LANGLOIS,
Eustache-Hyacinthe
(1777-1837) : Hymne à la Cloche.- Rouen : F. Baudry, 1832.-
XVI-13 p. ; 23 cm.
Saisie du texte : A.Michelson pour la collection électronique de la Médiathèque André Malraux de Lisieux (16.IX.2005) Texte relu par : A. Guézou Adresse : Médiathèque André Malraux, B.P. 27216, 14107 Lisieux cedex -Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01 Courriel : mediatheque@ville-lisieux.fr, [Olivier Bogros] obogros@ville-lisieux.fr http://www.bmlisieux.com/ Diffusion libre et gratuite (freeware) Orthographe et graphie conservées. Texte établi sur l'exemplaire de la médiathèque (Bm Lx : norm 1520). Exemplaire numéroté 23 sur grand-raisin Velin d'Angoulème portant la mention manuscrite "A Monsieur Tony Johannot, Peintre. Souvenir de l'auteur des vignettes. Brevière". Ex-libris d'Etienne Deville. HYMNE A LA CLOCHE PAR
E.-H LANGLOIS DU PONT-DE-L'ARCHE PEINTRE. ROUEN.
F.Baudry, Imprimeur du Roi, RUE DES CARMES, N°. 20. 1832. A tant, Segnor, venez
oïr
Vos veuil acconter mon rollet
Anc. Fabliau.
Comment,
tout de bon, vous imprimez, vous livrez au
public votre prétendue Hymne à la Cloche, votre
Hymne en prose, encore! -
En prose, soit; De
la Mothe-Houdard a bien composé des
odes en ce genre, et pourtant il était doué de ce
qui me manque, à moi,
de
quelque talent pour les vers. Quant au public, je n'aspire pas au
dangereux
honneur de me présenter devant lui, et pour mon Hymne, je ne
vendrai
pas le
droit de la trouver pitoyable, je le donnerai, ce sera plus grand, plus
magnifique de ma part. -
Je ne vous comprends
pas. -
Eh bien, voilà le
mot, je veux offrir en pur don cette
pâle bleuette à mes bons amis. -
A vos bons amis!
Alors, vous faites apparemment tirer à
petit nombre, ou, dans le cas contraire, si vous comptez sur un grand
débit de
votre affaire, je vous en félicite; mais, franchement,
convenez que
l'offrande
est un peu mince, je veux dire exiguë. -
Tant mieux, ma foi,
j'ennuierai moins long-tems mes chers
lecteurs; c'est un talent qui manque à bien des
écrivains, aujourd'hui. -
Oh! oh! de
l'épigramme!..... ce genre est devenu si
mauvais, si rebattu..... Mais parlons sérieusement, et
dites-moi, de
bonne foi,
je vous prie, où diable vous avez été
rêver un pareil sujet?..... une
Cloche! -
Mais il me semble
que c'est un sujet comme un autre;
puis je vais vous parler, en effet, de bonne foi, car ici c'est d'un
fait qu'il
s'agit et non d'une fiction. Je
reçus
dernièrement la visite de deux
aimables jeunes
gens, dont je vous citerais volontiers le nom, si la
frivolité de l'un
d'eux ne
faisait craindre de voir avorter ses hautes dispositions pour les
sciences. Ce
dernier prit la part la plus active à notre conversation qui
dégénéra
bientôt
en un feu roulant de railleries, mais de railleries amicales, sans fiel
et sans
aigreur. " Bon, bon, me dit l'interlocuteur en question,
plaisantez tant
qu'il vous plaira sur mes faux pas
dans mes études
classiques; mais vous qui faites ici le régent,
cervelle rouillée,
étudiant de quatre-vingt-neuf, seriez-vous
en état de faire seulement, aujourd'hui, une
misérable amplification de
collége, une amplification sur un mot donné,
sur celui de Cloche,
par
exemple? Notez
qu'en ce
moment, indè
mali labes, un
de ces volumineux instrumens lui soufflait, pour
ainsi dire, ce malheureux mot en bourdonnant à nos oreilles.
Je laissai
tomber
la balle en riant; mais, dès le soir même,
désoeuvré, seul, et
peut-être, Quelque
diable aussi me poussant, je
ne sais quelle fantaisie
d'écolier me
prit de la
ramasser. Je me mis donc bravement à l'oeuvre avec l'ardeur
d'un bambin
qui
bâtit un château de cartes, et je fondis
si
précipitamment ma cloche,
que, le
lendemain, elle était sortie du moule. Je n'y trouvai pas,
j'en
conviens,
matière à mourir de joie (1) , car elle sonnait
quelque peu le fêlé;
mais que
voulez-vous, c'est une des chances du métier. Au
moment de
la
fondre, je m'étais demandé si je lui ferais
exclusivement sonner un
baptême, un
mariage ou des larmes
(2) ;
mais, cela me paraissant trop restreint, trop mesquin,
trop bourgeois, je crus devoir lui concéder de plus vastes,
de plus
nobles
apanages. Ajoutez à cela que la fusion de ses attributions
surnaturelles avec
les mystères d'un monde extérieur m'offrait
naturellement la ressource
à la
mode de quelque vignette épouvantablement romantique,
à la faveur de
laquelle
il me serait plus facile de faire passer le reste; car, depuis
Benserade
jusqu'à nos jours, que de niaiseries littéraires
Tant qu'il
restera d'ailleurs quelques exemplaires de cet opuscule, on aura de
légers specimen
de la
xilographie rouennaise de notre époque, et l'on sait combien
cet
art était déchu, surtout parmi nous, depuis la
famille Le Sueur, dont
la
Normandie fut le berceau.
Ab
increpatione
tuâ fugient, * a voce
tonitrui tui formidabunt. Ps. CIII, v. 8.
SÀLUT,
Fille de l'antique cité de Nole! Salut à toi, qui
chantas la naissance et qui pleuras la mort de vingt
générations
éteintes! Tu
les vis descendre tour-à-tour, immobiles et muettes, dans
l'oubli du
tombeau;
et toi, compagne des siècles, dans tes balancemens rapides,
tu
retrouves sans
cesse les mâles accens dont tu frappas l'oreille de
Guillaume-le-Conquérant et
de Napoléon. Au
victorieux
clairon d'Hastings, au glorieux canon d'Austerlitz, tu fis
également
succéder
ton Echo triomphal. Ton
langage,
interprète de la Prière, est doux à
l'oreille des Saints, et les Anges
aiment à
prolonger, par le battement de leurs ailes d'azur, ses vibrations
harmonieuses. Car
les
Solennités les plus augustes de l'Église
présidèrent à ta naissance, et
tu
reçus de la main du Prêtre, non le
Baptême de Rémission,
comme les ames
humaines, Filles du coupable Adam, mais le Baptême de Sanctification. Tu
fus purifiée par
des Aspersions intérieures et
extérieures. Tu fus ointe du Chrême
sacré à sept
endroits de ton corps, trois
en dehors et quatre en dedans; car à l'Esprit-Saint est
attribué le
nombre SEPT, et c'est par lui qu'il
communique sa force. L'Encensoir
fut
placé sous ton vase, où son parfum captif se
roulait en flocons odorans
pendant
le chant du soixante-septième Psaume. Un
puissant
Suzerain, renommé par sa vaillance; une
Châtelaine, éblouissante de
jeunesse et
de charmes, t'imposèrent leurs noms: debout près
de toi, couverts de
brocard
d'or et de fourrures précieuses, la dure main qui maniait la
hache de
guerre et
l'épée se posa dévotement sur ton
flanc, à côté des doigts blancs et
délicats
qui ne pouvaient employer que la laine et la soie. Ton
Parrain tomba dans
les batailles ; ta Marraine mourut
au printems de la vie : les vents ont balayé
jusqu'à leur
poussière. Mais,
au moins, toi, Cloche sainte, fidèle à leur
mémoire, tu gardes sur ta
lèvre
d'airain leurs Noms antiques écrits en lettres onciales. Dans ton
silence
même, ta vaste ceinture proclame tes devoirs et tes
prérogatives, en
vers
léonins embrassés dans ses riches fleurons. Et
ces vers parlent
ainsi pour toi : Laudo
Deum verum ,
Plebem voco, Congrego clerum,
Defunctos ploro, Pestem fugo, Festa decoro. Pour
achever ton
Inauguration, tu fus enfin revêtue d'un blanc tissu de lin,
symbole de
la Robe
baptismale. O
combien,
depuis, as-tu chanté de fois la mort et la vie, la douleur
et la joie! Mais
pourquoi,
fêtant par de joyeux Cantiques le Nouveau-Né
qu'enveloppent de précieux
tissus,
restes-tu muette pour cet autre qui, tel que l'ENFANT-DIEU,
ne trouve qu'un peu
de paille pour exhaler son premier soufle dans son premier
gémissement? Pourquoi
n'as-tu
de Larmes que pour le cadavre qui va pourrir sous le porphyre et le
bronze, et
non pour celui dont la misère creusa lentement la fosse
chétive? O!
pardon,
Cloche vénérable, dois-je m'en prendre
à ton impartial airain! Envahissant
en
un clin d'oeil tous les points de l'espace, ta Voix s'élance
vers la
nue en
invisibles spirales, et glisse comme un trait sur le crystal des eaux. Par
fois,
inconstante et légère comme les vents qui s'en
jouent, elle fuit et
revient
avec eux de la forêt à la plaine, de la montagne
à la vallée. Mais,
quand,
près de l'oreille ébranlée, tu
chantes, grave et sévère, à l'unisson
du
Tonnerre, qui peut comparer à tes formidables accens les
fanfares des
trompettes, les voix humaines les plus éclatantes, le bruit
des tables
de bois,
ou le battement de ces plaques de fer ou d'airain, corps sonores
imparfaits,
qui précédèrent ta venue, ô
fille de la Campanie! Qu'elle
est
auguste et puissante, ta Voix majestueuse! Cette
Voix
pathétique, ainsi qu'il est écrit, fait
naître la Prière, comme le
fracas de la
foudre aide la biche à produire son faon. Si tu
la fais
entendre au milieu des orages, l'étincelle exterminatrice
s'éteint dans
la nue.
Il est vrai que, parfois enveloppée de rapides serpens de
feu, la
pyramide qui
te recèle vit frapper les bras qui balançaient
ton corps frémissant :
alors, à
la Physique révoltée la Théologie
répond que le Ciel n'est pas tenu de
faire
continuellement des Miracles. Mais
lorsque de
noirs Démons, hideux esprits des tempêtes,
s'enveloppent de nuages
épais et
ravagent, en vomissant la foudre et la grêle, la Nature
consternée, tes
sons
impérieux ont l'infaillible pouvoir de les refouler dans
leurs brûlans
cachots. Il en
est de
même quand, rôdant, invisibles, autour du Temple
saint, leur odieuse
malice
trouble, par de secrets prestiges, les sens des Fidèles
occupés à
chanter les
louanges de JÉHOVAH. Tes
accens
mystiques protègent et conservent les fruits de la Terre;
ils purifient
l'atmosphère infectée de miasmes
pestilentiels..... - Cloche
secourable,.
protége -nous contre cet Hydre horrible qui,
souillé des fanges de la
Néva,
rampe vers nous pour dévorer nos entrailles! Réjouis-toi,
Cloche bénite, de tes miraculeux priviléges,
consacrés dans le
Pontifical
romain! Sentinelle
vigilante
contre les maléfices, ton organe est
redoutable aux mystères de l'Enfer; car les
Sorcières indignées
traitent de Chiens
aboyans
les
modestes officiers employés à ton service.
Souvent, dans les
longues nuits d'hiver, à la suite des orgies du Sabbat, on a
vu de ces
vieilles
impures, affourchées sur le balai diabolique, surprises au
premier
tintement de
l'Angelus
matinal, tomber du
haut des airs, abandonnées par les Démons, et
souiller de leur sang fétide la rosée virginale
de l'aube du jour. Une
jeune et
noble Vierge palermitaine mourut martyre de Jésus-Christ;
Agathe, dont
le
Suaire divin repoussa mainte fois de Catâne les flammes de
l'Etna
furieux. Les
souvenirs d'Agathe sont purs et doux comme sa vie ; et pourtant,
ô
sacrilége
contraste! la nuit qui précède sa fête,
ces Filles des ténèbres
s'assemblent
pour commettre leurs OEuvres
sans nom;
car c'est une des époques annuelles de
leurs infàmes Saturnales. Mais
si ta voix,
Cloche sanctifiée, retentit jusqu'au retour du Soleil, en
vain leurs
mains
hideuses frottent de leurs abominables onguens leurs membres
décrépits,
elles
ne peuvent, errantes dans leurs courses criminelles, verser leurs
philtres de
mort sur la Nature et sur les hommes. Ta
puissance est
plus merveilleuse encore contre ces Prêtresses de Satan :
car, la
veille du
jour où l'Église célèbre la
naissance du fils d'Élisabeth et de
Zacharie, si
d'une aurore à l'autre ta langue invoque le secours du Ciel,
vainement
la magie
réclamera celui de l'Enfer pendant l'année
entière. Ton
Glas aide à
s'envoler l'ame de l'agonisant, livrant, baigné de sueur
froide, son
dernier
combat aux angoisses de la vie. Toi seule,
après
l'Éternel, as la terrible vertu de te faire entendre des
hôtes glacés
des
sépulcres; car, lorsque tu proclames la douzième
heure de la nuit qui
précède
la Commémoration
des Ames,
les Morts, enveloppés de leurs linceuls , surgissent
de toutes parts dans l'Église obscure et silencieuse ; ils
sont pâles
et
tristes , mais calmes ; car les feux du Purgatoire n'ont point d'action
sur eux
le jour de la Toussaint et le lendemain. Ainsi,
les
Trépassés s'assemblent à ton
appel ; et pourtant, Vase d'union, le
Turc
imbécille repousse tes semblables de ses Minarets, pour ne
pas, dit-il,
épouvanter de leurs sons les ames errantes dans l'air. Dans
les siècles
passés, tu sonnas une fois de
toi-même au milieu des
Ténèbres. Tes gémissemens
lugubres et prolongés annonçaient au peuple
épouvanté la colère du TRÉS-HAUT.
Un Roi se rebellait contre l'autorité d'un Pontife. Les
Miracles
étaient fréquens alors ; car
la foi des
Nations était encore jeune et robuste. Mais,
quand l'INTERDIT
fulminant éteignait les cierges de
l'Autel dépouillé de ses attributs, les brisait
violemment sur le pavé
du
Sanctuaire, et fermait les portes de la Basilique, ton morne silence
annonçait
que la Terre ne communiquait plus avec le Ciel, et l'Église,
qui te
privait de
la parole, avait seule le droit de te la rendre. Aujourd'hui,
quand la Chapelle funèbre offre l'image du Tombeau du
Sauveur, tu
redeviens
encore immobile et muette, mais pendant deux jours seulement; et le
réveil de
tes chants assoupis, d'accord avec celui de la Nature, est une Hymne de
résurrection et de bonheur. Cloche
sainte et
citoyenne, toi dont les cris redoublés d'effroi
préservèrent si souvent
nos
ancêtres des surprises de l'ennemi et des horreurs de
l'incendie, sois
éternellement bénie! Car
jamais ta
langue innocente ne provoqua de Vêpres Siciliennes, ni de
Saint-Barthélemy ;
jamais, comme aux bords de la Garonne, les Ligueurs furieux
n'étreignirent tes
flancs dans un crêpe séditieux, pour soulever le
Peuple par tes
hurlemens
étouffés. Demeure
tranquillement partagée entre la Religion et le Tems ; car,
sur ton
airain
sonore, l'infatigable main de ce Père des Ages fait retentir
les
signaux des
Heures ; des Heures si rapides, si précieuses, et pourtant
si souvent
gaspillées par les hommes. Cloche fortunée, Adieu! continue de régner sur la Cité, sous le dais sublime dont l'ouragan politique arracha tes compagnes. Aujourd'hui sans rivales, oublie celles qui, durant tant de siècles, unirent leur harmonie à la tienne! Heureusement échappée à leur étrange métamorphose, laisse-les parcourant la terre et les mers, sous leurs formes nouvelles, simuler de la bouche rétrécie de leur corps cylindrique le fracas du Tonnerre, et vomir comme lui, dans leur mugissement enflammé, le carnage et la mort. Pour toi, reste avec nous : reste pour y chanter l'Allégresse et la Paix.... mais la Paix glorieuse comme la Victoire! Fin.
Notes :
(1) On prétend que Jean Le Machon (Le Maçon), qui fondit, en 1500, la célèbre Cloche de Georges d'Amboise, ne put survivre à la joie que lui causa la réussite de cette opération. Ce qu'il y a de certain, c'est que sa mort arriva vingt-six jours après. Au reste, ce grand corps sonore ne produisait pas l'effet qu'on en devait attendre, ce que l'on attribuait au calcul inhabilement raisonné de ses épaisseurs. Cette principale cloche de la cathédrale de Rouen pesait trente-six mille ; elle avait été fondue par ordre du cardinal Georges d'Amboise, premier du nom, archevêque, primat de Normandie. Au passage de Louis XVI à Rouen, en 1786, elle se fêla au milieu de l'allégresse publique, comme pour présager le sort de ce prince infortuné ; elle fut enfin mise en pièces en quatre-vingt-treize, et convertie en canons. (2)
On appelle,
en Normandie, larmes
ou dins
les coups de cloche sonnés à
longs intervalles
pendant les inhumations et les services funèbres. Nota. Déférant à l'opinon de Beaumarchais, qui détestait les notes éparses dans le corps d'un ouvrage, j'insère ici, par anticipation, une remarque qui se rattache aux vers latins exprimant les attributions des Cloches : c'est que le second de ces vers, tel qu'il est relaté dans cet opuscule (page 4), renferme les deux mots pestem fugo, auxquels on a substitué quelquefois fugo fulmina. Cette dernière prétendue vertu des Cloches, aux dangers de laquelle je fais ensuite allusion, a donné matière à la dissertation d'un savant Allemand, publiée en 1785, et citée par M. Gabriel Peignot, de Dijon, dans ses Amusemens philologiques; il y est prouvé que, dans l'espace de trente-trois ans, le tonnerre est tombé sur trois cent quatre-vingt-six clochers où l'on sonnait, et qu'outre plusieurs blessés, cent vingt-un sonneurs ont été tués. On n'a pas pour cela renoncé, dans beaucoup de campagnes, à ce funeste usage, qui trouve toujours des dupes, et malheureusement des victimes. |