Vers une Action Normande
………… Belle Philis,
On désespère, alors qu’on espère toujours !
II. — SES RAISONS
D'ÊTRE
Les premières de nos raisons d'agir, nous les trouvons, avons-nous dit,
dans les douloureux enseignements de cette guerre, dans l'extrême
faiblesse qu'elle entraînera pour le corps social tout entier, dans la
Voix de nos Morts, enfin : de nos Morts auxquels nous devons rester
fidèles, sous peine de forfaire à l'Honneur !
La guerre sera donc la « grande accoucheuse ». Mais, me dira-t-on,
pourquoi cette action, venue d'en bas, alors que l'Etat est tout
indiqué pour réaliser, par des réformes profondes, énergiques et
rapides, les mesures de salut public reconnues nécessaires par tous, ou
à peu près ? Hélas ! je voudrais encore croire à la vertu efficace de
l'action gouvernementale ; je voudrais croire qu'elle peut réformer
seule, même légèrement, même lentement ! Je ne le puis. C'est là une
illusion qu'avec tant d'autres, la guerre m'a fait perdre. Le but de ce
second article est, précisément, de démontrer les raisons impérieuses
que nous avons
d'agir nous-mêmes, « Aide-toi, l'Etat t'aidera...
peut-être, s'il a le temps ! »
Le «
novus ordo », reconnu indispensable, à la sinistre lumière des
événements actuels, peut et doit sortir de notre cruelle épreuve. Oui,
mais seulement, si chacun de nous comprend qu'après avoir triomphé de
l'ennemi du dehors, il faudra — plus difficilement — vaincre celui du
dedans. J'ai nommé : nos défauts, nos vices, allons courageusement
jusqu'au bout de notre pensée, nos tares ! Je dis : chacun de nous.
Dans un pays farouchement
individualiste comme le nôtre, dans un pays où l'on nous rebat les
oreilles des Droits, mais jamais des Devoirs, dans un pays où tout bien
et tout mal sort, de quatre ans en quatre ans, de cette véritable boîte
de Pandore qu'est l'humble mais formidable urne de bois blanc, il
importe que tous comprennent et que tous agissent. Et j'entends une
action effective. Pas des mots : des actes ; pas des critiques
continuelles : des actes ; pas des conseils platoniques : des
actes. Une action toute nouvelle dans un sens que nous préciserons au
cours de ces études, s'impose à chacun de nous. D'abord parce que sous
un régime à forme démocratique, est traître à la Nation qui se
désintéresse de la chose publique ; ensuite, parce qu'il est démontré
que nos institutions, comme l'Enfer, pavées sans doute, d'excellents
desseins, sont absolument impuissantes à réagir contre les maux qui
atteignent la société française jusques dans les sources mêmes de la
vie. Cette incapacité à nous sauver saute aux yeux des moins
clairvoyants. La France qui s'enorgueillit d'être à la tête du
mouvement des idées, retarde d'un bon demi-siècle dans
presque tous les champs de l'activité humaine : Travaux
publics, navigation, commerce, industrie, organisation municipale, etc.
Nous sommes peut-être le peuple le plus intelligent, le plus spirituel
de la terre, nous avons sans doute eu l'insigne mérite, tant proclamé
avant cette guerre, « d'aménager la maison
démocratique », ...tout de même nous ne devons pas avoir précisément
adopté le bon moyen ! Eh oui, nous avons aménagé l'intérieur !
cependant nos ports sont dotés d'un outillage antédiluvien ; sur nos
chemins de fer, roulent les wagons les moins confortables de l'ancien
et, cela va sans dire, du nouveau Monde !... Nous avons aménagé la
maison, mais nos villes, nos hôtelleries, nos monuments publics sont
moins confortables, moins bien dotés au point de vue hygiène que ceux
de l'étranger. Heureux encore quand ils ne sont pas plus sales que ceux
d'Espagne. Notre marine marchande déclinait à vue d'œil : la timidité,
la routine et les procédés enfantins de la grosse partie de notre
commerce, faisaient la joie de nos concurrents de l'Est et même de
l'Ouest. Si bien qu'ayant mal clos notre propriété pour nous consacrer
exclusivement à l'intérieur, nous n'avons même pas la consolation de
nous dire que la maison, du moins, était mieux meublée que celle du
voisin, d'un voisin qui lui, ne cessait-on de nous répéter, ne
travaillait que pour la guerre.
Cette marche de tardigrades est si incontestable que des hommes, aussi
opposés que Jules Guesde et Charles Maurras se sont rencontrés pour en
faire la constatation. Le second parle sans cesse du «
chariot
mérovingien de l'Etat », et le premier a osé dire à la tribune du
Parlement que l'autocrate Guillaume II avait plus fait pour la classe
ouvrière que la Troisième République. Oui, pour la classe ouvrière ! Et
cependant, s'il est un domaine dans lequel nous nous croyions à la tête
du mouvement, c'est bien celui-là. Vous vous rappelez ce qu'on nous
disait : « L'Allemagne est atteinte de la folie des armements, et pour
quelle guerre, grand Dieu ! comme si l'Europe civilisée du vingtième
siècle devait permettre une telle tuerie. » Et nos crédules
compatriotes d'ajouter : « Nous agissons plus sagement en réalisant les
Réformes sociales ; que voulez-vous, on ne peut tout avoir. En effet,
nous avons eu la guerre et nous n'avons pas — ou si peu — les Réformes
sociales.
Sachons donc être modestes ; reconnaissons que nous avons beaucoup à
apprendre et plus encore à travailler. Cette impuissance de l'Etat
n'est-elle pas apparue avec évidence, au cours même de cette guerre ?
(1) Voyez le grave problème de l'alcoolisme : tout le monde reconnaît
que la Race est menacée ; on reconnaît aussi unanimement que jamais
plus une occasion aussi favorable ne se représentera pour extirper le
Mal ; et rien ne peut être fait. Là où le Tsar débile que l'on sait,
régla semblable question d'un trait de plume, la démocratie française
fait faillite : une misérable poignée d'intérêts privés — si peu
intéressants pourtant — fait la nique à près de quarante millions de
citoyens qui se disent « conscients » et les tient hautement en échec.
L'esprit démagogique a tout faussé : pour servir les rancunes,
les vils appétits de la politique, il sème la jalousie, souffle l'envie
et ne prêche que les Droits qui engendrent aussi l'Egoïsme, ce ver
rongeur des Démocraties ; puis il nie les Devoirs générateurs de
l'altruisme, de l'altruisme aussi nécessaire entre compatriotes que le
ciment entre les pierres d'un édifice. Exagérons-nous ? A ceux qui
seraient tentés de le soutenir, je dédie ces lignes extraites d'une
vieille revue républicaine, amie de la France : la
Bibliothèque
Universelle, qui se publie à Lausanne : « Ceux qui ont une sincère
affection pour la France — et nous sommes de ceux-là — ne peuvent que
se montrer trop justement attristés par le spectacle
qu'offre au monde ce grand et généreux pays. Et cette tristesse se
trouve accrue du fait que la masse semble bien responsable du désordre
qui est à la base de cet état de choses. Sous un
gouvernement monarchique, lorsque les affaires publiques vont mal, le
peuple est victime ;
mais en démocratie, il est complice. »
C'est là le sens, sinon la lettre d'un texte paru vers 1912 et que je
cite de mémoire. Qu'on le médite et qu'on me réponde si je n'ai pas
raison de prétendre qu'il faudra vaincre nos défauts, et remporter —
après l'autre — la dure victoire sur nous-mêmes. La suite de ces études
dira comment. Pour l'instant, je ne vise qu'à prouver la nécessité de
notre action à tous. Y suis-je un peu parvenu ? Est-on convaincu que
l'Etat-Providence est le plus dangereux des Mythes ? Faut-il encore
démontrer que nous sommes le pays de la terre où se réalise le plus
fantastique gaspillage de richesses, de forces, d'intelligences,
d'énergie ? Venez au front, et demandez au plus borné de nos poilus :
sa conviction, là-dessus, est faite depuis longtemps. Neuf fois sur
dix, les bonnes volontés gouvernementales se trouvent entravées par un
système qui réalise ce paradoxe d'annihiler l'effort de tous par
l'activité malfaisante de quelques-uns. Les Partis — périsse plutôt la
République que le Parti ! — se font une guerre odieuse, sournoise, au
couteau, qui remet quotidiennement en question, et pour des riens, la
vie de gouvernements péniblement enfantés. Le ministre n'a pas trop de
toute son activité et de toute son intelligence pour éviter les pièges
sans cesse tendus sous ses pas : comment travaillerait-il ?
La machine gouvernementale ressemble tout à fait à un attelage dans
lequel les chevaux tireraient dans des directions diamétralement
opposées ; le résultat est fatal : Forces qui se contrarient =
stérilité. Ajoutez à cela que les Ministres tombent tous les dix mois
et je vous demande s'il n'est pas miraculeux, dans ces conditions qu'un
projet puisse, parfois, aboutir. En un demi-siècle la France a dû
changer quarante ou cinquante fois de direction ! Quelle est la maison
de commerce — et la France est sans doute un peu plus — qui résisterait
à un pareil régime ? Eh bien ! si, nous, les « poilus », si nous les «
citoyens qui ne voulons pas que ça recommence » ne nous en mêlons pas,
si nous ne réagissons pas contre le chloroforme de l'odieuse politique,
j'ose dire que la France retombera dans l'ornière, dans la « mare
stagnante », et cette fois, ce pourrait bien être pour y mourir ! Il
faut que nous intervenions par l'association, par le groupement, pour
forger au feu de la grande guerre, l'instrument qui nous sauvera.
Nous empêcherons la France de retourner à ses querelles byzantines :
puisque nos élus ne savent ou ne peuvent faire notre sérieuse
éducation, nous la ferons nous-même, avec la leur par-dessus le marché.
Aux grandiloquents, aux sonores programmes d'idées de l'avant-guerre —
viande creuse des polémiques électorales, nous substituerons un
programme de grands travaux. En face de l'Idéologie, nous dresserons
les Réalités ; en face des Nuées, la Terre ferme ; en face de la
Chimère, le Possible et rien que le Possible !
Au lieu de diviser, nous unirons puisque c'est l'union des tranchées
qui aura sauvé le Pays. A ceux qui veulent jalousement, sur les ruines
de la société dite capitaliste, se partager les richesses acquises,
nous dirons : Servez-vous-en plutôt pour en créer de nouvelles : voici
le moyen.
En marge de l'action gouvernementale (même si d'aucuns la croient
possible), il faut donc un effort direct des citoyens, une action
parallèle ; instituons-nous en quelque sorte les tuteurs de nos élus,
empêchons-les de choir et de s'enliser dans la boue des basses plaines
de la politique électorale. Ainsi que l'a dit excellemment un de nos
derniers correspondants, ne cessons point de leur rappeler les règles
de la Politique supérieure. Cette action, ces efforts, nous les
exercerons dans la ligne de notre profession ; ainsi nous ne
retournerons pas aux querelles vides et irritantes, ainsi la machine
aura quelque chose à moudre et ne risquera point de devenir « folle »
parce que sans aliment solide.
Quand nous aurons signifié, par exemple, que nous voulons le canal de N
à Y, puis un ingénieur rompu aux grandes entreprises à la tête des
Travaux publics, mais qu'il nous est indifférent de savoir ce qui
distingue un Radical d'un Socialiste, voire même d'un R. S. peut-être
comprendra-t-on qu'il y a quelque chose de changé.
Enfin, il nous faudra agir personnellement parce qu'avant tout une
action morale s'impose. De la nécessité d'un effort résolu en ce sens,
nous sommes tellement pénétrés que nous sommes tentés de dire que la
crise française est par-dessus tout, une crise morale et que l'action
doit être : morale d'abord. Il n'est pas besoin de réfléchir longuement
pour comprendre qu'une haute moralité chez chaque individu, surtout
sous un régime comme le nôtre, est un facteur indispensable de bonne
santé sociale et de prospérité. Jusqu'ici, on s'était appliqué pour
flatter l'électeur, pour « piper » sa voix, à faire fi de tous les
devoirs. Nous fédérerons les devoirs à côté des droits : nous
rappellerons à ceux qui dirigent, qui commandent, qui ont des
privilèges, que leurs devoirs
sont les plus nombreux, les plus lourds
et que souvent ils l'ont oublié, eux aussi, pour ne songer qu'à leurs
droits.
Dans nos groupes, nous relèverons les pierres du Foyer familial. Il
nous sera facile de prouver que c'est dans la Famille restaurée que ces
devoirs peuvent et doivent être inculqués et que le meilleur citoyen
sera celui qui aura reçu la meilleure éducation familiale. Nous le
montrerons, puis nous syndiquerons les Familles, ces vraies cellules
sociales.
Que ce rapprochement de mots ne fasse pas sourire ! Si la Famille
française n'est pas reconstituée, l'Individu, cette Idole
d'avant-guerre réalisera peut-être son règne intégral, il « vivra enfin
sa vie », mais ce sera sur un désert, c'est-à-dire dans une France où
l'Etranger, cette fois, n'aura plus qu'à entrer, sans lutter. Je vois
très bien, en effet, le dernier individu de ce siècle aux formules
trompeuses, monstre issu d'un Individualisme dévié et exacerbé, enfin
triomphant, mais sur un monceau de Ruines..., celles de la Société
qu'il aura conquise. Je le vois, sous les traits du célèbre « Penseur »
de Rodin, dans cette attitude de Méditation laborieuse que l'on sait,
s'efforçant de comprendre comment un « aussi bel idéal a pu amener un
tel désastre... » Epargnons-nous cette catastrophe ; épargnons-lui, à
ce malheureux, un tel effort intellectuel. C'est justement le but de
cette action vigoureuse et urgente à laquelle je convie tous les
Normands d'abord, tous les Français ensuite.
G. VINCENT-DESBOIS,
(1) Nous tenons, pour être justes, à laisser en dehors de ces études,
l'effort purement guerrier de la nation, accompli sous la pression de
la plus impérieuse nécessité : l'invasion allemande.
Organisez-vous, car à l'heure de la paix, il ne faudra pas être pris au
dépourvu. C’est d'ailleurs votre intérêt et celui du pays.
*
* *
RICHESSES MINIÈRES
de Normandie
MINES DE FER
Dans mes précédents articles sur les richesses minières de notre
province, j'ai indiqué quelles étaient les mines de houille dont
l'exploitation avait été commencée, puis abandonnée, et les mesures
prises récemment pour préparer une nouvelle exploitation de ces
houillères, exploitation qui permettrait, dans de meilleures
conditions, le traitement sur place du minerai de fer provenant du
bassin minier normand.
Je vais maintenant essayer de faire l'historique des
mines de fer, au
point de vue économique.
La présence du fer, en Normandie, était connue depuis longtemps. On
soupçonne même que ces richesses minières étaient exploitées sous la
domination romaine ; elles l'étaient certainement au moyen âge, et des
hauts-fourneaux ont été alimentés par les minières locales jusque vers
le milieu du dix-neuvième siècle. - Depuis cette époque, ils avaient
cessé tout travail, les puits bouchés, et de ces anciennes
exploitations, il ne resta plus guère de traces.
Ce n'est que vers 1873, que commencèrent les travaux de recherches
méthodiques qui firent ressortir la véritable importance du gisement
que certains auteurs estiment à 220 millions de tonnes ; d'autres à 700
millions, pour les zones connues seulement.
Composé d'hématite ou de carbonate lithoïde séparés ou mêlés,
l'hématite ne persistant généralement pas en profondeur où tout devient
carbonate, le minerai du gisement normand est plus riche en fer que le
minerai lorrain. Il tient de 45 à 55 % de fer dans l'hématite et 50 %
environ dans le carbonate grillé ; il renferme peu de phosphore (0,6 à
0,7 %).
Ce minerai convient pour les fontes de moulage ou Martin, et, mélangé à
d'autres minerais plus phosphoreux, pour les fontes Thomas.
Quelle est aujourd'hui la situation de ce riche bassin minier ; comment
a-t-il été exploité dans le passé et quelles mesures sont prises pour
assurer son développement dans l'avenir ?
C'est ce que nous examinerons successivement dans nos prochains numéros
; aujourd'hui, je crois devoir donner, pour l'édification de mes
lecteurs, la liste des concessions accordées antérieurement à la
mobilisation.
Le bassin minier normand s'étend sur trois départements de notre
province : le Calvados, la Manche et l'Orne ; 21 concessions avaient
été accordées dont le plus grand nombre était aux mains des Allemands.
En voici la liste par département :
CALVADOS
A lui seul ce département comptait 14 concessions dont 6 seulement
étaient exploitées en 1914, ce sont :
May-sur-Orne, concession de 965 hectares accordée en 1895. Elle a
produit en 1911, 54.000 tonnes ; en 1912, 81.000 ; en 1913, 100.200
tonnes, et 75.000 du 1er janvier au 31 juillet 1914. La guerre arrêta
l'exploitation, et ce n'est que dans les premiers mois de 1916, qu'on
put reprendre l'extraction avec un nombre très réduit d'ouvriers.
Jurques, concession de 365 hectares, accordée en 1896 ; la situation
de cette mine, appartenant à la
Société française des Mines de fer
n'était pas très brillante. La production qui était de 36.500 tonnes en
1911, est passée à 40.700 tonnes en 1913 ; les sept premiers mois de
1914, donnèrent 22.000 tonnes. L'extraction continua jusqu'à la fin de
1914 avec un très petit nombre d'ouvriers, mais la Société qui ne
trouvait pas d'acheteurs pour ses minerais, dut suspendre les travaux
d'exploitation. Depuis, elle a seulement procédé à des travaux
d'entretien.
Saint-Rémy, concession de 750 hectares, accordée en 1876, qui
produisait le plus beau minerai du bassin normand. En 1911, elle donna
105.500 tonnes, et seulement 77.600 en 1913 ; 65.800 tonnes pendant les
sept premiers mois de l'année 1914. Ce n'est qu'en juillet 1915 que le
travail fut repris normalement ; la production pour cette année fut de
30.800 tonnes. En 1916, l'extraction progressa normalement. La mine de
Saint-Rémy alimentait les hauts fourneaux de Decazeville et exportait
une petite partie de sa production en Angleterre.
Les trois autres concessions, en activité, appartenaient à des maisons
allemandes :
Barbery, concession de 325 hectares accordée en 1900, appartenant à
la
Gutchoffnung, a reçu pendant les années 1913 et 1914, un outillage
perfectionné et des installations pour pouvoir produire 300.000 tonnes.
La guerre a amené la fermeture de cette mine.
Soumont, concession de 773 hectares, accordée en 1902, appartient à
la
Société Thyssen, qui y avait commencé une installation de tout
premier ordre ; un chemin de fer de 25 kilomètres de longueur devait
raccorder les hauts-fourneaux de Caen à la mine qui avait donné en
1911, 36.000 tonnes ; en 1912, 70.000 ; en 1913, 71.500 et du 1er
janvier au 31 juillet 1914, 41.000 tonnes. La guerre a également arrêté
toute extraction.
Saint-André-sur-Orne, concession de 295 hectares, accordée en 1893,
appartenant à
Phœnix,
Amnetz et
Hasper ; elle donnait une
extraction mensuelle moyenne de 10.000 tonnes.
Les huit autres concessions, dont l'exploitation n'était pas encore
commencée en 1914, sont :
Bully, concession de 402
hectares, accordée en 1896.
Maltot, concession de 430 hectares,
accordée en 1903.
Urville, concession de 402 hectares,
accordée en 1896.
Gouvix, concession de 329 hectares,
accordée en 1896.
Estrées-la-Campagne, concession de 780 hectares, accordée en 1904.
Perrières, concession de 1.460
hectares, accordée en 1901.
Monpinçon, concession de 605
hectares, accordée en 1902.
Oudefontaine, concession de 559
hectares, accordée en 1902.
MANCHE
Bourberouge, concession de 1.322 hectares, accordée en 1902, et reliée
au chemin de fer de Domfront à Avranches. Elle a donné en 1913, 34.500
tonnes et 23.000 pendant les sept premiers mois de 1914 ; mais à la
mobilisation tout travail fut suspendu et l'interruption de
l'épuisement a déterminé l'inondation des galeries ; le cube d'eau est
considérable, les moyens d'épuisement sont restreints, aussi
l'exploitation ne pourrait-elle être reprise qu'après une assez longue
période.
Diélette, exploitation sous-marine appartenant au célèbre maître de
forges allemand
Thyssen, qui avait dépensé 15 millions pour outiller
cette mine de laquelle il espérait extraire annuellement 300.000
tonnes. Comme à Bourberouge, les galeries ont été noyées, et le
transporteur qui transportait le minerai à 800 mètres en mer a été
détruit par les tempêtes.
Mortain, concession de 1.250 hectares accordée en 1902 ; le siège fut
terminé au début de 1914. La Société française y avait fait
d'importants travaux dont, notamment, quatre fours à calcination, et
établi un raccordement avec le chemin de fer jusqu'à la gare de
Neufbourg. Elle avait donné en 1913, 6.835 tonnes et environ 3.000
tonnes par mois au début de 1914. Les galeries furent également
inondées à la suite de l'interruption de l'épuisement, mais la
Société
française des mines de fer a entretenu les installations et on espère
pouvoir remettre cette mine en état dans le délai d'un mois.
ORNE
Halouze, concession de 1.210 hectares, accordée en 1884, avait fourni
en 1912, 130.800 tonnes de minerai ; en 1913, 152.000 et 112.000 en
1914. A la mobilisation, le travail fut complètement arrêté et par
suite les travaux souterrains furent noyés. Repris en 1915, les travaux
d'épuisement permirent de recommencer l'exploitation quelques mois plus
tard, en partie seulement. L'extraction donna 9.000 tonnes pendant les
deux derniers mois de 1915 l'année 1916 vit une recrudescence
d'activité, et la
Société des Aciéries de France à qui appartient
cette mine, entreprit l'augmentation du matériel.
Larchamps, concession de 470 hectares, accordée en 1903, a donné
135.000 tonnes en 1913 ; l'exploitation a cessé depuis le début des
hostilités.
Mont-en-Gérôme, concession de 1.490 hectares, accordée en 1903, sur
lesquels il n'y a eu encore que des travaux de recherches.
La Ferrière-aux-Etangs, concession de 1.605 hectares, accordée en
1901 à la
Société de Denain-Anzin, a produit en 1913, 150.800 tonnes
et du 1er janvier au 31 juillet 1914, 88.200 tonnes. L'extraction fut
interrompue à la mobilisation et faute de personnel, le service
d'épuisement ne put fonctionner, mais une partie seulement des travaux
souterrains fut inondée. Reprise en mars 1915, avec quelques ouvriers
seulement, la production a été insignifiante, car les fourneaux de la
Société de Denain-Anzin étant toujours en pays envahi, elle s'est
bornée à des travaux d'entretien.
(A suivre).
A. MACHÉ.
*
* *
La Vie Rurale Et la Production Agricole
Au Pays Normand
(Huitième article de la série.)
VIII
L'AVICULTURE EN NORMANDIE ; SES DÉBOUCHÉS, SON AVENIR. — APERÇU SUR
L'EXPLOITATION DES ANIMAUX DE BASSE-COUR DANS LES
DÉPARTEMENTS NORMANDS. — LES RACES GALLINES DE LA NORMANDIE :
CRÈVECŒUR, CAUMONT, PAVILLY, GOURNAY. — LE COMMERCE ET LES MARCHÉS DE
VOLAILLES ET D'ŒUFS. — LE CANARD DE ROUEN. — LES ASSOCIATIONS
AVICOLES RÉGIONALES : SOCIÉTÉ D'AVICULTURE DE BASSE-NORMANDIE ; CLUB
AVICOLE ET CERCLE DES FERMIÈRES DE LA SEINE-INFÉRIEURE ; PAVILLY-CLUB ;
SOCIÉTÉ DES AVICULTEURS NORMANDS. — HEUREUSE INFLUENCE DE CES
ASSOCIATIONS SUR LA PRODUCTION AVICOLE.
L'aviculture constitue une des sources de production les plus
intéressantes de l'agriculture normande. Parmi les petits élevages,
celui des animaux de basse-cour est certainement le plus favorisé, par
les conditions de milieu et l'importance des débouchés commerciaux.
C'est, en effet, la Normandie qui, avec la Bretagne, fournit, en temps
normal, un tiers de la consommation annuelle en œufs français de la
Capitale. De tout temps, l'exportation des volailles et des œufs de
Normandie sur l'Angleterre a été une importante source de revenus pour
nos producteurs, nos cultivateurs, nos fermières. Nos œufs et nos
poulets sont particulièrement estimés sur le marché de Paris, où ils
atteignent généralement les cours les plus élevés. Nous pourrions
étendre, grandement la production avicole, tant pour la consommation
générale que pour les besoins, pendant l'été, des nombreuses plages
normandes.
Mais on doit à la vérité de dire que, trop souvent encore, nos braves
ruraux et même nos fermières qui ont cependant dans leurs attributions
ce fructueux domaine qu'est la basse-cour, négligent de l'exploiter
avec toute l'attention et l'intérêt désirables. C'est se priver ainsi
de profits qui pourraient être facilement recueillis et qui, certes,
figureraient en ligne de compte, pour une somme respectable, dans
l'accroissement des revenus de l'exploitation agricole. Du reste, il
faut considérer que le développement de l'élevage des animaux de
basse-cour, la nécessité d'intensifier cet élevage, de le pratiquer
d'une façon rationnelle, apparaissent, plus que jamais, comme des
progrès nécessaires, au point de vue économique, surtout dans les
circonstances actuelles, étant données la cherté des denrées
alimentaires et les conditions difficiles que rencontre la production
de la viande de boucherie, en présence des énormes contributions
prélevées par la guerre sur le cheptel national. Nous voudrions exposer
ici les éléments qui s'offrent à l'aviculture dans nos départements
normands, et metttre le lecteur à même de se rendre compte de l'état de
cette branche de production dans notre pays. Voyons d'abord à établir,
en quelque sorte, le bilan de cet élevage, du moins tel qu'il était
avant la guerre.
°°°
Dans le département du Calvados, on dispose des éléments les plus
favorables à une exploitation raisonnée, intensive et largement
rémunératrice. Malheureusement, comme cela peut être observé dans
l'arrondissement de Caen, l'aviculture est souvent mal comprise et,
dans ce sens, il y a beaucoup à faire, surtout à améliorer. La
production des poulets de grain est faible, souvent pratiquée sans
méthode et on s'explique, alors, qu'elle soit encore loin de donner les
profits qu'on pourrait obtenir. On laisse trop l'élevage à l'abandon,
au hasard.
La bonne race de poule de Crèvecœur qui sous les influences de milieu,
et peut-être aussi faute de soins spéciaux, a perdu une partie de ses
caractères originels — ainsi qu'on peut le constater dans bien des
fermes — a cependant conservé une bonne partie, de ses précieuses
qualités, notamment sa rusticité. La race de Crèvecœur est une de nos
plus vieilles races françaises à plumage noir. Les autres races
normandes, celle de Caumont et celle de Pavilly, ont aussi le plumage
noir, mais elles diffèrent sensiblement de la race de Crèvecœur. Nous
avons également dans la race de Gournay, au plumage caillouté noir et
blanc, une volaille très intéressante. La volaille de Crèvecœur porte
le nom d'une charmante petite localité du Pays d'Auge, où se tient un
marché qui, jadis, était assez important, desservi par la gare de
Mesnil-Mauger, bien connue pour ses expéditions de bestiaux.
La vraie poule de Crèvecœur, toute noire, à huppe, à crête formée
simplement de deux cornes, existe surtout dans les fermes herbagères
des arrondissements de Lisieux et Pont-l’Evêque, et dans les cantons
limitrophes de la plaine de Caen, c'est-à-dire dans la partie Est du
Calvados, ainsi que dans les régions voisines des autres départements.
Il suffit de visiter l'un des marchés hebdomadaires de Lisieux, le
samedi, ou de Saint-Pierre-sur-Dives, le lundi, pour être fixé sur les
caractères de la poule de Crèvecœur, telle qu'elle est exploitée dans
les fermes de son pays d'origine. Cette poule est bonne pondeuse : elle
donne de 125 à 150 œufs par an.
Les débouchés pour l'aviculture locale sont nombreux. La ville de Caen,
en particulier, consomme des milliers de poulets, mais ces poulets
viennent de la Sarthe. Nos fermières laissent échapper ainsi des
profits qu'elles pourraient aisément se réserver, d'autant plus que
d'autres débouchés très importants leur sont offerts sur le littoral :
à Trouville, à Cabourg, etc.; aux Halles centrales de Paris et en
Angleterre : le port de New-Haven n'est qu'à douze heures de Caen. Il
conviendrait, en outre, de développer l'exportation des dindes grasses
chez nos amis anglais, notamment à l'époque de la Noël, et d'étendre le
commerce des lapins, en particulier des lapins angora ou de peigne,
qui, avant la guerre, avait acquis une certaine activité.
Dans l'arrondissement de Pont-l’Evêque, le système de culture permet
l'obtention de poulets et d'œufs de toute première qualité, donnant
lieu, ordinairement, à un commerce, considérable.
Dans l'arrondissement de Lisieux, ce sont les poules qui constituent la
population dominante des basses-cours ; on élève aussi des oies et des
dindons que l'on engraisse en même temps que ceux achetés dans les
régions voisines, principalement dans l'Eure. Les principaux marchés de
volailles sont : Lisieux, Orbec, Saint-Pierre-sur-Dives, Crèvecœur et
Cormeilles. Les négociants du Havre, de Honfleur, de Trouville,
viennent faire leurs achats sur ces marchés et expédient à Paris et
surtout en Angleterre. Bon an mal an, le marché de Lisieux reçoit plus
de 120.000 douzaines d'œufs ; celui de Livarot, près de 100.000
douzaines. Les poules qu'on rencontre dans les fermes de
l'arrondissement de Falaise paraissent être un dérivé plus ou moins pur
de la race de Crèvecœur. Sur les plateaux secs et calcaires de cet
arrondissement, les croisements de la race locale avec la race de
Houdan réussiraient à merveille.
La race de lapin dite
Lapin normand est très avantageuse, aussi bien
par la qualité de sa chair que par celle de sa peau.
La production des œufs est assez considérable. Généralement, les œufs
sont achetés par les négociants acheteurs de beurres en mottes.
C'est peut-être dans l'arrondissement de Vire qu'il y aurait le plus à
faire pour l'amélioration de l'aviculture, car on constate le manque de
sélection et l'insuffisance de soins aux poulaillers. Les œufs sont
produits en assez grande quantité, et cela tient à ce que les poules
vont en liberté dans les herbages. En temps normal, le marché de Vire
reçoit, annuellement, environ 165.000 douzaines d'œufs et 20.000
couples de volailles.
°°°
Le département de l'Eure se signale particulièrement pour la valeur de
sa production avicole et pour le commerce auquel celle-ci donne lieu.
Chaque année, on expédie, de ce département, un minimum de 5.000
cageots de 20 volailles. Montreuil-l'Argillé, dans l'arrondissement de
Bernay, est, en décembre, le point d'expédition d'environ 10.000 dindes
à destination de l'Angleterre. Des courtiers viennent acheter sur les
marchés de Verneuil, Damville, Conches, et expédient sur Paris. Le
marché de Routot approvisionne en partie Rouen et Elbeuf. Pendant
l'été, les stations balnéaires voisines et l'Angleterre, pendant
l'hiver, sont approvisionnées par les marchés de Pont-Audemer,
Cormeilles et Beuzeville.
L'exportation annuelle des œufs du département de l'Eure est évaluée à
1.500.000 douzaines. En mai, le marché de Cormeilles est approvisionné
jusqu'à 16.000 douzaines, chaque samedi. Verneuil et Conches expédient
leurs œufs à Paris.
Dans le département de la Manche, la transformation des terres de
labour en prairies naturelles et artificielles, en sainfoin, notamment,
a été une cause de la diminution des animaux de basse-cour. Néanmoins,
les marchés des villes sont, en temps ordinaire, assez abondamment
pourvus de volailles. La poule locale, à plumage noir, paraît être une
Crèvecœur dégénérée. C'est dire que l'on doit s'appliquer à l'améliorer
par une judicieuse sélection. Dans les fermes du département de l'Orne,
on élève surtout des poules de race commune, parfois des poules
appartenant aux excellentes races de Houdan, de La Flèche,
Cochinchinoise et autres races ou variétés exotiques. L'engraissement
de la volaille laisse trop à désirer. La production des oies et dindons
tient une certaine place dans les exploitations agricoles et, pour ces
volailles, le marché de Londres est le débouché le plus important.
C'est surtout dans la quinzaine qui précède Noël que se font les envois
de dindons et d'oies engraissés. Les marchés locaux reçoivent de
notables quantités d'œufs.
Dans la Seine-Inférieure, en particulier dans les petites vallées qui
aboutissent à la Seine, dans la partie occidentale de l'arrondissement
de Rouen, il est une spécialité avicole d'un excellent rapport. C'est
l'élevage des canards. La légitime renommée du canard de Rouen et
surtout de la
race de Duclair (chef-lieu de canton de
l'arrondissement de Rouen), s'étend par toute la France, et même à
l'étranger.
Les canards se vendent, principalement, sur les marchés de Duclair,
Gournay et Dieppe. Le commerce des volailles, en général, et des œufs,
se fait sur les marchés suivants : Bosc-le-Hard, Doudeville, Duclair,
Auffay, Gournay, Buchy, Fécamp, Dieppe, Pavilly, Londinières, Elbeuf,
Montivilliers, Neufchâtel, Envermeu, Aumale, Bacqueville, Foucarmont,
Blangy et Yvetot. Certains marchés reçoivent annuellement plus de
30.000 têtes de volailles. Pavilly Doudeville, 1 million à 1 million et
demi d'œufs.
°°°
Les diverses races gallines normandes présentent, dans leurs aptitudes,
de grandes analogies : elles sont rustiques, précoces, pondeuses hors
ligne, donnant de gros œufs blancs de bonne qualité, une viande dont la
finesse, le goût exquis sont de même fort appréciés. Au point de vue de
l'aptitude à couver, elles laisseraient à désirer, mais en réservant,
pour la couvaison, quelques poules de races bonnes couveuses ou des
dindes, il est facile d'obvier à cette insuffisance de nos poules
normandes. En tout cas, lorsqu'une région à l'heureux privilège de
posséder des races locales aussi favorisées que celles de Normandie, ce
doit être un encouragement pour les éleveurs, les cultivateurs, à ne
point négliger une sélection — qui doit être suivie, constante — pour
conserver ces races à l'état de pureté et améliorer encore leurs
qualités. A cet égard, il y a lieu de signaler l'œuvre éminemment utile
à laquelle se sont consacrées les Sociétés d'aviculture de la Normandie.
La
Société d'aviculture de Basse-Normandie, dont le siège est à Caen,
et qui est présidée par notre ami, M. Hédiard, le distingué et dévoué
Directeur des Services agricoles du Calvados, s'est donné comme mission
particulière et très intéressante pour la région, la reconstitution et
l'amélioration des races locales de poules de Crèvecœur et de Caumont
(
la Gélinotte de Caumont) dont elle a déterminé et publié les
Standards (caractères de race).
Dans la Seine-Inférieure, le
Pavilly-Club, puis le
Club avicole de
la Seine-Inférieure, créé par la Société centrale d'Agriculture de ce
département, et dont le siège est à Rouen, ont contribué déjà, pour une
large part, à la rénovation de l'aviculture dans cette partie de la
Normandie. Le Club avicole, dont le président est M. Georges Gautier,
de Forges-les-Eaux, s'est adjoint le
Cercle des Fermières de la
Seine-Inférieure — excellente initiative car les efforts de nos
fermières sont nécessaires pour aider à la progression d'une branche de
l'agriculture qui est essentiellement de leur domaine — le Club
avicole, disons-nous, s'intéresse plus particulièrement à la race de
Gournay, dont il a entrepris la sélection sur les mêmes bases que
celles adoptées par la Société d'aviculture de Basse-Normandie pour les
races de Crèvecœur et de Caumont.
Enfin, dans l'Eure, un groupement avicole, fondé en 1909 : la
Société
des Aviculteurs normands, à Evreux, apporte également son concours à
l'amélioration de la production avicole régionale.
L'espace nous manque, aujourd'hui, pour mentionner, de particulière
façon, l'initiative fort louable, prise, en 1916, par la Société
d'aviculture de Basse-Normandie, en vue de propager l'élevage du lapin
et de parer ainsi, autant que possible, à la cherté de la viande de
boucherie actuellement. Dans un prochain numéro, nous donnerons à cette
initiative, si utile, la propagande qu'elle mérite. Par l'exposé qui
précède, on peut, croyons-nous, se faire une juste idée de l'importance
des richesses que doit procurer l'exploitation rationnelle, intensive,
de la basse-cour, au Pays normand.
Henri BLIN,
Lauréat de l'Académie d'Agriculture de France.
*
* *
GASPILLAGES !
Le Blé et les Poires à Poiré
Nos renseignements particuliers nous permettent d'affirmer (à notre
grand regret, mais à quoi bon ruser avec la vérité ?) qu'il y aura,
dans la plus grande partie du département de l'Eure, un énorme déficit
sur la récolte de blé en 1917. Le temps a été très pluvieux, ce qui est
contraire aux bons labours et aux semailles dans cette bonne terre
naturellement humide ; et puis, surtout, malgré toutes les
réclamations,
ON A, CETTE FOIS ENCORE, MANQUÉ DE LABOUREURS !
Le fait est grave et sans remède, car on ne peut guère, dans ces terres
lourdes, avoir recours au blé de Manitoba qui sauve la situation dans
quelques départements, en Haute-Marne particulièrement.
D'autre part, l'éminent président du Syndicat agricole du Roumois, M.
Emmanuel Boulet, dont nos lecteurs connaissent les multiples et
salutaires initiatives, avait suggéré, par la voie, de la presse
rouennaise et elbeuvienne, que des mesures militaires fussent prises en
octobre en vue d'assurer le lochage et l'utilisation des poires à
poiré, dont la récolte eût été exceptionnelle cette année, pour la
fabrication de l'alcool réclamé par nos fabriques d'explosifs.
L'autorité militaire n'a rien fait à coup sûr. Et si l'autorité civile
a tenté quelque chose — ce que nous ignorons — le résultat a été nul.
La récolte énorme des poires à poiré a été perdue tout entière dans le
Roumois, et presque partout ailleurs, hélas !
Cependant des hommes de quarante-huit et de quarante-neuf ans,
mobilisés depuis le début des hostilités, sont retenus dans des dépôts,
où ils n'ont rien à faire, — malgré les ordres formels du ministre —
pour permettre à d'inconscientes « culottes de peau » de conserver — en
violation des règlements — leurs galons et leur solde qu'elles
justifient par la présence de ces « pépères » qui, rendus à la vie
civile, nous seraient si utiles.
L'esprit reste confondu devant de telles inerties. Locher les poires
était une besogne aisée et rapide... Et nous continuons à manquer
d'alcool.
Quand l'heure des sanctions sonnera-t-elle enfin ?
La nation est écœurée par les scandales, l'incapacité et le
jemenfichisme auxquels nul châtiment sérieux ne met fin.
N.
*
* *
FIGURES NORMANDES
Georges N o r m a n d y
Ceux de « cheu nous » — et ils sont nombreux — qui se groupent à
l’ombre de leur clocher pour en chanter la douce sonnerie, et tous les
espoirs qu'elle fait naître, et toutes les joies qu'elle suscite,
auront appris, non seulement avec plaisir (ce qui ne serait que banal),
mais aussi avec satisfaction
, que la Société des Gens de Lettres
avait attribué à Georges Normandy (en même temps qu'à Mme Bouger-Karr),
le Prix de Littérature Régionaliste, autrement dit le Prix Jean
Revel
, titre non moins spécifique !...
C'est une juste récompense, car s'il est un littérateur qui tient à sa
« terre », n'est-ce point Normandy dont le nom — signature au bas de
tant et tant d'articles — est une permanente affirmation.
Si, plus tard, j'écrivais des souvenirs d'hommes de lettres, je ne
manquerais pas de dire comment je connus le spirituel chroniqueur
Georges Normandy... Autant qu'il m'en souvienne, c'était vers 1911. Je
donnais dans une feuille régionale — aujourd'hui disparue — le Normand
de Paris
, un article que j'épigraphiais de quatre vers de Normandy sur
Fécamp, cueillis dans l'Ame Normande
. C'est ainsi que l’on commence à
écrire. L'on met beaucoup d'épigraphes, et c'est une manière juvénile
d'étaler son érudition... Quelques jours après, je reçus un mot
charmant de l'auteur du poème. Ceux qui écrivent pour la seule joie
d'écrire, connaissent seuls, ces premières divines émotions, où l'on se
sent un peu fier d'avoir l'approbation de l'ancien...
Vers cette époque parut l'Automne d'une Fille
, et, s'il est une autre
joie, c'est le premier ouvrage que l'on reçoit avec dédicace. Ce fut le
premier ! Et plus tard, j'allai frapper à la porte hospitalière du
logis de la rue du Rocher : c'était encore une première chez un
confrère... Je connus là beaucoup de courtoisie, dans un entretien
grave et souriant tour à tour... Il y avait dans le prodigieux
amoncellement de livres, écroulés sur la table de travail, comme les
pierres disjointes de quelque temple, il y avait, planant, les âmes de
Scholl et de Lorrain. Georges Normandy contait, d'une mémoire
inépuisable, et d'un souffle inépuisé, les mille et une anecdotes dont
il est friand, tout en montrant une vieille édition de Rabelais qui le
comblait d'aise... Et je ne savais pas si je devais m'étonner de cet
immense coupe-papier — issu de quelque défense d'éléphant — qu'il
glissait tout en parlant entre les pages d'un bouquin minuscule...
En littérature, de ces petits riens, naissent les sympathies... Et plus
tard, je donnai à Normandy mon premier livre à préfacer...
°°°
J'ai là, sur ma table, une série de photos avérant Georges Normandy à
différentes époques de sa vie. L'une révèle Georges Segaut à l'âge de
cinq mois, en 1882. Voilà un acte de naissance. D'autres montrent le
littérateur chez lui, devant la mer à Menton, sur sa Riviera (pensons à
Jean Lorrain !), ou devant son Océan natal, occupé à son plaisir
favori, « la Rocaille », à Yport, ou à Vaucottes-sur Mer... Mais la
plus belle de ces photos, et qui synthétise mieux, nous montre le «
commis-voyageur en régionalisme », dans un décor de wagon, emporté vers
« quel horizon de Province » ? Et quel « commis-voyageur » !
Rappelons-nous que la préface à la Jonque Dorée
, de Jean Lorrain est
datée de Madrid, et que la préface des Pelléastres, du même auteur,
est datée d’Ajaccio ! Les Articles de Paris, Horizons de Province
,
parmi les ouvrages de Normandy, se trouvent être la plus belle
justification de cette qualité de « Commis-voyageur en régionalisme ».
Il n'y a qu'à considérer d'autres portraits pour constater que cet
homme est une énergie continuelle — corde d'arc toujours prête à partir
! En ce visage, un sourire véritablement sardonique ou sarcastique, si
vous voulez, permane ! Le portrait que Claude Bourgonnier (H. C.
)
exposa au Salon des Artistes Français, est une réalisation sincère, à
ce sujet... le visage apparaît un peu étonné, sur un buste à peine
penché, d'aplomb, et la plume, dans celle main baguée — est-ce une
réminiscence de M. de Phocas ? — est tenue comme l’on tient un
scalpel...
L'ex-libris de Normandy, pour la Bibliothèque du château de Beurville,
porte en devise : J'aime, je hais, je veux...
Pour être un caractère,
voilà, en trois mots, ce qu'il faut être... Et il n'est point facile
d'être une vivante manifestation d'amour, de haine, et de vouloir !
°°°
Analyser l'œuvre considérable, et diverse de Georges Normandy — qui, un
jour, m'avouait être un polygraphe (et Gourmont aussi était un
polygraphe !) — cela demanderait un bon volume... D'aucuns lui
reprochent cette production, d'autres lui en font des louanges. Voilà
bien qui prouve que l'écrivain intéresse tout le monde. Mais son œuvre
n'est pas achevée, puisque l'auteur n'a que 35
ans... A cet âge, il
est des écrivains — ainsi Flaubert — qui commencèrent seulement à
écrire, je veux dire à publier... Or, à 14
ans, Normandy composait un
poème (Hugo aussi !) et le publiait... A 18
ans, il écrivait, en
collaboration avec M.-C. Poinsot, un roman, l'Echelle
. L'éditeur
était Fasquelle ! La collaboration Poinsot est intéressante : des
romans, des contes de toute beauté, et d'une vie intense, comme Mâles
, Amours
; des pièces comme Anarchistes
(grand théâtre de
Lille), les Vaincues
(Comédie Royale)... Puis la collaboration cessa,
et les deux écrivains allèrent, chacun de son côté, vers d'autres
réalisations...
Georges Normandy devint le chroniqueur si alerte et si vivant qui
produisit ce livre, que j'aime entre tous ses livres : Articles de
Paris, Horizons de Province
. Jean Ajalbert quiécrivit la préface de
cet ouvrage a dit de ces pages qu'elles « ont résisté à la mise en
pages de l'édition de librairie ». Une autre série, qui fut reprise au Paris-Journal,
s'intitule l'Heure qui passe
, et Clovis Hugues en a
fait la préface... Puis Normandy publia des articles sur le
régionalisme (la Question Catalane
, entr'autres), des portraits
(Léon Cladel
), des études sur Jean Lorrain, s'intéressa à
l'esthétique du nu, non seulement le Nu au Salon
, mais le Nu à
l'Eglise, au Théâtre et dans la Rue
, livre pour lequel Gustave Kahn
écrivait une remarquable introduction... L'Automne d'une fille
, le
dernier roman de Georges Normandy est l'histoire de la Riviera, et des
êtres beaux et hideux qui s'y meuvent... C'est d'un style emporté en
dialogues rapides, cruels, et c'est en grand, ce que laisse prévoir Potins et Pantins de la Riviera
... Récemment, la Renaissance du
Livre
donnait Des Belles et des Bêtes
, et Normandy ornait cette
anthologie faite avec soin d'une documentée bio-bibliographique…. Car
Jean Lorrain est pour Georges Normandy ce que fut Stendhal pour Adolphe
Paupe, ce qu'est Mérimée pour Lucien Pinvert, un maître, le Maître.
Jean Lorrain semble avoir eu une grande influence sur l'esprit de
Normandy... Est-ce un tort ? Non ! On va vers l'auteur dont l'esprit
correspond à votre modalité... C'est une aide, une force... Et tout
littérateur a ainsi une sympathie, plus ou moins avouée...
°°°
Telle est, à grands traits, la silhouette du nouveau Lauréat Jean
Revel
,... Puissiez-vous la reconnaître, s'il vous arrive de rencontrer
Normandy cherchant dans les boîtes des quais (la plus belle
bibliothèque du monde, selon Remy de Gourmont), le livre curieux et
saisissant ou, parmi les êtres et les choses, un nouveau motif d'aimer,
de hair ou de vouloir... Devise résumant assez bien en elle-même
l'esprit de chez nous, tout fait de contradiction... Mais de la
contradiction jaillit toujours la lumière, cette pauvre petite lumière
que nous alimentons avec tant de peine, en mettant beaucoup de noir sur
du blanc... Et la lampe de Georges Normandy consume ardente, d'une
flamme tourmentée — qui pourrait bien un jour brûler sereine, et bien
immobile — mais son charme n'est-il pas de brûler ainsi, ballottée à
tous les vents semblable au coq de la cathédrale de Rouen qui, en
attendant de se désembrocher pour un improbable Jugement Dernier,
cherche infatigable, à tous les vents, un nouvel horizon !
Gabriel-Ursin LANGÉ.
*
* *
Chrysanthèmes
A M. Paul Labbé.
Dans mon jardin croissait un très beau Chrysanthème
Découpé finement en un souple satin.
Je ne sais pas son nom : son unique baptême
Lui fut donné d'en haut, un pluvieux matin...
Peut-être le poète a percé le mystère ;
Peut-être dirait-il : «
C'est l'Etoile de feu »
Pour moi qui ne sais rien, je ne puis que me taire ;
Mais j'admire la fleur et... je l'envie un peu.
C'est que, dans mon salon, brille le Chrysanthème
Devant le cher portrait où vont toutes mes fleurs...
Il semble comme moi lui murmurer : « Je t'aime ! »
Et près de lui souvent j'ai versé bien des pleurs...
Ah ! symbolique fleur, éclosion d'automne,
Tu n'as pas de tes sœurs les enivrants parfums ;
Mais ton charme discret, qui parfois nous étonne
Est comme un souvenir de nos rêves défunts.
Au tombeau de l'aimé j'ai mis le Chrysanthème :
Dans le vase massif il semblait plus joli...
Et là, j'ai ressassé le doux et triste thème
De notre amour brisé, de l'avenir pâli.
La fleur resplendissait sous le soleil d'automne,
Mêlant ses rayons d'or aux rayons du soleil
Et, dans la nécropole à l'aspect monotone,
Souriait à nos morts plongés dans le sommeil.
PRINCESSE BRUYÈRE.
Les Transfuges (1)
Parmi les rangs épais des troupes de Guillaume,
Les yeux de la pensée ont aperçu parfois
Des guerrières de rêve, au front casqué d'un heaume,
Animant les Germains du geste et de la voix.
Or, ces êtres haineux, nouvelles walkyries,
Naquirent en nos cœurs et vécurent chez nous.
Autant nous leur voyons la mine des Furies,
Autant leur beau visage autrefois était doux.
Oui, contre toi, Français, se tourna ta Science ;
Et ta fille aux doigts fins, l'Ingéniosité,
Par un funeste effet de ton insouciance
Sert chez tes ennemis avec docilité.
Et ta Bonté stupide aux élancements d'âme,
Et ta Candeur bêlante à face de mouton,
Tous ces dons superflus, devant quoi l'on se pâme,
Augmentèrent d'abord les chances du Teuton.
Oui, nous avons pâti du jeu de ces traîtresses.
La claire Loyauté dont nous étions vêtus,
La Fougue, qui causa nos premières détresses,
Sur nos lèvres prenaient le titre de vertus...
Oui, nous les connaissons, ces amazones hautes
Dont nous devions tenir le fier cheval en main :
Ce sont nos qualités, certains disent nos fautes...
Mais nos yeux les verront encor belles demain !
Jean MIRVAL. (Georges LEBAS).
(1)Ces poèmes font partie d’un recueil, intitulé Eclats de vers, qui
paraîtra après la guerre.
Moucherons
Les moucherons, dans une ronde folle,
Dansent autour d'un rayon de soleil ;
Pendant ce temps, l'hirondelle qui vole
Fait dans leur bal un festin sans pareil.
Tourner sans cesse et chercher la Lumière
Sans autre but, voilà leur seul destin ;
Les moucherons ne souffrent pas sur terre :
Beaucoup d'entre eux ne vivent qu'un matin.
Nous, qui rions de la gent moucheronne,
Que n'avons-nous comme elle un seul plaisir :
Vivre joyeux sous l'astre qui rayonne
Enn'ayant pas le regret de vieillir E !
V. Louis MARTIN.
Novembre 1917.
*
* *
Colombine sauvée
ballet-pantomime en un acte et quatre tableaux
par
Jean Lorrain
QUATRIÈME TABLEAU
Même décor qu'au premier tableau. - Chambre de COLOMBINE.
Au lever du rideau Mme
CASSANDRE,
CASSANDRE et le médecin sont groupés
autour du lit de
COLOMBINE.
A la porte, que tient entrebâillée une des filles du village, on voit
passer le museau blanc de
PIERROT.
Il fait grand jour ; le soleil illumine gaiement les vitraux.
Un mouvement se fait dans les rideaux du lit qui s'entr'ouvrent.
COLOMBINE apparaît, couchée, la tête appuyée sur le bras de sa mère.
Elle se réveille lentement, se lève sur son séant et ouvre de grands
yeux étonnés : Où est-elle ? aurait-elle rêvé ?
Elle passe les bras autour du cou de Mme
CASSANDRE, l'embrasse, baise
les mains de son père qui, tout en essuyant une larme, va ouvrir la
fenêtre toute grande et fait signe à
PIERROT que
COLOMBINE est guérie.
Sauvée ! Sauvée !... et, malgré Mme
CASSANDRE, qui lui fait signe de
rester dehors, il se précipite vers le lit de
COLOMBINE, se jette à
genoux, lui dévorant les mains de baisers, tandis que la servante
essaie de pousser la porte contre un flot de visiteurs, filles et gars,
qui veulent entrer !
Sauvée ! Sauvée !
Mme
CASSANDRE fait comprendre à
PIERROT qu'il faut laisser
COLOMBINE.
Tandis que
PIERROT va parlementer à la porte avec les visiteurs pour
leur faire prendre patience,
COLOMBINE, aidée par sa mère et par
la servante, se lève et passe une matinée à fleurs.
COLOMBINE est conduite auprès de la table. Elle s'installe dans le
grand fauteuil et
PIERROT, après un signe échangé avec Mme
CASSANDRE,
laisse pénétrer dans la chambre toutes les jeunes filles amies de
COLOMBINE.
COLOMBINE reçoit leurs félicitations, leur serre la main :
elle n'est plus folle, elle est sauvée, elle est guérie… mais elle leur
a fait une fière peur, hier ?...
PIERROT, qui s'est fait remplacer à la porte par une des jeunes filles,
s'agenouille devant elle et lui chausse les petits souliers blancs de
la veille ; - mais il est repoussé et congédié par Mme
CASSANDRE, qui
veut qu'on laisse sa fille s'habiller.
COLOMBINE est emmenée, par les jeunes filles, derrière un grand
paravent que l'on déploie (paravent qui ne la cache qu'à
PIERROT et à
ceux qui occupent le fond de la scène et qui laisse les spectateurs
témoins de la toilette de
COLOMBINE).
Derrière ce paravent, les jeunes filles habillent, coiffent, lacent
COLOMBINE en mariée, lui assujettissent son voile et sa couronne en
dansant.
Pendant ce petit ballet sur place,
PIERROT a ouvert la porte à ses
amis, qui viennent tous lui serrer la main et se rangent sur le fond de
la scène.
PIERROT leur indique du geste que
COLOMBINE s'habille là,
derrière, et, tout heureux, ne tient pas en place, va de l'un à
l'autre, puis, se penchant à la fenêtre, fait signe aux gens du dehors
de monter.
Mme
CASSANDRE, elle-même, ne se tient plus de joie et voltige sans
arrêt à travers l'appartement.
Par la porte grande ouverte, les invités de la noce arrivent : hommes,
femmes endimanchées, etc.
La famille
CASSANDRE et
PIERROT les reçoivent avec force salutations.
Un des amis de
PIERROT lui apporte un flot de rubans qu'il pique à sa
veste, un gros bouquet et un chapeau enrubanné... Enfin, les
ménétriers, armés de leurs violons entrent en jouant et se rangent au
fond de la scène.
Le paravent se replie
COLOMBINE, en mariée, s'avance au-devant de
PIERROT qui la prend par la main et lui fait faire le tour de
l'appartement pour la présenter à la société.
Des vivats éclatent ; tous les gars agitent leurs chapeaux ; des coups
de fusils pétaradent dehors ; les crins-crins font rage pendant que les
cloches de l'église s'ébranlent joyeusement.
Mme
CASSANDRE, que les jeunes filles ont coiffée d'une immense capote
et enveloppée d'un grand châle, prend le bras de son gendre, tandis que
M.
CASSANDRE offre le sien à sa fille, tout en mettant ses gants.
Les gens de la noce se groupent par couples, derrière eux et le cortège
se met en branle... cependant que les cloches multiplient leurs gais
carillons.
FIN
JEAN LORRAIN.
Illustrations de P.-J. POITEVIN.
(Reproduction formellement interdite.)
*
* *
Le Poète Wilfrid Lucas
Le seul fait que le Caennais Wilfrid Lucas, blessé deux fois et reparti
deux fois au front, a mérité une belle citation qui lui a valu la Croix
de guerre, lui vaudrait une place au palmarès de
Normandie ! Mais
lorsqu'un brave de chez nous se double d'un écrivain de mérite, nous
sommes heureux, nous ses confrères normands, de lui rappeler que la
Normandie n'oublie pas « ceux de là-bas !... »
Wilfrid Lucas est un de ces poètes dont notre vieille province peut et
doit se montrer fière.
Né en 1882 d'une vieille souche caennaise, c'est à Caen, sa ville
natale, que W. Lucas a écrit ses premiers vers, et si la vie l'a
conduit, comme tant d'autres, vers Paris, son cœur est demeuré au pays,
et il est l'un de ceux qui tirent gloire de leur origine.
Il est difficile de porter un jugement précis sur l'œuvre de W. Lucas,
car il n'a guère publié. Il semble s'être volontairement abstenu d'une
destinée qui contente trop souvent les jeunes avides de succès et
pressés d'arriver. Ses
Romances sentimentales, créées au cabaret
Bruant, ont paru en librairie en 1905 et Figuière a édité, en 1912,
Les Roses s'ouvrent, où j'ai puisé quelques citations.
Mais, bien que peu connu du grand public, nous croyons savoir,
toutefois, que le bagage littéraire de W. Lucas est considérable et
qu'en tout domaine, roman, théâtre, poésie, sa nature généreuse et
ardente a produit, avec lenteur, quelque vaste concept original et pur
que nous aurons, sans doute, un jour, la joie profonde d'apprécier.
Admirateur fervent d'André Theuriet, Lucas fut l'un des promoteurs du
comité qui érigea le monument de Bourg-la-Reine à la mémoire de notre
grand poète.
La Société des Gens de Lettres a consacré le talent de Wilfrid Lucas,
en lui décernant, en 1916, le Prix Feuillâtre. (Il avait d'ailleurs été
promu officier d'Académie, en 1913, lors du jubilé officiel de cette
Société.)
Ce normand — comme beaucoup des écrivains normands — est un penseur,
ainsi qu'il le dit en l'un de ses vers.
Mon œuvre est formidable et je dois l'accomplir !
et il semble qu'il appartient à la race des initiateurs, des
révélateurs, des « Eveilleurs d'aurore » comme? a dit Rostand dans
Chantecler :
Et moi, je veux aller plus loin que les étoiles,
Vers les vierges clartés qui m'attendent ailleurs ;
Et, déchirant du ciel les impalpables voiles,
En descendre un soleil aux avenirs meilleurs.
(Le Myosotis.)
C'est dans un autre poème qu'il dit :
Le Rêve m'abandonne un bien plus grand domaine
D'où je découvre encore aux regards d'ici-bas,
Le sens et le dépôt de la grandeur humaine !
(Le Penseur.)
Entendez-le encore s'écrier, en parlant de Pégase, le coursier ailé :
... Comme s'il attendait qu'on l'arrête au passage,
Qu'on le bride à l'instant,
Le selle à son usage
Et l'enfourche en sautant.
Jusqu'à ce qu'on ait pu, dans sa course éperdue,
De Centaure surgi
A travers l'Etendue
Et le Rêve élargi,
Découvrir des accents d'une telle puissance
Que leur splendide éveil
Ait la magnificence
Enorme du soleil!
(L'Eveil du Poète.)
C'est le plus souvent le large courant de la Pensée, de la philosophie
et de l'histoire qui traverse son œuvre. Il en résulte une ampleur qui
donne à celle-ci une poésie intense, très intense, mais très
particulière.
Sa conception personnelle de l'existence, qui est en quelque sorte une
reconstitution idéale du monde par la Concorde et l'Amour, est
manifestement une œuvre de paix. Sous le symbole, son œuvre est
évidemment un chant d'amour :
Hurle ta passion, quand tes battements d'aile !
L'arrachent frissonnante à ton âme cruelle,
Et laisse, enfin, ton cœur dans un splendide essor,
Rouler, impétueux, des torrents à pleins bords...
(Petit Bouquet de Violettes.)
C'est aussi l'éternelle vie, la plénitude du Bonheur :
Tout brille autour de nous et semble se complaire
Dans un joyeux décor de rêve et de clarté ;
Le soleil resplendit d'une flamme plus claire,
Et notre ciel d'amour est plein de volupté...
(Marguerite.)
Mais c'est déjà, pour celle à qui il ne craint pas de déclarer :
Vous serez le soleil de l'œuvre qui s'achève,
Vous qui pouvez unir l'amour fécond au Rêve !
l'assimilation magnifique à l'œuvre saine et virile sur laquelle nous
ne pouvons nous étendre davantage, ne la connaissant pas encore ; mais
Wilfrid Lucas nous la laisse pressentir lorsqu'il s'écrie :
Muse des grands écrits et des Poètes forts,
Donne-moi le repos et le calme des morts,
Ou la sérénité des choses demeurées,
Depuis les temps lointains, des Races effondrées !..
(Le Penseur.)
Tous ces passages, je les ai tirés des «
Roses s'ouvrent », œuvre de
jeunesse d'un poète qui se cherche, et qui bientôt nous révélera toute
la puissance de son beau talent.
Car je voulais des cieux la plus lointaine étoile :
Celle qu'aucun regard n'a découvert encore,
Et qui laisse affaiblir, à travers un long voile,
L'éclat, à peine né, d'un mince rayon d'or.
(L'Etoile d'espérance.)
CAMY-RENOULT.
*
* *
Deux Expositions du Peintre Lexovien
Jean-Ch. CONTEL.
(chez Devambez et
à la Galerie La Boëtie) à Paris
Nos lecteurs se souviennent que, dans les
Activités Régionalistes du
dernier numéro de notre revue, M. Georges Normandy étudiait le récent
album du peintre et dessinateur Jean-Ch. Contel, dont ils ont pu,
d'ailleurs, admirer sur nos pages d'énergiques interprétations des
maisons à colombages de nos vieilles cités. Le succès de notre
compatriote n'aura pas mis longtemps pour aller de Lisieux — où
l'excellent artiste a la sagesse de demeurer — à Paris. La Galerie
La
Boëtie (rue La Boëtie), expose plusieurs de ses tableaux et le
graveur, artiste et marchand à la mode Devambez (43, boulevard
Malesherbes), a placé divers cadres de lui sur ses cimaises. Nous
devons ajouter à la louange des amateurs parisiens qu'ils font
l'accueil le plus flatteur à ces œuvres énergiques, où la sûreté du
coup d'œil s'allie à la plus heureuse largeur d'exécution.
Normandie
suivra avec le plus grand plaisir l'ascension certaine de Jean-Ch.
Contel vers des succès qu'elle a été la première à prédire.
N.
L’effort que nous tentons dans cette revue doit intéresser tous les
Normands ; qu'ils nous aident en s'abonnant et en faisant abonner leurs
amis.
*
* *
UN BEAU DÉBUT LITTÉRAIRE
CES DAMES DE L'HOPITHAL 336 (1)
par GENEVIEVE DUHAMELET
Le parfait écrivain, le gracieux poète Georges Docquois a voulu être le
« parrain » de notre compatriote, Mlle Geneviève Duhamelet, infirmière
U. F. F.
depuis le début des hostilités, titulaire de la médaille
d'argent des épidémies, depuis le mois de juin dernier. Les initiés
prétendent que la ville d'Angerville-sur-Mer, dans laquelle vivent ces
dames de l'hôpital 336, n'est autre que Fécamp (Seine-Inférieure). Nous
chercherons ce que vaut cette affirmation dans la petite étude spéciale
que nous consacrerons bientôt, ici même, au premier roman de Geneviève
Duhamelet. Qu'il nous suffise pour aujourd'hui de signaler cette œuvre
curieuse où la tendresse et l'ironie s'unissent étroitement, — cette
œuvre vivante qui ne met pas en scène, enfin ! comme tant de nouvelles
et de volumes déplorables, des soldats pour dessus de pendules et des
infirmières pour couvercles de boîtes à bonbons !
G. N.
(1) 1 vol., sous couverture illustrée, par S. MEUNIER , 3 fr. 60, Albin
Michel, éditeur , 22, rue Huyghens, Paris.
*
* *
NORMANDIE commencera dans son prochain numéro, la publication du
Carnet de Route d'un Architecte, en Normandie, par M. Charles
Chausssepied, architecte des monuments historiques, illustré de
reproductions de dessins de l'auteur.
*
* *
Nouvelles Régionales
Un Député normand cité à l'ordre du jour — M. le marquis de
Ludre-Frolois, député de l'Orne, commandant au 85° régiment
d'artillerie lourde a été cité à l'ordre du jour pour sa brillante
conduite ; voici sa citation : « Officier d'une grande bravoure. Parti avec la première vague
d'assaut, le 31 juillet 1917, a rapporté au commandement les
renseignements les plus précieux en particulier sur la valeur des
destructions effectuées par notre artillerie sur les organisations
allemandes. » Le commandant de Ludre est le troisième parlementaire normand, cité à
l'ordre ; nous avons déjà publié les citations de M. Louis Quesnel,
sénateur de la Seine-Inférieure, et de M. Blaisot, député du Calvados.
Syndicat agricole du Roumois. — M. Emmanuel Boulet, membre de
l'Académie d'agriculture de France, Commandeur du Mérite agricole,
Président du
Syndicat agricole du Roumois, vient de faire connaître à
M. Georges Normandy, qu'en raison de la publication de ses récentes
études agricoles et de son action régionaliste, le titre de membre
fondateur perpétuel de ce syndicat lui était décerné. Ajoutons que les
parrains de notre éminent collaborateur ont été : MM. Emmanuel Boulet
et Paul Sagourné, directeur de l'Agriculture au ministère de
l'Agriculture, qui l'ont présenté à son insu.
Aux Consommateurs de Cidre. — Le Comité consultatif commercial des
Cidres désirant faciliter le ravitaillement en cidre des régions où le
vin est rare ou cher, s'est préoccupé de l'obtention de wagons pour le
transport des pommes. Il est indispensable que les consommateurs se
groupent pour que le matériel soit employé avec un maximum de
rendement. Les groupements doivent adresser leurs demandes à M. Geslin,
secrétaire général du Comité consultatif commercial des Cidres, 61,
Avenue de la République, à Paris.
Dans un de ses échos, publiés journellement par le
Matin,
Louis
Forest écrivait à propos du travail de réenfantement, dont les
clairvoyants de l'avenir essaient de tracer le programme, et dans
lequel la renaissance de l'art français tient sa place : ..... Il
y a tout de même ici aussi quelque chose qui nationalement cloche.
Ce déséquilibre provient, je pense, de ce que si quelques cerveaux
dominent, le peuple dans sa moyenne n'a plus sa solidité de goût. De
quels objets navrants s'ornent trop de demeures ! Ah ! les vases
universels du grand bazar international ! Jadis c'était tout de même
mieux
quand, originale, chaque province avait ses idées d'art à elle
et que chacun trouvait son bonnet plus fin que celui de la voisine...
Oui... on ne peut pas revenir en arrière ;
mais peut-être que si l'on
réussissait dans nos départements à lutter un peu contre l'ornement en
série et le corsage interchangeable, on ne reviendrait pas en arrière,
on reviendrait en avant. Cette idée est la même que celle qu'exprimait
M. Chaussepied, architecte des monuments historiques, dans le rapport
que nous signalions dans notre numéro d'août dernier : ... Nous voulons
faire du
régionalisme, c'est-à-dire conserver dans nos arts, comme
dans nos industries françaises, le style régional qui les caractérise
et les fera prospérer.
*
* *
Le Palmarès Normand
LÉON RICHARD, lieutenant au 65e bataillon de chasseurs à
pied. « Officier de renseignements qui, au cours des combats du 16 au
20
avril 1917, a donné une fois de plus les rares exemples d'un courage
poussé jusqu'à la témérité et d'une abnégation sans bornes, en se
portant constamment aux points les plus dangereux pour y faire ses
observations ou y effectuer des liaisons. Cinq blessures : quatrième
citation. » Le lieutenant Richard qui est le fils de M. Richard, du
bureau
municipal d'hygiène de Rouen, a commencé la campagne comme caporal, et
a été blessé cinq fois. Son frère, Richard Paul, engagé volontaire,
tombé au champ d'honneur le 27 septembre 1914, avait été l'objet d'une
citation à l'ordre de l'armée.
PAUL BRETEVILLE, lieutenant de chasseurs alpins, déjà cité deux fois,
vient de nouveau d'obtenir la citation suivante : « Officier très brave ; le 8 juillet 1917, a poussé son peloton
énergiquement dans des boyaux et tranchées violemment bombardés. Au
contact de l'ennemi, a assuré personnellement, à deux reprises
différentes, la liaison avec un P. C. voisin, malgré un bombardement
continuel. Déjà deux fois cité. » M. Paul Breteville est le fils de notre sympathique confrère, directeur
du
Réveil d'Yvetot.
TASSEL, soldat au 239e d'infanterie, a reçu la médaille militaire et a
été l'objet des deux citations suivantes : « Très brave soldat.
Modèle de courage et de sang-froid. Dans les
moments difficiles conserve un calme admirable qui a contribué au
maintien moral de ses camarades. Deux fois blessé. » « Excellent
soldat, deux fois blessé et revenu au front dès guérison. A
été à nouveau, très grièvement atteint, le 16 mars 1917, alors qu'il
s'acquittait avec énergie et bravoure, sous un violent bombardement,
des fonctions de guetteur dans une tranchée de première ligne. Amputé
de la jambe gauche. » M.Tassel était coiffeur au Havre, rue
Gustave-Brindeau.
Normands, faites vos achats dans les maisons normandes.
____________________
Le Gérant : MIOLLAIS.
_________________________________________________________
IMPRIMERIE HERPIN, Alençon. Vve A. LAVERDURE, Successeur.