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L. Gouget : La Légende du Corps Nu (1911)
GOUGET, Louis (1877-1915) :  La Légende du Corps Nu (1911).
Saisie du texte : S. Pestel pour la collection électronique de la Médiathèque André Malraux de Lisieux (20.VII.2005)
Texte relu par : A. Guézou
Adresse : Médiathèque André Malraux, B.P. 27216, 14107 Lisieux cedex
-Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01
Courriel : mediatheque@ville-lisieux.fr, [Olivier Bogros] obogros@ville-lisieux.fr
http://www.bmlisieux.com/

Diffusion libre et gratuite (freeware)
Orthographe et graphie conservées.
Texte établi sur l'exemplaire de la médiathèque (Bm Lx : norm 211) de l'édition donnée à Caen en 1926 par Jouan et Bigot dans le recueil  Dans le Cinglais : nouvelles et légendes normandes avec des illustrations de Charles Léandre.

La Légende du Corps Nu
par
Louis Gouget,

~*~

Un son de cor, un appel : « Guetteur, à la poterne ! ». Pas de réponse. - Un appel plus pressant. - « Allons, guetteur, ouvrez, par la splendeur de Dieu ». Le guetteur sursaute, s’étire, se soulève se prend les jambes dans son épée - « Quel intrus, gronde-t-il, traîne dans la cité caennaise à pareille heure de nuit, je vais le recevoir comme il le mérite ».

Et il le reçut, en effet, comme il le méritait, c’est-à-dire, l’échine basse, car l’intrus n’était autre que le duc Guillaume lui-même. Il revenait de la conquête, harassé. Débarqué à Dives, il avait à peine pris le coup de l’étrier, puis au galop au risque de se rompre le cou, dans les ténèbres, il accourait à Caen, suivi d’une faible escorte.

Ses chevaliers, de rudes hommes pourtant, n’en pouvaient mais ! Le moine Hugues Maigrot et le vieux trouvère Touroude, qui avaient par bravade, accepté de suivre l’escorte, étaient morts de fatigue ; leurs barbes blanches tombant sur le cou des haquenées, ils dodelinaient de la tête, happés par le sommeil. Plus avisé, le fol Golet était resté prudemment à Dives : une sienne cousine, à ce qu’il prétendait, jolie, accorte, empressée lui avait galamment proposé deux bottes, l’une de paille pour lui, l’autre de foin pour son âne ».

Parbleu, dit notre duc, sitôt que le nez du guetteur apparut au bout du pont-levis - il est temps que je rentre à ce que je vois : le service languit et l’on dort en mon absence. - « Mais, Monseigneur, Monseigneur. - « Laisse tes Monseigneur ! sonne la cloche du beffroi, réveille le gouverneur Grimoult : que l’on fasse un grand feu pour nous sécher d’abord, pour rôtir un boeuf ensuite. J’ai une faim de loup. Et vous, Messieurs ? » - Nous aussi, repartit l’escorte tout d’une voix.

Grimoult réveillé et le boeuf rôti, nos hommes s’attablèrent dans la grande salle du château où le festin commença. Pour improvisé qu’il fût, il n’en était pas moins plantureux. La savante plume de Paul Harel, qui met l’eau à la bouche pourrait seule vous le décrire ; incompétent, j’y renonce - c’est à peine, si je me souviens du nom des convives. Il y avait là, Raoul Tesson, baron de Cinglais, fondateur de l’hospice du Bois-Halbout ; Robert Marmion, bâtisseur de moustiers ; le sire de Pirou, le mari de la Fée, il y avait Front-de-Boeuf, le bedonnant et l’Engayne, sec comme un coup de trique ; tous deux aventuriers et tire-bourses avant Hastings, étaient dorénavant propriétaires de métairies anglaises et tenaient pour l’ordre, la paix sociale et le respect des lois. Bref, il y avait là quantité de chevaliers, d’écuyers, de valets et de pages. Il y avait aussi des moines rablés et fleuris qui ne laissaient point les bons morceaux. J’ai lu, dans certain auteur que les moines d’une abbaye normande se révoltèrent un jour, parce que des treize plats de l’ordinaire, le père abbé, ne voulait, en l’honneur des apôtres, n’en laisser subsister que douze. C’est peut être une légende. Si c’est de l’histoire, tant mieux ! j’aime les gens de grand coeur et de grand appétit : nos illustres moines pouvaient « vuider escuelles et hanaps » cela ne les empêchait pas de bâtir de solides in-folios et de belles églises : tout compte fait, saluons leur mémoire, ils nous valaient bien.

Parmi ces hommes aux traits heurtés et martiaux, on ne voyait qu’une seule femme et cette femme était si mignonne, si blanche, si douce, si candide qu’elle faisait penser à ce mot de l’écriture  « Comme un beau lys au milieu des épines… » C’était notre reine Mathilde : elle souriait sans mot dire, à son seigneur, tout épanouie de le retrouver.

Quelqu’un qui ne souriait guère et ne s’épanouissait pas du tout, mais mangeait à regret du bout des dents, inquiet et torturé, les yeux troubles, assis de coin sur son escabelle, c’était Grimoult - baron du Plessis. - Avant de monter son genêt d’Espagne pour tirer vengeance d’Harold, Guillaume lui avait confié son duché, sa femme, ses deniers et les clefs de son cellier. Lourde charge dont il faudrait tout à l’heure rendre compte et Grimoult, interrogeant sa conscience, y trouvait plus d’une tache. Mais n’anticipons pas.

Tout d’abord le repas fut silencieux, mais peu à peu les propos s’échauffèrent. Ceux qui revenaient d’Angleterre contèrent leurs exploits ; c’était merveilleux, trop merveilleux même, on se fût cru aux bords de la Garonne, tant il y a d’affinité entre les races gasconne et normande, au regard de l’imagination, de la hâblerie, de la vanterie et de la goguenardise.

Quand vint le dessert et que les gentils pages passèrent portant  des aiguières pleines de vin fin - « Voyons, Touroude, dit le duc, chantez-nous quelque chose ». Alors semblable à l’homérique Phémios, droit, malgré son âge, dans sa tunique de lin, Touroude, notre grand trouvère chanta. Il chanta le grand Carolingien à la barbe chenue. « Carles ti reis, nostre emperere magnes ». Il chanta le vieux Turpin qui tenait aussi bien le sabre que le goupillon, il chanta la pamoison de la belle Aude et aussi la mort héroïque de Roland le bon baron que saint Michel emporta « ès fleurs du Paradis ».

Les conquérants saluaient au passage les figures de Roland et d’Olivier : le duc se rengorgeait au nom de Charlemagne, la reine Mathilde s’estimait plus heureuse que la belle Aude, puisque son bien-aimé lui revenait, tout poudreux et las, mais intact et complet, Dieu merci. Quant aux moines, ils se disaient que l’Evêque Odon et de Montbray avaient fait la même chose que Turpin et qu’au regard de la poigne, le clergé français n’avait point dégénéré des anciens jours.

Quand Touroude eut conté le châtiment de Ganelon, il rappela vibrant d’émotion, qu’au matin d’Hastings, son noble ami Taillefer était tombé ces mêmes rimes aux lèvres, et alors il s’assit en pleurant. - « Messeigneurs, dit Guillaume, m’est avis qu’il est tard, gagnez vos chambres et vos cellules : je reste seul avec Grimoult, nous avons à parler ».

Les lueurs des dernières torches de résine éclairaient les visages du duc et du Gouverneur. Grimoult avait tremblé tout à l’heure quand passait dans les vers de Touroude, le nom de Ganelon. Maintenant il était livide c’est qu’il avait eu, durant l’absence de son seigneur, une bien mauvaise pensée. Il s’était dit que l’Angleterre c’est fort loin, que le duc n’en reviendrait pas et il avait eu l’idée de s’approprier lui, Grimoult, la belle Normandie. Un matin, il était donc venu frapper à la porte de Mathilde, lui avait confié ses projets et, le misérable, il lui avait déclaré son amour en se jetant à ses genoux. Il fut vertement relevé, je vous prie de le croire, mais, depuis ce jour là, très discrète, la reine n’avait rien dit à ses femmes : puisque le duc était revenu, pas de doute que bientôt, il saurait tout la vérité et Grimoult, le félon serait pendu. Déjà il voyait son grand corps osseux tournoyer au bout de la potence : cette vision ne lui agréait point : il n’y avait pas de quoi, soyons sincère. Alors il voulut à tout prix éviter la corde et dans son âme de couard, voici que le diable entra. Aux questions du duc, il répondait vaguement, rusait, se défilait, comme un « boscain » qu’il était. On eût dit un tuteur qui rend ses comptes à son pupille - « Les celliers sont-ils bien garnis ? - « Hé Hé !! vos pages ont des gosiers en pente. - « Les tailles sont-elles bien rentrées ? » - « Hu ! Hu ! Les manants sont durs à la détente, » - « Avez-vous de nombreux deniers en caisse ! - « Hem ! Hem ! il m’a fallu faire de grosses dépenses ». Et le tout à l’avenant, à la fin le duc s’impatienta - « Et la reine ? » Cette fois le diable conduisit la langue perfide du félon et il parla longtemps avec des sous-entendus, des insinuations, puis s’enhardissant, dit Mathilde infidèle à son époux et vilainement la calomnia. Guillaume n’en croyait d’abord ses oreilles : une si bonne femme, si réservée, si douce, si aimante : puis comme on se laisse facilement aller à la calomnie, surtout en ces délicates matières, le doute, le doute impitoyable s’empara de lui. « Tu me jures que tout ce que tu dis est vrai, Grimoult ? ». Le baron du Plessis leva la main et dit « je le jure ». Alors comme la foudre le duc sortit, fit claquer la lourde porte de chêne et dit solennellement « Je me vengerai ».

Il ne dormit point : comme l’Achille d’Homère, il se tournait tantôt sur le côté droit, tantôt sur le côté gauche, sa pensée bouillonnait comme l’onde d’un torrent « Me tromper ainsi, tandis que je lui gagnais un royaume. Oh l’infâme, je la tuerai ».

Le jour pâle, s’insinuait à peine, timide et honteux par les meurtrières, quand le duc se leva : on le vit se promener fièvreusement dans le chemin de ronde, la tête basse, les mains derrière le dos, la moustache frémissante, terrible - « Qu’on m’amène mon genêt d’Espagne, » on crut qu’il voulait faire une promenade dans la Cité : on caparaçonna magnifiquement le destrier, les éperons luisaient. - « Qu’on m’enlève tout ce clinquant, et qu’on me donne une corde… » que voulait-il faire de cette corde, grands dieux - « qu’on fasse descendre la Reine ! » La Reine descendit dans le plus simple appareil : elle s’approcha les mains tendues vers le Conquérant. « Tout beau ! Madame, dit celui-ci rudement. »

- « Mais qu’avez-vous, mon doux seigneur.

- « Ce que j’ai, perfide, tu me demandes ce que j’ai…

- « Mais oui, vous paraissez en colère.

- « Le coup est rude en effet : il y en a qui le prendraient plus doucement - moi je ne puis pas - je ne m’y ferai jamais, madame. vous allez expier.

- « Expier quoi ?

- « Vous le savez mieux que moi, infâme… n’entrons pas dans les détails : cela me serait trop pénible… taisez-vous… Madame Mathilde le voyant à ce point irrité contre elle ne dit mot.

- « Allons, poursuivit Guillaume, approche, Landry ! » Landry était un petit page fort gentil, encore imberbe que la reine affectionnait. Non qu’il y eut entr’eux rien de mal : mais le méchant Grimoult avait faussement travesti ces innocentes caresses - « Blanc-bec, mets cette corde à la queue de mon genêt d’Espagne, qu’on y attache la reine et qu’on la traîne à travers la Ville » - « Moi que je… » et voici le pauvre Landry qui change de couleur, fait les yeux blancs se pâme et choît comme feuille en novembre. « Par la splendeur de Dieu ! j’en étais sûr, s’écria le crédule roi d’Angleterre et sans rien ajouter, il attacha lui-même la reine à la queue du destrier et remit la bride aux mains de Front-de-boeuf. Ce dernier, surpris, prit le chemin de la porte de Secours et conduisit le cheval et son précieux fardeau par la ville. Au fond Front de boeuf était bon diable, comme tous les bandits ; il ne poussa pas le destrier, au contraire, il marcha au pas, évitant à Mathilde les cahots trop rudes. Les bonnes femmes de la ville suivaient le cortège, criant naturellement en langue normande - « Guettez-mè cha, guettez-mè cha. Ah la por dame qui qu’elle a fait pour être geurie comme cha ! » Elle, la por dame, ne criait point, ne se plaignait mie, mais les yeux fermés, les mains jointes, elle se recommandait à saint Étienne notre martyr, pourvu qu’il ouvrît les yeux de son mari, comme il ouvrit jadis ceux de Saul, le persécuteur. Elle eut pourtant un mot de plainte, en passant dans une rue particulièrement glaciale, elle dit « j’ai froid ». Les bonnes gens l’entendirent et depuis ce temps appelèrent cette rue : « la Rue Froide », elle a conservé et mérité du reste ce nom depuis lors.

Somme toute, Dieu protégea la Reine qui en fut quitte pour quelques égratignures. Mais Guillaume la mit dans un cachot tout noir, au pain de douleur et à l’eau d’angoisse. Grimoult se réjouissait en tremblant et alimentait la colère du maître qui ne dérageait plus.

Vainement les dames de la Trinité, supérieur en tête, vinrent-elles lui adresser une supplique en faveur de leur fondatrice ! « Non, je ne les recevrai, je ne veux pas les voir : j’en ai assez des femmes : elles mentent toutes ». Vainement, les bourgeois de Caen se rendirent à leur tour au château - on les vit, échevin en tête, suant d’ahan, monter le petit raidillon, essoufflés, traînant avec peine leurs ventres importants et leurs jambes courtes. Mentalement le premier échevin tournait sa langue et ruminait son discours - « Dites, maître Jean Oger, lui dit le roy, m’occupai-je de votre ménage. Non, alors, laissez-moi tranquille, puis il lui tourna le dos - « Bouche bée, maître Jean Oger écrasa une larme qui faisait peine à voir sur les fleurs de sa joue : « Ma foi, dit-il, bien bête, qui met le doit entre l’arbre et l’écorce : » et penaud il s’en alla suivi de ses compères, penauds comme lui.

Les choses en étaient là. La Reine languissait et s’épuisait de larmes. Le château, la cour, la ville, étaient dans la consternation. Le duc évitait tout le monde, parlait seul, se nourrissait de tristesse, on craignit pour lui la mélancolie. Grimoult discrètement triomphait. Mais un jour, on vit arriver au trot paisible de son âne, un joyeux compère, coiffé d’un bonnet à grelots, armé d’une marotte et qui chantait à tue-tête le vieux refrain normand :

        En revenant des noces
        J’étais bien fatigué
        La La La
        Au bord d’une fontaine
        Je me suis reposé… etc…

- « Par ma foi, cria le guetteur - c’est maître Golet ». C’était en effet, le fol Golet, en personne - il était à plein cuir et faisait craquer son justaucorps : sa figure vermeille faisait plaisir à voir ; son âne aussi était en fort bon état. Bien soignés par la cousine, ces deux compères s’étaient un peu attardés aux délices de Dives comme Annibal et son éléphant se complurent à Capoue. Comme le fol s’égosillait un peu allumé dès le matin. - « Chut, lui fit-on, ici on ne chante plus », et il vit se pencher sur lui des figures, glabres, amaigries contrites, creusées par le chagrin. Il crut que ces faces de carême avaient pris médecine et il le dit tout à trac. Mais on lui mit la main sur la bouche et on lui conta avec des airs mystérieux la mélancolie du duc.

« Guillemot, s’ennuie, répondit le fol : allons, décidément, il n’y a que moi qui puisse l’égayer.

- Aux dieux plaise firent les courtisans incrédules.

- Laissez-moi faire ».

Il descendit d’âne avec difficulté, vu son poids, et le bourriquet heureux d’être allégé fit une joyeuse pétarade.

Tout justement le duc sortait du palais : il songeait, - que faire en un palais à moins que l’on ne songe. - Il aperçut son vieil ami, mais c’est à peine s’il eut un sourire. Le fol l’accosta sans façon - « Eh bien, mon pauvre Guillemot, tu me sembles broyer du noir ? qu’as-tu donc mon pauvre Seigneur ». On s’attendait à un éclat, mais le duc passait tout à Golet qui, je l’ai raconté autre part, lui avait à Valognes, sauvé la vie.

- « Ah ! tu me demandes ce que j’ai - j’ai que je suis…

- « Veinard, acheva Golet, voilà une chance qui ne m’arrivera jamais : il pensait ce disant, à sa femme sèche, pincée, revêche, indécrottable dont jamais nul complaisant ami n’aurait le courage de le débarrasser… Il poursuivit ;  « Mais es-tu bien sûr d’être ce que tu me dis…

- Par la splendeur de Dieu, si j’en suis sûr.

- Pourquoi ?

- On me l’a dit.

- La belle affaire.

- On me l’a juré…

- Oh ! alors mais qui te l’a juré.

- Grimoult, parbleu…

- Grimoult te l’a juré et tu le crois… Hé, Hé, c’est singulier… c’est singulier… Hé, Hé…

- Pourquoi ris-tu, ignores-tu la sainteté du serment ?

- Ma foi non, surtout depuis qu’Harold a si gentiment violé le sien.

- Tu veux inférer que Grimoult aurait menti comme Harold.

- Il s’en sera privé…

- Ah non, tiens, tu n’y es pas et puis au reste il y a Landry…

- Landry ! Hi ! Hi ! comment c’est Landry, le tout petit Landry… mais c’est un bébé, c’est un agneau, qui téterait encore sa mère s’il n’aimait déjà mieux le vin que le lait - tiens prends-moi cela ; cela t’ira comme un gant - et sans façon il tendait au duc sa marotte et son bonnet à grelots.

Guillaume ne savait quelle contenance tenir, il allait peut être se fâcher, mais le fol ne lui en laisse pas le temps.

- Ecoute dit-il, veux-tu faire cesser ton tourment ?

- Si je le veux.

- Voici le moyen. Tu descendras ce soir dans la cellule du bon moine Hugues Maigrot, tu lui emprunteras son froc et tu t’en affubleras ». Le duc à cette idée baroque ne put, malgré qu’il en eût, s’empêcher de rire - « Mais tu es fol, absolument fol, fol ducal, fol seigneurial, fol papal, royal, impérial, fol à lier, fol à chambrer.. fol…

- « Assez dit Golet, ne cite point Rabelais cinq siècles avant qu’il n’ait écrit et écoute-moi… changé en moine tu gagneras la prison où gémit la reine et tu lui diras, en changeant ta voix que tu viens la confesser.

- Hein, je comprends.

- Ce n’est pas dommage - elle se confessera - en toute sincérité, parce qu’elle craint l’Enfer… et alors tu sauras si oui ou non…

- J’y suis, s’écria le duc ravi. Dès le couvre-feu je descends chez Hugues Maigrot…

- Et voilà, dit Golet qui fit une pirouette en faisant gaiment sonner ses sonnailles.

… A peine les dernières notes du couvre-feu, tombaient-elles lugubres et comme goutte à goutte dans la nuit opaque, comme s’expriment les grands romanciers, que Guillaume, duc de Normandie, roy d’Angleterre, se muait en moine de pied en cape et descendait lampe en main, au fond du cachot de Mathilde.

« Belle dame, je suis Hugues Maigrot, et viens vous confesser pour peu que vous le désiriez.

- A votre convenance, mon père, répondit la douce reine - et tout aussitôt courbant avec élégance ses genoux, s’inclinant avec joliesse, fermant à demi ses beaux yeux, elle dit avec tant de grâce « Mon père, bénissez-moi, parce que j’ai péché » qu’on se fut cru en présence d’une madone. Elle commença de s’accuser, ses fautes n’étaient que peccadilles insignifiantes, péchés de jeune fille très pure ou de religieuse innocente.

Le confesseur se rassérénait - « Et c’est tout, ma chère fille, c’est tout, c’est bien tout » « Oui, c’est tout mon père » - « Ah tant mieux, par la splendeur de Dieu, cela me soulage » - et disant ces mots, le pseudo-religieux, arracha son froc et sa barbe et tomba aux pieds de la reine : surprise, elle devint blanche et se pâma, comme autrefois la belle Aude. Ce qui suivit la pâmoison fut si délicieux que ma plume renonce à le décrire. Plus tard le bon duc le traduisait ainsi - « On a beau être conquérant, cela vous fait tout de même quelque chose ».

Et Grimoult ? - « oh celui-là, dit le Duc, il ne l’emportera pas en Paradis ». Il le savait bien le maraud : et à peine eut-il vent on ne sait comment, de la réconciliation de Guillaume et de Mathilde qu’il courut aux écuries. Fièvreusement, il sella son cheval, se piquant les mains aux boucles de la selle, anxieux, aux aguets. D’un bond il enfourcha sa monture, piqua des deux et fila. Le guetteur le vit passer comme un tourbillon - « Oh ! oh ! dit le duc, le misérable m’a joué, mais je le rattraperai.  J’y perdrai mon nom. A moi, mes écuyers, mes pages, mes valets. En selle, la chasse est ouverte !  Ce fut un brouhaha indescriptible : pages, écuyers et valets, couraient dans la cour du château, d’aucuns bouclaient leurs cuirasses, d’aucuns chaussaient leurs éperons, d’aucuns mettaient leurs casques : les chevaux piétinaient, les armes cliquetaient -  « A cheval, Messieurs » commanda le duc. En un clin d’oeil les destriers furent montés. Les gros chiens, ces bâtards normands que les conquérants affectionnaient tiraient sur leurs chaînes et hurlaient à pleine gorge, comme si l’on partait en chasse sans eux ; le duc en eut pitié « Lâchez-les » et passant leurs langues rugueuses sur leurs babines rouges, les chiens se précipitèrent, se bousculant comme la canaille qui assiège l’échafaud. « Maintenant au galop et prenons la route d’Harcourt, dit le Duc, c’est par là que le pendard est parti. Et l’on prit la route d’Harcourt. Trop, trop, trop !! Les coursiers se hâtaient en cadence. Trop, trop, trop… les villages sont traversés en un clin d’oeil. Allemagne, May, Saint-Laurent, c’est une fumée. Les vaches qui ruminaient paisiblement, s’effarent, lèvent la queue et font dans les herbages des courses vaines mais vertigineuses. Les paysans étonnés se demandent s’ils ne voient point en plein jour l’une des chasses funèbres, qu’on nomme dans le pays : les mesgnie Hennequin. Mais tout à coup, ils éclatent de rire ; car voici maître Golet, roulant sur son âne, le bonnet de travers, dansant sur sa selle à se casser les reins, qui suit, essoufflé, la course folle, - « Holà, Holà, ! oh ! oh !... » mais qui s’est mis en tête de rattrapper l’escadron, n’entend rien, galope à bride abattue. Trop, trop, trop !. La chasse avance toujours. Devant au loin on aperçoit un point noir… c’est Grimoult qui fuit à toute allure. « Hardi, nous le tenons ». L’escadron est à la forge Cambro. De là le coup d’oeil est splendide. Dans le fond les coteaux de Saint-Martin avec leurs dais de sapins, plus près le Ham et la Roche-Bunel où dans les beaux jours les genêts aux fleurs d’or historient les rocailles. Tout cela c’est beau, mais croyez-vous que le duc regarde les sites ! Croyez-vous qu’il va s’arrêter à la demande du maître de céans, Raoult Tesson, baron de Cinglais qui lui dit fort poliment : « Gentil duc, vous êtes tout poudreux, arrêtez-vous un instant, videz les étriers d’abord et ensuite une bonne bouteille « Que non pas : il faut rattraper Grimoult : en avant, fonçons et ferme ».

Oui mais, voici que presque à la sortie d’Harcourt, au bas du Pont-Prou, à l’endroit précis où les peupliers de Boudiniers dressent dans l’air leurs maigres silhouettes, on n’aperçoit plus la trace de Grimoult.

Guillaume et sa suite tournent comme une meute autour d’une piste. O rage, la proie échappe, si près du but. Un tout petit pâstour est là, ses chaussures rapiécées lui tombent sur les talons, sont toquet élimé par le temps lui couvre à peine la tête, appuyé sur un bâton frais cueilli à la haie voisine. Il emplit ses yeux ébahis de la vision des cavaliers.

- « Hé, petit, tu n’as vu passer personne par ici - « - Pardié, vère, un homme à gvà qui suait comme un por quien » -« Par où est-il allé ? - « Par ichin - il a traversi l’gué » - Bonne-Nouvelle, dit le duc, si le petit dit vrai, je ferai bâtir sur le coteau voisin une chapelle à la Sainte Vierge ». La chapelle fut bâtie plus tard, elle existe toujours, c’est Bonne-Nouvelle la toute gracieuse qui surgit d’un bouquet de sapins, comme une perle blanche d’un écrin vert.

Le gué de Boudiniers écume sous le pas des chevaux. Grimoult entend des hennissements et des bruits d’armes. Il se croyait sauvé, le danger à nouveau le presse, alors de désespoir, il éperonne son cheval, blanc d’écume et harassé, jusqu’au sang - Ah s’il pouvait à temps regagner sa bruyère, s’il pouvait gravir le Mont-Pinçon, s’il pouvait se refugier, se refugier derrière son pont-levis et narguer la justice du haut de ses murailles féodales. Le voici déjà au pied de la colline : ses vassaux et hommes-liges, bôcains comme lui, lui font signe de l’échanguette - un dernier bond, il sera sauvé - mais déjà les chiens altérés de sang grouillent à ses côtés : Les cavaliers l’entourent, la main du bourreau empoigne la bride de son cheval : il est perdu. Alors le couard s’effondre -  Grâce, dit-il, grâce ». Mais le duc au grand coeur est impitoyable au traitre et au parjure. Justicier implacable, il ne fléchit jamais ; il dédaigne de répondre au baron qui se traîne à genoux. - « Bourreau, fais ton office » et le bourreau coupe la main du seigneur du Plessis, puis lent, cruel, impassible, il le dépouille de ses hardes, le lie à un sapin et l’écorche vif, mettant son coeur vil à nu, comme Apollon écorcha jadis Maisyas. Les chiens  pataugeaient dans le sang : les hommes sans frémir regardaient droit sur les arçons. Son office terminé, le bourreau dit : « Voilà » puis se lava les mains dans un petit étang qui a gardé le nom de « Mare aux mains sanglantes. »

Ainsi fut fait justice du traître Grimoult : justice sommaire, horrible, rude, mais rapide et qui ne ressemble en rien à la boiteuse. Justice efficace, car elle remplit de terreur tous les méchants et laissa aux peuples un souvenir ineffaçable ; aujourd’hui encore le lieu où mourût Grimoult s’appelle la « brière au cor nud » et l’on frémit en prononçant ce nom. L’histoire du traitre est toujours vivante et le regretté Jules Lecoeur l’a contée naguère avec beaucoup de grâce. Elle comporte d’ailleurs une moralité qui est de tous les temps. - « Ne calomniez jamais les dames vertueuses ; il en cuit - et c’est justice ».


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