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Discours électoral à M. Dujourdain (1839)
Discours électoral à M. Dujourdain.- Bayeux : Imprimerie de C Groult, 1839.- 12 p. ; 21, 5 cm.
Saisie du texte : O. Bogros pour la collection électronique de la Médiathèque André Malraux de Lisieux (06.II.2005)
Texte relu par : A. Guézou
Adresse : Médiathèque André Malraux, B.P. 27216, 14107 Lisieux cedex
-Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01
Courriel : mediatheque@ville-lisieux.fr, [Olivier Bogros] obogros@ville-lisieux.fr
http://www.bmlisieux.com/

Diffusion libre et gratuite (freeware)
Orthographe et graphie conservées.
Texte établi sur l'exemplaire de la médiathèque (Bm Lx : nc)
 
Discours électoral à M. Dujourdain

~*~

Avant-propos

Nous allons offrir au public une oeuvre fantasque et exhilarante qui mérite de prendre place parmi les fastes mirobolants de notre cité.
    
Cette grave et sublime composition pour être comprise et justement appréciée ne doit pas être isolée des circonstances qui l'ont fait naître. Nous dirons donc ce que nous avons appris à cet égard encore que l'auteur ait gardé l'anonyme et soit, jusqu'à présent, demeuré inconnu.
    
Tout le monde sait que le savant et honorable M. Dujourdain, après avoir exhorté ses concitoyens à porter leurs suffrages sur le plus digne, s'est généreusement désigné et dévoué comme tel pour remplacer M. Deshameaux au conseil général, noviciat de la députation. Il n'est personne qui n'ait lu avec délices la circulaire électorale qu'il a publiée à cette occasion et où il offre à la fois avec un rare bonheur de transition et une cohérence d'idées dont son génie seul était capable, une critique écrasante contre le cumul ; des regrets profondément sentis sur l'oubli où on laisse s'éteindre, inutiles, une foule de capacités modestes ; de douloureuses et effrayantes réflexions sur le relâchement de l'esprit public et l'abandon de nos chants nationaux ; puis des vues nouvelles et lumineuses touchant l'économie politique, les améliorations matérielles, les avantages des souscriptions volontaires ; de sages conseils sur le véritable honneur et la fausse gloire ; une appréciation juste des emplois publics, des associations et des suffrages des électeurs Bayeusains sous le rapport de leur influence sur la vigueur de l'âme ; des aphorismes philosophiques , etc., etc.
    
Informé qu'une réunion particulière était projetée pour le lendemain, où l’illustre candidat devait répondre à toutes les questions qui lui seraient soumises, l'auteur a voulu contribuer à l'édification de l'auditoire et à l'utilité de la séance par une amplification grave, sérieuse et raisonnée, digne en un mot de la mémorable circonstance et (autant toutefois que la flectibilité de son talent pouvait le permettre), en harmonie avec l'éloquence brûlante et l'irrésistible logique qui caractérisent au plus haut degré la circulaire de l'honorable savant. Tel a été le but de l'improvisation originale que mous livrons au public.

Cette oeuvre vraiment piquante par son mérite d'à-propos et la nouveauté de sa forme ne devait cependant pas sortir du cercle auquel elle fut destinée ; mais (que l'auteur nous le pardonne en faveur des intentions qui nous ont dirigés), nous en avons résolu la publication afin de propager et de conserver, comme il doit l'être, c'est-à-dire environné de tout son éclat et de toute sa gloire, le souvenir ineffable, mirifique et désopilant de l'incroyable et pyramidale candidature qu'elle a si brillamment et si heureusement appuyée.
   
Et pour rendre à chacun ce qui lui est dû nous dirons que nous sommes redevables aux indiscrétions d'un ami de l'auteur, des détails que nous donnons au public.
   
Les éditeurs responsables,
AMPHIGOURI et CHARABIA,
Professeurs d'épithètes charivariques et cocasses, et membres de l'athénée d'Asnelles.


~*~


DISCOURS
ÉLECTORAL
AU SAVANT ET HONORABLE M. DUJOURDAIN,
Avocat, membre de l'Association Normande, ancien élève de l'école polytechnique...

Et mon ami.


Souvent un beau désordre est un effet de l'art.
MASSILLON, fils.




Toi qui, dans un discours étonnant d'éloquence,
Viens de stigmatiser l'absurde inconséquence
Du cumul des emplois, cet abus éhonté,
Régnant effrontément devant l'égalité ;
Qui, défenseur puissant du mérite modeste,
Réclame avec chaleur la part que lui conteste
Et lui ravit sans cesse à nos publics honneurs
L'envahissant essaim d'ambitieux trôneurs
Pour qui nos droits communs semblent un apanage ;
Qui, dans un mâle élan que rehausse ton âge,
Et qui réveille en nous des souvenirs touchants,
Demande avec douleur si nos sublimes chants
Ont déjà fatigué l'oreille populaire ;
O modeste savant, notre étoile polaire !
Vertueux citoyen, trop long-temps méconnu,
Le jour de ton triomphe à la fin est venu !
Tous tes voeux sont les voeux des âmes patriotes :
En lisant ton discours tous tes compatriotes
Emus d'un noble orgueil répètent avec toi :
« Sous un Roi citoyen tout Citoyen est Roi. »
Règne donc à ton tour, citoyen magnanime !
Que l'humilité cède au transport qui t'anime ;
Dans la publique arène ose porter tes pas,
Nos acclamations ne te manqueront pas.

Mais avant tout permets qu'usant du privilège
Que sur tout candidat exerce le collège,
Je t'interroge au nom du corps électoral
Sur la solution du problème social.

Le problème social ! grand mot qui m'épouvante !
Grand mot qui tourmenta la phalange savante
Depuis que de Dracon les sanguinaires lois
Ouvrirent à César les portes des Gaulois,
Jusqu'à ce temps fameux où, moderne Carthage,
L'Angleterre, aux Normands rendant leur héritage,
Etendit son pouvoir sur les deux Océans
Et place Léopold parmi les d'Orléans.
L'as-tu bien médité cet immense problème ?
Quel est ton pavillon ; quel sera ton emblème ?
Que demande le Peuple ? As-tu dans ton essor
Rêvé quelque moyen pour adoucir son sort ?
As-tu, dans tes loisirs, visitant sa cabane
Comme fit autrefois le marquis de Chabane,
Quand, aidant les projets d'un puissant potentat,
Il formulait les droits du premier tiers-état (1) ;
As-tu jamais, dis-moi, pénétré sa misère !!
Depuis les flots brumeux que promène l'Isère,
Jusqu'aux bords de l'Indus aimés des Moïkans,
Partout le peuple souffre..., et partout des Balkans
Etouffent en naissant ses efforts légitimes...
Ces Balkans sont les lois ; et leurs tristes victimes
Tournent en vain les yeux vers les législateurs.
Le peuple t'aura-t-il parmi ses protecteurs ?
Artisan timoré d'un progrès de tortue,
Porteras-tu tes pas dans la route battue ?
On bien, réformateur de Jean-Jacques nourri,
Oserais-tu saisir le monde à priori ?
Voila sur quels objets j'appelle tes pensées.
Des peuples sont éteints, des gloires sont passées
Depuis que Genséric des bord du Thermodon
Proposa ce problème aux Osages du Don.
Le roi David lui-même, à l'esprit prophétique,
Excita vainement sa verve hypothétique :
Son esprit confondu devant mille projets
Le laissa tout entier pesant sur ses sujets.
Après lui sont venus tous les rois Machabées,
Qui régnaient en ces lieux où de blancs Scarabées
Eblouissant les yeux sur le citise en fleurs
Semblaient du firmament refléter les couleurs ;
D'autres ont succédé dans cette oeuvre insoluble :
Solon, Socrate et vous qu'un noeud indissoluble
Unit, vous cher Castor, vous malheureux Pollux !
Aucun n'a prononcé le fameux fiat lux.
C'est qu'il est des secrets que la science humaine
Ne saurait embrasser dans son étroit domaine !
Et le fils de Dieu dut, sous un aspect mondain
En déchirer le voile au sage DU JOURDAIN (2).
Le Christ, durant trente ans d'une lente agonie,
En écrasant l'erreur sous son divin génie,
Sema, germes féconds de toute liberté,
La Charité, l'Amour avec l'Égalité.
Mais bientôt méprisant la sainte parabole
De farouches tyrans frappèrent le symbole ;
La Charité rougit, l'Amour se renvola ;
L'Egalité sans droits chez les morts s'exila.
Et c'en fut fait alors des trois Vertus publiques ;
Il ne nous en resta que de froides reliques
Que n'ont pu réchauffer Barnave ni Danton,
Mirabeau, Frayssinous (3), Condorcet, Wasington.
L'oeuvre entière est à toi, que ton coeur la devine !
Ramène parmi nous la trinité divine ;
Qu'elle rentre à ta voix dans son humain séjour ;
Pour rappeler ses soeurs fais renaître l'Amour.
L'Amour ! à ce doux nom ton âme se dilate ;
Mais comprime ce feu qui dans ton oeil éclate.
L'Amour n'est point ici ce sublime poison
Qui s'infiltre en nos coeurs dans la jeune saison,
Divinise pour nous, ô charme de la vie !
Une femme bientôt à nos voeux asservie,
Dont le tendre retour en comblant nos désirs
Régénère le monde aux sources des plaisirs !!
Ce n'est point ce tyran qui torture les âmes,
Allume dans les coeurs ses dévorantes flammes,
Vide sur les humains la coupe des malheurs !...
Ah ! qui ne gémirait en voyant vos douleurs,
O vous que subjugua sa noire tyrannie !
Héloïse, Abeilard, Lucrèce, Lavinie,
Thésée, Agamemnon, Hercule, Ménélas
Que ta femme trahit sous l'arbre de Pallas
Quand le pâtre toscan, que chanta Tite-Live,
Aux Romains courroucés venait porter l'olive ;
Et vous sombres Baskirs, funèbres Icoglans
Que n'ont pu préserver vos fétiches sanglans,
Alors que l'univers décrivant son élipse
Eblouit les regards de Jean l'Apocalypse
Et sur votre horizon vint ramener Vénus
Pauvres infortunés qu'êtes vous devenus ?.....
Mais pardonne à l'écart où la pitié m'entraîne,
Car la pitié sur moi domine en souveraine.
Je retourne vers toi. Cette vierge des cieux
Dont l'homme attend encor le retour gracieux,
C'est l'amour du prochain, passion généreuse,
Que chanta d'Ossian la muse vaporeuse,
Et qui, sous le grand NOS courbant le froid EGO,
Nous fait donner la main aux frères du Congo,
De l'Atlas, de l'Ukraine où coule la Floride,
De l'Océan indien que son sol trop aride
Dessèche sous les pieds d'un peuple de roseaux
Dont les monts Hybléens ont envahi les eaux.
Il faut qu'aux doux accents de ta philosophie,
Comme aux chants d'Amphion s'émut Philadelphie,
L'amour d'autrui pénètre, échauffe tous les coeurs.
C'est alors qu'enchaîné sous tes drapeaux vainqueurs
Le despotisme éteint par l'astre évangélique
Verra régner enfin l'Égalité publique.
Pour ton coeur généreux quel instant fortuné !!!

Mais à ce résultat si ton mandat borné
Ne devait sur le peuple, en attendant cette ère,
Répandre les bienfaits que ton grand caractère
Pourrait seul arracher aux ministériels,
Ne le convoite pas. Des soins matériels
Assiègent nos foyers. Des confins de la Vire,
Au fertile limon, jusques au val de Vire,
Le pays offre un champ à d'utiles travaux.
Les as-tu mieux jugés que n'ont fait tes rivaux ?
Comment as-tu compris ce bassin incurable
Qui doit, dans l'équinoxe, aux carènes d'érable
Offrir un sûr abri contre les aquilons ?
Lui feras-tu franchir la crête des vallons
Que la Souci rapace abreuve de ses ondes ?
Ou bien, en dégageant tes lumineuses sondes,
Reprenant le projet de Foissac-de-Latour,
Sauras-tu l'arrondir par un heureux détour,
Et, traversant Huppain, rasant Sainte-Honorine,
Porter au pont Fâtu notre plage marine ?
Quel prodige inouï, si jamais à Maisons
L'Aure roule une flotte au château de Besons !!!
C'est ce plan que naguère, en parcourant la plaine,
Rappelait à Bertrand l'homme de Sainte-Hélène.
L'Aurette, tu le sais, serpente à Formigny ;
Peux-tu porter ses eaux jusqu'au port d'Isigny ?
Ce port plein d'avenir, aux fertiles rivages,
Languit sur ses trésors à défaut d'arrivages.
Se peut-il qu'ensablé sous des joncs corrosifs,
Il borne son commerce aux moules des rescifs ?
Hâte-toi, le temps presse, il te met en demeure ;
Prète-lui ton secours si tu veux qu'il ne meure.
Le remède est aisé. Porte devers Grandcamp
Un déversoir pareil au chenal de Fécamp ;
Canalise la Vire où gît Saint-Germain-d'Elle
Et rends-lui le tribut que Taute attire d'Elle ;
Creuse un autre canal aux rives de Russy,
Qui d'un bras onduleux rejoigne Aure et Soucy.
Alors, ô jours dorés qu'avait prédits Morogues ! (4)
Tu verras s'élancer de légères pirogues,
Visitant tour-à-tour nos agréables bords,
De nos trésors communs pleines jusqu'aux sabords,
Ainsi qu'un bataillon joyeusement défile,
Abandonner la mer et voler à la file,
Echangeant le carreau contre le beurre frais,
Le varech pour la tanque et l'argent pour le grès,
Enrichissant le Vey des proluits d'Arromanche
Et de ses bras jaloux les porter dans la Manche.
Ainsi nouveau Pactole, où son onde s'endort,
L'Aure dans ses canaux roulera des flots d'or.
Voilà les grands destins que le temps nous prépare,
Que jamais de nos voeux le tien ne se sépare!
 
J'en conjure les cieux, Saint-Floxel, Saint-Ouen.
Sans l'insigne faveur que le Petit-Rouen
Puise dans les hasards d'un heureux voisinage,
Sans ton amour pour lui, sans ton haut patronage,
L'utile pont Trubert abrégeant leur chemin,
Saint-Ouen, Saint-Floxel se donneraient la main.
Les chevaux que Saint-Jean trop rudement étrille,
L'anguille de Fresnay dont tout Saint-Laurent grille,
Le maquereau si cher à nos belles Du Pont,
Quand, nourri dans les eaux de Graye ou de Crépon,
Il arrive tout frais, dans sa couleur brillante,
Avec son oeil de feu, sa tête frétillante ;
Tous pressent de leurs voeux sa prompte érection.
Cesse donc désormais ton opposition ;
Rends tes jeunes faveurs au quartier qui t'implore ;
Parle, agis, il est temps, et qu'au retour de Flore,
Avant que la gazelle ait chassé les autans,
Le pont Trubert s'élève avec ses cabestans.

Bien d'autres questions sont encor proposées.
D'abord que deviendront nos temples, nos musées,
Si du cloaque impur où s'abîme Sacy
Tu n'arrache au plus tôt Léonard de Vincy ?
Je ne saurais souffrir un absurde mélange.
Pourquoi mettre Fourier auprès de Michel-Ange ?
J'admire également leurs habiles pinceaux ;

Mais je hais Epicure et ses sales pourceaux.
Ce n'est pas qu'ils n'aient vu loin dans la perspective,
Tous avaient pressenti cette locomotive
Qui d'un vol de condor, de Paris à Calais,
Doit raser Jagellan sans changer de relais.
Fréron seul, concentré dans son humeur critique,
Rejeta loin de nous la vapeur prophétique (5) :
Selon lui la chaleur est aux astres roulants
Ce qu'est un froid de glace à tous les corps brûlants.
.Mais que t'importe à toi leur dispute biblique ?
Erige Saint-Sauveur en vaste basilique,
Où de tous nos trésors le dépôt respecté
Soit transmis sans encombre à la postérité.
Préside en tes loisirs à sa noble structure ;
Evite de Bowler... (6) la lourde architecture.
L'un veut une corniche, un autre un chapiteau ;
Toi, préfère l'ogive, et qu'un adroit marteau,
Dessinant les festons d'une altière volute,
Etonne les regards et termine la lutte.
Entoure d'oliviers ce noble monument ;
Que d'amoureux jasmins lui servent d'ornement.
Plus loin, dans des bosquets parsemés de jacinthe
Plante ces arbrissaux qui charment l'Aracinthe,
Et que du rossignol les chants mélodieux
De t’avoir pour élu rendent grâces aux Dieux.
Alors, oh ! crois-le bien, le monde qui progresse
Marchera librement vers la fin qui le presse ;
l'homme se dégageant d'un corps matériel,
S'approchera des cieux comme fit Uriel,
Quand inspirant Fourrier, sublime frénésie !
Il promit aux humains sa palingénésie (7).
Ne vois-tu pas déjà dans les plaines de l'air
L'homme affrontant la foudre et défiant l'éclair,
S'élancer soutenu sur ses ailes dorées,
Et planer sous l'azur des voûtes éthérées !
Ce jour un grand sabbat sera fait en enfer.
Les noirs démons, debout sur la table de fer,
Porteront la terreur aux quatre coins du monde ;
Et leur troupe sortant de leur repaire immonde,
En fera retentir ces bois de Saint-Dunstan
Qu'un pote de Rome a donnés à Satan.
Entends-tu ces clameurs, lugubres saturnales ?
C'est le long cri de deuil des hordes infernales,
Suprême et vain effort de l'enfer contristé :
Le Ciel a, dans son sein, reçu l'humanité.

Voilà, grand citoyen, voilà ta noble tâche ;
C'est ce que le collège à son pouvoir attache.
Il faut, en résumé, comme l'a dit Colot (8)
Que chacun ici-bas puisse trouver son lot ;
Que le bien s'agglomère ou qu'il se raréfie ;
Que l'homme avec lui-même enfin s'identifie ;
Que le pauvre, de pleurs n'arrosant plus son pain,
Marie aussi la tanque au varech de Huppain ;
Qu'effrayé des clameurs des marins de Madère,
Nul ne nous parle plus d'un simple embarcadère,
Où l'évêque d'Autun, dans un pieux transport,
Avait prié Balzac de lui creuser un port ;
Qu'enfin tout se détraque et que tout s'harmonise ;
Qu'à la fois tout finisse et que tout s'éternise.
C'est peu qu'en y rentrant tout sorte du chaos :
Il faut semer la ronce avec tes cacaos,
Arrondir carrément les cercles de la sphère
Et doubler le cap Horn dans le double hémisphère,
Comme autrefois Colomb parlant aux Espagnols :
« Non, leur dit-il, jamais l'amour des rossignols
N'a condensé le feu dont se nourrit la lave ;
Pourquoi donc pleurez-vous ? Tout homme est son esclave :
La marée en son cours est un reflux bonté.
Moi j'ai connu Voltaire et Corneille l'aîné.
Qui donc aurait souffert que sur mon bastingage
Jupiter en courroux, déployant son bagage,
Aux peuples de Cyrus ravit la liberté (9) ?... »

Ainsi qu'un papillon vole vers la clarté,
Permets qu'aux flots brillants de ta pure lumière
Je recherche le but de ma course première.
Conduit par ton génie en mille endroits divers,
Je me perdrais sans toi dans ce vaste univers.
Sans toi, peut-être errant sous les pins d'Ionie,
J'entendrais de Musard la sauvage harmonie ;
Ou bien, dans les déserts où régnait Gengiskan,
Naviguant sur l'Etna, brisé par sou volcan,
J'irais dans la contrée aux Tartares soumise,
Boire aux bords du Volga les eaux de la Tamise.
Mais, aidé du flambeau qui scintille à mes yeux,
Je me retrouve enfin électeur de Bayeux,
Et je demande au nom des volontés publiques
Que, sans détour aucun, tu parles, tu t'expliques
Sur le simple programme à tes yeux exposé.
Si le coeur d'un ami ne s'est point abusé,
Sûre de l'accomplir, ton âme tutélaire
Peut accepter ainsi le mandat populaire ;
Et Bayeux, éclairé par ton divin soleil,
Sera fier d'un élu qui n'a pas son pareil !!!
       

HILARION GALIMATHIAS,
Electeur, professeur de rhétorique, élève de M. Petit Jean, des plaideurs, et de l’incomparable M. Pantagruel, membre de plusieurs sociétés lumineuses et couronné par l'académie de Pontoise, célibataire et vacciné.


Notes :
(1) Les états de Blois. Tout le monde connaît le rôle que joua dans cette mémorable assemblée le marquis de Chabane, référendaire à la cour de comptes et grand chambellan de Claudion le Chevelu. Ce fut le Mirabeau de son temps.
(2) Je proteste d'avance contre toute plaisanterie qui serait faite à l'occasion de ce vers. Qu'on veuille bien croire qu'il n'a point été dans ma pensée de descendre à de misérables concetti dans un sujet aussi grave. Le lecteur sérieux et de bonne foi comprendra tout de suite que je veux parler de Saint-Jean-Baptiste, autrement dit le Baptiseur. Du reste voulût-on l'entendre différemment je maintiens l'épithète.
(3) Conférences sur l’immortalité de l'âme et les devoirs du chrétien. (Didot. Paris, 1686, page 777, 187 v.)
(4) II ne s'agit pas ici du pair Morogues, lequel n'a jamais rien prédit, mais bien de Jean Morogues, chancelier d'état au parlement de Strasbourg, qui suivit Pierre L'hermite en Palestine et qui passait pour inspiré. Il en est beaucoup question dans le Grand Albert et dans les tables d'Esope, traduites par Berryer.
(5)A l'apparition du fameux mémoire de l'immortel Simon de Caux sur la puissance de la vapeur, Fréron se déchaîna, se rua avec sa fougue accoutumée sur la nouvelle production ; et soit par timidité, soit par défaut de lumières, beaucoup de bons esprits entraînés par les absurdes paradoxes du critique, repoussèrent comme une folle rêverie comme le fruit d'une imagination en démence la plus importante des découvertes dont puisse s enorgueillir notre patrie. On sait que Simon de Caux jugé comme fou par ses contemporains à l'occasion de ce mémoire, paya de sa liberté, à l'exemple de Gallilée, l'inexcusable tort d'avoir trop tôt raison. C'est un grand crime en effet que d'avoir raison contre soit siècle !!
(6) Architecte qui vivait dans le même siècle que LE NÔTRE.
(7) Qui n'a lu les fantastiques et sublimes rêveries de Fourrier, le premier socialiste des temps modernes ? Qui ne s'est senti brûlant d'enthousiasme à la lecture de ce fameux Dytirambe sur le Massacre des Innocents, l'un des plus magnifiques chefs-d'oeuvre de la scène française et qui commence par ce beau vers : « Ecce bonum vinum. Will you dring ? - Y a man hoer. »
(8) Célèbre philosophe et homme d'état qui prêchait la loi agraire en soutenant le droit d'aînesse et la fondation des majorats (Voir le Moniteur de Janvier 1466).
(9) Ce discours de Colomb est l’un des chef-d'oeuvres de l'éloquence Espagnole. Le nautique orateur, formé à l'école Pantagruélique, y porte au plus haut degré la puissance de la clarté, de la logique et de l'enchaînement des idées. On reste comme frappé d'étonnement à l'audition de ce morceau que la pauvreté de notre idiome laisse cependant bien au-dessous de l'original. On l'avait réservé comme dernier trait pour porter une conviction indubitable dans l'esprit de l'honorable candidat.


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