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Normandie : Revue régionale illustrée mensuelle de toutes les questions intéressant la Normandie N°2 - Mai 1917
Normandie, revue régionale illustrée mensuelle, n°2 - Mai 1917.Normandie : Revue régionale illustrée mensuelle de toutes les questions intéressant la Normandie : économiques, commerciales, industrielles, agricoles, artistiques et littéraires / Miollais, gérant ; Maché, secrétaire général.- Numéro 2 Mai 1917.- Alençon : Imprimerie Herpin, 1917.- 16 p. : ill., couv. ill. ; 28 cm.
Numérisation : O. Bogros pour la collection électronique de la Médiathèque André Malraux de Lisieux (21.XI.2013).
[Ce texte n'ayant pas fait l'objet d'une seconde lecture contient immanquablement des fautes non corrigées].
Adresse : Médiathèque intercommunale André Malraux, B.P. 27216, 14107 Lisieux cedex
-Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01
Courriel : mediatheque@lintercom.fr, [Olivier Bogros] obogros@lintercom.fr
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Diffusion libre et gratuite (freeware)
Orthographe et graphie conservées.
Texte établi sur l'exemplaire de la Médiathèque (Bm Lx : 41060-nor598).


NORMANDIE

REVUE RÉGIONALE ILLUSTRÉE MENSUELLE
DE TOUTES LES QUESTIONS INTÉRESSANT LA NORMANDIE
Économiques, Commerciales, Industrielles, Agricoles, Artistiques et Littéraires

PREMIÈRE ANNÉE. - N°2   MAI 1917

Normandie, revue régionale illustrée mensuelle, n°2 - Mai 1917.

~*~

La Vie Rurale
Et la Production Agricole
Au Pays Normand

(Deuxième article de la série.)

II

LE CALVADOS : SES RÉGIONS NATURELLES : LE BESSIN, LE BOCAGE NORMAND, LA PLAINE DE CAEN ET LE PAYS D'AUGE. — LES FORMES D'EXPLOITATION DU SOL : PRAIRIES ET HERBAGES. — LE CIDRE DE NORMANDIE ET LES POÈTES NORMANDS. — LA POMOLOGIE DU CALVADOS. — LA CONTREFAÇON ALLEMANDE. — UN PRÉCIEUX PATRIMOINE.
 
Les Normands peuvent être fiers, à juste titre, des flatteuses appréciations émises, par les hommes les plus éminents, sur la Normandie et sur ses habitants.

Dans son Economie rurale — qui est bien une des plus brillantes études publiées sur cette question, en France — Léonce de Lavergne dit : « Si j'avais à désigner la plus heureuse partie de la France, je n'hésiterais pas, je désignerais la Normandie. »

A cette bonne parole, à cet éloge du célèbre agronome, il convient d'ajouter que l'attrait offert par la province normande tient non seulement à cette impression générale de bien-être et de richesse, et à la beauté des sites, mais aussi à l'amabilité de la population normande qui est l'image, le reflet du riant pays au milieu duquel elle passe sa vie ; et c'est là, en vérité, une preuve de plus à l'appui de la théorie des psychologues sur l'influence des milieux.

Faire connaître ces milieux, en donner une description utile, instructive, c'est aider, croyons-nous, à la progression de l'idée de décentralisation et travailler en faveur du régionalisme, en intéressant à cette belle cause de nouveaux et ardents prosélytes. Telles sont du moins, nos aspirations. Et il semble que pour faire un examen consciencieux des diverses sources de production de la terre normande, on doit envisager les éléments favorables à cette production, les caractères généraux, agrologiques et géologiques, de ce pays, tout en soulignant ses charmes naturels. C'est ce que nous allons faire, en continuant notre étude sur le Calvados, par un exposé des traits caractéristiques des différents pays dont on a formé, en 1790, ce beau département.

Le Calvados, en effet, comprend plusieurs régions naturelles, ayant chacune son caractère propre, sa physionomie particulière et se livrant à des industries agricoles distinctes. Les formations géologiques très diverses auxquelles appartiennent la plaine de Caen, le pays d'Auge, le Bessin, le Bocage, expliquent ces différences. Voici tout d'abord, à l'ouest du département, le Bessin. Le sous-sol de cette région, formé par les argiles dits de Port-en-Bessin, assure au sol une humidité très favorable aux herbages ; aussi, toute cette région des environs de Bayeux représente une immense prairie où on entretient de nombreuses et belles vaches laitières. C'est là que se fabrique le beurre d'Isigny dont on connaît l'universelle renommée, et qui est partout considéré comme le beurre le plus fin, le plus exquis parmi tous les beurres du monde entier. A lui seul, l'arrondissement de Bayeux produit, en temps normal, chaque année, pour 20 à 30 millions de francs de beurre.
  
Au sud de l'arrondissement de Bayeux, nous nous trouvons dans le Bocage normand, caractérisé par ses granits, ses grès rouges, ses schistes, ses plateaux semés de grands blocs de rochers ; ses maisons construites avec des matériaux de couleur sombre lui donnent un aspect un peu sévère, mais c'est un pays très pittoresque et très accidenté. Le sol y manque souvent de calcaire et d'acide phosphorique, mais le cultivateur du Bocage normand a su améliorer ce sol et là où le rocher ne se montre pas à nu, des vergers de magnifiques pommiers entourent les fermes. Par sa patience et son labeur, l'homme a su triompher de l'ingratitude du sol, car le travail a toujours été la vertu du paysan du Bocage.

La plaine de Caen s'étend sur une partie des arrondissements de Caen et de Falaise. Au lieu de ce pays accidenté qu'est le Bocage, aux collines formées de grès et de schistes, à couches redressées presque verticalement ; au lieu de ces champs entourés de haies garnies de grands arbres, et donnant à l'ensemble du pays l'aspect d'une immense forêt, on voit devant soi une grande plaine nue, sans arbres ; plus de pommiers, plus de haies ; des céréales, des sainfoins, des trèfles incarnats à perte de vue et, çà et là, encore quelques parcelles montrant le tapis d'or du colza. Le calcaire oolithique surmonté d'une épaisseur plus ou moins grande de limon, forme le sous-sol de cette vaste plaine ; c'est un terrain essentiellement sec et perméable, calcaire. Avec la pierre formant ce sous-sol on a bâti les maisons et les églises du pays, et cette pierre, dite « pierre de Caen », facile à travailler, a permis d'élever, jusque dans le moindre village, des clochers finement dentelés sur le modèle du célèbre clocher de Saint-Pierre de Caen ; les maisons elles-mêmes, les fermes bâties avec cette pierre de Caen ont un aspect riant et gai. Ici, l'élevage du cheval de demi-sang constitue la principale source de revenus ; et la célébrité du carrossier anglo-normand a fait le tour du monde.

A l'est du Calvados, c'est la vallée d'Auge, c'est le « pays d'Auge », terre classique de l'herbe, aux collines plantées de pommiers, qui y sèment, au printemps, la neige odorante de leur belle floraison, et se chargent, à l'automne, d'une abondante fruitée. Ce pays d'herbages par excellence engraisse des milliers de bœufs dans les vallées qu'arrosent la Dive et la Touques ; de Lisieux à Mézidon, on n'aperçoit que des herbages avec leurs vergers de pommiers. Des poiriers et des rosiers grimpants, le long des habitations, ajoutent encore au charme du paysage. Ces vallées de la Dive et de la Touques formées par le mélange de divers terrains : marnes oxfordiennes, calcaires du cénomanien, argiles à silex, sont naturellement riches, fertiles. Là, suivant l'expression populaire, « l'herbe pousse le bœuf » et il semblerait que tout se passe sans l'intervention de l'homme, — comme le dit l'éminent Baudrillart, dans ses études sur les Populations agricoles de la France, — car dans la solitude des riches pâtis, la bête bovine semble régner comme dans un domaine qui lui appartiendrait par droit de nature. Cette plantureuse région est caractérisée par des coteaux arrondis, par des vallées à grands prolongements ou découpées, pour ainsi dire, en damiers de verdure, qu'arrosent la Dives et la Touques, qui y coulent tantôt d'un cours régulier, tantôt avec une surabondance qui en grossit et en précipite le cours. Le pays d'Auge comprend ce territoire qui s'étend sur les arrondissements  de Pont-PEvêque et de Lisieux.
 
Tandis que, dans le pays d'Auge, on pratique spécialement l'engraissement, le Bessin, aux immenses nappes de verdure, est merveilleusement doté pour l'industrie laitière. C'est là que pâturent les belles vaches cotentines, dont le lait abondant et riche en principes gras a fait donner à cette région le nom de « pays du beurre. » Mais si le sol du Bocage est moins riche, et sa production moins plantureuse que celle des autres régions du Calvados, par contre, l'élevage du bœuf y est prospère et il alimente les régions où on se livre à l'engraissement de même qu'il fournit les vaches laitières pour le lait destiné à la fabrication du beurre et du fromage.
  
En somme, on peut faire cette curieuse constatation que le département du Calvados, par sa situation même, représente l'ensemble de la Normandie agricole et ethnographique, car il renferme, dans sa composition géographique, une partie plus ou moins étendue des anciennes divisions de la province, et comme il présente les cultures, les productions de chacune de ces régions, il permet d'apprécier la puissance productive du sol de notre belle Normandie tout entière. Mais bien des améliorations, sont encore à réaliser en culture. C'est ainsi qu'il faut apporter aux terres du Calvados la chaux et l'acide phosphorique qui leur sont nécessaires pour remplacer, dans les herbages, les énormes quantités de phosphates calciques que l'élevage et la production du lait enlèvent au sol. Une prairie soigneusement phosphatée donne une herbe dont la puissance nutritive et l'influence sur la production du lait dépassent, par leurs résultats si favorables, les frais de fumure de la prairie. D'autre part, on doit regretter la disparition de la culture du colza, car cette culture rendait de grands services aux cultivateurs ; le colza, figurant en tête de l'assolement, préparait la terre à une bonne culture de blé. Cette plante a été remplacée partiellement par des plantes sarclées dont il  conviendrait de généraliser la culture, afin d'accroître les rendements en blé.
 
C'est à ses richesses pomologiques, à la haute valeur de ses crûs, que notre Normandie doit la grande renommée de sa production cidricole et le Calvados, en particulier, s'inscrit en première ligne pour l'excellence de la boisson à laquelle tous les Normands restent fidèles, comme, du reste, tous les bons appréciateurs, tous les vrais amateurs de cidre : Qu'on offre, à ceux-là, du vin, du vin venant de loin, de Narbonne ou de Bordeaux, ils répondront comme Jacquemin, dans Le Flibustier, de Jean Richepin :

                   ...Quand il viendrait de Rome !
Il ne vaut pas le cidre, âpre et fleurant la pomme.
Ah ! j'en ai bu, là-bas, toutes sortes de vins,
Pris chez les Espagnols, des plus vieux, des plus fins,
Alicante, Xérès, Porto, que sais-je encore !
Mais nul, de quelque nom fameux qu'on le décore,
Ne m'a fait oublier la boisson des aïeux,
Ce bon cidre normand, raide au cœur, clair aux yeux.
Qui vous ragaillardit le courage et la mine,
Et qui, lorsqu'un rayon de soleil l'illumine,
Ressemble aux cheveux d'or des filles du pays !

Et de fait, les Normands — qui ont toujours conservé, avec un soin jaloux, l'excellence de leurs crûs et, par conséquent, leur réputation d'honnêtes producteurs — n'ont pas été exposés à ces avatars éprouvés, jadis, par certains viticulteurs du Midi qui, pour conjurer la crise viticole, noyaient leurs idées moroses, non pas dans le vin, mais dans la « liqueur de feu », dans l'absinthe qu'ils aimaient trop. Il est des gens qui ont le vin triste, tandis que les buveurs de cidre ont pour eux la verve et la gaîté. Aussi loin que nous remontions dans l'histoire de notre vieille province, nous voyons les littérateurs et les poètes exalter les vertus de la divine boisson « qui mêle à ses flots d'or une mousse argentée ». Et cet enthousiasme de nos vieux poètes normands, nous le voyons se manifester avec une belle ardeur, par exemple, dans les écrits de Basselin, l'auteur des Vaux de Vire, pour ne citer que celui-là. Basselin n'a-t-il pas écrit ceci sur le Sidre de Normandie :

De nous se rit le François,
Mais vraiment, quoiqu'on en die,
Le Sidre de Normandie
Vaut bien son vin quelquefois.
Coule, avale et loge, loge :
Il fait grand bien à là gorge.

Ta beauté, ô Sidre beau,
De te boire me convie,
Mais pour le moins, je te prie,
Ne me trouille le cerveau.
Coule, avale et loge, loge :
Il fait grand bien à la gorge.

Nous serions tenté, en vérité, de consacrer ici, aux mérites, à la gloire du cidre de Normandie, tous les souvenirs qui attestent, par d'éloquents panégyriques, par des écrits humoristiques, par des odes et par des chants, que le « breuvage étincelant » excita, de tout temps, la verve, le talent de nos écrivains et inspira la muse de nos poètes. Mais, à ce long exposé rétrospectif, le cadre forcément limité de cette Révue ne suffirait pas. Bornons-nous, pour aujourd'hui, à rappeler que le poète lexovien, Amédée Tissot, vanta avec lyrisme et humour les vertus de la pomme et du cidre de Normandie. Il composa, sur la pomme, notamment, une spirituelle, chanson dont nous citerons seulement cette malicieuse strophe :

De la vigne on exalte l'âge,
Mais dans le paradis perdu,
Adam ne voit que son feuillage
Et la pomme est fruit défendu.
Bien  avant que Noé se grise,
La pomme se fit apprécier.
Eve aussi se trouva surprise
... Sous un pommier.
 
La production des fruits à cidre et la fabrication du cidre sont, avec l'élevage, les principales grandes richesses du département du Calvados. On évalue à environ 20.000 hectares la superficie de terre à labour, prairies naturelles et prairies artificielles complantée en pommiers à cidre, dont le nombre est d'environ 1.220.000 produisant, en année normale, 550.000 à 600.000 hectolitres de pommes.

Les pommes à cidre du Calvados appartiennent à plusieurs catégories, qui se classent en trois saisons : Les premières saisons : amer-doux, railé, douce-dame, etc., entrent pour un quart seulement dans la flore pomologique de la contrée. Les deuxièmes saisons : gros-bois, gagne-vin précoce, rouge-bruyère, staltot-feuillard, cartigny, etc., comptent pour moitié. Les troisièmes saisons : gagne-vin, muscadet, monsued, bidan, filasse, etc., comptent pour un quart.
  
Malheureusement, il y a, dans la production, encore trop d'alternatives de hausse et de baisse : Bonne récolte tous les quatre ou cinq ans, les deux suivantes étant bien moins bonnes, parfois médiocres ou même franchement mauvaises. Il en résulte de brusques courants commerciaux et d'extraordinaires variations de prix, d'une année à l'autre, pour les pommes et le cidre. En bonne saison, le commerce transite une moyenne de 250.000 hectolitres environ. A Bayeux, Nonant, Molès, etc., on fabrique un cidre de luxe fort apprécié dans le pays et qui fait l'objet d'exportations rémunératrices. On fabrique, pour le commerce, deux sortes de cidres : le gros ou pur jus, destiné à la boisson de luxe ou à la vente en gros pour les débitants, et le mitoyen, ou boisson de consommation courante. Il faut améliorer nos récoltes, régulariser notre production en donnant aux pommiers tous les soins nécessaires. Il faut aussi s'appliquer à perfectionner la fabrication du cidre, en suivant des méthodes modernes, rationnelles, dont la pratique a sanctionné la valeur. Pomologie et cidrerie constituent deux branches de production dont la prospérité est intimement liée à l'interprétation des principes scientifiques. La diffusion de ces principes est grandement facilitée aujourd'hui. On sait quels éminents services a déjà rendus à l'industrie cidricole normande la station pomologique de Caen, placée sous la direction technique d'un spécialiste distingué, M. Warcollier, qui s'est appliqué, notamment, à déterminer les procédés pratiques à employer pour obtenir des cidres doux de longue conservation et permettre ainsi aux pomiculteurs d'échelonner la vente de leurs récoltes les plus abondantes, ce qui doit avoir, pour conséquences heureuses, la stabilisation des cours, l'accroissement des débouchés et enfin la possibilité d'offrir à toute époque au consommateur un cidre de qualité uniforme.
 
Avant la guerre, l'Allemagne s'adjugeait nos pommes à cidre par centaines de wagons. Les fruits de nos vergers allaient approvisionner les usines de la région du Mein, du grand-duché de Bade, du Wurtemberg et de la Silésie, où se fabriquait le sekt, cette boisson mousseuse à base de pommes, que les soudards d'outre-Rhin — avec le cynique esprit de contrefaçon qui les caractérise — osaient vendre sous le nom de « Champagne », en bouteilles ficelées. Ils exportaient de grandes quantités de cette boisson en Angleterre et dans les colonies.

Après la grande guerre — qui libérera à tout jamais l'humanité et la civilisation des audacieuses, des stupéfiantes tentatives du prussianisme — nos pomiculteurs normands, qui auront appris ce qu'il en coûte de faire le jeu du commerce allemand, sauront conserver en vue d'une meilleure utilisation et dans leur propre intérêt comme dans celui de la patrie, les produits réputés de leurs riches vergers. Ils comprendront, enfin, que le premier des devoirs qui incombe à tout bon Français, c'est de réserver à la France d'abord le bénéfice que doivent procurer les produits récoltés sur son sol. Bien pénétré de ce devoir, eu égard aux intérêts économiques et nationaux, chacun aura toujours présente à la mémoire cette devise, érigée en règle de conduite :

J'aime qu'un Russe soit Russe,
Et qu'un Anglais soit Anglais.
Si l'on est Prussien en Prusse,
En France, restons Français (1).
 
N'oublions pas que la patrie n'est pas seulement représentée par le drapeau que nos admirables soldats font triompher sous la mitraille, dans la fumée des batailles ; c'est aussi le sol que nos ancêtres ont défriché, fécondé par leur travail, c'est l'héritage que nous ont légué de laborieuses générations, avides de victoires pacifiques — les seules enviables et fécondes. Soyons donc fermement résolus à ne négliger aucun effort, aucun sacrifice, pour conserver au Pays, et faire fructifier, le précieux patrimoine dû à la puissance productive de la terre normande.

Henri BLIN,
Lauréat de l'Académie d'Agriculture de France.

(1) Puisque nous exprimons ici la ferme conviction que le patriotisme de nos producteurs contribuer et leurs vertus civique sont un sûr garant qu’ils voudront  contribuer au triomphe, dans la lutte économique, en repoussant toute idée de commerce, après la guerre, avec le Boche, — ce barbare universellement stigmatisé, voué à l'exécration du genre humain —ce nous est l'occasion de signaler que le Journal Officiel du 22 avril 1917 a publié un décret attribuant à la commune d'Allemagne (Calvados) la dénomination de FLEURY-SUR-ORNE.       H. B.


*
* *

RICHESSES MINIÈRES
de Normandie


II

MINES DE HOUILLE
 
Dès le moyen âge, le minerai de fer était connu et exploité en Normandie, mais son traitement se faisait au charbon de bois qui nécessitait une énorme consommation d'arbres et limitait ainsi l'exploitation à de petites forges qui ne pouvaient, faute de combustible, prendre le développement qu'auraient permis les richesses en minerai.

Aussi, dès le dix-huitième siècle, les efforts s’orientèrent vers la recherche du combustible minéral.

MINE DE LITTRY

Normandie, revue régionale illustrée mensuelle, n°2 - Mai 1917.En 1741, un particulier qui creusait un puits sur une couche de minerai, rencontra le charbon. Il en fit part à M. le marquis de Balleroy, propriétaire de grosses forges dans le bourg de ce nom ; les recherches que ce dernier fit faire amenèrent le relèvement d'une importante couche de houille.

Par arrêt du Conseil en date du 15 avril 1744, M. le marquis de Balleroy obtint la concession de cette mine dont le périmètre s'étendait sur quinze lieues de longueur et huit lieues de largeur, entre les vallées de l'Orne et de la Vire, la mer et la ville de Saint-Lô, et les communes de Caumont, Goupillères et Villers-Bocage. Malheureusement, confiée à un homme dénué de toute connaissance spéciale, l'exploitation fit de très mauvaises affaires.
 
Cependant, dès cette époque, quatre puits furent ouverts : fosses Pierre-Raould, de la Couture-Raould, la fosse à la pompe, et la fosse Le Sauvage n° 1.

En 1747, le marquis de Balleroy céda son privilège à des concessionnaires qui, tout d'abord ne furent pas plus heureux que lui ; ce ne fut que vers 1758, sous la direction de M. Bisson, ingénieur des ponts et chaussées, que la mine cessa d'être aussi onéreuse.

Sur le cinquième puits, ouvert en 1749, fut placée, pour l'épuisement des eaux, une des premières machines à feu dont on ait fait usage dans une mine française. Cette machine éprouva de fréquentes avaries et fit même explosion en 1755, tuant deux hommes.
 
De nombreux autres puits furent ouverts de 1759 à 1763 ; les fosses Sainte-Barbe et Frandemiche datent de cette époque, leur exploitation s'est prolongée sans arrêt jusqu'en 1864.

Retombée entre les mains d'un incapable, la mine périclita jusqu'en 1784, époque à laquelle la direction fut confiée à M. l'Ingénieur Noël : en l'an III, l'extraction fut d'environ 27.000 tonnes.

Par décret du 24 nivôse an XII, sur la demande de M. Noël, la concession fut réduite à 115 kilomètres carrés.

Vers 1844, commença à s'opérer le déplacement de l'exploitation vers le village de Fumichon, à sept kilomètres de Littry ; un nouveau remaniement du périmètre en fut la conséquence.

Concurrencée par les charbons anglais, la concession de Littry a traversé, depuis 1856, une phase moins prospère, pour aboutir, en 1882, à la fermeture complète.

Le manque d'outillage moderne, l'éloignement des puits du chemin de fer en furent les principales causes. De nouvelles recherches sont faites, si elles sont aidées par des compétences et des capitaux suffisants qui permettent une exploitation intensive, on arrivera certainement aux résultats satisfaisants que l'on est en droit d'attendre.

Je n'entrerai pas dans la description de la formation géologique de la contrée, ni dans les méthodes d'exploitation, me contentant d'indiquer la nature des charbons de Littry.

La houille extraite du bassin de Fumichon, le dernier exploité, appartient au type des houilles grasses, à longue flamme ; elle renferme une proportion de matières schisteuses et donne une quantité de cendres très variable, suivant les parties de la couche dont elle provient (3,2 % à 49,6 %).

Cette proportion considérable en cendres, empêchait l'emploi de ces charbons pour la fabrication du gaz d'éclairage et des agglomérés, qui demandent des combustibles relativement purs.
 
En face de cette situation, la Compagne des mines de Littry introduisit, vers 1863, le lavage des menus.

Cette opération a transformé les menus de Littry, en charbons excellents pour la forge et pour la production du gaz d'éclairage ; ils avaient pris rang parmi les meilleurs charbons à gaz et la mine ne pouvait plus satisfaire à toutes les demandes qui lui étaient faites. Ces menus donnaient un gaz présentant un pouvoir éclairant dépassant de 6 à 7 pour cent le titre exigé à Paris. C'était pour eux une grande supériorité, car elle permettait de les mélanger à des charbons moins convenables à ce point de vue.

A côté de cette supériorité particulière, les charbons de Littry donnaient un coke plus dense et un peu moins avantageux, pour les ventes s'opérant à la mesure, que le coke provenant des charbons anglais ou belges ; il n'en serait pas de même pour des ventes au poids.

On a vu plus haut que la fermeture de la mine de Littry était due à deux causes principales : le manque d'outillage moderne, auquel il sera facile de remédier, et l'éloignement des puits du chemin de fer.
 
En effet, le transport, par voiture du carreau de la mine à la gare de Molay-Littry, située à huit kilomètres des fosses de Fumichon, coûtait environ 3 francs par tonne ; c'était le plus clair des bénéfices. Dans certaines mines, même, on n'obtient pas cet écart entre le prix de revient et le prix de vente.

Il faudrait donc, sur la concession de Littry, rechercher la houille à proximité de la voie ferrée qui la traverse et établir, entre celle voie et les puits qui seront ouverts, des moyens de transport plus économiques que celui par banneaux, autrefois employé.

Ainsi que je le disais dans un précédent article, le gouvernement, sur les instances de M. Henri Chéron, le dévoué sénateur du Calvados, devait prendre les mesures nécessaires pour assurer une sérieuse prospection de ce bassin houiller. Il est à souhaiter que cette, étude soit menée rapidement et que des mesures immédiates soient prises pour assurer la mise en exploitation intensive de ces richesses du sous-sol normand.

A. MACHÉ.


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* *

FIGURES NORMANDES

Mme Lucie Delarue-Mardrus

Normandie, revue régionale illustrée mensuelle, n°2 - Mai 1917.

J'ai eu le plaisir, et mieux, l’honneur, de voir Mme Delarue-Mardrus, à un thé, chez Mme Marguerite Crissey, une autre femme charmante et qui, si elle n'écrit pas, traduit admirablement l’âme des fleurs. Il y avait, ce soir-là, Georges Trouillot — mort depuis prématurément et aussi l'actrice Moreno. Je fis, plus tard, dans le Paris-Journal, un article sur le livre : Une Française en Argentine, (que Moreno venait de donner à Crès, et de cet article, qu'on me permette de découper en manière d'anecdote, ce fragment relatif à l’auteur normand : « Enfin, Lucie Delarue-Mardrus survint, et la conversation s'accrut en beauté, mais d'une même beauté, d'une même valeur... Je revoyais bien, en l'auteur d'Un Cancre, celle que les Arabes nomment La Princesse Amande... Des traits rieurs et fins où les brumes nordiques se mêlent à l’âme des crépuscules d'Orient, mais en Occident, comme en Orient, ne rêve-t-on pas ? On réclama des vers....

— Connaissez-vous Le Drapeau ? me demanda Georges Trouillot...

Et comme je me montrais assez franc, et donc sincère, et pas flatteur :
    
— En voilà un, s'exclama-t-il, se tournant vers Delarue-Mardrus, qui ne connaît pas Le Drapeau !

Elle sourit finement et dit : « Il n'est pas « patriote ! » Elle dit elle-même, admirablement, son poème, non sans avoir, au préalable, et malicieusement, mis Georges Trouillot à contribution... »

Voilà la femme, telle qu'elle m'apparut, fugitivement... Et je me souviens encore qu'elle m'adressa une fois la parole pour me dire, avec un sourire où permanait comme une grâce des prairies et des cités normandes : « Alors, vous êtes de Rouen ? » Et cette simple demande était pour moi toute une évocation de la terre natale ! Pour le reste, j'ai lu ses œuvres de ci de là, les poèmes, des romans ou des articles — ou contes — descriptifs en quantité, car Mme Delarue-Mardrus a beaucoup écrit... J'en ai entendu qui le lui reprochaient, et allaient jusqu’à rééditer telle réflexion virulente de Sainte-Beuve à propos des femmes de lettres !... Il est sûr, en tous cas, que Lucie Delarue-Mardrus est un merveilleux écrivain, malgré les cris poussés dans les « volières ». Le poète Charles-Théophile Féret, mon grand aîné et ami, a dit de l'auteur de Ferveur, dans son Mécanisme des Images : « De la race ! » L'on peut, en somme, compter les femmes qui écrivent, c'est-à-dire celles qui ont « de la race ! »

Le père de Mme Delarue-Mardrus, maître Georges Delarue, avocat à la Cour de Paris, est de bonne souche normande ; sa mère est parisienne. En 1900, la fille aînée de maître Delarue épouse le docteur J.-C. Mardrus, auteur d'une version définitive des Mille et une nuits. Ils habitèrent longtemps — ceci à titre d'anecdote — telle vieille maison de l’Ile-Saint-Louis, où naquit le poète Félix Arvers, dont le fameux sonnet n'est sans doute si célèbre que parce qu'il traduit une aventure assez banale en amour... Mme Delarue-Mardrus a donné ses œuvres principales à Fasquelle, d'autres parurent chez Tallandier, et à la Revue-Blanche. Parmi les œuvres poétiques, l'on peut citer : Occident (1901) ; Ferveur (1902) ; Horizons (1904) ; La Figure de Proue (1908) ; Par vents et marées (1910).... La production, en romans, est considérable : Marie, Fille-Mère (1908) ; Le Roman de six petites filles (1909) ; Comme tout le monde, L'Acharné (1910) ; Tout l'Amour (1911) ; L'Inexpérimentée (1912) ; Douce moitié (1913)... Et notre bibliographie demeure, à coup sûr, insuffisante... Ces livres naissent ainsi, selon une sorte de rythme, dans le temps... A notre sens, la prose de Mme Delarue-Mardrus est peut-être moins nerveuse, moins originale que son vers, mais elle est tout de même d'une valeur assez considérable, car parmi les femmes qui écrivent, les prosatrices se comptent... Une ironie gaie, douloureuse..., parfois, caractérise sa manière... Quand il faut dire quelque chose, l'auteur a toujours l'esprit pour le dire, et, après tout, l’on admet facilement ce franc-parler d'une femme qui sait aussi s'émouvoir avec tant de tendresse continue — lisez Un Cancre — devant un transcendant idéal... Mme Delarue-Mardrus fit représenter Sapho Désespérée (deux actes en vers), au théâtre d'Orange, et La Prêtresse de Carthage, au théâtre antique de Carthage... Reine de Mer fut représentée aux « Chorèges Français », en 1907, au Pré Catelan, et Phaon Victorieux (pièce où l'on vit l'auteur remplacer, au pied levé, dans le principal rôle, l'artiste qui devait le jouer), au théâtre des Champs-Elysées... Mme Delarue-Mardrus collabore à L'Œuvre, aux Annales, au Journal, où elle donne des contes d'une observation réaliste, et d'où la bonne humeur (plutôt l'humour) n'est jamais exclue, même quelquefois une mauvaise humeur, un peu satirique, et qui n'est au surplus, chez elle, qu'une délicieuse mauvaise humeur...

Elle a chevauché à travers l'Orient, et elle connaît à merveille la langue arabe, et les Arabes l'ont justement appelée La Princesse Amande... Ils rendent ainsi hommage, instinctivement, à celle qui naquit sur la côte de Grâce d'Honfleur, et cette côte n'est-elle pas riche vraiment en Nôtres-Dames-de-Grâces ?
  
L'une, dans sa modeste chapelle, où naviguent de petites goëlettes de bois, aux « figures de proue », protège les matelots et recueille leurs vœux dans les cœurs de ses ex-votos, l'autre a remonté la Seine, conquérante, une lyre en mains... Elle nous apporta tout cet âpre parfum du terroir normand, et bien qu'elle aimât l'Orient, cela ne l'empêchait pas de répéter : « Ah ! je ne guérirai jamais de mon pays ! »

C'est qu'il est beau aussi ce pays, et le talent de Mme Lucie Delarue-Mardrus n'est-il pas la plus belle manifestation de sa splendeur spirituelle ?

GABRIEL-URSIN LANGÉ.

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Normandie publiera dans son prochain numéro :

Eussions-nous cent ans ! poésie de Jean MIRVAL (Georges LEBAS) ; Paysages Normands : L’Angélus à Jumièges, par Gabriel-Ursin LANGÉ ; Normandie, poésie de Gaston LE RÉVÉREND ; Pieusement pour la Patrie (Louis MÉNAGÉ), par CAMY-RENOULT, et des pages signées : Henri BLIN, Georges NORMANDY, A. MACHÉ, etc.

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POUR L'AGRICULTURE
 
A la suite d'une interpellation de M. Louis Quesnel, sénateur de la Seine-Inférieure, sur la main-d'œuvre nécessaire aux agriculteurs pour la moisson prochaine, le Sénat a adopté, à mains levées, l'ordre du jour suivant présenté par les sénateurs de la Seine-Inférieure, et accepté par le gouvernement :
 
« Le Sénat signalant au gouvernement la gravité de la situation agricole, qui est l'une des causes essentielles de la crise du ravitaillement, confiant en lui pour prendre, d'extrême urgence, toutes les mesures qui pourront faciliter et intensifier la production de la terre, en assurer la libre circulation et pour coordonner dans ce but les efforts des départements ministériels intéressés, l'invite notamment à attribuer, en temps utile, aux agriculteurs toute la main-d'œuvre dont l'autorité militaire peut disposer et à faire accorder judicieusement, dans la mesure compatible avec les besoins des armées, des permissions agricoles aux soldats cultivateurs et ouvriers des champs, passe à l'ordre du jour. »

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Les Châtaigniers

Plus un berger aux champs. Un orage. L'averse.
Un ciel d'encre. Les noirs Châtaigniers éperdus
Gémissent et sans fin, meurtris, blessés, tordus :
On croirait que déjà l'ouragan les renverse.

Fuis chez l'hôtesse et bois le vin qu'elle te verse,
Puis reviens et regarde : aux cieux d'azur tendus,
Ils se dressent plus beaux, plus forts, inattendus
Et tout dorés de l'or du soir qui les traverse.

Ainsi, lorsque sur nous la tourmente a passé,
Que garder le plus frêle espoir semble insensé
A notre accablement qui chancelle et qui doute,

Rions, et par la sente et par les échaliers
Courons à la moisson, la voulant faire toute,
Et relevons plus haut nos fronts humiliés.

Robert DE LA VILLEHERVÉ.


Deuil

En ce très vieux château venu au temps de fleurs,
Vous l'avez consolé de tant d'heures moroses.
Belle et suivant l'année en ses métamorphoses,
Vous portiez des saisons les changeantes couleurs.

Près de vous, il semblait qu'on fût loin des douleurs.
Vous rayonniez parmi les êtres et les choses.
Pourquoi, sous les cils d'or des paupières mi-closes,
Ai-je vu, tendre amie, hélas ! couler vos pleurs ?

Dans la jeunesse ayant accepté d'être veuve,
Nul n'a dit qu'un seul jour vous ayez de l'épreuve
Ou sondé le mystère ou cherché le motif.

Et comme vous faisiez au Maître du ciboire
Votre soumission, le deuil définitif
A sur votre beau corps moulé sa robe noire.

Paul HAREL.
 
 
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Notre éminent collaborateur, M. Georges Normandy, consacrera tous les trois mois une chronique à la Vie littéraire, artistique et économique en Normandie. La première de ces chroniques paraîtra en juillet. Toutes les publications, toutes les informations et tous les documents concernant cette rubrique doivent lui être adressées directement, 51, rue du Rocher, à Paris (8e arrond.)


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Colombine sauvée
ballet-pantomime en un acte et quatre tableaux
par
Jean Lorrain

La chambre de COLOMBINE. Intérieur aisé, rustique, plafond à solives apparentes, armoire de chêne sculptée, lit à baldaquin drapé de soie cramoisie. Au milieu de la chambre, une grande table encombrée de bouquets de fiancés tous de roses blanches et fleurs d'oranger ; dans un pot de grès flamand, une grande gerbe de lys. Une large fenêtre à vitraux octogones et à demi-ouverte sur la campagne : on aperçoit une vallée ensoleillée, le clocher d'un village et des collines boisées.
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Normandie, revue régionale illustrée mensuelle, n°2 - Mai 1917. Au lever du rideau, COLOMBINE, assise sur une chaise, sommeille, appuyée sur la table, le visage appuyé sur ses bras nus. Un rayon de soleil glisse par la porte entr'ouverte.

La chaleur et l'odeur des bouquets l'ont engourdie. Elle est toute de blanc vêtue, robe courte et corsage décolleté, une rose blanche dans les cheveux.

La fenêtre du fond, entrebâillée, s'ouvre lentement, toute grande, comme poussée par une main invisible ; grimpé sur une échelle, on aperçoit un Arlequin, un arlequin mauve et noir pailleté d'argent, masqué de noir, portant une guitare en sautoir. Il se penche curieusement dans la chambre, aperçoit COLOMBINE, et le doigt sur la bouche, il se penche en arrière comme faisant signe à un invisible compagnon, puis il enjambe la fenêtre, s'asseoit, jambes pendantes dans la chambre, et accorde sa guitare. Un autre Arlequin pareil au premier, apparaît à mi-corps sur l'échelle, il accorde aussi sa guitare. Musique endiablée et corruptrice parlant de galanteries et de fêtes inconnues dans des parcs lointains hantés de belles dames et peuplés de statues ; aubade de séduction invitant COLOMBINE à l'embarquement pour Cythère... ou ailleurs.

Pendant toute l'aubade, COLOMBINE ensommeillée s'agite comme oppressée ; elle porte la main à son front, fait le geste de repousser quelqu'un avec le bras, mais malgré elle, ses pieds frétillent en cadence.

Les Arlequins qui l'observent manifestent leur contentement. Tout à coup, on gratte à la porte ; le doigt sur la bouche, les Arlequins pincent un dernier accord, l'un enjambe la fenêtre, la referme à demi, l'autre redescend l'échelle et le premier le suit - et l'échelle disparaît. La scène reste vide.

On refrappe plus fort à la porte. COLOMBINE s'éveille lentement en s'étirant : quel cauchemar affreux ; elle est tout étourdie. Elle se lève et fait quelques pas en avant ; en portant la main à son front, elle rencontre la rose qui est dans ses cheveux : c'est cette fleur qui l'aura entêtée !    Elle la retire et la jette loin d'elle.

On refrappe une troisième fois et plus fort. COLOMBINE entend et court précipitamment ouvrir ; entre Madame Cassandre, la mère de COLOMBINE, et TRIVELIN, le cordonnier du village. Il apporte les souliers de COLOMBINE pour la noce du lendemain. COLOMBINE fait la révérence et pirouette ; Mme CASSANDRE avec de grands gestes, demande à COLOMBINE pourquoi elle n'ouvrait pas ; COLOMBINE explique qu'elle s'était endormie. Indignation de Mme CASSANDRE : « Dormir la veille de ses noces et la tête dans les fleurs ! Ce n'est pas étonnant qu'elle ne s'éveillait pas ; elle aurait pu mourir. » Mme CASSANDRE prend tous les bouquets et les emporte, sauf le vase de lys, cependant COLOMBINE s'est assise, et TRIVELIN, à genoux devant elle, lui essaye ses souliers de bal. Mme CASSANDRE rentre et demande à sa fille si elle est contente.

COLOMBINE se lève et marche à petits pas, en regardant ses souliers. Danse. Pas seul.

TRIVELIN et Mme CASSANDRE la contemplent tout ébaubis.

A un moment de la danse, on entend une réminiscence de l'aubade des Arlequins. COLOMBINE s'arrête toute triste ; elle n'est plus à ses souliers, à son prochain mariage : elle est là-bas, ailleurs dans les parcs enchantés des Cythères lointaines ; et comme Mme CASSANDRE et TRIVELIN lui demandent quelle mouche la pique et comme TRIVELIN insiste, elle retire ses souliers et les lui jette au nez !

Mme CASSANDRE n'en croit pas ses yeux ; sa fille est devenue folle ; elle calme TRIVELIN qui ramasse les souliers et les pose sur la table, le congédie et s'avance, les bras croisés, pour sermonner sa fille qui l'attend, assise en battant du pied. A ce moment, musique joyeuse dans l'escalier. Mme CASSANDRE se précipite vers la porte.

Entrée des jeunes filles du village, compagnes de COLOMBINE, toutes en blanc, apportant des bouquets et escortant la coffrée de la mariée, la robe de noce et le voile portés par deux gars à la veste et au chapeau enrubannés. Les jeunes filles accueillies avec force démonstrations par Mme CASSANDRE, qui leur montre COLOMBINE s'obstinant à bouder, s'approchent curieusement de la table ; la coffrée est déposée aux pieds de la maussade qui, devant les bouquets et les mains tendues, se met à sourire en se levant, va à tour de rôle embrasser ses compagnes et donner la main aux porteurs de la coffrée.

Mme CASSANDRE, ravie, va chercher une bouteille dans l'armoire et emmène boire les deux paysans ; sous la fenêtre, des vivats éclatent.

C'est PIERROT le fiancé, avec les gars du pays qui demande à entrer (les gars en blanc) ; une des jeunes filles se détache du groupe et va à la fenêtre faire signe qu'ils rentreront quand COLOMBINE sera habillée.

Les jeunes filles entourent COLOMBINE, la déshabillent et l'habillent en dansant, lui épinglant tour à tour la couronne et le voile, deux des jeunes filles suivent tous les pas de COLOMBINE, en tenant devant elle un miroir.

Au plus fort de la danse et de la joie de COLOMBINE, le motif des Arlequins éclate en réminiscence. Tristesse de COLOMBINE qui, de nouveau, s'arrête, traîne ses pas mélancoliques et écartant ses compagnes empressées autour d'elle, va douloureusement s'asseoir. Les jeunes filles n'y comprennent rien.

(A suivre.)


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UN GRAND PEINTRE NORMAND
André Paul-Leroux



« …. Il est dans le lieu natal un attrait caché,
je ne sais quoi d'attendrissant qu'aucune fortune
ne saurait donner et qu'aucun pays ne peut rendre...
Heureux qui revoit les lieux où tout fut aimé,
où tout parut aimable, et la prairie où il courut
et le verger qu'il ravagea ! Plus heureux qui ne vous
a jamais quitte, toit paternel, asile saint ! »
« BERNARDIN DE SAINT-PIERRE. »

« …. Oh ! les grands labours dans la plaine
et les sillons fumant dans la brume aux premiers
froids d'octobre, quand hommes et chevaux s'en
reviennent plus las ! Chaque soir m'enivrait
alors comme si je sentais l'odeur de la terre
pour la première fois. J'aimais alors m'asseoir
au revers d'un talus, à l'orée des champs, et
j'écoutais avec délices mourir au loin des voix,
voix de laboureurs, bruit éteint de charroi.
J'aimais aussi l'odeur des feuilles rouies,
la fraîcheur de la pluie et des branchages
mouillés, — et mon âme défaillait toute,
en regardant le soleil exténué si fondre à l'horizon. »
« Jean LORRAIN. » 

Normandie, revue régionale illustrée mensuelle, n°2 - Mai 1917. A Fécamp, le 28 juillet 1912, au pied du monument que nous venions d'inaugurer à la gloire de Jean Lorrain, le plus grand écrivain descriptif de la littérature française, je m'écriais, en terminant une période au cours de laquelle j'énumérais les fastes de notre cité natale : « ... Souvenez-vous de cette journée. Elle vous montre une ville, de province, petite par son étendue mais grande par son passé et aussi par son présent : elle a eu un roi pour abbé ; elle a fait d'un de ses abbés un pape ; elle a eu Bois-Rosé, brave entre les braves ; elle a formé Guy de Maupassant ; elle a vu naître Jean Lorrain ; elle a construit une incomparable abbaye ; elle possède encore le vénéré docteur Léon Dufour, fondateur des Gouttes de Lait qui sauvent cent mille existences d'enfants chaque année, — et aussi un grand peintre que je vais surprendre beaucoup et de qui je vais mettre la modestie à une terrible épreuve, (car il travaille dans un secret presque absolu) : j'ai nommé André Paul-Leroux. » J'ai terriblement surpris, en effet, ce jour-là, André Paul-Leroux ; je crois, en outre, que nous pourrons nous employer dix, vingt, cent critiques, à répéter —longtemps — que cet Artiste est doué d'un magnifique talent, sans réussir à le convaincre que son œuvre  n'est   pas  tout à  fait  sans intérêt.

Aussi bien, cette défiance de soi-même, voire cette injustice envers soi-même, est fréquente chez les hommes de valeur exceptionnelle ; peut-être est-elle l'une des conditions du talent véritable.
 
La sévérité d'un maître envers son œuvre ne diminue pas la valeur de cette dernière.

En ce qui concerne André Paul-Leroux, la rigueur de son autocritique eut, pourtant, une conséquence qui aurait pu être fâcheuse pour un tempérament autre que le sien, — lequel en profita plus qu'il ne souffrit.
  
Depuis de longues années, André Paul-Leroux travaille avec acharnement mais dans un secret presque complet, un secret systématique, un secret jaloux, même. Peu d'hommes franchirent le seuil de son atelier si beaucoup eurent le plaisir d'entrer dans sa paisible et claire demeure. Cette... réclusion artistique est fatale à tous les individus peu racés, à toutes les volontés hésitantes, à toutes les natures incomplètement douées. La plupart des solitaires, ne possédant pas un excès de substance suffisante pour leur permettre de vivre sur eux-mêmes, tournent en rond sans progresser ou s'affolent et divaguent, ou encore s'épuisent et meurent dans l'impuissance et le découragement. Seuls, quelques êtres d'exception supportent ce redoutable régime : alors leur vigueur se concentre dans une sobriété de grand style, leur personnalité se développe et se précise en toute liberté, leur facture s'affirme et s'assouplit sans recourir aux trucs d'atelier, aux procédés d'école, aux routines, aux manies des professeurs officiels ou autres — trucs, procédés, routines, manies qui sont la négation de l'originalité et la séduisante barrière fermant la route de la Perfection, — André Paul-Leroux est manifestement un de ces êtres d'exception.
  
Le fait d'être normand lui conférait de plano une sorte d'originalité native et, en s'adonnant au paysage, il a, en dernière analyse, suivi la norme dégagée par A.-H. de Liesville dès 1871 : « Il nous semble voir chez les artistes de Normandie, écrivait l'érudit régionaliste, une prédisposition de paysagistes. C’est dans le paysage qu'ils montrent le plus d'originalité ou que leurs efforts sont le mieux soutenus et le plus heureux » (1). Mais combien cette originalité racique s'est développée ! Comme cette prédisposition s'est métamorphosée en prédilection, en vocation, en passion !... Peu d'artistes vivants ont autant profité du travail dans la solitude, — ce régime des forts !... — Hormis Hanicotte, français devenu hollandais à force de ne pas quitter Volendam ; François Nicot rivé à sa Bourgogne — quoiqu'il ait voyagé plusieurs fois en Orient et en Riviera, — et Antonio Parreiras, le maître brésilien, durant la première partie de sa carrière, — je ne vois guère, parmi les artistes vivants, que le bas-normand J.-L. Rame, découvert par Albert Boissière, qui se soit soumis avec profit à la discipline de l'isolement. Mais J.-L. Rame conserve, avec son amour des herbages, une insensibilité de berger, — alors qu'André Paul-Leroux vibre, cherche et pense. J.-L. Rame voit tout. André Paul-Leroux vit tout. Je ne puis par conséquent les mettre en parallèle, — sauf en ce qui concerne leur naissance, et leur ascension de la vie populaire à la vie artistique. Encore l'analogie entre deux carrières serait-elle plus frappante entre le jeune maître fécampois et son confrère parisien Jean Bidon, lauréat du Salon comme lui, et comme lui ancien ouvrier peintre.

A la vérité, il faut, en ce qui concerne André Paul-Leroux, prendre le mot ouvrier dans son magnifique sens de jadis, — car le père de l'artiste, — noblement tourmenté lui-même par ses goûts artistiques — dirigeait la meilleure entreprise de peinture et de décoration de Fécamp, au temps de mon enfance. Si André Paul-Leroux put, de bonne heure, consacrer tous ses instants à créer de la beauté, c'est, en partie, au labeur de son père qu'il le doit, — et s'il a endossé, de bonne heure, la blouse du tâcheron, c'est encore par la volonté prévoyante du chef de famille qui, comme tout fils de ses œuvres de cette époque, riche d'expérience et conscient de ses responsabilités, voulut armer sa progéniture contre les ressacs possibles de la vie en lui « mettant un métier dans les mains. » Aussi dès l'âge de treize ans et demi — André Paul-Leroux naquit à Fécamp le 25 janvier 1870, — le jeune maître commença-t-il, sous la direction paternelle, l'apprentissage du métier de peintre en bâtiments. Il s'initia, dans les maisons bourgeoises, dans les usines de la ville et dans les châteaux des environs, aux secrets de la pose... et de la casse des carreaux ; il s'achemina vers la peinture de marine en couvrant de teintes variées les carènes et les cabines des bateaux pêcheurs et des terreneuviers. Il n'a, du reste, conservé de ce laborieux passé aucune amertume ; seule une sensation de fatigue physique et de lassitude intellectuelle rétrospectives, demeure en lui parce que contre elle l'étude de la nature fut un tonique puissant.

Il ne lui était possible de peindre, pour lui, que le dimanche — « et encore pas tous les dimanches, confesse-t-il, car dans les saisons de presse il fallait ignorer le repos hebdomadaire. » Il faut l'entendre évoquer avec une émotion simple, douce, charmante, ces « dimanches de peinture » qui figurent parmi les meilleurs souvenirs de toute son existence.

Plus tard, beaucoup plus tard, quand il fit mieux que balbutier sa manière, il eut, par un heureux hasard, de précieux conseils techniques. Les parisiens villégiaturant à Yport, avaient, à cette époque, l'habitude de venir faire leurs emplettes tous les samedis au marché de Fécamp. O marchés du samedi pleins de couleur, de discussions pittoresques et d'odeurs champêtres ! O rose et blanche mère Vincent qui, du Bec-de-Mortagne, apportiez des paniers si pansus, pleins d'un beurre qui semblait avoir volé toute sa saveur, en chemin, aux noisetiers des talus limitant les cavées !… A l'instar d'Etretat, Yport a, de tous temps depuis Alphonse Karr, abrité une colonie estivale d'hommes de lettres et d'artistes. La plupart de ces artistes étaient liés amicalement au père d'André Paul-Leroux. Ils lui rendaient visite le jour du marché — et c'est à ces circonstances que le maître Fécampois dut de connaître Guillemet qui, le premier, reconnut ses dons. Grâce aux conseils de Guillemet, le jeune peintre put d'abord éviter bien des tâtonnements, achever d'apprendre l'indispensable métier de son art — et goûter, dès 1893, la joie profonde de voir une de ses œuvres admises au Salon. Oh ! cela ne le grisa guère : si, depuis, son envoi annuel au Salon fut la seule manifestation publique qu'il accorda à son labeur, il affirme, — avec la mesure, la bonhomie, la sincérité, qui sont les caractéristiques et les séductions de son caractère, — que cela est, en somme « une manière de stimulant qui nous aide à faire des efforts et à gagner cette... fausse considération que le public accorde, en province, à ceux qui exposent au « Salon de Paris ».
  
De 1893 à 1910, il mena de front le Paysage et l'entreprise de peinture qu'il dirigea après la disparition de son père ; puis, l'art le prenant de plus en plus, il se retira définitivement des affaires, en juillet 1911, s'installa dans sa gentille demeure de la rue Paul Casimir-Périer érigée à l'endroit où s'éleva jadis la vénérable église de Saint-Fromond, et, sur toute la gloire éteinte de ce qui fut le vieux Fescan en Normandie, poursuivit dans le silence, la retraite et le travail, la construction de l'œuvre qui fera sa gloire.

Je sais qu'il en doute, au point qu'il m'écrivait naguère : « ... Avant cette malheureuse guerre qui a tout arrêté, je commençais, peut-être, à entrevoir le moment où j'aurais pu constater les premiers résultats des efforts de toute ma vie. » Il doutera ainsi de lui-même jusqu'à sa mort, — mais il sera seul à douter. Il m'apparaît dès à présent, pour Fécamp, comme l'équivalent de ce que Boudin reste pour Le Havre, — et son œuvre est, à mes yeux, d'une qualité d'émotion bien supérieure à celle du peintre de la côte havraise.

André Paul-Leroux n'est pas un promeneur, un amateur, un passant qui cueille une impression au hasard, sans insister, sans appuyer, sans rien donner de lui-même. Or, toute valeur personnelle mise à part, il y aura toujours une différence singulière entre la peinture du pays faite par l'homme de ce pays et les essais du spectateur qui s'extasie et va plus loin. De Liesville, que je citais tout à l'heure, remarque judicieusement, à ce point de vue, « que les Flamands et les Hollandais, par exemple, ont bien conservé le privilège d'être artistiquement maîtres de leur pays ».

André Paul-Leroux a totalement acquis ce privilège quant au pays de Caux et surtout à la séduisante région fécampoise. L'immense travail de fusion et de nivellement qui s'opère dans la capitale n'a eu ni la moindre action, ni même la moindre prise sur lui, qui manifeste avec les dons d'une nature d'élite et l'habileté d'un praticien sûr de sa technique, le tempérament local dans son intégrité. Il a su, il a pu rester étranger à la terrible synthèse générale de l'art dans laquelle disparaissent tout entiers le caractère régional et l'accent de l'individualité. Cette synthèse est si violente qu'elle a parfois paralysé, sinon anéanti, des talents, même venus des régions les plus lointaines et en apparence les plus réfractaires à cette sorte d'absorption. Le peintre Domingos Vasquez, de Rio-de-Janeiro, pourtant prodigieusement doué, y perdit ses meilleurs dons, sa personnalité et même son courage, — car il mourut de chagrin (2).
 
Autodidacte presque intégral, André Paul-Leroux n'a été ni surpassé, ni même égalé, par personne dans l'art de marier le sol, la mer et le ciel du pays de Caux de manière à ce que la vie intense de chacun de ces trois éléments pittoresques s'additionne, s'amalgame à celle de l'élément voisin pour former un tout exact, contenant le maximum d'animation, d'émotion et de poésie.
  
Il ne donne un titre à ses toiles, à ses panneaux, à ses cartons, que rarement. La plupart de ses études portent, au dos, une date et une heure : 24 décembre, 3 heures du soir, — 14 août 10 heures du matin... André Paul Leroux regarde sa petite patrie comme un enfant inquiet observe les expressions changeantes du visage de sa mère.

L'ensemble de cette œuvre patiente, obstinée, attendrie et variée, forme et formera de plus en plus un monument unique, d'un intérêt puissant, élevé à la magnificence de nos nuages ; de nos sillons et de nos vagues.

L'art d'André Paul-Leroux est sûr de lui-même. Sa peinture est d'une touche franche, dédaigneuse des pignochages quoique soucieuse du détail utile. Il manie la gouache avec une prédilection visible et avec une habileté rares. Je connais de lui des gouaches « grandes comme ça » qui disent, en quelques taches, toute la mélancolie de nos automnes striés d'ondées amollissant l'argile des sillons et flagellant les vagues gémissantes, — toute la douceur et toute la clarté de nos printemps débordants de pommiers fleuris, nos printemps à la fois chauds et frais sous le soleil revenu et la brise maritime accourue de l'horizon où les flots s'allongent comme une bande de vieille soie, — toute la douleur de nos hivers neigeux étoiles de sombres vols d'oiseaux migrateurs, — toute la magnificence de nos étés qui font de nos campagnes un océan d'or soudé à l'océan bleu, — tout le pittoresque de nos valleuses dégringolant entre deux falaises criblées de scabieuses et de joncs marins, — toute la paix de nos chaumières à colombages, faîtées de touffes de rhubarbes et de lames d'iris, — toute la splendeur tourmentée de la Manche, « cette éternelle geigneuse, grosse de rêves et de sanglots, la grande diseuse de légendes » résumant en elle « la plaine et la forêt, plaine mouvante des vagues, forêt bruissante d'algues et de madrépores » comme l'a chantée Jean Lorrain qui — dans une des deux seules critiques des Salons annuels qu'il consentit à signer — signala, il y a quinze ans au moins, l'un des envois du jeune maître, son compatriote.
 
Au moment de la déclaration de guerre, André Paul-Leroux commençait une importante série d'études de nos falaises, — nos falaises blanches, grises, dorées, majestueuses, éclatantes et spectrales tour à tour, qui fuient à droite, qui fuient à gauche, toujours diminuées vers l'infini. Au lieu de contempler ces parois à pic de la grève ou de la côte voisine, il les « prenait » du sommet en regardant le vide — interprétation audacieuse et neuve qui semble bien être le meilleur moyen d'unir et de faire sentir au spectateur la grandeur immobile du calcaire et la grandeur mouvante de l'eau.

Je ne désespère pas d'amener André Paul-Leroux, — malgré la résistance opiniâtre qu'il m'opposa toujours lorsque je voulus le mettre au rang qu'il doit occuper — à réunir dans une exposition d'ensemble ses œuvres de naguère, ses falaises vues du faîte, les panneaux sur lesquels il a reconstitué, telle qu'elle fut à la fin du dix-septième siècle, notre vieille abbatiale fécampoise — dont le silence se peuple si volontiers des vibrations endormies de son illustre passé — et ses travaux de demain. Ce serait pour les amateurs de Paris et d'ailleurs une révélation.
 
Certes, jamais Fécamp n'a manqué d'enfants remarquables dans toutes les branches de l'activité humaine. Au seul point de vue artistique cette antique ville a fourni, à l'époque contemporaine, des peintres, des sculpteurs, des aquafortistes nombreux encore que de valeurs diverses, — tels : Max Claudel céramiste et statuaire habile, dont le Robespierre mourant n'est pas indifférent ; Alexandre-Saturnin Bertin qui eut le tort d'être le trop docile élève de Cabanel et celui, plus grave encore, de quitter son pays ; François Devaux, auteur du Monument du Docteur Fauvel, érigé à Pavilly, et des statues décorant le portail de l'église de Caudebec-lès-Elbeuf ; Paul Vasselin, dont ma petite enfance ne connut que par ouï-dire l'accoutrement dixhuitcentrentesque et la pipe alsacienne, — que je possède encore : Victor-Emile Hamel, élève du précédent, auteur d'une Ferme à Criquebeuf digne d'attention ; Louis-Alexandre Devaux, créateur d'un estimable Buste de Louis Brune, etc. ; — mais aucun ne peut, même de loin, être comparé à André Paul-Leroux.
 
A l'heure présente, une véritable Ecole de Fécamp s'adonne à l'art pictural, non sans bonheur. Citerai-je les intéressants efforts dignes d'être encouragés (et suivis), d'Henri Burel, de l'Abbé Denis, de René Crevel, de Charles Laperdrix, élève de Paul-Colin — Paul-Colin qui appuya si souvent de belles nymphes à l'écorce argentée des saules de chez nous ! — de Marcel Simonin, d'Emile Caniel, de Maurice Talbot ?...

La tentation m'est souvent venue de placer cette curieuse et vivante Ecole de Fécamp sous l'égide d'André Paul-Leroux, — mais je n'ai pu obtenir qu'il reconnaisse qui que ce soit d'autre que les conseils donnés par lui, de loin en loin, à M. Henri Burel. Au Surplus, depuis plus de deux ans, — plus austère en cela que nos « poilus » eux-mêmes qui nous demandent de les entretenir d'autre chose que de guerre — Leroux ne veut pas parler de peinture. Il s'est donné tout entier à l'installation de l'Hôpital du Casino, que dirige avec tant de noblesse et de bonté Lady Guernsey.
  
M. Duglé, le vaillant maire de notre ville (anglo-belge, pour l'heure, et fière de l'être) l'associe à toutes les manifestations de la philanthropie locale. S'il arrive au jeune maître fécampois de risquer une étude, il ne le fait qu'avec une sorte de honte et de remords : il lui semble, je crois, que son Art dérobe des heures au service de la Patrie.

Que cette rapide étude — de laquelle il me gardera peut-être rigueur, mais je fais toujours mon devoir sans me préoccuper des conséquences, — lui rappelle que fixer de la beauté demeure, après l'accomplissement d'exploits militaires et d'actes philanthropiques, une des plus nobles manières de servir durablement la Petite et la Grande Pairies.


Georges NORMANDY.

(1)DE LIESVILLE. Les Artistes Normands au Salon de 1874 (Champion éditeur). Imprimé à Caen, Chez Le Blanc-Hardel, à 156 exemplaires
(2) « …….Vasquez partit pour l'Europe afin d'y étudier sous la direction d'Hanateau. Ce dernier, de qui la grande réputation — imméritée — l'attirait, fit, en peu de temps, un « maniériste » du disciple préféré de Grimm, lui imposa ses recettes, ses tics et une façon étroitement académique et conventionnelle de peindre le paysage... » Quand Vasquez revint du Brésil quelques années plus tard, « ses nouvelles productions péchaient par le manque de perspective linéaire et surtout aérienne. Les ciels avançaient sur les premiers-plans, s'aplatissant horriblement sur les lointains. La poésie autrefois si fréquente dans les tableaux de Vasquez avait disparu. En son lieu et place on ne voyait que la préoccupation de copier la nature mécaniquement, servilement. De là, la monotonie des tableaux peints par Vasquez à cette époque, monotonie si grande qu'en unissant une toile à l'autre, l'ensemble n'aurait formé qu'un seul tableau, — si réguliers étaient l'égalité des tons, la répétition des lignes et jusqu'au choix du sujet. Mêmes teintes, même lumière, mêmes ombres, mêmes touches, mêmes effets partout comme si tous ces tableaux eussent été peints au même endroit, en même temps, sous le même éclairage et avec des couleurs invariables ! Quand un artiste se répète et se maniérise de la sorte, il est perdu. Et Vasquez prit conscience de sa chute ». ANTONIO PARREIRAS, Grimm et ses disciples. (Traduit du texte original publié par le Jornal do Cornmercio.)



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ÉCHOS DE NORMANDIE

ROUEN

Don au Musée d'art normand : Une reproduction de la Flèche de la cathédrale de Rouen. — Il vient d'être offert par le maître ferronnier, Ferdinand Marrou, au Musée d'art normand, une pièce fort intéressante pour l'histoire locale. C'est la reproduction en fer, sur une échelle réduite mais exacte de la Flèche en fonte de la cathédrale de Rouen, due à l'architecte Alavoine. Cette sorte de petit modèle dressé sur les plans de M. Barthélémy, alors architecte diocésain et exécuté par la maison Filleul, avait été fait dans le but de servir à M. Ferdinand Marrou, pour l'étude des quatre clochetons ou pinacles, hauts de 25 mètres, établis et exécutés par lui en cuivre repoussé au marteau, à la base de la Flèche actuelle.

BOURG-ACHARD

Une belle initiative vient d'être prise par le Syndicat agricole du Roumois que préside avec une superbe activité, malgré ses 77 ans, superbement portés, le bienfaisant ami de l'Agriculture qu'est M. Emmanuel Boulet, de Bosc-Roger-en-Roumois, commandeur du Mérite agricole, fondateur du fameux Club Français du Chien de berger, et créateur de l'illustre race de chiens qui porte son nom : le grillon Boulet.  M. Emmanuel Poulet a tenu, au nom du fort utile Syndicat agricole de Roumois à récompenser spécialement les cultivatrices (et les jeunes travailleurs) « QUI ONT ENSEMENCÉ TOUTES LEURS TERRES ET OBTENU DE BONNES RÉCOLTES PENDANT L'ABSENCE DE LEURS MARIS MOBILISÉS. »
 
Les récompenses ont été décernées le mardi de Pâques, à dix heures du matin, dans une réunion publique, tenue à Bourg-Achard dans la grande salle de l'Hôtel de Ville. Malgré un temps affreux, rafales de neige et de grêle, une assistance nombreuse se pressait dans la salle. C'était une véritable réunion de famille, où n'avaient été convoqués que des lauréats et les membres du Syndicat agricole du Roumois, mais par son caractère même, elle avait une portée générale. M. Emmanuel Boulet en a exposé l'objet dans une allocution empreinte de ce culte passionné, patriotique, qu'il porte aux choses de la terre et d'une sorte de sentiment paternel pour tous ceux qui la travaillent et la font produire. Nous tenons à reproduire le passage suivant de son discours simple, sincère et fort émouvant :

« ...Notre réunion d'aujourd'hui est spéciale. Nous la faisons sur la demande de plusieurs de nos collègues el de M. Beaudelin, l'un des plus dévoués membres de notre Comité, à Bourg-Achard situé presque au centre du Roumois, pour faciliter la présence de nos lauréates habitant aux extrémités. Elle a pour but, selon la décision prise, au deuxième anniversaire des hostilités, la remise de diplômes d'honneur et de mérite aux cultivatrices, femmes de nos adhérents mobilisés qui, en l'absence de leurs maris ont su, par leur organisation prévoyante, par leur travail opiniâtre, par leur activité et leur labeur quotidien, mener à bien la culture de leurs fermes, ensemencer toutes leurs terres et obtenir de bonnes récoltes.
 
CES FEMMES, D'UNE VAILLANCE INCOMPARABLE, disait l'an dernier M. le ministre Méline, à l'Académie d'Agriculture, ONT TROUVÉ LE MOYEN DE SUFFIRE A TOUT ET LA FRANCE LEUR DEVRA DE N'AVOIR PAS CONNU LA FAMINE. »
  
Nous avons fait imprimer ces paroles sur les diplômes parce qu'elles émanent d'un homme que tous les cultivateurs français doivent vénérer pour les services qu'il a rendus à l'agriculture pendant près d'un demi-siècle, et que nous avons l'honneur de compter parmi nos collègues du Syndicat depuis sa fondation. Nous allons aussi décerner des diplômes à une jeune fille et à des jeunes gens âgés de 14 à 18 ans qui nous ont été désignés comme ayant, avec courage, énergie et intelligence, beaucoup aidé leur mère dans les travaux et la direction de la ferme. Nous leur adressons nos plus sincères félicitations et avons l'espoir qu'ils resteront tous à la terre, qu'ils suivront l'exemple, de leurs parents et qu'ils feront comme eux de bons agriculteurs. Toutes nos lauréates ont été désignées par les membres du Comité après attestation de MM. les maires et de MM. les présidents des Comités communaux d'action agricole. Nous les avons inscrites par lettres alphabétiques, parce que d'après les dossiers et les renseignements reçus, le classement par ordre de mérite n'était pas possible ; beaucoup d'entre elles méritaient également la première place. Nous sommes heureux et fiers de vous en féliciter, Mesdames. Nous savons aussi que d'autres cultivatrices très méritantes également et qui travaillent durement tous les jours du matin au soir n'ont pu cependant remplir les conditions exigées pour obtenir le diplôme à cause du manque de main-d'œuvre principalement de charretiers-laboureurs. Nous le regrettons profondément, d'abord parce que des terres destinées à être emblavées n'ont pu être labourées et que la récolte du blé s'en trouvera réduite, ensuite parce que les sachant très travailleuses et très dignes sous tous les rapports et les ayant en grande estime nous eussions été heureux de pouvoir leur décerner également des diplômes. Dire les mérites de certaines cultivatrices est chose impossible, on ne peut trouver de qualificatifs suffisants pour leur rendre hommage, on ne les citera, on ne les récompensera, on ne les honorera jamais trop. Si leurs maris, leurs fils, leurs frères font la guerre pénible des tranchées, elles font la guerre économique, moins dangereuse sans doute, mais demandant un effort considérable et un travail de tous les instants. C'est grâce à elles, souvent aidées par leurs ascendants et leurs enfants, que nos armées ont pu être alimentées. C'est grâce à elles que jusqu'à présent nous avons tous pu ne manquer à peu près de rien. »
 
Et nous sommes particulièrement émus de lire au palmarès les noms d'aussi vaillants petits français que ceux dont les noms suivent : Mlle Marthe Fouquet, à Flancourt, âgée de 17 ans. — M. Mary Caillouel, à Epreville-en-Roumois, 19 ans. — M. Marcel Grout, à Rougemontiers, 18 ans. — M. Edouard Lefrançois, à Epreville-en-Roumois, 17 ans. — M. André Leroy, à Rougemontiers, 15 ans. — M. Gilbert Martin, à Berville-en-Roumois, 16 ans. — M. Eugène Mary, à Rougemontiers, 17 ans. — M. André Perrier, à Bosc-Roger-en-Roumois, 14 ans. — M. Maurice Rouas, à Saint-Ouen-de-Thouberville, 18 ans. Si nous donnons une importance exceptionnelle à cette manifestation dans nos colonnes où la place est si mesurée, c'est que nous désirons vivement voir l'initiative de M. Emmanuel Boulet se propager partout pour le plus grand bien de notre vaillant et cher pays normand.

CAEN

— La Chambre de commerce de Caen a adopté à l'unanimité le rapport de M. A. Marie sur l'avant-projet du nouvel élargissement du canal de Caen à la mer, ainsi que la combinaison financière permettant d'exécuter ces travaux dont le montant s'élèvera à dix millions de francs, la moitié de cette dépense devant incomber à la Chambre de Commerce. A celle-ci viendra s'ajouter la somme de 2.850.000 francs, part contributive de la Chambre de Commerce dans l'exécution de la première partie du projet d'ensemble des travaux à exécuter au port de Caen, qui ont été déclarés d'utilité publique par décret du 1er février 1917.
 
Le Congrès des Maires des principales villes de l'ouest. — Le Congrès des maires de l'ouest, qui s'est tenu à Caen, sous la présidence de M. René Perrotte, maire de cette ville, réunissait les représentants des villes suivantes : Nantes, Le Havre, Brest, Rennes, Tours, Le Mans, Lorient, Saint-Nazaire, Saint-Brieuc, Niort, Chartres, Dieppe, Elbeuf, Alençon, Sotteville-lès-Rouen, Saint-Malo, Saint-Lô, Gran-ville, Falaise, Bayeux, Vire, Pont-Lévêque, Quimper, Dreux, Bernay.

HONFLEUR

L'OMBRE DE LA CHAPELLE. — Sous ce titre, notre collaborateur, M. Camy-Renoult, a réuni un choix de ses meilleures poésies. Les éditions de Lettres et Arts, 7, rue d'Amboise, à Paris, viennent de mettre sous presse ce petit livre qui va paraître sous forme de plaquette de luxe, sous couverture illustrée, qui sera vendue un franc cinquante.  Lucie Delarue-Mardrus a écrit pour L'Ombre de la Chapelle..., une préface qui en doublera l'intérêt. « Chez nous », chacun voudra lire ce livre d'un Honfleurais, présenté par une glorieuse Honfleuraise. Afin de faire participer l’Œuvre de secours aux prisonniers honfleurais au bénéfice de son édition, l'auteur a décidé de réserver un nombre limité d'exemplaires, numérotés à la presse et signés (hors commerce) aux souscripteurs qui se feront inscrire dès à présent pour un versement minimum de trois francs sur la liste ouverte et en tête de laquelle MM. R. Poincaré, E. Flandin, etc., figurent déjà.
 
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L'abondance des Matières nous oblige, à notre grand regret, à remettre au prochain numéro la publication du PALMARÈS NORMAND.

____________________
Le Gérant : MIOLLAIS.
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IMPRIMERIE HERPIN, Alençon. Vve A. LAVERDURE, Successeur.

[3e de couv.]
La Naissance de « Normandie... »
... A été saluée avec la plus grande sympathie par la plupart des journaux et des revues de notre glorieuse région. Que, particulièrement, Le Nouvelliste d'Avranches. Le Journal de Rouen, L'Echo de la Vallée de Bray, La Dépêche de Rouen, L'Elbeuvien, L'Avenir du Vexin, L'Impartial de Dieppe, Le Patriote Normand (de Flers-de-l'Orne), Le Journal de Flers, Le Courrier de Domfront, La Race (de Marseille), etc., et dans la capitale, Paris-Journal, La France, etc., reçoivent ici nos remerciements. Nous essaierons de mériter entièrement leurs éloges déjà très chaleureux. LA REDACTION DE NORMANDIE.


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