LAHAYE, Victor
(18..-1936) : La Statuaire décorative de la cathédrale de Lisieux.- Lisieux : Imprimerie Emile Morière, 1926.-8 p. : ill. ; 26,5 cm.
Saisie du texte : O. Bogros pour la collection électronique de la Médiathèque André Malraux de Lisieux (09.VI.2016) [Ce texte n'ayant pas fait l'objet d'une seconde lecture contient immanquablement des fautes non corrigées]. Adresse : Médiathèque André Malraux, B.P. 27216, 14107 Lisieux cedex -Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01 Courriel : mediatheque@lintercom.fr, [Olivier Bogros] obogros@lintercom.fr http://www.bmlisieux.com/ Diffusion libre et gratuite (freeware) Texte établi sur l'exemplaire de la Médiathèque (Bm Lx : Norm 2176-1 br) . Version PDF LA STATUAIRE DECORATIVE DE LA CATHÉDRALE DE LISIEUX PAR M. V. LAHAYE Président honoraire de la Société Historique de Lisieux ~ * ~
La Cathédrale de Lisieux ne possédait qu'un très petit nombre de statues en pied et aujourd'hui elles ont totalement disparu. Il n'existe plus que quelques têtes sculptées disposées en cul-de-lampe et disséminées dans la Cathédrale. Il y a bien aussi les modillons qui ornent, à l'extérieur, les larmiers des murs de la nef, des croisillons et des trois premières travées du chœur, mais ils ne présentent pas de caractères spécifiques ; ce sont, pour la plupart, des caricatures ou des grotesques. Les quelques statues en pied qui existaient autrefois se trouvaient dans le grand portail. Il y avait « l'ymaige de Saint Pierre » très probablement sur le trumeau de la grande porte. Nous voyons, en effet, dans un compte de la Fabrique de la Cathédrale, du 12 septembre 1560 (1), qu'il fut payé « à Estienne, ymagier, pour avoir faict une main à l'ymaige sainct Pierre du portail de l’Eglise... iij s. » On y remarquait aussi les statues des quatre Evangélistes dont les têtes étaient celles de leurs attributs. Nous en avons le témoignage dans une lettre de dom Prosper Tessin, bénédictin de l'abbaye du Bec, à dom Bernard de Montfaucon, religieux de Saint-Germain-des-Prés, où il est dit : « Je me souviens d'avoir remarqué au portail de l'église cathédrale de Lisieux les quatre Evangélistes qui ont les têtes des quatre animaux sous la figure desquels on croit que l'Ecriture nous les désigne. Saint Jean, par exemple, a une tête d'aigle, etc. » (2). Cette figuration bizarre existait aussi dans un portail de Saint Taurin d'Evreux (3). Le bénédictin, normand Louis Le Monnier signale le fait en ces termes : « Au-dessous de plusieurs cintres ornez de beaucoup de figures est un Sauveur beaucoup plus grand que le naturel, assis qui donne la bénédiction d'une main et de la gauche tient une grande croix au haut d'un bâton, son auréole est comme une croix pattée ; ce Sauveur est accompagné de cette disposition :-: des quatre Evangélistes de grandeur humaine, assis, qui tiennent chacun un pupitre et qui regardent le Sauveur, mais ces quatre Evangélistes ont sur des corps humains des têtes, le premier, d'un homme, le second a la tête d'aigle, le troisième d'un lion et le quatrième d'un bœuf. Il se pourrait bien qu'à Lisieux les quatre Evangélistes fussent de même dans le tympan, car il n'y eut probablement jamais de statues de chaque côté de la grande porte ; l'état de lieux dressé le 26 février 1784 laisse supposer en effet qu'il n'y avait que des colonnettes comme dans les petits portails adjacents. « Nous avons remarqué, dit l'architecte diocésain de 1784, qu'il manque au grand portail huit colonnes de pierre avec leurs bases, dont quatre de sept pouces de diamètre sur huit pieds de haut, non compris les chapiteaux » (4). Sur les contreforts de la grande façade, il y a douze niches inoccupées qui logeaient autrefois des statues sur lesquelles nous n'avons pas de renseignements. A l'intérieur de la Cathédrale, aucune statue en pied ne faisait partie intégrante de l'édifice (5). Mais il y avait vingt-trois têtes sculptées dont quatre ont été complètement enlevées, tandis que les autres sont demeurées presque intactes. De chaque côté de l'arrière de la grande porte, à la retombée des premiers arcs doubleaux, on voit les traces de deux têtes qui ont été abattues. Ce qui reste de leurs attaches paraît démontrer qu'elles avaient quelque caractère, mais on n'en peut dire rien de plus. La grande arcade qui met en communication le porche avec la nef et qui supporte la tribune du grand orgue, est ornée d'une archivolte composée de rinceaux feuillages, avec volutes centrées de baies de mûrier. Aux origines de cette archivolte se trouvent deux têtes couronnées qui font saillie complète. Elles sont traitées avec beaucoup d'art et elles sont dignes d'un examen minutieux. Elles sont faites pour être vues d'en bas, sous un angle de 45°.
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* * L'une, du côté Nord, représente un homme assez jeune, à la barbe naissante et peu fournie. Le menton est petit, les lèvres sont minces, le nez un peu large à la base, les joues un peu creuses et les pommettes un peu proéminentes ; les yeux sont grands et saillants, les arcades sourcilières accentuées ; le front, un peu bas, est ombragé par quelques mèches de cheveux ondulés et écourtés. Comme dans la statuaire antique, la prunelle des yeux n'est pas dessinée e c'est une lacune dans l'expression. Cependant, on sent en ce visage un tempérament lymphatique, des traits amollis ou fatigués par de précoces excès. La couronne comporte un bandeau surmonté de quatre fleurons : un en avant, un à droite et un à gauche ; le quatrième n'est pas figuré, car il serait noyé dans la pierre d'où saillit cette tête. Deux de ces fleurons ont été brisés, mais leurs racines subsistent. Le bandeau n'a pas d'ornements. Le cou est entouré par la partie supérieure d'un manteau qui se ferme latéralement, sur le côté droit. Les deux bords de l'ouverture du manteau sont rapprochés et adossés par leur face interne et ils forment ainsi un double bourrelet superficiel. Ils sont maintenus en cette situation par une cordelette ui, fixée par l'une de ses extrémités à l'un des bords du manteau, passe ensuite par un trou pratiqué à travers le double bourrelet, et se termine à son autre extrémité par une petite cheville transversale. C'est bien là une disposition usitée au XII° siècle. Nous en trouvons une semblable au col de l'aube attribuée à saint Thomas de Cantorbéry, conservée à l'hospice de Lisieux (6).
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* * L'autre tête, celle du Sud, est celle d'une femme mieux en formes, au développement achevé. Le visage, en ovale un peu long, est sans rides. Les cheveux sont partagés en deux bandeaux égaux qui, partant du sommet du front, contournent gracieusement la tête pour se reporter en arrière des épaules et se perdre dans la pierre qui sert d'attache. Le front est haut, les joues sont fermes et pleines. Les yeux sont d'un beau modelé avec des paupières finement arquées ; le nez est long sans être trop proéminent ; les lèvres sont minces, le menton est petit. Là aussi, la prunelle des yeux n'est pas figurée, et la beauté du regard ou les reflets de l'âme ne sont pas traduits ; la sculpture ne dispose pas de toutes les ressources de la peinture. Néanmoins, en contemplant attentivement cette tête, on acquiert l'impression que le modèle était une femme de grande taille, élégante et vigoureuse. La couronne comporte, comme la précédente, un bandeau et quatre fleurons assez bien conservés. Des cabochons et des pierres précieuses figurent sur le bandeau. Le cou est aussi entouré par la partie supérieure d'un manteau. Mais ici, le manteau se ferme sur la partie antérieure de la gorge, sur la ligne médiane, et il y est maintenu par une riche agrafe en forme de disque et au bord orné de perles juxtaposées.
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* * Il est visible que ce ne sont pas des attitudes ni des passions de l'âme que l'artiste a voulu représenter en ces têtes. Ce sont des portraits qu'il a voulu faire. Mais de qui peuvent donc être ces portraits ? Assurément, ce sont de grands personnages contemporains de la reconstruction de la Cathédrale. Or, parmi les personnages importants de l'époque, il y en a deux qui parurent solennellement dans notre basilique : Henri II Plantagenet et Aliénor d'Aquitaine. Leur mariage y fut célébré le 18 mai 1152. Henri Plantagenet avait 19 ans, et Aliénor d'Aquitaine, 30 ans !... Deux ans après, ils devenaient souverains du royaume d'Angleterre. L'évêque de Lisieux, Arnoult, assista à leur sacre dans l'abbaye de Westminster, et il resta en très bons rapports avec eux jusqu'en 1173. C'était un diplomate habile et avisé ; comme tel, il rendit de grands services à Henri II. Nul doute qu'en récompense il n'obtint de larges subsides pour les constructions qu'il entreprenait, d'autant mieux que Henri et Aliénor étaient naturellement portés à encourager les artistes de leur temps et à faire bénéficier de leurs largesses les évêques et les abbés (7). On sait que ces deux personnages contribuèrent grandement à la reconstruction de la cathédrale de Poitiers, et que, pour perpétuer le souvenir de cette générosité, leur image fut placée dans le grand vitrail de la Crucifixion, qui orne encore aujourd'hui le chevet de cette cathédrale. Cette manière d'assurer la pérennité du souvenir par le vitrail a été fréquemment employée. En nous bornant à des exemples locaux, nous citerons le portrait d'Adhémar Robert qui se trouvait dans un vitrail de l'ancienne chapelle Saint-Aignan, celui de Thomas Bazin, visible dans les vitraux de Caudebec, les portraits en pied du seigneur de la Reue et de sa femme dans un vitrail de l'église Saint-Jacques, très bien conservé, et qu'on peut voir dans une haute fenêtre du chœur, côté nord. Il vient à l'esprit qu'Arnoult, pour témoigner, sa reconnaissance envers ses généreux donateurs, pourrait bien avoir mis leur image à une place d'honneur, à l'entrée de sa nouvelle Cathédrale. Il se serait alors servi de la pierre pour les représenter : le vitrail imagé étant à son époque rare et imparfait. C'est ainsi que nous arrivons à penser qu'il y a lieu de voir en ces deux têtes les traits de Henri II Plantagenet et d'Aliénor d'Aquitaine.
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* * Pour appuyer cette interprétation, il faudrait des éléments de comparaison authentiques et bien définis. Il y a les images du vitrail de Poitiers, mais elles sont petites et les visages se réduisent à quelques traits sans caractères particuliers. Il y a aussi les statues tombales de Henri II et d'Aliénor à Fontevrault, mais elles sont passablement postérieures aux décès des titulaires ; les personnages sont idéalisés selon l'esprit du XIIIe siècle, c'est-à-dire qu'ils apparaissent fictivement à 33 ans, l'âge du Christ ; ce ne sont pas des portraits véridiques. Il y a encore les pièces de monnaie à l'effigie de Henri II Plantagenet, mais elles sont trop imparfaites, trop grossières, et le visage, qui est représenté de face est trop vague. Cependant, si notre hypothèse ne peut être contrôlée, cela ne nous empêche pas de la maintenir, car elle est vraisemblable et rien rie la contredit. Le chapiteau principal qui soutient la grande arcade au voisinage de la tête de reine est remarquable par les petites têtes qui émergent des feuilles de chêne acanthées appliquées sur la corbeille. Ces petites têtes sont disposées sur deux rangs : trois près du bord supérieur et deux sur la partie moyenne. Elles sont nues. Le corps qui les supporte est enveloppé dans une tunique dont on ne voit que la partie supérieure, franchement échancrée et fendue sur le milieu de la poitrine. On voit même sur l'une de ces tuniques la trace d'un cordon destiné probablement à supporter une médaille ou une croix pectorale. Elles représentent des jeunes personnages au visage imberbe, enfants ou adolescents. Les extrêmes du rang supérieur se ressemblent ; les cheveux sont courts et bouclés sur le devant de la tête, mais longs en arrière. Les deux du rang inférieur sont également semblables entre elles ; les cheveux sont longs et divisés en deux bandeaux rejetés en arrière du cou. La tête du milieu supérieur figure un âge un peu plus avancé que les autres. L'idée de l'artiste aurait-elle été de représenter sur ce chapiteau les enfants d'Aliénor, dont les naissances se succédèrent rapidement après le mariage des parents ? Ces jeunes personnages, aux environs de 1170, c'est-à-dire à l'époque de la construction de cette partie de l'édifice, pouvaient former un ensemble s'accordant avec les représentations du chapiteau. Cette hypothèse est séduisante, mais nous convenons qu'elle est trop hardie parce que trop faiblement étayée.
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* * Immédiatement au-dessus des arcades situées entre le rez-de-chaussée des tours et les collatéraux, du côté de ces collatéraux, on peut remarquer quatre têtes en haut relief disposées en cul-de-lampe à la retombée des premiers arcs ogives des petites voûtes, deux du côté nord et deux du côté sud. Les extrêmes, c'est-à-dire, celle qui est tout à fait au nord dans le bas côté nord, et celle qui est tout à fait au sud dans le bas côté sud, ne sont que des grotesques sans autre caractère. Mais il n'en est pas de même des deux autres. Celle qui est adossée au gros pilier de la tour nord représente un évêque coiffé de la mitre du XIIe siècle, aux cornes latérales. Cependant les sommets de la mitre ne sont pas visibles, ils sont rejetés en arrière et ils disparaissent dans la pierre. Deux petites mèches de cheveux ombragent le milieu du front qui est large et ridé horizontalement. Les yeux, très ouverts, sont ronds et proéminents ; les arcades sourcilières très accentuées. Le nez est très long, les narines dilatées. Les joues sont longues et fermes quoique amaigries. Les lèvres sont minces, l'inférieure est faiblement retroussée. Le menton est rond et court. La barbe est clairsemée, longue et soyeuse ; elle se divise au menton en deux pointes divergentes. Tout l'ensemble révèle un personnage robuste de 50 à 60 ans, ayant conscience de sa dignité et de ses talents, calme d'aspect, mais, au fond, homme d'action et d'habileté, à la fois tenace et persuasif, imposant et séduisant. Ce que l'on sait sur Arnoult concorde avec ces caractères et contribue à nous faire penser que nous avons ici le portrait du grand constructeur de notre cathédrale. Mais encore, l'emplacement de cette tête ne serait-il point significatif ? Elle regarde la porte donnant accès dans la Cathédrale, en partant de l'ancien palais épiscopal, bâti aussi par Arnoult. Il en résulterait qu'Arnoult, en pénétrant dans son église, voyait avec satisfaction sa propre image au haut de ses regards, et que ses successeurs, en effectuant le même trajet, pouvaient se remémorer le vénérable bâtisseur.
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* * L'autre tête placée au commencement du collatéral sud, symétriquement à celle que nous venons d'étudier, est d'aspect tout différent. Elle est nue, sans aucun attribut. Les cheveux sont courts et distribués en petites mèches sur le sommet, tandis que quelques-unes s'avancent sur le front qui est bas, mais large. Les yeux sont fendus obliquement en convergeant vers la racine du nez. La distance entre les yeux et la bouche est grande ; il s'ensuit que le nez est long et que les joues sont plates et allongées. Les lèvres sont minces, la bouche et le menton sont petits. Une barbe légère et clairsemée encadre le visage. Le cou se perd dans la partie supérieure d'une tunique dont on ne voit que les plis cervicaux. Cette tête reflète l'intelligence, la distinction, le sens artistique ; en la contemplant on se figure aisément qu'elle représente un artiste du moyen-âge. Serait-ce là l'architecte du monument, le maître de l'Œuvre ?... Ne voit-on pas sur le tombeau des cardinaux d'Amboise, dans la cathédrale de Rouen, le portrait de l'auteur, sculpté à l'un des angles, en guise de signature ? A l'autre extrémité des collatéraux de la nef, mais seulement dans les coins extrêmes, à la retombée des arcs ogives, sont encore deux têtes disposées en cul-de-lampe. Celle du nord est un grotesque animé d'un gros rire. Celle du sud est amaigrie ; le front est cependant bien développé, mais la partie inférieure du visage se termine en pointe, joues creuses, bouche étroite, menton aminci ; barbe effilée. Serait-ce la représentation d'un maître maçon ? Dans le collatéral sud, le chapiteau qui reçoit la branche sud du doubleau situé entre la quatrième et la cinquième travée, contient une petite tête assez bien traitée, mais dans laquelle nous ne pouvons distinguer aucun caractère spécifique. Dans la dernière travée du triforium de la nef, du côté sud, le chapiteau ennuyé contre le pilier de la tour centrale contient aussi une petite tête, mais elle est grossièrement travaillée et elle ne présente pas d'intérêt.
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* * Dans la croisée du transept, sur les piliers qui portent la tour lanterne, on distingue du côté occidental, remplace ment de deux têtes qui soutenaient, mi-hauteur des piliers, les colonnes qui reçoivent la retombée des arcs ogives, au commencement des voûtes des croisillons. Ont-elles été brisées au XVIIe siècle, alors que l'on badigeonnait de chaux les murs de la cathédrale et que l'on traitait de barbare le style gothique, pourtant si grand, si beau, si religieux ? Ou bien ont-elles été arrachées à la Révolution, quand on a placé au haut de la nef une haute cloison destinée à servir de fond pour l'estrade et les décors de la déesse Raison ? Ou encore ont-elles été abattues lorsque les révolutionnaires ont pillé la cathédrale et saccagé les tombeaux ?... Nous ne savons et nous ignorons comment étaient ces têtes. Élevons nos regards jusqu'aux grands ares brisés qui soutiennent la tour centrale entre les chapiteaux qui terminent les longues colonnettes des piliers, mais seulement vers l'Orient, nous rencontrons deux têtes décoratives placées en cul-de-lampe sous les colonnettes d'angle qui montent jusqu'aux hautes voûtes de la lanterne. Il semble que ce sont deux têtes de chanoines. Elles représentent des attitudes plutôt que des portraits. L'une, celle qui est du côté nord, est un peu penchée et elle regarde attentivement du côté de l'autel. L'autre, celle du côté sud, est, accompagnée des deux mains du personnage. La main gauche est portée en arrière de l'oreille pour en renfoncer le pavillon ; la droite vient appuyer le côté droit du menton. Cette tête paraît écouter avec avidité ce qui se passe dans le sanctuaire. Enfin, portons nos regards encore plus haut, mais à l'extrémité du croisillon nord. A la retombée des deux branches de l'archivolte qui surmonte la plus haute fenêtre, nous apercevons à l'aide d'une lorgnette, deux têtes ornées de la couronne royale, analogues à celles que nous avons déjà observées sous le grand orgue. A l'orient, c'est une tête de roi ; à l'occident, une tête de reine. Le roi porte une couronne à huit fleurons, dont la plupart ont été brisés. Le bandeau, assez étroit, offre le simulacre de quelques pierres précieuses. Les cheveux sont longs, divisés en deux parties partant du sommet de la tête et retournant derrière les oreilles. Les arcades sourcilières sont faiblement accentuées. Les yeux sont petits, mais grands ouverts ; le nez est droit et peu proéminent ; les joues sont rebondies. La bouche est petite et les lèvres sont minces. La barbe est' épaisse sous le nez et sur la mâchoire inférieure. Le cou sort de la partie supérieure d'un manteau qui s'ouvre sur le devant de la poitrine. Le regard est droit et fixe, mais terne. C'est, en somme, un homme d'une cinquantaine d'années alourdi par l'embonpoint. La reine est plus jeune et plus élégante. Elle porte une couronne à simple bandeau, sans pierreries, surmontée de huit fleurons dont les racines s'allongent en divergeant pour se' souder deux à deux. Les cheveux sont longs et rejetés en arrière des oreilles. Le front est petit Les yeux sont ronds, grandement ouverts avec des paupières étroites et relevées. Les joues sont rebondies, le nez a été brisée ; la bouche est étroite, les lèvres sont épaisses et retroussées ; le menton est rond et petit. Le cou est bien dégagé, à sa base on voit la partie supérieure d'un manteau qui s'ouvre sur le milieu de la gorge. Cette tête est rondelette et bien campé sur les épaules. C'est celle d’une femme de petite ou de moyenne taille en voie d'embonpoint. Cette femme, au regard hautain, affecte un air de gravité et de majesté un peu forcé ; elle est heureuse et fière de posséder la dignité royale. Ces deux têtes sont d'une époque légèrement postérieure à celle des têtes situées sous le grand orgue. Le modelé est plus souple, les détails sont plus finement traités. Et leur époque correspond bien à celle de l'emplacement qu'elles occupent, c'est-à-dire aux dernières années de l'épiscopat d'Arnoult. Mais, que peuvent-elles représenter ? L'évêque Arnoult, habile et entreprenant, était en bons rapports, non seulement avec les souverains d'Angleterre, mais aussi avec le roi et la reine de France : Louis VII et Alice de Champagne. Il lui fallait beaucoup de subsides pour ses grands travaux. Nous ne savons pas bien comment il se les procura. Après avoir reçu, selon toute probabilité, les largesses de Henri Il et d'Aliénor, aurait-il sollicité celles de Louis VII et d'Alice, avec un succès qui l'aurait engagé à en perpétuer le souvenir, par l'apposition de l'image.de ses nouveaux bienfaiteurs, au sommet de son œuvre ?... Aurions-nous là les portraits du père et de la mère de Philippe-Auguste ? C'est possible !
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* * La cathédrale de Lisieux ne possède rien d’autre en statuaire décorative faisant partie intégrante du monument. Cette statuaire ne se distingue ni par le nombre, ni par la variété. Cependant, nous avons pensé qu'elle n'était pas sans intérêt et qu'il y avait lieu de la faire sortir de l'indifférence ou de l'oubli dans lesquels elle était laissée. Notre petite étude contient beaucoup d'hypothèses et d'incertitudes ; nous savons bien qu'elle ne satisfera pas les érudits qui veulent des précisions appuyées sur des arguments irréfutables. A ceux-là nous demandons d'entreprendre ou de susciter des recherches plus profondes et plus généralisées sur ces effigies, souvent énigmatiques, dispersées dans nos cathédrales, en des endroits singuliers et inaccessibles : ils savent que ce su jet est presque inexploré. NOTES : (1) Abel Doynard : Comptes 1559-1560. Archives du Calvados. (2) Lettre du 18 juillet 1729. Revue bénédictine, année 1911, p. 200. (3) Lettre de Fr. Louis Le Monnier à Montfaucon, 24 septembre 1729, Bibliothèque Nationale. Ms fr. 17, 709. F° 174. (4) Procès-verbal des Domaines de l'Evêché de Lisieux 1784, pièce appartenant à la Bibliothèque de Lisieux. (5) Cependant, la niche qui existe dans la chapelle Notre-Dame, entre deux fenêtres du côté nord, et qui est vide depuis un temps immémorial, devait abriter autrefois une statue de la Sainte Vierge. (6) Un dessin de cette tête, inexact et incomplet, est reproduit dans l'ouvrage de M. l'abbé Hardy : La Cathédrale Saint-Pierre de Lisieux. (7) Il nous souvient d'avoir vu en 1882, en Vendée, à Nieulle-sur-l'Authise, deux crosses de grand modèle, en or massif avec émaux de Limoges, d'un prix inestimable. Elles avaient été exhumées des tombeaux des abbés, par le numismate vendéen, Benjamin Fillion, quelque dix ans auparavant. Ces crosses étaient des dons royaux faits par Aliénor aux abbés de ces temps-là. Photos - Boutey
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