Pour arriver à l'extinction du paupérisme il faut pouvoir disposer d'un gros capital ; il est impossible de le demander au budget de l'État, et, si on le demandait à l'impôt il faudrait augmenter les charges des contribuables dans de telles proportions que l'on conduirait le pays à la ruine, en le mettant dans l'impossibilité de maintenir son commerce d'exportation, en élevant le prix de main d'oeuvre de chaque objet.
On ne peut demander ce capital qu'à l'épargne. Une nation a une existence illimitée ; si elle veut constituer un capital à l'aide de l'épargne, si modique que soit cette épargne, elle arrivera toujours à former un capital aussi considérable qu'elle le voudra pour obtenir, par les intérêts, la somme nécessaire à tous ses besoins.
Pour la question qui nous occupe, c'est un capital ayant une destination spéciale qu'il s'agit de créer.
Nous avons à examiner comment on peut constituer l'épargne pour former le capital d'assurance contre la misère, afin d'obtenir indirectement l'extinction du paupérisme, et à voir si l'épargne doit être prélevée sur la société entière, ou seulement sur certaines classes de cette société.
Les impôts nécessaires aux besoins de l'État sont à la charge de tout le corps social.
La charité est à la charge d'une partie du corps social. Soulager les misères par la charité, c'est l'aumône particulière, c'est-à-dire la bonne volonté.
Éviter les misères à l'aide de l'épargne, par la prévoyance, c'est l'action publique.
La charité particulière étant remplacée en partie par la prévoyance publique, ce sont les mêmes ressources qui doivent y faire face.
On ne peut prélever l'épargne qu'après le nécessaire ; il n'est donc possible de demander l'épargne qu'à ceux qui ont le nécessaire. Si l'épargne doit être constituée pour soulager les misères, elle doit l'être aussi pour assurer le bien être de la vieillesse des travailleurs, et les préserver de la misère.
Cette question n'est plus du domaine de la charité, c'est la juste récompense des services rendus à la société, bien que la charité et la sécurité du pain de la vieillesse soient deux questions bien différentes, il n'est pas moins vrai qu'elles sont connexes pour l'extinction du paupérisme.
Si on basait les pensions de retraites des ouvriers de l'industrie et de l'agriculture par une retenue prélevée sur les salaires, on obtiendrait un résultat dont les conséquences seraient déplorables.
La femme aurait le plus à en souffrir, et c'est surtout d'elle que nous devons nous préoccuper.
La pension de retraite ne serait profitable qu'aux ouvriers d'arts et métiers qui ont les salaires les plus élevés, le plus grand nombre des ouvriers se trouverait exclu par des situations particulières que la loi ne pourrait atteindre.
Et d'autre part, ce serait augmenter les charges de l'industrie et de l'agriculture, et amener les productions de la France dans des conditions d'infériorité vis-à-vis des étrangers et enfin, ce serait entraver les bonnes volontés particulières, empêcher la solidarité et augmenter la misère d'une grande partie des travailleurs.
Par ce qui précède on reconnaît que l'épargne doit être demandée à ceux à qui incombe la charité, et, d'autre part, à l'industrie et à l'agriculture. Il est de toute justice d'exonérer les pauvres et les ouvriers, par ces raisons que les ouvriers n'ont pas toujours le nécessaire, et que la misère ne peut pas se soulager elle-même. On peut dire que les ouvriers peuvent se suffire largement en temps prospère ; mais on reconnaît aussi, que les chômages périodiques leur font perdre ce que les temps prospères leur donnent ; si l'on ajoute à cette cause, l'incurie, l'imprévoyance, et les dérèglements inconscients, on comprend pourquoi on doit exonérer les ouvriers de l'épargne, et ne demander cette épargne qu'aux classes de la société qui profitent du travail des classes laborieuses.
Toutes les classes de la société sont solidaires les unes des autres ; toute la société est intéressée à l'extinction du paupérisme ; on doit donc chercher à résoudre la question équitablement, c'est-à-dire ne faire payer que les personnes qui le peuvent. Mais même pour ce cas il faut vaincre la force d'inertie de notre pauvre humanité ; pour arriver à faire payer ceux qui le peuvent, il faut la loi ; sans l'obligation, aucune solution pratique ayant un caractère général n'est possible.
Depuis un demi siècle, de nombreux efforts privés ont été tentés ; sans méconnaître les bons résultats obtenus, il n'est douteux pour personne que les entreprises isolées ne peuvent presque rien pour la solution de la question du paupérisme.
Comme cette question intéresse tout le monde, à tous les degrés de l'échelle sociale, on doit faire tout ce qui est possible pour la résoudre. Les classes qui possèdent doivent faire un sacrifice pour guérir le mal qui ronge la société depuis tant de siècles. On peut y arriver par plusieurs moyens que nous allons examiner.
Le premier serait d'ajouter quelques centimes additionnels aux impôts actuels ou à quelques-uns de ces impôts. La perception serait fort simple puisqu'on n'aurait rien à changer à ce qui existe. Le capital prélevé pèserait sur la nation entière, sans exception ; il serait possible de dépenser une partie du capital et de capitaliser l'autre comme fonds d'épargne.
Nous pensons que ce moyen très-facile ne donnerait pas toutes les satisfactions désirables, malgré les résultats considérables qu'on en obtiendrait. Nous indiquons donc un second moyen qui, selon nous, donnerait toute satisfaction au double point de vue matériel et moral.
Ce moyen, nous l'avons déjà indiqué : il consiste à exonérer les ouvriers de l'obligation de constituer l'épargne, et de laisser cette oeuvre à la charge des classes qui possèdent. Si on veut ramener la solidarité entre toutes les classes de la société, il est indispensable de remplacer le vieux système de charité par la prévoyance. Pour y parvenir, il faut le concours de la loi, afin d'amener l'un ou l'autre des moyens que nous indiquons dans le domaine de la pratique.
Un impôt d'assurance contre la misère sera établi par une loi. Cet impôt sera de cinq centimes par jour, et par chaque habitant des deux sexes, à partir de l'âge de 15 ans.
Dans le but d'obliger à l'instruction des enfants, les enfants au dessous de 15 ans, ne sachant ni lire, ni écrire, employés à un travail rémunéré seront taxés à 25 centimes au profit de l'assurance, jusqu'à ce qu'ils sachent lire et écrire.
Les travailleurs des deux sexes recevant un salaire seront exonérés de l'impôt qui sera payé à leur lieu et place par les personnes qui les occuperont.
Chaque assuré sera porteur d'un livret, indiquant les noms, âge, qualités et signalement, et les versements de chaque année.
Les porteurs de livret qui, à l'âge de 60 ans, établiront qu'ils n'ont pas les rentes nécessaires pour vivre sans travailler, et qui justifieront qu'ils ont payé ou qu'on a payé l'impôt pour eux, auront droit à une pension de retraite.
Les journées de travail perdues par inconduite ou pour punitions judiciaires reculeront d'autant l'époque du droit à mise à la retraite.
Les travailleurs n'auront le droit de compléter leur masse de retraite que pour les journées de travail perdues pour cause de chômage ou de maladie, et indiquées sur le livret par le patron.
Le temps passé au service militaire sera compté comme journées de travail ; l'impôt sera à la charge de l'État.
Les personnes fortunées auront le droit de prendre le titre de bienfaiteurs en versant une somme de deux mille francs, comme prime unique d'assurance personnelle, tout en conservant le droit à la retraite en cas de revers de fortune.
Les noms des bienfaiteurs seront affichés pendant leur vie, dans la salle de la mairie de la commune où ils résident.
Tous les assurés auront droit de payer en une ou deux fois leur prime d'assurance à vie, en versant mille francs à la caisse nationale, et conserveront le droit à la retraite ; une obligation leur sera délivrée comme pièce justificative.
La pension de retraite, basée sur la mutualité, sera inaliénable, insaisissable et intransmissible.
Un tribunal de pères de famille sera institué dans chaque localité, pour juger les différends relatifs à l'impôt.
Comme l'impôt ne sera payé que par les personnes qui possèdent et soumises déjà à d'autres impôts, la perception sera facile et se fera comme il en est indiqué ci-dessous.
Les capitaux, pour ne pas rester improductifs, seront immédiatement prêtés à l'agriculture et à l'industrie, à l'Etat ou aux villes, à intérêt de 5 pour cent.
Les prêts ne seront consentis que sur le contrôle des Conseils d'arrondissement, ou par un Conseil spécial, et devront toujours être garantis par une valeur mobilière ou foncière.
Le capital social d'assurance se compose du versement des cinq centimes, par environ 25 millions d'habitants, des deux sexes, soit 456 millions de francs chaque année. En retranchant 56 millions pour les non valeurs, il reste 400 millions, qui, aussitôt reçus, retournent à l'industrie et à l'agriculture, sous forme de prêts, pour la production des intérêts ; il n'y a donc aucun déplacement du capital.
Le capital d'assurance se grossit des intérêts des versements des assurés décédés, des versements assurés ayant des moyens d'existence et des versements des étrangers résidant en France, et qui n'ont droit à la retraite que s'ils sont naturalisés depuis l'âge de 20 ans, ou 40 ans avant d'avoir droit à la retraite. Si l'on consulte les tables de mortalité de Déparcieux, on trouve que sur 25 millions d'habitants, à partir de l'âge de 15 ans, il n'en reste à 60 ans que 3 millions 502,174.
D'après notre système, on peut sur ce dernier nombre en déduire un tiers pouvant vivre sans la pension de retraite, il ne reste donc plus que 2 millions 500 mille habitants des deux sexes ayant besoin de la pension de retraite.
Le capital de 400 millions par année, placé à 5 pour cent d'intérêt, pendant 45 ans, donne un produit de 63 milliards 480 millions 63,338 francs 37 centimes.
En dépensant l'intérêt du capital, qui est de 3 milliards 174 millions 3,116 francs 91 centimes, on donnera à chacun des 2 millions 500 mille rentiers, 1,269 francs 60 centimes de pension ; si on réduit 69 francs 60 centimes pour frais de perception et d'administration de banque, les pensions de retraite seront encore de 1,200 francs par individu.
Le capital de 63 milliards paraît impossible à réaliser, puisqu'il n'existe pas en numéraire ; mais, si l'on réfléchit, on reconnait qu'il peut véritablement exister, car il sera représenté par le sol et les valeurs mobilières et immobilières résultant du prêt de 400 millions par année.
L'industrie et l'agriculture pourraient emprunter dix fois cette somme chaque année ; à 5 pour cent, le pays y bénéficierait de sommes considérables, car c'est toujours l'argent qui manque à ces deux branches de notre vitalité sociale.
Qu'on ne craigne pas de manquer d'emprunteurs ; il y en aura toujours d'inscrits avant la disponibilité des sommes à placer, malgré la somme des intérêts qui viendra grossir les 400 millions ; et, d'ailleurs, si les emprunteurs venaient à faire défaut, l'Etat n'a-t-il pas besoin d'argent pour payer sa dette ? Il trouverait certes, bien le moyen d'employer ce capital en servant les intérêts par les impôts ordinaires.
La Banque qui sera chargée du capital d'assurance pourrait émettre des billets garantis par tous, étant la propriété de tous.
Comme le temps nécessaire, c'est-à-dire 45 ans, ne permettrait pas d'appliquer les bienfaits de l'institution aux générations présentes, on pourrait obvier à cette difficulté en faisant un emprunt à la caisse d'assurance, c'est-à-dire à nous-mêmes, pour donner des pensions de retraite, d'abord aux vieillards de 75 ans, et, un peu plus tard à ceux de 70 ans, et, enfin, à ceux de 60 ans.
La somme empruntée n'aurait qu'une valeur de convention et serait sans intérêt, puisqu'elle ne coûterait que le papier.
Sous la garantie de la nation entière, cet emprunt se trouverait annulé et payé par le dépôt des cinq centimes, après 45 ans, lorsque le capital d'assurance serait formé.
On peut également ne capitaliser que la moitié du capital d'assurance, pendant les 45 premières années, et après le premier versement, distribuer 200 millions chaque année aux invalides ou aux vieillards ayant atteint l'âge de 70 ou 75 ans.
Au bout des 45 premières années d'assurance, on ne touchera que 600 fr. de rentes, mais ensuite tous les versements seront capitalisés et les rentes augmenteront chaque année.
Si la prime d'assurance de 5 centimes était élevée à 8 ou 10 centimes, il serait possible de constituer des rentes importantes immédiatement à tous les vieillards indigents.
Au point de vue moral et matériel, cette grande assurance peut donner les meilleurs résultats.
Chaque ouvrier, étant porteur d'un livret indiquant toutes les actions de sa vie, aura non seulement intérêt à se bien conduire, mais encore à ne pas perdre de journée de travail, pour être rentier aussitôt que possible.
Les bandits, les mendiants nomades et les espions étrangers ne pourront plus cacher leur identité ; le livret contenant la photographie du porteur sera un passeport à l'aide duquel il sera facile de reconnaître les honnêtes gens.
Tous les travailleurs respecteront la propriété, car ils auront indirectement une part de cette propriété.
Si nous examinons l'effet que produirait le capital d'assurance sur notre économie sociale et sur notre système financier, nous trouvons que ce capital ne change rien à nos transactions ; car, en économisant, nous prenons un capital d'une main et nous le redonnons de l'autre, sans rien changer dans la circulation du capital.
Ce capital, que nous concentrons soit à la Banque de France, devenue banque de l'Etat, soit dans une banque spéciale, est, aussitôt sa réception, distribué sous forme de prêt hypothécaire sur toute la surface du pays.
Il ne se produit ni diminution, ni augmentation du capital roulant ; ce capital circule comme il le fait actuellement ; il ne faut ni un centime de plus, ni un centime de moins, et, ce qui est très-avantageux, c'est que qui que ce soit ne peut s'emparer du capital d'assurance, tellement il se trouve divisé sur la surface du pays, où, d'ailleurs, il n'existe pas en numéraire, mais simplement sous forme de garantie, soit sur une portion du sol ou de propriété ; cette immense fortune n'est représentée qu'en équivalent et non en masse de numéraire.
La richesse du pays n'augmente que par l'intérêt des sommes prêtées ; c'est la thésaurisation de l'épargne.
Voici un exemple de placement du capital d'assurance.
Le propriétaire d'un terrain valant 10 mille francs a besoin d'emprunter 6 mille francs ; il fait faire la demande, par son notaire, à la Caisse d'assurance du département ; il obtient son emprunt à 5 % d'intérêt par année et la somme remboursable à l'époque que choisira l'emprunteur, et ce remboursement ne s'effectuera jamais si l'emprunteur le veut ; ce terrain sera grevé d'une rente de 300 francs, dont le capital sera remboursable à volonté. Ce terrain pourra changer de propriétaire par une simple déclaration, et le jour où le propriétaire ne peut plus payer les intérêts, le terrain est mis en vente ou en location, et la Caisse d'assurance ne prélève sur cette vente ou cette location que son capital ou ses intérêts.
Maintenant, nous allons examiner comment il est possible de placer les 400 millions par année, pendant 45 ans, laps de temps nécessaire à la formation du capital fabuleux de 63 milliards, somme que le monde entier ne pourrait réaliser.
Nous sommes encore obligés d'avoir recours à un exemple, pour exposer notre système financier. Un propriétaire possède une terre de 20 hectares valant 50 mille francs ; sa terre est médiocre, il ne possède ni le bétail nécessaire ni assez d'argent pour donner à sa terre les améliorations qui augmenteraient ses revenus ; il emprunte 10 mille francs à la Caisse d'assurance. Il améliore sa terre par son travail et avec l'argent qui ne lui fait plus défaut, et cette terre, qui valait 50 mille francs, en vaut, après ses améliorations, 75 mille. Ce propriétaire a donc augmenté sa fortune personnelle, et, en même temps, celle du pays de 15 mille francs, et quoique sa propriété se trouve grevée d'un loyer de 500 francs, la plus-value de ses recettes lui laisse encore un beau bénéfice, et comme le remboursement du prêt n'est jamais exigible à moins de négligence manifeste, il rembourse quand bon lui semble. Si une telle propriété vient à être vendue, l'acquéreur n'est tenu qu'à payer les intérêts et le changement de propriétaire n'exige qu'un simple transfert.
Les emprunts se font par l'entremise des notaires avec l'approbation d'un Conseil de surveillance, qui peut être le Conseil d'arrondissement.
Voici encore un exemple qui se produirait : Un grand propriétaire foncier a une terre valant 1 million ; il a besoin de 500 mille francs et il les emprunte à la Caisse d'assurance. Il n'a plus besoin de s'adresser aux usuriers qui le conduiraient à une ruine certaine, ni de prendre d'engagements de remboursement à époques fixes ; tant qu'il paie les intérêts on ne peut le déposséder, et s'il arrivait à cette extrémité, la vente de sa propriété ou sa location ne serait jamais pour lui une cause de ruine complète. Cette grande fortune ne serait plus la proie des tripoteurs d'affaires. En admettant que ce grand propriétaire paie régulièrement ses intérêts et que sa famille continue les mêmes errements sans jamais rembourser, la Caisse d'assurance ayant une somme sur cette propriété, la propriété devient presque un bien national et que tout le monde respectera, puisque tous les individus ont une part indirecte d'intérêt sur cette propriété. Notre système apporte une garantie morale qui protège la propriété et en augmentera de beaucoup la valeur parce qu'il y aura plus de facilités à devenir propriétaire, par ces prêts d'argent, et ensuite parce qu'un nombre de propriétés seront mises en vente étant déjà grevées d'un prêt pour les trois quarts de la valeur, et que des acquéreurs n'ayant qu'un capital de différence pourront devenir propriétaires avec la faculté de rembourser l'emprunt à leur convenance. Non-seulement notre système d'assurance donnera une plus grande valeur à la propriété, mais encore elle la consolidera financièrement et moralement.
Nous ne savons la valeur réelle du sol de la France, mais à n'importe quelle somme il s'élève, la somme de 68 milliards sera absorbée sans difficulté, et la somme de bien que les intérêts de ce capital immense produira, augmentera d'autant la richesse nationale ; nous croyons qu'une nation est comme une famille : le meilleur moyen de l'enrichir est de recourir à l'épargne.
La perception des primes d'assurance pourra être organisée de la manière suivante :
1° Une banque spéciale tiendra les comptes généraux de chaque département, les comptes des prêts du capital, les comptes des pensions de retraites.
2° Des perceptions départementales seront chargées des grand-livres contenant les noms et numéros d'ordre et le compte de chaque habitant des communes du département. Elles recevront les versements des percepteurs communaux ou cantonnaux, avec des feuilles justificatives préparées au Secrétariat de chaque Mairie et contenant le compte de chaque assuré de la commune.
Les comptes seront inscrits au Grand-Livre et les feuilles dressées dans les Mairies seront remises à la banque, comme pièces justificatives, en même temps que le versement des fonds.
3° Les perceptions communales ou cantonnales seront chargées de tenir les livres contenant les noms, l'âge et le numéro d'ordre ainsi que le compte de chaque habitant.
Les Mairies délivreront deux livrets à chaque assuré. Ces livrets seront semblables ; l'un restera en la possession de l'assuré, le deuxième sera remis au percepteur comme pièce justificative pouvant suivre l'assuré de perception en perception dans ses changements de résidence.
Chaque année, les sommes reçues par ou pour le compte de chaque assuré seront portées sur les deux livrets par le percepteur.
Tous les trois mois, les Maires feront adresser des feuilles à chaque imposé. Ces feuilles devront indiquer les noms des assurés et le total des sommes à verser à la perception ; les imposés devront remplir cette feuille pour indiquer les sommes qu'ils ont à payer pour eux et leur famille et pour les personnes qu'ils occupent, et dans la quinzaine, l'imposé fera remettre cette feuille à la perception en opérant son versement.
Dans la première quinzaine de janvier, chaque assuré devra faire parvenir son livret à la perception, et, dans le délai d'un mois, le percepteur devra retourner le livret aux intéressés.
Sur la feuille de fin d'année, l'imposé mentionnera les totaux qu'il a versés à la perception, tant en son nom qu'en celui des personnes qu'il occupe.
Tous les imposés seront obligés au payement de l'assurance, même par voie de contrainte, ainsi que cela a lieu pour les autres impôts.
Les autres assurés ne payant pas d'impôts, la cote personnelle exceptée, ne seront pas obligés par contrainte, ils ne dépendront que de leur intérêt.
Les assurés travaillant à la journée, les artisans et les autres personnes travaillant isolément, quoique n'étant pas imposés, auront le droit de payer leur prime d'assurance à la perception.
Les voyageurs paieront à la perception de leur domicile légal.
Les nomades auront le droit d'indiquer un domicile.
L'Etat paiera la prime pour tous ses employés ; il compensera la retraite qu'il donne avec celle de l'assurance ; il en sera de même pour les grandes Compagnies et entreprises diverses.
Lorsqu'un assuré changera de résidence ou de département, il en préviendra le Maire de sa commune et le Percepteur, afin qu'il soit possible d'adresser le duplicata de son livret à la perception de sa nouvelle résidence, où un compte sera ouvert au nouvel arrivant.
Les assurés dont la prime aura été payée par des imposés auront le droit, dans le cas où le montant de la prime payée pour eux ne formerait pas la somme de 18 francs, d'ajouter le supplément pour compléter la prime. Ce droit cesserait si le temps perdu avait pour cause une punition judiciaire.
Dans l'année qui précédera la mise à la retraite, les assurés ayant atteint l'âge de 50 ans, désirant recevoir la pension de retraite, adresseront une demande au Conseil municipal de leur commune, qui statuera et approuvera, s'il y a lieu. Il faudra, pour obtenir la rente, n'avoir pas plus de 1,200 fr. de rentes en propriétés. Ces demandes seront visées par un Conseil spécial et transmises à la banque.
Dans le courant de l'année, la banque adressera aux ayant-droit une obligation indiquant la somme allouée à chaque retraité.
La pension de retraite est basée sur le total des sommes versées chaque année. La prime étant de 18 francs, il faudrait un dépôt par année de :
810 | francs, | pour obtenir | en 45 ans | 1,200 | francs de rentes |
720 | " | " | " | 1,000 | " |
630 | " | " | " | 800 | " |
540 | " | " | " | 600 | " |
450 | " | " | " | 400 | " |
360 | " | " | " | 200 | " |
Les chiffres inférieurs à 1,200 fr. ne sont qu'approximatifs.
Les coupons de rentes seront payés tous les trois mois.
Les notifications des décès seront transmises par les maires aux percepteurs, afin qu'ils puissent les indiquer sur les livres contenant le compte du décédé. Aussitôt après le décès d'un rentier, son obligation sera requise et oblitérée, puis renvoyée à la Banque pour clôturer le compte.
Les imposés qui ont des salariés à leur service doivent délivrer mensuellement à chacun d'eux une note des journées de travail, et, à la fin de l'année, le total de ce qui a été payé pour chaque intéressé pendant les 12 mois. Les assurés qui voudront compléter leur prime n'auront qu'à remettre la différence aux personnes qui ont l'habitude de payer pour eux.
Pour la constitution des pensions de retraite à l'aide de notre moyen d'assurance, on obtient comme conséquence :
L'amélioration morale et matérielle de la vie, la moralisation de la classe laborieuse, l'augmentation de la dignité humaine.
La créature humaine a un but, une espérance ; elle a intérêt à suivre le droit chemin. Si elle reste honnête, elle en est récompensée par la sécurité de son avenir ; son pain est assuré ; elle n'a plus cette préoccupation constante de ce qu'elle deviendra lorsque ses forces l'auront abandonnée.
L'homme n'a plus à craindre de tendre la main comme dernière ressource ; il donnera à la société sa force et son activité sans arrière-pensée, car la société lui donne et lui assure, sinon la fortune, du moins le nécessaire pour finir ses jours, but que toutes créatures sensées recherchent et que les heureux seuls peuvent atteindre.
Et la situation du vieillard ? Obligé d'avoir recours à ses enfants dès qu'il devient une non-valeur, il lui faut mendier aux êtres qu'il a élevés et nourris. S'il reçoit quelquefois de bonne volonté, le plus souvent il lui faut avoir recours à la contrainte. N'est-ce pas l'abaissement de la famille ? la négation de l'arche sainte de la société ? Combien il serait juste de mettre un terme à cette situation du vieillard, en le transformant de non-valeur et de charge pour sa famille, en une providence apportant l'aisance ! Au lieu d'avoir un traitement qui abrège ses jours, il sera traité avec égards, car plus sa vie sera prolongée, plus longtemps la famille en profitera.
La question du vieillard n'est-elle pas la question de tout le monde ? Les conséquences de cette transformation ne conduiraient-elles pas à la moralisation de la jeunesse, lorsqu'on lui enseignera, dans la famille, que pour être rentier important, il est indispensable d'être honnête et laborieux, et que le travail mènera certainement à la fortune ? La maxime sera vraie, cette fois, pour tous les êtres humains, sans conditions d'intelligence. Si, par l'assurance, on arrive à améliorer, à consolider la famille, n'arrive-t-on pas également à rapprocher les classes de la société, en effaçant cet antagonisme qui existe entre ceux qui possèdent la fortune et ceux qui n'ont que la misère sans espérance pour tout bien ? N'est-ce pas ramener la solidarité entre les diverses classes de la société, par ce fait que le riche paye pour assurer l'avenir du pauvre ?
N'est-ce pas une grande satisfaction, pour l'homme de coeur riche, de ne plus se voir escorté par son semblable, en haillons sordides, qui vient lui tendre la main ? Le sentiment d'envie et de convoitise qu'il inspire fera place à un sentiment de gratitude, car ce ne sera plus l'aumône qui blesse et avilit que le riche donnera au pauvre, ce sera une part de bien qui relève la dignité de celui qui donne, comme de celui qui reçoit. L'obole du riche sera bien minime et ne représentera pas, au centuple, ce qu'il donne au nom de la charité ; malgré cela, l'obole d'assurance lui vaudra la reconnaissance, au lieu que la charité ne lui donne que l'inimitié et quelquefois la haine.
L'assurance pour la sécurité de la vieillesse aura encore cette conséquence qu'elle relèvera et augmentera le patriotisme. Désormais, le soldat pauvre aura non seulement la patrie à défendre, mais encore le pain de sa vieillesse et celui de sa famille ; il défendra la propriété avec énergie, car une part de cette propriété serait la garantie de sa pension de retraite, et, d'autre part, le temps passé au service militaire ne serait plus considéré comme temps perdu.
Le cadre des sous-officiers de l'armée, qui se recrute avec difficulté, subira une amélioration considérable, car après 25 ans de service actif, il sera possible de leur accorder une pension de retraite de 1,200 francs, c'est à dire une situation enviable ; ce moyen permettra donc d'avoir de très-bons cadres de sous-officiers.
L'industrie et l'agriculture auront la plus lourde charge à supporter, en payant pour assurer la pension de retraite des ouvriers ; mais ce sacrifice ne devra-t-il pas ramener la confiance et la solidarité ? La satisfaction que devront éprouver les travailleurs ne se traduira-t-elle pas par une plus forte somme de travail qui compensera le sacrifice ?
N'est-ce pas un grand bonheur que d'avoir satisfaction de contribuer à assurer le pain de ses collaborateurs ; et, d'autre part, si l'agriculture et l'industrie font des sacrifices, ne recevront-elles pas une compensation dans la facilité qu'elles trouveront à emprunter de l'argent à la banque nationale ?
De tout ce qui précède, ne doit-on pas tirer cette conséquence que l'Assurance facilitera la tâche des gouvernants ? En effet, le Gouvernement n'aurait plus à supporter les exigences de la masse des mécontents qui rend tout Gouvernement presque impossible.
Tant que la majorité de la nation sera malheureuse, et jusqu'à ce que cette majorité reçoive satisfaction, elle cherchera à changer le Gouvernement pour en avoir un qui apporte un remède à son mal ; et du jour où le Gouvernement aura supprimé les causes du paupérisme en assurant l'avenir des classes laborieuses, il supprimera la cause qui a toujours été le mobile des révolutions sociales. La majorité nationale deviendra conservatrice et alors, mais alors seulement, un Gouvernement pourra fonctionner avec calme ; les partis ne pourront plus compter sur les malheureux, pour appuyer leurs prétentions ; ils ne pourront plus que s'unir, sachant bien que l'union fait la force et que la force donne la sécurité et la sécurité le bonheur.
Certes, on n'empêchera jamais les gens composant l'écume sociale de chercher à vivre aux dépens des autres classes de la société ; mais la société prévoyante aura amené à elle tous les hommes qui comprennent que le bien-être et la prospérité ne peuvent venir que du travail et d'une vie réglée. De même qu'un père de famille doit penser à régler et à améliorer l'avenir de ses enfants, la société prévoyante doit penser pour ceux qui ne pensent pas, et régler les questions d'avenir de ceux qui, par ignorance ou par incurie, sont incapables de le faire eux-mêmes. L'assurance n'est pas seulement une nécessité, c'est encore et surtout un devoir que la société doit s'imposer au point de vue de l'humanité, de la morale et de la famille. Ne serait-ce pas l'institution la plus honorable et la plus utile ? Tout ce qui tend à relever la sécurité de la mère de famille, de la femme, doit être adopté.
Aux hommes nous pouvons dire : Aidez-nous, car notre assurance aura des conséquences heureuses pour la France. Après l'extinction du paupérisme, il sera possible, avec le temps, de modifier notre système financier. Nous ne voulons pas en dire davantage, afin de ne pas sortir du cadre que nous nous sommes tracé ; nous nous réservons de montrer dans une autre notice ce qu'une nation peut obtenir à l'aide de l'épargne.
Nous prions les économistes et les gens plus autorisés que nous dans ces questions, de bien vouloir l'examiner et de nous indiquer les points qu'ils jugeront insolubles ou susceptibles de modifications.
Nous chercherons à y répondre et à les résoudre. Il est de la plus grande urgence que les hommes compétents s'occupent de cette question sociale dans le plus bref délai, car, dans un temps peu éloigné peut-être, il serait trop tard.
Tout ce que nous indiquons est un sommaire de nos publications dans le journal le Lexovien de juin 1871 et janvier 1872.
Nous nous ferons un devoir de conscience et d'honneur de publier ou de résumer, dans une brochure, les réponses et les observations qu'on voudra bien nous adresser.
Thle GRISON.