Quando Dominus circumdabat mari
terminum suum, et legem ponebat
aquis,
ne transirent fines
suos… Cum eo eram.
PR VIII, 29,30.
Lorsque le Seigneur
imposait des lois à la mer
afin que les eaux ne passassent pas leurs limites…
j’étais avec
lui.
AVANT PROPOS
En 1833 M. l’abbé Vastel, Chapelain de
Notre-Dame-de-Grâce publia une notice sur ce lieu de
pèlerinage. Le pieux et savant ecclésiastique
réunit tous les documents que purent lui fournir les
traditions locales, les archives de la province et le registre
manuscrit des R. R. PP. Capucins qui avaient desservi la Chapelle de
Notre-Dame-de-Grâce pendant cent soixante-neuf ans, de 1620
à 1789. Il y joignit et y entremêla le
récit des guérisons et des sauvetages miraculeux
dont les ex-voto de la Chapelle conservent le souvenir, et de
nombreuses dissertations sur le culte des saints, les indulgences, les
miracles et les pélerinages en
général. - M. l’abbé Vastel
vivait au milieu d’une génération
profondément ignorante des choses de la foi. Le
voltairianisme de 1830 poursuivait de ses ricanements
séniles les rares fidèles qui essayaient de
relever les ruines des églises : il applaudissait au sac de
l’Archevêché de Paris, arrachait ou
renversait les croix, et il eut volontiers contesté aux
chrétiens le droit d’invoquer la Sainte-Vierge,
s’il eut pu les détourner des voies de la
prière et tarir ainsi la source des miracles. -
Controversiste zélé, M.
l’abbé Vastel voulut que son opuscule fournit des
armes aux chrétiens intimidés, et
l’âme attristée du digne
prêtre ne put faire passer dans son écrit ces
sentiments d’invincible espérance qui remplissent
le coeur du pèlerin
lorsqu’arrivé aux pieds de
Notre-Dame-de-Grâce il domine les agitations du monde et des
flots et contemple l’ineffable sourire de la Mère
de Dieu. - Soldat perdu et troublé par les commotions
contemporaines, le chapelain de Grâce fut, il est vrai, le
gardien fidèle des traditions, mais il n’entrevit
pas et ne put prévoir le prochain triomphe de la cause
qu’il servait. Il n’eut pas le temps de
reconnaître que le sanctuaire à demi
délaissé qui l’abritait
était fondé sur le roc inébranlable de
la foi catholique, qu’il portait sur les assises des
traditions nationales et populaires, et que bientôt, en
présence du monde étonné des
audacieuses négations du naturalisme, la croyance au
surnaturel allait sortir comme Jonas, des profondeurs de
l’océan, et monter vers
l’Étoile de la mer, son épave
à la main, jetant à la face des savants et des
apostats l’écume impuissante et
l’amertume des flots.
On a donc pensé qu’il n’était
pas opportun de réimprimer telle quelle la notice de M.
l’abbé Vastel, et qu’il suffisait
d’en recueillir la partie historique, tout en
élaguant certains détails peu dignes
d’être conservés. Une esquisse de
l’histoire de Honfleur les a remplacés, et offrira
nécessairement plus d’intérêt
au lecteur que des relations de procès et des inventaires de
mobilier. Quant aux récits des grâces obtenues par
les marins et les pélerins et notés dans les
Annales de la Chapelle, ils ont été
respectueusement transcrits, mais placés dans un appendice,
afin que le nouvel opuscule pût à la fois
contenter la pieuse curiosité des fidèles, et ne
pas effrayer par ses dimensions les touristes et les lecteurs
pressés.
Il nous semble d’ailleurs que la dévotion des
serviteurs de Marie n’en est plus à se
défendre : elle s’affirme et se manifeste
hautement, et bien loin d’accéder aux conseils
d’une foi tiède et prudente, au lieu de se cacher
et de se taire, elle va comme l’aveugle de
Jéricho, «criant encore plus fort» et
publiant partout les louanges et la gloire de Dieu.
L’Archiconfrérie du Très-Saint et
Immaculée Coeur de Marie a
pénétré partout où
s’élève la Croix. La promulgation du
Dogme de l’Immaculée Conception a retenti par
toute la terre, mais les peuples avaient déjà
repris le chemin des pélerinages, et nos jeunes soldats, en
quittant leurs foyers, emportaient la médaille de
Notre-Dame-des-Victoires. Aussi la parole du Souverain Pontife a
réjoui la terre et tous les échos de la
chrétienté ont répondu par un
tressaillement joyeux à sa voix douce et paternelle. - Les
coeurs brisés, les âmes
éprouvées par les souffrances, se sont
tournés du côté du Ciel pour obtenir ce
que le génie et la science humaine ne pouvaient leur donner.
Celui qui écrit ces lignes n’a fait que suivre
cette mystérieuse impulsion. Après
qu’il eut été touché et
guéri par la main du Seigneur, un ami bien cher, un fils de
Saint-François d’Assise, témoin actif
de la grâce reçue, lui indiqua de loin le
sanctuaire et le beau pays où il était venu
lui-même l’année
précédente rétablir ses forces au
contact d’un air pur, et sur une plage saintement
abritée. Son conseil fut suivi : le convalescent aima ces
lieux bénis, ces souvenirs franciscains, cette paix et cette
immensité dont son ami lui avait décrit
l’ineffable beauté. Il revint
l’année suivante, il espère revenir
encore, mais cette fois il veut apporter dans ses mains raffermies
l’humble témoignage de sa reconnaissance.
Obscur pèlerin, il ne peut offrir à la Reine des
Anges, ni or, ni chefs-d’oeuvre. Il lui
présente ces pages comme un bouquet de fleurs agrestes
cueillies dans son domaine. Puissent-elles, avant de se
flétrir, répandre un doux parfum autour du
sanctuaire, s’effeuiller sur la voie qui y conduit, et,
lorsque le vent d’automne les aura dispersées,
Dieu veuille que de leur poussière renaissent
d’autres fleurs, plus brillantes et plus durables, et
qu’elles s’épanouissent aux pieds de
Notre-Dame-de-Grâce, immortels témoignages des
bienfaits accordés, et de la reconnaissance qui leur survit !
CLAUDIUS LAVERGNE.
~*~
CHAPITRE Ier
HONFLEUR
Tua autem,
pater, providentia gubernat ;
quoniam dedisti et in mari viam, et inter
fluctus semitam firmissimam.
SAP. XIV 3.
C’est votre providence,
ô père, qui le gouverne ;
car c’est vous qui avez ouvert
un chemin au travers
de la mer, et une route très
assurée au milieu des
flots.
Lorsque placé sur la jetée du Havre le voyageur
contemple les magnifiques perspectives qui
s’étendent devant lui, il est un point de la rive
opposée ou ses regards s’arrêtent et
reviennent toujours. A l’angle occidental de la baie
formée par l’embouchure de la Seine,
s’élève un promontoire
boisé. Au pied de cette falaise verdoyante brillent au
soleil les toits et les clochers d’une petite ville.
C’est Honfleur, c’est la Côte de
Grâce, c’est le port autrefois si animé
de la ville forte, premier boulevard de la Normandie. Ces noms
réveillent des souvenirs historiques. On sait que
Notre-Dame-de-Grâce est un lieu de pélerinage, un
site pittoresque et renommé. Aussi n’est-il pas de
touriste, chrétien ou non, qui consente à quitter
le Havre sans aller visiter Honfleur. - La traversée est
courte, et les flots agités qui combattent le courant du
fleuve et lui disputent l’entrée de
l’Océan, après avoir secoué
le navire à sa sortie du port, se calment tout à
coup, et semblent favoriser sa course rapide.
Bientôt le rivage approche. La vieille cité semble
sortir de la mer, et se dessine aux yeux ravis des passagers, sur le
fond d’une sombre verdure. Le phare, l’hospice aux
antiques murailles baignées par les flots, le vaste
orphelinat, les vieilles églises, la mâture des
navires, les maisons revêtues d’ardoises, les
vaisseaux en construction, la jetée couverte de femmes et
d’enfants attendant le retour des barques, tout cela
apparaît au pied de la colline. Au sommet, à
droite, s’élève un grand crucifix qui
semble bénir la mer, mais la Chapelle de
Notre-Dame-de-Grâce reste invisible, cachée sous
les arbres séculaires qui l’entourent.
A peine a-t-on mis le pied sur le quai de Honfleur, qu’un
petit édifice du XVIe siècle, la Lieutenance,
attire les regards par sa structure originale, ses tourelles en
encorbellement et la statue de la Sainte-Vierge placée
au-dessus de la porte et revêtue aux jours de fête
d’une robe de dentelle. Cette petite forteresse
située entre le vieux port et les nouveaux bassins, semble
en commander l’entrée. Heureusement elle ne
gêne pas le mouvement des navires et n’aura pas le
sort de la tour de François Ier, seul vestige ancien qui
ornât la ville du Havre, et qui maintenant a disparu.
Bâtie sur les fortifications de la porte de Caen, la
Lieutenance en s’appuyant sur ces vieilles murailles conserve
leurs derniers débris. Louis XIV avait ordonné la
démolition de l’enceinte fortifiée de
Honfleur, et les pierres de ses tours et de ses remparts ont servi
à construire les différents bassins que nous
voyons aujourd’hui.
Le port de Honfleur n’a plus son activité
d’autrefois, la vase l’envahit et les vaisseaux
d’un fort tonnage n’y peuvent plus entrer. Mais il
est encore l’entrepôt de la Normandie et
c’est là que les troupeaux et les fruits de ses
fertiles campagnes arrivent et s’entassent dans les flancs
des navires qui les emportent au Havre ou en Angleterre. A Honfleur
aussi, débarquent constamment les vaisseaux de
Norwège, et les bois qu’ils apportent sont mis en oeuvre
dans de vastes chantiers.
Les églises de Honfleur ne sont pas belles :
Sainte-Catherine surtout, construite en bois et toute vermoulue,
ressemble à la carène d’un vieux
vaisseau échoué. Saint-Léonard
paraît tout près de tomber en ruines et porte
encore la trace des balles calvinistes : mais ces vieilles
églises ne sont jamais désertes. Aux jours de
fête elles sont trop étroites, et leurs dalles
usées témoignent de la ferveur des bons
Honfleurais.
A part un bâtiment vulgaire situé entre
l’ancien et le nouveau port, espèce de coffre
à portes et fenêtres sur lequel est inscrit le mot
Mairie, le voyageur le moins expérimenté
reconnaît aussitôt, par le contraste même
de ce spécimen du style municipal moderne, avec le
caractère général de la ville de
Honfleur, qu’il a mis le pied sur un vieux territoire dont
les traditions et les souvenirs historiques sont à peine
voilés sous le manteau de ses ruines et les replis de ses
falaises. - Honfleur est situé tout auprès de
l’emplacement qu’occupait au temps de la
conquête Romaine, la ville de Portus-Iccius,
appelé aussi Portus-Niger, et où Jules
César s’embarqua pour la Grande-Bretagne.
Portus-Iccius fut ruiné par les Saxons et le terrain
même sur lequel s’élevait
l’ancienne cité Gallo-Romaine, au pied de la
Côte de Grâce, sous Vasouy, a disparu,
emporté par la mer. Cependant les vestiges de quatre voies
romaines, de nombreuses antiquités découvertes
aux environs de Honfleur et les traces d’un camp romain,
encore visibles sur la Côte de Grâce, confirment
sur ce point la tradition populaire et les écrits des
savants.
Au commencement du Vie siècle, Honfleur (Honna-Flew,
sous
le flot), existait déjà.
C’était une colonie saxonne qui l’avait
fondé. Il fut fortifié en 800 par
l’ordre de Charlemagne, afin de pouvoir résister
aux invasions normandes si fréquentes à cette
époque.
En 912, cette peuplade remuante et guerrière fut
régulièrement établie dans la
contrée même qu’elle avait tant de fois
ravagée. Un de ses chefs les plus redoutables, Rollon, ayant
été battu par les armes de Robert, Duc de France,
consentit à traiter avec le Roi, Charles-le-Simple. La
pensée politique qui inspira le traité de
Saint-Clair-sur-Epte fut d’arrêter les
déprédations des Normands par les Normands
eux-mêmes ; en leur octroyant la possession de la Neustrie.
Elle fut cédée à Rollon comme
Duché, avec les droits de vasselage que la couronne de
France pouvait prétendre sur la Bretagne. Devenu
chrétien, le nouveau Duc épousa la fille du Roi
de France, et fit bientôt de la Normandie un état
modèle et florissant. Il la distribua en comtés,
dont il donna l’investiture aux chefs qui l’avaient
suivi, fortifia les villes, protégea le commerce et
l’agriculture et établit des lois
sévères qui réprimèrent le
brigandage. On dit que Rollon fit suspendre ses bracelets
d’or pendant trois ans dans la forêt de Maromme
près de Rouen et que personne n’osa y toucher (1).
Les terres situées entre l’embouchure de la Risle
et celle de la Seine, n’avaient pas été
cédées à Rollon, mais il parvint
à se les faire octroyer et le canton de Honfleur fut joint
à son duché. Les premiers Seigneurs de Honfleur
dont le nom ait été conservé par
l’histoire, furent donc le Duc Rollon, son fils
Guillaume-Longue-Epée, de 927 à 942. Richard Ier
de 942 à 996, Richard II de 996 à 1026, Richard
III de 1026 à 1028, Robert-le-Magnifique, fondateur de la
Chapelle de Notre-Dame-de-Grâce, qui régna de 1028
à 1035, et enfin son fils,
Guillaume-le-Conquérant, qui joignit à sa
couronne ducale la souveraineté de l’Angleterre.
Lorsque Guillaume-le-Conquérant mourut à Rouen,
en 1087, ses courtisans s’enfuirent, abandonnant le corps du
Duc aux outrages des valets, qui après l’avoir
dépouillé le laissèrent nu sur le
plancher. Un seul chevalier resta fidèle au Duc
défunt : c’était son
beau-père, Herlewin de Conteville, à qui il avait
donné la Seigneurie de Honfleur. Il accourut au palais
désert et dévasté, et après
avoir à ses frais rendu les derniers honneurs à
la dépouille mortelle de son suzerain, il
s’embarqua sur la Seine et conduisit le cercueil royal
à Honfleur d’abord, et de là
à Caen.
Les Ducs de Normandie devenus Rois d’Angleterre,
n’en restèrent pas moins vassaux du Roi de France.
En 1203, après que le Roi d’Angleterre, Jean, eut
assassiné à Rouen son neveu Arthur,
héritier de la Normandie, les Pairs du Royaume
prononcèrent la confiscation de cette province.
Philippe-Auguste se mit aussitôt en campagne et tandis
qu’il reprenait une à une les places fortes de la
Normandie, le lâche Jean-sans-Terre habitait tour
à tour les châteaux qui environnent Honfleur, et
s’occupait à peupler de daims amenés
à grands frais du nord de l’Ecosse, les
forêts du beau duché qu’il allait
bientôt quitter pour toujours.
En 1204, Philippe-Auguste se présenta devant Honfleur, et la
ville lui ouvrit ses portes avec joie. Il la donna pour apanage
à Bertrand de Roncheville, chevalier tout
dévoué à la cause
Française.
Sous la domination paisible des Barons de Roncheville, Honfleur prit de
l’accroissement et devint une cité
commerçante et active, célèbre par la
hardiesse et l’intelligence de ses marins.
Cette prospérité fut anéantie en 1357.
La France était alors en guerre avec l’Angleterre,
un parti d’Anglais s’empara de Honfleur, pilla la
ville et s’y maintint trois années. « Et
moult fut le pays troublé de la prinse de Honnefleu, pour
l’empêchement de la rivière de Seine,
qui gouverne le royaume en sa plus noble et puissante partie ».
Les Anglais fortifiés dans Honfleur et se recrutant sans
cesse, commirent tant de brigandages que leur nom seul était
en horreur dans toute la contrée. Les malheureux Normands
disaient dans leurs prières : «Seigneur,
délivrez-nous des Anglais.» N’ayant pu
réussir à les chasser, on prit le parti
d’acheter leur départ : un subside fut
levé à cet effet dans les baillages de Rouen et
du pays de Caux, et les Anglais bien pourvus d’argent,
quittèrent enfin Honfleur, chargés des
malédictions de toute la province.
Sous Charles V, la ville se releva de ses ruines. Ce roi plus
prévoyant que ses prédécesseurs,
ordonna la construction de nouveaux remparts et nomma gouverneur de
Honfleur, un descendant de Charlemagne, l’illustre Amiral
Jean de Vienne. Une époque de gloire et de
prospérité commença alors pour la
ville. De nombreux navires furent rassemblés dans son port,
et Jean de Vienne dont le système consistait à
prendre l’offensive et à attaquer les Anglais chez
eux, dirigea plusieurs expéditions qui allèrent
ravager les plus belles provinces de l’ennemi et devint aussi
redoutable aux Anglais, que ceux-ci l’avaient
été aux Normands. L’illustre gouverneur
de Honfleur couronna sa noble carrière par la mort
d’un croisé. Il fut tué à
Nicopolis en 1396, et le lendemain de la défaite des
Français, le Sultan Bajazet parcourant le champ de bataille,
trouva le corps de l’amiral étendu sur un monceau
de cadavres musulmans, et serrant encore dans ses vaillantes mains
l’étendard de Notre-Dame.
En 1417, Honfleur assiégé par le Comte de
Salisbury, tomba de nouveau au pouvoir des Anglais, et
l’année suivante les ambassadeurs
Français et Anglais s’y réunirent pour
traiter des conditions de la paix, mais sans rien conclure. La
Normandie se soumit à Henri V ; quelques nobles
refusèrent de lui prêter serment de
fidélité et s’exilèrent.
Parmi eux fut Perrette de Roncheville, dame de Honfleur. Le Roi
d’Angleterre confisqua ses biens, et dans la distribution
qu’il fit à ses favoris des fiefs
enlevés aux seigneurs restés fidèles
à la France, il se réserva Honfleur.
De nombreuses révoltes eurent lieu contre les Anglais. Trois
ans après le jour où ils crurent avoir
étouffé dans les flammes du bûcher de
Jeanne d’Arc, la résistance et la haine des
Français, le maréchal de Rieux et sa petite
troupe de cent quatre braves, leur reprirent Harfleur - Dieppe et
Fécamp leur échappèrent de
même. Honfleur subit plus longtemps la domination Anglaise.
Henri VI avait pris cette ville en affection. Il y habita presque
constamment en 1443, 1444 et 1445. La douceur du climat de Honfleur, le
voisinage de la giboyeuse forêt de Touques, et par-dessus
tout le séjour du Roi, attirèrent à
Honfleur les plus puissants Barons de l’Angleterre. De beaux
hôtels furent construits, les églises
Saint-Léonard et Sainte-Catherine
s’élevèrent, mais l’or des
Anglais ne put faire oublier aux loyaux Honfleurais leur
nationalité, et lorsque Charles VII entreprit de
reconquérir la Normandie, ils
l’envoyèrent supplier de venir assiéger
leur ville. Le Comte de Dunois en prit possession au nom du Roi de
France le 17 janvier 1450, et, peu après, la reddition de
Caen amena l’entière et définitive
réunion de la Normandie au Royaume de France.
La propriété de Honfleur fut alors rendue au Sire
de La Roche-Guyon, fils de cette dame Perrette de Roncheville, qui
avait refusé de se soumettre au roi d’Angleterre.
Charles VII confia le gouvernement de la ville à un brave
chevalier Robert de Floque, les fortifications furent
séparées, et le nouveau gouverneur fit une
descente en Angleterre et revint à Honfleur, ramenant
plusieurs navires conquis sur les Anglais.
La fin du XVe siècle et le commencement du XVIe
siècle furent glorieux pour les marins de Honfleur. Ils se
signalèrent par de lointaines expéditions. Deux
de leurs capitaines, Binot-Paulmier et Jean Denis,
découvrirent l’un, les côtes
méridionales du Brésil, l’autre
l’île de Terre-Neuve, qui devint pour le commerce
de Honfleur une source de richesses. Les Honfleurais étaient
alors cités comme les premiers marins de France et ils
comptaient aussi parmi ses plus vaillants soldats, mais
déjà la vase envahissait leur port, et
François Ier élevait sous leurs yeux une
cité rivale, le Hâvre-de-Grâce et
préparait ainsi pour Honfleur l’ère de
la décadence.
Les guerres de religion ensanglantèrent la ville. Pris et
repris par les protestants et les catholiques, Honfleur fut
pillé et brûlé en partie. Les habitants
du faubourg Saint-Léonard, catholiques fervents, soutinrent
un siège dans leur église, et
résistèrent avec un courage admirable.
L’incendie put seul leur faire abandonner
l’église. Les calvinistes la
profanèrent et finirent par la faire sauter.
L’explosion détruisit trois cents maisons et fit
périr plusieurs habitants. Le chef protestant Saint-Nicol,
auteur de cette action infâme, s’enfuit et resta
impuni.
Les guerres de la Ligue vinrent ensuite, et l’histoire de
Honfleur n’offre pendant ce temps que le triste
récit de sièges, de pillages et
d’exactions de toute sorte. La ville tenait pour la Ligue.
Henri IV vint l’assiéger en personne. Elle
était défendue par Georges de Crillon,
frère de l’ami du Béarnais. Celui-ci
écrivait à son brave Crillon
« J’ai trouvé vostre frère en
cette place de Honnefleu, résolu, dit-il, de
s’opiniastrer contre l’exemple que vous lui
avés donné de meilleur conseil ; dont je suis
bien marry, pour avoir cogneu tant de valeur et d’affection
en vous, qu’il me veuille faire dommaige ny entendre quoique
ce soit, à mon très grand regret. Mais puisque
j’en suis si avant, j’espère que Dieu me
donnera aussi bonne issue de cette mienne entreprise, qu’il a
fait des autres, et que l’opiniastreté de vostre
frère n’apportera aucune mutation ne changement
à vostre affection accoutumée à mon
service, ny en la bonne volonté que j’ai toujours
eue, et que je veux continuer en vostre endroit quand
l’occasion se présentera de vous la faire
cognoistre par effet, priant sur ce Nostre Seigneur, vous avoir
Monsieur de Crillon, en sa sainte garde. (2) »
Henry.
L’opiniastreté
de Georges de Crillon ne put
tenir devant celle de Henri IV, et il se rendit après un
siège de huit jours, pendant lequel le roi avait cent fois
exposé sa vie. - Mais la ville ne resta pas longtemps au
pouvoir de Henri. Crillon la reprit, s’y fortifia, ayant avec
lui le curé de Trouville, qui de prêtre
s’était fait homme de guerre, et comme il
s’était emparé aussi du fort de
Tancarville, il commandait sur les deux rives de la Seine. Ses soldats
arrêtaient les navires, pillaient les campagnes et enlevaient
partout des prisonniers qu’ils ne relâchaient que
moyennant rançon. En vain l’abjuration de Henri IV
avait ôté tout prétexte à la
résistance, celle de Crillon se prolongea jusqu’en
1594. Une armée de dix mille hommes commandés par
le duc de Montpensier et le maréchal de Fervacques, vint
alors assiéger Honfleur. Crillon se défendit
énergiquement. Plus de sept mille coups de canon furent
tirés sur la ville. Enfin, pour la seconde et
dernière fois, Crillon capitula, et remit les clefs de la
ville aux chefs royalistes.
Il fallut plusieurs années pour effacer tant de
désastres. En 1603, les fortifications étant
réparées, Henri IV visite Honfleur. Il y fut
reçu avec de grands honneurs, et cette affection
qu’il savait si bien inspirer à ses nouveaux
sujets.
Pendant le XVIIe siècle, les essais de colonisation au
Canada, les armements pour Terre-Neuve, et la construction de nombreux
vaisseaux de guerre entretinrent l’activité du
port de Honfleur.
Jusqu’alors la ville avait conservé son aspect
féodal : ses tours et ses remparts la
protégeaient encore, mais fidèle à la
politique de Richelieu et de Mazarin, Louis XIV les fit abattre.
Duquesne vint à Honfleur et constata la
nécessité d’y creuser de nouveaux
bassins ; mais on ne donna pas suite à ces projets dont
l’exécution eut été
cependant pour la cité démantelée une
légitime compensation. La chûte de cette tour
carrée, bâtie par l’ordre de
Charlemagne, et sur laquelle avaient flotté les
étendards victorieux de Philippe-Auguste, de Charles VII et
de Henri IV, fut en quelque sorte le présage funeste
d’un amoindrissement progressif. La ville
découronnée cessa d’être le
boulevard de la Normandie : les calamités qui
l’assaillirent pendant la guerre de 1755 à 1763
achevèrent sa ruine, et le Havre se fortifia de plus en plus
et devint à son tour pour la France et l’ennemi,
le point redoutable de l’attaque et de la défense.
Mais bien que la cité de Honfleur ne soit plus à
l’avant-garde, elle est encore une
pépinière de braves marins destinés
à perpétuer ses glorieuses traditions. Actifs,
robustes, pleins de confiance en Notre-Dame-de-Grâce, ils
gardent l’empreinte des siècles passés
comme les rochers de leurs falaises ont gardé la trace des
boulets anglais. Le commerce et la paix n’ont pu effacer la
rivalité des deux peuples, et les boulets
rouillés qu’on retrouve encore ça et
là sur les grèves de la Normandie, flotteront
plutôt sur les eaux que ses fiers enfants
n’oublieront la martyre de Rouen et le prisonnier de
Sainte-Hélène.
Aujourd’hui le sanctuaire de Grâce est
l’unique forteresse qui protège la vieille
cité. Paisible et hospitalière, elle ne menace
plus, elle attire vers ses doux rivages de nombreux voyageurs qui
subissent le charme de cette atmosphère pieuse et sereine,
et des pélerins plus nombreux encore, qui apportent aux
pieds de la divine Suzeraine l’hommage et le tribut des
cités rivales et des contrées lointaines.
CHAPITRE II
LA CHAPELLE
LES RR. PP. CAPUCINS A NOTRE-DAME-DE-GRACE
Laudato sia mio Signore
Per quelli que perdonano per lo tuo amore
Et sosteneno infirmitate et tribulatione
:
Beati queli que sostenerano in pace :
Che da ti altissimo serano incoronati.
Ste-FRANCESCO. CANTICO DE LE
CREATURE.
Loué soyez-vous, mon Seigneur, à cause de
ceux qui pardonnent pour
l’amour de vous, et qui
soutiennent patiemment
l’infirmité et la tribula-
tion ! Heureux ceux qui
persévéreront dans la
paix ! C’est le
Très-Haut qui les couronnera.
Après avoir parcouru quelques rues tortueuses,
bordées de petites maisons ornées de fleurs, et
entremêlées de jardins, on arrive à la
belle allée qui, depuis 1832, sert d’avenue au
plateau où s’élève la
chapelle. Des arbres touffus, des charmilles aux racines noueuses en
soutiennent les bords, et les pélerins cheminent doucement
sur cette pente ombragée. Souvent des marins
sauvés du naufrage, des femmes inquiètes, montent
cette côte pieds nus, les uns en chantant le Magnificat, les
autres en priant pour de chers absents. Leurs regards ne
s’arrêtent guères sur le splendide
paysage, mais s’il importe peu à ces
coeurs illuminés des vives clartés de la
foi, que la baie soit immense et ses rives enchantées, le
voyageur incroyant a senti souvent son coeur
s’émouvoir et son âme
s’élever devant ce spectacle magnifique. A mesure
qu’il monte, l’horizon grandit, et les navires qui
sillonnent la baie n’apparaissent plus que comme des points
noirs dans l’azur agité des flots.
L’antique Lillebonne, Orcher, la vieille abbaye de
Saint-Georges-de-Boscherville, Harfleur et son clocher, svelte aiguille
de pierre où la cloche sonne cent quatre coups tous les
matins en souvenir des cent quatre braves qui reprirent la ville aux
Anglais, le Havre et sa forêt de mâts, les phares
du cap de la Hève et la petite chapelle de
Notre-Dame-des-Flots, se dessinent le long des côteaux de la
rive droite. Du pied du grand crucifix placé en haut de
l’avenue, la perspective s’étend encore
à gauche : c’est la pleine mer, le ciel,
l’infini. Arrivés là, les
pélerins s’agenouillent et prient, avant
d’entrer à la chapelle ; et souvent les femmes des
marins absents interrompant leur prière, interrogent du
regard l’immensité des flots, et cherchent
à reconnaître dans le lointain la voile des
barques attardées.
A quelques pas du calvaire, la falaise escarpée, haute de
cent mètres, descend brusquement dans la mer. En vain
s’attache à ses flancs ravinés un
manteau de verdure, en vain les chênes et les robustes
charmilles se cramponnent à ses roches moussues, chaque
hiver les vents et les flots emportent un débris de ces
pentes mouvantes où sont ensevelies les ruines de
l’ancien sanctuaire de Notre-Dame-de-Grâce.
Située à peu de distance de la croix, la chapelle
actuelle est petite. Les arbres de haute futaie et les belles pelouses
qui l’entourent contrastent avec ses humbles dimensions. Ce
porche rustique, ce clocher lézardé ne
présentent aux yeux que des lignes sans beauté.
C’est Bethléhem, c’est la
crèche, et les enfants de Saint-François qui
desservirent cette chapelle au siècle dernier semblent lui
avoir imprimé ce cachet d’austère
pauvreté si cher au séraphin d’Assise.
A l’intérieur, tout est pauvre et
décent. La voûte basse et les fenêtres
obscurcies par l’épais feuillage des arbres
environnants, laissent régner à toute heure un
demi jour mystérieux et voilé. - Du
côté de l’Evangile, à
l’angle formé par l’entrée du
choeur et le transept nord, la statue de la Sainte Vierge est
placée sur un pilastre tronqué. Un dais, dont
l’étoffe taillée en baldaquin redescend
de chaque côté, l’encadre comme une
sorte de niche. Elle est revêtue d’un grand manteau
de soie dont la partie antérieure s’entrouvre pour
dégager l’Enfant Jésus,
porté par sa sainte mère, et paré
comme elle d’une couronne d’or.
Aux pieds de Notre-Dame sont placées de petites ancres ; des
coeurs d’argent de vermeil brillent sur le dais, et
l’on voit, suspendus à la grille qui
protège le soubassement, une quantité de petits
bouquets de fleurs, humbles hommages des pauvres et des enfants. Les
béquilles des infirmes guéris sont aussi
là comme les trophées victorieux de la
prière, dont les cierges allumés et sans cesse
renouvelés auprès de la sainte image, attestent
la persévérante ardeur. - Au-dessus de la porte
de la sacristie on voit le tableau commémoratif du
pèlerinage que firent à
Notre-Dame-de-Grâce sept cents paroissiens de Saint-Laurent
de Paris, sous la conduite de leur éloquent et
zélé pasteur, M. l’abbé
Duquesnay. L’éclat de la dorure et des broderies
s’accorde avec la date récente du 8 septembre
1863. C’est un témoignage collectif et
édifiant de la piété des serviteurs de
Marie, un gage fraternel offert par la grande cité aux pieux
marins de Honfleur, qui ont su fixer sur un rocher du Calvados le nom
et les faveurs de Notre-Dame-de-Grâce.
La sainte tradition des sauvetages miraculeux est inscrite sur toutes
les murailles de la chapelle, qui est tapissée
d’ex-voto dont plusieurs ont plus de deux cents ans de date.
Rien n’est plus expressif que ces pauvres petits tableaux
représentant les navires battus par la tempête, ou
brisés sur les écueils, et au bas desquels on lit
le récit abrégé des périls
courus et du salut envoyé. C’est le laconisme du
journal du bord et l’éloquence
énergique du navigateur chrétien dont
l’oeil a mesuré le danger, et constaté
la puissance surhumaine du pilote qui l’a conjuré.
- Le nom du capitaine, celui du navire, sont apposés au bas
du tableau avec la date du fait et de l’offrande. Plusieurs
de ces ex-voto remontent au commencement du règne de Louis
XIV. En parcourant l’échelle des âges on
retrouve, sans se lasser d’admirer, la même
conformité de sentiment dans la
variété infinie des accidents maritimes.
A voir ainsi toutes ces épaves de
l’Océan rangées avec ordre dans ce port
de salut, on est porté à croire
qu’elles ont dû y conserver toujours le calme et la
sécurité d’un asile inviolable.
Cependant il n’en est rien. Un jour Dieu a permis que le
souffle de l’enfer souleva dans les âmes perverties
une de ces tempêtes qui mettent en péril tous les
témoignages éclatants de la foi, alors
même qu’ils ont reçu la triple
consécration du malheur, de
l’héroïsme et de la mort. Le flot
sacrilége de 93 est monté jusqu’au
faîte de la côte de Grâce ; il
s’est rué sur les ex-voto aussi bien que sur les
reliquaires et le trésor des cathédrales et les
tombes de Saint-Denis. Il a tout dispersé, mais plus
favorisés que les richesses de l’Église
et les cendres royales, les pauvres petits navires des
naufragés de Honfleur, conduits par les voies
mystérieuses d’un second sauvetage, sont venus
reprendre leur mouillage paisible dans le vieux sanctuaire. Ils sont
là comme auparavant, rangés sur les murs ou
suspendus à la voûte, et affirmant par ce retour
inespéré l’authenticité et
la permanence de l’intervention miraculeuse dont ils rendent
deux fois témoignage.
L’origine du pèlerinage de
Notre-Dame-de-Grâce remonte au XIe siècle. La
tradition rapporte que vers l’an 1034 Robert-le-Magnifique,
duc de Normandie, faisant voile vers l’Angleterre, fut
assailli d’une violente tempête, et qu’au
plus fort du danger il promit de fonder trois chapelles et de les
consacrer à la Sainte Vierge s’il revenait sain et
sauf dans ses États. La tempête cessa, et le
prince, aussitôt de retour, s’occupa
d’accomplir son voeu. Il fit bâtir
l’une des chapelles promises à Harfleur,
près de son château, et la dédia
à Notre-Dame-de-Pitié, une autre, près
de Caen, qu’il appela Notre-Dame-de-la-Délivrande,
et la troisième, construite sur le plateau qui domine
Honfleur, reçut le nom de Notre-Dame-de-Grâce.
Cette chapelle fut d’abord desservie par des chapelains
désignés par les fondateurs. Elle ne tarda pas
à devenir un lieu de pèlerinage
très-fréquenté, mais le premier
document authentique qui soit resté sur son histoire est
fourni par des lettres patentes du roi Louis XI, qui, le 28 janvier
1478, fit don de la chapelle de Notre-Dame-de-Grâce
à la collégiale de
Notre-Dame-de-Cléry. Ces lettres témoignent que
la chapelle était dotée d’une certaine
étendue de terrain, contenant une maison
d’habitation, une grange, etc., etc.
Un violent tremblement de terre, arrivé le 29 septembre
1538, fit écrouler la chapelle et engloutit la partie de la
falaise sur laquelle s’étendaient ses
dépendances. Seuls un pan de muraille, un autel et une
statue de la Sainte Vierge restèrent debout, et telle
était la dévotion du peuple à ce lieu
privilégié que de nombreux pélerins
continuèrent à venir prier auprès de
ces débris ; mais les éboulements ne cessant pas,
on finit, en 1602, par enlever les derniers vestiges du sanctuaire afin
d’empêcher les fidèles
d’exposer leur vie.
Les Honfleurais regrettaient leur chapelle, et l’un
d’eux, M. Gonnyer, entreprit d’en élever
une nouvelle. Il en fit creuser les fondations à cent pas
environ de l’ancienne, vers le sud-ouest, mais il en resta
là, faute d’argent et de protections. Le terrain
sur lequel il avait commencé à bâtir
appartenait à Mademoiselle de Montpensier, comtesse de
Roncheville et dame de Honfleur, et il fallait obtenir son
autorisation. M. Gonnyer s’adressa alors au marquis de
Fontenay, intendant des biens de la princesse, et celui-ci obtint
d’elle le don d’un acre de terrain, et la
permission de choisir huit chênes dans la forêt de
Touques pour construire la charpente du nouvel édifice. Les
offrandes des habitants de Honfleur firent le reste, et en moins
d’une année, en 1613, la chapelle
s’éleva ; mais elle se ressentait de la
pauvreté qui régnait alors en France ; ce
n’était qu’un petit bâtiment
trois fois aussi long que large, couvert en chaume, isolé au
milieu des bruyères, et ressemblant plutôt
à une grange qu’à un oratoire. -
Cependant les chanoines de Cléry revendiquèrent
leurs anciens droits sur la chapelle de Grâce, mais ils ne
furent pas écoutés, et un arrêt du
Parlement de Normandie, après avoir constaté que
le nouveau sanctuaire n’était pas construit sur le
terrain donné à la collégiale de
Notre-Dame-de-Cléry par Louis XI, les débouta de
leurs prétentions.
Ce fut alors que les RR. PP. Capucins vinrent
s’établir à Honfleur, sur
l’invitation du gouverneur de la ville, Étienne de
la Roque. M. de Fontenay obtint de Mademoiselle de Montpensier, que ces
religieux seraient mis en possession de la chapelle et des terrains
avoisinants. Les Capucins furent donc installés à
Notre-Dame-de-Grâce le 16 mars 1621, par M.
L’abbé Durand le Saulnier,
délégué à cet effet par Mgr
l’évêque de Lisieux, et en signe de
prise de possession, ils plantèrent une grande croix de bois
sur le lieu même où avaient
été les ruines de l’ancienne chapelle.
Tels sont les seuls renseignements qui nous restent sur
l’établissement de la famille Franciscaine sur la
côte de Honfleur. Le voyageur chrétien qui lira
ces lignes trouvera aisément dans ses souvenirs pieux et ses
sympathiques aspirations la justification de l’acte du
magistrat Honfleurais. Il n’en sera pas de même du
touriste libre penseur qui croit voir dans l’expulsion des
religieux et la spoliation des couvents en Italie et en Pologne la
marche naturelle du progrès, le triomphe de la
liberté de conscience, et
l’anéantissement définitif de
l’influence cléricale et des
ténèbres du moyen-âge. En effet, pour
le vandale, ganté et ignorant de la démocratie
contemporaine, tout ce qui est marqué du signe de la croix
dans le passé et dans le présent, se confond et
se résume dans ces deux formules, qui du reste sont
parfaitement en rapport avec la mesure de son érudition et
de son intelligence. - Quant au philosophe attardé de
l’école du XVIIIe siècle, son
antipathie pour les ordres religieux est moins menaçante.
Effrayés par les commotions révolutionnaires de
93 et de 1848, les derniers voltairiens sont devenus conservateurs.
Inquiets des progrès de la libre pensée ils
conviennent et même ils professent que les religieux
capucins, bénédictins et trappistes, ne sont pas
seulement des hommes qui ont les pieds nus, la tête
rasée, de longues barbes et un vêtement singulier,
mais qu’ils ont rendu
autrefois
de grands services aux
lettres, à l’agriculture et à la
société toute entière en des jours de
calamité. Et, s’ils étaient bien
sûrs que l’existence et l’influence des
ordres monastiques puissent leur offrir des garanties pour leur repos
et leurs rentes, bien loin de voter pour l’ostracisme avec le
Siècle et l’
Opinion nationale, ils
accorderaient généreusement et sans examen, un
brevet d’instituteur au jésuite,
l’exploitation d’une ferme modèle au
trappiste, et au frère de Saint-Jean de Dieu et au capucin,
le service d’un hôpital et d’un poste de
pompiers.
Nous tenons pour certain qu’Étienne de la Roque
entrevoyait au moins tous ces avantages à travers les
ténèbres du moyen-âge et le fanatisme
clérical qui pesaient encore sur la France au XVIIe
siècle. - De plus, ce magistrat chrétien,
sollicité par l’intérêt
d’une cité populeuse, avait compris
qu’il lui fallait des aides, des auxiliaires actifs,
dévoués et charitables, afin de pourvoir
à des besoins moraux en présence desquels
l’administration la mieux organisée est toujours
impuissante. Il savait que l’apostolat des ordres monastiques
était nécessaire pour former et maintenir entre
les riches et les pauvres les liens de la charité,
régler la vie opulente des uns et adoucir les souffrances
des autres, et communiquer à tous, en prêchant
d’exemple, le secret de bien vivre et de bien mourir.
C’est pour cela, sans doute, qu’Étienne
de la Roque appela les Capucins à Honfleur. Qui pouvait, en
effet, mieux remplir cette mission que cette humble et
généreuse milice de Saint-François,
que ces pauvres volontaires, devenus à l’exemple
de leur saint fondateur
les
chevaliers errants de l’amour
divin, marchant à sa suite et comme lui sous
l’étendard des stigmates du Christ, servant Dieu,
et honorant la sainte pauvreté en souvenir de
Bethléhem et de Nazareth, et aussi parce qu’elle
est à la fois la plus méprisée et la
plus générale des conditions humaines.
A défaut d’enquête positive, nous
pouvons affirmer que l’installation des RR. PP. Capucins
à Honfleur en 1621 ne peut être autrement
motivée.
L’année précédente, 1620, M.
de Fontenay était tombé dangereusement malade
à Paris. Les médecins ne conservaient plus aucun
espoir de guérison : dans cette
extrémité le malade se recommanda à
Notre-Dame-de-Grâce, dont il était depuis
plusieurs années l’économe
zélé, le serviteur infatigable. Bientôt
après il perdit connaissance et tomba dans un sommeil
léthargique, si bien qu’on le crut mort et que ses
serviteurs le revêtirent de l’habit de Franciscain
dans lequel il avait demandé à être
enseveli. On sonna les cloches à sa paroisse et
même à Honfleur, où la nouvelle de sa
mort fut envoyée. Mais au bout de sept heures de
léthargie, M. de Fontenay s’éveilla,
demanda ses habits ordinaires et alla se mettre à table. Il
vécut encore vingt ans, s’employant avec plus de
zèle que jamais à servir la bonne
maîtresse qui lui avait rendu la santé. Cet homme
de bien mourut à Honfleur en 1640 et fut enterré
dans l’église Sainte-Catherine.
Après sa mort, les pères Capucins
supprimèrent les quêtes qu’il faisait
faire pour l’entretien de la chapelle et ne voulurent plus
d’autre économe que la Providence. Elle ne leur
fit pas défaut : Les pélerins
affluèrent à la chapelle que le Pape Paul V avait
dotée d’une indulgence
plénière, et tous, pauvres, riches, gentilshommes
et matelots, s’empressèrent de
compléter et d’orner le petit sanctuaire. M. de
Meautry et le marquis de Fatouville d’Hébertot
firent construire les deux chapelles latérales. Le
choeur fut ajouté au moyen des aumônes
des fidèles. M. de Villars en actions de grâces de
la guérison de son fils, donna la somme
nécessaire pour couvrir l’édifice en
ardoises. M. d’Herbigny paya les faîtages en plomb
et Mme l’Abbesse de Montivilliers donna en 1630 les ormes que
le Père Michel-Ange planta autour de la chapelle, et qui la
défendent encore contre les vents et abritent aux jours de
fêtes les nombreux pélerins que le petit
sanctuaire ne peut contenir. Vers la même époque,
le frère Constance, qui était un
ingénieur distingué et que le gouvernement avait
employé à diriger d’importants travaux
hydrauliques exécutés à la citadelle
du Havre, à Brest et à Belle-Ile, entoura la
chapelle d’un pavé destiné à
l’assainir et construit une citerne qui existe encore.
Il semblait qu’une donation faite par une princesse et
confirmée par l’arrêt du Parlement de
Normandie, aurait dû assurer aux bons pères
Capucins la paisible jouissance du terrain environnant la chapelle. Il
n’en fut rien cependant, et plusieurs procès
vinrent mettre leurs droits en question. Il serait long et fastidieux
de les raconter ; un seul trait suffit pour les caractériser
: certains voisins prétendaient retrouver auprès
de la nouvelle chapelle leurs terres englouties avec
l’ancienne. Fidèles à
l’esprit de leur ordre, les bons pères
aimèrent mieux céder que de contester, et
abandonnèrent aux envahisseurs Normands une partie de leur
chétif domaine. Ils plantèrent un petit jardin,
qui fut pillé, mais ce qui les affligea davantage, leur
croix de bois fut renversée trois fois par des mains
inconnues, et enfin brisée et souillée. Ils la
remplacèrent par une croix de pierre que leur donna M.
Thierry, et qu’ils posèrent plus près
de la chapelle que ne l’avait été la
première.
Peu après ces nuages se dissipèrent. La patience
des bons pères désarma leurs ennemis, et, lors
des pestes terribles qui ravagèrent Honfleur en 1636 et
1649, on vit les Capucins au chevet des malades, distribuant partout
les secours spirituels et temporels, ensevelissant les morts et donnant
l’exemple d’un courage et d’une
charité sans bornes. La reconnaissance et
l’admiration de toute la contrée furent acquises
alors aux bons religieux. Chacun s’empressa
d’améliorer leur situation, et les gardiens de la
chapelle devinrent aussi populaires que la chapelle elle-même.
Alors, comme aujourd’hui, le pèlerinage de
Notre-Dame-de-Grâce était surtout cher aux marins.
Ces hommes qui vivent en présence de la mort, entre cet
Océan, tombe toujours ouverte, et le ciel où le
calme et les tempêtes se succèdent à
l’ordre d’un commandant invisible et tout puissant,
ces hommes ont la foi simple et naïve des petits enfants, et
leur coeur intrépide est fidèle
à l’étoile de la mer, comme
l’aiguille aimantée l’est au
pôle.
Aussi avons nous vu que les ex-voto les plus nombreux et les plus
intéressants de la chapelle ont été
offerts par des marins. L’appendice joint à la
présente notice renferme le récit de quelques-uns
des sauvetages, que M. l’abbé Vastel copia sur le
manuscrit des pères Capucins. Il eut
été facile de donner à ces courtes
narrations une forme plus littéraire, mais elles y eussent
perdu leur caractère de vérité
naïve. Les braves matelots qui arrivaient pieds nus
à la chapelle racontaient leurs dangers et leur
délivrance en peu de mots : le père gardien
transcrivait en quelques lignes, on signait, et souvent une nouvelle
troupe de pélerins qui attendait son tour, appelait le bon
père et le pressait de finir. Il en résulte que
ces récits par leur brièveté
même offrent une certaine monotonie. - Il n’en est
pas de même à la chapelle où cette
foule de petits navires peints sans art, les uns
démâtés, les autres à demi
renversés sous des vagues énormes, ces
naufragés flottant sur les débris de leurs
embarcations, ou nageant en pleine mer, présentent une suite
de scènes émouvantes qu’on ne se lasse
pas de regarder. Quelle que soit l’inhabileté des
peintres qui les ont représentées, le bruit des
vagues, cette plainte incessante qui résonne sous la
voûte de la chapelle, semble animer ces naïfs
tableaux et retracer à l’imagination du spectateur
l’effrayante réalité des
tempêtes, les angoisses des marins et les
gémissements de ceux qui les attendent au rivage.
Autrefois les pélerins montaient à
Notre-Dame-de-Grâce par un sentier qui serpente sur le
versant oriental du côteau et d’où
l’on découvre toute la ville, le port, les
collines de la rive gauche et l’entrée du fleuve
dans la baie. Le nouveau chemin plus court, plus facile et
d’où l’on domine une perspective plus
belle et plus étendue a fait délaisser
l’ancien. Mais le sentier tortueux du Mont-Joli restera
toujours cher aux pélerins qui explorent la côte
de Grâce pour chercher et raviver le souvenir de leurs pieux
devanciers. C’est par ces pentes abruptes que passa Mgr. de
Belsunce, lorsqu’il vint à Honfleur en 1723
accomplir le voeu qu’il avait fait à
Notre-Dame-de-Grâce pendant la peste de Marseille. Il fut
reçu à Honfleur dans le couvent des RR. PP.
Capucins, et ceux-ci pleins d’admiration pour leur
hôte, notèrent avec soin tous les incidents de son
pèlerinage. - Voici leur récit, qui nous montre
dans toute sa noble simplicité, l’illustre
évêque de Marseille gravissant
l’âpre sentier le crucifix à la main,
les pieds nus et ensanglantés, et imitant saint Charles
Borromée dans sa prière d’actions de
grâces, comme il l’avait imité dans son
héroïque dévouement.
« Le vénérable
évêque de Marseille arriva à Honfleur
le 10 mai 1723 à 4 heures du soir, il fut reçu
par le clergé de Sainte-Catherine, Saint-Etienne, Notre-Dame
et Saint-Léonard, et par Messieurs de
l’administration.
Le 12, à dix heures du matin, le son des cloches se fait
entendre ; les prêtres se rendent au couvent des
RR. PP. Capucins. Le peuple de la ville et des environs encombre la rue
et le chemin par où le cortège doit passer. A 11
heures, la procession sort du cloître. Les pères
Capucins ouvrent la marche, n’ayant pour ornement que leur
antique croix de bois. A côté du R. P. gardien
marche sa Grandeur, pieds nus ; son visage
vénérable est inondé de pleurs. Il
tient dans ses mains l’image du Sauveur crucifié.
Le chemin est impraticable ; les pieds de ce bon pasteur sont
écorchés et pleins de sang. Il arrive au sommet
du côteau, porte ses regards sur le Calvaire, adore la croix,
et bénit le peuple en silence.
Avant d’entrer dans le sanctuaire dédié
à Marie, ce digne pasteur s’agenouille sur la
terre et prie, en élevant les yeux vers le Ciel, sous le
modeste portail couvert en chaume. Le père gardien
desservant la chapelle présente la croix à sa
Grandeur, qui reçoit aussi l’eau
bénite. Monseigneur la présente au peuple et au
clergé. Au moment où le père gardien
s’apprête à l’encenser,
Monseigneur prend l’encensoir des mains du Père et
encense l’image de Marie en disant :
Sancta Maria.
Monseigneur se prosterne devant la Très-Sainte Vierge et
prie en silence, puis élevant la voix, il consacre
à Marie sa bonne ville de Marseille et il demande
à la Reine du ciel de protéger notre
cité et ses habitants. Ensuite il monte à
l’autel et fait une courte allocution, publiant la grandeur
et les bienfaits de la Sainte Mère de Dieu.
Aussitôt commence la messe qui est suivie du
Regina
Cæli et du
Te Deum.
La procession retourne dans le même ordre sa Grandeur
étant au Calvaire a chanté l’antienne
Christus delivit. Après le
verset et l’oraison
Monseigneur a donné la bénédiction
pontificale ; puis se tournant vers la mer il a béni les
navires.
La procession de retour au couvent des pères Capucins,
l’illustre pontife s’est reposé.
Immédiatement après il a visité les
églises et les personnes notables de la ville.
Le 14, Mgr. de Belsunce a officié pontificalement
à Sainte-Catherine. Il était
accompagné de son grand vicaire. Il est reparti de notre
ville le 15, laissant aux pauvres des marques de sa
libéralité. (3) »
CHAPITRE III
LA RÉVOLUTION
Deus qui
das vindictas mihi, et subdis
populos
sub
me.
PS. XVII, V. 48.
C’est Dieu qui prend soin de me venger, et sa
parole
m’assujettit les peuples.
C’est en vain que la foi des peuples et tant de
grâces répandus par Notre-Dame, semblaient devoir
protéger l’humble sanctuaire et les religieux qui
le desservaient. L’heure des profanations allait sonner dans
la France entière : la Révolution
éclata, et toutes les communautés furent
dissoutes. A Honfleur on espéra un moment garder les
Capucins. Une pétition rédigée dans ce
but par M. Allais, curé de Ste-Catherine, et M. Baudin,
curé de St-Léonard, fut lue dans une
assemblée générale des habitants de
Honfleur, le 10 novembre 1790. « La suppression des
communautés, disaient les pétitionnaires, nous
fait craindre d’être privés des secours
importants que nous retirons des Capucins de cette ville. Ces religieux
se sont dans tous les temps, prêtés à
obliger la ville et les campagnes voisines, et par la droiture de leurs
intentions et la justice de leurs procédés, ils
se sont attirés l’estime et la confiance
publique……. Il y a encore »
ajoutaient-ils « une petite chapelle, située sur la
côte de Grâce, sous l’invocation de la
Très-Sainte Vierge, qui est en grande
vénération dans toute la contrée, et
nous demandons sa conservation. »
Les habitants de Honfleur appuyèrent cette demande et
adressèrent leur pétition à
l’Assemblée Nationale, mais elle eut le sort de
bien d’autres. Deux mois après, on
réclamait de tous les ecclésiastiques le serment
politique. Les Capucins le refusèrent, et lorsque Fauchet,
l’évêque constitutionnel du Calvados,
vint faire sa première visite à Honfleur, en mai
1791, ils refusèrent de le recevoir. Ce fut le signal de
leur dispersion. Ils étaient alors au nombre de huit : le
père Firmin, gardien, les pères
Hémery, Hugues, Gélas, Henry et Norbert,
vicaires, Gerbold et Martin, frères lais. Tous se
retirèrent au couvent de leur ordre qui existait alors
à Lisieux, et qui ne tarda pas à être
supprimé.
Leur maison de Honfleur fut occupée par la gendarmerie, puis
vendue plus tard à des personnes qui la
démolirent.
Honfleur avait alors pour maire un de ses plus respectables habitants,
M. Cachin. Il forma le projet d’acheter la chapelle,
déclarée propriété
nationale, afin de la préserver de toute profanation et de
conserver comme lieu de promenade publique, les terrains
plantés d’arbres qui l’entouraient. Il
s’adjoignit à cet effet plusieurs notables de la
ville : MM. Nicolas-Thibault Lion, Jean Daufresne, Chauffer de
Barneville, Lecesne du Puits, Gentien Lecesne, Louis-Robert Morin ;
Henry-Thomas Quillet, Fossard et Jean-Baptiste Coquerel. Une
souscription fut ouverte par leurs soins. Les principaux souscripteurs
furent :
Le père Henry, capucin, pour plusieurs
personnes………………………..
102 livres.
J.-B.
Hamelin………………………..
24 » »
Pierre-Louis
Luce………………………..
12 » »
Hébert-Desrocquettes………………………..
48 » »
L’abbé Charles
Delaunay………………………..
120 » »
Coudre
Lacoudrais………………………..
100 » »
La Chambre
maritime………………………..
374 » »
Bruneau,
négociant………………………..
30 » »
Lecarpentier, procureur de la
commune………………………..
50
» »
La Société des amis de la
Constitution………………………..
777 » »
Quête dans le quartier
St-Léonard………………………..
291 » »
Quête dans le quartier
Ste-Catherine………………………..
468
» »
La 5me compagnie de la garde
nationale………………………..
41 » »
La ville de Honfleur complèta la somme.
Le 17 février 1791, M. Cachin et, ses associés
achetèrent des administrateurs du district de
Pont-l’Evêque la chapelle de Grâce et ses
dépendances, moyennant 3525 livres, puis ils en firent don
à la ville de Honfleur, et le père Victor,
capucin, fut chargé de desservir la chapelle. Mais ce ne fut
qu’un instant de trève :
l’administration changea, et la démagogie
triomphante accomplit son oeuvre sacrilége. En 93
la chapelle fut pillée et transformée en taverne,
l’antique statue fut anéantie « Et ceux
qui venaient naguères y prier et demander des
grâces, s’oublièrent
jusqu’à commettre des orgies dans un lieu
où tout, jusqu’aux murailles, leur reprochait leur
apostasie. (4) »
A l’époque du concordat, la chapelle fut enfin
rendue au culte. Hors un seul autel, oublié dans un coin
obscur, rien ne restait dans son enceinte souillée. Elle fut
réconciliée, garnie peu à peu des
objets indispensables, et quelques prêtres y vinrent de temps
à autre célébrer les saints
mystères. En 1805, le Conseil municipal de Honfleur
présenta M. l’abbé Berthelot
à la nomination de Mgr.
l’évêque de Bayeux. Le nouveau chapelain
s’occupa activement de recomposer le mobilier de la chapelle,
mais tout était à faire, les dons
étaient rares et M. Berthelot entraîné
par son zèle, contracta des dettes qu’il ne put
payer. Il en fit l’aveu dans une lettre touchante
qu’il adressa au Conseil municipal de Honfleur et qui fut
comme le testament de ce bon prêtre. Il mourut deux mois
après l’avoir écrite, et les
Honfleurais tinrent à honneur d’acquitter toutes
ses dettes, se montant à la somme de 16,214 fr.
M. l’abbé Fossé, vicaire de
Sainte-Catherine, succéda à M. Berthelot et
desservit la chapelle de 1818 à 1822. Cette
année-là, Mgr. de Bayeux nomma chapelain M.
l’abbé Vastel, homme instruit et
prédicateur distingué. Vicaire à
Barneville avant la révolution, il avait
émigré en Pologne, et revenu après dix
ans d’exil, il dirigeait à Honfleur une
école secondaire, et avait publié un essai
historique sur cette ville. Il desservit la chapelle de
Notre-Dame-de-Grâce jusqu’à sa mort,
arrivée en 1839, et n’épargna rien pour
rendre au pèlerinage son ancienne popularité.
Mais les temps étaient difficiles et plusieurs passages de
la notice qu’il publia sur la chapelle de
Notre-Dame-de-Grâce témoignent de la profonde
tristesse qui remplissait son coeur sacerdotal :
« Toutes les indulgences obtenues pour ceux qui visitaient la
chapelle, dit-il, sont éteintes, et n’ont plus de
valeur, tout ayant été changé
à la révolution, chapelains, autels, office
même, religion, piété et
ferveur……. sous prétexte de
remédier à un mal apparent, on en a commis un
réel, la liberté est une idole que chacun taille
à sa fantaisie. Les uns l’enchaînent,
les autres la déchaînent, et personne ne lui donne
une forme humaine……. Dieu est presque
méconnu, la piété n’est plus
d’usage et les temples sont à peu près
abandonnés. »
M. Vastel mourut en 1839, et après quelques
débats occasionnés par le droit que
prétendait avoir le Conseil municipal de Honfleur de
désigner au choix de l’Évêque
le nouveau Chapelain, Mgr l’évêque de
Bayeux, nomma de
motu proprio,
M. l’abbé Aubert
qui dessert actuellement la chapelle.
__
Dans une froide matinée de février 1848, alors
que les vents d’hiver ébranlaient les arbres et
gémissaient autour de la petite chapelle, une femme
pauvrement vêtue, belle encore, quoique au déclin
de l’âge, vint s’agenouiller aux pieds de
Notre-Dame-de-Grâce. Elle entendit la messe, communia, et
quitta l’église après une longue
prière. Personne ne l’avait remarquée
à cette heure matinale et l’eut-on fait, qui se
serait étonné de voir à la chapelle,
les yeux fatigués de larmes, une femme, une mère
aux cheveux blancs ? Jamais cependant pareilles douleurs
n’étaient venues là chercher refuge et
consolation. De ce front qui s’inclinait venait de tomber une
couronne. Marie-Amélie fugitive ignorait le sort de ses
enfants, abandonnait des tombes chéries et prête
à s’éloigner à jamais de ce
beau royaume où elle avait semé tant de bienfaits
et répandu tant de pleurs, elle était venue
confier à la Mère de douleurs, ses
dernières espérances. Celui qui, la veille
encore, était Roi, l’attendait près de
là, caché dans la maison d’un ami.
S’il fut venu, instruit par l’adversité,
s’agenouiller auprès de la Reine, s’il
eut prié comme elle, l’âme toute
chrétienne de Marie-Amélie eut tressailli de
joie, et le
Te Deum eut
jailli de son coeur à
demi brisé. Mais il ne vint pas à la chapelle, et
le soir même, les deux époux prirent ensemble la
route de l’exil, lui, courbant la tête et subissant
la peine du talion, elle, partageant l’expiation,
abreuvée de douleur, mais les yeux fixés vers
l’éternelle patrie.
__
Tandis que le flot de la prospérité commerciale
caresse et favorise le développement de la ville et du port
du Havre, Honfleur reste stationnaire et semble même
s’amoindrir, si l’on ne veut reconnaître
le signe de la prospérité d’une ville
que dans l’accroissement de ses richesses et de sa
population, sans tenir compte de la démoralisation et des
misères de toute espèce qui en sont le
complément ordinaire. Le Havre, c’est le
siège des armateurs et des spéculateurs
cosmopolites qui luttent dans la sphère commerciale
d’où sort la fortune ou la ruine des uns et des
autres. C’est là que règnent
l’activité dévorante de
l’agiotage, la soif insatiable des richesses,
l’avidité sans frein et le travail sans
trève.
A la même distance de Honfleur, mais sur la même
côte, le nom obscur de Trouville a conquis tout à
coup une étonnante
célébrité. Sa plage unie et
sablonneuse est devenue le rendez-vous annuel de la fashion parisienne.
Dès que les salons et les foyers des
théâtres sont fermés, les quadrilles
brillants prennent leur course vers ce point, et la plage
déserte se couvre de laquais vêtus en grands
seigneurs, de beaux messieurs habillés en palfreniers, mais
portant des voiles verts pour tempérer les ardeurs du soleil
et conserver leur teint. Les femmes, au contraire, bottées
et coiffées comme des pages ou des mousquetaires, se
promènent la canne à la main, parlant haut en
public et fumant aux fenêtres. Puis, à
l’heure voulue, cette population extravagante de comtes, de
marquis, d’acteurs, de danseuses, de banquiers et de
princesses, se baigne et tritonne pêle-mêle, sous
les yeux des enfants et des valets.
Entre ces deux Babylone, celle où retentissent nuit et jour
les clameurs du travail et les mugissements du veau d’or, et
celle où l’opulente oisiveté
étale au grand soleil son impudence et sa
dégradation, l’aimable et antique cité
de Honfleur, abritée par le sanctuaire de
Notre-Dame-de-Grâce, conserve intacts son
caractère patriarcal et sa paisible activité.
Elle voit sans regret la vase qui retrécit son port, et les
galets amoncelés sur ses rivages, puisqu’ils la
préservent des périls de la cupidité
et des corruptions de l’oisiveté en vacance. -
L’étranger peut parcourir à toute heure
ses rues tranquilles, jamais il n’y rencontre un visage
effronté, jamais une voix insolente n’offense ses
oreilles. - Les hommes travaillent, construisent des navires,
réparent la barque et les filets, ou se reposent en
attendant la marée montante. Modestes et laborieuses, les
jeunes filles cousent, assises aux fenêtres, ou sur le seuil
des maisons, près de leurs mères, et des enfants,
tout occupés à faire flotter de petits bateaux
sur les eaux limpides qui descendent du côteau. -
C’est du côteau aussi que viennent ces traditions
d’honneur et de chasteté. A Honfleur comme
à Chartres, on est dans le domaine de Marie, et
l’éclat de sa couronne semble se
refléter sur le front candide des jeunes filles, sur les
traits hâlés, intelligents et nobles de leurs
parents.
Faut-il donc après cela tant vanter le fracas des villes
opulentes, et dédaigner celles qui vivent dans un ordre
régulier de travail et de paix ? Pour nous le choix
n’est pas douteux, et les familles que la divine Providence a
placées dans un centre moins agité ne doivent pas
envier le sort de celles qui se forment et se dispersent dans les
campements incertains et sur les pentes volcanisées des
villes naissantes. - Les enfants grandissent mieux là
où s’épanouissent les fleurs et
où chantent les oiseaux du ciel. La maison rebâtie
sur de vieilles murailles est plus solide et plus saine que celle qui
s’élève sur des marais
desséchés. Les boulevards improvisés,
les hauts fourneaux et les forteresses de l’industrie
exhalent des émanations malsaines qu’il faut
parfois subir, mais non point rechercher. D’ailleurs la
fortune des grandes villes n’est pas mieux assurée
que celle des grands empires si elle n’a pour fondement la
crainte du Seigneur et la soumission aux lois divines. -
Nisi Dominus oedificaverit domum, in vanum
laboraverunt qui oedificant eam.
Seul, le trône de Marie Immaculée
résiste aux orages. Chaque siècle en
s’écoulant forme une assise nouvelle,
marquée du triple sceau de l’art, de la science et
de la foi, et lorsque des mains impies prétendent la briser,
leur oeuvre sacrilége se tourne contre
elles-mêmes. Bientôt les débris enfouis
ou dispersés sortent de terre comme les graines
semées par le vent du ciel et qui vont porter au loin le
merveilleux secret de leur germination. - Selon de pieux desseins,
l’humble chapelle de Notre-Dame-de-Grâce doit
bientôt se transformer en un sanctuaire plus vaste et plus
beau. Comment cela se fera-t-il ? Dieu le sait, et nous
n’avons pas à nous mettre en peine des moyens
qu’il emploiera pour réaliser ce voeu, si
tant est qu’il l’agrée. - Le sou du
pauvre, le bracelet de la grande dame, l’or de
l’inconnu tomberont dans la bourse de quelque
quêteur, bien simple, bien ignorant des habiletés
mondaines, mais confiant et actif. Il fera venir des ouvriers, on
creusera le sol, et de cette terre dès longtemps
fécondée par les faveurs du ciel et la
prière des humbles, la nouvelle église germera et
s’élèvera comme un lys dans la
vallée d’Hébron. Et de même
qu’à Boulogne, à Marseille,
à Alger, la lampe du sanctuaire de
Notre-Dame-de-Grâce dominera les phares, projettera sa douce
lumière sur le rivage, et attirera vers elle les navigateurs
et les pélerins qui fuient les mêmes
tempêtes et cherchent le même port.
Ave,
maris stella !
_____
APPENDICE
__
GRACES & FAVEURS
PARTICULIÈRES OBTENUES PAR
L’INTERCESSION DE LA TRÈS-SAINTE VIERGE,
Sous
l’invocation de Notre-Dame-de-Grâce.
__
I
Les faits que nous signalons à l’attention du
lecteur reposent sur les preuves les plus certaines. Les uns ont
été recueillis dans les archives de la chapelle
et transcris sur le registre des RR. PP. Capucins, par M.
l’abbé Vastel, ancien chapelain de
Notre-Dame-de-Grâce ; les autres, plus récents,
sont appuyés sur des documents non moins authentiques. Nous
les rapportons, autant que possible, par ordre de dates.
1. La première grâce marquante qui nous soit
connue est celle qu’obtint, en 1620, M. de Fontenay,
fondateur de cette chapelle. (Page 28.)
2. Une autre grâce non moins frappante est celle obtenue par
Madame de Nollent d’Hébertot, en 1623. Cette Dame
accoucha d’un enfant qui ne donna aucun signe de vie.
Etait-il effectivement mort ou ne l’était-il pas ?
- Le manuscrit des RR. PP. Capucins porte en toutes lettres
qu’il était mort et la tradition le confirme. Quoi
qu’il en soit, il fut abandonné pendant quelque
temps à ses forces naturelles, et c’eut
été assez pour le faire périr quand
même il aurait eu encore quelque souffle de vie.
Mme d’Hébertot, extrêmement
affligée de cet accident, invoqua le secours de
Notre-Dame-de-Grâce, fit porter l’enfant, dans
l’état où il était, sur
l’autel du Rosaire de l’Eglise et commanda que
l’on chantât les litanies de la sainte Vierge.
Pendant ce temps-là il donna des signes de vie, et fut
baptisé. Saint Augustin nous a conservé la
mémoire d’un fait semblable arrivé
à Uzale, ville d’Afrique, par
l’intercession de Saint-Etienne, premier Martyr. (Sermon 324).
3. Un autre fait aussi extraordinaire que celui concernant Mme de
Nollent, est ce qui arriva à des pilotes du Havre, en 1624.
Un vaisseau se présente à la rade, sous pavillon
français, et demande à entrer. Aussitôt
une barque sort et s’approche pour le diriger ;
dès qu’elle fut à portée, le
vaisseau jette le grapin pour l’arrêter ; les
pilotes s’apercevant qu’ils étaient
tombés dans les mains des barbares, se
précipitent à genou et implorent
l’assistance de Notre-Dame-de-Grâce, et dans
l’instant le grapin se cassa et les pilotes se
sauvèrent à force de rames. La partie du grapin
qui tomba dans la barque était si forte que tous ceux qui la
considèrent, jugèrent qu’il
n’avait pu se casser naturellement.
4. En 1626, Mme de Blavy, veuve de M. de Blavy, conseiller au parlement
de Rouen, avait été attaquée
d’un mal au visage, qui la défigurait au point
qu’elle était obligée de porter un
masque pour ne pas faire peur. Après avoir
employé tous les remèdes de l’art
pendant deux ans sans soulagement et sans espoir de
guérison, elle se recommanda à
l’intercession de Notre-Dame-de-Grâce. Elle vint
elle-même à la Chapelle s’acquitter de
son voeu, et après qu’elle eut fait ses
prières, elle sortit sans masque et aussi fraîche
qu’elle était avant sa maladie.
5. Agnès Fontaine, femme de Pierre Delahaie, de Honfleur,
avait, en 1630, un enfant qui, à l’âge
de 4 ans, n’avait pas l’usage de ses membres. Dans
cette circonstance fâcheuse, elle implora les
miséricordes de Dieu par l’intercession de
Notre-Dame-de-Grâce, et fit voeu
d’apporter son enfant à la Chapelle pendant 9
jours consécutifs. Le neuvième jour, il quitta
les bras de sa mère avant que le saint sacrifice de la messe
fut achevé, et se promena librement à la vue de
tous les assistants. En foi de quoi on fit dresser un acte public,
dûment signé.
6. En 1639, M. le marquis de Fatouville d’Hébertot
fut attaqué d’une maladie qui fut jugée
mortelle par les docteurs qui le traitèrent et qui
bientôt l’abandonnèrent,
désespérant de le sauver. Il se recommanda alors
à Dieu par l’intercession de
Notre-Dame-de-Grâce, et promit d’entretenir une
lampe allumée devant le saint sacrement de l’autel
; son voeu ne fut pas plus tôt fait qu’il
se trouva hors de tout danger.
Cette lampe a brûlé jusqu’à
la Révolution. Mme d’Aguesseau en faisait les
frais, comme héritière de la maison de Nollent.
7. En 1641, une demoiselle des environs de Saint-Pierre-du-Chatel,
avait un chancre dans la bouche qui lui rongeait la figure.
Après avoir employé tous les remèdes
connus par les médecins d’alors, sans avoir
éprouvé le moindre soulagement, elle se
recommanda à Dieu par l’intercession de
Notre-Dame-de-Grâce. Elle vint à la Chapelle faire
ses dévotions. Sa foi fut récompensée,
elle s’en retourna entièrement guérie.
Ce fait est attesté par la demoiselle elle-même,
et son attestation se trouve dans les archives de la Chapelle.
8. Une demoiselle de Falaise, qui demeurait à Honfleur en
1648, fut surprise d’une maladie dont les
caractères étaient si fâcheux que les
médecins refusèrent de la traiter,
n’espérant rien de leur science ni de leur art.
Alors elle se fit porter toute malade qu’elle
était, à la Chapelle de Grâce ;
là, ayant fait ses prières avec ferveur, elle se
trouva parfaitement guérie. En reconnaissance, elle donna
une chaîne d’argent et une croix d’or,
qu’elle avait, pour la décoration du lieu saint.
9. Sept ans après, en 1655, Mlle Alix, de Honfleur,
étant paralysée de ses membres, se fit aussi
transporter à la Chapelle, et pendant que l’on
disait la sainte Messe à son intention, elle recouvra
l’usage de ses membres et retourna chez elle sans avoir
besoin de secours.
10. Une femme de la campagne apporta à la Chapelle un enfant
de huit ans qui n’avait encore pu marcher ni parler ; comme
elle l’avait recommandé d’une
manière particulière à la sainte
Vierge, elle en obtint la grâce qu’elle demandait.
L’enfant marcha et parla avant que le prêtre
eût achevé le sacrifice de la Messe, ce qui
surprit tellement les assistants, qu’ils
chantèrent comme par inspiration le
Te Deum en action de
grâce. Le certificat en est signé par les
témoins oculaires.
11. Louise Le Grip, femme de Robert-le-Roi, de la paroisse de
Genneville, ayant eu la jambe brisée sous une roue de
moulin, ne pouvait plus marcher. Tout l’art de la chirurgie
ne put lui procurer que la triste consolation de se traîner
avec peine, à l’aide de deux potences, dans sa
maison. Elle implora le secours de Notre-Dame-de-Grâce, et se
fit porter à la Chapelle, en 1659. Et après avoir
prié avec dévotion, elle s’en retourna
chez elle sans secours et sans aide. Son certificat est dans les
archives de la Chapelle, dûment signé.
12. En 1662, Jacqueline Fresson, femme de Romain Rebut, officier de M.
le duc d’Orléans, frère de Louis XIV,
fut saisie d’une fièvre quarte qu’elle
garda onze mois, malgré les soins que lui
donnèrent les docteurs de Honfleur, Rouen et Paris. Comme
elle enfla à pleine peau, ils la traitèrent comme
si elle eut été hydropique et ensuite
l’abandonnèrent par désespoir. Alors
elle mit sa confiance en Dieu, se recommanda à la
Mère de miséricorde sous l’invocation
de Notre-Dame-de-Grâce, et se fit transporter à la
Chapelle, le jour même de son accès. Ses
prières furent exaucées, elle obtint une
guérison si prompte et si parfaite, qu’elle
s’en retourna chez elle sans fièvre ni enflure. Le
procès-verbal qui en fut dressé alors est
signé de sa main et de celle de son mari.
13. M. Thirel, mousquetaire de la seconde compagnie de la garde royale,
en 1669, en partant pour l’île de Candie, qui
était assiégée par les Turcs, se
recommanda à Notre-Dame-de-Grâce. Dès
qu’il fut arrivé, dit-il, une bombe
tombée à vingt pas de lui éclata et un
des éclats l’atteignit, le renversa par terre,
brisa son pistolet de ceinture, coupa le ceinturon de son
épée, et le meurtrit
légèrement à la cuisse sans lui faire
d’autre mal. Il en fut quitte pour la peur.
14. En 1671, M. Gravois, curé de Crémanville,
étant tombé malade, fut abandonné des
médecins parce qu’ils ne connaissaient rien
à sa maladie. Dans ces circonstances, il eut recours
à Notre-Dame-de-Grâce, et, à un mieux
marqué succéda bientôt une
guérison complète, ce qu’il a
attesté et signé.
15. Mgr. Colbert, archevêque de Rouen, atteint depuis
longtemps d’une maladie grave, fit voeu de
visiter le sanctuaire vénéré de
Notre-Dame-de-Grâce. Arrivé à Honfleur
le 15 août 1673, Sa Grandeur, pieds nus, gravit la sainte
montagne et le digne prélat fut complètement
guéri.
16. En 1702, Anne du Bon de Honfleur, fut attaquée
d’une fluxion qui lui tomba sur les yeux. A peine y voyait
elle à se conduire. M. Lecerf, médecin, fut
consulté ; il employa tous les remèdes
qu’il connaissait sans améliorer son sort ; le mal
fit des progrès si alarmants, que M. Lecerf
désespérant de sa guérison, lui
déclara franchement qu’il ne pouvait plus rien
faire et qu’elle perdrait la vue. Frappée de la
rigueur de cet arrêt, elle eut recours au souverain
médecin des corps et des âmes par
l’intercession de Notre-Dame-de-Grâce ; elle se
prépara à la communion et pria M.
l’abbé Touroude, de venir à la Chapelle
dire la messe à son intention. Pendant qu’il
s’en acquittait, elle éprouva, dit-elle, des
douleurs inouïes et extraordinaires dans les yeux. Sa foi,
néanmoins, ne fut point affaiblie. Elle sortit de la
Chapelle parfaitement guérie. Le certificat qui en fut
dressé fut signé par son confesseur et par trois
autres témoins. Il est déposé dans les
archives.
17. Anne Guerrier, femme de Jean Poignan, s’était
chargée, en 1726, d’un nourrisson
qu’elle élevait avec soin. Par malheur, cet
enfant, à l’âge de neuf mois, tomba dans
le feu et se brûla le visage, et particulièrement
l’oeil droit. Après bien des
remèdes, l’oeil sortit de son orbite et
lui tomba jusque sur la bouche. La nourrice, justement
alarmée de cette difformité, fit voeu
d’aller à Grâce, pieds nus, pendant neuf
jours de suite, pour obtenir la guérison de cet enfant.
Dès le premier voyage l’enfant fut mieux, et au
neuvième jour il fut guéri. Ce qu’elle
signa de sa main.
18. Un soldat de l’armée d’Italie, sous
Bonaparte, se recommanda à Notre-Dame-de-Grâce, au
moment d’une bataille sanglante que l’on allait
livrer, et par un évènement singulier, il resta
seul debout de toute sa ligne, sans aucun mal. Ce récit a
été raconté, à M.
l’abbé Vastel, par le soldat lui-même.
19. En 1827, le 25 mars, dit l’abbé Vastel, un
homme d’un département voisin vint faire une
offrande à la Chapelle. Il avait été
attaqué d’une maladie qui l’avait
privé, d’abord de l’usage de ses
membres, puis l’avait plongé dans un
assoupissement continuel pendant plus de deux ans. Voyant que
malgré les médecins qui le traitaient, il prenait
la route des morts, il se recommanda à
Notre-Dame-de-Grâce, et il fut guéri. Je le tiens
de sa bouche.
20. En 1833, raconte toujours l’ancien chapelain de
Grâce, deux personnes, m’ont dit, il n’y
a que quelques mois, qu’elles avaient promis de venir
à Grâce une fois par an. L’une parce
qu’elle avait recouvré la vue, l’autre
à cause de sa femme. Cette femme, pendant quelques
années, avait été perclue de tous ses
membres. Elle se fit apporter à Grâce,
où elle assista à la messe, couchée
sur un matelas. D’abord elle éprouva du mieux, et
bientôt elle se trouva rétablie. De sorte
qu’elle fit à pied la moitié de la
route en retournant chez elle. Le lendemain elle alla à pied
à Lisieux, distant de deux lieues de son domicile. Et,
depuis ce temps, elle vaque à ses affaires comme avant sa
maladie.
Un autre fait qui me paraît aussi surprenant est celui-ci :
un enfant est privé de la vue, à
l’âge le plus tendre ; il prie sa mère
de le porter à la Chapelle, dont elle lui parlait. Et
dès qu’il y fut arrivé, il
s’écria : Vierge sainte, obtenez à un
petit aveugle, la grâce d’y voir ! Et la foi de
l’innocence fut récompensée.
21. Le 24 août 1835, vers les neuf heures du soir, au moment
même où un violent orage venait
d’éclater sur la ville de Honfleur, Madame Lihard,
de Saint-Léonard, eut le malheur de tomber dans le bassin du
Centre, à un des endroits les plus dangereux et
où plusieurs personnes s’étaient
noyées. L’obscurité, produite par
l’orage, couvrait alors de son voile épais toute
cette partie de la ville, et, l’absence de tout
témoin de sa chute, ne permettait pas à Madame
Lihard d’espérer aucun secours humain. Dans cette
fâcheuse position elle se crut perdue sans ressource. A ce
moment suprême et plein
d’anxiété, Madame Lihard met sa
confiance en Dieu et fait un voeu à
Notre-Dame-de-Grâce. Aussitôt elle se sent comme
soutenue et élevée hors de l’eau. Un
éclair d’espérance jaillit du plus
profond de son coeur et vient ranimer son courage abattu. Elle
profite du moment où sa tête est
ramenée à la surface de l’eau pour
pousser un cri, lequel est entendu par son frère. Cet homme,
reconnaissant la voix de sa soeur, s’empresse de
jeter une corde dans la direction d’où le cri est
parti. Ce moyen de salut tombe directement dans la main de Madame
Lihard et l’arrache à une mort
inévitable.
C’est par reconnaissance pour celle qui, du haut de la
colline vénérée, veille avec tant de
sollicitude sur la cité et ses habitants, que Madame Lihard
a déposé le récit touchant de cet
évènement, et la grâce
reçue, dans le sanctuaire béni
d’où ce secours lui est venu.
Comme nous terminions cette première liste, un document bien
précieux nous est communiqué par M.
l’abbé Aubert, chapelain actuel de
Notre-Dame-de-Grâce, témoin oculaire du fait. Nous
le reproduisons
in extenso et
nous sommes convaincus qu’il
sera reçu avec plaisir et lu avec
intérêt :
COMMUNAUTÉ
DE L’IMMACULÉE CONCEPTION
Nogent-le-Rotrou, 28 avril
1865.
Monsieur l’Abbé,
Marie vient réaliser aujourd’hui un de mes plus
chers désirs, en me procurant l’occasion de
proclamer publiquement la reconnaissance et l’amour que je
lui dois. Oui, M. l’Abbé, c’est avec
bonheur que je rappelle à votre mémoire des
circonstances qui, paraissant tout extérieures, ont eu
cependant, sur ma vie, une influence et une action qui s’est
plus développée au-dedans qu’au dehors.
J’avais 20 ans. Il y avait 3 ans et demi que je
gémissais sous les étreintes terribles
d’une maladie nerveuse de l’estomac et de la
poitrine, arrivée à son plus haut
degré. Crises périodiques trois fois par jour et
me jetant deux heures durant, chaque fois, dans les plus horribles
souffrances. Ces crises étaient suivies d’une
sorte de sommeil léthargique, pendant lequel
l’application d’un fer rouge sur ma poitrine ne
pouvait parvenir à me faire faire le moindre mouvement et
avec cela une toux continuelle.
Tous les secours de la médecine étaient
épuisés : j’étais
près de succomber sous la double influence de la douleur et
du dévouement, quand soudain un éclair
d’espérance jaillit du fond de mon coeur.
Marie est toute-puissante, me dis-je, il faut qu’elle me
guérisse ! Je résolus d’aller lui
demander ma guérison dans la Chapelle de
Notre-Dame-de-Grâce, convaincue qu’elle me
l’accorderait. Mais que d’obstacles
s’opposaient à mon projet. A la
première exposition que j’en fis, il fut
jugé impossible à réaliser.
En effet, il fallait compter sur une protection signalée de
Marie, pour oser entreprendre un tel voyage. Trente-trois
kilomètres à parcourir ; et
j’étais dans une telle situation de souffrances et
de sensibilité nerveuse que, le changement d’un
lit dans un autre, quoique fait avec les plus grandes
précautions, occasionnait des crises ou des sommeils qui
plongeaient mes parents dans la plus grande désolation.
On me représenta les difficultés, on
m’offrit de faire pour moi ce voyage. Les
difficultés ne
m’épouvantèrent point ; je persistai
dans mon dessein et je voulus partir. Enfin, on céda
à mes instances ; ou plutôt on obéit
à l’impulsion de la volonté de la douce
Vierge, qui voulait que l’enfant sût que par elle
elle obtiendrait tout pour le corps et pour l’âme.
Le 6 novembre 1855, j’arrivai à
Notre-Dame-de-Grâce, avec ma mère et mon oncle.
Quoique couchée dans une voiture bien fermée,
dont les chevaux n’allaient que le pas, j’avais
été sans connaissance et sans mouvement pendant
toute la route. On ne me fit pas entrer à la Chapelle ce
jour-là. Le lendemain, malgré ma demande, mon
oncle ne voulut pas consentir à ce que je fisse la sainte
communion à la messe qu’il devait dire
à mon intention : parce que, disait-il, dans
l’état de faiblesse où
j’étais réduite, il me serait
impossible de supporter ce jeûne, si court qu’il
fût. Je cédai sur ce point, soit que ma foi
faiblît devant les obstacles, soit que, reconnaissante de ce
qu’on avait bien voulu m’accorder
l’important, je craignisse de me montrer trop exigeante.
Enfin, à dix heures du matin, le 7 novembre, deux personnes
descendaient sur un fauteuil, une pauvre jeune fille, allant demander
à Marie sa guérison ou la mort. Cette douce
mère me protégeait déjà !
Il est vrai qu’on avait pris toutes les
précautions possibles afin qu’aucune secousse ne
me fût donnée, mais d’après
ce que j’éprouvais ordinairement,
j’aurais dû éprouver quelques
souffrances. Le miracle commençait.
On arrive à la Chapelle. On veut me laisser dans le bas ;
à chaque instant et à chaque pas on craignait de
me voir mourir. Je demande à monter jusqu’au haut,
et à être déposée au pied de
la statue de la Sainte-Vierge. Que pouvait-on me refuser ? On sentait
bien que j’étais l’objet d’une
protection spéciale de cette bonne mère, on me
plaça où je désirais être.
La messe commence et avec elle, la souffrance, souffrance telle, que
jamais je n’en ai éprouvé de semblable.
Cette souffrance augmentait à mesure que l’auguste
sacrifice approchait de sa consommation. Au moment de la
consécration, elle devint si intense et si vive que,
malgré moi, je poussai une sorte de cri. Mais ce cri,
causé par la douleur, fut aussitôt suivi de cet
autre jeté dans le coeur de Marie par la foi et
l’espérance : je suis mieux ! Marie va me
guérir !.. Un changement subit s’opéra
en moi. L’expression de douleur et de souffrance peinte sur
mon visage s’effaça ; une lueur de vie
causée par la joie s’y répandit : on ne
me reconnaissait plus. Il y a bientôt dix ans que ceci
s’est passé ; ceux qui en ont
été les témoins en ont
gardé le souvenir et peuvent mieux que moi en rendre
témoignage.
Cependant, Marie ne jugea pas à propos d’effectuer
entièrement la guérison de son enfant. Une
amélioration notable se fit sentir ; les crises et les
sommeils disparurent, mais il m’était encore
impossible de me tenir assise et même de remuer les jambes.
On jugea à propos de me faire changer d’air. On me
transporta à Orbec, chez mon oncle.
L’état de souffrance dans lequel
j’étais restée me
décourageait. Une seconde fois je recourus à
Marie. Le 8 décembre, je priai qu’on me
portât à la messe, j’y reçus
encore des preuves sensibles de la protection maternelle de la Vierge
Immaculée et j’obtins du mieux, seulement je
sentis intérieurement que je n’obtiendrais mon
entière guérison qu’en faisant un
second voyage à Notre-Dame-de-Grâce. On fut encore
obligé de me porter à la Chapelle, puisque mes
jambes me refusaient leurs services. Après avoir
assisté à la messe et fait la sainte communion,
je fus pressée d’un ardent désir
d’aller me mettre à genoux aux pieds de la
Sainte-Vierge ; et, sans songer que puisque je ne pouvais marcher, cela
m’était impossible, je demandai qu’on y
portât un prie-Dieu. On fit ce que je désirais,
sans s’en rendre compte. Aussitôt je me
lève, et, seule, sans soutien, je vais
m’agenouiller aux pieds de celle à qui je dois
tout. Que fis-je alors ? ou plutôt que fit-elle ?.. Dans le
temps, je ne le compris pas ; mais aujourd’hui,
rangée au nombre de ses enfants de prédilection,
je la remercie de ce qu’elle fit à ce moment que
je n’oublierai jamais.
Je retournai à pied, de la chapelle à
l’hôtel où nous étions
descendus. Je montai l’escalier seule, et revenue
à Orbec, chez mon oncle, après un voyage de 53
kilomètres, je descendis seule de la voiture et je montai
à ma chambre sans le secours de personne.
Voilà, je crois, M. l’Abbé, le
récit que vous me demandez. Je désire
qu’il soit aux yeux de tous, une nouvelle preuve de la
protection de la Sainte-Vierge envers ses enfants qui
l’invoquent avec confiance. Puissent tous ceux qui le liront
y puiser l’abandon le plus entier entre les mains de cette
bonne Mère !... Car, je l’atteste et le reconnais
publiquement, c’est à Marie et à Marie
seule que je dois ma guérison ; et c’est
à dater du jour que je lui en ai abandonné et
confié le soin, sans plus recourir aux secours de la
médecine que j’ai obtenu, d’abord du
mieux, ensuite la guérison complète.
Dire maintenant ce que je dois de reconnaissance à cette
bonne Mère serait impossible ; car ce qui a paru
extérieurement n’a certes pas
été en moi, son plus grand travail. Marie
m’a rendu la santé du corps, puisque, depuis cette
époque, 7 janvier 1856, jour de mon second
pèlerinage à Notre-Dame-de-Grâce, je
n’ai plus été soumise aux terribles
souffrances dont elle me délivra alors ; mais Marie a fait
incomparablement plus, en me retirant des jouissances et des
vanités du monde, pour me placer au rang des
épouses de Jésus. C’est cela que je
voudrais qu’on sache, et c’est cela que je ne puis
dire !..
Pourrait-il, après tant de grâces
reçues, m’être pénible de
voir mon nom figurer parmi les protégées de la
Reine du Ciel ? Trop heureuse au contraire, M.
l’Abbé, de témoigner ainsi mon amour
à Marie !.. Je désire, au contraire, si
c’est possible, que le récit de ma
guérison soit consigné, tel que je viens de vous
le faire, sur le registre de la Chapelle.
Daigne Notre-Dame-de-Grâce, continuer à la pauvre
petite soeur Saint-Bernard, la protection qu’elle
accorda à Félicité Dutacq, et la
rendre digne de s’appeler une soeur de
l’Immaculée Conception, et que surtout elle lui en
donne les vertus !....
Veuillez recevoir, M. l’Abbé, avec
l’assurance de mon profond respect, l’expression de
ma reconnaissance pour l’heureuse
nécessité où vous me mettez, de payer
une dette d’amour à Marie. Agréez aussi
mes remercîments pour toutes les bontés,
qu’à cette époque, vous avez eues pour
moi ; et s’il m’est permis de vous adresser une
prière, je vous supplie de ne pas oublier aux pieds de
Notre-Dame-de-Grâce celle qui veut être,
Son
enfant pour toujours.
F. DUTACQ,
En
religion soeur Saint-Bernard,
Nov. de l’Immaculée Conception.
_________________________
MARINS PRÉSERVÉS
DU NAUFRAGE
Par
l’intercession de Notre-Dame-de-Grâce.
_____
II
Les faits rapportés dans cette seconde liste sont extraits
du registre des RR. PP. Capucins et des légendes
écrites au bas des
ex-voto
suspendus dans la Chapelle.
1. Charles Genois fut surpris d’une tempête
épouvantable en revenant de Terre-Neuve en 1644. Son
mât fut emporté et son navire par deux fois
submergé. Alors ranimant le courage perdu de tout son
équipage, il se recommanda à Dieu par
l’intercession de Notre-Dame-de-Grâce, et la mer
devint aussitôt calme, les vents tombèrent et il
arriva heureusement à Honfleur. Ils donnèrent un
cierge de cire blanche, pesant six livres, avec quatre écus
pour l’ornement de la Chapelle.
2. En 1655, Samson Tuné, en revenant des îles,
essuya une tempête si violente en arrivant à
Nantes, qu’il fut enseveli tout-à-coup dans les
ténèbres les plus épaisses. Les vents
faisaient un tel vacarme que les matelots ne s’entendaient
pas. Pour comble de malheur, le navire s’ouvrit et
l’équipage perdit l’espoir de se sauver.
Dans cette extrémité, il eut recours à
Notre-Dame-de-Grâce. Et sans distinction de protestants et de
catholiques qui composaient son équipage, tous firent le
même voeu, et aussitôt, dit-il dans son
rapport, le vent tomba, la mer devint unie et le navire se referma. En
reconnaissance ils donnèrent une lampe d’argent.
3. Jean Liebard de Honfleur, qui commandait le
Saint-François, étant
parti
d’Amsterdam pour revenir en France, en 1660,
éprouva sur la rade du Texel un coup de vent qui dura depuis
dix heures du soir jusqu’à sept heures du matin,
et qui fut si terrible qu’il fut obligé de couper
son mât. Ses câbles s’étant
rompus, il devint le jouet des vents. Il toucha deux fois et perdit
sont gouvernail. L’eau commença à
entrer par l’arrière avec tant
d’abondance que les matelots en avaient
jusqu’à la ceinture entre deux ponts. Enfin, ayant
vu dix-sept navires périr sous ses yeux, corps et biens, il
se recommanda avec son équipage à
Notre-Dame-de-Grâce, et il alla
s’échouer sur une petite île voisine
où il resta six semaines, pour réparer son navire.
Il y eut deux cent soixante-dix bâtiments qui
périrent sur la rade avec dix mille hommes. La bourse
d’Amsterdam fut fermée pendant trois semaines.
4. La même année, une gribane battue par la
tempête et prête à être
engloutie implora Notre-Dame-de-Grâce. Une vague la renversa
la quille en haut et une autre vague la redressa. Quoique tous les
matelots fussent dispersés dans les flots, il ne
s’en perdit pas un, et elle arriva au lieu de sa destination.
5. Le 8 septembre 1665, Guillaume Morin essuya une tempête,
en revenant du banc de Terre-Neuve, qui remplit son navire
d’eau, l’inclina si fort que la mer touchait le
mât de hune. La soute fut remplie d’eau et le pain
fut gâté. L’équipage
s’étant retiré sur l’avant,
on essaya de couper le grand mât, mais il ne fut pas
possible, les flots étaient trop gros. Dans cet embarras,
capitaine et matelots implorèrent le secours de
Notre-Dame-de-Grâce, et un peu de calme permit
qu’en deux coups de hache on l’abattit. Alors le
navire se redressa et arriva à Honfleur.
6. Le capitaine Thurelle, commandant le
Mercoeur, vaisseau
de guerre, sur la rade du Havre, ayant perdu toutes ses ancres et
dérivant au gré des vents, dans une
tempête furieuse qui le poussa plusieurs fois sur le
Bourbon, autre vaisseau de guerre,
crut n’avoir
d’autre moyen de se sauver que d’implorer le
secours de Notre-Dame-de-Grâce. Et en effet, il ne lui arriva
d’autre accident que la perte de ses ancres, le 6 octobre
1673.
7. En 1679, le capitaine Crété, revenant de
Terre-Neuve, chargé de morues, éprouva une
tempête qui l’obligea à jeter
l’ancre à trois lieues au dessus du Ratier. La
nuit suivante, ses ancres ayant filé, il se trouva tout
près de cet écueil, où le naufrage
était inévitable. Pour comble de malheur, il
perdit sa principale ancre. N’ayant plus que trois brasses
d’eau et n’étant retenu que par un
mauvais câble sur lequel son expérience ne pouvait
compter, il se crut perdu sans ressource. Dans ce danger, il mit son
espérance en Dieu, implora Notre-Dame-de-Grâce, et
son vieux câble résista jusqu’au moment
où il y eut assez d’eau pour lui faire franchir
l’écueil du Radier, car aussitôt il
manqua, et il arriva heureusement au port de Honfleur.
8. Le capitaine Potel revenait du banc de Terre-Neuve,
chargé de morues en 1680, ayant toujours
été battu par la tempête, son navire
s’ouvrit à cent lieues en deça du banc.
Tout l’équipage se crut perdu, et en effet,
humainement parlant, il n’y avait pas grand espoir, car les
pompes ne suffisaient pas pour épuiser l’eau,
l’équipage se lassait et on était trop
éloigné de terre. Dans cette position, ils se
mirent sous la protection de Notre-Dame-de-Grâce. Leur foi ne
fut point trompée ; ils s’aperçurent
même que toutes les fois qu’ils renouvelaient leurs
voeux et leurs prières, le vent se calmait. Enfin,
après avoir lutté contre la mort pendant cinq
à six cents lieues, au milieu des vents et des
tempêtes, le navire vint couler à un demi-quart de
lieue des côtes d’Angleterre, tout près
d’un autre navire dont la Providence, ce semble, avait
réglé la marche et le repos pour les sauver.
Personne ne fut perdu.
9. En 1682, le capitaine Berrenger, qui commandait le
Saint-Pierre,
essuya une tempête si terrible sur le banc de Terre-Neuve,
qu’en un instant il perdit son mât
d’arrière, plus de moitié du premier
pont, les deux galeries, son gouvernail, toute sa chambre et tout le
bord du navire, de sorte qu’il était sans
défense au milieu des flots agités. Son fils, qui
lui servait de pilote, fut enlevé auprès de lui,
dans sa chambre, par une vague. Le plancher de la chambre
défonça, et il tomba la tête en bas,
entre les deux ponts où il fut abimé
d’eau. S’imaginant qu’il était
jeté dans la mer, il invoqua la miséricorde de
Dieu par l’intercession de Notre-Dame-de-Grâce, et
par un bonheur inexprimable, il parvint à se
dégager d’entre tous les débris de sa
chambre ; mais au premier pas qu’il fit, il pensa se jeter
à la mer, trompé par le jour qu’il
voyait par le bout du navire, que la mer avait emporté. Il
entra alors tant d’eau, que les matelots qui
étaient entre les deux ponts pensèrent en
être suffoqués. Dans ce moment
d’alarmes, croyant être à leur
dernière heure, ils firent tous voeu à
Notre-Dame-de-Grâce. Le navire resta encore sept jours sur le
banc sans pouvoir en sortir, tant il avait été
maltraité et tant la mer était furieuse. Alors il
vint en pensée à quelqu’un de
l’équipage d’attacher une image de la
Sainte Vierge au mât qui restait, pour servir de gouvernail
et de pilote, n’ayant ni l’un ni l’autre.
Enfin le navire s’ébranla, et deux mois
après, il arriva à Honfleur sans
dévier et sans recevoir une goutte d’eau
à bord, quoique la mer fût toujours
agitée. Le certificat qui en fut dressé est
signé du capitaine et de l’équipage.
M. l’abbé Vastel cite encore plusieurs noms de
capitaines qui ont été l’objet de
faveurs spéciales dues à l’intercession
de Notre-Dame-de-Grâce. Ces pieux et braves marins sont : le
capitaine Berthelot en 1669, le capitaine Cordier en 1674, le capitaine
Doublet en 1685.
10. En l’année 1701, le
Passager,
de Honfleur au
Havre, fut assailli dans la traversée, par une formidable
tempête. Il portait le lieutenant de Roi en la citadelle du
Havre, quelques officiers supérieurs et leurs domestiques.
Le danger devint tellement imminent qu’on fit un
voeu à Notre-Dame-de-Grâce la bonne
patronne des marins de la côte depuis les anciens jours. Le
bateau touchait au
Port aux Bretons
et
l’espérance ranimait tous les coeurs,
quand une vague énorme, le prenant en travers, le fit
sombrer et disparaître. Il y eut plus de douze victimes,
entr’autres le major de la citadelle et la servante du
lieutenant de Roi. Quant aux autres passagers portés, on ne
sait trop comment, sur le rivage, ils reconnurent ne devoir leur salut
qu’à un vrai miracle qu’ils
attribuèrent à la protection de
Notre-Dame-de-Grâce. Aussi se rendirent-ils pieusement dans
le sanctuaire vénéré de la
côte de Honfleur pour remercier la Sainte Vierge, et ils y
déposèrent leur offrande après avoir
fait célébrer un service solennel pour leurs
malheureux compagnons ensevelis sous les flots. M. de Clieu,
curé du Havre, qui relate ce malheureux
évènement dans ses
Notes
quotidiennes, parle
souvent, dans ses opuscules, de la piété et de la
dévotion des anciens Havrais à
Notre-Dame-de-Grâce.
Voeu fait à Notre-Dame-de-Grâce, par le
capitaine Jean Legrix de Honfleur et son équipage, le 21
mars 1754.
Voeu fait à Notre-Dame-de-Grâce, par le
capitaine Bellet et son équipage, sur le navire le
Saint-André, le 11 avril
1754.
Voeu fait à Notre-Dame-de-Grâce, par
Joseph Bernard Quillet, sur le navire
la
Dauphine, ayant fait
naufrage sur le banc d’Amfar, le 22 mars.
Voeu fait à Notre-Dame-de-Grâce, par le
capitaine François Fortin fils, de Honfleur et son
équipage, le 21 septembre 1768.
Voeu fait à Notre-Dame-de-Grâce par le
capitaine Loisel et son équipage, commandant le navire
l’
Union, de Honfleur,
borné par la terre et les
rochers, dans une grande tempête, le 20 octobre 1768, sous
les Iles Lucayes ou de Bahama latitude nord 27°, longitude
81°, méridien de Paris, partant du Port-au-Prince.
Voeu fait à Notre-Dame-de-Grâce, par
Robert Bunel et son équipage, sur le navire
la
Marie-Françoise, les 22 et 30 novembre 1768.
Voeu fait à Notre-Dame-de-Grâce, par
Alexandre Gille et son équipage sur le navire
le Brancas,
le 7 février 1770.
Voeu fait à Notre-Dame-de-Grâce, par le
capitaine Benjamin Harang, de Honfleur et son équipage, le
17 septembre 1781.
Voeu fait à Notre-Dame-de-Grâce, par le
capitaine Tréguilly et son équipage, le 5 octobre
1784.
Voeu fait à Notre-Dame-de-Grâce, par le
capitaine Liard, sur le bateau l’
Étoile,
allant
à la Guadeloupe, le 24 août 1782.
Voeu fait à Notre-Dame-de-Grâce, par
Etienne-Julien-Amand Liard et son équipage, sur le navire
la Gentille, le 21 septembre 1792.
Voeu fait à Notre-Dame-de-Grâce,
à bord du
Vigilant, de
Honfleur, par Lecesne et le
capitaine Bauduin, dans les bancs du Texel, le 19 août 1844,
allant à Amsterdam. Donné à
Notre-Dame-de-Grâce, en 1845.
__________________________________
PÉLERINAGES
___
PERSONNES ILLUSTRES QUI ONT
VISITÉ LA CHAPELLE
DE NOTRE-DAME-DE-GRACE DE HONFLEUR
____
III
Le lecteur qui a suivi avec attention les principaux faits miraculeux,
dus à l’intercession de
Notre-Dame-de-Grâce, verra avec non moins de plaisir la liste
des pélerinages les plus remarquables et celle des
personnages de distinction qui sont venus s’agenouiller dans
ce modeste sanctuaire, aux pieds de la Reine du Ciel et de la Terre.
Nous les transcrivons d’après les authentiques qui
nous ont été communiquées :
En 1624, la ville de Lisieux fut attaquée d’une
peste violente qui la décima. Mgr. Alleaume, qui en
était évêque, touché de la
désolation du peuple, fit voeu avec son chapitre,
de venir à Grâce en procession pour être
délivrés de ce fléau destructeur. A
peine le voeu fut-il fait que la peste cessa ses ravages. Mgr.
l’Évêque vint en effet à
Grâce en procession avec son chapitre. Il y prêcha,
et laissa deux chandeliers d’argent en témoignage
de sa reconnaissance.
En 1708, Mgr. Claude-Maur d’Aubigné,
archevêque de Rouen, accompagné des
évêques de Bayeux, Evreux, Lisieux,
Séez, vint à Honfleur, afin de
présider un synode tenu en cette ville.
Cette assemblée de prélats et de
théologiens avait pour objet de condamner solennellement la
doctrine d’un ministre protestant, nommé Stander,
qui enseignait au peuple les erreurs de Jansénius et de
Luther.
Après avoir prononcé leur jugement contre les
fausses opinions que professait cet hérétique,
leurs Grandeurs et tout le clergé de Honfleur se rendirent,
plusieurs fois, processionnellement à la chapelle de
Notre-Dame-de-Grâce, au milieu d’un concours
immense de fidèles, venus de plus de dix lieues à
la ronde.
Le 10 mai 1723, pèlerinage de Mgr. Belsunce,
évêque de Marseille (pages 33 à 35).
Ici se présente un laps de temps assez long (79
années) sans que nous ayons à mentionner le
moindre fait d’une importance quelconque ; cependant le
sanctuaire de grâce ne dut cesser d’être
visité et plus d’un pèlerin, plus
d’un personnage marquant, vint sans doute, demander
à la dispensatrice des grâces, les secours
nécessaires à chacun. Leurs noms ont dû
être inscrits sur le registre de la chapelle, tenu,
à cette époque, par les RR. PP. Capucins. Ces
documents précieux, surtout aujourd’hui, manquent
totalement ; l’histoire n’en fait même
aucune mention. Peut-être auront-ils subi le sort de bien
d’autres, également intéressants, et
que la Révolution, accomplissant son oeuvre de
destruction, les aura anéantis à tout jamais.
Nous reprenons la suite de notre liste à
l’époque du Consulat.
Le 28 octobre 1802, Bonaparte, premier consul, visitant Honfleur, monta
sur la Côte de Grâce et voulut voir la Chapelle. Il
y fut reçu par M. l’abbé Quillet,
prêtre insermenté, qui la desservait en attendant
la nomination d’un nouveau Chapelain.
En 1817, le cardinal Étienne Hubert de
Cambacérès, archevêque de Rouen, vint
incognito, à la chapelle de Notre-Dame-de-Grâce,
pour accomplir un voeu qu’il avait fait. Le
prélat fut assisté par MM. les abbés
Fossé et Sénécal, vicaires de
Sainte-Catherine de Honfleur. Après avoir
célébré les saints
mystères, son Eminence repartit immédiatement.
Le 22 octobre de la même année, M. le duc
d’Angoulême, de passage à Honfleur, se
rendit au côteau de Grâce et visita la chapelle
vénérée.
En juillet 1824, Madame la duchesse de Berry, vint du Havre
à Honfleur. Aussitôt
débarquée, Son Altesse Royale monta le
côteau et se rendit à la chapelle de
Notre-Dame-de-Grâce, où un
Te Deum fut
chanté en son honneur par M. l’abbé
Vastel, chapelain. Après avoir prié quelques
instants dans ce sanctuaire béni, Madame la duchesse de
Berry se dirigea vers le Mont-Joli, où de grands
préparatifs avaient été faits pour la
recevoir.
Le 6 avril 1829, Madame la duchesse d’Angoulême
passant également du Havre à Honfleur, vint
ajouter son nom à ceux déjà si
nombreux des illustres visiteurs de Notre-Dame-de-Grâce.
Cette princesse ne resta que très-peu de temps,
l’heure de la marée l’obligeant
à se rembarquer pour retourner au Havre.
Mgr. Hyacinthe de Quélen, archevêque de Paris,
vint à Honfleur en 1835. Sa Grandeur arriva le samedi 29
août. Le dimanche 30, elle officia pontificalement dans
l’église Sainte-Catherine.
Le lendemain, 31, le vénérable prélat
se rendit à la chapelle de Notre-Dame-de-Grâce et
y célèbra le saint sacrifice de la messe,
assisté de son vicaire général et de
M. l’abbé Rivière, curé de
Sainte-Catherine de Honfleur.
En 1848, la reine Marie-Amélie, traversant la France pour se
rendre en Angleterre, visita le sanctuaire de
Notre-Dame-de-Grâce (page 42 et 43).
En 1852, Mgr. Grant, évêque de Southwark
(Angleterre) vint en France pour accomplir un voeu
qu’il avait fait de visiter la chapelle de
Notre-Dame-de-la-Délivrande. En quittant ce sanctuaire
vénéré pour retourner en Angleterre,
le pieux prélat passa par Honfleur et se rendit à
la chapelle de Notre-Dame-de-Grâce.
En 1855, le 3 août, Mgr. Ignace-Antoine Samhiri, patriarche
d’Antioche des Syriens, vint à Honfleur, visita la
chapelle de Notre-Dame-de-Grâce et y
célébra la sainte messe. Sa Béatitude
était assistée de M. l’abbé
Godard, curé de Sainte-Catherine de Honfleur, chanoine
honoraire de Bayeux et des ecclésiastiques de la ville.
En 1857, le 2 février, un bien digne
évêque, un enfant de Honfleur, Mgr.
Désiré-Michel Vesque, officia pontificalement
à la chapelle de Notre-Dame-de-Grâce,
assisté de M. l’abbé Dupart, son
vicaire général, et de plusieurs
prêtres de Honfleur. Ce prince de
l’église, ce serviteur si
dévoué de Marie, eut toujours une si profonde
vénération pour le sanctuaire béni qui
avait abrité ses jeunes années, qu’il
voulut que l’image de Notre-Dame-de-Grâce
fût gravée sur ses armoiries, afin d’en
consacrer le souvenir. Le 10 du même mois, avant de
s’embarquer pour son lointain diocèse, Roseau,
île de la Dominique (Antilles anglaises), sa Grandeur
célébra une dernière fois,
à la Chapelle, le saint sacrifice de la messe.
Nous citerons encore les noms de plusieurs princes de
l’Eglise, pélerins au modeste sanctuaire, et dont
le souvenir est resté vivant au sein de notre population. Ce
sont : Mgr. Emmanuel Verrolles, du diocèse de Bayeux,
évêque de Colomby, vicaire apostolique de
Mandchourie (Chine) ; Son Eminence le Cardinal Mathieu,
archevêque de Besançon ; Mgr. de Marguerye, du
diocèse de Bayeux, évêque de St-Flour,
actuellement à
l’évêché d’Autun ;
Mgr. Salmon du Châtellier, Mgr. Ollivier et Mgr. de Voucoux,
évêques d’Evreux.
Nous ne parlerons pas de tous les Pontifes qui se sont
succédés sur les siéges de Bayeux et
Lisieux. Ces dignes prélats n’ont jamais descendu
à Honfleur sans aller s’agenouiller aux pieds de
Notre-Dame-de-Grâce. Plusieurs d’entr’eux
y ont même conféré les sacrements
d’Eucharistie et de Confirmation, entr’autres Mgr.
Robin, en 1853.
Et maintenant que nous nous sommes fait l’écho des
miracles obtenus par l’intercession de cette vierge
bénie, et que nous avons dressé la liste de ses
illustres visiteurs, n’ajouterons-nous pas quelques mots
encore ? - Sans doute, il est beau de voir des princes de la terre, des
prélats, des personnages marquants par leurs
mérites ou par leurs vertus, venir s’agenouiller
l’un après l’autre, au pied du modeste
autel de Marie, et demander, confondus avec le pauvre et le souffrant,
les secours et les faveurs dispensés à tous
également ; sans doute, ces manifestations, quoique
particulières et individuelles, sont éclatantes,
parce qu’elles viennent de haut. Mais si, au lieu
d’un individu, quelque grand qu’il soit,
c’est tout une paroisse, tout une ville, qui vient ainsi,
unanime comme un seul homme, confiante et recueillie, implorer
à son tour la Mère des grâces divines,
mater divinæ gratiæ,
alors, la manifestation,
croyons-nous, est plus éclatante encore et le spectacle plus
beau. C’est comme une nouvelle gloire qui rejaillit sur le
nom de Marie.
Pourquoi cette gloire aurait-elle manqué à son
humble sanctuaire de la colline ? Honfleur se souviendra longtemps de
ce pèlerinage de Saint-Laurent de Paris, le 8 septembre
1863, où plus de 700 personnes, sous la conduite de leur
zélé pasteur, l’abbé
Duquesnay, vinrent, loin du bruit et des affaires de la capitale,
montrer à nos plages tranquilles qu’il y a encore
de la foi dans Paris. - Et cette autre démonstration
religieuse, moins d’une année après,
qui pourrait jamais l’oublier ? Cette fois, ce
n’était plus 700 personnes,
c’était 1400 qu’une ville plus voisine,
il est vrai, Lisieux, envoyait demander au nom de tous, la protection
de Marie. Oh ! ces jours-là, comme la colline
était verte et fleurie ! comme elle semblait
s’embellir encore, pour recevoir sur son sommet, dans sa
chapelle rustique, les pieux pélerins ! Et tous les ans, de
nouvelles processions aux longues rangées de jeunes filles
parées de blanc, de jeunes garçons au lendemain
de leur première communion, viennent en chantant des hymnes
saints, demander à la Mère, la confirmation dans
la foi de ces chrétiens, nouveaux conviés
à la table du Fils. Et le lendemain, ou le soir
même, tous s’en retournent, pleins de bonheur et de
paix. Puis, d’autres leur succèdent, et chaque
année semble augmenter le nombre des pélerinages.
Et ainsi en sera-t-il longtemps encore, sans doute ; car,
c’est là le lieu de votre repos, ô
Marie, le lieu que vous avez choisi pour y faire votre demeure.
Hoec
requies mea… hic habitabo quoniam elegi eam.
___
Nous devons à l’obligeance de M.
Bréard, notaire, à Honfleur, la communication
d’un document très-précieux, et
quoiqu’il nous soit parvenu au moment même
où nous terminions le tirage de cette notice, il
n’en sera pas moins lu avec intérêt.
Nous le reproduisons en entier et avec l’orthographe du temps
:
Nous Gabriel de Hally prestre chanoine en l’esglise
cathédralle de Sainct Pierre de Lisieux docteur en
théologie de la faculté de Paris, grand chantre
et vicaire général de
l’evesché dudit Lisieux, en la présence
de Mes Nicolas Lecourt Tabellion royal à Honfleur et
Ollivier Moulin chirurgien juré en la vicomté
d’Auge, avons veu et visité les Reliques
à nous présentez par les
Révérends pères Capucins de Nostre
Dame de Grâce de Honfleur estant dans une boite
cachetée que nous avons à cet effet ouverte,
lesquelles concistent en celles de Sainct Fidelle martyr, qui est un os
du grand bras, une autre de Saincte Perpétue martire, qui
est une partie de l’os isquion ; en une autre de Sainct
Severien aussy martir qui est une vertesbre du dos ; en une autre de
Sainct Olimpius, martir, qui est une partie du rayon ou avant bras, en
une autre de Sainct Probus martir qui est une partie de l’os
isquion, lesquelles reliques nous avons treuvez conformes à
l’autentique donnée par le cardinal Gaspard du
tiltre de Sainct Silvestre, vicaire général de
Notre Saint Père le Pape, donné à Rome
l’an du Jubilé le vingt et une d’apvril
mil six cent soixante et quinze en faveur de
l’abbé Charles Mannusccus deubment
signé scellé au dos duquel est la concession qui
en a esté faite par ledit sieur abbé au
père Amadée prédicateur capucin de
Bayeux qui était pour lors à Rome,
dabtée du vingtsix desdits mois et an ; lequel
père Amadée en a fait donation à la
Chapelle de Nostre Dame de Grâce ; les cachets de laquelle
boite nous avons treuvez conformes aux termes dudict authentique,
suivant quoy nous avons confirmé et aprouvé
lesdites reliques et permis aux pères Capucins de la dite
chapelle de Nostre Dame de Grâce de Honfleur, de les exposer
au culte et à la vénération des
fidelles ; pour la solempnité de quoy nous avons fait avec
le clergé de ladite ville une procession solempnelle
à laquelle ont esté portez lesdites reliques de
l’esglise de Sainct Léonard à ladite
Chapelle de Grâce, en foy de quoy nous avons signé
et expédié le présent à
ladite chapelle de Nostre Dame de Grâce ce
jourd’huy deuxe jour de juillet mil six cent soixante dix
sept aux présences de discreptes personnes Me Noel Lebret
prestre, curé de Beuzeville, Jacques Delahaye, prestre,
demeurant au Pont Audemer, Maistre Vincent Liestout aussy prestre
vicaire des parroisses de Sainct Estienne et Saincte Catherine de
Honfleur, Pierre Peley aussy prestre de ladite parroisse de Saincte
Catherine présents à l’ouverture de
ladite boitte et visitte desdites reliques qui ont
été remises aux mains desdits pères
Capucins soubsignez ensemble ledit authentique ; fait comme dessus.
Signé : DE HALLY. N. LE
BRET. DE LA HAYE.
LIÉTOUT. PELEY.
O. MOULIN.
F. PAULIN D'EVREUX
capucin demeurant à Grâce.
F. JOSAPHAT DE DIEPPE,
capuc. demeurant à Grâce.
LE COURT, tab.
et DE LANNOY.
Le présent mis et déposé au
tabellionnage royal de Honnefleur par lesdits
Révérends pères Capucins pour y avoir
recours en cas de besoin, ledit jour deuxiesme de Juillet mil six cent
soixante dix sept et en a esté délivré
acte auxdits révérends pères.
Signé : L
E C
OURT
et
DE L
ANNOY.
Notes :
(1) G. Ozaneaux,
Histoire de France,
Paris, Tandou,
éditeur.
(2) A. Catherine, archiviste. *
Histoire
de la Ville et du Canton de
Honfleur* 1864.
(3) Archives de la ville de Honfleur.
(4) Notice de M. l’abbé Vastel.