JACQUEMIN, Raoul
(18..-19..) : Rose Harel
(1902). Saisie du texte : S. Pestel pour la collection électronique de la Médiathèque André Malraux de Lisieux (09.VI.2010) Texte relu par : A. Guézou Adresse : Médiathèque André Malraux, B.P. 27216, 14107 Lisieux cedex -Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01 Courriel : mediatheque@ville-lisieux.fr, [Olivier Bogros] obogros@ville-lisieux.fr http://www.bmlisieux.com/ Diffusion libre et gratuite (freeware) Orthographe et graphie conservées. Texte établi sur un exemplaire (BM Lisieux : nc) du numéro 9 (septembre 1902) de la Revue Le Penseur, 2ème année. Rose Harel
par
Raoul Jacquemin
~ * ~Ce n’était ni une Marceline
Desbordes ni une Louise Ackermann que cette pauvre fille de Normandie
dont la société la Pomme a
célébré dernièrement la touchante mémoire. Ce n’était pas un grand
poète féminin. C’était une bien simple rêveuse, poussée à écrire son
rêve par un mouvement instinctif qu’elle-même ne comprenait point, et
s’exprimant en vers de façon toute naturelle. Un poète ingénu, en somme
; un de ces chanteurs naïfs qui ont la grâce primesautière et font voir
que le don de poésie est chose réellement innée.
*
* * On nous a conté l’histoire de Rose Harel. On nous a dit comment elle naquit en 1826, à Bellon, fille d’un père inconnu et d’une pitoyable paysanne. L’enfant, un peu frêle, fut élevée tant bien que mal. Comme elle n’était pas bonne pour les travaux des champs, elle devint tisserande. A Vimoutiers, travaillant tout le long du jour dans une cave, tout le long du jour assise devant son métier, elle se lassa et se décida à « entrer en service ». D’où avait-elle reçu le besoin de savoir qui la saisit dans sa jeunesse abandonnée ? D’abord, d’humbles amis l’aidèrent à apprendre à lire. Puis, un dimanche, s’évadant de sa cave, elle se sauve au bout extrême de la maison, au grenier ; et là, elle furette. Elle trouve un livre dont les feuillets sont rognés, dispersés ; mais ces feuillets disent des choses qui la charment. C’est un Télémaque ; elle s’en empare avec avidité ; elle en rassemble les pages, les recoud ; dans un vieux tablier hors de service, elle taille une reliure imprévue ; elle emporte avec elle ce trésor méconnu, qui deviendra son recours, son refuge. Dès lors, elle veut connaître l’histoire « de tous ces gens-là » ; elle s’informe, elle s’instruit. Mais les ménagères normandes n’entendent pas de cette oreille, et Rose, suspecte d’orgueil, fut assez malmenée par ses maîtres successifs. Des amis, pleins de bonnes intentions, cherchaient à mettre en lumière ses talents, sans lui assurer un morceau de pain. Rose perdait ses places ; c’était le plus clair résultat des succès littéraires que lui faisaient ses enthousiastes. Aussi se cachait-elle, se taisait-elle, tant qu’elle le pouvait, mais elle souffrait durement, et, comprimée sans fin au lieu de pouvoir répandre ses impressions si vives, elle se minait lentement. On l’exploitait. Après son premier volume, publié en 1858 par les soins d’un admirateur convaincu, M. Ad. Bordes, elle ne pouvait plus trouver de places dans les « bonnes maisons » ; on la prenait « par charité », et on le lui laissait entendre en se servant d’elle. Elle vécut ainsi longtemps à Lisieux, à Pont-l’Evêque ; enfin, minée, vaincue par la maladie, elle s’était échouée chez une marchande de fromages, boulevard de Pont-l’Evêque, à Lisieux, où elle faisait « les gros ouvrages ». C’est là que la trouva Mme Marie de Besneray, femme de talent et de coeur qui venait à elle les mains pleines de roses, attirée par les gracieuses poésies signées Rose Harel. Le cadre était piteux... Mme de Besneray l’enleva à son servage, lui donna un toit, la vie journalière, et assura une fin d’existence paisible à cette sacrifiée, qui, délicieusement reconnaissante, l’appelait « ma reine ». Ainsi Rose Harel s’éteignit peu à peu, doucement, fêtée par son entourage sans avoir à redouter désormais les suites de ses succès ; et ce furent pour elle trois ou quatre années d’inespérée félicité. Elle en jouit en sage, de même qu’elle avait supporté sa longue, si longue souffrance. Elle ne se grisa pas de son bonheur. Au moment où la mort s’annonçait, de charitables amies amenèrent le curé de la paroisse ; mais la malicieuse Rose dit à Mme de Besneray, assez haut pour être entendue : « Ce monsieur le curé-là est un trop grand seigneur pour moi... Je ne veux pas de ce bon Dieu de cathédrale qu’il m’apporte... Si vous voulez m’en amener un, trouvez-moi un bon Dieu bien simple, un bon Dieu de campagne... » Le « bon Dieu de campagne » fut trouvé en la personne du curé de Beuvillers, qui décida sa pénitente à la cérémonie suprême « à condition, disait-elle, qu’il y ait beaucoup de fleurs ». Mme de Besneray moissonna son jardin ; et Rose mourut souriante, par un jour de soleil, au milieu des fleurs, la tête sur l’épaule de l’amie. *
* * La poétesse revit grâce à un saisissant portrait, daté de 1885, qui figurait dans l’exposition organisée à Lisieux par la Pomme. A voir ce profil affiné, cette attitude mélancolique, on ne songerait guère à une servante normande. L’inspiration, même en son rayonnement le plus humble, ennoblit ceux qu’elle éclaire. Et c’est pourquoi il y a tant de charme délicat dans les deux modestes recueils : L’Alouette aux blés et Fleurs d’automne, que viennent de rééditer les admirateurs de Rose Harel et qui représentent tout son oeuvre. RAOUL JACQUEMIN.
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