A. J. L. Dingremont
Le malheureux
Charles VI venait de terminer sa carrière (1) et les anglais qui,
depuis cinq ans occupaient la majeure partie de nos provinces,
prétendaient à la faveur d'un acte illégal et absolument nul (2,) faire
régner Henri VI, leur roi, sur la France déchirée par les factions.
Dans ces tristes circonstances, les français, attaches à leur patrie,
furent se ranger sous les drapeaux de Charles VII, légitime héritier de
la couronne.
Le baron de Godfar,que des blessures reçues dans les dernières
batailles retenaient dans son château, situé à l'est de Lisieux, appela
son fils Roger et lui dit : « Mon fils, à votre âge, j'avais déjà donné
des preuves de ma valeur, et combattu les ennemis de mon roi.
Aujourd'hui les circonstances sont graves. La mésintelligence qui
existe entré les princes français (3) a procuré des avantages à nos
ennemis, et les anglais veulent nous imposer un maître. Ne le souffrons
pas, mon fils. Si mes forces secondaient mon courage, j'irais me ranger
sous les bannières de Charles VII, successeur naturel de nos rois. Mes
blessures ne me le permettent pas encore. Mais vous, mon cher Roger,
allez servir dans les rangs de nos anciens guerriers, et contribuez par
votre valeur à chasser de notre territoire, ces mêmes anglais à qui
jadis nous avons donné des lois. Voici l'épée de l’un de vos ayeux qui
périt à la bataille de Crécy (4) ; je l'ai toujours religieusement
conservée ; elle a vengé sa mort et maintenant il s'agit de venger nos
droits méconnus ; recevez-la, mon fils, et allez où le devoir et
l'honneur vous appellent. »
Le jeune Roger, qui, dès sa plus tendre enfance, n'avait entendu parler
que de guerre et de combats, saisit avec plaisir cette occasion de
donner des preuves de sa bravoure, et après avoir reçu la bénédiction
de son père, il partit pour le Puy, où Charles VII venait d'être
proclamé roi (5). Il ne restait plus au baron que sa fille Adèle,
quoique encore fort jeune, elle faisait l'ornement de la maison de son
père, et s'efforçait par ses soins, de calmer ses ennuis et ses
douleurs.
Non loin du château, dans le creux d'un rocher, un hermite avait depuis
quelque temps établi sa demeure. Nourri des bienfaits du baron, il
quittait rarement sa cellule, et semblait avoir rompu tout commerce
avec le reste des hommes.
Le baron qui désirait connaître ce solitaire et s'entretenir avec lui,
se rendit un jour à l’hermitage, accompagné de sa fille ; ils entrent
dans une caverne que la nature seule avait ornée ; des viornes
suspendues à des rosiers sauvages en embellissaient l'entrée ; mais
sous cette voute rocailleuse dont on n'appercevait pas la profondeur,
rien d'agréable ne frappait les regards. De la mousse, des feuilles
mortes, quelques blocs de pierre, dont l'un était surmonté d'une croix
grossièrement travaillée, étaient les seuls objets qui s'offraient à la
vue. L'hermite prosterné au pied de cette croix, n'apperçut pas d'abord
le baron ni sa fille ; mais Adèle qui le crut mort, ayant jeté un cri,
le tira de sa méditation. « Mon père, lui dit le baron, je suis fâché
que nous vous ayons troublé dans vos prières ; je venais chercher près
de vous quelques consolations et je crains que ma visite ne soit
importune. Des consolations, répondit le solitaire ; Hélas ! comment
pourrai-je vous en donner, moi qui chaque jour en demande au ciel et
qui ne puis en obtenir. -Vos peines sont donc bien grandes, reprit le
baron. - Oui, Monsieur, mais elles n'égalent pas encore mon crime.
Après s'être entretenu quelque temps avec le baron qui paraissait
désirer de connaître la cause des chagrins de cet homme qui se disait
criminel, l'hermite lui dit : « Vous voyez en moi, Monsieur, un grand
coupable, qui a attiré sur notre pays tous les maux qui l'accablent :
Oui, c'est moi qui après avoir servi fidèlement ma patrie et mon roi,
me suis laissé séduire par les ennemis de ce prince, qui devait faire
la gloire de la France et le bonheur de ses sujets ; enfin vous
voyez... Mais non, je n'ose vous le dire ; vous m'accableriez de votre
malédiction. » Mon ami, lui dit le baron, vous me croyez donc bien dur
et bien cruel ; ouvrez-moi votre coeur, il sera soulagé après s'être
épanché dans le sein d'un ami ; oui, regardez-moi désormais comme tel,,
et plus votre crime vous paraît énorme, plus je désire le connaître et
vous consoler. « Ah! Monsieur, s'écria le solitaire en fondant en
larmes... voyez en moi le plus criminel des hommes, mais ne m'accablez
pas de votre colère : homme sensible et généreux, vous voyez à vos
pieds celui qui, sous une forme hideuse, se présenta devant le roi,
lorsqu'il allait en Bretagne, et qui, par la frayeur qu'il lui inspira
le fit tomber en frénésie, ce qui plongea la France dans des calamités
dont Dieu seul connaît le terme (6). A ces mots, le baron sembla
pétrifié. Le solitaire la tête appuyée dans ses deux mains, fondait en
larmes et n'osait lever les yeux. Malheureux, dit enfin le baron, tu
avais bien raison de dire que ton crime était énorme. » Ah ! Monsieur,
reprit le solitaire, j'avais bien prévu que vous ne verriez plus en moi
qu'un grand coupable ; mais voyez-y en même temps un grand pénitent.
Trente années n'ont pu effacer de ma mémoire les paroles qui portèrent
le trouble dans l'esprit de ce bon prince, et trente années de remords
n'ont pu désarmer la colère céleste qui me poursuit en tous lieux.
Errant et fugitif, je voudrais me cacher à moi-même; mon crime est
toujours présent à ma pensée, et mes peines n'ont pu en diminuer
l'horreur à mes yeux. Le, baron, que le repentir de cet homme avait
attendri, lui donna quelques consolations ; mais lorsqu'il lui eût
appris la fin malheureuse de Charles VI, le solitaire poussa un cri que
les échos de la caverne répétèrent et, tomba comme anéanti ; il resta
tellement inanimé que le baron le crut mort ; mais il ne l’abandonna
pas et parvint par ses soins à le rappeler à la vie, et à porter dans
son âme quelque adoucissement à ses peines ; en le quittant il
l'enragea même à venir à son château, et parvint avec beaucoup de peine
à lui en arracher la promesse.
Les entretiens du baron de Godfar avec le solitaire, portèrent dans
l'âme de ce dernier une tranquillité qu'il n'avait pas encore éprouvée.
Ce seigneur, qui croyait que ce malheureux ne pouvait mieux réparer son
crime qu'en coopérant au rétablissement de la monarchie, lui dit que
puisque jusqu'alors Dieu n'avait point exaucé ses voeux, c'est qu'il
exigeait de lui autre chose que des prières ; qu'il devait aller
défendre les droits de Charles VII, et faire tous ses efforts pour
aider à le rétablir sûr le trône de ses pères ; qu'il lui fournirait
les moyens de s'équiper et de rejoindre l'armée royale. Le solitaire
accepta ces offres avec transport et après avoir reçu du baron un
cheval, une armure complète et des conseils sur le chemin qu'il devait
suivre, il partit pour Poitiers.
Dans un autre château, situé à l'Ouest de la même ville, existait un
autre seigneur, le baron de Malicorne, zélé partisan des anglais, il se
réjouissait des revers de ses compatriotes et célébrait avec éclat, les
succès de nos ennemis.
Le départ du fils du baron de Godfar pour l'armée, ne put lui être
inconnu ; il se hâta d'en donner connaissance au duc de Betfort, régent
de la France, pour Henri VI, et s'offrit à punir de sa fidélité, un
guerrier fameux, que ses vertus et ses services faisaient respecter de
tous ceux qui le connaissaient. Fier de la faveur du prince anglais, il
envoya dire au baron de Godfar que le régent était instruit du départ
de son fils pour l'armée des rebelles, et qu'il l'avait chargé de
mettre ses biens en séquestre, s'il ne s'engageait à le rappeler, et à
le faire passer dans les rangs des anglais.
A cette proposition que le baron n'entendit qu'avec la plus vive
indignation, il répondit au messager : « Dites à celui qui vous envoie,
qu'il est étonnant qu'un français traite de rebelles ceux qui
combattent sous les drapeaux du fils de nos anciens rois. Mon fils
étant libre de ses actions a cru devoir s'y ranger, et jamais, non
jamais, je ne l'engagerai à passer dans les rangs des étrangers. Quant
aux menaces de votre maître, qu'il réfléchisse avant d'en tenter
l'exécution ; la fortune est inconstante ; il pourrait s'en repentir un
jour ; mais au surplus, s'il m'attaque, je me défendrai.
Le baron de Malicorne qui n'attendait que cette réponse pour commencer
les hostilités et s'emparer des biens du baron de Godfar, arbora sa
bannière sur la plus haute des tours de son château. A ce signe
redouté, ses vassaux subjugués d'ailleurs par les anglais, se
rassemblèrent et firent tous les préparatifs nécessaires pour cette
expédition.
De son côté, le baron de Godfar réunit quelques fidèles et dévoués
serviteurs ; fit mettre son château à l'abri d'un coup de main et
attendit ses ennemi, de pied ferme.
Cependant la petite armée ennemie s'avançait sur ses terres. On voyait
à sa tête le baron de Malicorne, couvert d'une armure éclatante ; il
était suivi de cinquante arbalétriers, armés d'arcs et de flèches, et
cinquante hallebardiers ; le chevalier du Millouët portait sa bannière,
et le reste des vassaux du domaine de Malicorne formait le gros de
l'armée ; ils traînaient avec eux quelques machines de guerre, pour
battre les murailles de Godfar.
Arrivé au pied des remparts, le baron de Malicorne envoya sommer ce
seigneur de lui livrer son château, mais un refus formel fut, la
réponse du baron. Alors les machines s'approchèrent. Les assiégés
excités par le vaillant Godfar les accablèrent de traits, de pierres et
de pièces de bois, mais les fortes machines des assiégeans parvinrent à
faire une ouverture. Les fidèles serviteurs du baron qui les commandait
toujours, leur tuèrent beaucoup de monde et allaient les repousser,
lorsque lui-même atteint d'une flèche, qui lui fit une large blessure,
fut obligé de se retirer dans son château. Ses gens ayant perdu leur
chef commencèrent à plier, et l'armée, de son ennemi entrait en foule
dans, l'intérieur de ses murailles, lorsque tout à coup, un guerrier
armé de toutes pièces, monté sur un coursier vigoureux fend
la troupe des assiégés, de son cimeterre frappe à droite et à gauche et
jette l'épouvante et l'effroi dans l'armée victorieuse. Le baron de
Malicorne lui-même est entraîné par les fuyards. L'ouverture par
laquelle ils étaient entrés n'étant pas assez large, plusieurs
perdirent la vie et les principaux eurent le temps de s'échapper avant
que ce guerrier, pût sortir pour les poursuivre. Il ne fit aucun
quartier à ceux qu'il put atteindre et une partie de cette troupe fut
détruite.
Mais quel était ce mortel généreux auquel le baron de Godfar devait en
ce jour la liberté, et peut-être, la vie. Il voulait se retirer après
cette victoire, et les amis de ce seigneur employèrent presque la
violence pour le faire entrer dans le château. Le baron couché
sur son lit, entouré de quelques vieux serviteurs, attendait avec
anxiété l’issue de ce combat ; sa fille éplorée priait le
ciel de lui conserver l'auteur de ses jours. L'inconnu conduit par les
amis du baron entra dans cette chambre. A l'aspect de l'armure dont il
était couvert le malade sembla renaître et ses amis s’empressèrent de
lui annoncer le résultat de la bataille et la part qu'y avait prise ce
chevalier. Généreux inconnu, lui dit le baron, je vous dois
aujourd’hui plus que la vie, et jamais je ne pourrai reconnaître le
service que, vous m'avez rendu. Mortel compatissant, repartit le
chevalier, ce que je vous dois est encore bien au dessus de ce faible
service, et j'aurais désiré donner ma vie pour préserver la
votre. Mais, lui dit le baron, comment se fait-il que parti il y a
quelques
jours de ces lieux, vous y soyez revenu dans un moment où votre
présence y était si nécessaire, et comment avez-vous pu pénétrer dans
l'intérieur de mes fortifications ? Lorsque je fus parti d'ici,
répondit l'inconnu ; et que j’étais en route pour Poitiers, je
rencontrai un chevalier qui me dit qu'il allait rejoindre le baron de
Malicorne, son ami, pour l'aider à châtier un seigneur voisin partisan
de Charles VII. Ces mots qui m'éclairèrent sur les dangers que vous
alliez courir, me firent revenir sur mes pas, et j'arrivai presque au
moment où l'armée de votre ennemi abattait vos remparts. La grotte que
j'ai habitée a des souterrains qui conduisent dans une des tours de
votre château ; jamais je n'avais dépassé ces limités ; mais
aujourd’hui guidé par mon devoir et suivi par mon cheval, j’ai franchi
ces obstacles, et vous savez le reste. Le baron après avoir de nouveau
remercié son libérateur, l'engagea à demeurer quelque, temps avec lui,
ce à quoi le chevalier consentit ; mais, voyant le danger passé et le
baron presque guéri, il partit au bout d'un mois pour rejoindre
quelques
partisans de Charles VII.
Le baron de Malicorne, honteux de sa défaite, s'était retiré dans son
château et craignait à son tour le ressentiment du baron de Godfar, et
surtout le chevalier inconnu, qu'il croyait sans cesse voir arriver au
pied de ses murailles. Mais ses craintes se dissipèrent peu à peu ; il
manda au duc de Betfort, le peu de succès de son entreprise ; en
ajoutant qu’une troupe de rebelles défendait le château de son ennemi,
et qu'il servait de retraite à tous les mécontens du pays. Le duc
aurait bien désiré, lui envoyer du renfort, mais les généraux anglais
ayant retiré les garnisons des environs, pour faire une incursion dans
le Maine et dans l'Anjou ; il ne put lui donner que des conseils et
l'exhorter à persévérer dans ses dispositions, lui promettant de le
seconder le plutôt qu'il lui serait possible ; mais il ne put effectuer
ses promesses que deux ans après.
Pendant ce temps le jeune Roger, qui avait rejoint l'armée française,
s'attirait par ses manières et sa bravoure, l’estime de ses chefs et
l'amitié de ses compagnons d'armes.
Après la bataille de Verneuil (7), si funeste à Charles VII, des
troupes anglaises revinrent dans nos cantons. Le seigneur de Malicorne,
dont la haine s'était augmentée avec le temps, crut que le parti de son
adversaire était totalement anéanti, et saisit cette occasion pour
donner un libre cours à sa vengeance, et réparer la honte de sa défaite.
Le baron de Godfar était alors guéri de ses blessures et les nouvelles
qu'il avait reçues de son fils, avaient porté dans son âme une douce
satisfaction. Adèle, qui voyait son père rendu, à la santé, se livrait
quelquefois à la joie, et le bonheur commençait à renaître dans le sein
de cette famille. Il apprit les préparatifs faits par son adversaire,
mais, comptant sur la justice de sa cause, il espérait que le ciel
s'intéresserait pour lui.
Le château fut tout à coup assiégé par deux cents anglais, animés par
ce furieux. Le baron et ses amis, dont le nombre était diminué après
les derniers désastres éprouvés par les français, firent des prodiges
de valeur ; mais enfin, les machines de guerre abattirent des pans de
murailles par où les ennemis pénétrèrent. Ce seigneur, qui voyait
l'impuissance de ses efforts, et qui craignait de tomber entre les
mains de son ennemi, demanda à capituler et à se rendre aux anglais. Le
baron de Malicorne refusa toute capitulation, et dit à l'envoyé que si
dans l'instant même il ne se rendait, sa fille et lui seraient
sacrifiés et son château rasé. La conservation de sa fille fut seule
capable de porter le baron, qui se voyait sans ressources, à se rendre
à son ennemi, et il fit ouvrir la porte de son château ; Malicorne qui
craignait une surprise, y fit passer cinquante anglais, avec l'ordre de
lui amener lé coupable ; saisi par ces soldats, il fut amené avec sa
fille devant son vainqueur, qui se riant de la défaite lui dit: « - Eh
bien, Godfar, te voilà donc vaincu ; n'espère rien de ma générosité, tu
subiras le supplice des rebelles, et pour que ma vengeance soit
satisfaite, tu deviens de ce jour, mon prisonnier. Je ne réclame pas
pour moi ta générosité, lui répondit le baron, mais je demande que tu
conserves l'honneur de ma fille. »
Ce château où régnaient naguère la paix et le bonheur, fut livré au
pillage et à la dévastation, et le malheureux Godfar vit ses richesses
et ses meubles les plus précieux devenir la proie d'avides étrangers.
Son implacable ennemi le fit suivre à pied la troupe qu'il commandait.
Des chevaux portaient devant lui sa fille et les dépouilles de son
château. Ce fut ainsi qu'il traversa la ville et qu'il fut conduit dans
le manoir de Malicorne, où il fut enfermé dans une tour avec sa fille.
Pendant les premiers jours de leur captivité, ces deux infortunés
éprouvèrent de la part de leur persécuteur les traitemens les plus durs
; mais la grande âme du baron de Godfar resta inébranlable ; se
confiant en la clémence divine, il était décidé à souffrir tout, et la
mort même, plutôt que de faire rien de contraire à ses principes. Sa
fille continuait par ses caresses et par ses soins, à adoucir ses
ennuis et ses peines, et ne cessait de prier le ciel de lui conserver
l'auteur de ses jours. Enfin un événement imprévu apporta quelque
adoucissement à leurs maux.
Le baron de Malicorne avait, ainsi que son prisonnier, deux enfans, un
fils nommé Guillaume et une fille nommée Blanche, qu'il avait placée
dans le monastère situé au pied du Mont-Cassin, dans le voisinage de
ses domaines (8), afin de la mettre à couvert des insultes des gens de
guerre, dont la France était alors couverte. Quant à Guillaume, doué
d'un coeur tendre et généreux, mais élevé dans les sentimens politiques
de son père, il servait dans les rangs des anglais et fut blessé au
siège de Montargis (9). De retour à la maison paternelle il ne put voir
avec indifférence, les infortunes du baron de Godfar et les charmes de
sa fille. Il connaissait le caractère dur et inexorable de son père ;
mais l'intérêt qu'il ressentait pour ces deux infortunés, le porta à
parler en leur faveur, et à le prier d'adoucir leur captivité. «
Malheureux, répondit l'inflexible baron, sais-tu bien en faveur de qui
tu implores ma pitié, en faveur d'un rebelle, d'un séditieux qui refuse
de reconnaître pour son roi, celui à qui Charles VI a légué sa couronne
et ses droits, celui dont le château a servi de repaire à nos ennemis,
celui qui a envoyé son fils combattre contre nous, celui enfin sous les
coups duquel j'ai manqué de succomber, et qui n'attendait que les
succès d'un prince déshérité pour m’accabler et pour me perdre. Il est
convaincu de félonie et il subira le supplice qu’il a mérité. Mon père,
lui répartit Guillaume, le baron de Godfar est peut-être coupable,
mais, sa faute est une erreur ; il est aimé et estimé même de ses
ennemis ; seriez vous le seul acharné à sa perte ; réfléchissez avant
de rien entreprendre ; si, dans les circonstances présentes, vous avez
eu le droit d'attenter à sa liberté, vous n'avez pas celui d'attenter à
sa vie. Considérez que les chances de la guerre sont quelquefois
défavorables ; gardez le baron comme un otage, et si nous tombions l'un
ou l'autre au pouvoir de nos ennemis, l'échange de ce seigneur serait
notre rançon. » Ces dernières paroles firent réfléchir le baron et le
décidèrent, sinon à révoquer l'arrêt de mort qu'il avait prononcé
contre son prisonnier, du moins à en proroger l'exécution.
Adèle en voyant Guillaume, n'avait pu se défendre d'un sentiment dont
elle ne pouvait se rendre compte ; car il lui semblait impossible
qu'elle put porter intérêt au fils du persécuteur de son père. Mais
l'amour, ce tyran des coeurs, les avait frappés du même trait, et
l’habitude de se voir, devint bientôt pour eux un besoin.
Le baron de Malicorne, que les réflexions que son fils lui avait fait
faire, avaient rendu plus traitable, accordait à ses prisonniers plus
de liberté, mais la compassion n'entrait pour rien dans l'allégement
qu'il apportait à leur sort. Les inconstances de la fortune lui
faisaient craindre des revers, et il se proposait bien de ne jamais
relâcher son captif si les anglais pouvaient devenir les paisibles
possesseurs du royaume. Les entretiens qu'il voyait que son fils avait
quelquefois avec ce dernier, ne pouvaient lui plaire ; il craignait
qu'il ne conçut pour sa fille un amour véritable, et il n'aurait pas
consenti à unir deux familles dont les opinions étaient si différentes.
Le baron de Godfar, au contraire, tout en prémunissant Adèle contre les
dangers auxquels elle s'exposait en écoutant trop favorablement les
discours du fils de son ennemi, aurait vu avec plaisir l'union des deux
familles : il avait remarqué dans Guillaume des sentiments honorables,
et il espérait pouvoir lui faire connaître l'injustice de la cause
qu'il défendait ; il lui en avait même parlé quelquefois, mais il
craignait d'aggraver son sort et celui de sa fille, si son persécuteur
parvenait à avoir connaissance des tentatives faites à ce sujet.
Le bonheur que Guillaume avait trouvé dans la maison paternelle, avait
cicatrisé ses blessures et lui rendit la santé. Le baron l'engagea
alors à reprendre les armes et à se rendre à Orléans dont les anglais
faisaient le siège, afin de les seconder dans leurs travaux (10). Le
jeune guerrier aurait bien désiré rester auprès d'Adèle ; mars les
sollicitations de son père étant devenues plus pressantes, il fit ses
adieux aux deux malheureux captifs et partit pour Orléans.
Pendant ce temps, le jeune Roger se distinguait dans différentes
affaires. Il fut du nombre des gentilshommes que le comte de Dunois fit
entrer dans Orléans et qui dans différentes sorties tuèrent beaucoup de
monde aux assiégans. Dans une de ces sorties, Roger poursuivant avec
quelques français un parti d'Anglais, apperçut un chevalier anglais qui
se défendait seul contre trois français ; il avait déjà reçu plusieurs
blessures et était sur le point de succomber, lorsque Roger, courant de
ce côté, cria aux français de suspendre le combat. Pas de quartier, lui
dirent les trois combattans, c'est un français, c'est un rebelle.
Arrêtez ! leur dit-il, le combat est trop inégal, et vous chevalier,
rendez-vous. Celui-ci, admirant, la générosité de son ennemi, ne
balança pas à remettre son épée à Roger qui le fit conduire dans la
place et l'assura qu'il allait se rendre auprès de lui. Après avoir
contribué à disperser quelques détachemens anglais, il rentra dans
Orléans et fut trouver son prisonnier qui lui marqua sa reconnaissance
pour le service qu'il lui avait rendu. « Mais, lui dit Roger, puis-je
connaître celui à qui j'ai rendu ce service ? - A un français, lui
répondit le prisonnier, dont le père possède des domaines dans la
Normandie. - La Normandie, reprit Roger, mais c'est mon pays, et de
quel canton de la Normandie êtes-vous ?- D'auprès Lisieux, lui répond
l'autre. - Quoi, d'auprès Lisieux, mais quel est votre nom ? - Mon nom
est Guillaume de Malicorne. – O Dieu ! s'écria Roger, quel nom
avez-vous prononcé ; quoi, vous seriez le fils du persécuteur de mon
père. - O généreux fils de Godfar ! O frère de l'incomparable Adèle !
s'écria à son tour Guillaume, en pressant Roger dans ses bras ;
mon père est peut-être coupable, mais son fils est innocent.
Rendez-moi la
liberté et, je cours briser les fers de votre vénérable père. - Des
fers, lui répartit Roger, quoi, mon père serait dans les fers. - Oui,
mon libérateur, mais je veux moi-même les briser. Alors, il lui raconta
la prise du château de Godfar, la captivité de son père et son amour
pour Adèle, puis il ajouta : Ne refusez pas ma demande ; Oui, je jure
de leur rendre la liberté, et de vous rejoindre pour servir dans vos
rangs ; de ce moment, je quitte le parti des Anglais et je reconnais
Charles VII, pour mon légitime souverain. » Roger, qui connaissait le
baron de Malicorne pour un ennemi de sa maison, ignorait les derniers
événemens qui avaient fait tomber son père en son pouvoir ; pénétré à
son tour de reconnaissance pour son nouvel ami, il lui dit qu'il
l'aurait accompagné pour aller délivrer son père, mais que dans le
moment actuel, la ville d'Orléans avait besoin de tous ses défenseurs
et qu'il s'en rapportait entièrement à lui. Guillaume après avoir de
nouveau remercié Roger, obtint un sauf-conduit et prit la route de
Normandie. En passant par la Beauce, il arriva à Rouvray au moment où
les français en venaient aux mains avec les anglais qui conduisaient un
convoi de vivres à ceux qui assiégeaient Orléans (11). Fidèle à sa
promesse, il se rangea du côté des français, mais, s'étant trop avancé
dans le fort du combat, il fut pris et conduit eh Angleterre.
Cependant les affaires du roi étaient loin d'être brillantes ; sans
argent et presque sans armées, il n'osait demander des secours aux
provinces qui lui restaient fidèles ; mais Dieu, qui veillait sur la
France, lui suscita un vengeur. Une jeune bergère devait relever le
trône de nos rois, et venger les affronts faits au nom français.
Jeanne d'Arc, plus connue sous le nom de la Pucelle d'Orléans (12),
offrit à son roi son courage et son bras, pour le délivrer de ses
ennemis. On fit d'abord quelques difficultés, mais ce prince vaincu
par les instances de cette jeune fille dont la mission paraissait
surnaturelle, lui confia quelques troupes qui firent entrer des vivres
et des munitions dans Orléans. A la tête de nos armées, elle fit des
prodiges de valeur et força les Anglais à lever le siège de cette ville
(13). L'armée victorieuse partit ensuite pour Reims, où elle arriva
après avoir livré plusieurs batailles dans lesquelles les anglais
furent défaits. La principale fut celle de Patay (14), où le jeune
Roger fit prisonnier le général Talbot.
Après le sacre de Charles VII qui eut lieu le 8 juillet 1429, plusieurs
villes qui jusqu'alors avaient refusé de reconnaître son autorité se
rendirent à lui, et Jeanne d'Arc, qui regardait sa mission comme
terminée, voulut se retirer ; mais le roi et toute sa cour la
sollicitèrent tellement de rester, qu'elle se rendit à leurs instances.
Charles recouvrait ses villes et ses provinces. Les français enfermés
dans les villes fortes que possédaient encore les anglais n'attendaient
qu'une occasion favorable pour briser leurs chaînes, et se jeter dans
les bras de leur roi.
Au milieu de ces triomphes, la fortune sembla pour un moment vouloir
favoriser le parti des anglais. La célèbre Jeanne d'Arc tomba en leur
pouvoir (15). Un tribunal inique ne rougit pas d'accuser de
sortilège, celle dont la valeur seule avait enfanté des prodiges. Des
ministres d'un Dieu de paix et de miséricorde osèrent appeler sur elle
les foudres de l'église et prononcer sa mort. Un prélat qui depuis
occupa le siège de Lisieux (16), présida l’assemblée qui la condamna à
perdre la vie, et cette malheureuse victime du fanatisme et de la
fureur des Anglais, fut brûlée vive à Rouen le 30 mai 1431.
Dans ces circonstances différentes, des amis du baron de Godfar lui
firent connaître les succès de nos armes et tentèrent sinon sa
délivrance, au moins d'apporter quelque allégement à ses peines. Un
joueur de vielle se présentait souvent au pied de la tour qui lui
servait d'asile, et là, comme un autre Blondel, il faisait entendre une
de ces romances que ce fidèle serviteur de Richard, chantait jadis,
sous la prison de son maître (17).
Le baron ne fit d'abord aucune attention à ces chants, mais
l'affectation avec laquelle certaines paroles étaient prononcées,
excitèrent sa curiosité. Le seigneur de Malicorne qui s'était apperçu
que son prisonnier avait connaissance des succès des français, tâcha de
découvrir les moyens dont on se servait pour l'en instruire ; il épia
et fit épier ceux qui venaient à son château, et il ne fut pas
long-temps à s'apercevoir que le joueur de vielle était dans les
intérêts du baron, il le fit arrêter. Que fais-tu au pied de cette
tour, lui demanda-t-il ? - Je chante - Que chantes-tu? - La chanson de
Blondel. - Pourquoi cette chanson ? - Parce qu'elle me plait. Ces
réponses fières et laconiques allumèrent la colère du baron. Eh bien,
lui dit-il, pour que ta position ne ressemble pas à celle de Blondel,
je te fais mon prisonnier, et tu verras que si Richard se tira des
mains d'un empereur, Godfar ne se tirera pas de celles d'un baron.
Après ces paroles ironiques, il ordonna qu'on le mit dans le cachot
souterrain qui existait sous la tour où logeait son prisonnier (18).
Adèle qui jouissait d'un peu plus de liberté que son père, entendit un
jour en descendant de la tour, des gémissemens qui partaient de cet
endroit ; comme elle les entendait pour la première fois, elle en fut
effrayée, et en fit part à son père. Le baron qui n'entendait plus le
joueur de vielle, soupçonna qu'il pouvait avoir été pris et tenta sa
délivrance. Pour s'assurer si ce malheureux était bien celui qui
chantait au pied de la tour, il se hasarda à descendre à l'entrée du
cachot et il fit entendre les premiers mots de la chanson de Blondel. «
Qui êtes-vous ? lui répond une voix plaintive. Un ami, lui répond le
baron ; dites-moi seulement, pour quelle cause vous êtes ici ? - Pour
avoir voulu acquitter la dette de la reconnaissance. Cette réponse et
ce son de voix furent un trait de lumière pour le bacon, qui lui dit :
Connaissez-vous le baron de Godfar et la grotte placée près son château
? Ah! je n'en puis douter, lui répond l'inconnu , vous êtes ce mortel
bienfaisant à qui je dois plus que la vie ; mais quittez ces lieux,
notre persécuteur pourrait vous punir de votre pitié. Oui, je les
quitte, lui répond le baron, mais prenez courage, je vais tout tenter
pour vous tirer de cet affreux séjour. Cet inconnu qui était cet
hermite pénitent, dont les conseils du baron avaient adouci les remords
et qui avait rendu à son tour à ce seigneur un service signalé lors de
la première attaque du château de Godfar, avait appris la captivité du
baron et cherché par ses chants à faire connaître à son bienfaiteur les
succès des français.
Le baron avait trouvé parmi les serviteurs du château de Malicorne, un
coeur compatissant, qui, par ses soins, avait rendu son sort moins
affreux ; Patrice était le nom de cet homme généreux ; le baron ne lui
avait jamais rien demandé, mais alors, il le pria de lui rendre un
service signalé dont il serait reconnaissant. – « Voici, ajouta-t-il,
de quoi il s'agit: Le cachot qui existe sous la tour que j'habite,
renferme un malheureux, victime de la haine que me porte le baron de
Malicorne ; cet ennemi de peu d'importance ne peut l'intéresser
beaucoup ; dites à votre maître que le malheureux est sur le point
d'expirer et qu'il n'a plus qu'un souffle de vie. Si, comme je le
crois, il apprend cette nouvelle avec indifférence ; rendez-lui la
liberté. » Patrice fit d'abord quelques difficultés ; mais vaincu par
les instances du baron, et voyant qu'il n'y avait que ce moyen de
rendre la vie à ce malheureux, il lui fit part de ce que l'on allait
faire pour le tirer des mains du baron de Malicorne et il l'engagea à
se conduire de manière à persuader son ennemi de sa mort. Ce seigneur
instruit par le domestique du décès de l'inconnu, désira s'assurer par
lui-même de la vérité de la nouvelle ; il fait tirer du cachot ce corps
qu'il croit inanimé ; l'horreur de sa prison avait changé ses traits,
et le barbare contemplait avec plaisir un ennemi de moins. Qu'on le
jette à la voirie, dit-il. Le fidèle Patrice l'enveloppa lui-même dans
une vieille tapisserie, et aidé d'un autre domestique, ils le
transportèrent pendant la nuit dans un champ assez éloigné du château.
Patrice feignant d'avoir perdu quelque chose, y retourna, lui donna
quelque nourriture et lui indiqua le chemin qu'il devait suivre pour se
mettre à couvert de la fureur de son maître. Après avoir erré quelque
temps dans le pays, ce chevalier se joignit aux seigneurs qui se mirent
à la tête de 600 hommes pour surprendre le château de Rouen au moyen de
quelques intelligences qu'ils avaient dans la place ; il fut du nombre de
ceux qui, sous les ordres de Ricarville, un de ces officiers français,
tentèrent d'y entrer, tandis que les autres attendraient dans un bois
voisin un signal convenu. Cette tentative eût d'abord quelques succès ;
Ricarville se rendit maître du château pendant la nuit et fit main
basse sur la garnison anglaise, mais le donjon qui était occupé par le
comte d'Arondel, qui en était gouverneur, était tellement fortifié
qu'il tint ferme jusqu'à ce qu'il fut secouru par les troupes qu il
avait dans la ville et aux environs. Ces courageux français furent à
leur tour assiégés, dans le château, et pendant douze jours ils firent
des prodiges de valeur, mais enfin ils furent obligés de se rendre à
discrétion et furent décapités (19). L'inconnu si dévoué au baron de
Godfar, et que ce seigneur avait tiré des mains du baron de Malicorne,
fut du nombre de ces malheureux.
Cependant le parti des anglais diminuait chaque jour et le duc de
Bourgogne l'ayant abandonné et fait sa paix avec Charles VII (20) ; ils
perdirent en ce prince un puissant appui. La ville de Paris qui ne les
avait reçus qu'à sa considération, imita ce prince et les magistrats
qui la gouvernaient, en facilitèrent l’entrée au Connétable (21), et au
comte de Dunois (22).
Malgré ces divers avantages, la guerre civile ravageait notre
malheureuse patrie, chacun cherchait un refuge dans les places
fortifiées, et les campagnes presque désertes, les champs restés sans
culture, et en plusieurs endroits couverts de cadavres, n'offraient aux
regards qu'un théâtre de désolation et d'horreur. Pendant plusieurs
années on ne fit de part et d'autre qu'attaquer et surprendre, quelques
places, sans avantage décisif.
Dans ce temps, le baron de Malicorne éprouva un malheur bien sensible,
et qui aurait dû le détacher du parti qu'il défendait. Blanche, sa
fille, parmi les vierges consacrées au Seigneur, mais dont elle n'avait
pas encore pris le voile, coulait à l'ombre du cloître qu'elle
habitait, des jours sereins et tranquilles ; ces saintes retraites
étaient alors les seules où l'on goûtait la paix, lorsque des
profanateurs n'en violaient pas l'entrée. Tandis que tout dormait dans
cette maison, des anglais en escaladèrent les murs pendant la nuit et
jettèrent l'épouvante et l’effroi parmi ces vierges timides ; à la
faveur du désordre qu'ils causèrent, ils en enlevèrent quelques unes
dont Blanche faisait partie et s'éloignaient, avec leur proie,
lorsqu'un événement imprévu rendit leur crime inutile.
Roger, qui ne recevait point de nouvelles de sa famille, tenta de
surprendre la ville de Lisieux, dans laquelle il avait quelques
intelligences. A la tête de cent hommes qui lui furent confiés, il vint
jusqu'au château des Loges (23) et attendait le signal convenu pour
exécuter son dessein, lorsque des cris de femme parvinrent à ses
oreilles. - S'élancer avec sa troupe au lieu d'où partaient ces cris,
fut le premier mouvement de ces généreux français. Halte-là, s'écria
Roger, qui êtes-vous ? A cette demande les anglais ripostèrent par des
coups de pique, mais les français les ayant alors reconnus, les
chargèrent avec une telle impétuosité qu'ils furent tous tués ou
blessés, car, pour des prisonniers, on en faisait rarement dans de
telles rencontres.
Les religieuses évanouies furent transportées dans le château où les
soins les plus délicats leur furent prodigués. Blanche qui portait un
costume différent de celui de ses compagnes fixa particulièrement
l'attention de Roger qui lui exprima le plaisir et le bonheur qu'il
ressentait de l’avoir tirée des mains de ses ravisseurs. Elle ne fut
point insensible à ces sentimens, et l’amour se glissa dans leurs coeurs
; mais il fallut se séparer, le projet de surprendre la ville était
manqué, et Roger qui ne pouvait exposer sa troupe dans un lieu
environné d'ennemis confia son dépôt, avant de s'éloigner, à des
personnes sûres qui se trouvaient dans le château, et dès le matin,
Blanche et ses compagnes furent reconduites à leur monastère (24)
Le baron de Maicorne qui voyait des partis français presqu'aux portes
de la ville, éprouva des craintes et demanda des renforts aux anglais
qui mirent une garde dans son château.
Cependant le pape Eugène IV, père commun des chrétiens, s'interposa
pour procurer la paix à la France il envoya des légats qui
d'abord ne furent pas écoutés par les Anglais, mais lorsque ces
derniers virent leur cause presque désespérée, ils prêtèrent l'oreille
aux propositions qui leur furent faites de la part du souverain pontife
et ils conclurent une trêve qui fut signée à Tours, le 20 mai 1444 (25).
Pendant cette trêve, le baron de Godfar trouva un puissant
intercesseur. Le roi d'Angleterre fit demander en mariage Marguerite,
fille de René, comte d'Anjou ; elle lui fut accordée et elle passa par
Lisieux accompagnée du comte de Suffolk (26).
Elle avait entendu parler du seigneur de Godfar et de sa captivité, et
elle fit engager le baron de Malicorne à lui rendre la liberté, mais
les demandes faites à ce sujet furent inutiles, il ne donna que des
réponses vagues, ne promit rien de positif et déclara qu'il ne le
relâcherait que moyennant une forte rançon que Godfar était alors hors
d'état de payer.
D'après les conditions du mariage de Henri VI avec Marguerite d'Anjou,
ce prince devait rendre à Charles VII le pays du Maine ; l'anglais
ayant manqué à sa parole, Charles ordonna au comte de Dunois d'assiéger
le Mans où les anglais se défendirent quelque temps, mais enfin ils
furent contraints d'abandonner la ville et la province, et de se
retirer en Normandie en 1447 (27).
Au mois de juillet de cette même année ; les comtes du Dunois et de
Saint-Pol, firent camper leur armée sous les murs de Lisieux et
attaquèrent là ville (28) mais leurs efforts furent inutiles et les
troupes anglaises qui la défendaient leur firent lever le siège.
Enfin nous voici arrivés à cette époque mémorable qui vit
tomber totalement le parti des anglais. Cette province qui souffrait
impatiemment leur joug, agita de toutes parts ses chaînes et finit par
les briser.
Lisieux avait alors pour évêque et pour seigneur temporel un prélat
recommandable par sa science et ses vertus. Thomas Basin, né dans le
sein de la Normandie, déplorait le sort de sa patrie et priait Dieu de
terminer ses malheurs. Il occupait depuis deux ans ce siège, lorsque
les lieutenans de Charles VII s'approchèrent de nouveau de notre ville,
avec la résolution de l'emporter de vive force, si les habitans ne
répondaient à l'appel de leur roi. Tous les français fidèles des
environs vinrent grossir leur armée (29). On remarquait parmi eux le
brave Roger qui aurait bien voulu rendre d'abord son père à la liberté
; mais il était bien persuadé que Malicorne suivrait le sort de la
ville. D'ailleurs la garnison anglaise placée dans ce château en aurait
défendu l'approche, et pendant la trêve qui précéda la paix, on ne
pouvait commettre d'hostilités.
Dans ce temps Roger se rendit à l'abbaye de Saint-Désir, il s'annonça à
l'abbesse comme étant celui qui, il y avait quelques années, avait
sauvé ses religieuses des mains de leurs ravisseurs, et manifesta le
désir de les revoir ainsi que la novice qui avait fait sur son coeur
une impression profonde. L'abbesse qui voulait s'assurer de
l'exactitude de ce récit, fit appeler les religieuses délivrées, par
ses mains et Blanche de Malicorne ; à ce nom Roger tressaillit de
surprise, mais la vue de Blanche le fit revenir à lui et bannit de son
coeur le sentiment de haine que le nom de Malicorne y avait fait
naître. Ignorant ce qu'avait fait Guillaume pour la délivrance de son
père, il était bien naturel que ce nom portât dans son coeur le trouble
et l'affliction. Après avoir de nouveau témoigné aux religieuses et à
Blanche le plaisir qu'il ressentait de les avoir retirées des mains des
anglais et avoir reçu leurs remercimens, il se retira.
Pour abréger la trêve et conclure plus promptement la paix, l'évêque
réunit, dans son palais, le clergé et le corps municipal, et il leur
tint ce discours: « Mes chers coopérateurs, il est temps de finir les
maux de la patrie, la cause des anglais est perdue et leur sceptre est
pour jamais brisé. Rallions-nous franchement à notre roi légitime et
prouvons par notre conduite que s'il n'a pas toujours régné dans ces
lieux, il a toujours régné sur nos coeurs. Vous, ministres du seigneur,
réunissez les habitans dans nos églises, et vous magistrats, qui êtes
chargés de l'administration civile, réunissez-les dans les lieux où
vous tenez vos séances ; faites prévoir aux partisans des anglais les
maux qu'un plus long retard attirerait sur la ville ; portez chacun à
la modération, à la paix et à la concorde. »
Le clergé et les magistrats n'eurent pas besoin de faire de longues
exhortations. Les habitans maîtrisés par les garnisons anglaises
n'avaient encore pu manifester leurs sentimens ; mais dès qu'ils eurent
appris les intentions de leur premier pasteur, on n'entendit que les
cris de vive Charles VII, vive la paix. Les anglais effrayés voulurent
maltraiter quelques habitans, chefs du parti français, mais de toutes
parts on courût à l’hôtel-de-ville, on s'empara des armes qui y étaient
déposées et les anglais furent forcés dé se réfugier dans les
principales tours qui environnaient la ville.
Cependant le baron de Malicorne qui n'entendait plus parler de son
fils, craignit qu'il n'eut succombé dans quelque affaire. Les troupes
françaises qu'il voyait arriver de toutes parts lui firent concevoir
des craintes pour sa sûreté personnelle, et il tomba malade.
Tandis que ces choses se passaient, Guillaume trouva le moyen de
s'évader d'Angleterre, et il se rendit chez son père. La vue de ce fils
qu'il croyait perdu, rendit au baron la joie et la santé. Le changement
des sentimens politiques de Guillaume lui causa quelque peine, mais le
bonheur de le revoir là fit disparaître. Lorsqu'il eût appris qu'il
devait la conservation de ce fils à Roger de Godfar, il se reconnut
vaincu par ce trait de générosité et il consentit à rendre la liberté à
ses prisonniers.
On négociait pendant ce temps pour la reddition de la ville, et le 16
août 1449, les lieutenans de Charles VII et l'évêque conclurent le
traité qui remettait Lisieux sous l'obéissance de ce prince (30).
Dès que ce traité fut conclu, les bannières françaises furent arborées
sur les remparts et celles des anglais disparurent ; à cette vue, ce ne
fut que cris d'allégresse dans la ville et dans le camp. Tandis que les
français entraient par l'une des portes, le baron de Godfar, accompagné
de sa fille et de Guillaume de Malicorne, entrait par la porte opposée.
Roger qui ignorait la liberté de son père, se préparait à la lui rendre
et à le venger. Mais quelle fut leur surprise mutuelle en se
rencontrant sur la place publique. Le vieillard en revoyant son fils,
tomba dans les bras de Guillaume ; le sensible Roger vole à son
secours, le couvre de baisers et le rappelle à la vie. Qui pourrait
peindre la scène attendrissante qui suivit cette entrevue. « O Dieu !
s'écriait le vieillard, je puis maintenant mourir satisfait ; j'ai revu
mon fils, je vois Charles VII victorieux, et le rétablissement de la
monarchie. Mes enfans, accompagnons ces braves guerriers dans le temple
du seigneur, allons au pied de ses autels lui rendre les actions de
grâces qui lui sont dues. »
L'évêque accompagné de son clergé reçut les chefs de l'armée
victorieuse à l'entrée de la cathédrale ; la sainteté du lieu ne put
interrompre l'enthousiasme des habitans et des troupes, et les
acclamations, les cris d'allégresse firent retentir pendant long-temps
les voûtes du temple, avant que l'on pût commencer les prières de
l'église.
Après la cérémonie religieuse, Thomas Bazin reçut les officiers
généraux dans son palais, ainsi que le baron de Godfar, et pour que
rien ne manquât à cette fête, il fit inviter le baron de Malicorne à se
réunir à eux ; son fils chargé de la mission, parvint avec beaucoup de
peine à décider son père ; il l'engagea même à consentir à son union
avec Adèle, dans le cas où elle voudrait bien l'accepter pour époux. Le
baron de Godfar ne put voir sans émotion celui qui lui avait causé tant de
peines ; mais sa grandeur d'âme le porta à lui pardonner et à lui
accorder la main de sa fille pour Guillaume dont il connaissait les
sentimens.
Lorsque Roger eût fait part à son père de ses sentimens pour Blanche de
Malicorne qu'il avait sauvée des mains de ses ravisseurs, Godfar
s'avança vers Malicorne et lui dit : « Baron, en vous accordant la main
de ma fille pour votre fils, je vous ai donné une preuve que j'oublie
vos procédés à mon égard, et que je désire unir par des liens
indissolubles, deux familles jusqu'alors divisées. Mon fils a conçu
pour votre fille un amour qu'elle ignore sans doute ; en la sauvant des
mains des anglais, il ne put voir sans en être touché ses malheurs et
ses charmes, et je vous demande sa main pour son libérateur. » Le baron
de Malicorne qui ignorait à qui sa fille avait du dans cette
circonstance, la conservation de son honneur, touché du plus vif
repentir et rempli d'admiration pour de tels procédés, prit les mains
du baron de Godfar et lui dit en fondant en larmes : « O généreux
Godfar, comment puis-je réparer mes torts à votre égard, je voulais
votre mort et votre fils sauvait mes enfans ; trop généreux ami,
m'accorderez-vous la faveur de vous donner ce titre ; je suis un
misérable indigne de vivre dans la société des hommes ; soyez le père
de ma fille, que votre fils soit son époux. Quant à moi, après l'union
de nos enfans, j'irai dans la solitude expier mes fautes, mes crimes
peut-être. » Le baron de Godfar attendri par ces paroles, l'engagea à
rejeter loin de lui une telle résolution, mais Malicorne resta
inébranlable.
L'évêque bénit les époux et les noces se firent au château de Godfar,
ou le baron invita ses amis et ceux du baron de Maliçorne. Les généraux
signataires du traité de paix y furent également conviés, et cette
union de deux familles dont les chefs avaient manifesté des sentimens
si opposés, contribua à ramener à leur souverain naturel des hommes
encore attachés au parti des anglais.
Après les noces, le baron de Malicorne persistant dans sa résolution,
malgré les représentations de ses enfans et de ses amis, partagea son
bien entre les premiers, pria le baron de Godfar de leur servir de père
et se retira dans un monastère de la Trappe ; là, sous le nom de père
Sévérin, il s'assujettit aux austérités pratiquées dans ces maisons, et
vécut encore quelques années au milieu des pieux cénobites dont il
faisait l'admiration et qui le prenaient pour modèle.
DINGREMONT.
NOTES :
(1) Le 21 octobre 1422.
(2) Le traité fait à Troyes le 21 mai 1420, d'après lequel Charles VI
privait son fils du droit de succéder à la couronne, droit qu'il
transférait à Henri V, roi d'Angleterre.
(3) Pendant la maladie de Charles VI, dont nous allons parler, Jean duc
de Berry et Philippe duc de Bourgogne, tous deus fils de Charles V, et
par conséquent oncles du roi, prirent l'administration du royaume, à
l'exclusion de Louis, duc d'Orléans, qui prétendait que cette
administration lui appartenait en sa qualité de frère du roi. La reine
Isabelle ou Isabeau de Bavière; exerçait aussi lune grande influence.
La mésintelligence qui régnait entre ces princes, causa les plus grands
malheurs, et après le meurtre du duc d'Orléans que Jean duc de
Bourgogne, fils de Philippe, fit assassiner dans la nuit du 23 au 24
novembre 1401, deux factions, les
Armagnacs
et les
Bourguignons
s'emparèrent alternativement du pouvoir et mirent la France subjuguée
par les anglais, à deux doigts de sa perte. La faction des Armagnacs ou
des Orléannais, tirait son nom du comte d'Armagnac, l'un de ses
principaux chefs ; celle des Bourguignons tirait le sien du duc de
Bourgogne. A l'entrevue qui devait avoir lieu à Montereau, entre le
dauphin et le duc de Bourgogne, ce dernier prince fut assassiné le 10
septembre 1419 ; son fils Philippe, son successeur, prit ouvertement le
parti des anglais, et l'on vit alors un fait unique dans l'histoire ;
un roi dont l'esprit était aliéné, une reine vindicative foulant aux
pieds les droits les plus sacrés de la nature, et des princes furieux
abandonnant l'intérêt de leur patrie, exclure du trône le prince qui en
était l'héritier naturel et transférer la couronne au roi d'Angleterre
qui épousa le 2 juin 1420, Catherine de France, fille de Charles VI.
Dés lors ce prince prit le titre de
Régent et d'héritier du royaume
de France, mais il ne jouit pas longt-temps de ce nouveau
titre, car il mourut le 28 août 1422. Sa mort fut suivie de celle de
Charles VI qui arriva le 21 octobre de la même année. Après la mort de
ce prince, les français fidèles furent se ranger sous les drapeaux de
Charles VII. Mais les anglais occupaient la majeure partie de nos
provinces et proclamèrent Henri VI, fils de Henry V, roi de France et
d'Angleterre ; il fut même sacré et couronné dans la cathédrale Paris
le 17 décembre 1431. Le duc de Betfort fut nommé régent du royaume
pendant sa minorité.
(4) Perdue par les français le 26 août 1346.
(5) Il était alors au petit château d'Epally, maison de plaisance des
évêques du Puy.
(6) Pierre de Craon, seigneur Angevin, ayant assassiné à Paris, le 13
juin 1392, le connétable de France, Olivier de Clisson, se retira en
Bretagne ; le roi voulant punir un tel crime, demanda au duc de Bretagne
qu'il lui livrât le meurtrier. Ce prince refusa. Alors Charles VI
résolut d'aller punir un vassal, rebelle qui refusait de livrer
l'assassin du généralissime de ses armées. Il était en chemin et
sortait du Mans durant l'ardeur du soleil et les grandes chaleurs du
mois d'août, lorsque deux événemens fortuits ou préparés firent
évanouir ces projets et plongèrent la France dans les plus grands
malheurs. Voici en quels termes Froissart, auteur contemporain raconte
le premier de ces événemens dans le livre 4 de ses chroniques.
« Il me fut dit et je m'en laissai
informer, ainsi que il (le roi) chevauchoit et estoit entre la
forest du Mans, une très-grand' signifiance lui advint, dont sus
il
se dut bien estre advisé et avoir réunis son
conseil ensembla, ainçois [plutôt] qu'il fut allé
plus avant. Il lui vint soudainement un homme en pur le chef
et tout des chaulx et vestu d'une povre cotte de burel blanc ; et
montroit mieux que il fust fol que sage ; et se lança entre
deux arbres hardiment, et prit les rènes du cheval que le roy
chevauchait
et l'arresta tout coi et lui dit : Roy ne chevauche plus avant,
mais
retourne, car tu es trahi. Cette parole entra en la tête du roy qui
estoit faible, dont il a valu depuis trop grandement pis, car son
esprit frémit et se sang mesla tout. »
Le même auteur raconte également le second
événement mais la relation et le style de l'historien Mézerai étant
plus concis, je donne le récit qu'il en fait :
« Peu après un page qui portoit une lance,
s'endormant à cheval, la laissa tomber sur un casque qu'un autre
page portoit devant lui. A ce bruit aigu et à la vue de cette a
lance
baissée, le fantôme et ses menaces se présentèrent à son esprit,
son
imagination se brouilla ; il croit qu'on va le livrer à ses
ennemis et
prend tout ce qu'il voit pour des traîtres. Il est saisi tout d'un
coup d'un violent accès de furie ; il court, frappe, tue à tort et
à travers, tant qu'il tomba
en pamoison. On le remporta au Mans lié sur un chariot. » Ces
événemens arrivèrent le 5 août 1392.
(7) Gagnée par les anglais sur les français le 17 août 1424.
(8) Abbaye de Saint; Désir.
(9) Jean comte de Dunois, bâtard d Orléans et Etienne de Vignole dit la
Hire, défirent les anglais sous les murs de cette place dont ils
faisaient le siége, en 1427.
(10) Les comtes de Salisbury et de Sulfolk formèrent le siège d'Orléans
le 12 octobre 1428.
(11) Ce combat fut nommé
la
journée des Harengs à cause d'un convoi de provisions de
carême que les anglais conduisaient. Il eut lieu le 18 février 1429.
(12) Jeanne d'Arc naquit vers l'an 1412 à Domremy paroisse de Greux
près Vaucouleurs, diocèse de Toul.
(13) Après y avoir fait entrer des vivres au mois d'avril 1429. Elle
fit lever le siège le 8 mai suivant.
(14) Le duc d'Alençon et Jeanne d'Arc y battirent les anglais commandés
par le célèbre Talbot, qui y fut fait prisonnier le 18 mai 1429.
(15) Jeanne d'Arc fut prise dans une sortie sous les murs de Compiègne
le 24 mai 1430. Le bâtard de Vendôme, nommé Lyonnel, de qui elle était
prisonnière la remit au duc de Luxembourg, l'un des généraux du duc de
Bourgogne, qui tenait encore le parti des anglais. Le 14 juillet
suivant Pierre Cauchon, évêque de Beauvais, fit sommer le duc de
Bourgogne et le duc de Luxembourg de lui remettre cette fille qu'il
prétendait avoir été prise dans son diocèse, et ce dernier la livra
lâchement aux anglais, au commencement du mois de novembre, moyennant
10.000 livres qu'il en reçut et 50 livres de rente. L'évêque de
Beauvais montra un acharnement sans exemple pour la perte de cette
héroïne. Plusieurs ecclésiastiques, qu'il réunit pour lui faire son
procès, refusèrent de la juger ; mais d'autres, moins humains ou plus
faibles, la condamnèrent à perdre la vie et elle fut brûlée vive à
Rouen le 30 mai 1431.
(16) Depuis les anglais firent obtenir à Pierre Cauchon l'évêché de
Lisieux, qu'il occupa jusqu'au 18 décembre 1442, époque à laquelle il
mourut après avoir fait construire dans la cathédrale de cette ville,
la chapelle à la vierge, en expiation, dit-on, du jugement de Jeanne
d'Arc. Ce motif est sujet à critique, car notre évêque mourut, attaché
au parti des anglais, et ces insulaires n'auraient pas permis que l'on
élevât un monument en expiation d'un crime dont ils avaient tant
profité.
(17) Richard surnommé coeur de Lion, roi d'Angleterre et duc de
Normandie, revenant en 1192 de la terre sainte, où il s'était signalé,
traversa, déguisé, une partie de l'Allemagne. Au siège d'Acre, il avait
offensé par ses hauteurs, Léopold duc d'Autriche, sur les terres duquel
il eût l'imprudence de passer. Ce duc le fit arrêter et le livra au
barbare et lâche empereur Henri VI qui le garda en prison, comme un
ennemi qu'il aurait pris à la guerre. Richard qui avait la voix
très-belle dut la liberté à ses chansons. Blondel maître de sa chapelle
lui était tendrement attaché. Ennuyé de son absence, il partit en habit
de pèlerin, parcourut la Terre-Sainte, en revint et le chercha partout.
Arrivé au village de Losemsten ou Losenstert, il apprit qu'on gardait
dans le château de ce lieu un prisonnier de grande importance. Blondel
soupçonnant que ce captif pouvait être le roi d'Angleterre, alla se
promener autour du château et s'arrêtant au pied d'une tour grillée, il
chanta le commencement d'une des chansons composée par Richard qui se
fit connaître en chantant les couplets suivans. Le fidèle Blondel,
transporté de joie d'une telle découverte, se hâta de passer en
Angleterre où l'on entama les négociations qui rendirent Richard à la
liberté. On dit que Henri VI exigea 250.000 marcs d'argent pour sa
rançon.
(18) Il existait dans plusieurs châteaux forts des cachots souterrains
dont la couverture formait le dôme ; on descendait par une ouverture
qui existait au milieu de cette voûte, les malheureux prisonniers, et
là, privés de jour, d’air et quelquefois de nourriture, ils
n'attendaient que la mort pour mettre fin à leurs tourmens.
(19) Fait historique.
(20) La paix, fut conclue à Arras entre Charles VII, et Philippe dit le
bon, due de Bourgogne, le 21 septembre 1435.
(21) Arthur de Bretagne comte de Richemont.
(22) Le vendredi d'après Pâques 1436.
(23) Maison de plaisance des évêques de Lisieux.
(24) L'entreprise sur la ville, par les partisans de Charles VII,est un
fait historique car on trouve dans le compte du receveur pour
1441,qu'il fut payé 40 livres « à Jehan Prinquet, » demeurant au
Hamel des Loges,
pour deniers à lui octroiés par le roy notre sire, par ses lettres
patentes, pour la récompencacion de certain hostel qu'il avoit audit
lieu des Loges, lequel avoit esté ars par les ennemis du roy notre dit
sire, parce que ledit Prinquet était venu annonchier aux habitans
d'icelle que lesdits ennemis estoient en embusche audit lieu des Loges
pour faire entreprinse sur icelle ville, »
(25) Historique.
(26) Ce fait est encore historique, et dans le compte du receveur pour
1444 il est fait mention d'une « déspense faite à la venue de la fille
de messire Charles d'Anjou, qui passa par ceste ville en la compaignie
d'un escuier qui la conduisoit devers très haulte et puissante
princesse notre souveraine le reyne de France et d'Angleterre. »
Nota. Il y a une
erreur de prénoms dans celui donné au duc d'Anjou, il se nommait René
et non Charles.
(27) Historique.
(28) Le 11 juillet à 10 heures du matin.
(29) Historique.
(30) Le traité existe aux archives de l'Hôtel-de-Ville.