NOTRE PROGRAMME
Les Régionalistes, estimant avec juste raison, que la centralisation à
outrance paralyse les initiatives, forment le vœu de voir nos vieilles
provinces vivre, chacune avec l'originalité qui lui est propre, son
indépendance intellectuelle et artistique, ses coutumes, ses modes, ses
fêtes, et surtout avec un développement économique apportant à ses
habitants, trop disposés à aller encombrer les grandes villes, une
prospérité qui les retiendrait sur le sol natal.
Or, la Normandie, avec ses industries rurales et manufacturières, son
sous-sol qui contient des richesses minières et métallurgiques de tout
premier ordre, l'outillage moderne que les nécessités de la guerre ont
fait créer, ses ports, ses voies de communications fluviales et
terrestres, devrait être au premier rang des Provinces françaises.
Récemment, des mesures ont été prises pour que les mines en chômage,
les hauts-fourneaux, aciéries, laminoirs soient remis en activité,
ainsi que pour l'aménagement du port de Caen destiné à devenir un grand
port métallurgique.
Nous devons nous féliciter de ces efforts, mais il ne faudrait pas se
déclarer satisfait pour si peu. L'œuvre est seulement amorcée ; il faut
tout faire pour que cette activité s'étende à tout le domaine agricole
et industriel normand.
Au point de vue intellectuel, la Normandie est une des provinces qui a
fourni à la France, les illustrations les plus remarquables dans tous
les domaines de l'activité humaine. Dans les Lettres, la Poésie, les
Sciences, les Arts, l'Armée, la Marine, la Magistrature, le Barreau, la
Haute-Finance, les Assemblées électives et délibérantes, les Normands
ont occupé et occupent les premières places, et mieux que tout, la
splendide floraison des grands noms et des génies normands montre
l'immense apport fait à la France par la Normandie héroïque,
civilisatrice, artistique et littéraire et le rôle social et politique
qu'elle a joué dans l'unité nationale.
En éditant cette Revue, nous voulons nous efforcer, sans aucune
préoccupation politique ou confessionnelle, de défendre les intérêts
normands sous quelque forme qu'ils se présentent.
Entreprendre, à cet effet, dans les domaines agricole, commercial,
économique et industriel, toutes campagnes utiles.
Seconder toutes les initiatives, qui auront pour but les intérêts
normands.
Susciter les manifestations d'art qui, comme les inoubliables fêtes
cornéliennes de 1904, à Petit-Couronne, ont pour but de magnifier les
gloires normandes. Corneille, n'est-il pas, en même temps, une des plus
pures gloires françaises, et ainsi que le disait récemment, M. Le
Senne, « Corneille n'est-il pas le grand poète qui a exalté le
sentiment du devoir et qui est plus que jamais le maître de notre
civisme. »
Apporter notre concours aux Syndicats d'Initiative, en faisant
connaître non seulement par des descriptions, mais encore par l'image,
les beautés naturelles du pays, ses stations balnéaires et thermales,
ses richesses artistiques — la Normandie n'est-elle pas, en effet, le
pays des chefs-d'œuvre de pierre — et attirer ainsi les touristes, une
des meilleures sources de richesse.
Publier des œuvres de nos littérateurs et de nos poètes, et, pour les
patoisants, les œuvres de ceux d'entre eux qui se sont voués au culte
de la langue de Wace, cette langue, dont le poète Th. Féret, a dit :
« La langue normande fut une, Ombrienne au Pollet, semi-italique et
zézayante à Quilbeuf, influencée pur l'Espagnol dans tous les ports
normands où les marchands Castillonnais et Aragonnais, attirés par de
grands privilèges et de larges immunités, fondèrent des colonies
prospères ; plus saxonne à Bayeux, franchement danoise dans la Hague ;
elle a des caractères généraux communs…..
Il y a pourtant des règles générales qui pourraient servir de base à un
Mistral normand pour fixer notre langue, et ce dialecte ne serait pas
plus artificiel que le dialecte d'Oc, d'où fut forgé le poème de
Mireille. »
Et, d'une façon générale, resserrer les liens qui doivent unir tous les
enfants de la petite Patrie, Normands restés attachés au terroir et
ceux que les hasards de la vie ou les nécessités de l'existence en ont
éloignés et qui, s'ils ne vont pas aussi souvent qu'ils le voudraient,
se retremper sur cette terre dont Spalikowski a dit :
J'ai pour pays la Normandie.
Le sol est gras, le ciel est pur.
Dans nos pommiers, l'oiseau chante sa mélodie
Et l'aubépine en fleurs chez nous tient lieu de mur.
Le cidre invite à boire et le lait fait envie.
ils n'en ont pas moins gardé le cher souvenir car, comme le dit encore
si bien le même auteur : « Si ballotté par les flots du hasard, l'homme
est parfois entraîné loin du pays préféré, il y laisse quand même le
meilleur, de lui-même : son cœur. »
Voilà peut-être un programme bien ambitieux, pour le réaliser nous
faisons appel au concours de tous ceux à qui la prospérité normande,
sous toutes ses formes, tient à cœur.
Peut-être aussi trouvera-t-on que le moment est mal choisi, en pleine
guerre, pour lancer cette Revue. Mais, nous avons pensé qu'il y avait
dès maintenant une œuvre de propagande à organiser, et que pour ne pas
être pris au dépourvu, il fallait l'entreprendre sans plus tarder.
Pour cette œuvre de propagande, nous comptons aussi sur le concours de
tous, persuadés qu'il ne nous fera pas défaut.
Normandie
*
* *
La Vie Rurale
Et la Production agricole
Au Pays Normand
I
RÉGIONALISME ET DÉCENTRALISATION. — LE RETOUR AU VILLAGE ET A LA TERRE. — AIMONS NOTRE PETITE PATRIE ET VIVONS SUR SON SOL.
La réalisation, en notre province, de l'œuvre de décentralisation, le
développement des énergies et des richesses latentes, par les
initiatives et les moyens qui doivent constituer la puissance du
régionalisme, voilà un programme séduisant parce que éminemment utile,
souvent prôné, préconisé, et dont l'esprit et l'application s'imposent,
plus que jamais, à notre attention, en ces heures où l'amour de la
Patrie fait accomplir de si grandes choses pour le salut commun...
Tous les hommes bien intentionnés, guidés par la raison et le simple
bon sens, estiment qu'eu égard à l'œuvre de renaissance économique
nationale, c'est de la coordination des efforts de tous qu'il faut
attendre l'évolution progressive et bienfaisante du régionalisme, car
c'est évidemment de la prospérité, de l'accroissement de richesse de
chaque province que dépendent la prospérité, les plus belles destinées
de la France, notre plus grande Patrie.
Pour nous, qui bornons notre ambition à contribuer ici à cette œuvre
d'action régionaliste et de décentralisation en mettant en relief la
puissance productive de la bonne terre normande, ses richesses, et la
mise en valeur de ses ressources, nous avons un programme tout
particulier, bien tracé, en tête duquel nous devons et voulons
inscrire, pour le bien, pour l'avenir, le salut de notre petite Patrie,
— la Normandie, — le retour au village et à la terre, l'amour du sol
natal, parce que nous estimons que c'est dans la vie rurale, dans la
repopulation des campagnes, dans la multiplicité des familles
nombreuses et, surtout, la reconstitution de la famille rurale, que
nous devons trouver l'élément essentiel, le facteur puissant de
régénération agricole, de relèvement provincial, de prospérité
régionale. Ne l'oublions pas : là est la sauvegarde de notre
agriculture normande comme, d'ailleurs, de l'agriculture du pays tout
entier.
Nous devons compter sur l'évolution d'idées nouvelles en faveur du
retour à la terre et sur une renaissance de l'esprit rural, capable de
susciter un véritable réveil de l'âme paysanne. Toutes les bonnes
volontés doivent se donner libre cours, pour conjurer le péril, pour
éviter, après cette longue guerre, de désastreux lendemains et prévenir
cette nouvelle catastrophe que serait l'émigration en masse vers les
villes, au détriment de nos campagnes. Il est un seul champ d'action et
d'expansion capable d'absorber toutes les forces sans emploi, et
celui-là a l'avantage d'être inépuisable, au moins pour des siècles,
c'est la terre, la terre nourricière de l'humanité, féconde et
éternelle, mère de toutes les industries, qui ne feront, en lui
revenant, que rentrer dans le sein d'où elles sont sorties ; la terre
qui a des consolations pour toutes les misères et qui ne laisse jamais
mourir de faim ceux qui l'aiment et qui se confient à elle.
Il faut rétablir la classe paysanne dans toute sa force et son utilité
sociales, trop méconnues, ce qui a contribué, pour beaucoup, à cette
fausse orientation des masses rurales vers des aspirations conformes
aux mœurs et aux coutumes citadines et au reniement des saines
traditions villageoises. Il faut travailler ardemment à la renaissance
— à la résurrection, pourrait-on dire — de l'âme paysanne, faire
revivre cet amour de la terre qui doit être, chez nos paysans, une
vertu à l'égal de l'amour de la patrie. Restez au village natal : le
métier de l'homme des champs réalise, plus que tout autre, le programme
de Montaigne : Une âme saine dans un corps sain » ; plus que tout
autre, il assure la vie facile et libre à l'encontre de ce qui se passe
à la ville où trop souvent, hélas ! ceux qui se sont lancés dans les
engrenages de la vie urbaine ou du fonctionnarisme, ont vu leurs belles
espérances se résoudre en d'amères désillusions.
Aimez votre petite Patrie et vivez sur son sol, il est certes, assez
fertile, assez riche en ses productions variées, pour vous nourrir
largement, tous, enfants de la terre normande, ainsi que nous le
montrerons, du reste, dans les pages qui suivront ces prémices.
Les hygiénistes et les économistes voient dans l'exode des campagnes
vers les villes, une des causes, tout à la fois, de l'augmentation de
la mortalité et de la diminution de la natalité Il y a tout lieu de
croire, en effet, que si tous ces beaux gars et toutes ces belles et
plantureuses filles qui abandonnent la terre pour entrer en service à
la ville, restaient dans leurs villages et s'y mariaient, la race
aurait tout à y gagner au point de vue du nombre et de la robustesse.
Mais voilà : le rural, au lieu de se complaire en sa qualité, veut
paraître citadin — comme s'il y avait plus d'attrait à être citadin ! —
On raille les petits villages — ce sont des trous, des « patelins » où
l'on meurt d'ennui. Parlez-nous de Paris, cette « Ville-lumière », ce «
patron des capitales bien faites ! » C’est à la grande Ville, c'est à
Paris qu'il faut aller -ceux qui y vivent sont rupins ! » — et l'on
cite des exemples spécieux.
La cause principale de l'exode rural est l'illusion, le mirage des gros
salaires, du gain, ajouté à celui de la vie agréable. En ce qui
concerne le taux des salaires, il est, pourtant, bien évident que
l’affluece des ruraux vers les villes doit produire fatalement l'effet
habituel de l'excès d'offre ! Aux esprits timorés, que séduisent la vie
à la ville et les « belles manières », il semblerait vraiment que
l'attrait de la vie rurale, des travaux champêtres et de la belle
nature n'a qu'un temps. Leur état d'âme nous rappelle les réflexions
humoristiques de nôtre spirituel confrère Grenet-Dancourt, dans la
Vie, dont nous nous permettons cette inoffensive parodie :
Qu’admirez-vous donc ici-bas ?
Est-ce, par hasard, la nature ?
C’est beau, je n'en disconviens pas,
Mais voilà longtemps que ça dure.
Et sans ennui, avec entrain,
Lorsque l'aurore vous réveille,
Vous suivez ce même chemin,
Suivi par vous, déjà, la veille ?
Le soleil, la lune, les cieux,
C'est tout le temps la même chose ;
Qu'est-ce qui ravit donc vos yeux ?
Ce n'est pas la terre, je suppose ?
Il est évident que ces militants de la désertion s'enlisent dans la
plus profonde erreur. Si le pays natal, si la terre n'avait pas son
charme, on ne s'expliquerait pas pourquoi tant de citadins envient
l'existence champêtre, on ne comprendrait pas pourquoi tant de gens
rêvent de finir leurs jours à la campagne, dans le culte de Flore et de
Pomone.
Réagissons contre, les errements du passé, car le retour à la terre est
un des premiers éléments à faire intervenir en faveur du régionalisme.
N'écoutons pas les arguments spécieux des égarés, mais prêtons
l'oreille aux justes raisons formulées par les savants, les sociologues
et les économistes, et à l'invite du poète mettant en relief l'œuvre
essentiellement humanitaire et les mérites des travailleurs de la terre
:
Aux vojx qui vous diront : « La ville a ses merveilles »,
N'ouvrez pas votre cœur, paysans, mes amis,
A l'appel des cités n'ouvrez pas vos oreilles,
Elles donnent, hélas ! moins qu'elles n'ont promis.
Paisibles et contents, la tâche terminée,
A votre cher foyer vous rentrez chaque soir.
Combien de citadins, au bout de leur journée,
Ne rapportent chez eux qu'un morne désespoir !
A vos champs, à vos bois, demeurez donc fidèles,
Aimez vos doux vallons, aimez votre métier.
Auguste est le travail de vos mains paternelles,
C'est de votre sueur que vit le monde entier.
Gars normands, retournez à la terre, donnez-lui tout ce qu'elle réclame
: travail, savoir, intelligence ! La terre est le grand creuset, la
source inépuisable, productrice des forces vives et des richesses qui
vous assurent, avec l'aisance, l'indépendance et la liberté comme elles
garantissent la prospérité, l'avenir de la patrie.
La conséquence logique de ce plaidoyer en faveur du retour à la terre
et plus particulièrement de l'exploitation intensive de la terre
normande, doit être, comme nous l'annoncions au début de cette étude,
un examen approfondi des sources de production du sol de notre belle
Normandie. Les arguments les plus puissants, les plus convaincants,
appuyés sur le plus juste raisonnement, doivent, en effet, trouver leur
corollaire naturel dans l’énonciation de vérités fortes, de réalités
tangibles. Aussi allons-nous passer en revue successivement la
production agricole de nos cinq départements, en commençant par
LE CALVADOS
Le Calvados est un pays riche, aux cultures variées. On y produit, en
effet, des céréales, des fourrages, des plantes industrielles.
L'horticulture et les cultures maraîchères y tiennent aussi une large
place. On y fait du cidre renommé et on sait que les produits de
l'industrie laitière (beurre et fromage) font l'objet d'un important
commerce. L'élevage, qui se pratique dans les six arrondissements, a
une importance considérable pour toutes les espèces d'animaux
domestiques (espèces chevaline, bovine, ovine, porcine, animaux de
basse-cour, abeilles).
Dans les études qui suivront, et qui constitueront, en quelque sorte,
comme l'inventaire des richesses agricoles du pays normand, nous
passerons en revue méthodiquement les diverses branches de production.
Cette revue complète nous paraît d'autant plus utile et nécessaire, que
nous y voyons un élément d'action régionaliste, capable d'aider au
développement économique de notre pays. Et puis, en Normandie, comme
ailleurs, il est tant de gens qui ignorent la variété, l'importance, et
la valeur réelles de la production du sol de leur province ! De là
provient, à n'en pas douter, l'indifférence qui s'est manifestée
jusqu'ici dans la masse du public à l'égard de la décentralisation.
La culture du blé est pratiquée notamment dans la plaine de Caen. On
cultive le franc blé et le blé Chicot et d'autres variétés moins
spéciales, telles que les blés Japhet, Dattel, Bordeaux, Bordier, etc.
Les principaux centres de vente pour le blé sont surtout : Caen,
Bayeux, Argences, Saint-Pierre-sur-Dives, Falaise, Thury-Harcourt,
Villers-Bocage et Aunay-sur-Odon.
L'avoine est cultivée principalement dans la plaine de Caen où l'on en
fait une forte consommation dans l'élevage du cheval de demi-sang. On
cultive l'avoine grise du pays et l'avoine noire de printemps. La
variété dite « Avoine de Falaise » est très renommée. Dans les terres
fortes, peu calcaires, l'avoine noire de Brie donne d'excellentes
récoltes. Les principaux centres, pour la vente de l'avoine, sont
Falaise Saint-Pierre-sur-Dives et les localités indiquées, précédemment
pour le blé.
On produit dans le Calvados de bonnes orges de brasserie qui ont un
débouché important et avantageux chez nos voisins de l'Entente cordiale
; les orges normandes peuvent être prises comme fret en retour aux
navires importateurs de produits anglais. On cultive surtout les orges
de printemps, et, dans le Bocage, on a constaté la parfaite réussite de
l'orge chevalier anglaise. Les orges se vendent sur les marchés
suivants : Argences, Falaise, Harcourt, Saint-Pierre-sur-Dives et là où
se vend le blé.
Le seigle — céréale des terres pauvres — est peu cultivé dans le
Calvados. Par contre, — la culture du sarrazin y est très répandue, et
la vente de cette céréale a lieu notamment sur les marchés de
Condé-sur-Noireau, Vire, Harcourt, Aunay-sur-Odon, Falaise,
Saint-Pierre-sur-Dives, Argences et Caen.
En fait de cultures fourragères, on trouve, sur les terres calcaires,
le sainfoin (plaine de Caen), surtout le sainfoin à deux coupes. On
trouve cependant, entre Falaise et Saint-Pierre-sur-Dives, quelques
cultures de sainfoin à une coupe. Le rayon de Caen produit la semence
de sainfoin. Le trèfle incarnat, si utile dans l'alimentation des
chevaux et des bovins est très cultivé ; on le fait pâturer au piquet.
On se procure la semence en Beauce. Le trèfle violet, la luzerne
constituent des cultures moins importantes. Bayeux vend du sainfoin et
du foin de pré, tandis que Lisieux, Pont-l'Evêque et Vire sont plutôt
des régions de consommation. Caen est le grand centre de vente pour le
sainfoin. La culture du colza — qui, autrefois, était une véritable
fortune pour le pays — s'est sensiblement réduite depuis bien des
années, à cause du prix peu élevé de cette graine. On en produit encore
quelque peu dans les rayons de Bayeux et de Caen. Il y aurait intérêt à
reprendre cette culture, à la développer, car actuellement, le colza, —
culture industrielle qui se pratiquait surtout dans les départements de
la région du Nord, dévastés par la guerre — fait défaut à la
consommation et les cours de cet oléagineux peuvent être avantageux
pour les producteurs. Il conviendrait aussi d'étendre, dans la plaine
de Caen, et les régions voisines, la culture de la betterave à sucre,
mais en développant, parallèlement, par la création d'usines, dans ces
régions, l'industrie sucrière.
Au point de vue des cultures fruitières, le canton de Honfleur se
signale particulièrement. Criquebœuf, Pennedepie, Vasouy, Equemauville,
Gonneville, Ablon possèdent de belles cultures de cerisiers, guigniers,
pruniers, poiriers et pommiers. La culture du groseiller joue un rôle
important ; son exportation est assurée, et dans les années où les
fruits viennent à manquer, la récolte plus certaine de la groseille
assure un rendement et sauve les petits producteurs. Bon an mal an, le
port de Honfleur expédie plusieurs milliers de tonnes de fruits.
Sur le littoral de la plaine de Caen, où la fertilité du sol est
entretenue par les engrais marins associés au fumier de ferme, on
trouve les conditions favorables à la grande culture maraîchère.
Luc-sur-Mer, Lion-sur-Mer, Douvres, Langrune, Saint-Aubin
sont des centres importants de production légumière : oignons,
carottes, choux, navets, pommes de terre, salsifis, poireaux,
haricots, produits vendus sur le marché de Caen et dans tout le
département du Calvados, ou expédiés dans l'Orne, l'Eure, au Havre, à
Paris et à Londres. Le rude labeur de nos maraîchers, la diversité et
la succession ininterrompue des cultures donnent à la production de
cette féconde région normande, une valeur considérable,
tandis que l'arrondissement de Bayeux est obligé d'importer en
grande quantité pommes de terre, radis, oignons, carottes, poireaux de
ce littoral de Luc à Courseulles et Lion-sur-Mer, et que les primeurs
qui y sont consommées proviennent exclusivement du midi. La
région d'Ussy, entre Falaise, Bretteville-sur-Laize et Thury-Harcourt,
a une spécialité justement réputée, celle des pépinières sylvicoles
d'essences feuillues et résineuses : Hêtre commun, tilleul, orme,
chêne, châtaignier, aune, bouleau, frêne, érable, sycomore, sapin,
épicéa, pin sylvestre, pin noir, pin laricio, mélèze du Japon. On fait
aussi les arbres et arbustes d'ornement et d'agrément, mais on produit
surtout les jeunes plants pour boisement. Les pépinières d'Ussy,
Tournebu et Fontaine-le-Pin fournissent des plants forestiers à
presque tous les pays d'Europe, ainsi qu'aux Etats-Unis, au Canada et à
l'Australie. Avant la guerre, l'Allemagne y achetait des millions de
plants pour établir des haies, surtout en tilleul et épine blanche.
Les déboisements stratégiques, les ravages causés par la guerre, par le
vandalisme de nos ennemis, nécessiteront un énorme travail de
reboisement auquel pourront largement contribuer nos pépiniéristes
d'Ussy et ses environs.
Par cet aperçu, que nous compléterons dans le prochain numéro, on peut
déjà se rendre compte de l'importance des éléments qui forment la
richesse agricole de notre beau département du Calvados. Il faut
insister sur ce point essentiel : que la parfaite connaissance de la
diversité et de la valeur des sources de production de notre sol doit
apporter une large part contributive à l'œuvre de décentralisation, en
souligner le grand intérêt, dans l'ordre économique, comme au double
point de vue moral et social, et assurer à notre belle province, à la
fertile terre normande, tout le succès effectif, tout le bénéfice des
idées militantes du régionalisme.
Henri BLIN,
Lauréat de l'Académie d'Agriculture de France.
P. S. — Les bénévoles lecteurs de
Normandie
désireux d'obtenir des indications, des renseignements et des conseils
relatifs à la pratique de l'agriculture et sur les diverses branches
d'exploitation du sol, qui en dérivent, trouveront toujours accueil
sympathique auprès du chroniqueur agricole de cette Revue, dévoué aux
intérêts de la région normande.
H. B.
*
* *
RICHESSES MINIÈRES
de Normandie
La guerre qui a fait apparaître toute l'importance nationale de notre
Industrie minière, a appelé, d'une façon toute particulière,
l'attention sur les richesses du sous-sol normand, délaissées depuis
trop longtemps.
Au mois de novembre dernier, sur les instances de M. Henri Chéron,
l'actif et dévoué sénateur du Calvados, le Ministre des Travaux publics
et le Ministre des Munitions, accompagnés de leurs principaux
collaborateurs, se sont rendus à Caen, où a eu lieu une importante
conférence à laquelle assistaient M. Schneider, du Creusot, et de
nombreuses personnalités politiques et industrielles de la région.
Les ministres ont fait connaître les mesures prises pour assurer la
remise en exploitation des mines de fer en chômage, et mettre le port
et les voies ferrées en état de desservir le nouveau centre
métallurgique près duquel était prévu l'installation d'un établissement
d'artillerie et de pyrotechnie. La Chambre de Commerce de Caen doit
participer pour neuf millions dans la dépense prévue ; le département
du Calvados et la ville de Caen doivent également assurer une légère
participation.
Réjouissons-nous de l'adoption de ces mesures qui, si elles sont menées
rapidement, donneront un nouvel essor à l'industrie métallurgique et
accroîtront la prospérité de la Normandie.
En effet, si la verte Normandie est renommée pour la richesse de sa
production agricole, elle peut aussi devenir un pays noir prospère, car
d'immenses ressources minières gisent en son sous-sol.
Nombreuses sont les mines de fer qui étaient en exploitation avant la
guerre et qui semblaient devoir prendre un rapide et puissant
développement. Malheureusement, le plus grand nombre était entre les
mains de Sociétés allemandes. Nous les retrouverons dans l'historique
que nous ferons des mines de fer et de l'industrie métallurgique de
Normandie, au point de vue économique.
Pour le traitement du minerai, une importante société, la
Société Normande de Métallurgie
s'est constituée pour prendre la suite de la Société des Hauts
Fourneaux de Caen ; elle a devant elle l'avenir le plus brillant et
aura, sans nul doute, une heureuse répercussion sur l'exploitation des
mines normandes.
Mais, à la question de l'industrie métallurgique s'en rattache une autre, très importante : celle du combustible.
Il est donc d'une importance capitale pour l'avenir de l'industrie
métallurgique normande, de trouver, à proximité, le combustible
nécessaire.
Cela ne semble pas impossible ; la Normandie, en effet, possède un
bassin houiller qui fut exploité jusque vers 1882 : la mine de Littry
(Calvados), notamment, découverte en 1741, et la mine du Plessis
(Manche), en 1757.
Au moment de leur visite à Caen, en novembre, les ministres annoncèrent
que le gouvernement demanderait aux Chambres un crédit de deux millions
pour assurer la prospection de ce bassin houiller.
Souhaitons que cette prospection menée rondement, donne les résultats
attendus, car si l'abondance de la houille est la condition
indispensable de notre libération économique, elle n'est pas moins
utile à la vie domestique.
Si nous avions eu cet hiver, sur notre territoire, de la houille en
quantité suffisante nous n'aurions pas connu cette lamentable crise du
charbon qui a paralysé non seulement l'industrie privée, mais aussi
dans une certaine mesure les usines de guerre et nous n'aurions pas
assisté à une fantastique élévation des prix qui ne connaît plus de
limites.
Dans un prochain article, nous étudierons la situation de chacune des mines de houille de Littry et du Plessis.
A. MACHÉ.
*
* *
FIGURES NORMANDES
Georges Bureau
La
Légion d'honneur vient de lui être décernée. Ce ruban, malgré sa
noblesse, n'eût jamais rougi sa boutonnière si la guerre n'était venue.
Etre Chevalier de la Légion d'honneur au titre civil
n'est pas une distinction gui ajoute à la gloire, d'un ancien ministre.
Georges Bureau a été décoré au titre militaire comme quelques-uns de
ses collègues du Parlement gui — ; tels Maginot et Bokanowski, — n'ont
pas voulu se prévaloir de leur titre pour esquiver leur rude devoir de
soldats.
L'étoile des braves est à sa place sur cette poitrine.
Au début, de la guerre, Georges Bureau fut mobilisé, le huitième jour, comme capitaine au 43e
régiment d'artillerie, commandant le détachement du 3e
groupe de Sections du Parc de la 5e
armée, dite alors Armée de Paris
.
Parti de Versailles, cinq jours plus tard (le treizième jour de la
mobilisation), il vécut toutes les tragiques journées de Charleroi,
puis toutes celles de la grande retraite. Il participa de toutes ses
forces aux victorieuses opérations de la Marne et ce n'est qu'après ces
heures terribles et magnifiques qu'il fut envoyé, avec son détachement,
au Grand Parc d'Artillerie d'Armée de la 10°
armée près d'Arras.
Lors de la rentrée des Chambres, à la fin du mois de décembre 1914
,
faisant une fois de plus son devoir, il revint à son siège de député.
Trois mois plus tard, il était Sous-Secrétaire d'Etat de la Marine
Marchande. Il ne quitta ce poste que fin octobre 1915
, lorsque le cabinet Viviani démissionna tout entier. Ayant alors
demandé à reprendre du service, il fut détaché à la Section Technique
de l'Aéronautique où il rend, comme partout où il a passé, les plus
éminents services.
Un regard général — sans
phrases — sur sa carrière, fixera mieux gue tous les commentaires
l'opinion générale sur ce grand citoyen.
Georges Bureau est né le 31
janvier 1870
.
Il a passé ses premières années à Etretat (Seine-Inférieure), où il a
conservé son domicile. D'abord élève du lycée Condorcet, il termine ses
études au lycée d'Alger, ville dans laquelle il obtient son
baccalauréat et sa licence en droit. On
le voit ensuite successivement : docteur en droit de la Faculté de
Paris, avocat à la Cour d'appel, député de la 3e circonscription du
Havre en 1910
, et réélu en 1914
.
A la Chambre, où tant
d'individualités choisies sont neutralisées, stérilisées, noyées si
tôt, il a su conserver sa liberté d'action et sa personnalité n'a fait,
dans ce milieu narquois, difficile, bizarre et défiant, que s'affirmer
et se préciser.
Siégeant au Groupe républicain
de gauche, il a appartenu, dès sa première législature, à la Commission
du Commerce, à la Commission de l'Armée, puis, en qualité de
secrétaire, à la Commission du Commerce. Il fut également rapporteur de
la loi de renouvellement des primes aux grandes pêches maritimes (1911)
et rapporteur des propositions de loi concernant la responsabilité des
Compagnies de chemins de fer en matière de transport de marchandises.
Durant le cours de la même,
législature, nous le savons, en outre, membre de la Commission
supérieure d'Hygiène et de Sécurité de la Navigation, membre de la
Commission supérieure de la Circulation Monétaire et membre du Comité
consultatif des Chemins de fer.
Pendant la présente
législature, il fut très vite secrétaire de la Commission du Commerce
et de la Commission des Domaines, et membre de la Commission supérieure
d'Hygiène et de Sécurité de la Navigation, du Comité consultatif des
Assurances contre les Accidents du Travail et du Comité Consultatif des
Chemins de fer.
Vint la guerre : j'ai dit le superbe rôle qu'il remplit.
Georges Bureau, gui parle avec
agrément, possède, outre un tact parfait, l'habileté de bon ton, dont
tous les législateurs de premier plan doivent être pourvus, un talent
littéraire attesté par plusieurs volumes fort alertes et une peu
commune puissance de travail, l'originalité caractéristique des hommes
de grande valeur : il ne diminue, il n'humilie, il ne calomnie jamais
ses adversaires.
Le voici déjà beaucoup mieux
qu'un des meilleurs espoirs du Régime Nous suivons sa légitime
ascension avec la plus cordiale sympathie.
Georges NORMANDY.
*
* *
Une Œuvre inédite de Jean LORRAIN
Sera publiée par « Normandie »
Nous publions sur notre couverture une reproduction du gracieux et
sobre monument érigé à la gloire de Jean Lorrain, à Fécamp
(Seine-Inférieure), sa ville natale, par un comité constitué sur
l’initiative de M. Georges Normandy (un Fécampois lui aussi), et
présidé par le maître écrivain Paul Adam.
Cette œuvre élégante, sortant si heureusement de la banalité
conventionnelle, grâce au talent du sculpteur Alphonse Saladin,
actuellement au front (où sa bravoure et son habileté de mitrailleur
lui ont valu la Croix de guerre), fut exposée au
Salon des Artistes
français, avant d'être transportée à Fécamp.
L'inauguration solennelle dans les jardins de l'Hôtel de Ville au pied
des formidables murailles de l'abbaye, eut lieu, le
28 juillet
1912, sous la présidence de M. Paul Brulat, vice-président de la
Société des Gens de Lettres, délégué du Sous-Secrétaire d'Etat des
Beaux-Arts, de Mme P. Duval-Lorrain, vénérable mère du grand écrivain,
en présence de MM. Jean de Bonnefon, délégué du Comité ; Georges
Bureau, député, qui se souvint, ce jour-là, d'avoir été un bon écrivain
avant de devenir un homme de gouvernement hors pair ; R. Duglé, maire
de la ville ; des deux plus célèbres écrivains vivants de chez nous :
l'admirable prosateur Jean Revel, et le célèbre poète Robert de la
Villehervé : aux applaudissements d'une foule immense, où autour de
nombreux étrangers, se réunissaient sans distinction de parti, toutes
les notabilités de la ville, parmi lesquelles on remarguait surtout les
membres de la famille Le Grand, illustres industriels qui, avec
La
Bénédictine, ont fait connaître Fécamp à l'univers entier ; les
membres de la S
ociété commerciale des Fêtes, du
Vieux Fécamp ; le
grand peintre fécampois A.-P. Leroux, à l'œuvre de qui nous allons
consacrer une étude illustrée : le romancier yportais et parisien René
Le Cœur, etc. Les envoyés spéciaux de la presse parisienne et régionale
signalèrent encore parmi les assistants le fameux tragédien de Max, qui
triompha le soir au gala du Casino en même temps que l’étonnante
chorégraphe Germaine Aymos (de l'Odéon) : le grand orateur
Charles-Brun, délégué de la Fédération régionaliste française, etc.
« Normandie » passera successivement en revue les monuments publics
normands les plus dignes d'admiration ; la collection de ces superbes
images régionales sera précieuse à tous les normannysants et à tous les
amateurs d'art.
Nous avons, en outre, la bonne fortune d'annoncer à nos lecteurs que «
Normandie » a pu s'assurer la primeur d'une œuvre
inédite de Jean
lorrain.
La publication de cet ouvrage commencera dans notre prochain numéro.
Les illustrations seront signées par l'excellent peintre P.-J.
Poitevin, dont les envois sont si remarqués au
Salon de la Société
Nationale des Beau-Arts. Ces illustrations d'un homme doué d'un talent
très original, emprunteront un intérêt supplémentaire au fait qu'elles
auront été dessinées entre deux combats, au front, où notre
collaborateur, décoré de la Croix de guerre, est reparti dès que sa
grave première, blessure fut guérie.
LA RÉDACTION.
*
* *
MA NORMANDIE
(Paroles et Musique de FRÉDÉRIC BÉRAT)
|
I
Quand tout renaît à l'espérance
Et que l'hiver fuit loin de nous ;
Sous le beau ciel de notre France,
Quand le soleil revient plus doux,
Quand la nature est reverdie,
Quand l'hirondelle est de retour,
J'aime à revoir ma Normandie,
C'est le pays qui m'a donné le jour !
II
J'ai vu les champs de l'Helvétie,
Et ses chalets et ses glaciers ;
J'ai vu le ciel de l'Italie,
Et Venise et ses gondoliers.
En saluant chaque patrie,
Je me disais : Aucun séjour
N'est plus beau que ma Normandie,
C'est le pays qui m'a donné le jour !
III
Il est un âge dans la vie,
Où chaque rêve doit finir ;
Un âge où l'âme recueillie
A besoin de se souvenir.
Lorsque ma muse refroidie
Aura fini ses chants d'amour,
J'irai revoir ma Normandie,
C'est le pays qui m'a donné le jour ! |
*
* *
Dominique Bignery
de Vaucottes-sur-Mer
Verdoyant et fleuri, blotti dans une
valleuse
cauchoise, le hameau de Vaucottes-sur-Mer ne serait jamais troublé s'il
ne possédait à la fois, au sommet de sa falaise d'aval, la villa de M.
Théopompe Boufart, ancien industriel, ancien maire, et sur sa falaise
d'amont, la chaumière de Dominique Bignery, pécheur, maquignon,
maître-baigneur, chasseur et surtout contrebandier.
M. Théopompe Boufart domine le pays de tous ses jardins et de toutes ses rentes. Dominique Bignery, ou plus simplement
Minique,
fait la joie de ses compatriotes, qui le craignent un peu, et le
bonheur des estivants qui le connaissent beaucoup. Désirez-vous un
homard, des « étrilles », un lièvre, des truites ? Ne vous préoccupez
ni de l'époque, ni des lois, ni du temps. Minique vous fournira cela.
Voulez-vous du tabac, des alcools, des allumettes de première qualité,
le tout à des prix dérisoires ? Voyez Minique. Minique voit tout,
comprend tout et peut tout.
M. Théopompe Boufart connaît Minique mieux que personne. Il le protège et il est toujours son meilleur client.
On prétend que Bignery ne procure pas seulement du gibier, du poisson,
des chevaux et des produits de contrebande à l'ancien industriel,
ancien maire. La vieille Tougard raconte à qui veut l'entendre qu'un
jour de septembre, alors qu'elle emportait à Yport sa « rocaille » du
soir, elle croisa Minique sur la route, non loin de la propriété de M.
Théopompe Boufart. « Çu sâpré vôleux » s'étalait à l'aise dans le coupé
du rentier, à côté de la fille du père Décultot, garde champêtre de
Bénouville, « une luronne bien en chair, Monsieur, et qui n'a jamais eu
froid nulle part ». Mais la mère Tougard est une « vieuille clapotière
». Et puis, si légitime qu'il soit, son ressentiment contre Minique
qui, jadis, la planta là avant la mairie mais après la paillasse, (et
qui, de plus, fait à son commerce de crabes, de salicoques et de
vignots une concurrence redoutable) rend son témoignage suspect.
Malheureusement pour M. Boufart, de l'auberge de Vaucottes on vit
souvent, le soir, les fenêtres de la salle à manger et de la chambre de
l'ancien industriel, ancien maire, trop éclairées, — et, au cours de
chaque illumination, dans le grand silence de la nuit à peine troublé
par la rumeur des flots paisibles, résonnèrent trop, à travers les
pommiers à béquilles, des cris et des rires prolongeant sur le hameau
les frissons préférés du voluptueux « horzain ».
Le scandale fut au comble, lorsque M. Boufart, ancien industriel,
ancien maire, congédia Généreux Ladiray, son valet de chambre, qui le
volait depuis quelques semaines avec un sans-gêne excessif. S'il ne
s'entendit point à plus de deux lieues à la ronde, le vacarme fut
cependant tel que le rentier dut modifier son mode d'existence. M.
l'abbé Fouillard, doyen de Vattetot, dut intervenir en personne auprès
de plusieurs de ses paroissiens pour éviter des représailles. M.
Boufart ne pratiquait guère, mais il faisait preuve depuis son arrivée
à Vaucottes d'une si précieuse générosité !... En fait, l'esclandre
établit que, malgré son âge et malgré sa réserve apparente, l'ancien
industriel, ancien maire, avait rendu heureuses, au moins une fois,
toutes les jeunes filles et la plupart, des jeunes femmes de la région.
Des séparations, des départs et des batailles s'ensuivirent. M. Boufart
parut tout ignorer. Et l'ordre se rétablit.
Quant à Minique, le tentateur, contre qui M. l'abbé Fouillard lança
l'anathème, ses tout petits yeux clairs étincelèrent un peu plus que
d'habitude et son mince sourire persista sous le chanvre de sa
moustache. Les femmes baissaient les yeux sur le passage du
contrebandier ou bien elles échangeaient, à la dérobée, un rapide
regard avec lui. Les maris, eux, considérant, successivement et avec
une méfiance toute normande, la carrure du contrebandier, sa matraque
cloutée et ses poches toujours étrangement gonflées, imitèrent la
réserve que les douaniers manifestaient, opiniâtrement à son égard.
Pourtant, Minique rageait. La sagesse de M. Boufart le privait
brusquement d'une partie de ses ressources. Si le maquignonnage, le
braconnage et la contrebande lui permettaient d'entasser les écus dans
son bahut de chêne, son intervention auprès des dames lui facilitait le
remplissage, en pièces d'or, d'un pot égueulé soigneusement « muché »
dans un angle de son cellier.
Bien des fois, le malin compère rendit visite au voluptueux rentier. Il
eut beau lui représenter que si la possibilité d'un scandale
retentissant existait, ce scandale aurait eu lieu depuis belle lurette,
que, quoi qu'il fisse, jamais frasques nouvelles ne surpasseraient ses
exploits d'antan, que les époux et les parents acceptaient tacitement
une suite à ce qu'ils n'avaient pu éviter et même que certains,
désormais sûrs des faits, seraient heureux de voir l'argent de l'ancien
industriel, ancien maire, entrer secrètement avec lui, dans leur
ménage, que... Ah ! les paroles n'embarrassent pas Minique plus que les
actes !... Malgré tout, M. Théopompe Boufart fut inflexible. Trop
d'aventures dégénèrent aujourd'hui en reportages sensationnels. Le
rentier se souciait peu de voir sombrer son renom d'homme sérieux,
respectable et pondéré, dans une campagne de presse. Depuis son
installation à Vaucottes, il s'abstenait sagement de politique, offrait
des chasubles au curé, des prix à l'instituteur, des trombones à la
fanfare, des agrès à la Société de gymnastique et même des poteaux
indicateurs au délégué local du T.C.F. Pourquoi risquerait-il encore
son honorabilité pour des jupons de paysannes ?
Certes ! Mais, finaud et peut-être psychologue, Minique soupçonnait la
sagesse de M. Boufart de n'être qu'une apparence. Il supposa d'abord
que le rentier portait soit à Etretat, pendant la saison, soit à
Fécamp, au Havre ou même à Rouen, le reste de l'année, le trop-plein de
sa durable vigueur de quinquagénaire n'ayant adoré Vénus qu'après avoir
sacrifié à Mercure, dieu des négoces, les trente premières années de sa
vie. Vérification faite, M. Boufard quittait peu la falaise d'aval.
Minique respira. Ses espérances ne s'abîmaient plus corps et biens.
Comment croire, vraiment, que l'ancien industriel, ancien maire, se fût
sevré si subitement ? Qui a bu boira. Il fallait ouvrir l'œil « et la
bonne ». M. Théopompe Boufart guetté comme un modeste tourteau, à marée
basse, dans un trou de roc, ne tint pas longtemps Minique en défaut.
Après sa première embuscade heureuse, le contrebandier ne se montra
point. Il fallait d'abord savoir s'il s'agissait ou non d'une habitude
ou d'une passade. Un soir d'août, derrière la haie de la
Villa des Mauves,
Bignery surprit, pour la deuxième fois, l'ancien industriel, ancien
maire, en conversation très...animée avec Anaïs, la négresse qui
remplissait au
Domaine de la Cavée
l'emploi de cuisinière. En dépit des apparences, M. Boufart ne semblait
guère broyer du noir ! Trois fois depuis Minique renouvela
l'expérience. Il ne se montra que la quatrième. Ce jour-là, en effet,
le vigoureux rentier culbutait avec douceur et méthode la jeune
Charlotte Limare, seconde fille de l'épicier de Vaucottes, charmante
enfant de quinze ans douée d'excellentes dispositions pour faire le
bonheur des hommes mûrs possesseurs d'espèces sonnantes, seul argument
capable de faire trébucher à souhait sa vertu sans cesse renouvelée.
Surpris en pleine action, M. Boufart, homme d'affaires expérimenté,
n'hésita pas. Il héla Minique qui se retirait (avec quelle expressive
lenteur !) à travers les joncs marins. Et, tirant un louis de son
gousset, pendant que la petite Limare plongeait son visage un peu rouge
dans ses mains aux doigts sagement écartés comme il sied :
— Tiens, Minique, prends ça. Et surtout tais-toi, hein ?... J'ai ta parole ?
— Dame, M'sieur Boufart, à
çu prix-là, b'en sûr !
— Bon. Allons ouste ! vieux brigand !... Je compte sur toi...
— Vous pouvez, M'sieur Boufart..., vous pouvez.
Rasséréné, l'ancien industriel, ancien maire, se remit à l'œuvre sans délai.
... Or Minique songeait plus que jamais au remplissage de son pot égueulé.
Six jours plus tard, il sonnait à la grille du rentier. Celui-ci taillait ses rosiers, lui-même, dans une allée.
— Tiens, c'est toi, Minique ! Quoi de neuf ?
— Eh ! b'en, voilà M'sieur Boufart...
Et « çu sâpré vôleux » tournait son béret dans ses mains avec une gêne feinte à merveille.
— Voilà quoi ?... Qu'est-ce que tu as ?
— Eh ! bien voilà... Le louis qu'vous m'avez donné l'aut'
fouès... v'savez b'en... dans la Côte...
ar' prenez-le... J'dois pas l'garder.
— Quel louis ?... Pourquoi ?... La langue te démange peut-être, vieux mandrin ?
— « 'Est cha »...
J'peux p'us m'taire… Alors le v'ia vot' louis...
Et Minique tendit la pièce d'or à l'ancien industriel, ancien maire,
qui, un instant médusé, la prit machinalement. Après un salut, Bignery
se retirait... à pas comptés.
Avant que la grille se fût refermée sur le contrebandier, M. Théopompe
Boufart trouva la force de le rappeler. Minique se retourna. Lorsqu'il
eut constaté que le rentier ouvrait son portefeuille il revint vers lui
et, un bon sourire calme aux lèvres :
— Si ça vous est égal, M'sieur Boufart, de m'donner d'l'or à la place de
çu papier... j'aim' mieux
cha...
Georges NORMANDY.
*
* *
L'Habitude
Quand le blême soleil de décembre est levé,
Alors que le travail gronde sur le pavé
Le doux bourgeois s'étire ainsi que d’ordinaire.
D'excellente santé, quoique sexagénaire,
Il mange de bon cœur son chocolat fumant.
Puis, renforcé d'un chaud veston d'appartement,
Les pieds tendus au feu, dont les aimables souffles
Mettent de la tiédeur au fond de ses pantoufles,
Il demande à Margot, qui tourne autour de lui,
Si la poste a remis les feuilles d'aujourd'hui.
Il les tient, et son œil paisible les savoure
Car la guerre n'a plus d'effet sur sa bravoure :
Gens du Nord envahis, déportés et pillés,
Il connaît tout cela. Paquebots torpillés
Avec leurs voyageurs occis dans les chaloupes...
C'est déjà vieux. Civils belges tués par groupes,
Enfants à la mamelle embrochés par essaims,
Comme des éperlans, et femmes dont les seins
Découpés, arrachés à leur poitrine accorte,
Furent cloués, sanglants, au milieu d'une porte...
Ces récits monstrueux des grands gestes teutons,
Notre homme les a lus comme des feuilletons.
Depuis trois ans bientôt, chaque jour lui ménage
Le conte palpitant d'un fabuleux carnage,
Certes, il en a souffert ; ensuite il s'est calmé.
Aujourd'hui, rien n'émeut son cœur accoutumé.
Justement ce matin, ô journal, tu le navres,
En ne lui donnant pas son compte de cadavres.
Le communiqué dit : « Calme sur tous les fronts. »
Et le bourgeois, vexé comme si des affronts
Venaient soudain de le souffleter sur la joue,
Rejette le journal, se chauffe et fait la moue.
Jean MIRVAL.
Sous le pseudonyme de Jean Mirval, se cache notre excellent confrère de
Dieppe, Georges Lebas. Historien de sa ville natale, poète que nos
lecteurs apprécieront, romancier, auteur dramatique joué avec succès
(et nous ne disons rien de ses vingt-cinq années de journalisme),
Georges Lebas est une des personnalités littéraires qui font le plus
honneur à la Normandie.
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* *
Scouting et Sous-Marin
Le Scouting « éclaireur de la mer ».
Il vole et plane, lâchant des bombes
sur le submersible ennemi,
caché entre deux eaux.
Bateau caché, poisson tortueux, sous-marin,
Fait pour l'embûche horrible et les espionnages,
Tu viens souiller les flots, épris des beaux carnages,
Par des assassinats dans les goûts d'outre-Rhin.
Sur les eaux, le scouting, en son vol souverain,
A vu ton périscope aux légers griffonnages
Et, tel un émouchet descendu des nuages,
Il s'attache à sa proie avec un cœur d'airain.
Ce n'est plus, sous la mer de nacre et d'émeraude,
Le poisson ténébreux qui glisse, épie ou rôde,
Mais le monstre affolé par l'oiseau menaçant,
L'éclaireur de la mer, l'oiseau vengeur du crime,
Et qui va faire encor, du milieu de l'abîme,
Monter la tache d'huile et les taches de sang.
Paul HAREL.
*
* *
La Légende de Corneille
Au Pont-au-Double
Une de ces nombreuses légendes qui embrument l'histoire veut que le
grand Corneille indigent, fut obligé d'attendre pied nu, au
Pont-au-Double, qu'un savetier lui raccommodât un de ses souliers qui bâillait à
perdre Alêne.
Une autre légende veut que Corneille ne put acquitter, faute de pécune, le payement du double tournois perçu au
Pont-au-Double (d'où son nom). Le double tournois valait deux deniers et était perçu par l'Hôtel-Dieu.
C'était un thème tout fait pour faire pleurer les âmes sensibles sur la
misère de ce grand homme qui avait enrichi la France d'œuvres de génie.
Or, Corneille n'était rien moins qu'indigent ; il était avare et
normand. Il avait, dit son neveu Fontenelle, plus d'amour pour l'argent
que d'habileté ou d'application pour en amasser.
Ce n'est pas avec une telle disposition d'esprit et de tempérament
qu'on s'enrichit, mais elle sert incontestablement à conserver la
fortune acquise.
Cette pauvreté, dont les premiers biographes de Corneille n'ont jamais
parlé, est fausse. Corneille, sans être riche, avait une grande
aisance, le nombre des immeubles qu'il possédait était considérable.
D'après des documents locaux qui viennent d'être publiés, il avait des
biens à Rouen, au Petit-Couronne, au Val de La Haye, et aux Andelys ;
c'est-à-dire, les revenus de plusieurs maisons et d'une trentaine
d'hectares de biens ruraux. Si l'on y joint la vente de ses ouvrages,
les récompenses pour ses dédicaces, ses droits d'auteur, ses jetons de
présence à l'Académie, ses pensions du roi,
bien qu'irrégulièrement servies,
on ne saurait prétendre que Pierre Corneille ait jamais été pauvre,
ainsi que le veut une légende trop accréditée par une lettre apocryphe
et mal interprétée.
Corneille pouvait être ladre, mais il est peu probable qu'il se
promenât en bottes éculées et trouées. Ses ennemis, et ils étaient
nombreux, connaissaient sa fortune et ils seraient tombés à bras
raccourci sur le poète.
Cette légende du savetier du Pont-au-Double a été inventée de toutes pièces pour illustrer la
Morale, en action. Elle ira rejoindre dans le Magasin des Vieilles Lunes, les
Filets de Saint-Cloud et les
Marches de Notre-Dame dont il a été fait justice dans les bulletins de la
Cité.
A. CALLET.
(La Cité.)
*
* *
UN ROMAN (1)
Joseph L'Hôpital vient d'ajouter à la série de ses puissantes études champêtres un roman qui porte ce litre :
Un Clocher dans la Plaine, L'œuvre, publiée d'abord au
Correspondant, y fut très remarqué.
Sous ce clocher qui domine un horizon de terres cultivées, on voit
d'abord, dans la mélancolie de son apostolat, M. l'abbé Gâtine, curé de
Vironville. Les appels de cet apôtre, inlassable et résigné, vont se
perdre bien souvent en des âmes tièdes ou hostiles. Toutefois, il
sourit à l'idylle d'un mariage à la campagne et quand cette idylle
tourne au drame, quand la jeune femme, regrettant ses curiosités,
pleure et s'agenouille, l'abbé Gâtine, au bout de ses bras longs,
refait l'alliance définitive de deux êtres qui, dans la douleur, le
pardon et l'amour, prennent un relief singulier.
Avant cet épilogue, l'auteur nous fait connaître une foule de
personnages : les Huchecorne et leur fils, les Langlois et leur fils,
les Dorget et leur fille. Un seul enfant partout ; ce n'est pas la
moindre misère de ces trois foyers.
On fait également connaissance de M. Dubourdeau, chef de la libre
pensée ; de Bauquène, le cafetier ; du sacristain Vincêtre et de son
fils aîné dont la mort tragique au milieu d'un incendie donne lieu à
d'inoubliables scènes.
Tout n'est pas triste dans ce beau livre. Sous les couacs d'un
orchestre les danseurs de Vironville font songer aux convulsionnaires
de saint Médard. La traite des vaches dans l'étable est d'une rare
exactitude ; Reine Dorget, la fille de M. le Maire, nonchalante et
fatiguée, s'y relève en un mouvement qui fait aimer sa beauté
naturelle. La
vendue à laquelle prennent part M. Filoque et son
aboyeur
M. Chéri ; cette vendue est bien la chose la plus précise, la plus
pittoresque, la plus comique du monde. C'est un tableau digne de
Flaubert, sans imitation d'aucune sorte, car L'Hôpital, avec sa vision
aiguë et profonde, son art de conter, son réalisme à la fois chaste et
hardi, demeure tout à fait libre et personnel.
Par ses détails rigoureux, une poésie sobre et des habiletés qu'il ne faudrait pas pousser plus loin,
un Clocher dans la Plaine marque l'apogée d'un talent supérieur.
Si tous les lettrés de Normandie et d'ailleurs doivent se procurer le
livre de Joseph L'Hôpital, il faut souhaiter aussi que l'ouvrage
pénètre dans les logis, les fermes, les chaumières, dans toute maison
où brille un rayon d'intelligence.
D'ailleurs, avec ses maisons dépeuplées et ses types d'avant-guerre, le
roman semble annoncer les jours terribles que nous vivons : il en a
déjà les grandes ombres sur lui. Si la jeune femme est belle et son
époux taillé en force, ils n'en furent pas moins engendrés tous deux
dans l'égoïsme. Ils sont d'un temps où l'homme ne défend plus la terre,
s'il la cultive encore. C'est une déchéance que l'auteur signale et
cela donne indirectement à son étude une valeur prophétique.
Paul HAREL.
(1)
Un clocher dans la Plaine. Ollendorff, 50, Chaussée-d’Antin , et dans toutes les librairies. Prix : 3 fr. 50.
*
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ÉCHOS DE NORMANDIE
ROUEN
— Pierre Corneille va accorder l'hospitalité dans sa maison natale, aux
glorieux combattants de l'Argonne, de la Somme, de Verdun. En effet, la
ville de Rouen vient de donner une heureuse affectation — temporaire —
à la Maison de l'ancienne rue de la Pie, rachetée peu avant la guerre,
au moyen d'une souscription nationale et offerte à la ville. Le
rez-de-chaussée et ses dépendances concédées par la ville de Rouen à l'
Union des Femmes de France, présidée par Mme H. Turpin, ont été transformés en un
Foyer du Soldat,
comme il en existait déjà plusieurs à Rouen. Nos soldats pourront y
faire leurs correspondances, y lire journaux et revues ; ils trouveront
aussi, dans cette salle aménagée avec goût, des jeux et des boissons
hygiéniques.
YVETOT
Encouragement aux paysans.
— L'Académie française, dans sa séance du 22 février, a accepté un legs
qui lui est fait par M. Lefrançois, et consiste en la nue propriété
d'une somme de 60.000 francs pour la constitution d'un prix annuel,
attribué aux père et mère ou au survivant des père et mère d'une
famille de paysans français et catholiques choisie parmi les plus
pauvres, les plus nombreuses, et habitant l'une des communes rurales de
l'arrondissement d'Yvetot (Seine-Inférieure).
LE HAVRE
Hommage à François Ier. — Le Conseil municipal, dans sa séance du 7 février, a adopté l'ordre du jour suivant, présenté par M. l'adjoint Jennequin :
Le Conseil municipal,
Réuni le 7 février 1917, quatrième centenaire de la fondation du port par François Ier,
Exprime ses sentiments de reconnaissance au fondateur du Havre ainsi
qu'à tous ceux qui, du XVIe siècle à nos jours, ont le plus largement
contribué aux développements du Havre ;
Confiant dans les promesses des Pouvoirs Publics de compléter notre
outillage maritime et de nous permettre, dans l'intérêt même du pays,
de soutenir la concurrence des ports étrangers renouvelle ses vœux de
prochain établissement des voies de communications intérieures,
nécessaires à notre trafic ;
Décide dès à présent qu'aussitôt la paix victorieuse obtenue sur
l'Allemagne et autres ennemis de la Patrie, il sera fait appel à tous
les concours utiles, afin de célébrer dignement et solennellement les
anniversaires de nos origines.
Puis, sur la proposition de M. Bogonen-Demeaux, le Conseil décide de
placer dans l'escalier d'honneur de l'Hôtel de Ville le beau buste de
François Ier qui était au Musée. Nous regrettons de ne pouvoir
reproduire la très belle communication faite au Conseil par M.
Jennequin, dans laquelle il retrace l'historique du port du Havre.
Le 13 avril prochain, date commémorative de l'inauguration des travaux, la
Société Havraise d'Etudes diverses,
tiendra au grand théâtre une séance solennelle au cours de laquelle un
de ses membres retracera l'œuvre accomplie de François Ier à nos jours.
Société féministe du Havre. — Dans ses échos journaliers du
Matin,
Louis Forest qui fait une campagne vigoureuse pour la réalisation
d'économies de toutes sortes, signale l'œuvre accomplie au Havre par la
Société féministe. Cette
association qui, depuis la guerre, a organisé une Société contre le
chômage, fabrique avec la lisière du drap de soldat et les chefs de
pièces, des chaussons pour les petits enfants ; les semelles en sont
découpées dans de vieux chapeaux de feutre durcis par un trempage de
douze heures dans l'eau, tordus, séchés, repassés. Cette société
travaille même maintenant pour les poilus ; mais elle manque de
lisières. Elle supplie tous les tailleurs de France de vouloir bien lui
en céder. Voilà une œuvre véritablement utile et qu'il faut encourager.
Nécrologie. — Le corps
médical havrais a fait une grande perte dans la personne du docteur
Frottier, décédé dans sa cinquante-huitième année.
Ancien interne des hôpitaux de Paris, le docteur Frottier originaire de
la Nièvre, était médecin des hôpitaux du Havre, des Ponts et Chaussées
et du chemin de fer.
Titulaire de la médaille de vermeil des épidémies, il s'était signalé,
par son grand dévouement aux œuvres philanthropiques ; il avait été
l'un des promoteurs de la création du dispensaire Brouardel qui rend de
si grands services dans la lutte contre la tuberculose.
M. le docteur Frottier était vice-président de la Commission sanitaire,
médecin en chef des épidémies de l'arrondissement du Havre et
secrétaire du Comité de patronage des Habitations à bon marché.
Anniversaire. — La
Société des Anciens élèves des frères, présidée par M. Ed. Morin, a eu
la délicate pensée de fêter le 50e anniversaire de la prise d'habit du
frère Anselme, visiteur des Frères des écoles chrétiennes, et ancien
directeur de l'Ecole Saint-Michel.
Le frère Anselme est une figure havraise très connue ; originaire
d'Etretat, il est allié à de nombreuses familles appartenant au monde
maritime de la région.
Une cérémonie présidée par Mgr Lemonnier, évêque de Bayeux, et cousin
du frère Anselme, a eu lieu le 4 mars en l'église Saint-Michel, et a
été suivie d'un dîner intime dans la salle du patronage, rue
Saint-Michel.
ESCLAVELLES
— La famille Octau, est parmi celles qui auront donné le plus de
défenseurs à la patrie. Un fils a été tué, un autre prisonnier ; six
autres sont actuellement aux armées, et le neuvième de la classe 1918
va être incorporé dans le service armé. Voilà une belle famille qui
mériterait mieux que des félicitations. A quand la réalisation des
encouragements aux familles nombreuses ?
EVREUX
Station d'étalons. — La
station d'étalons d'Evreux est ainsi composée pour la monte, commencée
le 4 mars, et qui se terminera le 14 juillet au soir :
Souvigny, pur sang anglais, bai-brun, 1m61, gagnant de 113.000 fr., dont 33.000 fr. en obstacles. —
Célibataire, demi-sang, trotteur, bai, lm64, record 1m33 s., gagnant de 24.000 fr. —
Lauréat, demi-sang, carrossier, bai-marron, 1m64, né en 1911. —
Notaire, trait percheron, noir, 1m68, né en 1913, inscrit au stud-book percheron sous le n° 113.191. —
Nérac, trait percheron, gris foncé, lm63, né en 1913, inscrit au stud-book percheron sous le n° 113.224.
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Le Palmarès Normand
SEINE-INFERIEURE
ROLLAND, C
HARLES, capitaine d'artillerie : « A rempli
avec succès des missions importantes et périlleuses, a apporté à leur
accomplissement un entrain et une clairvoyance remarquables. Retenu en
pays hostile, n'a du son salut qu'à son sang-froid et est parvenu,
malgré les plus grands risques, à sauver ses archives et à rapporter
des renseignements importants. »
Cette citation a rapport aux événement, qui se déroulèrent les 1er et 2
décembre derniers, au Consulat de Larissa, dont le capitaine Rolland
avait la garde.
M. Rolland est d'Elbeuf, où il était établi fumiste, 25, rue Henry.
Déjà en 1910, il avait obtenu une citation pour sa belle conduite aux
Dardanelles.
DUBOIS, adjudant-mitrailleur au 21e territorial ;
- Au front depuis le début de la guerre ; très bon gradé, courageux et
dévoué. Pendant une périlleuse période de tranchées de quatre semaines,
s'est signalé dans les relèves pénibles et dangereuses, se dépensant
sans compter et donnant à tous le plus bel exemple de bravoure. »
M. Dubois était Inspecteur de la Compagnie d'Assurances Générales sur la Vie, à Rouen, rue Jeanne-d'Arc.
BENNETOT, J
ULES, lieutenant au 21e territorial :
« Officier d'élite, s'est fait remarquer par son mépris souriant du
danger et son esprit d'organisation, en conduisant avec succès dans les
circonstances les plus périlleuses, des transports de vivres et de
munitions aux troupes de première ligne. Déjà cité à l'ordre. »
C'est la seconde citation du lieutenant Bennetot qui est avocat à la Cour d'appel de Rouen.
BAUER, É
MILE, sous-lieutenant au 22e territorial :
« Officier de devoir et d'action, au front depuis le début de la
campagne. Au cours d'une action dans la nuit du 4 novembre 1916, a pu.
grâce à son énergie et à son courage, et malgré l'intensité d'un
violent bombardement, approvisionner d'urgence en munitions, des
troupes de ligne. »
M. Bauer est d'Elbeuf, où il habite, 1O, rue Henry.
LECOURT, M
ARCEL, médecin auxiliaire au 43e régiment d'infanterie :
« Médecin auxiliaire doué des plus belles qualités morales. Le 3
septembre 1916, a assuré son service sous un bombardement violent et
n'a jamais hésité à se porter là où il y avait des blessés à secourir. »
M. Marcel Lecourt était interne à l'hospice général de Rouen : il est le fils du docteur Lecourt, de Bapaume.
LAFOREST, G
EORGES, brigadier d'artillerie :
« Très bon brigadier, courageux, dévoué. Sur le point de passer
sous-officier, a été blessé à la batterie de tir où il remplissait les
fonctions, de chef de pièce. Employé antérieurement aux échelons, a
demandé, à chaque période dangereuse, à servir à la batterie de tir. »
Le brigadier Laforest, est le fils de M. Laforest, lieutenant commandant la Compagnie des sapeurs-pompiers du Havre.
QUESNEL, L
OUIS, capitaine territorial d'infanterie au
service des chemins de fer, a été par décret du 2 janvier, nommé
Chevalier de la Légion d'honneur.
« Officier consciencieux et d'un absolu dévouement. S'est fait
remarquer dans tous les postes qui lui ont été confiés depuis le début
de la guerre par les excellents services qu'il n'a cessé de rendre. »
Sénateur et bien que sa classe ne fut pas mobilisée, M. Louis Quesnel
est parti aux armées depuis le début de la guerre, comme lieutenant. Il
a été promu capitaine en 1915,
CŒURDEROY, capitaine du Service automobile de l'Armée d'Orient, a vu son groupe cité à l'ordre :
« Déjà signalé sur le front français au moment des opérations devant
Verdun. En Orient depuis huit mois. Groupe, auquel on a toujours eu
recours dans les moments difficiles pour renforcer les moyens de
transport affectés soit à l'armée française, soit à l'armée serbe.
Personnel aussi modeste que dévoué et qui a donné la plus entière
satisfaction sans jamais ménager sa peine. »
Le capitaine Cœurderoy est l'un des directeurs de l'
Echo de la Vallée de Bray, à Neufchâtel.
CARTIER, R
AOUL, caporal au 31e1 régiment d'infanterie :
« A montré pendant la période de combats du 14 au22septenibre 1916 le
plus bel exemple d'énergie et de sang-froid, se portant constamment au
secours de ses hommes ensevelis par l'éclatement des projectiles
ennemis. A contribué par la précision de son tir, le 20 septembre 1916,
à repousser une puissante contre-attaque ennemie. »
M. Cartier habite Malaunay, où son père est entrepreneur de maçonnerie ; il est le neveu du maire de Notre-Dame de Bondeville.
LORIQUET, G
EORGES, sapeur-mineur à la compagnie 3/1 du génie :
« Excellent sapeur, a toujours fait preuve du plus bel entrain. A été
grièvement blessé le 21 mai 1916 en se portant avec sa section à
l'assaut d'un fort occupé par l'ennemi. »
Il est le fils de l'ancien directeur de la Bibliothèque municipale.
Ingénieur-électricien, il habite 12, rue Neuve-du-Mont-Saint-Aignan, à
Rouen.
GILLET, M
ARCEL, sergent-fourrier au 46e régiment d'infanterie :
« Après avoir contribué à repousser une attaque ennemie avec jets de
liquides enflammés, a su maintenir son escouade sur un point violemment
bombardé jusqu'au moment où il a reçu une blessure grave. »
M. Marcel Gillet qui est le fils de M. Gillet, chef de bureau aux
chemins de fer de l'Etat à Fécamp, vu la gravité de sa blessure, a été
versé dans le service auxiliaire
EURE
ANXIONNAT, E
UGÈNE, lieutenant au 115e régiment
d’artillerie lourde, a été nommé Chevalier de la Légion d’honneur par
décret du 4 février. Il avait déjà été, le 17 septembre dernier,
l'objet de la citation suivante :
« Officier de complément de valeur, plein d'entrain, de courage, et de
dévouement ; a pris part à des opérations en Alsace où il a pu être
apprécié sous le rapport de ses qualités militaires. Blessé en
dirigeant la construction d'un observatoire. A perdu l'usage de l'œil
gauche. Est revenu volontairement au front, à peine rétabli, prendre le
commandement d'une batterie. »
Le lieutenant Anxionnat est des Andelys.
LESOURD, M
ARCEL, lieutenant, vient d'être nommé Chevalier de la Légion d'honneur, avec la citation suivante :
« Pendant 68 heures de lutte acharnée, d'un combat presque corps à
corps pour la prise du réduit des Cinq-Chemins, très fortement organisé
par l'ennemi, a fait preuve d'un grand courage, d'une énergie
indomptable, d'autorité et d'entrain, électrisant ses hommes, et de
mépris de la mort, entourant son chef de bataillon dans l'exécution de
nombreux assauts faits au chant de la
Marseillaise,
et dont l'élan irrésistible a fini par déterminer la retraite de
l'adversaire, qui a laissé de nombreux cadavres sur le terrain et
beaucoup de matériel, dont deux pièces d'artillerie de gros calibre. »
Le Conseil municipal de Brionne, dont est originaire le lieutenant
Lesourd, lui a remis le 30 janvier une épée d'honneur. La poignée en
argent porte les initiales de ce brave et la lame damasquinée, cette
Inscription :
« Honneur et Patrie. Au lieutenant Lesourd, la Ville de Brionne. »
CALVADOS
BLAISOT, C
AMILLE, sous-lieutenant au 4e régiment d'infanterie :
« Officier énergique et dévoué, engagé pour la durée de la guerre. Au
cours de l'attaque ennemie du 10 octobre 1916, a, comme adjoint à un
commandant de bataillon, assuré et maintenu dans des conditions très
périlleuses, sous un violent bombardement, les liaisons entre les
unités engagées et les unités de contre-attaque. »
M. Blaisot est député de Caen.
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Nous nous ferons un plaisir de
publier toutes les citations des Normands qui viendront à notre
connaissance, en y joignant les portraits quand on voudra bien nous
communiquer une photographie.
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Le Gérant : MIOLLAIS.
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IMPRIMERIE HERPIN, Alençon. Vve A. LAVERDURE, Successeur.
[3e de couv.]
Le Bulletin des Armées,
du 31 janvier, informe les soldats des armées alliées qu'un concours,
avec prix en espèces, est ouvert sous les auspices de M.
Grand-Carteret. Le sujet choisi est : Un Ex-Libris de Guerre. Des
centaines d'adhésions lui arrivent chaque jour de tous les secteurs.
Ecrire à la Revue Internationale de l’Ex-Libris, 10, rue Fromentin, Paris, pour demander les conditions de ce Concours.