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Normandie : Revue régionale illustrée mensuelle de toutes les questions intéressant la Normandie N°16 juillet 1918
Normandie, revue régionale illustrée mensuelle, n°15 - juillet 1918.Normandie : Revue régionale illustrée mensuelle de toutes les questions intéressant la Normandie : économiques, commerciales, industrielles, agricoles, artistiques et littéraires / Miollais, gérant ; Maché, secrétaire général.- Numéro 16 Juillet 1918.- Alençon : Imprimerie Herpin, 1918.- 16 p. : ill., couv. ill. ; 28 cm.
Saisie du texte : S. Pestel pour la collection électronique de la Médiathèque André Malraux de Lisieux (22.VII.2014).
Texte relu par : A. Guézou
Adresse : Médiathèque intercommunale André Malraux, B.P. 27216, 14107 Lisieux cedex
-Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01
Courriel : mediatheque@lintercom.fr, [Olivier Bogros] obogros@lintercom.fr
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Diffusion libre et gratuite (freeware)
Orthographe et graphie conservées.
Texte établi sur l'exemplaire de la Médiathèque (Bm Lx : 41060-nor598).


NORMANDIE

REVUE RÉGIONALE ILLUSTRÉE MENSUELLE
DE TOUTES LES QUESTIONS INTÉRESSANT LA NORMANDIE
Économiques, Commerciales, Industrielles, Agricoles, Artistiques et Littéraires

DEUXIÈME ANNÉE. - N°16 JUILLET 1918

Normandie, revue régionale illustrée mensuelle, n°15 - juillet 1918.

~*~


Vers une Action Normande

IX. – LES CAUSES.

(Suite.)


La suite de l’étude de M. Vincent-Desbois, actuellement aux armées, nous est parvenue trop tard pour être insérée dans ce numéro ; nous ne pouvons donc, à notre grand regret, que donner les citations dont il parlait à la fin de son dernier article et dont le défaut de place nous avait obligé de différer la publication :

M. Boutroux, dans une conférence faite à  Foi et Vie, il y a quelques semaines sur : Morale et Démocratie, a combattu : « La tendance actuelle à détacher de la morale, la politique. On a voulu, dit-il, faire reposer le droit sur l’histoire, sur la loi d’évolution, tous fondements ruineux. La racine du droit est morale, il faut considérer la morale comme un élément essentiel de la politique. La nation est une personne ; il y a donc une morale pour la nation comme pour l’individu.

M. Boutroux a insisté beaucoup sur ce point : dans une démocratie fondée sur la morale, il ne doit pas y avoir à proprement parler, de gouvernants et de gouvernés ; la responsabilité doit être pour tous à la base de tous les actes ; le commandement est une obéissance. Il y a diversité de fonctions, il n’y a pas de hiérarchie. La démocratie, c’est le peuple se gouvernant lui-même : la valeur du résultat ne dépendra pas du mot démocratie, MAIS DE LA VALEUR MORALE DES HOMMES QUI CONSTITUENT ET EXERCENT LA DÉMOCRATIE. » (Journal des Débats.)

D’un radical maintenant, M. de Lanessan, et de la très laïque Action d’avant-guerre :

« Ce mal, c’est l’anarchie, c’est-à-dire un tel désordre des esprits et des choses que rien ne se fait comme la raison voudrait que ce fût fait et que nul homme ne se comporte comme son devoir professionnel ou moral exigerait, qu’il se comportât. »

Le Matin, un an avant la guerre, sous la signature de M. Gervais, publiait ces lignes :

Les mots de « règle » de « discipline », de « devoir » perdent insensiblement leur sens. Tout : bon ou mauvais, et surtout le mauvais, s’explique, s’excuse et se justifie. »

Pénétrons sous la coupole avec les graves académiciens : nous y entendons le même langage :

« Le mal est moral ; c’est une défaillance de la volonté, de la puissance d’effort de la lutte, c’est une estime et une recherche immodérée, de la tranquillité et de la jouissance, en un mot, c’est une crise d’égoïsme. » (Rapport sur les prix de vertu, 20 décembre 1917.)

La morale est nécessaire à la démocratie comme l’air l’est à la vie de l’homme. Elle se raréfie en France, ou s’altère, parce que nous avons fait de la politique antireligieuse, de la philosophie matérialiste :

« C’est parce que je vois dans le catholicisme, la santé sociale, osait dire Maurice Barrès, le 24 janvier 1910, à la Chambre, que je suis le défenseur de l’idée catholique. »

Voulez-vous que j’évite, au nom de l’union sacrée, d’invoquer des témoignages venus uniquement des milieux catholiques ? C’est facile ! Qu’allait faire cet autre irréprochable-démocrate Lloyd George, le 13 mars dernier, à l’assemblée annuelle des Eglises libres pour y prendre la parole ? Si ce n’est témoigner de la base morale, religieuse, de ses convictions politiques.

Peu avant la guerre, le Dr G. Le Bon, qui n’a rien d’un clérical, je pense, écrivait :

« Chez nous, l’intolérance religieuse est complète. Depuis de nombreuses années, elle fait le fond de la politique… Cependant la psychologie a montré que les croyances n’étaient nullement de capricieux produits de l’imagination, enfantés par la crainte, mais correspondaient à des besoins irréductibles de l’esprit. » (Figaro, le 1er juillet 1913.)

Terminons pour aujourd’hui par une dernière citation, extraite du journal, la Démocratie, qui apparaît à la lumière des faits actuels, comme l’un de ceux qui avaient le mieux compris les vérités que nous nous efforçons de mettre en relief :

« Pour élever l’homme au-dessus de lui-même, pour soutenir les peuples au-dessus de leurs intérêts et de leurs appétits terrestres, il faut une force qui ait justement son point d’appui, en dehors de ces appétits et de ces intérêts.

« Il est donc nécessaire de croire à des réalités d’un ordre supérieur et transcendant, capables d’imposer elles-mêmes leur empreinte et d’organiser leur culte sur cette terre.

« Or, ce lien, ce trait d’union, c’est justement et au sens même de l’étymologie du mot, la Religion. »


        (A suivre.)

G. VINCENT-DESBOIS.


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La Région Economique Normande

_________


A la suite de mon dernier article sur le projet de division de la Normandie en deux régions économiques, j’ai reçu un assez grand nombre de lettres de Normands que cette question intéresse et qui, considérant que cette coupure est regrettable, bien que certains régionalistes de chez nous ne semblent pas y être opposés, me demandent d’ouvrir sur ce point, une enquête dans les colonnes de Normandie. Nous accueillerons volontiers toutes les opinions qui pourront être exprimées sur ce projet et nous publierons les réponses que l’on nous aura autorisées à insérer.

A. M.

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Les Richesses Hydrauliques
de la Normandie

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Au point de vue économique, et pour le présent comme pour l’avenir, la situation créée par la guerre appelle l’attention sur des multiples enseignements dont le régionalisme doit tirer parti pour le bien du pays. L’utilisation des grandes forces naturelles est une de ces questions dont on doit se préoccuper, plus que jamais, pour travailler activement à la reconstitution, puis à l’accroissement du patrimoine national, notamment par l’exploitation des richesses latentes encore trop délaissée jusqu’ici. La houille verte en plaine, comme la houille blanche en montagne, voilà des éléments de prospérité sur lesquels on peut compter pour la production de l’énergie nécessaire à nos industries, à notre agriculture, à de nombreuses branches de l’activité humaine. Ce sont des sources d’énergie inépuisable dont l’importance, envisagée dans les diverses régions françaises, est considérable, énorme, et place notre pays dans une situation remarquablement favorisée.  Tandis que l’Angleterre possède seulement une force hydraulique d’un million de chevaux, l’Allemagne un million et demi à deux millions, nous avons en France, de neuf à dix millions de chevaux hydrauliques, en eaux moyennes, et nous pourrions encore accroître cette puissance par certains grands travaux régularisant le cours des eaux. L’aménagement actuel de nos eaux – lequel n’utilise qu’un million et demi de chevaux sur neuf à dix millions à exploiter – a permis d’économiser deux milliards de charbon depuis le début de la guerre. Le produit total des forces hydrauliques, une fois celles-ci aménagées sur tout le territoire, procurerait un revenu supplémentaire de trois à quatre milliards de francs par an, indépendamment du revenu connexe qui résulterait du développement industriel agricole, etc.

Cette force merveilleuse que la nature prodigue gratuitement et éternellement – tandis que nous faisons tant d’efforts pour obtenir le charbon dont les ressources ne sont évidemment pas inépuisables – cette puissance représentée par nos richesses hydrauliques, il faut l’utiliser partout où elle s’offre ; elle ne serait pas inférieure à soixante milliards de chevaux-heures, annuellement alors que, dans le même temps, les quarante millions de tonnes, de charbon que nous extrayons de notre sol ne peuvent fournir que trente-trois milliards de chevaux-heures vapeur, auxquels s’ajoutent dix-huit milliards fournis par vingt millions de tonnes de charbon importés de l’étranger. Ainsi, en utilisant nos chutes d’eau nous ferions, annuellement, l’économie d’une importation de près d’un milliard à un milliard et demi de francs, et cette force hydraulique nous procurerait une augmentation d’énergie, non pas de cinquante pour cent, mais de près de deux cents pour cent ! Quel appoint pour la production de l’électricité si l’on songe qu’avec seulement un million de chevaux hydrauliques – soit le dixième de la force disponible – on pourrait éclairer une population de trente millions d’habitants !

Ces considérations vraiment suggestives, nous montrent toute l’importance que nous devrions attacher à l’exploitation rationnelle et intégrale des richesses hydrauliques, et – pour ce qui concerne notre œuvre régionaliste – à ces richesses hydrauliques dont la Normandie est si amplement dotée. Il existe, chez nous, comme dans d’autres régions de la France, des cours d’eau susceptibles d’être aménagés par de petits barrages, en vue de produire de l’énergie, et bien que bon nombre de ces cours d’eau ne présentent généralement qu’une assez faible puissance, leur ensemble constitue un important élément de richesse dont la mise en valeur est relativement facile. Il ne faudrait donc pas croire que la force distribuée par les stations d’électricité soit l’apanage exclusif des contrées qui possèdent de puissantes chutes d’eau. Pour les besoins beaucoup plus modestes de l’agriculture, les moulins établis sur les retenues de nos rivières sont suffisants ; c’est dire qu’il est possible de multiplier les petites stations rurales d’électricité. N’avons-nous pas le bel exemple que nous donnent, depuis bien des années, les Danois, passés maîtres dans l’art d’utiliser les moulins à vent pour produire l’électricité à la campagne ? Si, par mesure économique, nous voulons remplacer le charbon par la force hydraulique, par la houille verte, ce facteur d’énergie que véhiculent au travers des vertes prairies les cours d’eau et les ruisseaux, il faut mettre en valeur nos moyennes et nos petites chutes d’eau.

Pendant longtemps, la chute d’eau de la houille verte – qui est la différence de niveau de l’eau, à un moment donné, entre deux points du cours d’eau – fut, avec le moulin à vent, la productrice de force motrice. On sait que, dans la majorité des cas, on crée cette chute par une simple déviation qui, à bien peu de chose près, rend un peu plus bas au cours d’eau ce qu’elle lui a emprunté un peu plus haut. Ainsi, la houille verte va de chute en chute sans rien perdre de son mérite ni de sa valeur, car lorsque les chevaux hydrauliques ont passé au grand trot dans la turbine, ils poursuivent leur course pour se mêler aux eaux du fleuve dont leur rivière est l’affluent. Mais ils sont de nouveau captés au passage pour recommencer leur travail au grand profit de nos industries et de notre agriculture.

Il y a, en Normandie, des milliers et des milliers de chevaux hydrauliques à utiliser et à récupérer. Et l’on a une idée très nette de ces richesses hydrauliques en compulsant les brillants travaux d’un ingénieur émérite, dont notre Normandie est fière à juste titre : M. Henri Bresson, qui s’est livré il y a déjà plus de dix ans de cela, à une enquête sur la mise en valeur des moyennes et basses chutes d’eau, dans le Calvados, la Manche, l’Orne et l’Eure (1). L’œuvre de vulgarisation de la houille verte (œuvre des petits moulins de France), à laquelle M. Henri Bresson a consacré tous ses efforts, doit être suivie avec le plus grand intérêt, notamment en ce qui concerne les installations hydro-électriques.

Nous voyons que d’après l’enquête sur la « houille verte », la puissance hydraulique totale, dans le Calvados, est évaluée à 9.500 chevaux ; mais alors que, en 1863, les usines se partageant les forces étaient au nombre de 855 en 1900 on n’en comptait plus que 442. Toutefois, en vingt ans (de 1883 à 1904), on comptait 8 installations hydro-électriques (scieries, etc.) à Thury-Harcourt, Vire, Mézidon, Orbec, Falaise, Saint-André, Pontfarcy et Aunay-sur-Odon. A Vire, trois chutes voisines ont été réunies en une seule de 12 mètres, actionnant une turbine ; par un transport électrique, on y a ajouté l’énergie d’une autre chute d’un affluent de la Vire. A Thury-Harcourt, la chute de l’Orne n’a que 1m70 et est utilisée par deux roues Sagebien : l’une pour l’éclairage de la localité (plus 6 moteurs industriels), l’autre actionne un alternateur à 5.000 volts desservant les trois localités voisines : Aunay-sur-Odon, Saint-Rémy et Clécy, respectivement à 14,6 et 9 kilomètres.

La puissance hydraulique totale, dans le département de l’Eure, est évaluée à 18.000 chevaux, selon les statistiques administratives. Le nombre des usines, de 869 en 1869, se réduisait à 729 en 1892 et 438 en 1900. On note 26 installations hydro-électriques, à Condé-sur-Iton, Montfort-sur-Rille, Léry, Cormeilles, Toutainville, Le Vaudreuil, Pont-Audemer, Beaumont-le-Roger, Poses, Rugles, Les Andelys, Lyons-la-Forêt, Chauvaincourt, Pont-Saint-Pierre, Tourville, Radepont, Sainte-Hélène, Douville, Navarre, Saint-Elier, Pont-Authou, La Ferrière-sur-Rille, Les Gazny, Saussay et Gisors.

Les scieries, fabriques de pâte à papier, fouleries de drap, minoteries, fabrique de dés à coudre, tanneries, usines de fibres de bois, de nickelage, sont les industries qui bénéficient de ces installations hydro-électriques. Pont-Audemer utilise une chute de 1 mètre seulement. L’éclairage et la manœuvre des écluses du barrage de 250 mètres, de Poses, sur la Seine, sont dus au courant fourni par des accumulateurs chargés grâce à une dynamo actionnée par une turbine sous la chute de 4m50, que donne ce barrage en basses eaux. Pendant les crues, les pièces même du barrage sont relevées par des moteurs électriques circulant sur une voie Decauville.

Dans le département de la Manche, où la puissance hydraulique totale est évaluée à 11.000 chevaux, d’après les statistiques administratives, et où le nombre des usines tombait de 1.367 en 1863 à 705 en 1900, on a su tirer bon parti des cours d’eau relativement peu nombreux, mais ayant assez de hauteur de chute ; on [t]rouve la plus élevée de la région, avec 15 mètres, à Mortain. Les installations hydro-électriques de Tourlaville, Saint-Hilaire-du-Harcouët, Mortain, Bricquebec, Saint-Sauveur-le-Vicomte, Auneville-en-Saire, Ducey, Cérences, Thorigny-sur-Vire, Sourdeval, Tessy-sur-Vire, Saint-James, Percey et Brècey. Les minoteries et scieries sont desservies par des courants électriques à voltages élevés pour franchir des distances variant de 3 à 7 kilom. 500, comme l’indique l’enquête de M. Henri Bresson.

En 1907, les forces hydrauliques du département de l’Orne étaient évaluées, par cet ingénieur à un peu plus de 10.000 chevaux, sans compter la force que l’on pourrait obtenir par de nouveaux aménagements des cours d’eau. A cette époque, les usines n’utilisaient que 2.460 chevaux sur les 10.000 disponibles. La répartition des 454 usines hydrauliques établies dans ce département était la suivante (en 1900) : 342 moulins à blé, 24 industries textiles, 5 papeteries, 18 scieries, 6 moulins à tan, 32 usines pour le traitement des métaux et 27 usines diverses. Les progrès de la minoterie ont donné le pas aux grands moulins et diminué d’autant les petites installations hydrauliques. Les dynamos, prenant la place des anciennes meules, ont modifié l’utilisation des chutes d’eau. La plus grande chute est située près de Tinchebray, sur la Verre ; elle a 12 mètre de hauteur et fournit 77 chevaux utilisables. La plus faible chute se trouve sur la Calabrière, petit affluent du Même ; elle ne donne pas plus d’un cinquième de cheval. Il y a d’intéressantes installations hydro-électriques à Chandai (château des Masselins) ; à Mesnil-Glaise (château et ferme) ; à Putanges, où on a réuni les eaux de l’Orne, qui alimentaient autrefois trois moulins, pour installer une usine fournissant l’éclairage public au chef-lieu de canton. A Rémalard, la rivière l’Huisne a une chute de 1m70 débitant environ 30 chevaux ; le courant à 250 vols, alimente 1.500 lampes. A Boucé, à 12 kilomètres d’Argentan, la Cance actionne l’installation électrique que possède une scierie.

Le barrage établi sur la Varenne, près de Domfront, actionne, au château de Torchamp, des scieries, des batteuses, un appareil frigorifique, un moulin agricole et de nombreuses lampes.

Au Moulin-de-Sarthe, le moulin à tan est pourvu d’une dynamo chargeant des accumulateurs, pour assurer à 2 kilomètres de distance, le service du chef-lieu de canton : Moulins-la-Marche.

Ces nombreux exemples d’utilisation de la houille verte montrent que, dans notre région, on a su déjà tirer parti – quoique bien insuffisamment encore – de cette précieuse ressource, dont la nature est dispensatrice.

Il faut que, dans l’œuvre de rénovation et de progrès industriel et agricole, vers laquelle doivent tendre tous les efforts des vrais normands, désireux de contribuer à la prospérité du pays, on s’applique à réaliser l’exploitation méthodique, intégrale, des richesses hydrauliques de la Normandie.


Henri BLIN,
Lauréat de l’Académie d’Agriculture de France.

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(1) Henri BRESSON : La Houille verte. – Dunod et Pinat, éditeurs, Paris.



                        
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Le Tourisme en Normandie


Nous avons assez souvent protesté dans ces colonnes contre l’inertie des Syndicats d’initiative de Normandie pour ne pas applaudir aujourd’hui à l’œuvre de M. Monticone, président du Syndicat d’initiative de Deauville, et secrétaire général de la Fédération des Syndicats d’initiative de Normandie, qui a fait paraître l’appel suivant :

A l’heure où chacun se préoccupe de réparer les pertes considérables causées à notre pays par la guerre, les syndicats d’initiative de Normande se sont fédérés pour travailler en commun à mettre en valeur le capital de beauté de notre région si favorisée au point de vue des sites pittoresques et si captivante par ses richesses artistiques. La Fédération normande des syndicats d’initiative a pour principal objet de favoriser le développement du tourisme et des industries qui s’y rattachent dans les cinq départements de l’Eure, de l’Orne, du Calvados, de la Manche et de la Seine-Inférieure.

L’effort tenté par la Fédération normande fait d’ailleurs partie d’un programme d’action dont les grandes lignes ont été arrêtées par le Touring-Club de France, en collaboration avec l’Office national du tourisme, c’est-à-dire en plein accord avec les pouvoirs publics.

La France est aujourd’hui virtuellement partagée en dix-neuf régions touristiques et les fédérations régionales ne sont pas autre chose que des organismes chargés d’intensifier et de coordonner les travaux des syndicats d’initiative, et de poursuivre la réalisation de leurs vœux près de l’administration supérieure.

Faute de l’avoir sollicitée, la clientèle peu à peu nous échappait… Nous devons résolument nous engager dans la même voie et, puisque les syndicats d’initiative ont été la cause déterminante de la prospérité des stations touristiques étrangères, nous devons, en ce qui nous concerne, favoriser leur création et leur développement en Normandie.

Il faut qu’au lendemain de la paix, alors que les transatlantiques déverseront à Cherbourg et au Havre le flot des citoyens de la grande Amérique qui viendront contempler les champs de bataille où se joue la plus grande épopée de l’histoire, chacune de nos stations climatiques, balnéaires ou touristiques, en un mot que chaque centre d’excursion ait son bureau de renseignements ouvert aux touristes sous la direction d’un syndicat d’initiative local. L’idée vaut la peine que l’on s’y arrête, elle a fait la fortune d’autres régions moins favorisées que la nôtre, le Dauphiné, par exemple ; sa réalisation pratique doit donc retenir l’attention de tous ceux qui cherchent la reprise des affaires.

Un syndicat d’initiative est une chose d’autant plus facile à créer que la question financière sera résolue à l’avenir par les ressources du produit de la cure-taxe ou taxe de séjour ; à côté de quelques bonnes volontés il suffit de deux ou trois hommes d’action disposant d’une certaine liberté. Ces éléments se rencontrent heureusement partout en Normandie et il n’est ni un conseil municipal, ni un conseil général, ni une chambre de commerce qui refuserait de subventionner une œuvre éminemment profitable au commerce local et régional, si le rôle des syndicats d’initiative était mieux compris.

On ne saurait trop dire en effet que l’industrie du tourisme est à la base de toutes les grandes industries de luxe ; elle favorise à la fois et la mode et les arts, la bijouterie et la photographie, l’hôtellerie aussi bien que l’automobile ; elle est une source de richesses pour nos villes d’eau, et nos plages ; enfin c’est elle qui occasionne le plus grand déplacement de capitaux et procure les bénéfices commerciaux les plus substantiels.

Le secrétaire général de la Fédération normande des syndicats d’initiative fera parvenir aux personnes qui voudraient fonder un syndicat d’initiative un statut type de ces associations. Toutefois, il ne peut exister plusieurs syndicats dans la même localité. Les demandes de renseignements doivent être adressées à M C. Monticone, secrétaire général, à Deauville-sur-Mer (Calvados).

Ces idées sont celles que nous avons toujours défendues et nous voulons espérer que le secrétaire général de la Fédération rencontrera les hommes d’action dont il parle pour l’aider dans sa louable initiative.

Normandie sera toujours heureuse de seconder les Syndicats d’initiative et la Fédération dans tout ce qu’ils entreprendront pour favoriser le développement du tourisme en notre province ; et il lui sera permis de rappeler que longtemps avant que la Fédération des Syndicats d’initiative ne commence son action, elle avait inscrit dans son programme l’article suivant :

Apporter notre concours aux Syndicats d’initiative, en faisant connaître non seulement par des descriptions, mais encore par l’image, les beautés naturelles du pays, ses stations balnéaires et thermales, ses richesses artistiques – la Normandie n’est-elle pas, en effet, le pays des chefs-d’œuvre de pierre – et attirer ainsi les touristes, une des meilleures sources de richesse.   L. B.


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Tout en causant…

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Les Arts se sont toujours quelque peu jalousés. – (Mais, par Apollon ! c’est un alexandrin qui vient spontanément d’éclore sous ma plume, que le lecteur me pardonne, je ne l’ai pas fait exprès) – Si je hasarde cette remarque, c’est que nos architectes de la Seine-Inférieure et de l’Eure viennent, par une manifestation collective, de partir en guerre contre la municipalité rouennaise parce que celle-ci avait manifesté l’intention de débaptiser une vieille rue pour lui donner le nom d’un musicien.

N’en déplaise à la mémoire de Charles Lenepveu, car c’est l’immortalité de l’auteur de Velleda que les édiles de la capitale normande se proposaient de consacrer par l’inscription de son nom avec les dates de sa naissance et de sa mort, au coin de la rue de l’Ecole, je n’hésite pas une seule minute à donner ma pleine et entière approbation à la protestation des architectes.

Je considère comme eux qu’il est regrettable de changer les appellations de nos anciennes rues et d’effacer progressivement tous les souvenirs qui rattachent au passé notre vieille cité, au double point de vue topographique et monumental.

Et cette impression sera partagée, j’en suis sûr, par tous les fervents du « pittoresque », de ce pittoresque curieux qui devient si rare dans les villes transformées par le modernisme utilitaire et prosaïque.

C’est Louis Veuillot, je crois, qui disait qu’il aimait Paris jusque dans ses tares. Sans être réfractaire aux idées de progrès, et tout en comprenant les impérieuses nécessités de l’évolution qui se poursuit dans les diverses modalités où s’exerce l’activité humaine, je serais bien un peu comme le grand écrivain catholique, et j’ose avouer, dussé-je faire bondir d’indignation ceux qui voudraient raser nos vieux quartiers populeux et les remplacer par des voies tracées au cordeau et se coupant à angle droit, j’ose avouer, dis-je, que je ne verrais pas disparaître sans regret les vieilles rues rouennaises dont les noms caractéristiques et évocateurs ont tant d’archaïque saveur.

Sans parler de la rue Eaux-de-Robec qui donnait à Flaubert la vision d’une « petite Venise infecte », comment se résignerait-on à voir effacer du plan de Rouen les indications qui dénomment des rues comme celles du clos des Marqueurs, de Garde-Monsieur, du Haut-Mariage, du Père Adam, du Petit-Mouton, des Fourchettes, du Corbeau, de la Grande-Masure, du roi Priant, ou la place du Marché-aux-Balais.

Certes, ces rues-là, on ne les trouve pas dans les luxueux quartiers ; les maisons qui les bordent sont vermoulues, branlantes et lézardées, leurs murs suintent l’humidité, et le plus souvent la misère ; tant pis, et vive le paradoxe, si c’est un paradoxe, ces rues lépreuses, étroites et noires, où le soleil n’arrive pas à sécher l’eau croupissante entre les pavés mal joints, ces rues-là ont leur attrait et participent, par un effet de contraste, à l’esthétisme de la Ville-Musée.

C’est ce que me disait, sérieusement, mon nouvel ami, le jeune sergent canadien Paul Dumoustier, un de ces jours derniers, où nous avions promené notre flânerie sous la porte Guillaume-Lion et dans la rue des Espagnols.

- Savez-vous, demandai-je à Paul Dumoustier, quelle est l’origine de ce nom donné à la rue des Espagnols ?

Et que d’anecdotes, de souvenirs, sont accumulés dans les interstices de ces pierres rongées par le temps, souvenirs et anecdotes, miettes d’histoires, qui s’effriteraient et tomberaient en poussière, si s’effaçaient les noms des vieilles rues.

- Ma foi non, et je serais bien aise de l’apprendre.

- Eh bien, c’est de l’histoire. C’est là que furent internés, à la fin du règne de Henri IV, des officiers espagnols fait prisonniers dans les Flandres.

- Vraiment !

- Et savez-vous autre chose encore ?

- Quoi donc ?

- C’est d’un de ces officiers espagnols, avec qui il avait lié amitié, que notre Pierre Corneille apprit la légende du Cid Campeador qui lui fournit le sujet de son immortelle tragédie…

Mais me voilà loin de la protestation des architectes normands qui a servi de point de départ à cette causerie à bâtons rompus sur les noms de nos vieilles rues.

Ne sacrifions pas – à Rouen moins qu’ailleurs – ces noms pittoresques qui consacrent tant de curieux et précieux souvenirs de l’histoire locale (et c’est avec ces bribes de la petite histoire que se construit la grande), à la glorification prématurée d’individualités défuntes et dont, quelquefois, le seul mérite est d’être mort. (Je ne dis pas cela pour Charles Lenepveu.)

Et c’est ce qu’ont pensé nos architectes qui, en fin de leur protestation, ont émis le vœu : « Qu’aucun nom de personne ne soit donné à une rue de Rouen avant qu’un espace de cinquante années au moins ne se soit écoulé depuis sa mort. »

Cinquante ans, un demi-siècle !

Ces diables d’architectes, quand ils s’y mettent, en ont de bonnes ; ils savent, ces pince-sans-rire manier la blague à froid avec autant de brio que nos meilleurs humoristes.

Dans cinquante ans !

Mais quelle est celle de nos gloires contemporaines qui résistera à l’usure d’un demi-siècle ?

Henri BRIDOUX.


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FIGURES NORMANDES
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Paul Harel

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A tant de gestes régionalistes, Paul Harel vient d’ajouter celui-ci : Son dernier livre (qui vient de paraître), Devant les Morts (poèmes de guerre), ne porte pas, comme la plupart de ses aînés, la firme de l’éditeur parisien Plon mais celle-ci que je trouve adorable :

EN VENTE
Chez Paul BARIL, Libraire
ÉCHAUFFOUR (Orne)

Echauffour !... « Canton du Merlerault, arrondissement d’Argentan, 1.148 habitants » dit le Dictionnaire National des communes  ̶  l’Echauffour du grand poète Paul Harel, équivalent du Conteville cher au grand prosateur Jean Revel, voire de la provençale Maillane immortalisée par Frédéric Mistral !... Que charme pénétrant je trouve à découvrir ainsi nos bourgades ignorées jusqu’au jour où le génie ou le talent d’un de leurs enfants les signale, en les chantant, à l’adoration des élites ou des foules !

Nous avons assez des « célébrités » viagères fabriquées à la grosse par la capitale. Que reste-t-il de renommées étincelantes, « bien parisiennes », disparues avant-hier ou hier ? Qu’est devenue la réputation d’un Adolphe Belot, pourtant habile, d’un Albert Dubrujeaud, roi de la chronique au temps de l’ancien Echo de Paris, d’un Henry Fouquier même ; où sont les œuvres innombrables de l’amuseur charmant que fut M. de Saint-Geniès, plus connu sous le pseudonyme de Richard O’Monroy ?... Cependant Léon Duvauchel et Ernest Prarond, qui furent sans génie mais non sans fidélité, ont un monument dans leur chère « petite patrie » ; le principal titre de gloire de M. Jean Aicard reste d’avoir fait œuvre provençale ; Victor Gelu est un bronze marseillais plus pittoresque qu’élégant, mais compact et sonore ; et Maurice Rollinat s’est grandi en faisant précéder ses célèbres et baudelairiennes Névroses par Dans les Brandes, en les faisant suivre  par le Livre de la Nature ou Paysages et Paysans et en préférant enfin au piano martyrisé du Chat Noir le croassement des grenouilles.

Bruit monotone et gai claquant sous le ciel clair,

parmi les landes berrichonnes, autour de Fresselines où, taillé par Rodin, un marbre enchassé dans le mur de l’église perpétue le souvenir du poète…

La magie du pays natal est telle qu’il suffit de la sincérité profonde d’un laboureur comme Guillaumin pour nous faire aimer la banalité heureuse de son pays d’Ygrande ou de la naïveté charmante d’un mineur peu lettré comme Mousseron pour nous donner le désir de connaître la poignante tristesse de Denain, et du pays noir, aujourd’hui dévasté par surcroît – ce qui du reste n’empêchera ni Emile Guillaumin, ni Jules Mousseron de se distinguer très vite parmi nos bons écrivains.

Quelle splendeur donc prendra l’œuvre d’un parfait poète lorsqu’il célèbrera une région aussi attrayante que celle où tintent régulièrement et presque ensemble

…………………………....dans les branches
L’Angelus d’Echauffour et l’Angelus de Planches ?

Paul Harel, qui la chanta dans tous ses détails, dans tous ses aspects, en toutes saisons et à toutes les heures, l’a esquissée un jour à grands traits. Echauffour est au centre. Voici les alentours :

« … Du haut des champs, voici la forêt de Saint-Evroul-Notre-Dame que l’aube éclaire ; au midi Planches, cité romaine, au nord Cisay, bourg féodal ; à l’ouest, à perte de vue, le massif bleu d’Ecouves, entre Séez, la ville des évêques, et Alençon, la ville des ducs ; plus loin, Perseigne, que Marguerite de Navarre chevaucha ; plus près, tout près, l’Oullerie, manoir frileux qu’habita Louis Turpin, le gendarme du Roy ; non loin la Tour du château d’où les archers anglais virent venir Duguesclin ; puis l’église gothique et romane que les moines édifièrent ; plus bas Echauffour, sombre et silencieux. »

Voilà. C’est parmi cette splendeur des plantes et des pierres, parmi ces souvenirs tumultueux peuplant un paisible présent, que Paul Harel, descendant d’une très vieille lignée du terroir, naquit le 18 mai 1854. Il connaît les origines de sa famille jusqu’au seizième siècle, comme je connais celles de la mienne, comme tous les français de vieille souche la connaissent, ou s’attachent à la connaître, en un temps où tant d’agités, nés en chemin de fer, promènent leurs valises éternellement bouclées, sans direction, sans but, sans port d’attache, croyant avoir agi lorsqu’ils ont bougé, supposant avoir digéré lorsqu’ils ont parcouru, imaginant s’être accrus lorsqu’ils se sont dépensés.

Normand et poète jusqu’aux moelles, Paul Harel, fils d’avocat, fit longtemps métier d’aubergiste comme son grand-père, « par amour du pittoresque, » dit-il, mais non pas seulement pour cela : par amour d’Echauffour aussi, où n’existe aucun Palais de Justice, par amour du gain certain (instinct normand), par amour de la liberté, du « bien » qu’on sent s’étaler sous le pied et verdir à perte de vue, et sans doute encore,

    En l’honneur d’un bon vin et d’un mets délectable,

enfin pour savourer à loisir cette « gloire paysanne » si normande et si française à la fois, qu’il a su adorablement célébrer dans le sonnet d’anthologie qu’on trouvera à la page 112 de Devant les Morts et qui, dédié à René Bazin, lui a valu un commentaire exquis et nostalgique du bon poète normand Achille Paysant (exilé dans je ne sais plus quelle cité bretonne), un commentaire qui se termine somptueusement ainsi :

Ferme ou château, chaque héritage est un royaume.
Et quel est donc là-bas ce conquérant vermeil
Qui, les bras lourds d’épis et debout sur le chaume
Moissonne en gerbes d’or les rayons du soleil ?

Il fut d’ailleurs un aussi remarquable aubergiste qu’il est un poète remarqué,  ̶  la charité pleine de délicatesse et d’entrain qu’il pratiqua A l’enseigne du Grand Saint-André est à la base de cette « tendresse religieuse » (Ch. Th. Féret dixit) que l’Orne lui a vouée – l’Orne, puis l’Eure, puis la Normandie, puis le monde régionaliste tout entier.

J’ai eu l’occasion, ici même, de louer une œuvre régionale de Paul Harel. Je rappellerai rapidement, la place m’étant mesurée, qu’il faut voir en lui un poète de la grande race. Il écrit dans la langue sobre et solide qui est celle de presque tous les bons écrivains de chez nous, de Malherbe à Maupassant en passant par Corneille et par Flaubert. Sa foi religieuse profonde ne l’empêche ni d’être familier avec Dieu (A) ni de l’adorer dans ses créations les plus agréables (B) :

A) …Ne vont-ils pas, Seigneur, par la même beauté
      Vous émouvoir au fond de votre Eternité ?
      Allez-vous abréger l’épreuve ?
                Je l’espère.
      On peut bien vous parler : n’êtes-vous pas le Père ?

B) … En l’honneur d’un bon vin et d’un mets délectable
      De temps en temps j’élève encor la voix.
      Ah ! faites que bientôt j’arrive à votre Table
      Sobre et mortifié pour la première fois !

                (Devant les Morts.)

Considérez l’effigie de Paul Harel. On trouve dans ce visage sympathique, le menton violent, le poil dru, le regard clair de la race autochtone.

On trouve dans son œuvre durable, non seulement les qualités de facture et d’observation de son premier maître Gustave Le Vavasseur, tant admiré par nos meilleurs lettrés, mais encore, à côté de pièces volontairement très simples comme le poignant Magloire de son dernier recueil et de sévères magnificences confinant à l’immensité de celles de Milton – comme cet exorde d’une Invocation à saint Michel :

Archange le plus grand de tous, Miroir de Dieu,
Prince, dont les neuf chœurs voient la puissance et l’ordre,
Toi qui bats l’infini de tes ailes de feu
Et foules sous tes pieds le dragon qui veut mordre,

Gigantesque lutteur, divin prédestiné
Qui rejetas Satan et ses noires malices
Et fis, avant les temps, sous le Verbe incarné
S’incliner avec toi les fidèles milices ;

Toi qui vins jusqu’à nous avec le souffle amer
Du vent salin qui gronde et flagelle la Côte….

̶  à côté de splendides cris patriotiques et d’émouvants récits de grandes chasses, de ravissants paysages, de la douleur tellement sincère qu’il nous la fait partager, des rêveries de grand style, d’alertes croquis, de longs romans et de courtes nouvelles, des discours pleins de substance et des badinages pleins d’esprit, de la noblesse et de la familiarité, enfin le plaisant et comique mélange d’orgueil et d’humilité (tous deux excessifs) qui nous caractérise tous, ou presque tous, et qu’il a si joliment exprimé ainsi :

Seigneur, vous connaissez mon goût pour les éloges :
    Les plus grands sont les mieux venus.
Nul ne lira mon nom dans les martyrologes
    De ceux qui se sont méconnus.

Barbey d’Aurevilly, Gustave Flaubert, Guy de Maupassant, Jean Lorrain, Albert Boissière, Arnould Galopin, cent autres normands ont dit cela autrement, et nos armateurs depuis Ango, l’ont toujours pensé comme nos marchands les plus riches et nos paysans les moins cossus.

Que d’indications devraient encore trouver place dans ce propos ! Mais il me faut finir.

Les dominantes de l’œuvre de Paul Harel, me semblent être, dans l’ordre : La Normandie, La Forme, La Foi.

Quelles que soient nos disciplines mentales, nous devons nous féliciter de posséder en lui un grand poète normand et un grand poète français à la fois.

Georges NORMANDY.


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Le Temple (1)
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                        A Mademoiselle Suzanne Loppé.

    Dans le fracas de la mitraille,
    Les poilus chantent leurs chansons :
    Couplets mûris dans la bataille,
    Griffonnés au pied d’un caisson !

    Narguant la Mort qui les regarde,
    Ils parlent du beau Lendemain…
    Cependant l’ennemi canarde,
    Fauchant les Espoirs incertains !

    Ce qu’il leur faut, c’est la Victoire !
    Morts ou vivants ils l’obtiendront :
    Morts, ils auront connu la Gloire :
    Vivants, ils la préserveront !

    Sont-ils beaux les soldats de France ?
    Rageurs devant les coups du sort,
    Ils vont au but sans défaillance
    Et ne vivent que pour l’effort !

    Le père et le fils sont ensemble,
    Ayant un idéal commun !
    Le fort soutient celui qui tremble,
    Et leurs deux cœurs ne font plus qu’un !

    Salut ! Rêveurs infatigables,
    Martyrs qui luttez pour la Foi,
    Héros fiers et impitoyables
    Pour ceux qui méprisent la Loi !

    Vous êtes le plus bel exemple
    Dont se fortifiera l’enfant !
    ̶  L’humanité doit bien un Temple
    A l’idéal qui la défend ! –

    Les ruines seront les pierres
    Qui serviront à l’élever !
    Chaque trou sera de Lumière !
    O Miracle !... O Temple rêvé !

                    Gaston DEMONGÉ.

____________
(1) Dit au concert de l’œuvre des Jardins Potagers Militaires, donné au Théâtre des Arts, à Rouen, le 20 août 1918, sous la présidence de M. Lormier, président du Syndicat d’agriculture de la Seine-Inférieure.




Un Joli Coin Normand

(FRAGMENTS)
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                            A  M. Paul Harel.

Salut monts du Lieuvin, collines du Roumois
Où biches et chevreuils rappellent les chamois.
Salut site normand, arrosé par la Risle,
Qui ne possède pas d’ingrat terrain stérile !

Que belle est ta vallée et que verts sont tes prés,
O Risle sinueuse, aux reflets diaprés,
Quand l’aurore au matin s’y mire, toute rose,
Quand s’y baigne le soir quelque reflet morose !

Couronnés de grands bois, piqués de gais châteaux
Combien sont gracieux les verdoyants coteaux,
Frais remparts naturels de splendides prairies
Où l’on vit rarement des loups cherchant frairies.

Là, sans craindre l’hiver, les autans en courroux,
Des vaches, des chevaux, même « les grands bœufs roux »
Vont puissant, ruminant, parfois à cœur d’année,
Oublieux de l’étable et de l’herbe fanée.

J’aime de tes hameaux les rustiques maisons,
Tes usines aussi qui dans toutes saisons
Mettent leurs points brillants, étoiles de la terre,
Aux coins laborieux où la nuit fait mystère.

J’aime les frais matins, le calme de tes nuits,
Le parfum de tes foins, la saveur de tes fruits,
Et de tes peupliers, la plainte, ou le murmure,
Lorsque le vent du soir agite leur ramure.

Goûtez le cidre pur : ce jus frais et vermeil,
Venant des pommes d’or que murit le soleil !
Buvez le bon lait doux, tout savoureux de crème.
C’est le fard des normands : ils n’ont pas le teint blême.

Et puis vous me direz s’il est plus beau pays,
Coteaux plus giboyeux et nectar plus exquis
Que ce qu’on trouve ici, chez nous, en Normandie,
Et que montrent sans art ces vers que leur dédie

                        Princesse Bruyère.



Paysanne
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A l’école de la nature
Elle apprit du cœur et des yeux,
Et connaît ce qui passe et dure
Dans le village et sous les cieux.
   
Du destin de son âme humaine,
Le secret ne l’irrite pas :
Elle va comme Dieu la mène
Sans chercher plus loin que ses pas.
   
Elle sent bien que tout s’arrête
Au grand lit d’immobilité,
Et que la vie est une fête
Unique dans l’éternité.

« Sur la terre, de bonnes choses,
Dit-elle, Dieu nous a comblés :
Regardons éclore les roses,
Et, le temps venu, cueillons-les. »

«Comme elle dit, on la voit faire,
Et les fruits mûrs de son jardin,
Pêche suave ou poire amère,
Sont tendres à sa grande faim.

Sans rêve d’étoile ou de lune,
Sans égoïsme raisonneur,
Elle possède la fortune
Et tient enchaîné le bonheur.

(L’almanach désuet.)

            Gaston LE RÉVÉREND.


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Nous avons la bonne fortune d’offrir, ci-dessous, à nos lecteurs, des vers inédits de notre confrère poète G. de Colvé des Jardins, ancien rédacteur en chef de la « Revue des Beaux-Arts et des Lettres », et du « Correo de Paris », vice-président d’honneur de la Société française de Paléologie ; auteur d’un célèbre recueil de poèmes en langue du quinzième siècle : « Les Oberliques », d’une adaptation du « Médecin-volant » de Molière, jouée au Théâtre Artistique, d’une désopilante étude de bas bleu, « Madame Duveau d’Esquares » et de quantité de vers et de nouvelles, qui ont été insérés dans de nombreuses publications.

Il n’est pas indifférent de rappeler ici que notre nouveau collaborateur descend d’une famille normande, les Eudes (de Tourville, de Collevé, alias Colvé, des Jardins, de Rayville, etc.), dont l’existence est constatée, dès le treizième siècle, par les chartes conservées dans les archives du Calvados. Il est donc bien de « chez nous »  ̶  et nous tenons à le féliciter de ne l’avoir point oublié. – N. D. L. R.

Rédemption (1)
_____

Tu passeras, époque infâme, orde et sinistre,
Epoque des cœurs durs et des âmes sans foi,
Règne de la bassesse où triomphe le cuistre.

Trop longtemps asservis par ta fune te loi,
Trop longtemps étouffés dans ta vile fournaise,
Les justes clameront anathème sur toi.

Ils materont la tourbe impudente et niaise
Des rhéteurs criminels, bourreaux du rêve ancien,
Qui s’acharne à prêcher la parole mauvaise.

Négation de tout par ceux qui ne sont rien,
L’athéisme mourra : plus d’ombres, plus de voiles
Entre les êtres bons et la source du bien.

Le Maudit renié séchera dans ses moelles,
Ses suppôts se tairont ; le temps sera fini
Des fous qui se targuaient d’éteindre les étoiles.

Les fortunés tendront, en un geste béni,
La main aux parias. La Science fétiche
Ne suffira plus seule au monde rajeuni.

Le cœur du malheureux ne sera plus en friche ;
Noble, il rejettera de son fardeau trop lourd
L’horreur de l’existence et la haine du riche.

Et les hommes ravis verront surgir un jour
Sur leurs fronts purs, levés vers la clarté première,
Levés vers ta splendeur, ô Christ, ô Dieu d’amour,

Une aurore d’espoir, de joie et de lumière.

                G. DE COLVÉ DES JARDINS.

______________
(1) Ces terza rima ont été écrites en 1914, avant l’éclosion du sublime mouvement de patriotisme, de réelle fraternité et de relèvement moral qui, depuis quatre ans déjà, pour la France et ses alliés, semble justifier la pensée qu’elles expriment. – G. DE C. DES J.



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UN POÈTE NORMAND
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Alphonse-Eugène Lemaresquier

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Le 14 mai dernier, est décédé à Cretteville-en-Bauptois, Alphonse-Eugène Lemaresquier, poète patoisant, peu connu, malheureusement, qui a laissé des poésies pleines de charme dont quelques-unes ont paru jadis dans le Bouais-Jan et parmi lesquelles nous nous faisons un devoir de publier L’Vus Moulin à veint du Bauplouais.

« Lemaresquier, écrit notre confrère Raoul Le Méland, dans le Journal de Coutances, ce saxon de Normandie, selon l’expression même de son maître et ami Louis Beuve, fut un vrai poète de chez nous, aimant éperdûment son Bauptois, qu’il exalta de toute son âme. Il fut un ami fidèle des fleurs, qu’il cultiva et chanta avec amour ; il adorait la campagne et la solitude où, seulement, il se sentait vivre et pouvait respirer à pleine poitrine. Les nuages blancs qui glissent dans le ciel, le bruissement des feuilles, les prés verts baignés au loin dans la brume, l’odeur grisante des simples inclinaient vers l’attrait prestigieux d’un inconscient panthéisme cet amant éperdu de la nature, ce doux rêveur, sans cesse attentif à surprendre les divins murmures, les sublimes métamorphoses de la végétation.

« Nous pensons bien pouvoir un jour, peut-être prochain, donner aux amis des choses de chez nous quelques-unes des œuvres inédites de celui que nous pleurons, comme un des bons et vrais poètes de notre agreste Cotentin, regrettant que sa modestie, jointe à une timidité native, lui ait fait jalousement cacher tant d’autres pièces exquises qui, ainsi que celles déjà livrées au public, auraient leur place bien marquée dans une anthologie du pays normand. »


L’vus Moulin à Veint du Bauptouais

(Patois du Cotentin.)

L’vus moulin de Biaivent, ès Laindelles,
Bi conneu d’nos geins du Bauptouais,
N’mountrera pus guère sa tourelle,
Sûs l’côtis, au bord des marais.
Malgré la piyîr’ du bounhomme,
L’z’héritis du vûs Thouminot
Ont d’cidâé de l’abattre – (En somme
Pour yeux cha n’était pas l’gros lot !)

Et chenna, sains se douter que l’teimps
S’s’rait bi chergi, à li tout sou,
Dévalingui à tous les veints
Jusqu’à san pour dergni caillou !
Man pour vus moulin ! Chaque annâe,
Bi d’aîtes comm’li, hélos ! s’en vont,
Renversés par la même poussâe
Que l’vus monet et que l’vus pont.

Sus sa butt’ fleurie de poum’rolles,
Haôt caimpé au d’sus des poumis,
No l’viyait d’la Londe-ès-Bréholles
Par tous les qu’mins, tous les sentis !
Et, quaind j’allions à « La Muguette »,
Aôt’ fais, quaind je passions au pi,
Not’ graind pèr’ butait sa quérette
Pour mûs nous laissi le guetti.

No racontait, sous la chimm’nâe,
Qu’no viyait parfais, à maingni,
Eunn’ bell’ dam’ biainch’ tout’ épourâe,
Pieurer auprès de s’ n’écali.
Ch’était la d’mouézelle de la Fire
Qui trachait de mess’ pour rachtâer
La mort d’eunne jolie mounire
Qu’oul’ avait fait décapitâer.

Le progrès a figui ses ailes,
Ses grainds bras étendus en crouet
Qui tournaient, la gnit, sous les tailes
Endiabiées d’la « bête Oripet »
Le norouais hurle en graind’s veintâies
Coumme aut’ fais à faire tout craqui,
Mais dépis qu’sont parties les faies
L’pour vûs moulin s’est assigi…

Un été, taindis qu’ès Viv’s-Terres
Les froments c’ qu’emchaient à jaîni,
Sous l’gros if, près d’la crouet d’pierre
L’vus mouni, usé, fut couchi.
A muche-pot, derrire la quesnâe
Qui bordait la piche du moulin,
La dergnire mule r’vint d’sa tournâe
Avé l’dergni sâ d’serrasin !

Car, sûs terre, hélas, tout passe,
Goublins, visions, moulins itou !
Achteu de sa pourn vûle carcasse
No n’vait pûs bitot ri’ n’en tout !
Les ronches et la pariétaire
Tapissent ses restes crailaints
Y où qu’les hu-hants, à la gnit naire,
Font tremblii d’pous tous les passaints.

Aveuc toutes leues belles machaines,
Les bounnes gens du teimps d’achteu
N’ont même pas piti d’ses ruaines
Et méprisent jusqu’à sa fieu.
Pourtaint, no vaintait sa mouture,
Coumm’ la meilleur’ de tout l’Bauptouais
Et, tcheu nous, pûs d’eunn criyature
Faisait d’aveu, san chouesn’ des Rouais !

Combi n’nos pères y sont v’neuns moudre
Duraint troîs sîcles et pûs hélas !
L’long d’sa cache ombragie d’coudre,
Que d’frinots ont sumé leus pas !
Qu’y fussent d’ava ou bi d’amont,
No les disait fins coumm’ belette.
Y’avait Bonot, l’tortu de Biaimont,
Colin l’sorchi, Giaimin, Taîpette….

Confondeu d’fieu jusqu’au bounet,
L’moucheux noué sus la poitraine,
D’aveuc san biaidot d’roguet
Coumm’ Jain d’Biaivent avait bounn’ maine !
Quaind y passait par les maisons,
Li qu’avait lû certains « grimouaires »
No s’y prenait d’toutes les féchons
Pour li fair’ conter des histouaires !

Tout est désert sur la collaine
Et silencieux coumm’ dans un bouais.
San tic-ta qui battait à pouène
Un matin, s’est teu à jomais.
Le vent pieure dans la querryire
Depis l’jou qu’ses dergnis frinots
Ont emportâe dans l’vûs chym’tire
L’zairs qui chantaient en b’vaint un pot !

Même au r’nouvet, ah ! qui minsère !
No n’vait personn’ dains les bissons !
Pourtaint, l’bouais jain et la brière
Sur la butt’ fieuriss’nt à foison !
Mais l’vûs moulin n’est pus d’la fête ;
Et l’z’ainciâns, en l’viyaint coumm’ cha,
Murmurent, tout en brainlaint la tête :
« Ch’est l’restaint du bon temps qu’ s’en va ! »

                A. LEMARESQUIER.

Toulon, 20 décembre 1904.


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Un Honnête Homme

UN ACTE EN PROSE

(Suite)
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SCÈNE IV


RAYMOND ET MARGUERITE, SEULS.

(Restés seuls, un long silence s’établit entre eux, peuplé de jeux de scène sobres où, peu à peu, ils s’enhardissent. Leurs regards se heurtent d’abord, puis se fondent, puis se pénètrent. Ils veulent dissiper ce silence gênant. Ils parlent et disent, d’abord, un peu n’importe quoi.)

MARGUERITE. (Douloureuse.)

Ils sont drôles, n’est-ce pas ?...

RAYMOND.

Drôles !... Vous êtes indulgente. Moi je les trouve…

MARGUERITE. (Vivement.)

Je vous en prie…

RAYMOND.

Vous... ? Soit, je ne dirai pas le mot. Mais je ne puis vous cacher mon indignation. (Geste de Marguerite.) Ah ! laissez-moi parler, je vous prie à mon tour ! C’est un besoin : il faut que je dise à haute voix ce que je pense !... Je me suis trop longtemps contenu. J’étouffe à la fin !

MARGUERITE.

Calmez-vous !

RAYMOND. (Impétueux, continuant.)

Laissez donc ! Je traduis ce que vous pensez. Ah ! ils sont bien pareils l’un et l’autre, Druard et Druard fils de Druard. Génération d’hommes d’affaires, d’âmes d’affaires… Certes, quand nous étions au collège, et plus tard même, Germain ressemblait assez à son père, mais il avait pour lui de la jeunesse, de la spontanéité ; il vivait et il vibrait encore… Non ! je n’aurais jamais cru qu’il pouvait devenir ce qu’il est aujourd’hui.

MARGUERITE. (Triste.)

… Un honnête homme…

RAYMOND. (Amer.)

Oui, un honnête homme !... Oh ! je vois bien dans vos regards une stupéfaction qui s’accentue : cela vous étonne évidemment que je parle ainsi de mon meilleur ami devant son épouse et pendant son absence. Mais, je vous le répète, si Germain est trop mon ami pour que je ne lui reconnaisse pas de grandes qualités, il vient aussi de se montrer tellement pareil à son père, que je souffre atrocement de sa métamorphose continue… Ce qui s’ébauchait naguère s’accuse à présent… Pendant qu’il parlait tout à l’heure, je l’ai trouvé si loin de moi…, si loin de moi…, je l’ai vu si irrémédiablement transformé que…

MARGUERITE. (Avec effort, protestant « par devoir » seulement.)

Mais Monsieur Favier…

RAYMOND. (Se ressaisissant, redevenant un peu blagueur.)

C’est vrai… Je déraillais… Mais ne m’en veuillez pas, je vous en supplie, d’avoir dit, devant vous un peu… beaucoup de mal de la vertu.

MARGUERITE.

Je ne vous en veux pas… Et puis… il ne faut pas garder rancune non plus à Germain, vous !... Ce serait très vilain…

RAYMOND.

Pourtant…

MARGUERITE.

Et puis ça me ferait de la peine.

RAYMOND.

Je vous ai donc fait de la peine tout à l’heure ?... Oh ! dites-moi que non, car je serais navré… navré… en un pareil moment…

MARGUERITE.

Quel grand enfant vous faites !... Vous savez bien… Nous ne nous connaissons pas d’hier, bien que vous aimiez à vous oublier durant de longs mois dans je ne sais quels pays légendaires du Nord… Je vous connais assez pour que vos paroles ne me peinent pas. Vos intentions, votre caractère dissiperaient toute équivoque s’il pouvait s’en créer une…

RAYMOND.

Merci. Que vous êtes bonne de rappeler un peu le passé, l’autrefois !...

MARGUERITE. (Les yeux brillants.)

Ça me change un peu…

RAYMOND.

D’atmosphère… n’est-ce pas ?

MARGUERITE. (Riant avec effort.)

Oui… (Un temps.) J’en conviens : Germain a quelques idées fixes – une surtout, à mon égard… mais je sais qu’il ne veut que mon bonheur.

RAYMOND.

Il vaudrait mieux pour vous, certes, qu’il fût moins soucieux de votre joie… Il y a des bienfaiteurs qui… Ecoutez. Vous n’ignorez pas que si j’ai pu suivre ma vocation d’artiste, ce ne fut pas sans vaincre des difficultés de tous ordres. Vous n’avez jamais connu, au temps où les salles vous acclamaient, que le Favier bienheureux, le Favier d’hier…

MARGUERITE.

Et d’aujourd’hui.

RAYMOND. (La fixant.)

Non… (Un temps.) Celui dont un critique officiel écrivait à propos du dernier Salon : « C’est l’un des plus curieux tempérament que je connaisse, l’un des plus…, etc… » Vous connaissez cette pommade… Mais il y eut naguère, au temps de mes dix-huit ans, un autre Favier… pas « Poil-de-Carotte » pour deux sous, mais au moins aussi malheureux que le gosse de Jules Renard. Voici l’histoire, d’ailleurs : elle n’est ni très neuve, ni bien originale ; elle est exacte, rien de plus. C’est celle de la plupart de mes pareils. Et maintenant, je deviens l’aïeule qui va raconter quelque chose, le soir, à la veillée… (Il transporte son siège tout près de Marguerite.) Le premier indice de ma vocation se manifesta vers ma sixième année. Ma bonne ayant laissé sur une chaise un épouvantable chapeau à plumes qui lui seyait comme un haute-forme à Raymond Favier, je marquai mon indignation d’artiste à grands coups de ciseaux et j’éparpillais les plumes avec un art… impeccable. Je reçus une correction… méritée. Or mon oncle affirma gravement que je serais chapelier… « Ou tondeur de chiens », gronda mon père. Puis il ajouta avec une assurance qui m’éblouit comme une prédiction : « Il sera ingénieur comme l’ami Druard. C’est un bon métier et avec nos relations… » Bref, à seize ans, ayant épaté mes divers professeurs de dessin j’exprimai le désir de me spécialiser en vue de la carrière artistique. Ma proposition fut admirablement accueillie…

MARGUERITE.

Alors ?...
RAYMOND.

On me défendit de dessiner, de faire des croquis, d’ébaucher n’importe quoi se rapportant à l’Art. J’avais sollicité des cours de dessin. J’obtins des bouquins de mathématiques, plus un espionnage constant et, par surcroît, des admonestations périodiques pour stimuler mes assiduités auprès des X, des cosinus et des courbes gauches…

(A suivre.)

GEORGES NORMANDY.

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PAYSAGES NORMANDS

Saint-Martin-de-Boscherville
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… C’est la charmante salle capitulaire
demi-gothique de Bocherville, à laquelle
la couche romane vient jusqu’à mi-corps…
       
                                V. HUGO.

(Notre-Dame de Paris, Liv. 3, chap. I.)


MAROMME…. Les hautes cheminées des usines dessinent des banderolles fumeuses dans la vallée, où l’on entend le ronron des roues qui tournent sous l’active avalanche des eaux des riviérettes….. La brume cache les collines ; c’est un voile qui dérobe d’abord comme de beaux corps, mais une main mystérieuse le soulève, et le soleil dore alors les croupes des collines – nymphes géantes endormies… La route court au flanc des coteaux couronnés de rangées d’arbres ; elle court ainsi longtemps jusqu’à Bapeaume, pays industriel, où l’on recommence à trouver les Anglais actifs… Sur le petit pont d’une rivière deux tommies s’amusent fort à jeter du pain à des canards !... On traverse Bapeaume, puis c’est la montée en colimaçon vers Canteleu, nom dont l’assonance rappelle la vie d’un moyen âge où l’on entendait, dans la forêt « canter les leus » !

Les camions chargés de bois en grume dévalent, freins serrés, et, bientôt, sur la gauche, Rouen apparaît… Toute la vie frémissante du port : les bateaux à quai, la multitude des grues ; les gros remorqueurs au sifflet impérieux, sillonnent, infatigables, le fleuve… Puis le gros de la ville : les trois églises, d’abord la Primatiale dont les deux tours, par un bizarre effet d’optique semblent changer de place, tourner autour de la flèche d’Alavoine qui prend les allures épiques d’une lance dressée ; Saint-Ouen-la-Couronnée, à la tour ajourée, comme le bonnet que portait grand’mère ; Saint-Maclou à l’unique flèche sculptée…. Au premier plan, presque sans transition, tout contre la ville, d’immenses champs… La moisson est faite… Les gerbes sont accouplées sur la bande jaune… Des vaches paissent dans une prairie en fleurs, et leur gardien siffle, enfoui dans les herbes… Curieux effet d’estampe, comme on l’aimait au dix-septième… Il y manque les deux philosophes à la Jean-Jacques…. De Canteleu, la vue sur Rouen est d’une totale beauté. La ville se ramasse autour des églises plus que jamais, en un bloc et les détails s’abolissent dans les fumées ; une ville respire sur les bords d’un fleuve qui, jadis, creusa son lit, au flanc des collines.

Nous sommes allé nous reposer dans l’église de Canteleu, sur un vieux banc normand modestement sculpté, mais beau dans la sobriété des lignes, et beau par ses accoudoirs usés par les bras appuyés des paysannes… Pures émotions !

Désormais, la route s’enfoncera dans la forêt du Roumare, nom évoquant Rou, premier titulaire de la Duché…. Ce matin, dans la forêt, des soldats abattent les arbres magnifiques, mais c’est pour sauver… le fief ! Nous marchons ainsi longtemps sur la route déserte, odorant les fragrances des pins, puis la route se déroule comme un phylactère, abandonne la forêt, débusque, surplombant un pays : Saint-Martin-de-Boscherville ! Et l’abbaye apparaît, ses flèches tournées vers la Seine invisible, au pied des collines lointaines…

Quand on arrive dans Jumièges, l’on ressent une impression de tristesse : est-ce le vent qui, gémissant, dans le croassement des corbeaux, autour des deux tours puissantes et sévères, provoque cette tristesse ? Mais ici, à Saint-Martin-de-Boscherville, le pays est souriant, et les pauvres maisons ne paraissent point s’étonner de vivre au pied d’une basilique… En vérité, elles ont sauvé l’abbatiale de la destruction ; elles en sont restées les vassales dévouées… Ce ne fut pas comme à Jumièges… On suit longtemps la rue principale, bordée quand on parvient aux anciennes dépendances de l’abbaye, par les murs de clôture à contreforts, murs assez épais pour que des habitations y soient installées… Enfin, voici l’église sur la petite place… On entre : quelle impression de force tranquille, et d’ambiance carolingienne ! Le dallage est grossier, et usé par quels pas d’hommes d’armes ? A la croisée, le regard, éperdu, cherche un appui sous la lanterne, et ce pauvre regard pour revenir au sol sans vertige, s’accroche banalement à la corde des cloches !

Peu de mobilier, si ce n’est un pompeux confessionnal du dix-septième… Cette nudité plaît, et l’on a assez à faire à considérer les sculptures des chapiteaux pour lesquels l’artiste a su mettre à profit ses connaissances de la faune, de la flore, et de l’âme humaine…

Au midi, une chapelle fut décorée de peintures qui ont peut-être le même âge que le confessionnal, mais l’humidité les a rongées… L’autel affreux, de cette chapelle, consacré à Saint-Joseph, porte cette inscription : Ite ad Joseph… Et nous, nous allons à la basilique ! Raoul de Tancarville, Grand Chambellan du Conquérant, en ordonna la construction. Elle fut dédiée à Saint-Georges. On la situa sur une hauteur devant le fleuve qui, en un temps, dut venir battre les murs de l’immense pourpris, si bien qu’aujourd’hui l’on s’étonne de voir l’abbaye si loin de l’eau… Ces boucles de la Seine arrosèrent – voire mirèrent – de bien jolies choses. Elles arrosèrent ces collines dont les carrières fournissaient la pierre pour des abbayes entières. Ainsi les pierres des abbayes furent d’abord le lit somptueux du dieu des Eaux… Elles glorifièrent ensuite le vrai Dieu comme les anciennes statues du Paganisme devinrent les statues de saints et d’évêques devant lesquels s’inclinaient les fidèles du Christ… A travers la fenêtre de l’auberge, devenue ainsi un vitrail unique, nous pouvons considérer cette pierre cuite à point, dorée par le soleil, et la montée des deux flèches de pierre de la plus belle époque du treizième siècle, accostées de pinacles, et flanquant un grand pignon… Quel éblouissement le jet à la fois si puissant et si gracile de ces flèches que le maître-d’œuvre lança comme une prière plus ailée, plus dégagée vers le ciel. La transition entre un roman sévère et un gothique qui en garde encore la sévérité s’affirme nette, et un écrivain mystique qui compara un jour le roman à l’Ancien Testament et le gothique au Nouveau pourrait ici surtout reprendre son image…

Une cloche sonne !... C’est l’Angelus !... O mon pays !... Collines si florissantes, si généreuses de moissons dorées, pommiers aux âpres branches, mais si chargés de fleurs, c’est-à-dire de pommes ; rivières laborieuses, vieux chaumes, forêts profondes où semble retentir encore la chasse endiablée des ducs ou de quelque Saint-julien ; vents mugissants comme des orgues qui donnent la vie à la plaine ; villes sévères groupées sur les monts ou chantantes dans les vallées ; villages accrochés au flanc fécond des collines, vastes prairies où les vaches paissent, paisibles, et vous abbayes, dont il ne reste plus que ruines ! Il est venu des cataclysmes dans le vol prodigieux des siècles… Et les années fuient, dans les temps emportant sur leurs ailes, le souvenir des us et des coutumes... Solitude qui fait si tristes les abbayes…

La nef de Saint-Georges-de-Boscherville tend maintenant les bras pour six cents âmes ! Nous aurons encore su, par notre enfance, la bonne vie d’autrefois des abbayes, par ceux qui ont connu les hôtes de Saint-Wandrille, ou les jours de fête du Loup-Vert dans les ruines de Jumièges… Mais ils disparaissent à leur tour, pour l’éternité, et leurs logis sont devenus des granges !

Saint-Georges, patron de la nef, combattez-vous aussi, dans votre armure d’argent, pour le pays de France ?

J’ai repris la route… L’abbaye apparaît une dernière fois à travers un rideau d’arbres… La belle flèche qui somme la tour-lanterne, les deux flèches en avant-garde tournée vers le fleuve… C’est une châsse entre la forêt et l’eau, et Saint-Georges y repose endormi, dans son armure d’argent !...

Maintenant, la route file à travers la forêt du Roumare. Elle est toujours une longue banderolle sortie du chœur de Saint-Georges-de-Boscherville…. Ainsi que dans les livres d’heures, elle s’arrêtera à la ville prochaine, qui est la ville des cathédrales, et je suis le pèlerin barbu qui la suit, fidèle… Saint Georges, levez-vous dans votre armure d’argent, et venez férir de beaux coups pour la délivrance du beau pays de France !

    Maromme, août 1916.
                           
Gabriel-Ursin LANGÉ.



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Nous commencerons, dans notre prochain numéro, la publication d’une curieuse étude d’un de nos amis, Louis Gamilly, sur une petite ville normande : VERNON.

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ÉCHOS ET NOUVELLES
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L’Académie française, tant plaisantée, fait quelquefois bien les choses… Eh ! oui ! n’en déplaise à notre spirituel confrère Ernest-Charles !... Elle a accordé le Prix Charles-Blanc à M. Hardy pour son ouvrage intitulé la Cathédrale Saint-Pierre-de-Lisieux (ci… 500 fr.)… Mais une autre de ses décisions nous cause une vraie joie… Elle a, comme on sait, décerné à M. Auguste Bunoust le prix de poésie Le Fèvre-Deumier (1.000 fr.) par moitié, pour son admirable livre : Les Nonnes au Jardin ! Le poète Auguste Bunoust est déjà bien connu. Demain, il le sera plus encore. C’est un grand talent qui se lève au ciel de notre Normandie… Et n’oublions pas à tresser aussi quelques couronnes à la Revue Normande qui publia ses premiers poèmes ; à ses directeurs : Raymond Postal et Pierre Préteux.

J’ai lu, dans même Revue Normande, un article du docteur Tulasne sur Saint-Ouen et son abbaye. M. Tulasne y fait montre d’une érudition fort agréable, mais il me permettra de lui chercher noise – oh ! un tantet ! Car je l’ai lu à fond… Ainsi, parlant de la déviation de l’axe des églises, il explique qu’il ne faut pas y attacher, quant au point de vue symbolisme, d’autre importance… Il a raison ! Ce sont là d’ailleurs les excellentes théories de Lasteyrie, qui, quoi qu’en dise Huysmans, sont logiques. Le chœur des églises gothiques dévie, en effet, aussi bien à droite qu’à gauche, et ne saurait indiquer absolument le mouvement de tête du Christ expirant, le visage uniquement tourné vers le Nord… Mais M. Tulasne, quelques lignes plus loin, nous parle du bénitier de Saint-Ouen sur lequel s’inverse la voûte de l’église, et il découvre là une idée symbolique !... Il faudrait s’entendre… Et j’attends une explication de M. Tulasne sur la non-présence dans les autres églises d’un pareil bénitier ? Ou alors, l’auteur, qui ne croit pas au symbolisme, y croirait tout de même ?

Le Ministre de l’Instruction publique et des Beaux-Arts a pris d’excellentes mesures quant au musée de Rouen, menacé par d’éventuels bombardements. Et, d’autre part, les vitraux de l’église primatiale, les vitraux de Saint-Ouen, de Saint-Patrice, ont été déposés. Ces travaux, extrêmement délicats, ont été accomplis par les soins des maisons G. Marein, G. Simon, et Boulanger. C’est tout un admirable ensemble qu’il était opportun de soustraire au danger, tout un travail inestimable daté depuis le treizième siècle jusques au dix-huitième siècle…. Enfin, pour ce qui est de la cathédrale, c’était un pieux devoir aussi de mettre hors d’atteinte le vitrail devant lequel Gustave Flaubert est venu rêver, ce « vitrail d’église » désigné, sans plus, comme un « vitrail d’église, dans mon pays… »

Revenons sur Sainte-Débarras. Un lecteur-pèlerin passionné des choses belles et curieuses, nous écrit que Sainte-Débarras est encore toute puissante. Et il put remarquer, lors d’un assez récent voyage à Beauvais, une plaque de marbre clouée à l’autel de la sainte… Il lut : « RECONNAISSANCE ÉTERNELLE. – MAI 1915. » C’est là un culte fervent, et, à tous égards, il importe, plus que jamais, de préserver cette sainte utile.

G.-U. L.

LA DISTILLATION DES CIDRES INTERDITE PENDANT DEUX MOIS

Sous ce titre, le Nouvelliste d’Avranches a publié l’entrefilet suivant :

« Un décret rendu sur la proposition du Ministre de l’Agriculture et du Ravitaillement, interdit la distillation des cidres pendant la période du 15 juillet au 15 septembre 1918.

« Cette prohibition a été rendue nécessaire par l’augmentation considérable des quantités de cidre allant à la distillation. La distillation des cidres a produit 10.439 hectolitres en 1915 1916. Elle donnait, pour la campagne en cours, à la date du 1er mai, 68.66[1] hectolitres.

» L’alimentation en cidre des départements de l’Ouest se trouvant ainsi compromise, l’administration du Ravitaillement a été obligée d’intervenir, d’autant plus que la récolte des pommes sera probablement déficitaire. Par la mesure prise, on espère parvenir à réserver pour la consommation directe un million d’hectolitres de cidre, qui auraient été absorbés par les alambics.

» Il y a trois mois qu’on eût dû prendre cette mesure. Aujourd’hui, on a distillé tant et plus dans certaines régions et la conséquence en a été la hausse du prix du cidre, à un tel point que celui-ci va devenir une boisson de luxe, dont beaucoup de ménages devront se passer. Pendant que les uns auront de l’alcool plein leurs celliers, d’autres boiront de l’eau.

» Ce n’était vraiment pas la peine de nous mettre sous les yeux des affiches qui représentent l’alcool comme un des principaux agents de la tuberculose, pour laisser, à côté, les alambics absorber la majeure partie des boissons hygiéniques. »

Nous ne pouvons qu’approuver notre confrère et déplorer avec lui, qu’en même temps qu’on encourage les Sociétés d’action contre l’alcoolisme, on favorise la distillation du poison.

A ce propos, nous nous faisons un devoir de signaler une petite brochure intitulée : Conférence antialcoolique (1) qui reproduit une conférence que M. le docteur Boucher, conseiller général de la Seine-Inférieure, a été chargé de faire aux troupes du camp retranché de Paris, par M. le Directeur du Service de santé.

Cette brochure devrait être répandue dans toute l’armée et pourrait être lue et commentée avec profit dans nos écoles.

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(1) Berger-Levrault, éditeur, 5 rue des Beaux-Arts Paris.



UNE HÉRÉSIE RÉGIONALISTE

Un bon point à M. le Ministre des Beaux-Arts qui, par décret en date du 12 juillet, a donné raison à la réclamation, contenue dans notre dernier numéro, relative au rattachement du département de la Manche au Comité des Arts appliqués de Rennes. Ce décret rend à Caen, les départements de l’Orne et de la Manche.


UN BEL EXEMPLE

Une louable initiative vient d’être prise à Fécamp par MM. L. Durand, directeur du Journal de Fécamp. Un livre d’or où tous les morts pour la patrie de la glorieuse cité cauchoise auront leur place, sera rédigé par notre confrère et collaborateur, M. Eugène Leroux, édité avec luxe (et cela sans aucune arrière-pensée de lucre).

Pieuse entreprise qu’il faut souhaiter voir imiter par toutes les villes françaises, car il ne saurait être rendu à ceux qui ont sauvé la liberté du Monde un honneur plus émouvant et plus durable. Œuvre d’union sacrée, œuvre régionaliste, œuvre désintéressée, qui réunira sous les mêmes couronnes ceux qui, venus de tous les pôles de l’opinion et de toutes les classes sociales, ont mêlé leur sang pour tracer sur la terre française les lignes que l’envahisseur n’a pu dépasser.

La Préface du Livre d’Or des soldats fécampois morts pour la Patrie, portera la signature de notre collaborateur, M. Georges Normandy, dont la fidélité à sa ville natale est connue.


SUCCÈS RÉGIONALISTE

L’Académie Française vient de couronner un autre écrivain régionaliste, dont nous avons déjà entretenu nos lecteurs. C’est M. Pierre Aguétant, l’excellent poète bugiste, auteur de la Tour d’Ivoire, préfacée par Mme Alphonse Daudet et du déjà célèbre Poème du Bugey, préfacé par M. Georges Normandy et illustré par le maître peintre bressan Johannès Son. Normandie est heureuse d’offrir au nouveau lauréat ses plus cordiales félicitations.


LES ARTS

La guerre n’a pas interrompu l’activité des artistes normands qui étaient dignement représentés au salon de 1918, organisé au Petit Palais à Paris, par la Société des Artistes français et la Société Nationale. Malgré le nombre restreint des œuvres exposées, la Normandie y faisait bonne figure :

Dans la section de peinture : Anquetin (Louis) : L’enfant au drapeau. – Bouchor (Félix) : Arrivée à Géradmer du général de Pouydraquin. – Charrière (M.) : Souvenirs de Dieppe et du Havre. – Clary (E.) : Les quais de Rouen. – Courant (M.) : Au pied de la Falaise. – Diéterle (G.) : Un camp anglais. – Grün : M. le curé du Breuil-en-Auge. – Laugée (G.) : Temps d’orage. – Le Petit (A. M.) : Bords de Seine. – Moteley (G.) : Morez du Jura. – Olivier (René) : La procession à Furnes. – Rame : Paysage dans l’Aude.

Dans la section de sculpture : Bénet (E.) : Portrait du Dr Foley. – Chauvel (G.) : Le général Mangin. – Dubois (Ernest) : L’abbé Wetterlé (statuette) ; le maréchal de Mac-Mahon.

Dans la section d’architecture : MM. Cochepain : Reconstruction d’un village meusien. – Chédanne : Rome au IVe siècle. – A. Dervaux : Gare de Rouen.

A la Gravure : Brunet-Debaines : Quatre eaux-fortes originales, dont Le Pont de Vernonnet. – Desgranges : Jeune femme (litho). – Léandre (Ch.) : La Guerre et la Paix (litho). – Le Melleur (G.) : Le Petit Andely. – Vergesarrat : L’Hôtel-Dieu à Paris.

Dans la section d’arts appliqués : R. Bigot, avec des Etudes d’Oiseaux ; Mme M. Le Melleur : Panneau-frise ; Mme Andrée Foucart-Mauger : Reliure en cuir incisé ; et la grande artiste qu’est Mme Blanche Ogy-Robin, avec une de ses belles œuvres, intitulée : Faune sous la Vigne.


LA MAISON DES TEMPLIERS A CAUDEBEC-EN-CAUX

En 1913, il paraissait dans le Journal de Rouen un joli roman de Paul Vautier, John le Conquérant, où était décrite la Maison des Templiers vieille construction du treizième siècle, « à façade de pierre, où trois gargouilles entrecroisent des ombres fantastiques sur l’ogive des fenêtres. » Paul Vautier y réunissait un Comité de défense des monuments et nous faisait assister à une de ses séances… fictives. Or, ce que la clairvoyance du romancier avait prévu, s’est réalisé. M. James, en effet, nous apprend que les Amis du Vieux-Caudebec, dont il est le président, ont acquis pour y installer leur siège social, la vieille maison du treizième siècle de la rue de la Boucherie, à Caudebec-en-Caux, classée comme monument historique et connue sous le nom de Maisons des Templiers. Ainsi que le dit M. James, « à l’heure où tant de précieux édifices de notre pays tombent sous le canon de nos barbares ennemis, les « Amis du Vieux-Caudebec sont fiers de donner, par l’acquisition qu’ils viennent de faire, une preuve de la vitalité de leur société et de leur sollicitude pour les monuments de notre chère Normandie. » Le vœu de M. Paul Vautier, grâce à la très heureuse initiative de M. James, s’est donc accompli. Paul Vautier qui depuis le commencement des hostilités, combat dans un régiment de zouaves sur le front, où il a remporté la croix de guerre, sera certainement heureux d’apprendre cette nouvelle artistique. (Journal de Rouen, Georges DUBOSC.)


BAYEUX

Le pays de la Dentelle a donné asile à l’Ecole Drouot (Ecole de lingerie et broderie), si populaire en Lorraine. Grâce au concours désintéressé de tous dans la vieille ville normande, les petites élèves nancéennes ont pu s’adonner à leurs travaux accoutumés, dès leur arrivée. L’ancien séminaire de Bayeux a été transformé et l’on croit voir une vieille demeure lorraine, lorsqu’on visite la salle Jeanne d’Arc, la salle Nancy, la salle Drouot… Tout a été fait pour rendre le séjour agréable et faciliter les travaux. Les commandes affluent de fine lingerie de dentelles de Nancy…


LE HAVRE

Le roi des Belges dont, on le sait, le gouvernement est installé à Sainte-Adresse, a conféré la médaille de la reine Elisabeth à Mmes Georges Ancel, femme du député du Havre ; Benoist, femme du sous-préfet, et Talon, femme du préfet, commissaire général français près le gouvernement belge, en récompense des services rendus à des œuvres belges militaires et civiles. La même distinction honorifique est accordée à Mmes Bathala, Hérouard et de la Mourvonnais, de Sainte-Adresse qui, depuis octobre 1914, se sont dévouées aux œuvres des mutilés de guerre et des réfugiés belges dirigées par Mme Helleputte, femme du ministre de l’Agriculture et des Travaux publics.


BALZAC ET LE NORMAND

On sait qu’un Musée connu sous le nom de Maison de Balzac avait été installé rue Raynouard, à Paris. Faute de subsides, on avait craint, un moment, que cette institution ne disparût. Mais un normand a eu le joli geste. Il a payé les termes en retard ; il devient le locataire de la Maison et n’y modifiera rien. Le logis de Balzac restera donc le rendez-vous des balzaciens fervents. Nous regrettons vivement de ne pas connaître le nom de ce Normand de Caen qui a droit à la reconnaissance des admirateurs du Maître.


LE CHEVAL DE GUERRE

La Société du cheval de guerre, à Argentan, donnera cette année à Argentan, le 14 septembre prochain, un important concours de chevaux de selle. Ce concours est exclusivement réservé aux chevaux de 3 ans, nés ou élevés dans les départements dépendant des dépôts d’étalons du Pin et de Saint-Lô. Sont seuls qualifiés pour prendre part à ce concours, les poulains hongres et les pouliches de demi-sang, âgés de trois ans, comptant au moins un auteur de pur sang (étalon ou jument) dans ses six ascendants directs, ou issus d’un étalon qualifié « type selle » comptant lui-même un auteur de pur sang au nombre de ses six ascendants directs. Exceptionnellement la présentation n’aura lieu qu’à la main. Ce concours est doté de 12.500 francs de primes répartis en deux catégories :

1re catégorie : chevaux de 1 m. 55 à 1 m. 58 inclus. 6.250 francs divisés en 16 primes.
2e catégorie : chevaux de 1 m. 59 et au-dessus, 6.250 francs divisés en 16 primes.

Le programme détaillé de ce concours ainsi que des feuilles d’engagement seront adressés à toute personne qui en fera la demande au siège de la Société : 43, rue de Lisbonne, à Paris.

___________________
Le Gérant : MIOLLAIS.
_________________________________________________________
IMPRIMERIE HERPIN, Alençon. Vve A. LAVERDURE, Successeur.



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