées, il eût fallu les parcourir toutes.

LA FILATURE MÉCANIQUE : LA MACHINE A
ROUSSIR.

Nous fûmes reçus dans une autre manufacture établie et dirigée, à Pont-Audemer, par les citoyens Callon ; elle renferme des ateliers de filature mécanique, et des tisseranderies à navette volante, pour la fabrication de toutes les étoffes de coton, pour les velours, les basins, etc.

Tous ces travaux avaient déjà obtenu des succès marqués à Rouen, où les citoyens Callon s’étaient établis avant la révolution ; mais leur établissement fut détruit dans un soulèvement coupable, dont ils n’ont pas recherché les auteurs, malgré les pertes immenses qu’ils ont souffertes.

On prit pour prétexte de cette violation du droit de propriété et de la destruction d’une des branches de la prospérité publique, dans une nation commerçante et industrieuse, le tort que les filatures mécaniques causaient à tous les ouvriers filant à la main, et la crainte exagérée de voir ceux-ci périr de faim, en manquant d’ouvrage, si on laissait prévaloir des moyens expéditifs, dont le produit coutait beaucoup moins que le travail ordinaire des fileuses.

Ces violences et ces prétextes nous rappelèrent des oppositions du même genre, que les imprimeries éprouvèrent lorsqu’elles s’établirent, dans le quinzième siècle ; et les tracasseries qu’on leur suscita pour les faire prohiber, comme une invention nuisible à tous les copistes, et propre à les faire périr de misère, la plume à la main, si les livres se multipliaient à l’infini par la rapidité magique de l’imprimerie.

On conçoit très-bien que tous les moyens mécaniques doivent froisser, quand ils s’établissent, les intérêts des ouvriers dont on employait les bras auparavant : mais cet inconvénient particulier ne peut être mis en parallele avec les avantages incalculables qui en résultent pour la société toute entière, 1.° parce que les prix de la main-d’œuvre fait non-seulement donner les produits à meilleur compte, mais qu’il met à portée d’assurer la concurrence avec l’étranger, et qu’il rétablit la balance commerciale ; 2.° parce que l’état recouvre, pour d’autres travaux, les bras que les mécaniques remplacent ; 3.° fréquemment encore, parce qu’il y a  dans la fabrication plus d’uniformité et que les machines, quand elles sont arrivées au dégré de perfection qu’elles peuvent acquérir, mettent le fabricant et le consommateur à l’abri des torts que leur causent quelquefois l’inattention, la négligence ou la mauvaise foi de l’ouvrier.

Telles étaient les observations que nous faisaient les directeurs de la manufacture de coton et qu’ils appuyaient de la faveur générale que les filatures mécaniques obtiennent actuellement en France.

Cette manufacture est située au nord-ouest de la commune, dans l’ancien emplacement occupé, avant la révolution, par un couvent de cordeliers, fondé et aumôné par Louis XI en 1473.

Les propriétaires actuels de cet établissement y ont réuni une portion de prairie qui l’avoisinait, pour former une blanchisserie ordinaire ; et dans les bâtimens de l’ancien couvent ils ont établi leurs ateliers de tisseranderie et ceux de filature. Cette dernière partie est alternativement mise en action par un manége et par un courant ; mais si les bienfaits que les directeurs espèrent de la paix prochaine remplissent leurs vœux, ils pourront établir une pompe à feu qui remplacera avantageusement ces deux moyens.

Il nous serait impossible de rendre compte de toutes les pièces qui sont mises en jeu dans une filature mécanique ; de toutes les roues, de toutes les bobines, de tous les fuseaux qui se meuvent à la fois, par le moyen des engrenages, des cordes sans fin et des renvois de toute espèce.

On ne voit point sans étonnement, dans la carderie, qu’un enfant puisse convenablement attacher le coton sur les pointes recourbées d’une carde circulaire, et que plusieurs tambours, garnis de la même manière, se le distribuent, dans un ordre admirable, en roulant les uns sur les autres en divers sens.

Un peigne d’acier poli s’abaisse et se relève alternativement sur le dernier des tambours ; il détache le coton qui s’est roulé sur les cardes circulaires et le fait tomber en ouate dans un cilindre, pour être disposé en boudins dont les dimensions diminuent, peu à peu, jusqu’à ce qu’ils soient enfin formés en fils plus ou moins déliés.

La navette volante tire son nom de sa course rapide dans la chaîne du tisserand. La même mécanique la pousse et la rappèle : l’ouvrier n’a que deux mouvemens à faire de la même main, tandis que de l’autre il frappe, avec le rot, le fil que la navette vient d’interposer. C’est dans les ateliers qu’il faut aller prendre connaissance du mécanisme qu’on y met en jeu ; les explications sommaires ne le feraient pas entendre, et les détails seraient infinis, s’il fallait en donner une entière description.

Au surplus les mécaniques sont aujourd’hui très multipliées dans le département, elles sont connues de beaucoup de citoyens, et ce serait une chose inutile pour les uns et superflue pour les autres d’essayer de les décrire.

PL2. - Voyage des élèves de l'Ecole Centrale de l'Eure - An 8Cependant il en est une qui est très-curieuse et dont il est en même temps assez facile de faire connaître les résultats. C’est celle qu’on emploie pour roussir les étoffes de coton, et qui est représentée dans la planche 2e

Lorsque les étoffes de coton sortent du métier, elles sont couvertes d’une espèce de duvet que le fil porte avec lui, et que l’ouvrier ne peut enfermer dans le tissu. Ce duvet enveloppe, en quelque sorte, le dessin de l’étoffe : les rayes du basin s’y trouvent cachées, les points du piqué en sont recouverts, le cannelé des velours se voit à peine, et l’on sent que, pour faire valoir le dessin et lui donner de la netteté, il est indispensable d’enlever ce duvet et de raser en quelque manière le tissu, pour le rendre lisse et faire ressortir les parties élevées.

Cette opération, qu’on tenterait inutilement avec des tranchans de quelque espèce qu’ils fussent, se fait avec beaucoup de succès par le moyen du feu, en brûlant toute cette surface lanugineuse, pour mettre à découvert le tissu, sans que le feu l’endommage.

Il y a déjà long-temps que ce travail et cette méthode se trouvent indiqués dans l’ouvrage du citoyen Pajot, mais on ne se servait alors que de grandes plaques de fer qu’on faisait rougir et qu’on passait sur l’étoffe tendue jusqu’à ce que tout le duvet fut brûlé.

Cette manipulation était toujours difficile, quelquefois même elle causait des accidens graves et jamais elle ne brûlait parfaitement le duvet.

Celle qu’on a depuis employée est infiniment préférable et quoiqu’elle ne soit point particulière à la manufacture des citoyens Callon, quoiqu’elle soit employée à Rouen et ailleurs, et qu’elle soit maintenant connue de plusieurs fabricans, néanmoins comme elle n’est expliquée ni dans l’ouvrage du citoyen Pajot, ni dans aucune autre, on sera peut-être bien aise d’en voir la description, et voici en quoi elle consiste.

La construction (A. B. C.) est un fourneau de brique avec sa cheminée (D. D.). Une grille de fer (E.) est placée dans ce fourneau et se continue dans toute sa longueur jusqu’à la cheminée. C’est sur cette grille que se place le charbon, et le tout est recouvert d’un demi cilindre de fer fondu (F. F.) qui termine le fourneau.

Les quatre montans de bois (1. 2. 3. 4.) maintenus par des traverses forment un chassis solide sur lequel sont ajustés deux cilindres ou tambours (G. G.) soutenus par les bras et les liens (H. H.). L’étoffe qu’il s’agit de raser, ou roussir, est roulée sur l’un des tambours, de manière que l’envers (I.) soit en dehors et que l’endroit s’applique sur le demi cilindre de fer (F. F.) pour reparaître ensuite sur l’autre tambour.

Lors qu’on fait tourner le premier tambour, l’étoffe se dévide pour se rouler sur le second en passant sur le demi cilindre. Deux cadres (L. L.) mobiles sur deux pôles fixés dans leur milieu, sont placés entre les montans : l’étoffe est passée dans ces cadres et quand leur côté intérieur est abaissé, elle porte immédiatement sur le demi cilindre ; mais si, en appuyant la main sur les côtés extérieurs des cadres, on élève les côtés opposés, ceux-ci enlèvent avec eux la toile qu’ils renferment ; ils l’empêchent de toucher le fer, et préviennent les accidens.

Tout étant ainsi disposé, on allume le charbon placé sur la grille ; un courant d’air l’anime violemment par-dessous et ne tarde pas à échauffer le demi cilindre ; on parvient même à le faire rougir, et c’est quand il est très-ardent qu’on abaisse les cadres, pour que l’étoffe s’applique sur le fer rouge ; on fait alors tourner les tambours et l’on dévide la pièce entière pour brûler le duvet.

Ce duvet, réduit en charbon sur le cilindre, est enlevé par une longue brosse, garnie de soies rudes, qu’on voit en (M. M.) et qui est placée sur des appuis mobiles, dans une inclinaison semblable à celle de l’étoffe. L’effet de l’ustion, par le fer, et du frottement sur la brosse, se montre à découvert sur le tambour, par la manière dont l’étoffe s’y roule ; l’ouvrier, qui se trouve à portée de conduire et diriger convenablement la vîtesse des tambours, peut juger en même temps si l’opération s’est bien faite.

Il semble, quand on voit la pièce de coton s’abaisser avec les cadres et tomber sur le fer enflammé, qu’elle va se réduire en cendres, et quand c’est une pièce de basin qu’on voit ainsi frotter sur un fer rouge, les craintes deviennent encore plus fortes.

On est du moins porté à croire, quand on entend le recit de ce travail, que les tambours tournent avec une grande vitesse et que l’étoffe passe sur le fer avec une extrême rapidité.

C’est néanmoins le contraire ; les tambours ne vont pas très vîte, les yeux suivent avec facilité le mouvement de l’étoffe, et de peur qu’elle ne s’applique pas avec assez de force sur le fer, on emploie des poids (N. N.) dont la corde s’appuye sur les tambours, au moyen d’une gorge qu’on y a pratiquée : ces poids augmentent le frottement des tambours, ils en ralentissent le mouvement ; et la toile, devenant plus tendue, s’applique avec plus de force sur le fer.

Elle se roule même dessus à raison de l’inclinaison qu’on lui donne, et l’on peut voir dans le profil géométrique (fig. 2) l’angle sous lequel cette inclinaison est déterminée pour roussir le basin.

Cet angle n’est pas le même pour toutes les étoffes, il est plus ou moins ouvert, et une barre qui s’élève ou s’abaisse à volonté, au moyen des chevilles qui l’assujettissent, sert à fixer l’inclinaison qu’on veut donner aux étoffes.

Malgré la supériorité de cette manipulation sur celle des plaques rougies qu’on passait autrefois sur la pièce de coton, le citoyen Callon sait qu’il existe encore de nouveaux procédés par lesquels les creux des étoffes, dans le piqué et dans les cannelés, se nétoyent mieux, se rasent plus exactement et deviennent lisses comme les points les plus élevés.

Il sçait qu’on ajoute de l’esprit de vin dans le travail, soit en faisant passer l’étoffe par une étuve où elle s’imbibe du fluide réduit en vapeurs pour qu’il s’enflamme subitement lorsqu’il touche le fer rouge, soit en employant d’autres moyens dont il ne fait pas mystère, mais qu’il est juste de lui laisser publier lorsque, par les essais qu’il compte faire, il aura justifié la théorie qu’il sait si bien développer.

LES MÉMOIRES HISTORIQUES.

Nous nous faisons un devoir d’offrir à tous les citoyens, qui ont eu la bonté de nous instruire des détails dont nous venons de rendre compte, l’expression bien sincère de notre reconnaissance. Nous desirons sur-tout que ce témoignage de nos sentimens, soit agréé des magistrats de cette commune qui nous accueillirent avec indulgence et qui voulurent bien, pour notre instruction, communiquer des mémoires extrêmement curieux dans lesquels sont consignées des notes intéressantes pour l’histoire.

En effet, c’est dans ces mémoires qu’on trouve l’explication de deux passages du Catholicon d’Espagne ou satire menippée, avec la confirmation de quelques détails que l’histoire a conservés. (note IV)

Indépendamment de l’explication de ces deux passages, nous avons encore trouvé, dans ces mémoires, d’autres détails relatifs aux localités, qui confirment ou qui développent ce que les chroniques et les histoires de la province ont transmis, et qui peignent d’ailleurs les mœurs et le caractère du temps. (note V)

C’est aussi dans ces mémoires que nous avons appris que Pont-Audemer, par sa situation sur la Risle et sa communication avec la Seine, fut pendant long-temps, une des places importantes de la province. Les Anglais regardaient comme un grand avantage de s’en rendre les maîtres, et dans les troubles des siècles précédens, les factieux formèrent contre elle diverses tentatives qui en firent souvent le théâtre de guerres sanglantes et ruineuses.

Charles le Mauvais en était en possession, lorsque le Connétable Bertrand-Duguesclin la prit en 1378 après plusieurs attaques, et rasa ses fortifications ainsi que le château (10).

Les Anglais s’en étant ensuite emparés, elle fut reprise d’assaut par les comtes de Dunois et de St.-Pol (note VI).

Il nous a paru naturel d’inscrire de suite tout ce qui pouvait avoir rapport à la ville dans laquelle nous avions passé : mais tous ces détails ne nous furent pas connus au moment même de notre passage, ce ne fut que pendant le séjour, que nous fîmes dans le lieu des observations, que ces connaissances furent acquises par la lecture des mémoires historiques. C’est aussi par cette lecture que nous apprîmes que cette ville avait donné naissance à Pierre Lelorain, sieur de Valmont, auteur des élémens de l’histoire, de la Phisique occulte ou de la Baguette divinatoire, de quelques dissertations sur les médailles, etc. et à Pierre David, cordelier, qui fit imprimer des sermons en latin.

DÉPART DE PONT-AUDEMER : L’ERREUR
D’OPTIQUE : LE VIEUX IF.

Tandis que nous étions à Pont-Audemer, deux de nos camarades de voyage se joignirent à nous, et lorsque nous eûmes visité les manufactures, nous partîmes pour nous rendre dans la commune de Conteville où nous devions établir le centre de nos observations ; au confluent de la Risle et de la Seine.

La première chose qui soit digne d’être remarquée sur la route, est un ancien château nommé le Bois d’Aubigny, à deux portées de fusil de la grande route et six cents pas du chemin de traverse.

Il est bâti sur un terrain très-incliné, et quand on le regarde du côté de l’orient, il semble incliné lui-même vers la côte au pied de laquelle il est construit ; les arrêtes de ses pignons paraissent sortir de leur à-plomb, l’on croirait qu’un des bouts de cette maison s’est affaissé sur ses fondemens et qu’il est entré profondément en terre.

Cependant il n’en est rien, la construction n’a nullement souffert et l’apparence n’est que l’effet d’une illusion d’optique ; mais elle est très-forte, il n’est pas possible de la corriger, on a beau raisonner, d’après la connaissance qu’on a du local, contre le faux semblant de la perspective, ce n’est qu’en approchant de la maison, que l’illusion se dissipe.

L’inclinaison du terrain est donc la seule cause de l’erreur ; les murs ont moins de hauteur sur le terrain élevé qu’au bas de la pente, et comme on n’en voit pas de loin les premières assises, on se persuade que la différence des hauteurs, dans les extrémités de la maison, vient de l’enfoncement qui paraît s’être fait dans le sol.

Nous trouvâmes ensuite un arbre remarquable par sa grosseur et par les irrégularités de son contour ; c’était un If extrêmement vieux, entièrement pourri dans toute la partie ligneuse du tronc, ne vivant plus que par son écorce et ses racines ; mais ferme encore sur ses débris et résistant à la violence des tempêtes comme aux attaques ruineuses du temps.

Nous n’en prîmes pas la mesure, parce qu’on nous dit que nous en trouverions de plus gros et de plus étonnans dans le pays, et nous continuâmes notre route vers Conteville, où nous arrivâmes après une marche de trois heures, que la pluie nous força souvent d’interrompre.

L’ETABLISSEMENT : LES BAGAGES : LES
INSTRUMENS : LE PREMIER DINER
SOUS LA TENTE : LES TOASTS.

La voiture qui portait nos bagages et la tente nous avait précédés ; et les élèves qui devaient se joindre à nous ne tardèrent pas à arriver. En très-peu de temps la tente fut dressée ; nous nous établîmes dans un enclos fermé de murs, dont il nous fut permis de disposer.

Chacun reconnut le bagage qui lui appartenait : on visita les machines et les instrumens, tous se trouvèrent sains et saufs à l’exception d’un thermomètre, et quand ces préparatifs furent terminés, nous songeâmes à dîner. Nous nous rangeâmes sous la tente, autour d’une table frugale, et pleins d’espoir dans les courses que nous allions faire, un cri général se fit entendre, vive la République, vivent les Naturalistes des deux mondes !

Que leurs occupations, pleines de charmes, répandent, sur leur vie entière, le calme et la sérénité, qu’ils soient récompensés de leurs veilles et de leurs travaux par le bonheur de devenir utiles à leurs semblables ! Que leurs découvertes excitent toujours notre émulation, que leurs savans écrits soient les guides de notre inexpérience ; puissions-nous par notre conduite et notre application, nous montrer dignes de la carrière qu’ils ont ouverte devant nous !

Ce repas, un des plus intéressans que nous ayons jamais fait, ne fut cependant pas de longue durée, nous l’eûmes bientôt achevé et nous songeâmes à met[t]re de l’ordre dans le travail que nous allions entreprendre.

Les uns se chargèrent de dessiner les sites, les objets de minéralogie, d’insectologie, de botanique, etc.

D’autres furent chargés de rechercher dans la campagne, les plantes, les insectes, les minéraux et les fossiles.

Les plus avancés en géométrie eurent la partie des mesures et des calculs.

Les plus adroits furent nommés pour disposer les plantes dans les herbiers et les insectes dans les boëtes.

Tous se promirent de regarder tout, de visiter tout, de ne rien négliger, de s’avertir réciproquement et de faire tous leurs efforts pour ne pas laisser dégénérer en une promenade stérile, un voyage dont ils pouvaient retirer tant d’utilité.

Nous étions alors dix-sept, et nous eussions été plus nombreux s’il eut été possible de préparer plutôt l’expédition.

Nous possédions au milieu de nous les Directeurs du Pensionnat, un des Professeurs, et un des Membres du Jury d’instruction, qui avaient bien voulu se joindre à nous pour diriger nos observations. Quand nous fûmes en quelque sorte organisés comme nous venons de le dire, nous nous présentâmes devant le Maire de la commune, à qui nous rendîmes compte du sujet de notre voyage, en lui donnant l’assurance que pendant notre séjour, nous ferions nos efforts pour nous rendre dignes de l’affection que déjà plusieurs habitans se plaisaient à nous témoigner.

LA VUE DE LA MER.

Ce premier devoir étant rempli, nous nous portâmes avec toute l’ardeur qu’inspire la nouveauté sur le rivage que nous avions plusieurs fois entrevu de loin. A mesure que nous avancions, la perspective s’étendait devant nous, et ce spectacle imprimait dans notre ame un sentiment de grandeur et d’élévation que nous n’avions jamais éprouvé.

Cependant la surprise se mêlait à notre admiration : nous avions quelquefois entendu parler de la mer ; nous croyions voir des vagues agitées et des flots écumans ! Cette fois-là c’était un vaste bassin, calme et tranquille comme un lac, pur et limpide comme le cristal.

Des pêcheurs qui furent témoins de notre étonnement, nous expliquèrent la cause de cette espèce d’immobilité, en nous faisant connaître qu’elle était l’effet du moment précis de la pleine mer, c’est-à-dire, du moment où les eaux parvenues à leur plus grande élévation sur le rivage, étaient prêtes à s’abaisser en refluant vers l’océan. Une autre cause contribuait encore au calme de la mer, c’était celui de l’atmosphère et le silence absolu des vents.

Mais ils observèrent que nous n’étions pas précisément au bord de la mer ; que nous ne voyions encore que l’embouchure de la Seine ; que malgré la largeur du bassin, l’eau de la mer qui le remplissait se trouvait à l’abri des courans atmosphériques qui se font toujours sentir plus ou moins au large, et qu’en pleine mer l’eau n’était pas aussi tranquille. Alors nos yeux se tournèrent vers le Hâvre que nous découvrions au pied de la côte du pays de Caux et qui se dessinait à l’horizon comme une langue de terre avancée dans la mer. Vis-à-vis on voyoit Honfleur situé sur la rive où nous étions nous-mêmes, et dans l’intervalle de ces deux villes on ne découvrait rien !... Le ton du ciel se confondait avec les reflèts de la mer, et l’imagination que rien n’arrête, nous aurait peint l’étendue comme infinie, si les principes de géométrie ne nous eussent rappelé que l’horizon visible ne pouvait avoir qu’une lieue de rayon, du point où nous étions placés (11).

Ces tableaux que nous admirions de plus en plus, se composaient des côtes élevées qui bordent au nord l’embouchure de la Seine ; de la pente des vallons qui contraste avec elles au midi ; du vide imposant que la mer offre à l’ouest ; et vers l’orient de la coupe perpendiculaire d’une des collines de la Risle, posée d’aplomb sur une vaste plaine, où paissent cent troupeaux, et couvrant un autre pays que des lointains vaporeux indiquaient au-dessus d’elle, dans les derniers plans de la perspective.

Il y avait près d’une heure que nous étions sur le rivage sans que nous eussions, pour ainsi dire, changé de place ; personne n’avait éprouvé de fatigue dans la durée du spectacle, personne ne s’était assis, tout le monde admirait ; et ceux-là même à qui la vue du rivage était familière, convenaient encore avec émotion, qu’elle était admirable. Cependant le reflux acquérait de la vîtesse, le sable était découvert en quelques endroits ; et sur toute la rive on voyait un banc immense de galet que la mer roule devant elle dans les gros temps.

Le vent s’était élevé à l’occident, il contrariait le reflux, il soulevait des lames et poussait des vagues ; nous ne désirions pas une tempête, mais une plus grande agitation eût satisfait nos vœux.

PROJET DE VOYAGE : DÉNOMBREMENT DES
INSTRUMENS D’OBSERVATION.

Non contens du spectacle dont nous venions de jouir, nous voulûmes voir la mer plus en grand, et il fut arrêté que dès le lendemain matin nous irions à Honfleur pour passer au Hâvre. Un motif d’un plus grand intérêt que celui de la curiosité nous détermina ; c’était le lendemain que la plus grande marée de la lunaison devait avoir lieu, et cette circonstance fit décider le voyage du Hâvre (note VII).

Nous quittâmes le bord de la mer pour aller faire nos préparatifs, et pour mettre en ordre les instrumens que nous n’avions fait que visiter dans les caisses : mais ce ne fut point sans tourner mille fois les yeux vers le rivage ; et malgré les sites agréables d’une très-belle campagne que nous traversions, c’était toujours du côté de la mer qu’on se tournait, quand il se présentait une hauteur d’où l’on pût encore la voir, ou quand une percée la faisait découvrir entre les arbres.

Nous nous entretînmes pendant notre retour des productions innombrables qu’elle renferme : nous nous rappelâmes cette lumière qui brille la nuit à sa surface, et nous convînmes de revenir le même jour, à la marée du soir, pour être témoins de ce phénomène.

Au retour du rivage, chacun s’occupa des attributions qui lui étaient échues : les instrumens furent de nouveau visités et mis en place, le thermomètre qu’on avait trouvé le matin un peu endommagé, était la seule pièce qui eut souffert. Nous avions alors, en état de servir, un baromètre à cuvette, un hygromètre avec thermomètre (12), un microscope, un télescope, une chambre obscure d’un très-bon effet, des lunettes d’approche, plusieurs loupes de différens foyers, des équerres et un graphomètre (13), un niveau d’eau et un autre à bulle d’air, un odomètre ou compte-pas (14), deux décamètres, une petite boussole portative : outre cela nous pouvions disposer d’un atelier voisin dans lequel il y avait une petite forge et beaucoup d’outils.

Nous avions aussi les N.os des cartes de Cassini, répondant au territoire que nous devions visiter, quelques livres d’histoire sur l’ancienne province, des chroniques et des mémoires, quelques livres de botanique et d’histoire naturelle, des livres de voyage et Robinson Crusoé. Enfin nous avions des crayons pour les déssinateurs, du papier, de l’encre de la Chine, des plumes de corbeau, etc. etc.

Tous les fourmi-lions que nous avions trouvés près d’Annebault, furent soigneusement mis dans un poudrier, avec une espèce de sable très-fin, d’une couleur ocreuse qui nous le fit regarder comme un oxide de fer. Il y en eut trois qui ne tardèrent point à s’enfoncer, mais les autres étaient languissans, ils avaient souffert dans le voyage, et ce ne fut qu’au bout de quelques jours qu’ils se creusèrent des cônes. Depuis ce temps ils ne dûrent pas regretter leur premier pays, jamais fourmi-lions n’ont été mieux approvisionnés ; tous les jours il pleuvait des mouches et des fourmis dans leurs repaires ; leurs mouvemens brusques et rapides attestèrent le bien-être qu’ils éprouvaient : mais nous ne devions point voire éclore cette année les demoiselles dont ils filaient le trousseau, et ce n’était que l’année suivante qu’ils devaient parvenir à leur état parfait.

En attendant le souper, un des voyageurs lut des notes qu’il avait déjà faites sur les premiers jours de l’expédition. Mais comme en racontant les observations, il avait fidèlement employé, dans son récit, les noms de leurs auteurs, ceux-ci réclamèrent aussi-tôt : c’est au hasard que nous les devons, s’écrièrent-ils ; il n’y a pas de mérite à être plus heureux qu’autrui ; chaque découverte appartient en commun à tous les voyageurs, sans qu’il faille de prime pour aucun d’eux. Tous se rangèrent à cet avis, parce que tous espéraient de contribuer au succès du voyage : on se rappela le proverbe des anciens qui voulait que Mercure fût commun, et l’on se mit à table en se donnant l’assurance d’une émulation généreuse et d’une amitié inaltérable.

VOYAGE DU SOIR AU BORD DE LA MER :
INSECTES PHOSPHORESCENS.

La lune était déjà sur l’horizon, quand nous eûmes soupé, et quoique le temps fût couvert, la demi teinte qu’elle répandait sur les objets, nous faisait craindre de ne pas voir la lumière de la mer.

Nous allâmes néanmoins au rivage : nous prîmes des vases pour puiser de l’eau, des sacs de toile, en cône, pour la tamiser, des loupes, des Capsules, etc.

La mer montait quand nous arrivâmes, le flot était même assez rapide : mais la mer n’était pas lumineuse et le clair de lune nous parut être l’obstacle qui s’y opposait ; Alors nous battîmes l’eau, nous l’agitâmes de diverses manières, et nous vîmes enfin des points brillans, sur le bord des vagues, dont la lumière devenait plus vive entre les cailloux ; mais ni l’œil ne pût en apercevoir la cause, ni les loupes ne purent la faire reconnaître, ni le tact ne pût l’indiquer.

L’eau, qu’on puise à la mer, brille dans le vase qui la contient comme sur le rivage d’où on la tire ; elle conserve cette phosphorescence pendant plus de vingt-quatre heures : ou plutôt les animalcules, qui brillent dans l’eau de la mer, donnent de la lumière tant qu’ils sont vivans, et ils conservent la vie dans cette eau, pendant plus de vingt-quatre heures.

Lorsque, pendant le jour, on agite l’eau de mer, on ne découvre pas ces animalcules qui sont forts petits et presque entièrement diaphanes :……. mais ce que nous dirions, sur ce phénomène, ne pourrait être qu’une répétition de ce qu’a dit un ingénieur de la marine, qui l’observait en 1763 et 1764.

Tout ce que nous pouvons ajouter à l’extrait que le dictionnaire de l’industrie a donné des observations de M. Rigault, c’est que 1.° ces animalcules paraissent absolument privés de la faculté de changer de place ; 2.° ils sont composés d’une partie à peu-près sphérique, d’une autre partie tubiforme attachée à la sphère ; et cette attache forme une espèce de sinus qu’on découvre dans le profil ; 3.° du point enfoncé où la partie tubi-forme s’attache à la partie globuleuse, on voit cinq ou six radicules, étendues dans la sphère, imitant, à-peu-près, une griffe d’asperge et ne paraissant point avoir de mouvement ; 4.° la partie tubi-forme paraît composée d’anneaux superposés, et sa longueur moyenne est de deux fois le diamètre de la sphère ; 5.° la sphère ne paraît avoir aucuns mouvemens, la seule partie tubi-forme en laisse apercevoir, mais ils ne sont ni rapides ni variés, et cette partie n’en a point d’autre que de se tordre lentement sur elle-même en divers sens, comme si elle s’efforçait de se détacher de la sphère et de se débarrasser des liens qui la retienne ; 6.° jamais on ne voit ces insectes ni saisir des proies, ni se mettre au guet pour en surprendre ; au contraire, ils sont quelquefois dévorés par des animalcules trente fois plus petits, qui s’élancent avec violence contre la partie sphérique, qui paraissent la saisir et qui la font se rétrécir et se crisper, présage aussi prompt qu’infaillible de la mort de l’animal (15).

D’après toutes ces données comment faut-il regarder ces animalcules ? quelle est leur origine ? où prennent-ils naissance ? quels sont leurs développemens, comment se nourrissent-ils ? faut-il les ranger parmi les zoophytes, subissent-ils des métamorphoses ? sont-ils au dernier période de leurs mutations ? qu’elle est la source de la lumière qu’ils produisent ? quelles sont les conditions pour qu’elle paraisse ? est-ce la sphère qui la donne ? est-ce la partie tubi-forme, est-ce l’animal tout entier ?

Dans l’inspiration de l’eau, par les poissons, ces animalcules périssent-ils au passage des branchies, ou sortent-ils sains et saufs de ce filtre animal ? dans le premier cas donnent-ils à l’eau, qui les contient, une propriété nutritive pour le poisson qui l’aspire ?......

Voilà les questions que nous nous faisions et les embarras que nous n’avions pas l’espoir de lever, à cause du peu de temps que nous pouvions donner à des observations, qui ne doivent peut être offrir de résultats certains, qu’après avoir été plusieurs fois répétées avec la plus grande attention.

LE BOIS MORT : LES POISSONS PUTRÉFIÉS :
LES VERS LUISANS.

La nuit qui s’avançait, nous rappela vers la tente ; mais la phosphorescence nous occupant toujours, tout ce qui brille la nuit dans la nature fut mis en parallele avec les animalcules de la mer.

Le bois qui devient également lumineux quand il pourrit, par d’autres causes que celle de l’humidité, fut un des phénomènes qui fixèrent notre attention.

Nous observâmes que ce dépérissement du bois, cette transformation de la partie ligneuse et dure en une espèce de parenchime friable quand il est sec, n’étoit qu’une décomposition du bois, c’est-à-dire, une séparation de tous ses principes, une restitution, lente  et graduée, de ces mêmes principes à leur première forme…. et dès-lors nous nous demandâmes si la blancheur qui luisait sur le bois pourri, n’était pas un dégagement de la lumière, une émanation de ce principe délivré des liens où l’aggrégation l’avait enchaîné, pendant l’accroissement du végétal.

Pourquoi, disions-nous, ne serait ce pas de la lumière qui s’évapore, dans la décomposition des fibres (16) ? Elles en absorbent, en croissant, une si grande quantité, elles en sont si avides pendant la germination, elles sont si faibles, si languissantes, quand elles en sont privées ! Certes le principe lumineux doit entrer abondamment dans la formation du bois ; et dans la déflagration il éclate avec violence. S’il se répand alors par torrens, pourquoi le dégagement chronique du même principe, dans la putréfaction, ne se décélerait-il pas, dans certaines circonstances, sous la forme des auréoles phosphorescentes que nous admirons ?

Mais quelles seraient les circonstances où ce principe serait visible en se dégageant ? Pourquoi ne parait-il pas toujours dans les décompositions de tous les bois ? Quelles seraient les recherches à faire, pour constater ces différens états, pour les reproduire au besoin, pour phosphoriser à volonté un bois qu’on mettrait pourrir, ou pour le faire se décomposer sans lumière ?

Si l’on pouvait admettre cette explication pour les phosphores ligneux, serait-ce la même cause qui ferait également briller les poissons qui se putrefient ? Si la lumière des décompositions pouvait s’expliquer ainsi, quelle serait ensuite la cause de ces aigrettes bien plus vives qui dardent leurs rayons au travers du feuillage des arbustes ? Quelle est la cause de la lumière que la femelle du lampyris répand dans les époques de la fécondation ? Toutes ces questions, que nous venions d’élever, en revenant du rivage, ouvrirent devant nous une carrière si vaste d’étude, de recherches et d’observations, que nous désespérions, à juste titre, de la remplir dans le court espace de notre voyage. Nous nous promîmes seulement d’en conserver le souvenir pour le temps où nous pourrions avoir le loisir et l’occasion de nous y livrer ; nous fîmes des vœux pour que les sçavans qui se plaisent dans l’étude de la nature, découvrissent les causes des phénomènes que nous ne pouvions encore qu’admirer, et nous rentrâmes dans l’enclos où la tente était dressée.

Un des voyageurs  qui nous avait quittés vers le milieu du chemin, pour prendre un sentier différent, revint quelques minutes après, portant sur son chapeau quatre ou cinq vers-luisans qu’il étoit allé prendre, dans un bois voisin où il les avait apperçus, lorsque nous nous entretenions de leur lumière. Il les mit sur de la terre fraîchement humectée, dont on remplit un pot-à-fleur, en ajoutant des portions de gazon, et le tout fut enfermé sous une de ces grandes cloches de verre qu’on employe dans le pays pour la culture des melons (17).

LE VOYAGE AU HAVRE : LE TOMBEAU
DE HARLETTE MÈRE DE GUILLAU-
ME LE CONQUÉRANT : LE VILLAGE
ENGLOUTI.

Le lendemain matin nous fûmes levés dès le point du jour : il s’agissait du voyage du Hâvre, il fallait être à Honfleur pour l’heure du paquebot, et la marée ne souffrant point de délais, nous nous équipâmes promptement et nous partîmes.

Nous ne crûmes point devoir porter tous nos instrumens avec nous : nous prîmes seulement des lunettes d’approche et de fortes loupes, des tenettes, des boëtes, des cartons et quelques feuilles de papier pour le dessin.

Du milieu de la plaine que nous traversions, nous revîmes les sites de la veille, la mer qui revenait dans la seine, et le Hâvre où nous allions.

Nous traversâmes une campagne voisine, dont les habitations groupées sur le rivage, offraient avec les arbres entremêlés des vergers, un point de vue charmant.

Nous apprîmes que presque tous les habitans de cette commune étaient pêcheurs ; on nous montra même de loin, sur des bancs élevés, dont l’embouchure de la seine est parsemée, les filets qu’ils tendent, à mer montante, et qu’ils soutiennent avec de longs pieux enfoncés dans le sable : nous remîmes à voir ces filets et la pêche usitée dans cet endroit, après notre retour du Hâvre.

Bientôt nous fûmes vis-à-vis d’une ancienne abbaye de bénédictins, supprimés depuis plus de trente ans.

Cette abbaye, nommée Grestain, avait été bâtie et fondée, en 1040, par un seigneur voisin, nommé Herluin, comte de Conteville (note VIII.) C’était dans cette abbaye qu’était le tombeau de la mère du fameux Guillaume le conquérant, Harlot ou Harlette, qui, depuis la mort de Robert père de Guillaume, avait épousé ce même Herluin, comte de Conteville. L’abbaye de Grestain était autrefois considérable, et Charles VII y coucha avec toute sa cour, au mois de janvier 1450, quand il vint de Jumièges, pour reprendre Honfleur, occupé par les anglais (note IX).

Dans les grandes marées on voit, à mer basse, les vestiges d’un ancien village qui existait vis-à-vis de l’abbaye, et que le sable recouvre aujourd’hui. On croit communément dans le pays, qu’il fut détruit ou englouti par la mer ; c’est au contraire dans l’incendie du 20 mai 1139 que ce village périt, et il n’a point été rebâti depuis (18).

A deux kilomètres (petite demi-lieue) de l’abbaye de Grestain, on trouve une cascade qui tombe, avec bruit, dans une grotte profonde : la crainte de n’être pas rendus, pour l’heure du passager, nous fit remettre à notre retour, la visite que nous comptions en faire.

LA VILLE DE HONFLEUR : LE PASSAGER DU
HAVRE : LE VENT CONTRAIRE : LE MAL DE
MER, LE MOYEN DE LE PRÉVENIR.

Nous arrivâmes à Honfleur, et l’ardeur de notre marche nous ayant donné plus d’un quart d’heure d’avance, nous traversâmes la ville pour en connaître la position ; nous vîmes les deux jettées qui forment le port, et nous admirâmes l’immense quantité de poissons, de toute espèce, qu’apportaient les barques des pêcheurs. Nous connaissions très-peu de ces poissons ; la variété de leurs formes excitait autant la curiosité, que leur nombre nous paraissait surprenant ; nous eussions désiré savoir leurs noms, leurs mœurs et leurs propriétés ; mais le cornet du passager se fit entendre, le flot ne montait plus, le paquebot appareillait ; nous courûmes nous embarquer ; nous saisimes, en arrivant, les haubans, les écoutes etc, et dans un instant nous fûmes tous à bord.

La mer n’était pas houleuse, le temps était assez beau, mais le vent nous était contraire, le capitaine annonçait plusieurs bordées, et les voyageurs présageaient une marée longue et fatiguante.

Cependant nous commençions à dépasser les jettées, nous voyions les édifices reculer derrière nous et l’horizon s’étendre à l’infini.

Les murs d’Honfleur et les restes antiques d’un bastion très-fort, nous rappelèrent l’ancienne domination des anglais sur cette ville, et le courage des français qui les força de l’abandonner.

Nous vîmes successivement s’éloigner tous les objets de la côte, et quand nous fûmes au large, nous éprouvâmes des balancemens que produisaient les vagues. Plusieurs d’entre nous furent atteints du mal de mer, comme bien d’autres voyageurs, et c’était en soupirant qu’ils récitaient les imprécations d’Horace, tandis que ceux qui se croyaient à l’abri, discouraient tranquillement sur la douleur qu’on ressent à la mer, sur le soulagement subit qu’on éprouve en débarquant, sur la cause et l’origine de cette affection, sur les précautions qui peuvent en diminuer la violence, sur les moyens qui peuvent en garantir. Il importerait sans doute fort peu de savoir que le siége du mal paraît être dans la rétine, et que les convulsions de l’estomac, dans les balancemens d’un vaisseau, ressemblent à celles qui accompagnent le vertige, ou qu’on éprouve dans les mouvemens rapides d’une voiture, dans les oscillations de l’escarpolette, dans l’impression que produit le tournoyement d’un courant, lorsqu’on regarde fixement l’eau qui s’enfuit.

Mais quand on sait que ces observations, oiseuses en apparence, conduisent à trouver des spécifiques, et qu’en suggérant l’usage de l’éther, elles ont fait connaître qu’il ne fallait souvent, pour empêcher les spasmes de l’estomac, que deux ou trois gouttes de cette liqueur, prises avec un peu de sucre ; on sait bon gré aux observateurs de leurs recherches et de la découverte heureuse que l’analogie leur a fait faire (note X).

L’ANCIEN LAZARET : LE PORT
COMBLÉ.

Il y avait environ deux heures que nous étions partis d’Honfleur, et qu’en parcourant alternativement deux côtés d’un rectangle, nous avancions dans la direction de la diagonale, lorsque nous découvrîmes un attérissement, nommé le hoc, qui servait autrefois de lazaret aux vaisseaux assujettis à la quarantaine. Nous vîmes distinctement, au moyen de nos lunettes, quelques restes des fortifications du port d’Harfleur, jadis fameux, occupé tour à tour par la France et par l’Angleterre et appelé par Monstrelet, le souverain port de toute la duché de Normandie (note XI).

Ce même port, où les plus grands armemens qu’on faisait, dans le 15.e  siècle, étaient reçus avec avantage, est aujourd’hui totalement comblé ; des atterrissemens successifs l’ont, en quelque sorte, reculé dans les terres, et le Hâvre-de-grace a remplacé sur la Seine le port d’Harfleur abandonné par la mer en moins de trois cents ans. Le déplacement progressif de la mer, est constaté, par des monumens sans nombre, sur tous les points du globe ; mais ses effets, qui sont aussi récens près d’Harfleur qu’ils sont nuisibles à cette ville, exciteront sans doute l’attention des naturalistes, des navigateurs et des commerçans. L’affermissement du Hâvre dont la mer inondait le terrain, lorsqu’Harfleur était un port ; les dépôts de vase et de sable qui semblent de temps en temps menacer le port d’Honfleur, à la rive opposée ; les alluvions intermittentes qui transposent souvent le confluent de la Risle, et qui rendent aujourd’hui si difficile l’accès de cette rivière, autrefois navigable ; sont des circonstances qui doivent être mûrement pésées, si jamais on s’occupe des projets d’aggrandissement et d’amélioration que des hommes amis de leur pays, ont cru pouvoir devenir utiles.

La ville du Hâvre elle-même ne peut être indifférente, sur ce que présagent de pareilles variations. Quand le port d’Harfleur recevait les flottes des puissances maritimes, on ne prévoyait pas que trois cents ans après, ce ne serait plus qu’une vaste prairie, au milieu de laquelle il ne resterait qu’une rivière étroite, capable seulement de donner l’entrée dans la ville à quelques petits bateaux !

LE DÉBARQUEMENT : LE PORT DE MER :
LE BATEAU PLONGLEUR.

Nous nous trouvâmes fort près du Hâvre, à la suite des réflexions que nous venions de faire, et les constructions de cette ville attirèrent nos regards et toutes nos pensées.

Bientôt nous doublâmes la jettée du sud et nous passâmes devant la grosse tour de François I.er. Nous descendîmes sur le quai, au bout de la grande rue, à l’endroit où les magnifiques terrasses d’Ingoville offrent à l’œil enchanté, le spectacle d’un amphitêâtre immense, dont les galeries sont alternativement chargées de maisons élégantes et de bosquets charmans.

La porte d’Ingoville, construite par la cardinal Richelieu (19), terminait autrefois la grande rue et masquait la côte : c’est à la démolition de cet ancien ouvrage et de ses tours, qu’on doit la beauté de la perspective.

La ville est très agréable, et si la guerre qui détruit tout, n’eût pas mis, depuis quelques années, la désolation  dans le commerce, nous n’eussions pas eu la douleur de voir le bassin tout entier, rempli de vaisseaux désarmés, offrant l’image du dépérissement et de la destruction ; les chantiers abandonnés ; les bras du commerce paralisés, ses sources taries ; et la moitié des habitans épuisant, dans la détresse et l’inaction, les restes d’une ancienne abondance, dont leurs vœux ne peuvent hâter le retour.

Nous eûmes bientôt parcouru la ville, et pris connaissance de ce qu’il y avait d’intéressant : nous vîmes l’ancien bassin, les vannes et le pont tournant, le bassin neuf, les détails de l’intérieur des vaisseaux, l’arsenal, les vestiges de l’ancien ouvrage à corne, construit par les ordres du cardinal de Richelieu et à ses frais (note XII).

Quelques-uns d’entre nous virent aussi ce bateau fermé, construit en cuivre et en bois, qui nageait, pendant quelque temps, entre deux eaux, après avoir plongé, et qui remontait sur l’eau à une grande distance du point de l’immersion. Il était alors un objet de curiosité et le secret de sa construction n’était pas connu. Ceux qui le virent, observèrent qu’il était ponté en cuivre jusqu’auprès du bord ; ils pensèrent que ce bateau-coffre pouvait aisément contenir deux hommes, pour le faire plonger en introduisant de l’eau ; pour le faire mouvoir et le diriger au moyen d’un moulinet ; enfin pour le faire remonter, en expulsant l’eau formant l’excès du lest.

LE RIVAGE : LES ANÉMONES ET LES ORTIES
DE MER : LES PÉTRIFICATIONS.

La mer qui s’était retirée pendant que nous parcourions la ville, avait découvert le rivage à l’ouest du Havre, et nous nous portâmes avec empressement sur ce terrain que Diquemarre a rendu célèbre par ses découvertes sur les anémones de mer (20).

Les premiers pas que nous fîmes, sur le rivage, ne nous offrirent rien d’intéressant ; il était entièrement stérile ; nous marchâmes pendant une demi-heure, sans trouver autre chose que des orties de mer, échouées sur le sable, et dont la putréfaction était plus ou moins avancée (21).

Le nom d’orties qu’on donne communément à ces zoophytes, ne doit pas faire croire qu’ils puissent causer de la douleur, comme la plante qui porte le même nom, à moins que cette propriété ne tienne à la vie de l’animal ; en effet nous en touchâmes plusieurs, à différentes reprises, et personne n’eut à regretter d’en avoir fait l’essai.

Nous observâmes seulement que l’odorat, et sur-tout les yeux, étaient affectés à leur approche, de la même manière qu’ils le sont par les émanations alkalines de l’urine putréfiée, de l’ail, du phosphore : mais cette affection était peut-être l’effet d’un commencement de putréfaction.

Parmi ces zoophytes, celui qui nous parut le plus remarquable fut une grande ortie nouvellement échouée, dont le pourtour était agréablement terminé par une découpure très-régulière dans sa forme, et d’une très-belle couleur purpurine (22). Les caractères particuliers de cette espèce de zoophyte, sa consistance spongieuse, cellulaire et gelatineuse, sa transparence, etc., sont des singularités si différentes de ce que présente par-tout ailleurs l’animalisation, que nous ne pûmes nous défendre de les admirer.

Nous eumes lieu de nous convaincre qu’en histoire naturelle sur-tout, la mer, est un monde inconnu, rempli de richesses infinies, mais difficile à conquérir, à cause des obstacles qu’il oppose aux recherches et aux observations.

Aux orties de mer ou méduses succédèrent bientôt les Goëmons et les Varecs de toute espèce ; le Varec en forme de plume, à tige filiforme et rameuse (23) ; le Varec capillacé en forme de buisson, aux ramifications déliées (24) ; le Varec  en palme, aux expansions plânes et multipliées, divisées comme les doigts de la main (25) ; le Varec vesiculeux, aux feuilles ondulées et longues (26).

Nous étions alors loin du Havre ; le rivage était hérissé de cailloux et de grosses pierres. Celles que les pêcheurs avaient amoncelées pour former la bâse de leurs parcs en clayonnage, nous offrirent, dans des creux et des interstices, une immense quantité d’étoiles qui rampaient, de crabes qui les mutilaient, de vis, de cornets, de rouleaux et d’autres coquillages, dont un grand nombre nous était inconnu. Il en était ainsi des plantes marines et des mousses qui tapissaient les roches, des madrepores, des raisins polypiers, etc. : et comme chacun de nous ramassait tout ce qui lui paraissait nouveau, nous fûmes bientôt chargés de cailloux, de plantes et de coquilles, au point qu’il fallut se rassembler et comparer ce qu’on avait recueilli, afin de ne garder que ce qui était important. Nous conservâmes les plus grandes étoiles vivantes que nous pûmes trouver, et deux éponges branchues que le flot avait déposées sur le sable.

Nous conservâmes sur-tout un bloc d’argile qui nous parut présenter le plus grand intérêt.

Il en existe un très-grand banc sur ce rivage : les briquetiers du Havre viennent en enlever quand la mer est basse ; ils en font de la tuile et des pavés fort durs, dont la couleur est blanchâtre au lieu d’être rouge.

Mais le morceau que nous trouvâmes avait cela de particulier, qu’il était dur comme une pierre par un de ses côtés, tandis que par l’autre il n’était que durci comme l’argile battue.

Nous retournâmes à l’endroit où ce morceau d’argile avait été pris : nous vous convainquîmes que sur un banc d’argile enfoncé d’un pied sous le niveau du rivage, il y avait un autre banc absolument pétrifié, et offrant dans ses câssures les mêmes cavités et les mêmes veines que le banc d’argile ; la seule différence qu’il y eût, c’est que le banc de pierre contenait plus de coquilles que le banc d’argile, et que plusieurs de ces coquilles, qu’on nous dit être exotiques, ne ressemblaient nullement à celles qu’on trouvait éparses dans le banc d’argile.

Nous ignorons si cette croûte de pierre fait partie du banc considérable qui a été particulièrement décrit par M. Dubocage, et qui contient beaucoup de coquillages, dont les analogues ne se trouvent que dans la mer des Indes : il faut aller fort avant dans la mer pour voir ce banc pétrifié qui se découvre très-rarement : on ne lui connaît que neuf pouces d’épaisseur, et il est porté, comme celui que nous avons vu, sur un très-grand lit d’argile.

RETOUR A LA VILLE : ESPOIR DEÇU :
PHÉNOMÈNE INEXPLICABLE.

Nous serions restés plus long-temps sur le rivage, si la mer qui le recouvrait en montant, et si la nuit, dont le terme approchait, ne nous eussent forcés de la quitter.

Nous chargeâmes donc dans nos corbeilles tous nos cailloux, nos blocs d’argile, nos goëmons, nos varecs, nos étoiles et nos coquillages ; nous puisâmes de l’eau de mer pour avoir des insectes phosphorescens, et nous gravîmes sur les rochers de la hève, afin de visiter les phares renommés qui sont placés sur la côte. Leur lumière s’apperçoit de fort loin dans les temps calmes et sereins, et elle sert à diriger, pendant la nuit, les vaisseaux qui viennent en rade.

Le gardien recueille, sur le rivage et dans les débris des bancs pétrifiés, des fossiles de différentes espèces ; nous vîmes ce qu’il possédait de curieux en ce genre, et nous retournâmes vers le Havre, dont nous fûmes prévenus que les portes une fois fermées ne s’ouvraient plus qu’au jour.

Quand nous eûmes déposé le butin de notre expédition, nous vîmes sur tous nos varecs de nombreuses étincelles qui nous rappelèrent nos insectes phosphorescens, et nous vidâmes l’eau de mer, que nous avions puisée, pour les y reconnaître.

Mais nous fûmes trompés dans notre attente, et nous n’en découvrîmes pas un seul.

La première idée qui se présenta, fût qu’ils avaient péri dans le transport, ou qu’un peu de liqueur fermentée, qui était peut-être restée au fond de la phiole, les avait tués, ou que l’eau prise à mer basse n’était pas féconde en insectes comme la mer haute. Aussi-tôt un de nous alla chercher de l’eau de mer au port ; mais quand il fût de retour, l’examen que nous fîmes ne nous offrit rien de plus que la première eau.

C’est dans de pareilles circonstances, lorsque la confiance inspirée par le passé se trouve déçue tout-à-coup, que l’imagination va quêter au loin toutes les causes et toutes les explications que sa fécondité suggère. Nous ne rendrons point compte de toutes les idées qui nous vinrent, nous dirons seulement que les essais du lendemain ne furent pas plus heureux, et que suivant d’anciennes observations, dont nous vîmes un journal quelques jours après, et dont on nous parla dès-lors, il paraît que la lumière de la mer n’est pas aussi régulièrement périodique que son mouvement.

Il y a eu des années où la mer a été lumineuse de très-bonne heure ; il y en a eu d’autres où sa lumière n’a paru que fort tard, d’autres où cette lumière a cessé d’être visible tout-à-coup, en sorte que le lendemain du jour où elle avait paru très-brillante, on ne voyait pas une seule étincelle.

Ces observations, dont nous ne pouvions révoquer l’exactitude en doute, nous jettèrent dans de nouvelles incertitudes ; nous cherchions les causes qui pouvaient anéantir, dans un instant, cette prodigieuse quantité d’animalcules dont la mer était peuplée ; nous eussions d’autant plus desiré connaître ces causes, que nous étions précisément dans un des cas que les observations avaient constatés.

Ce qu’il y avait même de plus piquant, c’est qu’il fallait que les insectes eussent disparu dans l’intervalle des deux dernières marées, puisque les varecs, que la dernière mer avait baignés, en étaient couverts, et que le retour de la seconde marée n’en offrait aucun.

TRAVERSÉE RAPIDE : LES GROS POISSONS :
LE CHIEN DE MER.

Cependant nous avions d’autres recherches à faire sur la rive opposée : nous nous disposâmes à retourner vers notre tente, et nous descendîmes au passager que la mer venait de mettre à flot. Le tems n’était pas alors aussi paisible que la veille, les vagues écumaient sous le vent qui les chassait, le paquebot n’était pas seulement balancé, c’étaient des balotemens qu’il éprouvait ; et de plus nous étions menacés d’une pluie prochaine.

Mais le vent était superbe, au dire des matelots ; la marée ne devait être que de trois quarts-d’heure, et rien n’annonçant le plus petit danger, nous entrâmes gaiement à bord, nous mîmes au large, le bâtiment se mit en route sur le babord, et dans un quart-d’heure à peine vîmes-nous, vers l’arrière, la patrie des Scudery, des Lafayette, (note XIII).

Bientôt après, les côtes de Honfleur s’avancèrent à notre rencontre, les objets grandissaient à vue d’œil, la mer était bouillante à l’avant, et marquait à l’arrière un sillage à perte de vue : quelquefois il venait à bord deux ou trois muids d’eau dans une lame qui mouillait tout le monde, mais personne ne fût malade ; la traversée ne dura que cinquante minutes, et nous arrivâmes sains et saufs à Honfleur. Nous y trouvâmes, comme la veille, une poissonnerie abondante : des soles de 18 pouces de long, des rayes énormes et de grands turbots, qui nous rappelèrent la quatrième satyre de Juvenal, et la charge de Potier suivant la Cour, que l’embarras de faire cuire un poisson de cette espèce en son entier, fit ériger à Rome, selon ce poëte, sous l’empereur Domitien.

Un des poissons que l’on pêche fréquemment sur la côte, et qu’on recherche le moins, est un squale, qu’on nomme aiguillat, ou chien de mer épineux (27). Il porte au-devant et à l’insertion de chacune de ses nageoires dorsales une pointe dure, fort aigue, qui ressemble à de la corne, et qui est un peu arquée vers la queue du poisson. Ces pointes dures doivent être une arme ou une défense pour ce chien de mer ; mais il n’est pas aisé de découvrir comment il s’en sert, parce qu’elles ne paraissent pas placées avantageusement, et qu’étant fortement attachées sur la colonne vertebrale, ce poisson ne doit avoir aucune facilité pour s’en servir ; cependant il y a beaucoup de chiens de mer qui ont une de ces pointes rompue, et cela porte à croire qu’ils en font usage.

PL 3. - Voyage des élèves de l'Ecole Centrale de l'Eure - An 8

La fig. (G) de la planche III, représente celle de la seconde nageoire, vers la queue, sur un squale qui avait deux pieds de longueur : elle est dessinée de grandeur naturelle.

La fig. (H) de la même Pl. représente la forme des papilles de la peau du squale, dessinées au microscope, et cette forme des papilles, qui paraissent de la même nature que les pointes, explique le motif qui fait employer la peau, dans les arts, pour polir le bois.

Au reste ce ne sont ni les pointes, ni les papilles qui sont le plus remarquable : le développement du fœtus et les particularités de la gestation le sont davantage : voici les observations que nous avons eu lieu de faire à ce sujet.

La figure (A B) planche troisième, est celle d’un fœtus d’aiguillat, et de l’œuf à l’aide duquel il s’est développé. L’un et l’autre sont unis par un prolongement des enveloppes membraneuses de l’œuf, qui s’attache au fœtus, vers la région de l’œsophage et remplit les fonctions de cordon ombilical.

Cette figure a été dessinée de grandeur naturelle, d’après un fœtus qu’une jeune femelle portait avec trois autres à peu-près égaux : ils étaient contenus tous les quatre dans la même enveloppe sans lui être unis par aucun lien ni par aucune attache.

Ils coulaient au contraire librement à côté les uns des autres, et telle est la mobilité de l’œuf et du fœtus, que pour les faire sortir de la mère, sans les désunir, il suffit assez souvent de la tenir, pendant quelques minutes, dans une situation verticale.

On est donc obligé de reconnaître, dans la gestation de l’aiguillat, une exception à la loi générale des vivipares ; car dans cette classe nombreuse, c’est immédiatement de la mère, que le fœtus reçoit la nourriture, au moyen du placenta ; au lieu que dans cette espèce de squale, le fœtus ne tire la sienne que de l’œuf, sans que cet œuf adhère à la mère.

S’il nous était permis de hasarder une conjecture, d’après ces observations, nous dirions qu’il nous paraît probable qu’à la fin de la gestation, la femelle de l’aiguillat est à-la-fois délivrée de l’œuf et du fœtus, sans qu’ils cessent pour cela d’être unis. Leur isolement de la mère, avant cette époque, fait présumer qu’ils peuvent exister sans elle, au moins pendant quelques temps, et les autres observations ne laissent pas de doute sur la possibilité de cette délivrance.

S’il fallait ensuite chercher les avantages, ou la nécessité de cette nouvelle exception aux lois générales, il nous semble qu’on pourrait les trouver dans les besoins même du fœtus au sortir de la mère.

Trop faible encore à sa naissance, et trop incertain dans ses mouvemens, le jeune aiguillat ne pourrait ni saisir une proie, ni s’élancer sur elle, et privé des secours de la mère, à qui la nature n’a point donné les mamelles des vivipares, il périrait bientôt si l’œuf ne continuait de lui fournir, pendant quelque temps, ses fluides alimenteux, au défaut du lait maternel.

Au contraire, à l’aide de cette nourriture supplémentaire, il prendrait des forces et les essayerait à mesure ; il acquérrait de l’agilité par l’exercice : lorsque l’œuf cesserait d’être utile, il cesserait en même temps d’être nécessaire, le cordon se dessécherait….. Mais le jeune squale, instruit par l’habitude, et conduit par l’instinct, se suffirait à lui-même et pourrait seul pourvoir à ses besoins.

S’il en est ainsi, l’œuf nourricier de l’aiguillat sera comme les feuilles seminales des plantes, qui suivent la Plumule quand elle sort du sein de la terre, et que les botanistes se plaisent à comparer aux mamelles des animaux, parce que ces feuilles précieuses leur paraissent en remplir les fonctions (note XIV).

LE GRAND OSIER : LA CASCADE.

Il y a sur la route d’Honfleur un osier très-gros, qu’on voit à côté d’un moulin bâti près de la grande route (28). Quelques-uns de nous en mésurèrent les dimensions, et ils trouvèrent qu’il avait huit pieds onze pouces (2 mètres 90 centimètres) de pourtour, trente-quatre pieds de tige jusqu’aux branches et, par apperçu, vingt-quatre pieds de hauteur de branches et de couronnement. On nous dit qu’il y avait, dans les environs, un pressoir dont la grosse pièce était faite avec un osier plus fort que celui-ci : mais il était trop éloigné de la grande route, pour que nous pussions l’aller voir, et les dimensions qu’on venait de mesurer, sur le premier, rendaient probable ce qu’on nous disait du second.

Nous ne tardâmes point à retrouver la cascade de Joble, dont nous avions différé la visite, et l’honnête propriétaire du terrain dans lequel le courant se précipite, s’étant empressé de nous y conduire, nous descendîmes par un ravin profond, dans une grotte ombragée d’arbustes, sur laquelle sont suspendus des blocs de sable concret, qui s’éboulent quelquefois pendant l’hiver, et que l’eau désunit, en les lavant, pour en reporter les débris à la mer. Nous reconnûmes une espèce de tourbe très-précieuse, observée par Scanegatti, au commencement de 1789, et nous en prîmes des morceaux dont la qualité ressemble parfaitement à la description qu’il en fit à l’Assemblée provinciale de Haute-Normandie (note XV). Nous admirâmes l’aspect agreste et sombre de cette espèce de souterrain : le bruit de l’eau qui se précipite dans les puits qu’elle creuse ; et qui s’enfuit à travers les rochers qu’elle a minés : la fraîcheur du lieu, pendant que tout était brûlé dans la campagne : la solitude d’un bas-fond, au-dessus duquel passe une route fréquentée : les plantes, dont le verd naissant et frais tranche sur la teinte rembrunie de la terre détrempée : la mousse épaisse et rase, qui semble être une ouate étendue pour adoucir l’âpreté de la roche.

Les végétaux qui y fuyent le jour et l’aspect du soleil, croissent en abondance dans ce séjour obscur et humide.

Les arbres, qu’on a plantés sur le penchant du coteau, s’élancent vers son sommet pour y trouver la lumière : ils portent sur une longue tige, des rameaux effilés : les feuilles n’éclosent qu’à la pointe des branches et dans les arcs de la voûte qu’elles forment.

Nous ne trouvâmes de plantes remarquables que la circée (29) et le rossolis (30), et nous sortîmes du ravin, en nous entretenant de ces sites, autrement sauvages et terribles, dont le voyageur s’épouvante : de ces cataractes, dont le bruit se fait entendre à plus d’un mille : de ces torrens de trois cents pieds de hauteur, dont les éruptions se brisent en tombant sur le roc, rejaillissent avec violence et remontent, comme un brouillard épais, jusqu’au dessus de leur source, pour retomber en pluie dans les fleuves qu’elles grossissent (31).

Des hommes frappés de la force et de l’importance du courant de Joble, avaient essayé de construire au fond même de la grotte une de ces mécaniques, plus connues en Hollande qu’en France, qui font mouvoir plusieurs scies parallèles, au moyen d’une roue, et qu’on emploie pour refendre des planches et pour scier de long.

L’établissement fut-il mal conçu, ou mal conduit ? nous n’en savons rien ; nous savons seulement qu’il n’a pas duré cinq années et que le bâtiment, qu’on avoit élevé sur pilotis, s’affaissa bientôt dans des éboulemens.

Néanmoins il est également certain qu’on pourrait tirer un parti avantageux de cette position : nous avons appris que de riches capitalistes, qui en connaissent les avantages, ont pris à rente une petite portion de ce terrain, et qu’ils acquittent leurs engagemens avec exactitude.

On ignore quels sont leurs projets, mais il est aisé de concevoir à combien d’usages peut être heureusement employé un courant rapide qui ne tarit jamais, et qui peut avoir au-delà de quarante pieds de chûte.

OCCUPATION DES NATURALISTES : OPÉRATION
DES MATHÉMATICIENS : OBSERVATION SUR
LE NOSTOC.

Après être sortis de la cascade, nous suivîmes de longues falaises qui dominent la mer : nous n’apperçûmes, dans cette partie du chemin, que quelques laureoles (32).

Plus loin nous trouvâmes dans les chenevières l’orobanche branchue (33) : cette plante doit être rangée parmi les parasites, et nous ne l’avons trouvée, nulle part ailleurs, que dans les chenevières. Dans le pays, on regarde ordinairement sa fleuraison comme l’indication certaine du moment où l’on doit cueillir le chanvre femelle, c’est-à-dire, celui qui porte la graine.

Nous rentrâmes, avec plaisir, sous la tente ; nous déposâmes, en commun, les fruits de nos recherches : et le lendemain matin, les uns s’occuperent à disposer les grands varecs entre des cartons, à coller sur du papier les fucus capillacés, tandis que les autres allèrent au bord de la Seine mesurer sa largeur avec le graphometre (34).

Tous ne furent pas occupés à ce travail, qui étoit particulièrement du ressort des mathématiciens : plusieurs, en cherchant si le galet du rivage ne leur offrirait point quelques objets curieux, trouvèrent un très gros fragment du noyau pétrifié d’un de ces planorbes, vulgairement connus sous le nom de cornes d’ammon (note XVI). D’autres observèrent une espèce de nostoc sur les bords relevés d’une ornière, et le phénomène qui les frappa davantage, dans cette production peu connue, fut une apparence de mouvement et de vie, qui se manifestait particulièrement dans les intermittences des rayons solaires. Ils nous dirent qu’au moment où la lumière touchait le nostoc, les inégalités de sa surface produisaient une réflexion ondoyante, que son volume paraissait se gonfler et s’agrandir ; qu’au contraire, lorsqu’un nuage ramenait l’ombre sur le nostoc, il paraissait s’affaisser sur sa base, diminuer de volume, et devenir sensiblement concave.

Mais ils nous prévinrent qu’ils n’étaient pas surs que les choses fussent absolument ce qu’elles leur avaient paru : qu’il pouvait se faire que ces apparences ne fussent que l’effet de la réflexion de la lumière ou de sa réfraction ; qu’ils n’avaient pu continuer long-temps leurs observations, parce que le ciel s’était enfin totalement couvert, et qu’il faudrait soigneusement examiner le nostoc, sous ce rapport, s’il arrivait qu’on en retrouvât (35). On prit géométriquement, et par les moyens mécaniques, la mesure du planorbe. Le morceau qu’on avait trouvé pouvait être regardé comme l’arc d’une des volutes de ce crustacé, et nous nous convainquîmes qu’en la considérant comme un cercle, elle avait du avoir quatorze pouces de diamètre.

Du reste nous ne sommes pas certains que ce fût le plus grand cercle du planorbe, parce que ni l’une ni l’autre des extrémités du tronçon ne paraissait indiquer la bouche.

La coquille adhérait encore en plusieurs endroits à ce fossile ; il portait en quelque sorte avec lui les titres de son origine, et donnait exactement la forme du creux dans lequel il s’était moulé.

LA BARRE.

Le même jour nous vîmes une particularité remarquable des marées. Les pilotes du Hâvre lui donnent le nom de verhôle, on lui donne celui de mascaret, dans les ports du midi ; et sur toute la partie de la Seine, où ce phénomène se fait sentir, on lui donne le nom de barre. Cette dénomination a du moins l’avantage de se rapprocher de la forme qu’il présente.

La barre n’est pas également sensible dans toutes les marées, elle n’est même pas apparente dans le plus grand nombre : ce n’est que dans les marées de la pleine et de la nouvelle lune qu’elle est très-élevée : c’est surtout dans les équinoxes qu’elle a les plus grands effets.

Ce phénomène consiste dans la manière brusque et rapide avec laquelle le flux remplit le lit de la rivière, aux époques de la pleine et de la nouvelle lune. Dans d’autres temps, le flux est toujours moins impétueux ; il couvre le rivage progressivement et sans secousse marquée : mais dans la pleine et la nouvelle lune, c’est par irruption qu’il se gonfle, le rivage est inondé presque subitement, et le premier flot, qui s’élève tout-à-coup de plusieurs pieds au-dessus du niveau de la rivière, se répand avec assez de rapidité, pour qu’un homme puisse à peine le suivre en courant.

Il est même très-dangereux pour les barques d’une construction médiocre. Quand il les heurte par le côté, il les culbute infailliblement, et ce n’est qu’en les présentant debout à ce flot impétueux, qu’on les préserve des accidens qu’il peut causer.

Ce phénomène est l’effet de la différence qui se trouve entre la largeur de la rivière à son embouchure, et celle de la baie qui forme une espèce de golfe sur l’ocean.

Le flux, toujours plus sensible dans les syzygies (36) que dans les quadratures (37), élève dans la baie un très-grande quantité d’eau qui doit bientôt se répandre dans l’embouchure que la rivière lui présente : mais cette embouchure est beaucoup plus étroite que la baie, et les côtes, qui la rétrécissent de plus en plus, ne permettant point à la marée de couler rapidement, l’eau doit nécessairement se gonfler et s’élever d’autant plus, sur la rivière, que le flux est plus abondant. Il nous semble que la même chose doit se faire remarquer aux embouchures de toutes les rivières, et que la barre doit y être plus ou moins sensible, selon que les causes que nous lui assignons sont plus ou moins grandes.

LA POINTE DE LA ROQUE : LES PLANTES :
LES FOSSILES.

Le lendemain fut le jour fixé pour aller voir un site intéressant, dont nous avions plusieurs fois entendu parler, et que nous avions tous les jours en perspective. Il est ordinairement désigné sous la dénomination de pointe de la Roque, du nom même de la commune où il est placé, et de la pointe de rocher qui termine ce terrain.

Nous savions qu’après les éboulemens causés par la gelée des hyvers un peu rudes, on y trouve une grande quantité de coquilles : nos mathématiciens voulaient vérifier les mesures qu’ils avaient prises de la largeur de la Seine : les dessinateurs voulaient prendre des points de vue : nous partîmes donc pour cette expédition avec les instrumens de mathématique, la chambre obscure, le télescope, quelques lunettes, des crayons, des corbeilles ; et des outils pour extraire les fossiles.

Nous traversâmes toute la vallée de la Risle, à l’embouchure de la rivière. Nous remarquâmes sur un paturage, qui appartient à la commune de Conteville, une très-grande quantité de gentiane, improprement appelée petite centaurée, et nous en cueillîmes plusieurs faisceaux, parce qu’elle nous parut avoir cette précieuse qualité fébrifuge qu’on lui attrîbue (38). Nous cueillîmes encore, dans l’étendue de ce terrain, que nous parcourûmes, différentes plantes que nous n’avons point trouvées ailleurs (39).

Enfin nous passâmes la Risle et nous parvînmes, en cotoyant la montagne, à la pointe de la Roque.

PL 4. - Voyage des élèves de l'Ecole Centrale de l'Eure - An 8

D’un côté de cette pointe, vers l’orient, est un vaste terrain que la mer couvrait autrefois, et qui forme une anse de plus de deux lieues de profondeur, sur environ trois lieues d’ouverture. De l’autre côté, vers l’occident, est la vallée que la Risle arrose, et qui peut avoir trois quarts de lieue de large.

Ainsi, des deux côtés de cette pointe, le terrain, très-uni dans toute son étendue, offre un sol plus ou moins fertile et parfaitement nivelé, tandis que sur la ligne, qui sépare ces deux plages, on voit se prolonger une montagne étroite et longue, qui se dirige en pointe vers la Seine, mais qui ne se termine pas en pente adoucie. Au contraire  sa coupe escarpée s’élève perpendiculairement à sa base, et présente des pics isolés que la dureté de leurs assises a préservés de la chûte, dans les éboulemens annuels.

Du haut de la montagne jusqu’au sol où elle pose, c’est un aspect rude et scabreux de roches et de sables arides, d’arbrisseaux à moitié déracinés, de blocs saillans, de crevasses profondes et de ruines menaçantes ; tandis qu’au pied de la montagne, c’est un terrain fertile, couvert d’une herbe succulente, qui nourrit des troupeaux sans nombre.

Nous considérâmes, avec surprise, ces bancs de silice et de terre calcaire, alternativement superposés, ne laissant voir de différence entr’eux que dans leur épaisseur, gardant le plus parfait parallelisme, sur une longueur de plusieurs lieues, offrant l’image d’une construction semblable à celle de la maçonnerie, et representant les assises régulières des pierres que les ouvriers intelligens alignent, dans les gros murs qu’ils veulent rendre solides.

C’est particulièrement dans les pics de cette roche, qu’on remarque cette disposition des différens lits dont elle se compose ; et s’ils étaient transposés sur un autre sol, il ne serait pas étonnant qu’on les prit pour un ouvrage de la main des hommes, tant les assises sont uniformes et paralleles.

Ce spectacle avait agi sur l’imagination de nos dessinateurs ; quelques-uns avaient déjà les crayons à la main, d’autres cherchaient des points de vue, afin de varier les sites ; et tandis qu’ils se préparaient à nous en conserver le souvenir, les mathématiciens choisirent des points, établirent leur base et se promirent une vérification exacte des opérations de la veille.

Les botanistes allèrent cueillir des plantes ; (40) les naturalistes, armés de leurs marteaux et de leurs ciseaux à froid, gravirent sur les rocs entassés, dont les cassures offraient des fossiles, et parvinrent à ramasser des vis (41), des cornets (42) et des rouleaux (43), des buccins (44) des oursins de toutes les espèces (45), des peignes (46), des cames, des cœurs (47) et des petites masses éparses d’oxide fer (48).

Ils trouvèrent encore des fossiles longs et arrondis, offrant dans la coupe une sorte d’enveloppe ou d’écorce calcaire sur un noyau de silex, semé de points opaques et représentant les cavités d’un ancien tissu cellulaire.

Au premier aspect, on eût pris ces fossiles pour des os pétrifiés ; mais ils nous parurent être des madrépores : nous en avons mis, sur la meule, quelques fragmens qui ont pris un assez beau poli.

Enfin on trouva plusieurs pierres figurées connues sous le nom de dendrites, et des cailloux, dont la cassure offrait des nuances très-vives de différentes couleurs ; mais ces couleurs n’ont point été à l’abri de l’action de l’acide carbonique de l’atmosphère, ou du contact de la lumière, et elles se sont ternies très-promptement.

Toutes ces recherches prirent beaucoup de temps, sans que personne se fatiguât de leur longueur ; et quand les excursions furent terminées, on se réunit une seconde fois au pied de la montagne, on se communiqua le fruit de ses recherches : les dessinateurs, malgré les obstacles que leur opposait le vent qui soufflait avec force, étaient parvenus à esquisser différentes vues ; nous adoptâmes unanimement celle qui est gravée, planche 4, comme exprimant un plus grand nombre de détails (49).

Cependant nous ne connoissions encore qu’une partie des avantages de ce terrain, nous n’avions vu que le pied de la montagne, et les botanistes, qui s’étaient élevés jusqu’au sommet, nous confirmèrent tout ce qu’on nous avoit dit de l’étendue de l’horizon et de la beauté des différens points de vue dont on y jouissait.

Il faut donc arrêté que nous y reviendrions le lendemain matin, et nous retournâmes à la tente, avec les collections dont nous étions chargés.

LES ANTIQUES : LES DÉSERTEURS :

On nous avait apporté, pendant notre absence, divers objets d’antiquité que nous examinâmes à notre retour. Parmi ces objets, il y avait une médaille du bas-Empire, dont le revers attira toute notre attention : sa légende n’eût pas eu plus de justesse et de vérité, quand elle eût été faite pour les circonstances glorieuses où la France se trouvait alors.

La figure était celle d’un guerrier, s’appuyant d’une main sur son bouclier, et de l’autre présentant une branche d’olivier ; on lisait, autour de la médaille, les mots latins, Marti pacifero (50). Les dessinateurs la copièrent, sous de plus grandes proportions, parce que cette médaille n’est que de petit bronze : les traits en sont gravés avec exactitude planche 5.e lettre B.

PL5. - Voyage des élèves de l'Ecole Centrale de l'Eure - An 8

Les figures de la même planche, sont celles d’autres objets qui furent trouvés, il y a quelques années, dans la commune de Préaux, près le Pont-Audemer. La pierre de l’anneau (D) est une hyacinthe dont la gravure présente l’image d’un soldat romain sous les armes (E). Cette pierre est mal gravée ; elle était montée en argent, et son grand axe se trouvait dans le plan du cercle de l’anneau. La fig. C. représente une petite cuiller d’argent, dessinée de grandeur naturelle.

Ces objets furent trouvés presqu’à fleur de terre, dans un terrain couvert de ronces, qu’on défrichait alors pour le rendre à l’agriculture : ils étaient renfermés, avec 600 médailles de petit bronze et quelques autres médailles en argent, de la même grandeur, dans un vase d’airain, que représente en petit la fig. A. Ce vase était fait au marteau : sa hauteur était d’un pied, et l’on a scrupuleusement suivi ses proportions dans le dessin qu’on en a fait.

Ce qu’il y eût eu, selon nous, de plus important à conserver : ce dont nous déplorâmes très-vivement la perte, était un morceau de toile, ou d’étoffe, qu’on nous dit avoir été trouvé, dans ce vase, avec les antiques.

Le seul récit qu’on nous en fit, nous affecta comme si nous eussions eu cet objet présent : il nous semblait qu’il eut été du plus grand prix, par les indications qu’il eût pu fournir sur les fabriques de ce temps-là. Mais les hommes qui l’avaient trouvé, ne virent à sa conservation aucun motif d’intérêt. « Il était tout consommé » dit naïvement l’un d’eux « il n’était propre à rien, on le jetta dehors. »

Nous mîmes alors en usage divers moyens, pour leur faire entendre que cette étoffe était infiniment au-dessus de tous les lingots d’argent que le vase eût pu contenir, nous leur donnâmes des regrets sur la perte qu’ils avaient faite, et depuis cette époque nous avons fait ce qui dépendait de nous, afin d’inspirer du respect pour tous les objets d’antiquité qu’on déterre : nous desirons que cela puisse servir à les faire conserver avec plus de soin.

Les mêmes citoyens nous donnèrent encore deux autres pièces de cuivres (1 et 2). La figure 3 présente le dessous de la même pièce, dont le dessus est indiqué n.° 2. Nous n’attachâmes point un grand prix à ces objets, que nous regardâmes comme l’agraffe d’un baudrier ; nous n’en avons conservé les traits qu’à cause de la grossièreté du travail, et parce qu’il est néanmoins vraisemblable, que cette agraffe avait appartenu à quelque homme de marque. En effet elle a été trouvée dans un cercueil de pierre, qu’on a déterré depuis quelques années, avec beaucoup d’autres, à une demi lieue de Pont-Audemer. Les lignes paralleles de la figure n.° 1. sont des sillons creusés, à la lime, dans l’épaisseur de la pièce, pour tenir lieu d’ornement et de ciselure ; et il faut regarder comme un des produits du même goût, les points enfoncés qu’on voit entre ces hachures et sur toute la surface de la fig. n.° 2.

Nous conservâmes ces pièces, ainsi que plusieurs médailles trouvées dans le vase fig. A., et l’anneau fig. D., pour les porter à l’Ecole centrale avec nos collections.

Les insectes phosphorescens ; les intermittences de leurs apparitions, et la cessation subite du phénomène nous occupèrent aussi pendant le même jour. Quelques-uns proposèrent d’aller, après souper, faire une nouvelle tentative sur le rivage, afin d’examiner si ces insectes ne paraîtraient point ce soir là, et tous voulurent prendre part à cette recherche. Nous ne vîmes pas un seul insecte dans l’eau de mer que nous puisâmes, à diverses reprises, et en différens endroits : mais nous en apperçûmes plusieurs dans les varecs épars que le flot avait poussés sur le rivage. Cela nous fit regretter de n’avoir pas une plus grande quantité de varec à notre disposition : nous nous rappelâmes l’observation du Hâvre où nous avions vu, pour la première fois, les insectes sur le varec, et nous arrêtâmes qu’un de nous irait sur la grève de Honfleur, où nous avions trouvé beaucoup de varec, pour prendre, sur ces végétaux, tous les renseignemens que l’observation lui fournirait.

Nous apprimes, à notre tour, que des ordres avaient été donnés pour la recherche de plusieurs déserteurs qu’on disait avoir été vus marcher en troupe dans la campagne, et sur les intentions desquels on avait des craintes.

Cette circonstance pénible nous fit désirer vivement le retour de la paix, et la légende de notre médaille revint à notre esprit. Nous plaignîmes la patrie d’être réduite à se défendre contre ses ennemis et contre ses propres citoyens : nous fûmes extrêmement affligés du tourment de ces infortunés qui se trouvaient, par la désertion, en révolte contre les sentimens de leur conscience, et que les angoisses, toujours renaissantes, de leur position devaient rendre insensibles aux beautés de la nature, que nous admirions dans toutes les heures du jour.

L’INTÉRIEUR DES MONTAGNES : LE CAMP DES
ANGLAIS : LES CERCLES MAGIQUES.

Le lendemain matin, nous partîmes pour la seconde expédition de la roque. Avant de monter sur la hauteur, nous voulûmes revoir les sites pittoresques de la veille, les blocs suspendus, les excavations, les éboulemens et les assises paralleles de la montagne.

Ce dernier point nous faisait toujours une impression profonde, il nous présentait les traces du travail successif des alluvions, dans la formation des montagnes, et nous ne pûmes nous défendre de ce sentiment de plaisir que donne l’évidence, lorsqu’en comparant le flanc de cette montagne, où les bancs étaient si marqués, aux attérissemens herbés que la mer a formés depuis, au pied de la roche, nous vîmes, dans la coupe de ce terrain, le même mécanisme de construction, le même parallelisme des assises, en un mot, la preuve irréfragable que les couches du banc d’alluvion et les assises de la montagne étaient produites par la même cause : excepté seulement que la mer, beaucoup plus élevée sur le sol, quand elle posa les fondemens de la colline, agissait en grand avec toute la puissance des courans et des grandes marées ; au lieu que les bancs, qui se sont formés au pied du roc, ne sont que le produit des dernières lames du flux et du reflux, et n’ont pas, à beaucoup près, l’épaisseur de ces bancs de silice et de terre calcaire qu’on voit dans la montagne.

A quelle époque ceux-ci furent-ils entassés les uns sur les autres ? combien y a-t-il de temps que ces grandes alluvions surmontèrent le sol primitif ? c’est un problême dont quelques heureux hasards offriront peut être la solution ; jusqu’à présent rien ne peut servir à la faire connaître : mais combien de siècles n’a-t-il pas fallu pour endurcir le limon de silice, où furent enveloppés les coquillages qu’on y voit aujourd’hui !

Nous n’osons rien affirmer sur les conjectures que fait naître l’aspect de ces pierres qui présentent tantôt le silex enveloppé de terre calcaire, et tantôt la terre calcaire au sein du silex : mais il n’y a rien qui puisse attirer plus sérieusement l’attention du naturaliste que l’intérieur de ces masses hétérogènes.

Au milieu de leurs cassures, vous voyez des oursins dont le centre siliceux est transparent comme l’agathe, tandis que l’enveloppe et le creux formé dans le caillou par l’oursin, sont assez profondément calcaires ; après cela, le silex reparait dans une épaisseur plus ou moins grande, jusqu’à ce que sa transparence diminuant peu à peu, et comme par couches, le bloc se confonde à la fin, par le ton, la couleur et la dureté, avec la pierre calcaire qui forme sa dernière enveloppe.

Nous avons cassé beaucoup de ces cailloux dans lesquels se sont offertes ces apparences d’enveloppes et de couches roulées.

L’épaisseur de ces couches était souvent la même, et leur succession régulière et parallele ne servait qu’à augmenter nos incertitudes. Nous nous demandions par quel moyen le limon de silice avait pu acquérir sa transparence et sa dureté, à des profondeurs qui paraissaient inaccessibles à l’action de tous les fluides répandus dans l’atmosphère !

Cependant nous avancions vers le sommet de la colline ; déjà des points de vue magnifiques s’offraient à nos regards, et nous parvinmes au point le plus élevé du plateau, qu’on appelle dans le pays le camp des Anglais. On n’a pu nous dire d’où vient cette dénomination : les vestiges de quelques anciens fossés, dont on voit encore la direction, ressemblent plus à des dispositions de culture et d’enclos rural, qu’aux lignes simétriques d’un camp.

Mais cette position est admirable par la beauté du spectacle qu’elle offre de tous les côtés.

Des collines cultivées et couvertes de bois vers le sud : la Seine, vers le nord, avec les côtes du pays de Caux, couronnées de grands arbres et vivifiées par des habitations : à l’orient, un immense terrain bordé par une chaîne de montagnes demi circulaire, avec des attérissemens fertiles qui s’étendent jusqu’au-delà de Quillebeuf : et vers l’occident la superbe embouchure de la Seine et les rives qui la bordent ; les ports de Honfleur et du Havre ; le mouvement que donnent au tableau toutes les barques qui montent la rivière ou qui la descendent.

Le sol lui-même nous offrit des productions que nous n’avions pas encore trouvées : nous vîmes, sur la pelouse, un grand nombre de ces bandes circulaires, connues sous le nom d’anneaux, ou cercles magiques, et dans la largeur desquelles on voit un gazon plus ou moins différent de celui qui se trouve en dehors et en dedans de ces anneaux. La différence qu’on remarque entre la couleur des bandes et celle du gazon environnant, n’est pas toujours du même genre ; il y a des temps où le gazon des anneaux est plus frais et plus vert que celui qui les entoure ; il y en a d’autres où il est au contraire sec et fané, tandis que celui des environs conserve encore sa fraicheur (note XVII).

Du plateau sur lequel nous nous étions reposés, nous marchâmes vers la pointe de la roque, afin de voir, d’en haut, les pics et les éboulemens qui, la veille, avaient été dessinés d’en bas. Ce fut un spectacle d’un autre genre, et presqu’effrayant par l’âpreté de la coupe de la montagne et sa chute perpendiculaire. Les mesures, que nous avions prises, de son élévation, avaient été calculées, mais les calculs n’avaient point été vérifiés, et l’estimation, que nous fîmes alors de la hauteur, nous donna quelques inquiétudes sur l’opération de la veille.

Plusieurs pensèrent qu’il y avait de l’erreur : un de nous le soutint même avec assez d’assurance, pour nous faire soupçonner qu’il avait plus que des apperçus, et il convint que pendant les opérations des mathématiciens, il était secretement monté sur la pointe et qu’il en avait mesuré la hauteur avec un plomb. La certitude de cette vérification fit chercher la cause de la différence des résultats ; on la trouva dans le choix qu’on avait fait d’un pic, comme le plus élevé, quoiqu’il ne le fut pas réellement. En effet, sa pointe rapprochée cachait la plus grande élévation de la montagne, et quoique l’opération et les calculs eussent été régulièremen[t] faits, cette illusion avait cependant produit une erreur de dix pieds.

Mais l’isolement de cette montagne et son escarpement nous présentaient l’apparence d’une erreur bien plus grande et nous l’eussions très-mal jugée, si les vérifications et les calculs n’avaient été employés pour connaître la hauteur réelle (note XVIII).

La seule plante remarquable que nous trouvâmes fut la digitale jaune (51) ; mais nous vîmes une très grande quantité de papillons, notamment des agrestes, des petits argus de montagne, etc. (52).

Nous nous présentâmes ensuite chez le maire de la Roque, à qui nous avions d’anciennes obligations, parce que c’était à sa recommandation que l’Ecole centrale devait les premiers tadornes que lui avait donnés le citoyen Mabire, professeur d’hydrographie et de mathématiques à Quillebeuf (53).

Nous offrîmes au maire nos remercîmens et nos civilités, et nous lui rendîmes compte du motif de nos excursions.

LE TÉLESCOPE : LE BORD DE LA LUNE.

Le reste du jour fut employé à des observations microscopiques ; et le soir nous considérâmes la lune avec le télescope.

Nous reconnûmes aussi sur le disque, les taches dont nous avions vu la figure dans les cartes du ciel.

Mais nous ne vîmes point sans étonnement une apparence singulière, que l’instrument nous fit appercevoir, et dont nous n’avions point encore entendu parler. Le limbe de la planète, qui nous semblait, à la vue, terminé d’une manière très-nette par une ligne circulaire, nous parut, dans l’instrument, sous la forme d’une suite d’aspérités qui présentaient l’image d’une déchirure.

Les peuplades problématiques de cette terre inconnue ne nous parurent pas aussi probables qu’on a quelquefois voulu le faire entendre ; l’apparence de cette espèce de cordon de pierre ponce, qui renfermait le disque, nous fit présumer que le globe se dessinerait toujours de la même manière, sous d’autres aspects. Ses nuits de quinze jours nous semblèrent excessives, et la lenteur de caractère et de mouvement qu’auraient les habitans engourdis de ces climats, nous parut une sorte de léthargie organique. Nous quittâmes ce spectacle pour reporter nos yeux sur les étoiles qui se trouvaient alors sur l’horizon : nous reconnûmes le signe du verseau, nous vîmes le lien des poissons, le belier, les pleïades, etc.

C’est ainsi que la superbe théorie de Copernic doit être étudiée, plutôt encore que dans les livres qui en établissent les bases et qui en développent les conséquences. C’est en présence des astres que leurs révolutions doivent être expliquées, et nous sentîmes tout ce que dut avoir d’intérêt et de charmes, pour l’heureux magistrat de Vénise, l’ingénieux appareil de Galilée, sur les tours de St.-Marc (54).

Nous aurions vivement désiré voir Jupiter, mais il n’était sur l’horizon que dans les heures du jour, et nous nous bornâmes à admirer l’usage que l’astronomie avait fait des passages fréquens et périodiques de ses satellites.

LES NOUVEAUX POINTS DE VUE : LES
VIEUX HÊTRES.

Le jour suivant nous parcourûmes ce qui nous restait à connaître des côtes de la Roque et d’une commune voisine, nommée saint-Samson.

Les sites que nous avions vus la veille étaient magnifiques : mais le coup-d’œil, que nous offrit l’autre partie de cette côte, était ravissant par les contrastes qu’il réunissait.

Dans le lointain, la vue des grandes villes, des ports de mer et des vaisseaux, nous rappelait les idées du pouvoir, des richesses et de l’abondance que donnent aux hommes le commerce et l’industrie ; mais, dans les premiers plans, nous voyions l’image de la vie pastorale et douce dont jouit, au milieu des champs, l’homme paisible et bon, sachant apprécier les vrais biens que fit pour lui l’auteur de la nature.

La premiere partie du tableau présentait à nos yeux tout ce qui peut élever l’ame, agrandir les idées, échauffer l’imagination et donner l’éveil aux passions vives : la seconde nous offrait tout ce qui peut remplir le cœur de sentimens délicieux, dans une famille agricole et pure ; tout ce qui rappèle les hommes à ces devoirs primitifs, qui les unissent par les services mutuels, et qui les rendent heureux par la générosité et par la reconnaissance.

Tel fut, sans doute, le site enchanté où se reposait Horace, quand il peignit, dans la même ode, le faux éclat des cités et l’heureuse simplicité des campagnes ; les illusions de la fortune et les produits assurés de la charue ; la soif brûlante des richesses et les jouissances paisibles de la médiocrité ; les crimes que l’or fait commettre et la bienfaisance qu’inspire l’usage des dons de la nature : enfin les naufrages où les ambitieux vont périr, et les soins affectueux que reçoit la vieillesse au sein d’une famille patriarchale.

Nous ne quittâmes ces heureux points de vue qu’avec peine, et nous exprimions nos regrets en nous en éloignant, lorsque nous découvrîmes la tente sur la côte opposée du vallon. Sa blancheur la faisait distinguer parmi les différens tons du paysage ; nous nous plûmes à la considérer : sa vue nous rappela les objets que nous y avions déjà déposés ; elle nous fit penser à ceux que nous avions encore à recueillir, et nous reprîmes nos travaux et nos recherches, en parcourant la côte orientale de la Risle.

Son élévation qui en fait un lieu très-agréable, pendant la belle saison de l’année, doit en faire un séjour bien incommode pendant l’hiver. Les coups de vent du nord-ouest exercent, à son sommet, toute leur violence, les arbres et leurs rameaux contractent une direction penchée, comme s’ils étaient arrêtés et maintenus par des attaches ; les branches ne poussent point du côté du vent, c’est à l’opposite qu’elles se tournent, et c’est de ce côté-là seul que les boutons peuvent se développer.

Nous remarquâmes surtout deux hêtres antiques battus par les tempêtes sur cette côte élevée. Ils tiennent au roc par des racines noueuses et entortillées, comme le lierre tient aux murailles ; le chevelu seul a pénétré dans les fentes de la pierre, mais les racines n’ont pu s’enfoncer ; à mesure qu’elles ont grossi elles ont surmonté la légère couche de terre végétale, qui couvre la roche, et s’étendant plus loin que les branches autour du tronc, elles présentent aujourd’hui l’aspect d’un assemblage tortueux, qu’une végétation tourmentée a construit malgré tous les obstacles (55).

Nous ne trouvâmes aucune plante nouvelle sur ce côteau, nous vîmes seulement quelques insectes : les papillons nommés par Geoffroi la petite tortue, le vulcain et la belle-Dame ; des sauterelles à ailes bleues, d’autres à ailes rouges, la sauterelle ensanglantée et des cicadelles écumeuses, autrefois nommées cigales bédaudes (56).

LA GRANDE MARE : LES EPONGES
D’EGLANTIER.

Nous traversâmes la largeur du plateau pour découvrir, de l’autre côté, le marais vernier à l’extrémité duquel est un lac, connu sous le nom de la grande mare et désigné de même dans les cartes de Cassini.

Tout ce que nous avions entendu dire de la position et des particularités de ce lac, de la nature du terrain marécageux qui l’entoure : ce que nous appercevions de loin dans la manière dont on cultive ce même terrain : les nombreux potagers qu’il renferme et qui ont la forme de découpures longues et parallèles, nous firent regretter de ne pouvoir, dès cette année, pousser nos recherches de ce côté-là.

Nous sentîmes de quel intérêt il serait, pour le pays, de rendre productif un aussi vaste marais ; de convertir, en terre labourable, une surface immense de tourbières et de marécages, qui ne peut avoir, dans son état actuel, que des influences pestilentielles, qui cause, dans les environs, des fièvres automnales et donne aux riverains cette constitution œdemateuse, qui n’a le caractère ni de la force ni de la santé.

On nous a dit qu’une compagnie de Hollandais avoit demandé, il y a près d’un siècle, à faire le défrichement de ce marais ; nous n’avons point découvert la cause qui a pu faire échouer cet utile projet : les avantages d’un pareil travail sont évidens et font désirer qu’on le reprenne bientôt.

Nous revinmes sur nos pas, du côté de la Risle, et nous allâmes vers une pointe de la côte, qui s’avançait dans la vallée ; nous y vîmes des papillons que nous ne pûmes saisir, et qui parurent être de la famille des aurores.

Nous cueillîmes des bédéguars monstrueux sur les églantiers de la colline (57) ; nous brisâmes quelques cailloux dont l’enveloppe quartzeuse et brillante faisait soupçonner qu’ils renfermaient des produits curieux, mais ils n’offrirent que les empreintes coniques et cannelées de pointes d’oursins. Nous nous reposâmes ensuite pendant quelques instans, puis nous descendîmes par le flanc de la colline où de nombreux troupeaux paissaient le thym des montagnes.

LA RENCONTRE INATTENDUE.

Nous étions alors dans la commune de St.-Samson et nous avançons vers la rivière qu’on traverse en cet endroit, sur un bac,…… lorsque des citoyens armés, se montrant tout-à-coup à notre rencontre, nous commandent d’arrêter et se présentent avec une sorte de résolution dont nous ne concevions pas le motif. Nous n’étions pas très-éloignés les uns des autres, mais nous n’étions pas non plus tous ensemble, et ce fut aux plus avancés que les citoyens commandèrent de s’arrêter et demandèrent des passeports. Cependant les derniers de notre petite troupe ne tardèrent point à rejoindre l’avant-garde, qui se trouvait en pour parler avec les citoyens armés, et ceux-ci ayant bientôt reconnu l’un des membres du jury d’instruction, posèrent leurs fusils, avec un éclat de rire qui devint plus inconcevable encore que le serieux de leur premier abord.

Le mot de cette énigme est que notre apparition subite et nombreuse, sur la croupe d’une de leurs collines, s’était jointe, dans leur esprit, au souvenir des ordres qu’ils avaient reçus la veille, relativement aux déserteurs ; dès-lors nous étions devenus pour eux un sujet d’inquiétude publique ; l’uniforme du pensionnat, que portaient plusieurs d’entre nous, semblait être la preuve d’un enrôlement particulier ; nos instrumens avaient paru des machines hostiles ; la descente précipitée que nous avions faite par le ravin, sans aller chercher des chemins frayés, étoit comme une irruption qui présageait une attaque réfléchie, et ces citoyens estimables s’étaient armés pour la défense commune.

Nous devons rendre hommage à la franchise de leur caractère, qui les fit s’amuser avec nous de la méprise qu’ils avaient faite.

LES TOMBEAUX : LES EPITAPHES.

Le maire de S.-Samson nous donna obligeamment tous les secours qui dépendirent de lui, pour les recherches que nous eûmes l’occasion de faire dans la commune.

Nous en avons fait sur des objets fort extraordinaires, et c’est une chose assez rare, qu’une petite commune, comme celle de St.-Samson, ait autrefois servi de retraite aux évêques d’un diocèse éloigné, situé même dans une autre province.

On voit encore aujourd’hui les ruines d’un vieux monastère qui fut bâti par ces évêques, et l’on retrouve les traces d’une très-ancienne collégiale, établie pour le service de l’église paroissiale (note XIX).

PL 6. - Voyage des élèves de l'Ecole Centrale de l'Eure - An 8Mais ce qui nous parut le plus remarquable est une vieille épitaphe, dont la planche VI présente la copie figurée. Nous ne savons précisément qu’elle date il faut donner à cette pièce, parce que son auteur, qui marquait avec soin les jours du décès des deux prêtres Raoul et Benoît, n’a pas eu l’attention d’en indiquer, en même tems, l’année.

C’est donc uniquement d’après la comparaison, que nous avons faite, des caractères de cette épitaphe, avec d’autres caractères anciens, et sur-tout avec ceux que Montfaucon a fait graver, qu’il nous semble que cette épitaphe peut être du neuvième siècle.

Nous avons cru devoir la conserver comme un des monumens de l’écriture de ce tems-là, et de l’état où les lettres et l’instruction se trouvaient alors. Nous croyons d’ailleurs pouvoir affirmer que les caractères ont été fidèlement copiés, malgré les difficultés que nous éprouvâmes, non-seulement à cause des dégradations que la pierre avait souffertes, mais encore à cause des lichens dont elle était couverte, en quelques endroits, et que nous n’osions enlever de peur de causer de nouveaux dommages (58). Il y eut des lettres que nous prîmes la peine de relever, avec de la cire, pour être surs de leur vraie forme ; en un mot nous fîmes, de ce travail, une sorte d’étude pour toute autre occasion dans laquelle il s’agirait de déchiffrer un monument d’une plus grande importance ; nous avons même essayé de suppléer à ce que le temps a détruit et à ce que nous avons considéré comme des abréviations dans l’écriture, et nous avons copié dans la note XX l’épitaphe, ainsi completée, avec des caractères de différens ordres (note XX).

La pierre, sur laquelle on lit cette épitaphe, n’est plus sur un tombeau ; elle est maintenant employée dans la construction du mur méridional de l’église ; et dans le même mur, à dix pieds plus loin, on en voit encore une autre dont les caractères paraissent un peu plus modernes ; mais dont le style est correct et la conception plus heureuse.

La fig. A qui est gravée au bas de la planche VI est la tête mutilée de la fig. d’évêque, dont nous avons parlé dans la note XIX, et que les salpêtriers de l’an deux mirent en pièces, sous prétexte d’en tirer du nitre ; nous en avons conservé les traits parce qu’ils peignent la forme que les mitres avaient à des époques reculées de l’ère ancienne ; nous lui avons trouvé beaucoup de ressemblance avec une autre mitre qu’on voit à Rouen, sur le tombeau d’un évêque, auprès du chœur de la Cathédrale.

LE BAC. S.T-SAMSON : LE PASSAGE DE
LOUIS XI.

Lorsque nous eûmes reconnu ce qu’il y avait de curieux dans ce local, nous continuâmes notre route vers le passage de la Risle, au bac de St.-Samson.

Avant la construction des grandes routes ce passage était extrêmement fréquenté. On ne prenait pas ordinairement d’autre chemin pour aller de Honfleur à Pont-audemer ; et ce fut au bac St.-Samson, que les échevins de cette dernière ville allèrent présenter du vin clairet à Louis XI, lorsqu’il revenait de Honfleur, le 3 juin 1475 (note XXI).

De l’autre côté de la Risle nous cueillîmes, le long des fossés, le chardon des marais (59), l’inule dyssenterique (60), le bidens à feuille de chanvre et le bidens penché (61).

LES PÊCHERIES DE BERVILLE : LES
HAMEÇONS D’EPINE : LES BALEINES.

Quand nous fûmes arrivés, nous nous hâtâmes de dîner, pour aller visiter les pêcheries de Berville, que nous avions entrevues en allant à Honfleur.

On y pêche avec une espèce de filet en entonnoir, dont on arrête le pavillon sur des pieux enfoncés dans le sable (62). C’est la manière la plus lucrative dont la pêche se fasse sur les bancs de cette commune ; on y prend  beaucoup de hareng, dans l’arrière-saison ; beaucoup d’un excellent poisson qui exhale, au sortir de l’eau, une odeur très-agréable de violette (l’éperlan) ; on y prend aussi beaucoup de crevette, appelée ailleurs salicoque, de l’œillet, un peu de capelan, etc.

On prend encore des saumons dans la rivière, quand ils la remontent pour frayer, et nous pourrions ajouter qu’on y prend aussi des baleines, si les événemens de ce genre étaient plus nombreux, ou plus rapprochés.

Il n’y avait néanmoins qu’une vingtaine d’années qu’on en avait pris une très-grosse, lorsque l’année dernière, au commencement du printemps, les habitans de Berville  prirent encore un cétacé.

Nous serions portés à croire que c’était un grand cachalot (63), s’il était permis de compter sur les rapports qui nous furent faits ; mais les hommes à qui nous les devons, ne songeaient à autre chose, qu’aux moyens de tirer le meilleur parti de leur bonne fortune, et le souvenir confus, qui leur était resté, ne nous parut pas suffisant pour garantir la description qu’ils nous firent.

Une seule circonstance nous sembla mériter de l’attention, et nous pensâmes qu’elle pourrait du moins servir à déterminer, à très-peu de chose près, la grosseur du cétacé. On nous dit que deux hommes, d’environ cinq pieds trois ou quatre pouces, qui se trouvaient placés des deux côtés, ne se pouvaient appercevoir, au dessus de son épaisseur, qu’en s’élevant sur la pointe des pieds : ainsi en défalquant ce que la mobilité du sable pouvait leur faire perdre, il parait que le poisson avait, au moins, cinq pieds de diamètre.

On en tira quelques barils d’huile, mais on en perdit la plus grande quantité, et du reste, rien n’a été conservé : la chair, la peau, les os, tout a été dissipé par ceux qui en achetèrent des pièces ou des tronçons. Le regret de ne pouvoir acquérir aucun renseignement précis nous fit inviter les pêcheurs à donner avis, à l’Ecole centrale,  des évènemens de ce genre, s’ils se renouvellaient, et si quelque baleine venait encore échouer sur les bancs de sable.

C’est en effet au grand nombre de ces bancs, et peut-être aussi à leur instabilité, qu’on doit la prise des deux dernières, parce qu’ils forment, dans l’embouchure de la Seine, des espèces de parcs naturels au milieu desquels la mer laisse, en se retirant, les poissons d’un grand volume lorsqu’ils s’arrêtent trop long-temps après le reflux.

Mais il n’est pas aussi facile de découvrir les causes qui font divaguer ces monstres exotiques, et qui conduisent, sous des latitudes tempérées et douces, ces habitans des mers du nord.

Les filets nommés guideaux, ne sont pas les seuls moyens qu’on employe pour pêcher à Berville : on prend en outre des plies (64), des flondres (65) et autres poissons plats (66), avec des lignes. Les pêcheurs vont tendre ces lignes au bord de la Seine, et ils les arrêtent sur le sable, avec des pieux ou des pierres. Ces lignes ont environ un pied de longueur ; elles sont attachées à une maîtresse corde qui se prolonge fort loin, et sont toutes armées d’hameçons faits avec des pointes d’épine.

Pour faire ces hameçons, les pêcheurs employent, avec la pointe d’épine, une petite portion de la branche qu’ils aiguisent, en-sorte que ces hameçons prennent la forme d’un angle droit, semblable à celle d’un clou à crochet dont les deux pointes seraient égales.

Nous ne pûmes jouir du spectacle d’aucune de ces pêches. En effet, avant nous nous fussions présentés pour y prendre part, les pêcheurs avaient reçu la défense de continuer la pêche, jusqu’à ce qu’ils eussent prouvé qu’ils ne s’écartaient point des anciennes dispositions de l’ordonnance sur cet objet de police.

LES MAISONS DE CAMPAGNE : LES
BRUYERES.

Nous longeâmes la rivière, pour remonter sur les côteaux que nous avions devant nous, et nous jouîmes encore une fois du spectacle magnifique que l’embouchure de la Seine offre de toutes parts.

On voit, au pied d’un de ces côteaux, une maison de campagne, agréablement située dans un vallon fertile, entourée de bosquets, décorée de terrasses et de pièces d’eau (67).

C’est aussi sur le même côteau, qu’on trouve une propriété remarquable par ses plantations nombreuses et bien ordonnées, ainsi que par les sites heureux qui l’entourent (68). De toutes parts ce sont ou des points de vue qui se prolongent sur la mer, entre des avenues et des quinconces, ou des tableaux rapprochés de culture et de pâturages ; tantôt c’est un point élevé que le soleil fait briller d’une lumière vive, et tantôt c’est une percée dans de jeunes taillis, qui donne une ombre agréable et fraîche.

Le plateau de cette colline est couvert d’une couche de terre végétale, qui n’a pas une grande profondeur : mais avec une culture soignée et des engrais, on la rend productive et même fertile.

Il y en a cependant une partie qui n’est couverte que de bruyère, ou de genêt épineux (69) et ne présente que l’image de la stérilité la plus absolue. Cette partie du plateau est un terrain communal dont les usagers enlèvent le gazon, à mesure qu’il se reproduit, pour le brûler comme de la tourbe. Ainsi au lieu de s’améliorer, avec le temps, par les dépôts terreux que les tourbillons élèvent et par les débris des végétaux que l’atmosphère y fait croître, ce terrain, successivement pelé de place en place, n’offre à l’œil que le caillou mis à nud, avec l’aridité brûlante de la pierre et du sable.

Il est à souhaiter qu’on trouve les moyens d’améliorer les côteaux de cette espèce, qui sont en grand nombre dans le département.

On croit généralement que les plantations dont le besoin se fait de plus en plus sentir, sont les plus avantageux qu’on puisse prendre ; il faut espérer que l’industrie agricole portera enfin ses regards sur cet objet. Ce serait le moyen de procurer aux hommes peu fortunés, un meilleur chauffage que la tourbe médiocre qu’ils vont chercher sur ces côteaux.

LABOURAGE : TROUPEAUX : ECONOMIE
RURALE.

Au pied de cette colline aride, est une campagne peu étendue, mais fertile, que nous traversâmes pour retourner à la tente. Ce fut dans ce trajet, que nous donnâmes une attention particulière à la manière dont on cultive la terre.

On fait communément deux saisons, c’est-à-dire, on seme du froment tous les deux ans, et dans l’année où l’on n’en sème pas, la terre se repose en jachère, à moins qu’on n’y sème ce qu’on appèle dans le pays des menus grains, ce qui comprend les pois, la vesce, etc.

Le bled qu’on sème après la récolte de ces menus grains, s’appèle bled de froissis, apparemment parce qu’au lieu de donner à la terre les tours accoutumés de charrue, on ne fait en quelque sorte que la froisser par celui qu’on lui donne, avant de semer le grain. Il est de notoriété que ce bled de froissis ne vaut pas souvent la moitié de celui qui vient dans la terre de jachère, et qu’on nomme bled de voret.

Il y a même des cultivateurs qui ont compté ce que le bled de jachère donnerait de grain, au-delà de ce que fournit celui de froissis, et qui assurent qu’il y a de la perte à faire du froissis et à ne pas accorder à la terre le repos d’une année. Cependant il est bien à regretter que les cultures décrites par Arthur Young, et suivies avec succès dans plusieurs parties de l’Angleterre, ne prennent encore en France aucune faveur ; il est à regretter qu’on néglige des moyens qui doublent si avantageusement les produits dans une île où l’on est obligé de suppléer, par le travail et l’industrie, au peu d’étendue que présente le sol.

Les charrues employées dans le territoire que nous avons parcouru, sont d’une construction plus forte que celles des parties orientales du département ; les sillons sont aussi plus profondément labourés, ils sont beaucoup moins larges et plus arrondis.

Cette disposition multiplie les surfaces, elle augmente le contact de l’air et facilite l’écoulement des eaux pluviales, par les raies qui se trouvent entre chaque sillon.

Cette forme n’est cependant pas la même pour toutes les qualités de terre ni pour tous les genres de culture, et elle n’est adoptée que pour le seigle et le bled, dans les terres fortes ; dans les autres cultures et dans les terres sabloneuses, ou contenant des cailloux, on fait de larges sillons applatis, qu’on appelle planches.

Les propriétés, qui ne sont pas encloses, sont, pour la plupart, séparées des propriétés voisines par de gros cailloux qui leur servent de bornes, et c’est la meilleure précaution qu’on puisse employer pour prévenir toute espèce d’usurpation. Mais il y a des terres dont les limites ne sont pas ainsi déterminées, et quand il s’élève à ce sujet des difficultés, que les titres ne peuvent pas détruire, on a recours à la loi suprême de l’ancienne possession. Quelque défigurées qu’on en suppose les traces, on parvient presque toujours à les reconnaître, dans la terre, par la couleur ou le ton des veines, des filons et des couches qui attestent les anciennes cultures.

On enferme toujours les vergers d’habitation (note XXII), et souvent aussi les pâturages, dans des clôtures qu’on appèle fossés. Cette expression comprend non-seulement la fosse pratiquée autour du terrain qu’on enclôt, mais encore une butte qu’on élève, sur le bord de la fosse, avec la terre  qu’on en a tirée : on distingue seulement  ces deux parties de la clôture, en donnant à la fosse le nom de creux de fossé, et en appelant masse de fossé, la butte élevée sur le bord du creux. Ces masses de fossés sont couronnées d’épines et plantées de grands ormes dont la tige droite et les ramées feuillues forment des palissades très-agréables, sur le bord des chemins.

On seme du froment dans les terres fortes, du seigle dans les terres plus légères, et beaucoup de petits haricots dans toutes les espèces de terre. On cultive aussi du chanvre et du lin ; mais il est vraisemblable qu’on attend trop tard pour semer celui-ci, et la différence étonnante qui se trouve entre les époques de cette culture, par rapport aux pays voisins, est peut-être une des causes de celle qu’on remarque dans sa qualité. L’exposition qu’on en fait pendant long-temps à la rosée, avant de le faire rouïr, contribue sans doute encore à le détériorer.

Les bestiaux qu’on nourrit sont des brebis et des vaches, on ne voit point de chèvres et l’on engraisse rarement des bœufs. On élève encore des cochons dans les fermes et dans les vergers d’habitation ; on sait cependant qu’il y a peu de profit à faire sur ces animaux, mais l’argent qu’on en retire est le résultat des soins économiques et des dépenses, presque imperceptibles, qu’on fait chaque jour pour les nourrir. Ce résultat qu’on reçoit en somme, quand on les vend, paraît comme un gain réel qu’on applique aux besoins domestiques.

On élève d’ailleurs ces animaux pour un autre motif, c’est-à-dire, pour l’avantage qu’en retirent les arbres fruitiers, par l’engrais qu’ils répandent ; on a même coutume de transporter leur auge au pied des arbres qui languissent, afin que l’habitude qu’ils prennent de s’y rendre, devienne salutaire et fertilisante.

On voit un assez grand nombre de troupeaux de moutons ; mais on n’a point encore l’usage de les parquer, et nous sommes portés à croire qu’on les tond trop tard, vû la grande quantité de laine qu’ils laissent sur les épines et dans les buissons. Une observation qui nous a frappés, est relative à la manière dont on lave quelquefois la laine. Nous venons de dire qu’on attend en quelque sorte qu’il y en ait une partie de perdue pour la tondre, mais il en est autrement de l’époque du lavage : on la devance et on lave la laine avant même que les brebis soient tondues.

Ce n’est pas un léger travail que de laver ainsi un troupeau entier, et l’on y employe communément beaucoup de monde. On conduit les brebis au bord de la rivière ; une partie des laveurs entre dans l’eau jusqu’à la ceinture et reçoit les brebis que présentent, l’une après l’autre, ceux qui restent à terre pour ce service. Il faut deux personnes pour laver une brebis ; l’une tient la tête élevée hors de l’eau pour préserver l’animal de suffocation, pour le présenter au laveur sur tous les côtés ; la fonction de celui-ci est de bien mouiller la laine, de la manier, d’en exprimer l’eau, enfin de la nettoyer des ordures et du suint dont elle se salit dans les étables. Ce travail est un vrai tourment pour les hommes qui le font, comme pour les brebis qui l’endurent, et malgré tous les soins qu’on se donne pour le bien faire, il est toujours beaucoup moins parfait qu’il ne le serait si l’on attendait que la toison fut enlevée pour la laver ;  1.° on pourrait employer de l’eau tiède et la lessive en serait meilleure ; 2.° l’opération serait moins longue et beaucoup plus facile ; 3.° elle serait moins dispendieuse ; 4.° enfin l’animal s’en trouverait mieux, et nous croyons que cette considération n’est point à négliger, parce que la souffrance de l’animal doit toujours avoir des résultats fâcheux, quelqu’insensibles qu’on les suppose.

FIN PROCHAINE DU VOYAGE : EGLISE
SOUTENUE PAR UN IF : CERCUEIL
DE PLATRE : AGARIC REMARQUABLE.

L’époque de notre retour devenant très-prochaine, nous prîmes un jour entier pour recueillir les différentes notions que nous avions acquises dans nos courses. Tandis que ce travail nous occupa, l’un de nous se rendit à Honfleur pour vérifier les doutes que nous avions sur les insectes phosphorescens, et d’autres allèrent à St.-Samson faire de nouvelles recherches sur l’ancien tombeau de cette église.

Leurs recherches furent infructueuses : ils apprirent que le cénotaphe avait été déplacé il y a cent ans, et il leur fut impossible de reconnaître le véritable lieu où le cercueil avait été mis.

Mais le voyage de St.-Samson ne fut pas entièrement inutile : ceux qui en avaient été chargés observèrent, en revenant, un if remarquable par sa position, sa taille, et les particularités du sol sur lequel il est planté. On le voit dans la commune de Foullebec, à l’angle sud-est du chœur de l’église, qu’il soutient, et qui s’écroulerait dans un ravin profond, sans l’apui que l’arbre lui prête.

Les observateurs employèrent d’abord des moyens mathématiques pour mésurer son diamètre : mais ayant trouvé des sarmens de clématite, ils en firent un lien avec lequel ils reconnurent que cet arbre (mesuré à trois pieds au-dessus des racines) a vingt-un pieds de pourtour (70).

Sous cet if, et dans un terrain de sable et de cailloux, on voit la coupe d’un cercueil de plâtre dont la direction est de l’ouest à l’est comme celle de l’église. Il est facile de reconnaître, par le diamètre de la coupe du cercueil, et par les tibia du squelette, qui percent la terre, qu’il n’y en a qu’une petite partie de rompue ; que c’est l’extrémité répondant aux pieds qui s’est cassée dans l’éboulement du sol, et que le milieu de l’if répond au milieu du cercueil. Cela fait présumer que cet arbre fut autrefois planté, à dessein, sur le tombeau dans lequel dut être mise une personne de considération.

Les mêmes observateurs apportèrent un agaric blanc, sec et dur, dont la surface inférieure offrait l’image d’un tissu réticulaire et connait à cet agaric, l’apparence d’un os blanchi ; c’était sur l’if qu’il avait pris naissance, et cette circonstance contribuoit à rendre la singularité de sa contexture plus frappante : il semblait que tout ce qu’on trouvait dans ce lieu, portât l’empreinte de la mort (71).

LES CRAPAUDS.

Ce fut encore auprès de St.-Samson, qu’un des observateurs eut occasion de voir de quelle manière les crapauds happent les insectes dont ils font leur pâture. Il examinait, depuis quelques instans, un de ces animaux qui s’approchait lentement et avec une sorte de précaution, de la branche d’une ronce, abaissée vers la terre ; le crapaud faisait un ou deux pas et s’arrêtait aussi-tôt ; il recommençait ensuite la même manœuvre, et il la continua jusqu’à ce qu’il eût la tête auprès d’une des feuilles de la ronce. Il y avait sur la feuille un de ces grands moucherons qui ressemblent aux cousins et qu’on nomme tipules ; c’était lui que le crapaud convoitait, et ce fut sur lui qu’il fit brusquement tomber sa langue, pour l’enlever comme un harpon.

On n’ignore pas que c’est avec la langue que les crapauds prennent leur nourriture : cette observation fut faite, en Angleterre, sur un très-gros crapaud qu’on avait eu la patience et le singulier courage d’apprivoiser. Mais le mécanisme de la langue n’ayant point été suffisamment développé, nous ajoutons ici le détail que nous donna l’observateur qui avait été témoin de l’enlèvement du moucheron.

La langue du crapaud, deux fois plus longue que sa tête, ne peut être contenue entre les mâchoires, qu’en se pliant sur elle-même, au milieu de sa longueur : la pointe est alors renversée sur la base, comme les feuilles d’une charnière sont couchées l’une sur l’autre, quand elle est fermée. S’agit-il d’enlever une proie, la gueule du reptile s’ouvre de toute sa largeur, la langue se redresse brusquement et s’abat comme une trappe ; l’insecte qu’elle étourdit, en le frappant, se trouve englué dans l’humeur muqueuse dont elle est enduite, et la langue, en se repliant, le précipite dans l’æsophage avec une prestesse que l’œil a peine à suivre (72).

VARECS ETINCELANS : NOUVELLES
DIFFICULTÉS : OBSERVATION
CONSTATÉE : SPECTACLE BRIL-
LANT.

Nous étions encore occupés des différens rapports que nous faisaient nos observateurs, lorsque nous vîmes arriver d’Honfleur, celui qui était allé examiner les varecs. Il rapportait une assez grande quantité de ces plantes marines, avec quelques poissons qu’il voulait nous faire connaître. Il nous apprit que les essais qu’il avait faits, pour découvrir quelques insectes dans l’eau de mer, n’avaient eu aucun succès. Il nous dit qu’il ne craignait point d’assurer qu’il n’y en avait plus dans la mer : mais il ajouta que les varecs en étaient remplis et que les étincelles qu’on y voyait briller, quand on les agitait, ressemblaient aux aigrettes lumineuses du fluide électrique, quand il parcourt la limaille de cuivre, ou les parcelles d’avanturine sur des plateaux de verre.

Le moyen qu’il nous dit avoir mis en œuvre, pour s’assurer que les plantes étaient chargées d’insectes, au moment même où il les prenait, est aussi simple qu’il est infaillible. Il avait fait faire un cône de fer-blanc dont il plaçait la bâse sur le varec, ensuite il mettait l’œil au sommet du cône, et il lui était alors très-aisé d’appercevoir la lumière des insectes, dans l’ombre intérieure de cette espèce de chambre obscure.

Il exposa donc devant nous les varecs qu’il avait apportés pour nous faire jouir du même spectacle : mais nous n’eûmes pas la satisfaction qu’il avait voulu nous procurer, parce que les insectes avaient péri dans le transport.

Nous nous livrâmes à toutes les conjectures que faisait naître la singularité des mœurs de ces animalcules.

Comment se fait-il, disions-nous, que quelques jours seulement après avoir paru remplir l’immense bassin de l’océan, ils soient tous à-la-fois relégués dans le varec, et qu’il ne s’en détache pas un seul pour flotter dans l’eau de mer ? Vont-ils chercher, dans les rameaux du varec un abri contre l’hiver, comme nous voyons des milliers de mouches se mettre à couvert de la gelée dans des crevasses et dans des troncs d’arbres ? Y sont-ils réunis pour la reproduction, comme divers insectes se ressemblent sur des branches et sur des feuilles pour la même fin (73), ou sont-ils grouppés dans le varec pour y terminer leur carrière, comme nous voyons les hannetons du printemps se réunir au bord des mares dans lesquelles ils périssent ?

Mais encore, par quel changement d’organisation deviennent-ils capables de gagner les varecs, dans une saison où tous les insectes commencent à languir,… eux qui, dans une température plus favorable en apparence, n’ont aucun mouvement progressif, eux qui ne peuvent se déranger de la perpendiculaire, par laquelle leur légéreté spécifique les porte lentement à la surface de l’eau, quand elle est en repos et tranquille ? Faut-il dire que les varecs, arrachés par les courans, recueillent ces insectes, en flottant au milieu des vagues ? ou plutôt les insectes qui brillent et qui étincelent sur les varecs, sont-ils bien les mêmes que ceux qu’on voit briller dans la mer, ou ne sont-ils point une espèce différente ou une variété ? car notre observateur avait reconnu la présence des aigrettes lumineuses, et nous ne pouvions révoquer en doute les faits qu’il avait constatés, mais il n’avait pu extraire ces insectes du varec ; il ne les avait pas comparés et il ne pouvait nous dire s’ils étaient les mêmes que ceux qu’il cherchait (74). Nous fîmes donc des vœux pour que l’histoire de ces animalcules fut étudiée par des naturalistes capables de la suivre avec succés : nous regrettâmes de ne pouvoir nous livrer plus long-temps à cette recherche.

Mais avant de quitter l’article de ces insectes, dont le seul souvenir a pour nous beaucoup d’attrait, nous consignerons ici l’opinion dans laquelle nous sommes, d’après plusieurs expériences, qu’il faut nécessairement le concours de l’air atmospherique pour faire briller les insectes, et que malgré l’agitation de l’eau dans laquelle ils sont, leur lumière ne paraît point lorsque cette eau les recouvre entièrement.

Enfin nous ajouterons que si l’on veut jouir du spectacle le plus brillant de ce genre qu’on puisse se figurer, il faut réunir la plus grande quantité possible de ces insectes dans une bouteille d’eau, et verser cette eau dans l’obscurité, soit à terre, soit dans un vase transparent : la lumière qu’elle donne en coulant, peut être comparée aux éclairs du métal liquefié que le fondeur verse du creuset dans les chassis (75).

LA DORÉE : LA VIVE ET SES ÉPINES.

Les poissons apportés d’Honfleur étaient des dorées (76) et des vives (77). Les premiers ne sont connus des pêcheurs que sous le nom de lune, et ce nom qui ne leur convient pas, leur vient peut-être de la tache ronde qu’ils ont de chaque côté, comme cette même tache leur a fait donner ailleurs le nom de poisson de St. Pierre.

La Dorée, dont la chair est excellente et de très facile digestion, n’est point connue dans le pays sous ces deux rapports : elle y est au contraire négligée et l’on n’y vend les plus grosses que quatre à cinq sols la pièce (20 ou 25 centimes). (note XXIII).

Les Vives paraissent plus estimées, quoi qu’elles ne soient pas meilleures, mais on a coutume de les rechercher, et cela suffit pour qu’elles se vendent plus cher. Elles sont armées de fortes épines, dont trois sont particulièrement redoutées des pêcheurs : les deux plus fortes sont placées aux extrémités des opercules (78) et la troisième est au milieu de la nageoire dorsale. On assure que la piqûre de ces épines est cruelle et que la plaie qu’elles font est accompagnée d’irritation, de chaleur et d’âcreté. On ajoute que le malade a souvent des accès de fièvre, et que les accidens ne s’appaisent qu’au bout de quelques jours.

La police defend d’exposer les vives en vente, avant que les épines ayent été coupées, parce que la blessure est réputée aussi fâcheuse après la mort de l’animal, que pendant sa vie. Mais il existe une opposition très-bizarre entre la précaution sagement commandée par la police, et la volonté permanente des acheteurs qui mettent moins de prix à la vive dont les épines sont coupées, et qui payent plus cher celle qui les porte encore. La poissonnière qui a des vives les serre dans ses paniers et ne les expose pas ; elle attend qu’on lui en demande, ou elle les propose elle-même : quand on paraît vouloir en acheter elle les découvre, et quand on est convenu de prix elle coupe les épines pour livrer le poisson.

Il est inconcevable qu’on laisse subsister un pareil danger, pour donner un peu plus de prix au poisson qui peut causer des accidens graves ! Il ne faudrait que l’accord des pêcheurs qui couperaient les épines au sortir de l’eau, pour faire perdre aux acheteurs le desir aussi déplacé qu’inutile de les voir couper eux-mêmes.

Nous n’avons pu examiner cette arme de la Vive au microscope, mais on assure que ce n’est qu’en déchirant les chairs qu’elle cause de la douleur, et qu’il n’est répandu dans la plaie aucune liqueur venimeuse : cela paraît d’ailleurs assez vraisemblable, s’il est vrai que la blessure soit aussi douloureuse après la mort de la Vive, qu’elle l’est auparavant.

LE NIVELLEMENT : LA RÉDACTION :
LES VISITES : LES ENCOURAGEMENS :
LA FIN.

Le temps qu’il nous avait été possible d’employer à notre voyage, était sur le point d’expirer ; il y avait près de vingt jours que nous étions en marche et l’époque de l’ouverture des nouveaux cours approchait : ainsi malgré l’imperfection de toutes nos observations, nous fûmes obligés de songer à notre retour.

Nous terminâmes nos opérations par le nivellement du sol où nous étions campés, et nous trouvâmes que l’emplacement de la tente était à quatre-vingt-quatorze pieds au-dessus du niveau de la rivière de Risle. La veille de notre départ, nous reçûmes la visite de plusieurs citoyens qui voulurent honorer nos travaux de leur présence ; des membres du jury d’instruction publique et le maire de la commune étaient de ce nombre.

Ces citoyens exigèrent que nous lussions devant eux les différentes notes que nous avions recueillies, ils les écoutèrent avec indulgence, ils eurent même la bonté d’encourager nos premiers essais.

Le maire déclara que les Elèves de l’Ecole centrale n’avaient donné aucun sujet de plainte, pendant le séjour qu’ils avaient fait dans la commune.

Si l’un de nous eût mérité le moindre reproche, il se fût rendu doublement coupable dans un pays dont tous les habitans nous avaient témoigné de la bienveillance, et avaient paru prendre un intérêt réel à nos recherches.

Nous partîmes animés d’un nouveau zèle et pénétrés de reconnaissance.


FIN.

________________________________________


CERTIFICAT DES MAIRE ET ADJOINT
DE CONTEVILLE

~  ~

Nous, Maire et Adjoint de la commune de Conteville, arrondissement de Pont audemer, Département de l’Eure, attestons que plusieurs Elèves du Pensionnat de l’Ecole centrale de l’Eure se sont présentés devant nous, le dix-sept fructifor dernier, qu’ils nous ont déclaré s’être rendus dans cette commune, située dans la vallée de Pont-audemer auprès de l’embouchure de la Risle et de la Seine, pour faire, dans les environs, des recherches et des observations d’histoire naturelle ; qu’ils se sont constamment occupés de cet objet pendant le séjour qu’ils ont fait dans la commune, d’où ils ne sont sortis que le deuxième des complémentaires, et que pendant ce temps-là ils se sont conduits avec honneur et dignité, ce dont nous leur avons accordé le présent certificat.

A Conteville, au bureau de la mairie, le troisième des complémentaires an huit de la République Française.

Signé GRESSENT, Maire ; GROUARD, Adjoint.



NOTES :
(1) Les Notes indiquées dans le Texte, par des chiffres romains, sont à la fin du volume. [A la suite des notes en chiffres arabes]
(2) Navarre est une propriété de la maison de Bouillon. Ce nom lui vient de Jeanne de France, comtesse d’Evreux et Reine de Navarre. C’est un lieu très-agréable : Chaulieu s’y plaisait beaucoup. On croit que c’est de là qu’il écrivait au marquis de Dangeau, gouverneur de Tourraine,
        Avouez, Marquis, que sans peine,
        Pour voir cette charmante cour,
        Vous quitteriez votre séjour
        Et tous les muscats de Tourraine.
(3) Il fut long-temps incertain si le déjeûner trouverait place dans le journal. Plusieurs avaient lu le fameux voyage de deux hommes célèbres, et ceux-là sur-tout étaient inexorables ! A la fin on pensa qu’une vingtaine de vers ne tirait point à conséquence : on convint d’ailleurs qu’on n’en recevrait pas d’autres ; et l’amitié plaidant la cause du poëte, le déjêuner devint un des articles du voyage.
(4) La distance fixée pour chaque jour de marche étant remplie, les élèves font halte, et les bagages s’arrêtent ; etc. Les élèves dressent leurs tentes pour passer la nuit, etc. Règlement du Pensionnat.
(5) Si les objets dont il s’agit sont des monumens anciens, les historiographes en recherchent l’origine dans les histoires de la ci-devant province, et s’occupent de constater, s’il est possible, tout ce qui tient à l’époque et aux motifs de leur construction, aux différens périodes de leur durée. Régl. du Pensionnat.
(6) Les ingénieurs mesurent les limites et les formes des anciens monumens : ils en lèvent le plan et prennent toutes les notes nécessaires pour en bien constater l’état actuel. Les mécaniciens se joignent à eux pour en mesurer l’élévation et s’assurer de toutes leurs dimensions autant qu’il est nécessaire pour en exécuter ensuite le relief en terre cuite, si l’objet en est jugé digne. Ext. du Réglement.
(7) On voit, sur le mur méridional de cette église, une inscription qui se termine par ces mots : « Et fut cette église commencée neuve, l’an de grace 15[1]8, V.e de Juillet. »
On lit sur une autre inscription, près du grand autel, le vieux mot cliquer, employé pour signifier le tintement lugubre des funérailles.
(8) On s’occupait alors à réparer les ponts sur lesquels on ne pouvait passer sans danger depuis long-temps. Les Magistrats n’avaient point voulu faire établir de contributions particulières pour ce travail : ils avaient sagement préféré d’inviter leurs concitoyens à faire volontairement une dépense dont tout le monde sentait le besoin pressant, et les fonds ayant été le fruit d’une soumission libre, l’ouvrage se faisait très-bien, et l’on n’entendait point ces murmures désagréables que les contraintes et les rôles forcés entraînent toujours après eux.
(9) La forme de ce couteau n’est pas nouvelle, et depuis long-temps il est employé dans la corroyerie, sous le nom de couteau à revers : mais il est rarement fait avec le soin qu’il exige.
(10) Les mémoires observent que c’était la première fois qu’on entendait le canon en Normandie. Ils sont d’accord sur ce point avec les historiens contemporains.
(11) Géométrie de Bézout, 2e partie. Résolution des triangles rectangles, pag. 25, édit. de l’an VI.
(12) Par le cit. Richer.
(13) Par le cit. Lenoir.
(14) Par le cit. Richer.
(15) La forme de ces insectes phosphorescens, est dessinée planche 3. fig. I. les dimensions de ce dessin sont celles qu’à présentées le microscope, sous l’objectif duquel les insectes étaient placés.
(16) On dirait qui se précipite, si l’on voulait employer l’expression consacrée par la chymie. Un peu moins d’exactitude dans l’emploi des mots, sert quelquefois à faire mieux entendre les idées qu’on veut transmettre et les faits qu’on veut expliquer. Nous voulons dire : Qui se sépare des autres principes dont le bois est formé.
(17) Nous avons sçu depuis, que ces femelles de lampyres avaient déposé dans la terre un grand nombre d’œufs, et que ces œufs ont été lumineux pendant long-temps. On les a collés au fond d’une boëte, et l’on en a formé une suite de lettres qui ont été très-lisibles dans l’obscurité.
(18) L’abbaye fut seule rebâtie, puis détruite et dépouillée de tous ses biens en 1363, par les anglais, puis enrichie par les mêmes anglais, cinquante-cinq ans après. Neustria Pia.
(19) Hist. du Hâvre, par Pleuvri.
(20) Zoophytes qu’on nomme actinies et qui présentent une forme  assez ressemblante à la fleur des anémones. Leur force de reproduction est prodigieuse ; il suffit de les couper par morceaux, pour avoir bientôt autant d’actinies qu’on a fait de tronçons. L’abbé Diquemare décrivit ces zoophytes, dans un grand détail, et le gouvernement fit graver les dessins que le naturaliste avait faits.
(21) Les Méduses ; vulgairement connues sous le nom d’orties de mer errantes ou libres : les pêcheurs leur donnent celui de Sagonne. On a quelquefois appelé les actinies, orties de mer fixes.
(22) Méduse bleue, medusa aurita.
(23) Fucus plumosus.
(24) Fucus conferroides
(25) Fucus palmatus.
(26) Fucus vesiculosus.
(27) Aiguillat Squalus acanthias Lin. Squalus acanthias sive spinax. Aldrov.
(28) Quoique cet arbre nous ait présenté les caractères du saule blanc, salix alba, nous lui avons cependant conservé le nom d’osier, qu’on lui donne dans le pays, parce que l’osier saule ou osier jaune prend tous les caractères du saule blanc, quand il n’est pas tronçonné. Voyez Joli-clerc, Phytol. univ.
(29) Circœa luteciana. Lin. 2. dria. Monogyn.
(30) Drosera rotondi-folia. Lin. 5. dria. 5 gyn.
(31) Les cataractes de Vologda, en Moscovie, de Niagara, dans le Canada, la cascade de Terni, en Italie, etc.
(32) Daphné laureola. 8. – Dria. 1. – Gyn.
(33) Orobanche ramosa. L. Dydin. angiosperm.
(34) Ils employèrent d’abord la méthode des triangles semblables.
Cette méthode, extrêmement simple en théorie, n’est point sans difficulté, dans l’application, à cause de l’exactitude avec laquelle il faut mesurer les lignes, qui deviennent les termes connus de la proportion, et à cause des obstacles que présentent souvent les inégalités du terrain.
(35) Nous pensons que ce nostoc était celui que Linné désigne sous le nom de tremelle nostoc gélatineux, plissé, ondulé, d’un verd pâle. Lin. Cryptog.
(36) Epoques de la pleine et de la nouvelle lune.
(37) Epoques des deux quartiers.
(38) Nous avons appris que ces faisceaux fûrent suspendus sous un hangard, pour être desséchés à l’ombre, et qu’on les trouva, quelque temps après, entièrement remplis de perce-oreilles. Ce serait un moyen fort simple pour détruire ces insectes qui sont quelquefois très-incommodes dans les fruitiers.
(39) Arenaria tenella  } L. 10. –  Dr.3. – Gyn. Arenaria rubra.  Apium graveolens.    } 5. – Drin. – 2. – Gyg. Sonchus maritimus.   } Syngen. polyg. æqualis. Sonchus arvensis.
(40) Ils trouverent le chelidomium glaucum, ou pavot cornu, le crithmum maritimum, criste marine, ou fenouil marin, ombellifere qu’on trouve en abondance dans les fentes au pied de la montagne, le plantago maritima. (4. – Dria. 1. – Gyn.) l’aster maritima (Syngen. polyg. superflua.)
(41)Turbinites.
(42) Volutites.
(43) Cylindrites.
(44) Buccinites.
(45) Echinites.
(46) Pectinites.
(47) Bucardites.
(48) Pyrites.
(49) Elle a été dessinée, à très-peu de choses près dans le plan du cercle horaire de dix heures, l’observateur étant tourné vers le sud.
(50) A Mars Pacificateur.
(51) Digitalis lutæa. Lyn. Dudin. angiosperm.
(52) Le papillon appellé par Linné le comma ; et ceux que Geoffroy nomme la bande noire, le plein chant, la grisette et le satyre.
(53) Maintenant professeur à Rouen. Les tadornes sont une espèce de canard, fort jolie. Ces oiseaux ne font point leurs nids sur les eaux dormantes, ou dans les marécages comme les autres oiseaux de rivière ou de mer ; ils vont déposer leurs œufs dans des terriers de lapin. Hist. nat. de Buffon.
(54) Spectacle de la Nature, tom. 4.
(55) Il ne faudrait qu’un peu plus de régularité, dans cet entrelacement des racines, pour qu’on put le comparer aux parquets à cases, que les orfèvres et les joailliers placent sous leurs établis, et qu’ils nomment grillage ou claie.
(56) La larve de ces insectes se nourrit du suc des végétaux ; c’est elle qui forme ces petits flocons d’écume blanche, qu’on voit au printemps sur les herbes, ou sur les jeunes rameaux des arbustes, et qui ressemblent parfaitement à de la salive. Nous croyons connaître le moyen que cette larve employe pour former l’écume sous laquelle on la trouve : cependant nous n’osons pas encore rendre compte de nos observations ; nous voulons les vérifier le printemps prochain.
(57) Bédéguar : éponge ou mousse d’églantier ; les cinips de ces bédéguars sont éclos, à l’école centrale, dans les premiers jours de floréal.
(58) Nous avons regardé ces Lichens comme ceux que Linné désigne sous le nom de Lichen rupicola. Chryptog.
(59) Carduus palestris. Lin.Syng. Poly. æq.
(60) Inula dyssent.Syng. Polyg. superflua.
(61) Bidens tripartita : Bidens cernua. Syng. Polyg. æq.
(62) Ces filets sont décrits et figurés, sous le nom de guideaux, dans le traité de la pêche, de la collection in-folio
des arts et métiers, et dans l’encycl.
(63) Physeter maximus.
(64) Pleuronectes platessa.
(65) Le Flet ou Picaud. Pleuronectes flesus.
(66) Pleuronectes.
(67) La Pommeraye appartenant au citoyen Masson-St.-Amand, Préfet de l’Eure.
(68) La terre de St.-Pierre.
(69) Ulex Europeus. Vulgairement connu sous le nom de jonc marin. Lin. Diadelph. dec.
(70) Il en existe un autre, à trois lieues de là, qui a plus de vingt-quatre pieds de tour. Les ifs ont dans ce pays la mauvaise réputation qu’ils ont en beaucoup d’autres endroits. Nous ne pouvons ni les excuser de malignité, ni les en convaincre : nous avons seulement observé qu’ils étaient remplis de nids de moineaux et que plusieurs oiseaux, notamment les fauvettes, les grives, les merles, dévoraient leurs baïes avec avidité ; ces baïes sont extrêmement douces et sucrées.
(71) Cet agaric est déposé dans le muséum, avec les autres objets qui ont été recueillis dans le voyage. Nous n’avons pu le reconnaître dans les descriptions des botanistes, et quand nous en parlons, nous ne le nommons point autrement que l’agaric funéraire, ou l’agaric des tombeaux.
(72) Cette observation n’ayant été faite qu’une fois, nous nous promîmes de la répéter quand l’occasion s’en présenterait. Mais aucun de nous ne put dire que, pour le plaisir de constater l’observation, il voulût apprivoiser un crapaud et se mettre en familiarité avec un reptile dégoûtant, dont les approches ne sont pas d’ailleurs regardées comme entièrement exemptes de venin.
(73) Les punaises rougeâtres des jardins, au mois de germinal, (Pun. demi-ailée cimex apterus.) les petits hannetons d’été à la fin du jour, dans le mois de thermidor (Scarabeus solstitialis), etc.
(74) Les beroès répandent aussi une lumière brillante. Plusieurs espèces de pennatules sont également phosphorescentes…. Et nous ajoutons à ces deux espèces, les néréides (tableau élément. de l’hist. nat. des anim. par le cit. Cuvier.) si l’espèce que nous avons voulu reconnaître n’est pas elle-même la néréïde.
Il en est ainsi des lampyres ou vers luisans dont il y a plusieurs espèces.
(75) Puisez de l’eau de mer quand elle est lumineuse ; laisse-la reposer dans des vases à goulot étroit, les insectes seront bientôt portés à la surface, d’où vous pourrez les enlever aisément pour les mettre dans un réservoir.
(76) Gallus marinus. Zeus faber.
(77) Draco marinus. Trachinus draco.
(78) Pièces écailleuses qui recouvrent les ouïes.


(I) LE BEC fut fondé vers l’an 1040, dans une vallée profonde, au milieu des bois. Cette abbaye éprouva de grands malheurs et souffrit beaucoup, des guerres civiles. Cependant le bec était devenu une place assez forte, malgré sa position désavantageuse, lorsqu’en 1421 les Anglais démolirent les fortifications, dont on voit encore les ruines. Deux cents ans auparavant, l’abbaye avait été totalement brûlée, la grosse tour s’était écroulée à la suite de l’incendie, et ce dernier évènement, malgré son peu d’importance, devint la matière d’un poëme, dont voici les quatre premiers vers :
        « L’an de grace, mil deux cents
        » Soixante-treize, virent gens
        » La maître tour du Bec descendre
        » Lendemain du jour de la cendre. »
                Neustria pia. artic. Beccum.
(II) Nous avons appris sur les lieux, que l’archevêque de Rouen (de Tavannes) qui supprima ce couvent d’Annonciades, frappé de la béauté de l’église, engagea les habitans de Montfort à la conserver pour en faire leur église paroissiale. Il offrit même d’affecter des fonds à l’entretien de ce monument : mais il y eut des habitans qui craignirent que cela ne devint par la suite une source de dépenses ruineuses : la proposition de l’archevêque ne fut point admise, et l’église fut démolie. Le citoyen Hébert, membre du Conseil du département, nous a fait voir une table d’un assez beau granit, qui provient des matériaux de cet édifice.
(III) Les cris de guerre que les passions adoptent, ne présentent presque jamais d’idées claires et precises, et l’histoire ne conserve ordinairement que les mots, sans pouvoir en donner ni la signification positive, ni la juste étymologie. Telle est la dénomination de Huguenot, dont les historiens et les critiques n’ont encore pu déterminer l’origine ; de sorte qu’on ne peut assurer si ce mot vient de deux autres mots Huc nos, par où commençait une harangue latine, ainsi que plusieurs ont essayé de le faire croire, ou de la prononciation défectueuse des mots Suisses eid-gnossen, qui signifient liés par serment, comme le disent Ménage, Voltaire et l’Encyc., ou enfin de l’expression bizarre, mais proverbiale de Roi Hugon, que la portion ignorante du peuple employait alors en Tourraine, pour signifier un phantôme et une vision nocturne. Pasquier, auteur contemporain, est de ce dernier avis dans ses recherches. Il fait entendre que cette dénomination fut donnée aux réformés, parce qu’ils ne se réunissaient que la nuit. C’est ainsi que deux siècles après, la dénomination de Chouan, qui vient à peu près du même pays, n’est empruntée que de la prononciation populaire du mot Chat huant, parce que les rassemblemens armés ne se sont faits, dans les commencemens, que pendant la nuit. « Le plus grand malheur qui puisse advenir », dit le sage Pasquier : « C’est lorsque soit par fortune, soit par discours, l’on voit un peuple se bigarrer en mots de partialité !.... Ce sont histoires, ajoute-t-il, qui méritent d’être cornées aux aureilles d’une longue postérité ! »
(IV) On lit dans la description des vertus du Catholicon, le passage suivant : « Ayez le front ulcéré et le visage honni comme les infidèles gardiens du Pont-Audemer et de Vienne, frottez-vous un peu les yeux de ce divin électuaire, et il vous sera advis que vous serez prud-homme et riche ». Voici les détails qui se trouvent dans les mémoires de Pont-Audemer, et qui donnent l’explication de ce passage. Au mois de juillet 1590, Hacqueville de Vieux-Pont, frère du gouverneur du Neubourg, fut nommé gouverneur de Pont-Audemer. La ligue n’étant pas alors très-puissante, Hacqueville fit les protestations les plus solennelles de dévouement au service du Roi. Depuis cette époque la ligue prit des forces, le Roi fut même obligé de lever le siège de Rouen, et Hacqueville, croyant que la ligue l’emporterait, pratiqua des intelligences avec le duc de Mayenne, et livra Pont-Audemer à Villars, qui s’en empara au mois de juillet 1592. Cependant la ligue ayant été vaincue par Henri IV, ce Roi des Français fit proclamer une amnistie. Hacqueville sçut en profiter : il se replia même si bien, qu’il gagna la confiance de l’amiral Biron, et resta gouverneur de la place. Ces particularités expliquent parfaitement le passage de la satyre, qui ne nomme pas Hacqueville, mais qui le dépeint assez pour qu’il fût reconnu dans ce temps-là. Elles suffisent aussi pour détruire une tradition érronée du pays, d’après laquelle on croit, mal-à-propos, que la ville fut livrée par un Montgeron. C’est une erreur qui peut venir de ce qu’on a mal entendu un passage de la même satyre, (Disc. de l’arch. de Lyon) dans lequel Hacqueville est accolé à Montgeron pour des faits semblables ; mais ce Montgeron était gouverneur de Vienne. Il y a dans le secrétariat de la Mairie onze clefs passées dans un anneau de fer et clouées sur une poutre. On croit communément que ces clefs servirent à ouvrir les portes par ou Villars entra : cependant on n’en trouve pas la preuve dans les mémoires. Ce qu’on y lit à ce sujet, présente plutôt l’image de ces dénonciations vagues, qui se reproduisent fréquemment dans des temps de troubles, qu’on reçoit alors précipitamment, mais qui ne méritent point qu’on s’y arrête. D’ailleurs ces clefs sont trop courtes de tige, pour avoir pu servir aux énormes serrures qu’on plaçait autrefois aux portes des villes. Enfin était-il besoin de faire onze clefs pour livrer une ville ? N’est pas toujours par une seule issue bien désignée, que les traîtres introduisent l’ennemi ?
(V) Il faudrait peut-être compulser beaucoup de volumes pour retrouver l’origine ou les traces d’un droit que s’arrogeaient les officiers du Roi, quand il était en voyage. Les mémoires de Pont-Audemer en font mention, et c’est dans le compte des dépenses occasionnées par le passage du Roi, que ce droit est énoncé. « Item « disent les échevins comptables » un ducat d’or aux maîtres de l’artillerie, pour le droit qu’ils dirent avoir de prendre sur chaque cent pesant de métal de cloches qui avaient sonné à l’entrée du Roi. » Les comptes rendus et les mémoires de dépenses, sont presque toujours des articles intéressans pour l’histoire ; ils répandent ordinairement une lumière certaine et fidèle sur des usages entièrement oubliés, sur l’état de richesse ou de pénurie du siècle où l’on fit ces dépenses ; ils caractérisent le goût d’après lequel elles furent ordonnées, quelquefois même les opinions politiques qui en furent l’occasion ; ils montrent le luxe qui les étendit, ou ils marquent la sagesse qui sut les régler ; ils font briller les sentimens expansifs et généreux qui les commandèrent ; ils décèlent aussi la corruption qui les rendit quelquefois indispensables, etc. Nous ne citerons pas tous les articles qui pourraient présenter de l’intérêt sous ces différens rapports, nous nous bornerons aux deux suivans. « Item, est-il dit en 1515, onze sols au cuisinier des carmes, pour avoir soin de nettoyer et curer la fontaine publique. » « Item, est-il dit ailleurs, deux cents francs au secrétaire de l’intendant, pour bons offices. »
(VI) « Le comte de Dunois et plusieurs autres chevaliers et écuyers, jusqu’au nombre de 2500, et le comte d’Eu, de St.-Pol, les sires de Savennes, de Roys, de Moy, et plusieurs autres, jusqu’au nombre de trois cents lances et quatorze à quinze cents archiers chevauchaient d’un côté et d’autre, et se trouvèrent tous devant la ville du Pont-Audemer, et premièrement du côté du comte de St. Pol, fut assailli si vigoureusement tellement et longuement qu’il emporta d’assaut ladite ville, jaçoit ce que les Anglais qui étaient dedans firent bien et grandement leur devoir de la garder et défendre, et du côté du seigneur de Dunois y eut aussi de moult et belles armes faites…. moyennant aussi et par le feu de fusées qui furent jettées par dedans les fossés où ils étaient en l’eaue jusqu’au col, qui était une belle proësse. Monstrelet liv. 3. Chronique de Normandie, an 1449.
(VII) La correspondance invariable du mouvement de la mer avec les révolutions lunaires, la hauteur même des marées sous les différentes latitudes, sont maintenant une de ces parties de l’enseignement public qu’on n’est pas excusable d’ignorer quand on a reçu de l’instruction….. A quelle distance des sciences exactes, des connaissances naturelles et de l’art d’observer faut il donc croire qu’étaient les hommes instruits il y a deux mille ans, lorsque nous voyons le plus grand capitaine de son siècle mettre en danger sa flotte et son armée, parce qu’il ne connaissait pas les marées de la pleine lune….. Quand nous voyons CÆSAR, aussi grand homme de lettres que grand général, avouer que les Romains n’avaient jamais entendu parler de cette particularité de l’Océan. « Eadem nocte accidit ut esset luna plena quæ maritimos æstus maximos in oceano efficere consuevit nostrisque id erat incognitum. » Cæs. Comm. lib. IV. Il est vrai qu’alors, les connaissances d’un siècle étaient presque toujours perdues pour les siècles suivans. Les livres des savans ne pouvaient se multiplier : nous ne voyons même pas que ces bibliothèques éparses, formées par quelques rois amis des lettres, aient été d’un grand secours pour les sciences. Les hommes de génie, enflammés du desir de savoir ; étaient isolés les uns des autres ; ils avaient toujours à vaincre les premières difficultés ; ils se consumaient en efforts, et laissaient en mourant la carrière aussi embarassée pour les autres, qu’elle l’avait été pour eux. C’est à l’époque de l’établissement du christianisme, qu’il faut rapporter celle de la transmission des livres, parce que les livres même tenaient à l’opinion religieuse, et que les réunions chrétiennes formées sous l’empire de cette opinion, conservaient et multipliaient les livres par principes. Le même esprit anima dans la suite ces corporations permanentes, composées d’écrivains et de copistes, dont le travail pénible, mais opiniâtre, conserva du moins les livres ou les multiplia, jusqu’à ce que l’imprimerie vint répandre les livres et les lumières par torrens ; unissant dans un seul faisceau les connaissances de tous les siècles, et ne faisant du monde entier qu’une seule école, où les hommes de tous les pays et de toutes les langues se rallieront peut-être un jour, aux mêmes principes et aux mêmes opinions !….
(VIII) Les titres anciens de cette abbaye, et sa légende en parchemin, sur le premier feuillet de laquelle était peinte l’histoire de la fondation, se voyaient avant la révolution dans le chartrier. Il y était dit que Herluin, comte de Conteville, couvert de lèpre, et ne trouvant point de soulagement à cette maladie, fut averti dans un songe qu’il ne guérirait qu’en dotant des moines et en leur construisant un couvent à Grestain. Depuis ce temps les sources qui coulent abondamment dans le vallon, et dont l’eau est d’une excellente qualité, ont été regardées dans le pays, comme très-utiles dans les maladies de peau les plus hideuses. Mais il existe une lecture qu’un évêque de Lisieux écrivit au Pape, dans le douzième siècle, pour lui rendre compte de l’abbaye de Grestain, située dans le diocèse de cet évêque. Entre autres plaintes très-nombreuses contre les moines, cette lettre articule un fait grave, qu’elle dénonce au pape : il y est dit que les moines prétendaient guérir la fièvre en plongeant les malades sept fois dans une fontaine de leur couvent, à laquelle ils attribuaient une grande vertu. L’évêque ajoutait qu’il était urgent de remédier à de pareils abus, et citait, pour exemple, une femme qu’on avait tant de fois plongée dans la fontaine, qu’elle y avait enfin perdu la vie. Neustria pia. cap. Grest.
(IX) « Le 17 janvier 1450, le roi partit de Jumièges et alla coucher à une abbaye nommée Grestain, à deux lieues dudit Honnefleu, et tous ceux qui étaient audit siège firent grans approches, fossés et mines, et assortirent bombardes, canons et engins volans, qui moult ébahirent ceux de ladite place….. Et furent tellement ébahis les Anglais, que paour et nécessité les contraignît d’eux rendre, pourquoi fût faite composition de rendre ladite place, le dix-huitième jour de février ensuivant, au cas qu’ils ne seraient combattus….. Et pour combattre audit jour firent les Français grandes diligences de ordonner et clorre le champ où ils étaient….. Mais les-dits Anglais n’y vinrent point et ne comparurent aucunement. » Chronique de Normandie. C’était l’usage, dans ce temps-là, que les assiégés, sommés de se rendre, demandassent, au préalable, à combattre les assiégeans en champ clos, soit en troupe, soit en duel. Cela tenait à l’opinion du siècle et à l’orgueil des camps. On pouvait convenir de la supériorité de l’ennemi sous le rapport du nombre de ses soldats, de la force de ses machines, ou de la faiblesse de la place attaquée : mais on ne pouvait pas convenir de cette supériorité en valeur et en courage, et c’était une chose indispensable pour l’honneur, de demander à se mesurer corps à corps : cela se faisait presque toujours, et nous en trouvons une autre preuve au siège d’Harcourt. « Les Anglais douptant fort les canons, composèrent à rendre le château, au cas qu’ils ne seroient les plus forts en champ un jour dit, qui fut le vendredi, et de ce baillèrent hôtages, auquel jour ils ne se trouvèrent point, et pour ce rendirent ledit château. » Monstrelet
(X) » Le vomissement est l’effet du mouvement convulsif de l’estomac, et ces convulsions peuvent être produites par différentes causes ; celles qui sont la suite d’un état maladif, ne peuvent être appaisées que par la guérison des affections qui en sont la source ; mais celles que des mouvemens insolites occasionnent se guérissent d’elles-mêmes, après avoir fait beaucoup souffrir les personnes qui en sont attaquées. Il y a des physiologistes qui placent dans l’œil, et même dans la retine, la première source du mal : les mouvemens apparens des objets extérieurs donnent un commencement de vertige, et les affections se communiquent de proche en proche jusqu’à l’estomac qui entre en convulsion. M. Ruelle a trouvé que l’éther, ou la liqueur éthérée de Frobenius était un remède souverain contre ces accidens. Cette liqueur appaise les vomissemens et facilite la digestion, etc…. Pour prévenir cette incommodité, l’on n’aura donc qu’à prendre dix ou douze gouttes d’éther sur du sucre que l’on avalera, en se bouchant le nez, de peur qu’il ne s’exhale ; ou bien on commencera par mêler l’éther avec environ dix ou douze partie d’eau, on agitera ce mélange, afin qu’il s’incorpore au moyen d’un peu de sucre en poudre, qui est propre à retenir l’éther et à le rendre plus miscible avec l’eau, et l’on boira une petite cuillerée de ce mêlange, ce qui empêchera le vomissement ou le soulèvement de l’estomac que cause le mouvement de la mer. » Encyclopédie. Art. vomiss. de mer.
(XI) « Icelle ville de Harfleur était moult forte de murs et tours moult épesses, fermée de toutes parts, ayant grands et parfonds fossés….. fut mise en la main du roi d’Angleterre, le jour St. Maurice 1414, à la grande et piteuse déplaisance de tous les habitans et aussi des Français, car c’était le souverain port de toute la duché de Normandie. » Le roi Charles VII, se partit de sa cité de Rouen septembre 1449, armé d’une brigandine, et par-dessus d’une jaquette de drap d’or, accompagné du roi de Cécile et des autres de son sang en grans habillemens et richesses, et par espécial le comte de St. Pol qui avait un chamfrein à son cheval, prisé trente mille écus, et chevaucha le roi mettre le siege à Harfleur….. et fut en personne èz fossés et èz mines sa salade sur la tête et son pavois en sa main….. Et fut le premier janvier 1460, après la reddition des clefs de Harfleur, ôtée la bannière des Anglais, qui était sur une des tours du Havre là Champblanc, et une croix rouge parmy ; et après, par deux héraults, fut mise la bannière du roi de France, en laquelle mettant il y avait grande crierie et réjouissement de peuple. » Monstrelet. Le mot Havre, ne signifie dans ce passage, que le port d’Harfleur. C’est un mot générique comme le mot Anglais harbour, qui signifie comme lui port de mer, et qui a la même origine. Il n’est pas le seul qui rappele l’ancien mélange des deux langues. On formerait un petit volume, si on voulait recueillir tous les mots semblables, tous les dérivés, toutes les étymologies, toutes les racines que la comparaison des deux langues ou des idiômes locaux donnerait lieu d’observer. La ressemblance est si fréquente et si marquée, qu’on est tenté de donner une origine anglaise à beaucoup de noms qui se rapprochent de cette langue. Tels sont ceux qui se terminent en fleur, et qui sont en très-grand nombre dans le voisinage de la mer. Prenons pour exemple, Harfleur et Honfleur. On écrivait autrefois Harfleu, Honnefleu. Hard, en anglais, signifie fort, grand, puissant ; flew, signifie courant, rivière, flux, flot, et leur composé Harfleu signifiait que les marées s’élevaient fort haut en cet endroit de la rivière, que le mouillage était avantageux à Harfleu, qu’on pouvait entrer dans ce port et en sortir à volonté. Honnefleu, composé de flew, flux, flot, etc., et de One un, seul, donnait à entendre qu’on ne pouvait entrer à Honnefleu qu’en certain temps, et que toutes les marées ne présentaient pas la même facilité pour le mouillage.
(XII) Le nouveau bassin n’est point encore achevé, les murs seuls et le parapet sont finis. Ils sont construits avec deux espèces de pierres, l’une coquillière et l’autre granit micacé : on tire cette dernière des isles de Chosay. Parmi les particularités remarquables de la ville, on peut compter, 1.° les balustrades gothiques des frontons des deux croisillons de l’église Notre-Dame, dans lesquelles, au lieu de balustres, l’architecte a découpé les premiers mots du Pater et de l’Ave qu’on voit encore. 2.° Le portail de cette église, qui menaça ruine pendant quelque temps, et dont la chûte paraissait inévitable, parce qu’il était sensiblement sorti de son à-plomb. On assure qu’un simple maçon se chargea de le redresser, et qu’il réussit en creusant la terre au pied, du côté opposé à la pente, et en rappelant la masse dans la perpendiculaire, par le seul effet de sa pesanteur. (Histoire du Havre, par Pleuvri.) 3.° Une épitaphe, dans la même église, dite l’épitaphe des trois Raullins. Il est constant que ces trois frères furent massacrés en plein jour dans l’hôtel de ville, sous les yeux et par les ordres du commandant, jaloux de leur mérite. L’épitaphe dit modestement, qu’ils décédèrent tous les trois à la même heure, au Havre, le 16 mars 1559. Le Havre souffrit beaucoup pendant les dernières guerres civiles. Il tomba même au pouvoir d’Elisabeth, par suite de la convention que le parti des réformés fit avec cette reine, en 1562. Hist. du Havre. Certes nous n’examinerons point dans quels cas les persécutions et l’oppression peuvent rendre légitime une résistance armée…… mais elles ne peuvent jamais rendre excusable l’appel aux étrangers, ni l’entrée qu’on leur donnerait dans la moindre portion du territoire de la patrie !
(XIII) Scuderi fit un poëme intitulé Alaric, et le dédia à Christine, reine de Suede, qui promit au poëte une chaîne d’or de mille livres ; mais dans l’intervalle de la dédicace à l’impression, la reine disgracia le comte de Gardies dont l’éloge était dans le poëme, et l’on conçoit bien que la reine voulut faire supprimer l’éloge. Le poëte répondit qu’il faisait le plus grand cas des dons de la reine, mais qu’il ne renversait pas les autels sur lesquels il avait brûlé de l’encens ! (Encyclop.) En ne citant que quelques noms célébres nous sommes loin d’insinuer que le Hâvre n’ait pas donné naissance à beaucoup d’autres personnes de mérite. Il en est qui ne sont pas très-connues et à qui les arts ont des obligations réelles ; par exemple le Hantier qui a donné des règles et une méthode particulière pour mettre les objets en perspective. Il a non-seulement écrit sur cette matière, mais il a mis ses principes en pratique avec succès, et il a peint en différens endroits des racourcis du plus grand effet. Le Hantier n’eut point une grande célébrité, point de fortune, point de protecteur zélé, il n’eût que des talens et des ennemis.
(XIV) Deux fœtus d’aiguillat, que nous conservons à l’Ecole centrale, nous ont fourni la solution d’une difficulté qu’on élevait contre la conjecture que nous avons hasardée. Si l’aiguillat, disait-on, sortait de la mère avec l’œuf pendant à l’æsophage, il serait entraîné par le poids et ne pourrait se mouvoir. D’ailleurs ce squale, comme tous ceux du même genre, ne saisit sa proie qu’en se tournant sur le dos ; or, le poids de l’œuf, sa forme, son volume, seraient pour le jeune aiguillat un obstacle invincible à cette manœuvre. Voici ce que le hasard nous a fait reconnaître. 1.° L’œuf est spécifiquement plus léger que l’eau de la mer. 2.° Le poisson est plus pésant que la même eau, d’où il suit que dans l’immersion du jeune aiguillat et de son œuf, celui-ci s’élève et flotte au-dessus du poisson, comme les ballons précèdent les aréonautes dans l’atmosphére. Ainsi la position renversée devient très-facile à prendre, elle est même la plus naturelle de toutes pour l’aiguillat. Peu s’en faut que nous ne comparions cet œuf et son cordon aux lisières protectrices qui servent à l’enfance de préservatif et de support ; …….. mais combien d’apparences l’observation n’a-t-elle pas souvent démenties ?
(XV) Le citoyen Scanégatti, de l’académie de Rouen, fut chargé en 1788, par le bureau intermédiaire de l’Assemb. provin. de haute Normandie, de faire des recherches sur les tourbières et les mines de charbon de terre : voici l’extrait de son rapport, inséré dans celui du bureau, page 184. « A Joble, il existe à un quart de lieue de la Seine un banc de quinze pieds d’épaisseur apparente, d’une tourbe concrete, laquelle brûle comme l’amadoue, sans s’éteindre, jusqu’à sa totale réduction en cendres ; sa flamme, d’un jaune bleuâtre, est très-ardente ; son odeur est sulphureuse et non pas nidoreuse, comme celle des marais, sur laquelle sa compacité lui donne encore l’avantage de résister à l’action du soufflet du maréchal. Une excavation de douze pieds a augmenté d’autant l’épaisseur apparente de ce banc, en fournissant encore une matière plus compacte. On ignore sa profondeur totale, ainsi que sa longueur, qui se prolonge dans la colline, composée supérieurement d’environ 130 pieds de crayon et de deux pieds de terre plus ou moins végétale à sa surface. La facilité de l’exploitation et  la proximité de la rivière, rendent cette découverte précieuse. » Si, dans des essais qu’on a faits à Paris, il y a quelques années, on a pu convertir de la tourbe en un charbon, avec lequel on soudait à la forge des douilles de bayonnettes, on pourrait certainement tirer le même parti de cette tourbière.
(XVI) Le nom de cornes d’ammon, sous lequel ces fossiles ont été vulgairement connus vient, 1.° de ce qu’ils ont un peu de ressemblance avec certaines cornes de bélier ; 2.° de ce qu’ils étaient autrefois consacrés à Jupiter Ammon, comme propres à révéler aux hommes l’interprétation des songes. Quoiqu’ils n’ayent plus aujourd’hui le même crédit et que les naturalistes les ayent avec raison classés parmi les nautiles,  ils ont conservé leur nom primitif et sont toujours appelés cornes d’ammon. Si nous leur donnons ici celui de plan-orbes c’est uniquement pour désigner leur forme par un seul mot. Au surplus ce nom qui pourrait devenir générique leur convient au moins autant qu’à certains mollusques de nos rivières, pour lesquels il parait avoir été composé.
(XVII) Valmont de Bomare, dans son dictionnaire d’histoire naturelle, parle ainsi de cette espèce de phénomène, au mot cercle ou anneau magique : « C’est un phénomène que l’on voit assez souvent à la campagne, qui est une espèce de rond que le peuple supposait autrefois avoir été tracé par les fées, dans leurs danses. On voit un gazon pelé en rond, à la largeur d’un pied, tandis que le milieu de sept à huit toises au moins de diamètre est vert. Quelques-uns attribuent ce phénomène au tonnerre, d’autres prétendent que ces cercles sont formés par les fourmis : quelle qu’en soit la cause, elle est naturelle et non magique. » Cette description n’est pas suffisante, et nous croyons pouvoir ajouter, pour l’explication de ce phénomène, des particularités dont nous nous sommes rendus certains.1.° Il y a beaucoup plus de bandes interrompues et d’arcs, proprement dits, qu’il n’y a de cercles entiers. 2.° Il y a des bandes et des cercles de toutes les dimensions, depuis deux pieds de rayon jusqu’au de-là de quarante pieds de diamètre. 3.° La seule uniformité qu’on remarque dans ces bandes, est leur largeur, qui presque par-tout est la même. 4.° Le gazon des bandes n’est pas toujours sec et pelé, il est au contraire d’un très-beau vert dans quelques circonstances. 5.° Il y a beaucoup de ces bandes qui se coupent sous différens angles, avec plus ou moins d’excentricité, et l’on n’en trouve nulle part de concentriques. 6.° Enfin, il n’y a pas un cercle, pas une seule bande où l’on ne trouve des champignons, ou des débris de champignons. D’après ces observations, il parait évident que ce phénomène ne doit absolument son origine, qu’à quelques espèces de champignons qui croissent dans l’étendue des bandes. Il est vrai qu’en attribuant à l’influence des champignons l’état du gazon dans lequel ils se trouvent, il faut que les champignons affectent de pousser en rond, et peut-être cela paraîtra-t-il aussi difficile à expliquer que l’anneau de gazon lui même ; mais toute la difficulté se réduit à savoir si les champignons sont toujours semés en rond, et cela ne paraîtra peut-être pas invraisemblable, si l’on considère, 1.° que tous les champignons répandent autour d’eux quand ils sont mûrs, une poussière abondante plus ou moins noirâtre ; 2.° que cette poussière est universellement regardée par les naturalistes comme la graine du champignon ; 3.° enfin que cette poussière examinée au microscope, présente réellement toutes les apparences d’une graine. On peut donc considérer chaque champignon comme le chef d’une nombreuse famille, et le centre de la génération future. Les feuillets, qui sont en dessous du chapeau, contiennent la poussière noire qui doit produire les champignons de l’année suivante ; le chapeau qui les a recouverts pendant l’accroissement de la plante, change de forme à l’époque de sa maturité ; de convexe qu’il avait été jusqu’alors, il devient concave, et les feuillets relevés en dehors, se trouvent le plus convenablement disposés pour lancer au loin la graine qu’ils renferment. C’est alors que par la contraction subite des fibres, cette graine est projettée plus ou moins loin selon la force du champignon. Nous voyons la même chose arriver dans la dispersion des graines du génêt, de la balsamine, de la fraxinelle, (dictamnus) du concombre sauvage (momordica elaterium), et mieux encore dans l’explosion de cette espèce de champignon spherique, connu sous le nom de vesse de loup : on sait en effet que son enveloppe se déchire à l’époque de sa maturité, pour donner issue à la graine que ce champignon lance, sous la forme d’une poussière noirâtre. Si l’on admet une fois cette supposition, que tout concourt à rendre probable, il ne sera plus mal aisé d’expliquer la forme circulaire que présentent les semis de champignon. 1.° La graine sera semée en rond, parce qu’elle sera lancée, avec une égale force, de tous les points du chapeau. 2.° Il n’y aura jamais de bandes concentriques, elles seront au contraire toutes excentriques, parce qu’il n’y a qu’un champignon générateur, pour chaque bande dont il est le centre ; et les bandes se couperont lorsque deux champignons seront assez voisins l’un de l’autre, pour que les rayons de leur force expansive se croisent et que la projection de la graine forme des cercles ou des arcs excentriques. 3.° Les cercles seront parfaits lorsque le chapeau n’aura été blessé dans aucun point de sa circonférence ; et il n’y aura que des portions de cercle ou des arcs, lorsque le chapeau endommagé par la pluie, entamé par le vent, brûlé par le soleil, vicié par la carie, rongé par des limaçons ou paralisé par les piqûres des insectes, n’aura conservé sa vertu productive que dans une partie de ses feuillets. La citation que nous avons faite de l’explosion de la vesse de loup, (lycoperdon bovista) nous donne occasion d’ajouter que dans le même bois où l’un de nous prit les femelles de làmpyris, ou vers luisans, il y avait plusieurs vesses de loup de quatorze à quinze pouces de diamètre ; nous avons déposé une de ces productions monstrueuses au muséum de l’école.
(XVIII) La coupe perpendiculaire de la pointe de la Roque, l’isolement de ses pics et l’étendue de son horizon, contribuent ensemble à faire regarder sa hauteur comme beaucoup plus grande qu’elle ne l’est en effet. Tous ceux à qui nous avons dit qu’elle ne s’élève qu’à cent cinquante pieds, en ont été surpris ; peut-être même eussent-ils douté de nos opérations si la vérification qu’on en avait faite, avec un plomb, n’eût pas levé toute incertitude. Cette vérification nous a donné la preuve, qu’on ne peut apporter trop d’attention aux mesures qu’on prend sur le terrain ; qu’il faut continuellement vérifier le travail, et qu’on ne peut se donner trop de soins pour constater toutes les opérations. Il y avait autrefois, sur la pointe de la Roque un hermitage, dont on n’a conservé que le souvenir sous le nom de grotte de St.-Berenger ; les cartes de Cassini en marquent encore l’emplacement, et le Neustria pia attribue l’origine au dégoût de Geremer abbé de Pantalle, que les moines voulurent faire périr une nuit, lorsqu’il revenait de prier à l’Eglise. Neust. pia cap. pantallium, sæc, septimo.
(XIX) Cette commune et trois autres communes voisines, enclavées dans l’ancien territoire des diocèses de Lisieux et de Rouen, dépendaient autrefois, par exemption, d’un diocèse de l’ancienne Bretagne, et la tradition, les historiens, les chroniques locales sont d’accord sur la demeure temporaire que quelques évêques de Dol ont faite à St. Samson-sur-Risle : 1.° Lobineau dans son histoire de Bretagne, tome I.er, page 75, dit que « Childebert donna plusieurs propriétés situées dans les environs de Pont Audemer, à St. Samson, de Dol, qui bâtit en cet endroit un monastère. » 2.° Une épitaphe qu’on lisait avant la révolution, dans l’abbaye de Préaux, à deux lieux de là, attestait qu’un évêque de Dol, nommé Baudry, (Baldéricus) était enterré dans l’église de cette abbaye. 3.° Au commencement du dernier siècle, on trouva dans l’église de St.-Samson, dont on pava le sol, une crosse au fond d’un cercueil qui était près de la grande porte. 4.° On voyait encore, il y a dix ans, dans cette église, un cénotaphe grossièrement construit, sur lequel était une figure d’évêque en habits pontificaux, avec un pallium, signe d’un privilège que les évêques de Dol ont pendant long temps prétendu conserver. 5.° Une inscription qu’on lit sur un pilier de l’église, vis-à-vis de la porte latérale, prouve que les prebendés de St. Samson furent, il y a cent ans, condamnés par arrêt de la cour à faire l’office canonial. L’histoire nous apprend que vers le milieu du 6.e siècle, St. Samson, originaire de la Grande Bretagne, vint en Armorique, et que s’étant efforcé d’appaiser des troubles et des dissentions entre les princes d’Armorique, il y parvint en employant la recommendation de Childebert, qui le prit lui-même en grande affection. D’après cela il n’est point invraisemblable que Childebert ait donné des terres à St. Samson, qui n’était qu’évêque régionnaire : cela suffit pour expliquer ce qu’il y a d’étonnant dans l’exemption des quatre communes, et pour justifier les manuscrits de diverses bibliothèques conventuelles, qui s’accordent à raconter le fait de la même manière.
(XX) Les majuscules représentent les lettres conservées, les petites capitales sont employées pour remplacer ce que le temps a détruit, et les italiques pour développer les lettres doubles et les abréviations.
[Epithaphe] - Voyage des élèves de l'Ecole Centrale de l'Eure - An 8HIC REQUIESCUNT CORPORA SACERDOTIS BENEDICTI QUi OBIIT. septimo kalendas. MAI (25 avril) ET RODULFI. tertio kalendas Augusti. (30 juillet) Qui IN HOC LOCO SERViERunt  DomiNuS IN DiE JUDiCII RESUSITAT  ILLIS ANIMaet CORPORIS et DUCIS IN REGNUM QUod Est Pro MIssum (ou QUEm Pro MIttis) SPE FIDE II Beati (ou Beatum) PARADIsum PoSSIDEANT INterR ANGelis ARCHANGelis Det EIS DomiNuS CORONIS auREIS et INTER SANCTOS (ou SANCTIS) ESCE ACILLIS SINE FINE CUM CHRISTO IN GLORIA PERmaneRE. AMEN.
Le style de cette pièce rappèle un passage de Grégoire de Tours, dans lequel il s’appliquait à lui-même ce qu’on eût pu dire à l’auteur de l’épitaphe. « Sæpius pro masculinis fœminea pro fœmineis neutra et pro neutris masculina commutas : pro ablativis accusativa et rursùm pro accusativis ablativa ponis. » Greg. Turon. Prœf. lib. de glor. confess. La seconde épitaphe qui paraît un peu plus moderne, est beaucoup moins longue et beaucoup meilleure ; elle a même cet avantage, qu’elle paraît avoir été faite ou demandée par celui dont elle marquait le tombeau. « Quod es fui, quod sum eris, precor te ora pro me peccatore ad Dominum Patrem nostrum. »
(XXI) Ce voyage de Louis XI sur une frontière importante, par des chemins difficiles et couverts, où l’on ne pouvait aller qu’à cheval et à petites journées : le passage du roi et de toute sa suite dans un bacq de 20 pieds de long sur dix de large, nous firent concevoir l’embarras et les lenteurs que la difficulté des communications devait apporter autrefois dans les affaires, l’incertitude que cela jettait dans les délibérations, et les partis que cela donnait lieu de former dans des temps de troubles. C’est principalement dans les époques reculées de notre histoire, qu’on peut voir de quels désastres ces inconvéniens étaient la source. « Dans la Gaule, dit Cæsar, Comm. lib. I., on n’a communément de connaissance d’un pays éloigné, qu’autant que les passans et les marchands forains peuvent en donner. Tout le monde les entoure quand ils paroissent, pour leur demander des nouvelles : ceux-ci, interrogés à droite et à gauche, accablés de mille questions, forcés de parler des pays d’où ils viennent, alors même qu’ils ne savent rien de ce qui s’y passe, répondent au gré des questionneurs, et ne leur donnent souvent que des détails controuvés, qui deviennent pour ceux-ci la source des plus grands malheurs et des regrets les plus amers, à la suite des delibérations hasardées qu’ils prennent sur les affaires les plus importantes. » Avec un peu plus de facilité dans les communications, rien de tout cela ne fut arrivé ; et ces voyes Romaines construites dans les Gaules et dans tous les pays conquis, étaient peut-être un des plus grands moyens que la politique des généraux joignit à la force de leurs armes, pour asservir les peuples ou pour les contenir sous le joug. En effet, en les établissant, pour la communication des garnisons et des camps, les conquérans réunissaient, en peu de temps, des forces immenses et dissipaient, avant qu’ils fussent dangereux, les rassemblemens que la difficulté du pays empêchait elle-même de grossir et de devenir formidables. Qu’on se rappèle, ce qu’on a du remarquer pendant la révolution : cette rapidité de communication d’un bout à l’autre de la France ; cette profusion de feuilles périodiques qui parlaient à trente millions d’hommes à-la-fois ; cette influence magique des courriers sur les déterminations de la majorité ; cette impossibilité d’accréditer de faux bruits et de former des partis, quand tout le monde était instruit des vrais résultats et que les conquêtes du plus fort ne pouvaient être démenties par personne ! Quelles sont donc les chances incalculables que la civilisation présente aujourd’hui pour la conservation des corps politiques : depuis qu’il est plus facile à deux peuples de communiquer entre eux, qu’il ne l’était autrefois à un suzerain d’écrire à son vassal ; ou plutôt depuis la multiplication des grandes routes, l’établissement des postes et l’invention de l’imprimerie ? ajoutons la découverte du télégraphe.
(XXII) Nous employons ici l’expression de verger d’habitation, pour faire entendre qu’autour de la maison il y a toujours un terrain enclos et planté comme un verger ; mais ce n’est pas ainsi qu’on a coutume de nommer ces enclos. On leur donne souvent le nom de cour qui leur convient très bien et souvent aussi celui de masure, qui par tout ailleurs ne signifie qu’un vieux bâtiment tombé en ruines. Cette acception locale du mot masure, pour signifier un enclos d’habitation, quelque étendu qu’il soit, produit quelquefois dans les actes, la plus grande opposition qu’il puisse y avoir entre deux mots et les idées. Item, une belle masure en bon état avec plusieurs bâtimens tout neufs. Ce mot vient du latin mansio, mansile, mansura, masura, masure. (Ducange.)
(XXIII) Un auteur Anglais qui a écrit sur la pêche, rend plus de justice aux bonnes qualités de la dorée, et nous citerons ici le passage où cet auteur appuie ce qu’il écrit, sur le témoignage d’un Epicurien assez connu de son temps, pour qu’il pût l’invoquer comme une preuve sans réplique. « La chair de la dorée est très-tendre et facile à digérer, elle est même assez délicate pour qu’elle soit préférée par plusieurs personnes à celle du turbot. Les chasse-marées en apportent beaucoup à la poissonnerie de Londres, où elles se vendent fort cher, et le célèbre Epicurien M. Quin, a souvent exalté le mérite de la dorée, en disant qu’elle était, pour le goût, au-dessus de tout ce qu’il y avoit de poissons dans la mer. » the art of Angling by R. Brookes. Il est cependant un reproche que pourraient lui faire des acheteurs, qui songent plus à la quantité qu’à la délicatesse de leurs mêts : c’est qu’il n’y a pas beaucoup à prendre dans la dorée, et que la panse en est énorme.

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Nota. Les élèves ont fait un second voyage et de nouvelles observations pendant les vacances de l’an 9 ; mais au lieu de voyager tous ensemble, ils ont formé deux divisions : la première a commencé ses recherches au point où les observateurs de l’an 8 s’étaient arrêtés, et elle a parcouru un espace de vingt-cinq lieues sur les limites des départemens de l’Eure et de la Seine-Inférieure, en partant du confluent de la Risle et de la Seine. La seconde a visité une partie de l’intérieur du département, et des limites qui le séparent de celui de Seine et Oise. Ces deux divisions correspondaient entre elles, et se faisaient mutuellement part de leurs découvertes ; la première portait le nom d’expédition de l’ouest ; la seconde s’appelait l’expédition de l’Orient, et le zèle qui les animait leur faisait mettre à leurs travaux l’intérêt le plus vif. Ces travaux n’ont point été sans quelques succès. Les divers objets d’histoire naturelle et d’antiquité recueillis par les élèves, ont été exposés à l’ouverture solemnelle des cours de l’an 10, et le public les a vus avec satisfaction. Le Conseil d’instruction, jaloux de soutenir l’émulation des élèves, publiera leur correspondance lorsqu’il aura pu faire graver leurs dessins. Il regrette vivement que ces petits voyages n’ayent pu avoir lieu plutôt : l’expérience de deux années lui en a fait sentir tous les avantages, et s’il avait été possible de les commencer dès l’établissement de l’Ecole centrale, comme il en avait eu le projet, on aurait peut-être acquis un grand nombre de précieux détails sur des objets qui restent ignorés, et qu[’]il faut presque toujours aller étudier sur les lieux.

FIN.


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