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Le Théâtre de Lisieux : 1895-1988 : Histoire et Rénovation (1988)
Le Théâtre de Lisieux : 1895 - 1988 : Histoire et Rénovation.- Lisieux : Mairie de Lisieux, 1988.- 20 p. : ill. en noir et en coul., couv. ill. en coul. ; 30 cm.
Numérisation du texte : O. Bogros pour la collection électronique de la Médiathèque André Malraux de Lisieux (18.IV.2008)
Relecture : Raymond Raveaux (12.01.09)
Adresse : Médiathèque André Malraux, B.P. 27216, 14107 Lisieux cedex
-Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01
Courriel : mediatheque@ville-lisieux.fr, [Olivier Bogros] obogros@ville-lisieux.fr
http://www.bmlisieux.com/

Ce texte ne relève pas du domaine public et ne peut être reproduit sans l'autorisation de l'auteur.
Orthographe et graphie conservées.
Texte établi sur l'exemplaire de la médiathèque.

Le Théâtre de Lisieux
1895 - 1988
Histoire et Rénovation
~ * ~

Page de couverture de la brochure
1895 - 1988

En 1895 était mis en service le Théâtre Municipal de Lisieux. De nombreuses générations d'artistes lexoviens ou nationaux ont animé les soirées jusqu'en 1967, année où il dut être fermé pour cause d'insécurité. Certains avaient pensé le détruire pour une extension de la Mairie. Notre ville ayant été sinistrée, j'ai pensé qu'il fallait réhabiliter tout le patrimoine restant qui le méritait.

Après l'Hôtel du Haut Doyenné, devenu notre Ecole Nationale de Musique, j'ai proposé au Conseil Municipal la réhabilitation et la modernisation de notre théâtre si cher aux Lexoviens qui l'ont fréquenté pendant leurs jeunes années.

Après son inscription à l'Inventaire Supplémentaire des Monuments Historiques en 1985, les organismes suivants ont joint leurs efforts financiers ou techniques à ceux de la ville : le Conseil Régional de Basse-Normandie, le Conseil Général du Calvados, l'Etat par la Direction Régionale des Affaires Culturelles et ses grands services, la Direction du Théâtre, la Direction de la Musique et de la Danse, la Direction du Patrimoine.

A tous, mon très cordial merci.

Nous allons pouvoir accueillir à nouveau les artistes du théâtre, de la musique, du music-hall, des orchestres symphoniques ou de chambre. Nous savons que nos concitoyens attendent impatiemment la renaissance d'une vie culturelle et artistique à Lisieux. Les soirées organisées depuis deux ans à l'Auditorium de l'Ecole de Musique nous ont permis d'apprécier de très grands concerts avec des interprètes de renommée internationale. Le cadre prestigieux de notre beau théâtre sera le lieu idéal pour accueillir tous les artistes que notre Directeur a contactés pour charmer et envoûter les amis des spectacles.

Longue vie au Théâtre Municipal de Lisieux !

A.E. BAUGÉ,
 Maire de Lisieux,
Conseiller Régional

Plan de situation Plan RdeC + 1er étage après restauration
Un Théâtre à Lisieux ! Depuis des années, le manque de lieux de spectacle se faisait sentir, associations et service culturel de la ville s'épuisaient à vouloir transformer des lieux inadaptés (églises, préaux d'école, gymnases...) en lieux de spectacle.

Dans son édition du 16 Février 1978, l'Eveil de Lisieux relançait le débat en titrant en première page : "il faut sauver l'ancien théâtre et déplacer la Mairie... " ; alors, chacun s'exprima. Pétitions, réunions, colloques, déclarations en tout genre s'en suivirent. Mais, pourquoi ne pas le dire, souvent, le débat se polarisa sur la démolition ou la restauration du théâtre de la rue au Char.

En 1983, la Municipalité proposa aux Lexoviens de restaurer ce dernier. Dès lors, réunions, études et projets se succédèrent pour arriver à ce jour du 9 Décembre 1988.

Souhaitons que ce lieu devienne un point de rencontre, de création et d'échange pour notre cité. Si le bâtiment semble terminé, ne nous y trompons pas, l'essentiel reste à construire ; vous qui avez tant voulu ce théâtre, vous devez aujourd'hui le faire vivre. Prenez-en possession, l'équipe qui vous accueille ne peut rien sans vous.

Réfléchissons ensemble à la vie de ce nouvel espace, inventons de nouvelles structures de concertations qui nous permettent à tous de l'aider à grandir et à se faire connaître au-delà de notre cité.

Et vous, élus, responsables administratifs d'ici et d'ailleurs, qui franchissez cette porte, n'oubliez pas de revenir et surtout n'oubliez pas qu'un lieu de spectacle n'est jamais achevé et qu'il vous faudra, chaque année, vous en souvenir. Faites vôtre cette phrase de Jacques Rigaud : " Ne consacrons pas à la culture ce qui reste quand tout a été dépensé ". Oui, le 9 Décembre 1988 ne doit être qu'une étape pour la vie culturelle de notre cité.

Merci à tous ceux qui ont contribué à cette ouverture et en particulier aux associations lexoviennes.

D.J. FRAQUET
Maire-Adjoint
Chargé des Affaires Culturelles

Facade du théâtre avant restauration Intérieur du théâtre vers 1895-1900
L'histoire du théâtre

Coup de théâtre au Conseil Municipal de Lisieux, lors de sa réunion du 24 Octobre 1891. Depuis 18 mois, tout avait été mis en ceuvre, sous la haute autorité du Maire de l'époque Théodule Peulevey, pour choisir un emplacement pour le nouveau théâtre de la ville de Lisieux et le projet proposé au vote des conseillers municipaux est balayé sous la pression de 75 électeurs signataires d'une motion de protestation qui a recueilli par ailleurs l'approbation de 1.400 personnes.

Le 24 Août 1889, une commission avait été nommée pour étudier l'emplacement d'un théâtre à Lisieux. Fort sérieusement dirigé par Lesquier, conseiller municipal, elle se rend à Alençon, Laval, Saint-Brieuc, Mayenne et Fougères pour se rendre compte des avantages et des inconvénients de chacune des salles de spectacles de ces villes. Elle trouve que celle de Fougères est celle qui pourrait le mieux convenir à Lisieux. Mais il reste à déterminer l'emplacement.

Pendant 10 mois, la commission passe Lisieux au peigne fin et étudie la Halle au blé, la place des Boucheries, la rue d'Alençon, le boulevard Sainte-Anne, le Jardin Public et la place Le Hennuyer, qui correspond le plus à ses projets.

Lesquier défend l'emplacement du théâtre place Le Hennuyer contre les premiers opposants, où il a dénombré, à demi-horrifié, " un certain nombre de dames devançant probablement la loi électorale de l'avenir qui n'ont pas craint d'apposer leur signature sur la liste des protestataires électeurs de Lisieux ". Il emporte la décision de ses collègues du Conseil Municipal le 4 juin 1890 et le théâtre de Lisieux sera construit sur la place Le Hennuyer. Le programme, proposé à l'architecte de la ville, Lucas, est de refaire une salle semblable à celle de Fougères jugée comme étant " un coquet théâtre ". Les places seront toutefois plus nombreuses (780 au lieu de 648) et les dégagements plus importants. La façade (une rotonde) sera en pierre de taille, les murs latéraux en moellons de Mézidon et en briques rouges et blanches. L'ouverture de la scène sera de 6,70 m. Tous les aménagements nécessaires sont prévus pour y donner toute espèce de spectacle : réunion, conférence, concert, banquet, bal. Le montant des dépenses s'élève à 220.223 F. Le projet est adopté en Conseil Municipal le 15 Avril 1891.

Les protestations s'amplifient. Un conseiller municipal du nom de Leroy le condamne tant du point de vue des finances (trop cher) que sur celui des travaux publics (il n'est pas normal d'aliéner une partie du domaine public pour construire un théâtre) ou sur celui de l'hygiène (bâtiment trop haut et trop important pour le quartier), ainsi que sur celui du parti républicain qui ne peut, au nom de ses valeurs, aller à l'encontre des règles d'hygiène, d'urbanisme et de bonne gestion municipale qu'il s'est lui même imposé.

En Octobre 1891, le mouvement de protestations atteint son paroxysme et Théodule Peulevey, Maire et Lesquier, Rapporteur de la Commission du Théâtre, constatent l'opposition générale à leur projet. Lors du Conseil Municipal du 24 Octobre, il est annulé et Théodule Peulevey propose, pour répondre au plus vite à la demande des Lexoviens, de restaurer la salle des concerts située à côté de l'Hôtel de Ville. La dépense est estimée à 80.000 F. Mais il est entendu pour tous que la restauration de la salle des concerts ne saurait remettre en question l'édification d'un véritable théâtre. Elle sera un lieu provisoire de réunion et de distraction destiné, en attendant la construction d'un théâtre, à donner une prompte satisfaction aux voeux légitimes de la population. L'architecte chargé de la rénovation est Lucas, l'architecte de la ville qui avait produit les plans pour la salle de la place Le Hennuyer. Les plans et devis sont acceptés lors de la séance du Conseil Municipal du 24 Décembre 1891. Mais déjà, il ne s'agit plus de rénovation. Lucas parle de reconstruction, car la salle de concert est totalement pourrie. Le projet est d'avoir en même temps une salle des fêtes, une salle de réunions et une salle de concerts.

Les plans sont étudiés à Caen et à Paris où les administrations concernées dévient insensiblement le projet et le Conseil Municipal de Lisieux le comprend lors de sa réunion du 27 Mars 1894 : la salle des concerts rénovée sera en fait le théâtre de la ville de Lisieux. Dans une lettre qui met le feu aux poudres, l'architecte Lucas explique que les dépenses sont passées de 88.000 F à 135.000 F car, à la demande des administrations parisiennes, la façade sur la rue au Char est changée, les loges sont augmentées (on achète même un terrain pour éviter que le bâtiment des loges ne viennent heurter la façade arrière de la Mairie). L'architecte constate que, malgré les améliorations apportées, la salle de concerts considérablement agrandie est sans luxe aucun : pas de lustre, trois décors au lieu de six (à peine mieux que ceux de l'Alcazar voisin) et un chauffage réduit. Il propose d'améliorer le luxe de la salle de concerts pour faire de cette dernière le théâtre définitif de Lisieux conçu sous la forme d'un théâtre à l'italienne. Le Conseil, mis au pied du mur, accuse le Maire Théodule Peulevey de ne pas l'avoir entretenu du changement de finalité des travaux, et de l'augmentation des dépenses. Mais il vote quand même les travaux et les dépenses qu'il jugeait somptuaires quelques instants plus tôt : les vitraux, la sculpture extérieure, le chauffage et le lustre central.

Coupe de la salle de concerts (projet 1892), corrigée par l'administration parisienne de l'époque

En Novembre 1894, Henri Chéron remplace Théodule Peulevey comme Maire de Lisieux. Il inaugurera le théâtre les 16 et 17 Février 1895.

En Mars 1895, un règlement est publié. 622 places sont disponibles : 347 au parterre, et le reste à 1a galerie et à l'amphithéâtre. Quelques sièges sont réservés : deux loges pour le Sous-Préfet et les membres de l'administration municipale, des stalles pour les pompiers, les agents d'assurance. Les femmes publiques reconnues comme telles ne sont pas admises. Pendant les mois qui suivent, on améliore le théâtre. On achète des housses pour recouvrir les fauteuils et la rampe du balcon et un décor de salon. En Mars 1896, on constate que le théâtre construit avait coûté 142.864,20 F pour une première estimation de 88.000 F. L'inauguration avait eu lieu les 16 et 17 Février 1895. Le premier jour, les acteurs, venus de Caen, interprétèrent l'Étincelle de Pailleron et Les Cloches de Corneville. Le deuxième jour, un dimanche, les mêmes acteurs, venus de Caen, donnèrent Le fils de Coralie, pièce d'Albert Delpit et Les Vivacités du Capitaine Tic, comédie d'Eugène Labiche et Eugène Martin. Un velum (1) réunissait les salons de l'Hôtel de Ville, éclairés à giorno (2) par Plantefort, cirier à Lisieux et le théâtre où, par deux fois, la Musique Municipale joua La Marseillaise et l'hymne impérial russe sous la direction de son chef Germain.

Quelques bons esprits sourirent à la vue de Monsieur le Maire, Henri Chéron et de ses deux adjoints, Louis Doisnard et Théodule Grison, arrivés au théâtre la poitrine " traversée par de superbes écharpes tricolores à demi-cachées par le gilet de l'habit " dans un coupé de maître attelé d'un cheval blanc. Cet apparat semble avoir laissé de marbre la salle qui, frigorifiée par le manque de chauffage, fut insensible aux charmes des pièces données. Malgré tous ces inconvénients, les compliments allaient à l'architecte Lucas et à ses collaborateurs, notamment le sculpteur Patou de Lisieux (sculpture extérieure et décoration intérieure en " carton pierre ") et l'entrepreneur Diosse (décors scéniques et décoration intérieure de la salle).

Les comptes rendus des journalistes notent que la fête de l'inauguration n'a pas été accompagnée de l'entrain, de la joie et de la gaieté attendus. Mais, de mois en mois, le théâtre-salle de concerts de Lisieux semble avoir conquis son public. On y joua Mignon, Mam'zelle Carabin, l'Avare, le Malade Imaginaire (par Talbot, de la Comédie Française), l'Engrenage (tournée de Charles Baret), Lucie de Lammermoor (opéra de Donizetti), le Luthier de Crémone (comédie de François Coppée), Madame Sans-Gêne, la Boîte à Bibi et les Patins de Madame.

La saison était lancée et d'année en année, les spectacles animèrent la salle de concerts-théâtre jusqu'au moment où, le 13 juillet 1967, le Maire de l'époque, Robert Bisson, interdisait l'utilisation de la salle : les planchers étaient pourris. Dès lors et, pendant vingt ans, la salle s'enfonça dans la nuit des bâtiments abandonnés : dégradations lentes mais sûres, vols du mobilier. Les chats seuls l'habitaient avec quelques oiseaux.

A partir de 1985, date de la première demande de subvention à l'État (Direction du Théâtre, Direction de la Musique, Monuments Historiques, Direction Régionale des Affaires Culturelles), à la Région et au Département, l'histoire recommençait et le théâtre allait renaître de ses cendres et revivre sous son lustre retrouvé et au milieu de son décor rénové et redoré.

Jean BERGERET
Conservateur des Musées
Directeur du Service Culturel

(1) Grande pièce de tissu qui joue le rôle de plafond ou que l'on utilise pour abriter un lieu.
(2) Éclairé a giorno, comme par la lumière du jour.


Plafond et ancienne loge après rénovation Corniche au-dessus du cadre de scène après rénovation

Un théâtre à l'italienne

La structure du théâtre à l'italienne est celle qui nous est la plus familière. Elle est l'aboutissement logique d'une ligne d'architecture théâtrale remontant à l'Antiquité. Les vastes amphithéâtres grecs ou romains pouvaient contenir jusqu'à 15.000 personnes. Tout le monde voyait et entendait, mais d'un peu loin. Après quelques transitions et un changement radical dans le répertoire, le Moyen-Age apporte le jeu sur estrade. Les spectateurs sont moins nombreux, souvent debout, devant le parvis des églises ou sur les places. Les représentations pouvaient durer des jours entiers. La Renaissance renoue avec l'amphithéâtre et le conjugue à la scène élisabéthaine. Un espace scénique à tout faire (portes, fenêtres et galeries sont en dur) est entouré d'un hémicycle à étages. Une toiture recouvre le tout. A l'évidence, nous sommes dans un théâtre.

Peu après 1637, le Traité sur les machines de Théâtre de Niccolo Sabbattini arrête les règles de la salle à l'italienne. Des progrès et des variations suivront jusqu'à nos jours, mais les principes demeurent que nous retrouvons dans la salle centenaire de la rue au Char à Lisieux.

Sécurité d'abord. Les théâtres étaient des lieux à haut risque d'incendie. Les bâtiments sont désormais isolés des habitations qui les entourent pour devenir pâté de maisons à part entière d'où le feu ne peut, se propager. On va même jusqu'à bâtir les salles sur des cours d'eau souterrains comme l'Opéra de Paris. Les pompiers gagnaient ainsi de précieuses minutes dans leur intervention. Visibilité ensuite. On tente de rapprocher les spectateurs de la scène en les étageant. Malheureusement le principe se pervertit (cloisonnement des loges, hiérarchie sociale elle aussi étagée, places aveugles) et il faut revenir aux balcons simples, Opéra Bastille... ou Théâtre de Lisieux.

La cage de scène, de son côté, suit lemouvement ou plutôt le pousse. Autant le romancier peut changer le lieu de son récit en tournant une page, autant le théâtre devient lourd dans ses changements de décor. L'époque n'est plus où Shakespeare pouvait faire dire à un comédien : " Nous sommes maintenant en France ", le temps pour lui de traverser le plateau. Le public veut du vrai, la cage de scène va le combler. Grosso modo le volume que peut avoir le spectateur est doublé, hors de sa vue, en dessous, cintres et dégagements. A une toile peinte de telles dimensions correspond, en attente de l'acte suivant, une autre toile pendue au cintre. De même, sitôt le rideau baissé, ce décor de forêt va s'enfoncer dans les dessous tandis que monteront les colonnes d'un palais. Si ce changement se fait à vue le public applaudit aussitôt. Pour les côtés, même manoeuvre de dégagements, car manoeuvre est le mot. Cette cage de scène devient un assemblage complexe de tambours, contrepoids, passerelles volantes, trappes et fils de toute épaisseur. C'est tout naturellement qu'elle emprunte à la marine la tradition d'un vocabulaire bien précis (tribord = cour ; bâbord = jardin) ainsi que son personnel, agissant au sifflet, les premiers cintriers étant d'anciens marins.

Au final un rapport scène-salle nouveau, clef de voûte de la salle à l'italienne. Il résout les problèmes d'acoustique, de perspective, de sécurité, de machinerie tout en séparant 1a scène de la salle. Ce n'est que lorsque le rideau se lève que public et comédiens ne font qu'un. Ce sera le cas à Lisieux, n'en doutons pas.

Cette salle reprend toutes les caractéristiques énoncées à l'instant et, malgré les dimensions (1) modestes de son plateau, on pourra y travailler. A cet égard la salle du Château de Chambord où fut créé, en 1670, Le Bourgeois Gentilhomme, comédie-ballet employant force comédiens, danseurs et musiciens, est surprenante d'étroitesse. A Paris même (Hôtel de Bourgogne, Hôtel du Marais) Molière jouait Corneille et ses propres pièces dans un espace de 7 mètres sur 6. Et encore, quelques privilégiés stationnaient-ils sur le plateau, de chaque côté de l'aire du jeu, bien en vue des autres spectateurs ! Enfin, il n'est pas inutile de signaler à ceux que la petite jauge de fauteuils pourrait inquiéter (ne parlons pas ici de rentabilité) qu'une récente enquête du Ministère de la Culture et de la Commission fait ressortir qu'en majorité les spectateurs de théâtre préfèrent les salles de 400 places...

Ainsi un outil renaît, ouvert à tous y compris aux enfants des classes maternelles. Un architecte et des bureaux d'études l'ont poussé jusqu'au bout du possible : confort, technique, beauté. Près de trente entreprises, locales ou spécialistes, ont oeuvré dix-huit mois à sa rénovation. Qu'elles soient ici remerciées sans pouvoir être citées toutes. Salut spécial aux électriciens cependant, leurs 12.000 mètres de câbles et fils divers courent partout dans cette salle conduisant un fluide invisible. C'est déjà du théâtre.

Dominique RAULET
Directeur du Théâtre

(1) Ouverture au cadre de scène : 6,5 m ; hauteur au cadre : 6 m ; largeur mur à mur : 13 m ; profondeur au rideau de fer : 8 m (+ un proscénium) ; 12 m sous cintres ; deux dessous ; une fosse d'orchestre recouvrable.

Disposition générale de la cage de scène


Le théâtre de Lisieux :
une architecture rationaliste en Normandie

Il faut bien le reconnaître : l'architecture du théâtre de Lisieux, élevé entre 1894 et 1895, n'a jamais inspiré un grand intérêt. La façade n'est guère ornementée, la simple alternance de briques sombres et claires sur l'ensemble des parois ne rappelle guère les accumulations d'éléments éclectiques dont la plupart des lieux de spectacle de la seconde moitié du XIXe siècle semblent avoir été toujours parés. Du reste, lorsque le projet initial du théâtre fut présenté, comme cela était la règle, devant la Commission Départementale des Bâtiments Civils, celle-ci ne manqua pas de lui reprocher une trop grande modestie. L'architecte Charles Lucas dut agrandir les plans, donner une richesse plus grande à la façade. En somme, le théâtre de Lisieux paraît bien n'avoir été qu'un édifice de peu d'envergure.

Il convient d'y regarder de plus près. Un examen attentif des différentes élévations comme des rapports établis entre les volumes extérieurs et intérieurs montre, à l'évidence, une recherche d'effets fort subtils. Ainsi, la façade principale, à deux étages, s'articule clairement autour d'une large travée centrale que surmonte un fronton triangulaire. Exécutée dans la pierre, cette travée se détache avec netteté des ailes latérales édifiées, quant à elles, à l'aide de briques rouges et jaunes. Sans aucun doute, l'insistance sur l'élément central d'une façade demeurait traditionnelle. Mais à Lisieux, une telle démarche permet aussi de faire comprendre d'un coup les dispositions intérieures : travée centrale et éléments latéraux correspondent logiquement à la salle bondée, de part et d'autre, de couloirs de circulation. Cette volontaire lisibilité des structures intérieures à l'aide d'une composition des extérieurs se retrouve dans toutes les parties du théâtre. Aux murs latéraux, à l'aide de décrochements accentués et avec les jeux différents d'ouvertures en plein-cintre, c'est la succession entre le foyer et la salle de spectacle qui est soulignée (cf. ci-dessous). Plus évident encore, le surhaussement important du mur placé au départ de l'espace scénique indique avec force la frontière où commence cette essentielle et nécessaire partie.

Elevation Nord

On comprend mieux, dès lors, qu'il n'y ait point eu de grande profusion de décor au théâtre de Lisieux. Il fallait éviter que soient masqués les volontaires enchaînements entre " les membres" déterminants de l'édifice. Car pouvait ainsi apparaître une architecture rationnelle, exprimant avant tout les diverses articulations que sa fonction sous-entendait. On connaît malheureusement peu de chose à propos de Charles Lucas, cet architecte lexovien responsable de la construction du théâtre. Mais son souci de se tourner vers les exemples de l'architecture rationaliste d'un Labrouste et, en certain sens, d'un Viollet-le-Duc est assez remarquable. Car dans la plupart des théâtres édifiés à partir de 1870, c'est d'abord le souci du décor, des grandes façades-écran qui compta. Certes, le fameux exemple de l'Opéra de Paris dut porter quelques fruits pour Lucas puisque Garnier eut bien le souci, également, de mettre en évidence les multiples structures du gigantesque bâtiment. Cependant la richesse du décor veut compenser, en quelque sorte, le jeu rationnel des volumes. A Lisieux, Lucas refusa d'accorder une place importante aux éléments décoratifs. Même dans les aménagements intérieurs, ce que l'on retient n'est pas la beauté d'un plafond peint ou la finesse d'une sculpture, mais la ligne essentielle donnée par la courbe du grand balcon ou les montées verticales des légères colonnes de métal.

Sans doute, dans une ville où se dressait toujours une cathédrale du premier art gothique - liée d'abord à la rigoureuse élévation de piles monumentales contre-butées par de massifs arcs-boutants - les principes de la raison se devaient encore de triompher. Mais la fin du XIXe siècle n'était tout de même pas une période évidente pour refuser un art ostentatoire, même modeste, dans un lieu de spectacle. Lucas innova donc quelque peu. Il y eut bien une vraie pensée architecturale pour le théâtre de Lisieux.

Denis LAVALLE
Inspecteur des Monuments Historiques

Cage de scène, loges fermées et 1er étage avant restauration

Les travaux de rénovation

La rénovation du théâtre de Lisieux a été étudiée en respectant les données essentielles du programme du concours établi par la Municipalité et en tenant compte de sa récente protection au titre des Monuments Historiques.

Une photographie prise avant l'inauguration et la mise en place ultérieure de la cloison séparant le Maire des " électeurs " nous renseigne sur l'aspect originel de la salle : plafond peint, lustre, papier avec fleurs stylisées. Il variera peu pendant un demi-siècle, à l'exception du lustre, alimenté au gaz, qui sera remplacé par quelques ampoules électriques assez disgracieuses et du papier qui sera renouvelé par un décor simplifié. Cet état se perpétuera sans modifications importantes. En 1944, la destruction des cinémas lexoviens le Majestic et le Royal entraînera son utilisation en alternance ; une cabine de projection est aménagée tant bien que mal dans ce qui fut le foyer.

Le théâtre sert aussi, entre les séances de cinéma en fin de semaine, aux tournées Barret et Karsenty, aux Jeunesses Musicales de France (1), aux quelques conférences (Connaissance du Monde), aux troupes locales ou scolaires, et aux distributions de prix de fin d'année jusqu'en 1967, où il est fermé pour des raisons de sécurité.

Le Conseil Municipal me demanda en 1964 d'étudier trois options :

- La démolition et la reconstruction sur place d'un nouveau théâtre ; cette solution fut rejetée à cause de l'exiguïté du terrain et des difficultés d'accès.
- La démolition des planchers et balcons et l'aménagement d'un théâtre neuf en ne gardant que l'enveloppe des murs extérieurs. Les études démontrèrent que c'était une opération qui n'améliorerait pas d'une façon sensible les insuffisances de la première solution concernant le nombre de places qui passait de 493 à 620, ce qui, à l'époque, semblait insuffisant.
- La rénovation et la modernisation du théâtre ancien qui serait ainsi conservé dans la presque totalité de son gros oeuvre, en construisant toutefois une annexe sur le côté Sud, à l'emplacement du l'allée du Diable. Le nombre de places passait ainsi à 577. Le montant des travaux était estimé à 785.000 F. Cette solution fut abandonnée, les compagnies théâtrales prétendaient en effet qu'une rentabilité ne pouvait être assurée que pour une salle d'au moins 800 places.

Un théâtre neuf sur un autre terrain sembla, à partir de 1965, la solution à retenir ; à la demande de la Municipalité, plusieurs implantations furent étudiées : place de la République en face de l'école Jean-Macé, à Lisieux-Hauteville à la suite de la chaufferie centrale, place du marché aux bestiaux, après son transfert route de Paris, etc.

Toutes ces études échouèrent pour des raisons financières.

C'est alors qu'un revirement d'opinion commença à se dessiner pour la conservation et la rénovation du théâtre ancien. Le journal l'Eveil s'en fait l'écho le 16 Février 1978 en publiant et commentant une lettre de Jean Massot, animateur du club d'art dramatique Gambier, en date du 11 Avril 1977 intitulé " un plaidoyer pour l'ancien théâtre ".

L'intérêt présenté par ce petit théâtre à l'italienne rencontra des partisans de plus en plus nombreux ; un dossier de recensement fut établi en 1985, et tout récemment, le théâtre fut inscrit sur l'Inventaire Supplémentaire des Monuments Historiques pour ses façades et toitures et son décor intérieur.

C'est donc une importante opération de rénovation qui fut réalisée et financée par 1a Ville de Lisieux, la Région, le Département et l'Etat (Direction de la Musique et de la Danse, Direction du Patrimoine et Direction du Théâtre).

Le programme de travaux a comporté la réfection des toitures, le lavage, la restauration des façades qui a dégagé les maçonneries de briques et de pierre de leur gangue de saleté due à la pollution.

Ce théâtre accuse, dans ses volumes et dans son plan, les quatre fonctions essentielles qui le caractérisent : l'accueil du public, la salle, la scène et l'accueil des artistes.

Accueil du public

Les portes en menuiserie sur la rue au Char sont remplacées par des portes en glace ; un sas vitré isole le hall d'accueil du froid et du bruit. Le hall est agrandi visuellement par la transparence du sas vitré et par le volume des deux escaliers. Dans l'axe, on trouve la billetterie-contrôle. Un bar-fumoir est prévu en sous-sol ainsi que le vestiaire et les sanitaires réservés au public ; un sanitaire handicapés est accessible de l'extérieur dans le bâtiment des loges.

Le foyer du 1er étage est desservi par les deux escaliers ; le sol sera recouvert de moquette et les murs peints dans des tons chauds. La grande baie donnant sur la rue au Char et qui comportait à l'origine des vitraux sera débarrassée de ses remplissages " provisoires " en contreplaqué. La mise en place d'un vitrail contemporain a été confiée à Monsieur Mayel, Maître-Verrier à Honfleur ; un lustre complètera cet ensemble.

Les locaux de régie - son et lumière - sont situés au-dessus du foyer ; la visibilité sur la salle et la scène est assurée par une baie vitrée aménagée dans la corniche. Une circulation technique avec la scène est accessible depuis le palier desservant ces locaux.

La salle

Coupe longitudinale avant travaux Coupe longitudinale après travaux


La comparaison des deux coupes longitudinales permet de se rendre compte des transformations opérées dans le gros oeuvre : modification du profil des planchers du parterre et du balcon de façon à assurer aux spectateurs une meilleure visibilité.

Des reprises en sous-oeuvre importantes et délicates de l'ossature du balcon ont été réalisées pour permettre la suppression de colonnes en fonte intermédiaires gênant 1a visibilité des spectateurs, seules quatre colonnes, ne pouvant être supprimées, ont été conservées car elles sont indispensables pour reprendre les charges de la toiture et participent également à l'architecture et au parti décoratif de la salle. Malgré toutes ces sujétions, le nombre de spectateurs reste suffisant : 379 places (260 à l'orchestre et 119 au balcon).

La salle a conservé la presque totalité de son décor 1900 à l'exception du grand lustre démonté en 1925 au moment du remplacement du gaz par l'électricité et qui a, depuis, disparu. Une copie de cet élément indispensable pour recréer l'atmosphère lumineuse originelle a été mise en place, quatre appliques d'origine ont été restaurées.

Les opérations de rénovation du décor ont été limitées aux seuls impératifs du confort (remplacement des fauteuils), de l'éclairage et de la sécurité. Tous les autres éléments du décor : stucs, peinture des voussures et du balcon ont été conservés et restaurés. La toile peinte du plafond, le lambrequin, le rideau de scène et le revêtement mural ont été reconstitués à l'identique en raison de leur vétusté.

Une photographie ancienne prise au lendemain de l'inauguration a, dans cette volonté de reconstitution, facilité grandement notre tâche.

Intérieur après restauration

La scène

Les conceptions scénographiques contemporaines ont nécessité une profonde modernisation des équipements :

- une petite fosse d'orchestre a été créée en réservant la possibilité de remettre le plancher au niveau de la salle à l'aide d'un système manuel ;
- le gril a été rehaussé pour permettre la pose d'un rideau de fer ;
- l'aménagement de nouvelles passerelles techniques en porte à faux sur l'impasse Victor-Hugo a permis d'agrandir légèrement la scène.

Accueil des artistes

Le bâtiment des loges comporte l'ensemble des équipements demandés :

- au sous-sol : le transformateur E.D.F. ;
- au rez-de-chaussée : l'accueil, le magasin de décors et un sanitaire handicapés ;
- au ler étage : trois loges de deux personnes, une loge de huit personnes, un W.C. et des douches ;
- au 2e étage : une loge habilleuse, deux loges de deux personnes et une loge de huit personnes ;
- dans les combles : une salle de réunions-foyer pour les artistes et le vestiaire des techniciens.

Les travaux ont commencé le 3 Juin 1987 ; ils ont été terminés le 2 Décembre 1988 (2). L'aménagement des abords de la rue au Char et des jardins de la Mairie complètera la présentation de cet ensemble.

G. DUVAL
Architecte en Chef des M.H. et B.C.P.N.
(1) Je me souviens d'un remarquable concert avec Marie-Claire Alain.
(2) J'ai été aidé pour cette réalisation par le bureau d'études scénographiques B.E.T.E.C.S., l'Ingénieur béton Delforge et le B.E.T. Sogeti pour les fluides, la Municipalité étant conseillée par M. Underdown (ATELS) Scénographe.

Intérieur de la salle près de la scène. Etat avant travaux

Financement

DÉPENSES AIDES FINANCIÈRES VILLE
Montant des Travaux
abords et rémunération du  maître d'oeuvre compris
14.141.096
Subventions notifiées  Subventions demandées
Etat
- Direction Théâtre
- Direction Musique
- Monuments Histor.
1.940.700
132.000
295.700
350.000
40.264
Conseil Régional 2.230.000 150.000
Conseil Général 331.000 40.264
8.631.168
Mobilier 200.000 200.000

Total

14.341.096
 4.929.400 580.528    
5.509.928

8.831.168

    

La Saison 88/89

LE CHANT DE LA TERRE    
SOUVENIRS D'OPÉRAS
 Ensemble Instrumental de Basse-Normandie
DOUBLE MIX'T'E     
DAPHNIS ET CHLOÉ   
L'ILE DE TULIPATAN
Les Musicomédiens
JOE EGG     
EURYDICE DISPARUE
Compagnie Cré-Ange
ORCHESTRE SYMPHONIQUE DE LISIEUX     
LES DRAPS DU REVE    
EN ATTENDANT GODOT
Nouveau Théâtre d'Angers
INVENTAIRES
Compagnie des Ours
LE MALADE IMAGINAIRE
Théâtre des Chimères
LA MANIVELLE
ABEL ET BELA
Comédie Française
QUATUOR ENESCO
RENAUD FONTANAROSA
FRANÇOIS LE BOSSU
Château de Fable
LES SEPT MIRACLES DE JÉSUS
Henri Tisot
GÉMEAUX CROISES
Anne Sylvestre - Pauline Julien

Théâtre de Lisieux, rue au Char - Tél. 31.61.04.40
Renseignements-Réservations : Tél. 31.62.37.85



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