CITOYENS,

Appelé à prononcer sur le sort d'un homme qui jadis fut roi, je n'ai interrogé que ma conscience, et je n'ai pris conseil que d'elle : aussi ai-je l'assurance qu'elle ne me laisse aucuns remords sur la peine que je suis obligé d'infliger à Louis le tyran, que nous avons déclaré tous à cette tribune être coupable de haute-trahison contre la sûreté de l'Etat, et la liberté de notre pays. Quoique très-persuadé que le pouvoir souverain réside toujours, et à jamais, dans le peuple, et qu'il peut juger et condamner Louis par ses représentans, je n'en pensois pas moins que sa ratification devenoit, sinon nécessaire, au moins politique dans les circonstances où nous sommes ; mais la majorité de la Convention ayant rejeté, par un décret, cette mesure de prudence qui associoit la nation entière à cet acte de justice et de sévérité, je m'y soumets, et n'en reste pas moins convaincu que Louis XVI fut un tyran, un traître et un assassin, et que c'est sous ce rapport que je dois prononcer au nom du peuple un arrêt terrible contre lui : il fut un tyran, puisqu'il n'a jamais considéré que son bien-être, son avantage particulier et non celui du peuple ; et qu'à l'exemple de Néron, il voulut anéantir la représentation nationale, et forcer le peuple au silence, en faisant marcher contre Paris des troupes mercenaires : il fut un traître, puisqu'au moment où il assuroit au Sénat français, par ses promesses, ses proclamations et ses sermens, de ne rien faire que pour le bonheur du peuple, il s'enfuyoit comme un lâche, et envoyoit des Ambassadeurs secrets à toutes les Puissances pour les soulever contre sa Patrie : il fut un assassin, puisque c'est par lui, et pour lui, que des phalanges autrichiennes et prussiennes furent armées pour ravager nos frontières, et causer la mort à une multitude immense de nos frères ; ne mérite-t-il pas ces noms odieux, celui qui voulut allumer les torches de la guerre civile dans son pays ? Eh bien ! voilà les titres de Louis XVI pour avoir été déclaré tyran, traître et meurtrier : ils ne sont pas fondés sur des oui-dires ou sur des rumeurs populaires, mais bien constatés par des lettres écrites de sa propre main ; aussi, citoyens, en prononçant contre lui il ne peut me rester qu'une crainte, qui est celle de laisser après Louis quelques ambitieux qui me donneroient des inquiétudes pour la liberté de mon pays, si je n'étois rassuré par la haine que mes commettans ont vouée aux rois présens et futurs, et plus encore par la sécurité de mon ame, qui, exempte de passions, me dit de prononcer contre tout homme conspirateur la peine de mort : je la prononce donc contre Louis, et je demande que la Convention nationale décide le temps où l'exécution de ce décret aura lieu, déclarant que cette demande est absolument indépendante de mon opinion.