Vers une Action Normande
IX. – LES CAUSES.
(Suite.)
La suite de l’étude de M. Vincent-Desbois, actuellement aux armées,
nous est parvenue trop tard pour être insérée dans ce numéro ; nous ne
pouvons donc, à notre grand regret, que donner les citations dont il
parlait à la fin de son dernier article et dont le défaut de place nous
avait obligé de différer la publication :
M. Boutroux, dans une conférence faite à
Foi et Vie, il y a quelques
semaines sur : Morale et Démocratie, a combattu : « La tendance
actuelle à détacher de la morale, la politique. On a voulu, dit-il,
faire reposer le droit sur l’histoire, sur la loi d’évolution, tous
fondements ruineux. La racine du droit est morale, il faut considérer
la morale comme un élément essentiel de la politique. La nation est une
personne ; il y a donc une morale pour la nation comme pour l’individu.
M. Boutroux a insisté beaucoup sur ce point : dans une démocratie
fondée sur la morale, il ne doit pas y avoir à proprement parler, de
gouvernants et de gouvernés ; la responsabilité doit être pour tous à
la base de tous les actes ; le commandement est une obéissance. Il y a
diversité de fonctions, il n’y a pas de hiérarchie. La démocratie,
c’est le peuple se gouvernant lui-même :
la valeur du résultat ne
dépendra pas du mot démocratie,
MAIS DE LA VALEUR MORALE DES HOMMES
QUI CONSTITUENT ET EXERCENT LA DÉMOCRATIE. » (
Journal des Débats.)
D’un radical maintenant, M. de Lanessan, et de la très laïque
Action
d’avant-guerre :
« Ce mal, c’est l’anarchie, c’est-à-dire un tel désordre des esprits et
des choses que rien ne se fait comme la raison voudrait que ce fût fait
et que nul homme ne se comporte comme
son devoir professionnel ou
moral exigerait, qu’il se comportât. »
Le
Matin, un an avant la guerre, sous la signature de M. Gervais,
publiait ces lignes :
Les mots de « règle » de « discipline », de « devoir » perdent
insensiblement leur sens. Tout : bon ou mauvais, et surtout le mauvais,
s’explique, s’excuse et se justifie. »
Pénétrons sous la coupole avec les graves académiciens : nous y
entendons le même langage :
« Le mal est moral ; c’est une défaillance de la volonté, de la
puissance d’effort de la lutte, c’est une estime et une recherche
immodérée, de la tranquillité et de la jouissance, en un mot, c’est une
crise d’égoïsme. » (Rapport sur les prix de vertu, 20 décembre 1917.)
La morale est nécessaire à la démocratie comme l’air l’est à la vie de
l’homme. Elle se raréfie en France, ou s’altère, parce que nous avons
fait de la politique antireligieuse, de la philosophie matérialiste :
« C’est parce que je vois dans le catholicisme, la santé sociale, osait
dire Maurice Barrès, le 24 janvier 1910, à la Chambre, que je suis le
défenseur de l’idée catholique. »
Voulez-vous que j’évite, au nom de l’union sacrée, d’invoquer des
témoignages venus uniquement des milieux catholiques ? C’est facile !
Qu’allait faire cet autre irréprochable-démocrate Lloyd George, le 13
mars dernier, à l’assemblée annuelle des Eglises libres pour y prendre
la parole ? Si ce n’est témoigner de la base morale, religieuse, de ses
convictions politiques.
Peu avant la guerre, le Dr G. Le Bon, qui n’a rien d’un clérical, je
pense, écrivait :
« Chez nous, l’intolérance religieuse est complète. Depuis de
nombreuses années, elle fait le fond de la politique… Cependant la
psychologie a montré que les croyances n’étaient nullement de
capricieux produits de l’imagination, enfantés par la crainte, mais
correspondaient à des besoins irréductibles de l’esprit. » (
Figaro,
le 1er juillet 1913.)
Terminons pour aujourd’hui par une dernière citation, extraite du
journal, la
Démocratie, qui apparaît à la lumière des faits actuels,
comme l’un de ceux qui avaient le mieux compris les vérités que nous
nous efforçons de mettre en relief :
« Pour élever l’homme au-dessus de lui-même, pour soutenir les peuples
au-dessus de leurs intérêts et de leurs appétits terrestres, il faut
une force qui ait justement son point d’appui, en dehors de ces
appétits et de ces intérêts.
« Il est donc nécessaire de croire à des réalités d’un ordre supérieur
et transcendant, capables d’imposer elles-mêmes leur empreinte et
d’organiser leur culte sur cette terre.
« Or, ce lien, ce trait d’union, c’est justement et au sens même de
l’étymologie du mot, la Religion. »
(
A
suivre.)
G. VINCENT-DESBOIS.
═════════════════
La Région Economique Normande
_________
A la suite de mon dernier article sur le projet de division de la
Normandie en deux régions économiques, j’ai reçu un assez grand nombre
de lettres de Normands que cette question intéresse et qui, considérant
que cette coupure est regrettable, bien que certains régionalistes de
chez nous ne semblent pas y être opposés, me demandent d’ouvrir sur ce
point, une enquête dans les colonnes de Normandie.
Nous accueillerons volontiers toutes les opinions qui pourront être
exprimées sur ce projet et nous publierons les réponses que l’on nous
aura autorisées à insérer.
A. M.
__________
Les Richesses Hydrauliques
de la Normandie
_____
Au point de vue économique, et pour le présent comme pour l’avenir, la
situation créée par la guerre appelle l’attention sur des multiples
enseignements dont le régionalisme doit tirer parti pour le bien du
pays. L’utilisation des grandes forces naturelles est une de ces
questions dont on doit se préoccuper, plus que jamais, pour travailler
activement à la reconstitution, puis à l’accroissement du patrimoine
national, notamment par l’exploitation des richesses latentes encore
trop délaissée jusqu’ici. La houille verte en plaine, comme la houille
blanche en montagne, voilà des éléments de prospérité sur lesquels on
peut compter pour la production de l’énergie nécessaire à nos
industries, à notre agriculture, à de nombreuses branches de l’activité
humaine. Ce sont des sources d’énergie inépuisable dont l’importance,
envisagée dans les diverses régions françaises, est considérable,
énorme, et place notre pays dans une situation remarquablement
favorisée. Tandis que l’Angleterre possède seulement une force
hydraulique d’un million de chevaux, l’Allemagne un million et demi à
deux millions, nous avons en France, de neuf à dix millions de chevaux
hydrauliques, en eaux moyennes, et nous pourrions encore accroître
cette puissance par certains grands travaux régularisant le cours des
eaux. L’aménagement actuel de nos eaux – lequel n’utilise qu’un million
et demi de chevaux sur neuf à dix millions à exploiter – a permis
d’économiser deux milliards de charbon depuis le début de la guerre. Le
produit total des forces hydrauliques, une fois celles-ci aménagées sur
tout le territoire, procurerait un revenu supplémentaire de trois à
quatre milliards de francs par an, indépendamment du revenu connexe qui
résulterait du développement industriel agricole, etc.
Cette force merveilleuse que la nature prodigue gratuitement et
éternellement – tandis que nous faisons tant d’efforts pour obtenir le
charbon dont les ressources ne sont évidemment pas inépuisables – cette
puissance représentée par nos richesses hydrauliques, il faut
l’utiliser partout où elle s’offre ; elle ne serait pas inférieure à
soixante milliards de chevaux-heures, annuellement alors que, dans le
même temps, les quarante millions de tonnes, de charbon que nous
extrayons de notre sol ne peuvent fournir que trente-trois milliards de
chevaux-heures vapeur, auxquels s’ajoutent dix-huit milliards fournis
par vingt millions de tonnes de charbon importés de l’étranger. Ainsi,
en utilisant nos chutes d’eau nous ferions, annuellement, l’économie
d’une importation de près d’un milliard à un milliard et demi de
francs, et cette force hydraulique nous procurerait une augmentation
d’énergie, non pas de cinquante pour cent, mais de
près de deux cents
pour cent ! Quel appoint pour la production de l’électricité si l’on
songe qu’avec seulement un million de chevaux hydrauliques – soit le
dixième de la force disponible – on pourrait éclairer une population de
trente millions d’habitants !
Ces considérations vraiment suggestives, nous montrent toute
l’importance que nous devrions attacher à l’exploitation rationnelle et
intégrale des richesses hydrauliques, et – pour ce qui concerne notre
œuvre régionaliste – à ces richesses hydrauliques dont la Normandie est
si amplement dotée. Il existe, chez nous, comme dans d’autres régions
de la France, des cours d’eau susceptibles d’être aménagés par de
petits barrages, en vue de produire de l’énergie, et bien que bon
nombre de ces cours d’eau ne présentent généralement qu’une assez
faible puissance, leur ensemble constitue un important élément de
richesse dont la mise en valeur est relativement facile. Il ne faudrait
donc pas croire que la force distribuée par les stations d’électricité
soit l’apanage exclusif des contrées qui possèdent de puissantes chutes
d’eau. Pour les besoins beaucoup plus modestes de l’agriculture, les
moulins établis sur les retenues de nos rivières sont suffisants ;
c’est dire qu’il est possible de multiplier les petites stations
rurales d’électricité. N’avons-nous pas le bel exemple que nous
donnent, depuis bien des années, les Danois, passés maîtres dans l’art
d’utiliser les moulins à vent pour produire l’électricité à la campagne
? Si, par mesure économique, nous voulons remplacer le charbon par la
force hydraulique, par la houille verte, ce facteur d’énergie que
véhiculent au travers des vertes prairies les cours d’eau et les
ruisseaux, il faut mettre en valeur nos moyennes et nos petites chutes
d’eau.
Pendant longtemps, la chute d’eau de la houille verte – qui est la
différence de niveau de l’eau, à un moment donné, entre deux points du
cours d’eau – fut, avec le moulin à vent, la productrice de force
motrice. On sait que, dans la majorité des cas, on crée cette chute par
une simple déviation qui, à bien peu de chose près, rend un peu plus
bas au cours d’eau ce qu’elle lui a emprunté un peu plus haut. Ainsi,
la houille verte va de chute en chute sans rien perdre de son mérite ni
de sa valeur, car lorsque les chevaux hydrauliques ont passé au grand
trot dans la turbine, ils poursuivent leur course pour se mêler aux
eaux du fleuve dont leur rivière est l’affluent. Mais ils sont de
nouveau captés au passage pour recommencer leur travail au grand profit
de nos industries et de notre agriculture.
Il y a, en Normandie, des milliers et des milliers de chevaux
hydrauliques à utiliser et à récupérer. Et l’on a une idée très nette
de ces richesses hydrauliques en compulsant les brillants travaux d’un
ingénieur émérite, dont notre Normandie est fière à juste titre : M.
Henri Bresson, qui s’est livré il y a déjà plus de dix ans de cela, à
une enquête sur la mise en valeur des moyennes et basses chutes d’eau,
dans le Calvados, la Manche, l’Orne et l’Eure (1). L’œuvre de
vulgarisation de la houille verte (œuvre des petits moulins de France),
à laquelle M. Henri Bresson a consacré tous ses efforts, doit être
suivie avec le plus grand intérêt, notamment en ce qui concerne les
installations hydro-électriques.
Nous voyons que d’après l’enquête sur la « houille verte », la
puissance hydraulique totale, dans le Calvados, est évaluée à 9.500
chevaux ; mais alors que, en 1863, les usines se partageant les forces
étaient au nombre de 855 en 1900 on n’en comptait plus que 442.
Toutefois, en vingt ans (de 1883 à 1904), on comptait 8 installations
hydro-électriques (scieries, etc.) à Thury-Harcourt, Vire, Mézidon,
Orbec, Falaise, Saint-André, Pontfarcy et Aunay-sur-Odon. A Vire, trois
chutes voisines ont été réunies en une seule de 12 mètres, actionnant
une turbine ; par un transport électrique, on y a ajouté l’énergie
d’une autre chute d’un affluent de la Vire. A Thury-Harcourt, la chute
de l’Orne n’a que 1m70 et est utilisée par deux roues Sagebien : l’une
pour l’éclairage de la localité (plus 6 moteurs industriels), l’autre
actionne un alternateur à 5.000 volts desservant les trois localités
voisines : Aunay-sur-Odon, Saint-Rémy et Clécy, respectivement à 14,6
et 9 kilomètres.
La puissance hydraulique totale, dans le département de l’Eure, est
évaluée à 18.000 chevaux, selon les statistiques administratives. Le
nombre des usines, de 869 en 1869, se réduisait à 729 en 1892 et 438 en
1900. On note 26 installations hydro-électriques, à Condé-sur-Iton,
Montfort-sur-Rille, Léry, Cormeilles, Toutainville, Le Vaudreuil,
Pont-Audemer, Beaumont-le-Roger, Poses, Rugles, Les Andelys,
Lyons-la-Forêt, Chauvaincourt, Pont-Saint-Pierre, Tourville, Radepont,
Sainte-Hélène, Douville, Navarre, Saint-Elier, Pont-Authou, La
Ferrière-sur-Rille, Les Gazny, Saussay et Gisors.
Les scieries, fabriques de pâte à papier, fouleries de drap,
minoteries, fabrique de dés à coudre, tanneries, usines de fibres de
bois, de nickelage, sont les industries qui bénéficient de ces
installations hydro-électriques. Pont-Audemer utilise une chute de 1
mètre seulement. L’éclairage et la manœuvre des écluses du barrage de
250 mètres, de Poses, sur la Seine, sont dus au courant fourni par des
accumulateurs chargés grâce à une dynamo actionnée par une turbine sous
la chute de 4m50, que donne ce barrage en basses eaux. Pendant les
crues, les pièces même du barrage sont relevées par des moteurs
électriques circulant sur une voie Decauville.
Dans le département de la Manche, où la puissance hydraulique totale
est évaluée à 11.000 chevaux, d’après les statistiques administratives,
et où le nombre des usines tombait de 1.367 en 1863 à 705 en 1900, on a
su tirer bon parti des cours d’eau relativement peu nombreux, mais
ayant assez de hauteur de chute ; on [t]rouve la plus élevée de la
région, avec 15 mètres, à Mortain. Les installations hydro-électriques
de Tourlaville, Saint-Hilaire-du-Harcouët, Mortain, Bricquebec,
Saint-Sauveur-le-Vicomte, Auneville-en-Saire, Ducey, Cérences,
Thorigny-sur-Vire, Sourdeval, Tessy-sur-Vire, Saint-James, Percey et
Brècey. Les minoteries et scieries sont desservies par des courants
électriques à voltages élevés pour franchir des distances variant de 3
à 7 kilom. 500, comme l’indique l’enquête de M. Henri Bresson.
En 1907, les forces hydrauliques du département de l’Orne étaient
évaluées, par cet ingénieur à un peu plus de 10.000 chevaux, sans
compter la force que l’on pourrait obtenir par de nouveaux aménagements
des cours d’eau. A cette époque, les usines n’utilisaient que 2.460
chevaux sur les 10.000 disponibles. La répartition des 454 usines
hydrauliques établies dans ce département était la suivante (en 1900) :
342 moulins à blé, 24 industries textiles, 5 papeteries, 18 scieries, 6
moulins à tan, 32 usines pour le traitement des métaux et 27 usines
diverses. Les progrès de la minoterie ont donné le pas aux grands
moulins et diminué d’autant les petites installations hydrauliques. Les
dynamos, prenant la place des anciennes meules, ont modifié
l’utilisation des chutes d’eau. La plus grande chute est située près de
Tinchebray, sur la Verre ; elle a 12 mètre de hauteur et fournit 77
chevaux utilisables. La plus faible chute se trouve sur la Calabrière,
petit affluent du Même ; elle ne donne pas plus d’un cinquième de
cheval. Il y a d’intéressantes installations hydro-électriques à
Chandai (château des Masselins) ; à Mesnil-Glaise (château et ferme) ;
à Putanges, où on a réuni les eaux de l’Orne, qui alimentaient
autrefois trois moulins, pour installer une usine fournissant
l’éclairage public au chef-lieu de canton. A Rémalard, la rivière
l’Huisne a une chute de 1m70 débitant environ 30 chevaux ; le courant à
250 vols, alimente 1.500 lampes. A Boucé, à 12 kilomètres d’Argentan,
la Cance actionne l’installation électrique que possède une scierie.
Le barrage établi sur la Varenne, près de Domfront, actionne, au
château de Torchamp, des scieries, des batteuses, un appareil
frigorifique, un moulin agricole et de nombreuses lampes.
Au Moulin-de-Sarthe, le moulin à tan est pourvu d’une dynamo chargeant
des accumulateurs, pour assurer à 2 kilomètres de distance, le service
du chef-lieu de canton : Moulins-la-Marche.
Ces nombreux exemples d’utilisation de la houille verte montrent que,
dans notre région, on a su déjà tirer parti – quoique bien
insuffisamment encore – de cette précieuse ressource, dont la nature
est dispensatrice.
Il faut que, dans l’œuvre de rénovation et de progrès industriel et
agricole, vers laquelle doivent tendre tous les efforts des vrais
normands, désireux de contribuer à la prospérité du pays, on s’applique
à réaliser l’exploitation méthodique, intégrale, des richesses
hydrauliques de la Normandie.
Henri BLIN,
Lauréat de
l’Académie d’Agriculture de France.
____________
(1) Henri BRESSON : La Houille verte. – Dunod et Pinat, éditeurs,
Paris.
═════════════════
Le Tourisme en Normandie
Nous avons assez souvent protesté dans ces colonnes contre l’inertie
des Syndicats d’initiative de Normandie pour ne pas applaudir
aujourd’hui à l’œuvre de M. Monticone, président du Syndicat
d’initiative de Deauville, et secrétaire général de la
Fédération des
Syndicats d’initiative de Normandie, qui a fait paraître l’appel
suivant :
A l’heure où chacun se préoccupe de réparer les pertes considérables
causées à notre pays par la guerre, les syndicats d’initiative de
Normande se sont fédérés pour travailler en commun à mettre en valeur
le capital de beauté de notre région si favorisée au point de vue des
sites pittoresques et si captivante par ses richesses artistiques. La
Fédération normande des syndicats d’initiative a pour principal objet
de favoriser le développement du tourisme et des industries qui s’y
rattachent dans les cinq départements de l’Eure, de l’Orne, du
Calvados, de la Manche et de la Seine-Inférieure.
L’effort tenté par la Fédération normande fait d’ailleurs partie d’un
programme d’action dont les grandes lignes ont été arrêtées par le
Touring-Club de France, en collaboration avec l’Office national du
tourisme, c’est-à-dire en plein accord avec les pouvoirs publics.
La France est aujourd’hui virtuellement partagée en dix-neuf régions
touristiques et les fédérations régionales ne sont pas autre chose que
des organismes chargés d’intensifier et de coordonner les travaux des
syndicats d’initiative, et de poursuivre la réalisation de leurs vœux
près de l’administration supérieure.
Faute de l’avoir sollicitée, la clientèle peu à peu nous échappait…
Nous devons résolument nous engager dans la même voie et, puisque les
syndicats d’initiative ont été la cause déterminante de la prospérité
des stations touristiques étrangères, nous devons, en ce qui nous
concerne, favoriser leur création et leur développement en Normandie.
Il faut qu’au lendemain de la paix, alors que les transatlantiques
déverseront à Cherbourg et au Havre le flot des citoyens de la grande
Amérique qui viendront contempler les champs de bataille où se joue la
plus grande épopée de l’histoire, chacune de nos stations climatiques,
balnéaires ou touristiques, en un mot que chaque centre d’excursion ait
son bureau de renseignements ouvert aux touristes sous la direction
d’un syndicat d’initiative local. L’idée vaut la peine que l’on s’y
arrête, elle a fait la fortune d’autres régions moins favorisées que la
nôtre, le Dauphiné, par exemple ; sa réalisation pratique doit donc
retenir l’attention de tous ceux qui cherchent la reprise des affaires.
Un syndicat d’initiative est une chose d’autant plus facile à créer que
la question financière sera résolue à l’avenir par les ressources du
produit de la cure-taxe ou taxe de séjour ; à côté de quelques bonnes
volontés il suffit de deux ou trois hommes d’action disposant d’une
certaine liberté. Ces éléments se rencontrent heureusement partout en
Normandie et il n’est ni un conseil municipal, ni un conseil général,
ni une chambre de commerce qui refuserait de subventionner une œuvre
éminemment profitable au commerce local et régional, si le rôle des
syndicats d’initiative était mieux compris.
On ne saurait trop dire en effet que l’industrie du tourisme est à la
base de toutes les grandes industries de luxe ; elle favorise à la fois
et la mode et les arts, la bijouterie et la photographie, l’hôtellerie
aussi bien que l’automobile ; elle est une source de richesses pour nos
villes d’eau, et nos plages ; enfin c’est elle qui occasionne le plus
grand déplacement de capitaux et procure les bénéfices commerciaux les
plus substantiels.
Le secrétaire général de la Fédération normande des syndicats
d’initiative fera parvenir aux personnes qui voudraient fonder un
syndicat d’initiative un statut type de ces associations. Toutefois, il
ne peut exister plusieurs syndicats dans la même localité. Les demandes
de renseignements doivent être adressées à M C. Monticone, secrétaire
général, à Deauville-sur-Mer (Calvados).
Ces idées sont celles que nous avons toujours défendues et nous voulons
espérer que le secrétaire général de la Fédération rencontrera les
hommes d’action dont il parle pour l’aider dans sa louable initiative.
Normandie sera toujours heureuse de seconder les Syndicats
d’initiative et la Fédération dans tout ce qu’ils entreprendront pour
favoriser le développement du tourisme en notre province ; et il lui
sera permis de rappeler que longtemps avant que la Fédération des
Syndicats d’initiative ne commence son action, elle avait inscrit dans
son programme l’article suivant :
Apporter notre concours aux Syndicats d’initiative, en faisant
connaître non seulement par des descriptions, mais encore par l’image,
les beautés naturelles du pays, ses stations balnéaires et thermales,
ses richesses artistiques – la Normandie n’est-elle pas, en effet, le
pays des chefs-d’œuvre de pierre – et attirer ainsi les touristes, une
des meilleures sources de richesse. L. B.
~~~~~~~~
Tout en causant…
_____
Les Arts se sont toujours quelque peu jalousés. – (Mais, par Apollon !
c’est un alexandrin qui vient spontanément d’éclore sous ma plume, que
le lecteur me pardonne, je ne l’ai pas fait exprès) – Si je hasarde
cette remarque, c’est que nos architectes de la Seine-Inférieure et de
l’Eure viennent, par une manifestation collective, de partir en guerre
contre la municipalité rouennaise parce que celle-ci avait manifesté
l’intention de débaptiser une vieille rue pour lui donner le nom d’un
musicien.
N’en déplaise à la mémoire de Charles Lenepveu, car c’est l’immortalité
de l’auteur de
Velleda que les édiles de la capitale normande se
proposaient de consacrer par l’inscription de son nom avec les dates de
sa naissance et de sa mort, au coin de la rue de l’Ecole, je n’hésite
pas une seule minute à donner ma pleine et entière approbation à la
protestation des architectes.
Je considère comme eux qu’il est regrettable de changer les
appellations de nos anciennes rues et d’effacer progressivement tous
les souvenirs qui rattachent au passé notre vieille cité, au double
point de vue topographique et monumental.
Et cette impression sera partagée, j’en suis sûr, par tous les fervents
du « pittoresque », de ce pittoresque curieux qui devient si rare dans
les villes transformées par le modernisme utilitaire et prosaïque.
C’est Louis Veuillot, je crois, qui disait qu’il aimait Paris jusque
dans ses tares. Sans être réfractaire aux idées de progrès, et tout en
comprenant les impérieuses nécessités de l’évolution qui se poursuit
dans les diverses modalités où s’exerce l’activité humaine, je serais
bien un peu comme le grand écrivain catholique, et j’ose avouer,
dussé-je faire bondir d’indignation ceux qui voudraient raser nos vieux
quartiers populeux et les remplacer par des voies tracées au cordeau et
se coupant à angle droit, j’ose avouer, dis-je, que je ne verrais pas
disparaître sans regret les vieilles rues rouennaises dont les noms
caractéristiques et évocateurs ont tant d’archaïque saveur.
Sans parler de la rue Eaux-de-Robec qui donnait à Flaubert la vision
d’une « petite Venise infecte », comment se résignerait-on à voir
effacer du plan de Rouen les indications qui dénomment des rues comme
celles du clos des Marqueurs, de Garde-Monsieur, du Haut-Mariage, du
Père Adam, du Petit-Mouton, des Fourchettes, du Corbeau, de la
Grande-Masure, du roi Priant, ou la place du Marché-aux-Balais.
Certes, ces rues-là, on ne les trouve pas dans les luxueux quartiers ;
les maisons qui les bordent sont vermoulues, branlantes et lézardées,
leurs murs suintent l’humidité, et le plus souvent la misère ; tant
pis, et vive le paradoxe, si c’est un paradoxe, ces rues lépreuses,
étroites et noires, où le soleil n’arrive pas à sécher l’eau
croupissante entre les pavés mal joints, ces rues-là ont leur attrait
et participent, par un effet de contraste, à l’esthétisme de la
Ville-Musée.
C’est ce que me disait, sérieusement, mon nouvel ami, le jeune sergent
canadien Paul Dumoustier, un de ces jours derniers, où nous avions
promené notre flânerie sous la porte Guillaume-Lion et dans la rue des
Espagnols.
- Savez-vous, demandai-je à Paul Dumoustier, quelle est l’origine de ce
nom donné à la rue des Espagnols ?
Et que d’anecdotes, de souvenirs, sont accumulés dans les interstices
de ces pierres rongées par le temps, souvenirs et anecdotes, miettes
d’histoires, qui s’effriteraient et tomberaient en poussière, si
s’effaçaient les noms des vieilles rues.
- Ma foi non, et je serais bien aise de l’apprendre.
- Eh bien, c’est de l’histoire. C’est là que furent internés, à la fin
du règne de Henri IV, des officiers espagnols fait prisonniers dans les
Flandres.
- Vraiment !
- Et savez-vous autre chose encore ?
- Quoi donc ?
- C’est d’un de ces officiers espagnols, avec qui il avait lié amitié,
que notre Pierre Corneille apprit la légende du Cid Campeador qui lui
fournit le sujet de son immortelle tragédie…
Mais me voilà loin de la protestation des architectes normands qui a
servi de point de départ à cette causerie à bâtons rompus sur les noms
de nos vieilles rues.
Ne sacrifions pas – à Rouen moins qu’ailleurs – ces noms pittoresques
qui consacrent tant de curieux et précieux souvenirs de l’histoire
locale (et c’est avec ces bribes de la petite histoire que se construit
la grande), à la glorification prématurée d’individualités défuntes et
dont, quelquefois, le seul mérite est d’être mort. (Je ne dis pas cela
pour Charles Lenepveu.)
Et c’est ce qu’ont pensé nos architectes qui, en fin de leur
protestation, ont émis le vœu : « Qu’aucun nom de personne ne soit
donné à une rue de Rouen avant qu’un espace de cinquante années au
moins ne se soit écoulé depuis sa mort. »
Cinquante ans, un demi-siècle !
Ces diables d’architectes, quand ils s’y mettent, en ont de bonnes ;
ils savent, ces pince-sans-rire manier la blague à froid avec autant de
brio que nos meilleurs humoristes.
Dans cinquante ans !
Mais quelle est celle de nos gloires contemporaines qui résistera à
l’usure d’un demi-siècle ?
Henri BRIDOUX.
~~~~~~~~
FIGURES NORMANDES
___________
Paul Harel
____
A tant de gestes régionalistes, Paul Harel vient d’ajouter celui-ci :
Son dernier livre (qui vient de paraître),
Devant les Morts (poèmes
de guerre), ne porte pas, comme la plupart de ses aînés, la firme de
l’éditeur parisien Plon mais celle-ci que je trouve adorable :
EN VENTE
Chez Paul BARIL, Libraire
ÉCHAUFFOUR (Orne)
Echauffour !... « Canton du Merlerault, arrondissement d’Argentan,
1.148 habitants » dit le
Dictionnaire National des communes
̶ l’Echauffour du grand poète Paul Harel, équivalent du
Conteville cher au grand prosateur Jean Revel, voire de la provençale
Maillane immortalisée par Frédéric Mistral !... Que charme pénétrant je
trouve à découvrir ainsi nos bourgades ignorées jusqu’au jour où le
génie ou le talent d’un de leurs enfants les signale, en les chantant,
à l’adoration des élites ou des foules !
Nous avons assez des « célébrités » viagères fabriquées à la grosse par
la capitale. Que reste-t-il de renommées étincelantes, « bien
parisiennes », disparues avant-hier ou hier ? Qu’est devenue la
réputation d’un Adolphe Belot, pourtant habile, d’un Albert Dubrujeaud,
roi de la chronique au temps de l’ancien
Echo de Paris, d’un Henry
Fouquier même ; où sont les œuvres innombrables de l’amuseur charmant
que fut M. de Saint-Geniès, plus connu sous le pseudonyme de Richard
O’Monroy ?... Cependant Léon Duvauchel et Ernest Prarond, qui furent
sans génie mais non sans fidélité, ont un monument dans leur chère «
petite patrie » ; le principal titre de gloire de M. Jean Aicard reste
d’avoir fait œuvre provençale ; Victor Gelu est un bronze marseillais
plus pittoresque qu’élégant, mais compact et sonore ; et Maurice
Rollinat s’est grandi en faisant précéder ses célèbres et
baudelairiennes
Névroses par
Dans les Brandes, en les faisant
suivre par le
Livre de la Nature ou
Paysages et Paysans et en
préférant enfin au piano martyrisé du
Chat Noir le croassement des
grenouilles.
Bruit monotone et gai claquant sous le ciel clair,
parmi les landes berrichonnes, autour de Fresselines où, taillé par
Rodin, un marbre enchassé dans le mur de l’église perpétue le souvenir
du poète…
La magie du pays natal est telle qu’il suffit de la sincérité profonde
d’un laboureur comme Guillaumin pour nous faire aimer la banalité
heureuse de son pays d’Ygrande ou de la naïveté charmante d’un mineur
peu lettré comme Mousseron pour nous donner le désir de connaître la
poignante tristesse de
Denain, et du pays noir, aujourd’hui dévasté
par surcroît – ce qui du reste n’empêchera ni Emile Guillaumin, ni
Jules Mousseron de se distinguer très vite parmi nos bons écrivains.
Quelle splendeur donc prendra l’œuvre d’un parfait poète lorsqu’il
célèbrera une région aussi attrayante que celle où tintent
régulièrement et presque ensemble
…………………………....dans les branches
L’Angelus d’Echauffour et l’Angelus de Planches ?
Paul Harel, qui la chanta dans tous ses détails, dans tous ses aspects,
en toutes saisons et à toutes les heures, l’a esquissée un jour à
grands traits. Echauffour est au centre. Voici les alentours :
« … Du haut des champs, voici la forêt de Saint-Evroul-Notre-Dame que
l’aube éclaire ; au midi Planches, cité romaine, au nord Cisay, bourg
féodal ; à l’ouest, à perte de vue, le massif bleu d’Ecouves, entre
Séez, la ville des évêques, et Alençon, la ville des ducs ; plus loin,
Perseigne, que Marguerite de Navarre chevaucha ; plus près, tout près,
l’Oullerie, manoir frileux qu’habita Louis Turpin, le gendarme du Roy ;
non loin la Tour du château d’où les archers anglais virent venir
Duguesclin ; puis l’église gothique et romane que les moines édifièrent
; plus bas Echauffour, sombre et silencieux. »
Voilà. C’est parmi cette splendeur des plantes et des pierres, parmi
ces souvenirs tumultueux peuplant un paisible présent, que Paul Harel,
descendant d’une très vieille lignée du terroir, naquit le 18 mai 1854.
Il connaît les origines de sa famille jusqu’au seizième siècle, comme
je connais celles de la mienne, comme tous les français de vieille
souche la connaissent, ou s’attachent à la connaître, en un temps où
tant d’agités, nés en chemin de fer, promènent leurs valises
éternellement bouclées, sans direction, sans but, sans port d’attache,
croyant avoir agi lorsqu’ils ont bougé, supposant avoir digéré
lorsqu’ils ont parcouru, imaginant s’être accrus lorsqu’ils se sont
dépensés.
Normand et poète jusqu’aux moelles, Paul Harel, fils d’avocat, fit
longtemps métier d’aubergiste comme son grand-père, « par amour du
pittoresque, » dit-il, mais non pas seulement pour cela : par amour
d’Echauffour aussi, où n’existe aucun Palais de Justice, par amour du
gain certain (instinct normand), par amour de la liberté, du « bien »
qu’on sent s’étaler sous le pied et verdir à perte de vue, et sans
doute encore,
En l’honneur d’un bon vin et d’un mets délectable,
enfin pour savourer à loisir cette « gloire paysanne » si normande et
si française à la fois, qu’il a su adorablement célébrer dans le sonnet
d’anthologie qu’on trouvera à la page 112 de
Devant les Morts et qui,
dédié à René Bazin, lui a valu un commentaire exquis et nostalgique du
bon poète normand Achille Paysant (exilé dans je ne sais plus quelle
cité bretonne), un commentaire qui se termine somptueusement ainsi :
Ferme ou château, chaque héritage est un royaume.
Et quel est donc là-bas ce conquérant vermeil
Qui, les bras lourds d’épis et debout sur le chaume
Moissonne en gerbes d’or les rayons du soleil ?
Il fut d’ailleurs un aussi remarquable aubergiste qu’il est un poète
remarqué, ̶ la charité pleine de délicatesse et d’entrain
qu’il pratiqua
A l’enseigne du Grand Saint-André est à la base de
cette « tendresse religieuse » (Ch. Th. Féret
dixit) que l’Orne lui a
vouée – l’Orne, puis l’Eure, puis la Normandie, puis le monde
régionaliste tout entier.
J’ai eu l’occasion, ici même, de louer une œuvre régionale de Paul
Harel. Je rappellerai rapidement, la place m’étant mesurée, qu’il faut
voir en lui un poète de la grande race. Il écrit dans la langue sobre
et solide qui est celle de presque tous les bons écrivains de chez
nous, de Malherbe à Maupassant en passant par Corneille et par
Flaubert. Sa foi religieuse profonde ne l’empêche ni d’être familier
avec Dieu (A) ni de l’adorer dans ses créations les plus agréables (B) :
A) …Ne vont-ils pas, Seigneur, par la même beauté
Vous émouvoir au fond de votre Eternité ?
Allez-vous abréger l’épreuve ?
Je l’espère.
On peut bien vous parler : n’êtes-vous
pas le Père ?
B) … En l’honneur d’un bon vin et d’un mets délectable
De temps en temps j’élève encor la voix.
Ah ! faites que bientôt j’arrive à votre
Table
Sobre et mortifié pour la première fois
!
(Devant les Morts.)
Considérez l’effigie de Paul Harel. On trouve dans ce visage
sympathique, le menton violent, le poil dru, le regard clair de la race
autochtone.
On trouve dans son œuvre durable, non seulement les qualités de facture
et d’observation de son premier maître Gustave Le Vavasseur, tant
admiré par nos meilleurs lettrés, mais encore, à côté de pièces
volontairement très simples comme le poignant
Magloire de son dernier
recueil et de sévères magnificences confinant à l’immensité de celles
de Milton – comme cet exorde d’une Invocation à saint Michel :
Archange le plus grand de tous, Miroir de Dieu,
Prince, dont les neuf chœurs voient la puissance et l’ordre,
Toi qui bats l’infini de tes ailes de feu
Et foules sous tes pieds le dragon qui veut mordre,
Gigantesque lutteur, divin prédestiné
Qui rejetas Satan et ses noires malices
Et fis, avant les temps, sous le Verbe incarné
S’incliner avec toi les fidèles milices ;
Toi qui vins jusqu’à nous avec le souffle amer
Du vent salin qui gronde et flagelle la Côte….
̶ à côté de splendides cris patriotiques et d’émouvants récits de
grandes chasses, de ravissants paysages, de la douleur tellement
sincère qu’il nous la fait partager, des rêveries de grand style,
d’alertes croquis, de longs romans et de courtes nouvelles, des
discours pleins de substance et des badinages pleins d’esprit, de la
noblesse et de la familiarité, enfin le plaisant et comique mélange
d’orgueil et d’humilité (tous deux excessifs) qui nous caractérise
tous, ou presque tous, et qu’il a si joliment exprimé ainsi :
Seigneur, vous connaissez mon goût pour les éloges :
Les plus grands sont les mieux venus.
Nul ne lira mon nom dans les martyrologes
De ceux qui se sont méconnus.
Barbey d’Aurevilly, Gustave Flaubert, Guy de Maupassant, Jean Lorrain,
Albert Boissière, Arnould Galopin, cent autres normands ont dit cela
autrement, et nos armateurs depuis Ango, l’ont toujours pensé comme nos
marchands les plus riches et nos paysans les moins cossus.
Que d’indications devraient encore trouver place dans ce propos ! Mais
il me faut finir.
Les dominantes de l’œuvre de Paul Harel, me semblent être, dans l’ordre
:
La Normandie, La Forme, La Foi.
Quelles que soient nos disciplines mentales, nous devons nous féliciter
de posséder en lui un grand poète normand et un grand poète français à
la fois.
Georges
NORMANDY.
═════════════════
Le Temple (1)
____
A
Mademoiselle Suzanne Loppé.
Dans le fracas de la mitraille,
Les poilus chantent leurs chansons :
Couplets mûris dans la bataille,
Griffonnés au pied d’un caisson !
Narguant la Mort qui les regarde,
Ils parlent du beau Lendemain…
Cependant l’ennemi canarde,
Fauchant les Espoirs incertains !
Ce qu’il leur faut, c’est la Victoire !
Morts ou vivants ils l’obtiendront :
Morts, ils auront connu la Gloire :
Vivants, ils la préserveront !
Sont-ils beaux les soldats de France ?
Rageurs devant les coups du sort,
Ils vont au but sans défaillance
Et ne vivent que pour l’effort !
Le père et le fils sont ensemble,
Ayant un idéal commun !
Le fort soutient celui qui tremble,
Et leurs deux cœurs ne font plus qu’un !
Salut ! Rêveurs infatigables,
Martyrs qui luttez pour la Foi,
Héros fiers et impitoyables
Pour ceux qui méprisent la Loi !
Vous êtes le plus bel exemple
Dont se fortifiera l’enfant !
̶ L’humanité doit bien un Temple
A l’idéal qui la défend ! –
Les ruines seront les pierres
Qui serviront à l’élever !
Chaque trou sera de Lumière !
O Miracle !... O Temple rêvé !
Gaston D
EMONGÉ.
____________
(1) Dit au concert de l’œuvre des Jardins Potagers Militaires, donné au
Théâtre des Arts, à Rouen, le 20 août 1918, sous la présidence de M.
Lormier, président du Syndicat d’agriculture de la Seine-Inférieure.
Un Joli Coin Normand
(FRAGMENTS)
____
A M. Paul Harel.
Salut monts du Lieuvin, collines du Roumois
Où biches et chevreuils rappellent les chamois.
Salut site normand, arrosé par la Risle,
Qui ne possède pas d’ingrat terrain stérile !
Que belle est ta vallée et que verts sont tes prés,
O Risle sinueuse, aux reflets diaprés,
Quand l’aurore au matin s’y mire, toute rose,
Quand s’y baigne le soir quelque reflet morose !
Couronnés de grands bois, piqués de gais châteaux
Combien sont gracieux les verdoyants coteaux,
Frais remparts naturels de splendides prairies
Où l’on vit rarement des loups cherchant frairies.
Là, sans craindre l’hiver, les autans en courroux,
Des vaches, des chevaux, même «
les grands bœufs roux »
Vont puissant, ruminant, parfois à cœur d’année,
Oublieux de l’étable et de l’herbe fanée.
J’aime de tes hameaux les rustiques maisons,
Tes usines aussi qui dans toutes saisons
Mettent leurs points brillants, étoiles de la terre,
Aux coins laborieux où la nuit fait mystère.
J’aime les frais matins, le calme de tes nuits,
Le parfum de tes foins, la saveur de tes fruits,
Et de tes peupliers, la plainte, ou le murmure,
Lorsque le vent du soir agite leur ramure.
Goûtez le cidre pur : ce jus frais et vermeil,
Venant des pommes d’or que murit le soleil !
Buvez le bon lait doux, tout savoureux de crème.
C’est le fard des normands : ils n’ont pas le teint blême.
Et puis vous me direz s’il est plus beau pays,
Coteaux plus giboyeux et nectar plus exquis
Que ce qu’on trouve ici, chez nous, en Normandie,
Et que montrent sans art ces vers que leur dédie
Princesse
Bruyère.
Paysanne
_____
A l’école de la nature
Elle apprit du cœur et des yeux,
Et connaît ce qui passe et dure
Dans le village et sous les cieux.
Du destin de son âme humaine,
Le secret ne l’irrite pas :
Elle va comme Dieu la mène
Sans chercher plus loin que ses pas.
Elle sent bien que tout s’arrête
Au grand lit d’immobilité,
Et que la vie est une fête
Unique dans l’éternité.
« Sur la terre, de bonnes choses,
Dit-elle, Dieu nous a comblés :
Regardons éclore les roses,
Et, le temps venu, cueillons-les. »
«Comme elle dit, on la voit faire,
Et les fruits mûrs de son jardin,
Pêche suave ou poire amère,
Sont tendres à sa grande faim.
Sans rêve d’étoile ou de lune,
Sans égoïsme raisonneur,
Elle possède la fortune
Et tient enchaîné le bonheur.
(
L’almanach désuet.)
Gaston L
E
R
ÉVÉREND.
~~~~~~~
Nous avons la bonne fortune d’offrir, ci-dessous, à nos lecteurs, des
vers inédits de notre confrère poète G. de Colvé des Jardins, ancien
rédacteur en chef de la «
Revue des Beaux-Arts et des Lettres », et
du «
Correo de Paris », vice-président d’honneur de la
Société
française de Paléologie ; auteur d’un célèbre recueil de poèmes en
langue du quinzième siècle : «
Les Oberliques », d’une adaptation du
«
Médecin-volant » de Molière, jouée au Théâtre Artistique, d’une
désopilante étude de bas bleu, «
Madame Duveau d’Esquares » et de
quantité de vers et de nouvelles, qui ont été insérés dans de
nombreuses publications.
Il n’est pas indifférent de rappeler ici que notre nouveau
collaborateur descend d’une famille normande, les Eudes (de Tourville,
de Collevé,
alias Colvé, des Jardins, de Rayville, etc.), dont
l’existence est constatée, dès le treizième siècle, par les chartes
conservées dans les archives du Calvados. Il est donc bien de « chez
nous » ̶ et nous tenons à le féliciter de ne l’avoir point
oublié. – N. D. L. R.
Rédemption (1)
_____
Tu passeras, époque infâme, orde et sinistre,
Epoque des cœurs durs et des âmes sans foi,
Règne de la bassesse où triomphe le cuistre.
Trop longtemps asservis par ta fune te loi,
Trop longtemps étouffés dans ta vile fournaise,
Les justes clameront anathème sur toi.
Ils materont la tourbe impudente et niaise
Des rhéteurs criminels, bourreaux du rêve ancien,
Qui s’acharne à prêcher la parole mauvaise.
Négation de tout par ceux qui ne sont rien,
L’athéisme mourra : plus d’ombres, plus de voiles
Entre les êtres bons et la source du bien.
Le Maudit renié séchera dans ses moelles,
Ses suppôts se tairont ; le temps sera fini
Des fous qui se targuaient d’éteindre les étoiles.
Les fortunés tendront, en un geste béni,
La main aux parias. La Science fétiche
Ne suffira plus seule au monde rajeuni.
Le cœur du malheureux ne sera plus en friche ;
Noble, il rejettera de son fardeau trop lourd
L’horreur de l’existence et la haine du riche.
Et les hommes ravis verront surgir un jour
Sur leurs fronts purs, levés vers la clarté première,
Levés vers ta splendeur, ô Christ, ô Dieu d’amour,
Une aurore d’espoir, de joie et de lumière.
G.
DE C
OLVÉ DES JARDINS.
______________
(1) Ces terza rima ont été écrites en 1914, avant l’éclosion du
sublime mouvement de patriotisme, de réelle fraternité et de relèvement
moral qui, depuis quatre ans déjà, pour la France et ses alliés, semble
justifier la pensée qu’elles expriment. – G. DE C. DES J.
~~~~~~~
UN POÈTE NORMAND
________
Alphonse-Eugène Lemaresquier
___
Le 14 mai dernier, est décédé à Cretteville-en-Bauptois,
Alphonse-Eugène Lemaresquier, poète patoisant, peu connu,
malheureusement, qui a laissé des poésies pleines de charme dont
quelques-unes ont paru jadis dans le
Bouais-Jan et parmi lesquelles
nous nous faisons un devoir de publier
L’Vus Moulin à veint du
Bauplouais.
« Lemaresquier, écrit notre confrère Raoul Le Méland, dans le
Journal
de Coutances, ce saxon de Normandie, selon l’expression même de son
maître et ami Louis Beuve, fut un vrai poète de chez nous, aimant
éperdûment son Bauptois, qu’il exalta de toute son âme. Il fut un ami
fidèle des fleurs, qu’il cultiva et chanta avec amour ; il adorait la
campagne et la solitude où, seulement, il se sentait vivre et pouvait
respirer à pleine poitrine. Les nuages blancs qui glissent dans le
ciel, le bruissement des feuilles, les prés verts baignés au loin dans
la brume, l’odeur grisante des simples inclinaient vers l’attrait
prestigieux d’un inconscient panthéisme cet amant éperdu de la nature,
ce doux rêveur, sans cesse attentif à surprendre les divins murmures,
les sublimes métamorphoses de la végétation.
« Nous pensons bien pouvoir un jour, peut-être prochain, donner aux
amis des choses de chez nous quelques-unes des œuvres inédites de celui
que nous pleurons, comme un des bons et vrais poètes de notre agreste
Cotentin, regrettant que sa modestie, jointe à une timidité native, lui
ait fait jalousement cacher tant d’autres pièces exquises qui, ainsi
que celles déjà livrées au public, auraient leur place bien marquée
dans une anthologie du pays normand. »
L’vus Moulin à Veint du Bauptouais
(Patois du Cotentin.)
L’vus moulin de Biaivent, ès Laindelles,
Bi conneu d’nos geins du Bauptouais,
N’mountrera pus guère sa tourelle,
Sûs l’côtis, au bord des marais.
Malgré la piyîr’ du bounhomme,
L’z’héritis du vûs Thouminot
Ont d’cidâé de l’abattre – (En somme
Pour yeux cha n’était pas l’gros lot !)
Et chenna, sains se douter que l’teimps
S’s’rait bi chergi, à li tout sou,
Dévalingui à tous les veints
Jusqu’à san pour dergni caillou !
Man pour vus moulin ! Chaque annâe,
Bi d’aîtes comm’li, hélos ! s’en vont,
Renversés par la même poussâe
Que l’vus monet et que l’vus pont.
Sus sa butt’ fleurie de poum’rolles,
Haôt caimpé au d’sus des poumis,
No l’viyait d’la Londe-ès-Bréholles
Par tous les qu’mins, tous les sentis !
Et, quaind j’allions à « La Muguette »,
Aôt’ fais, quaind je passions au pi,
Not’ graind pèr’ butait sa quérette
Pour mûs nous laissi le guetti.
No racontait, sous la chimm’nâe,
Qu’no viyait parfais, à maingni,
Eunn’ bell’ dam’ biainch’ tout’ épourâe,
Pieurer auprès de s’ n’écali.
Ch’était la d’mouézelle de la Fire
Qui trachait de mess’ pour rachtâer
La mort d’eunne jolie mounire
Qu’oul’ avait fait décapitâer.
Le progrès a figui ses ailes,
Ses grainds bras étendus en crouet
Qui tournaient, la gnit, sous les tailes
Endiabiées d’la « bête Oripet »
Le norouais hurle en graind’s veintâies
Coumme aut’ fais à faire tout craqui,
Mais dépis qu’sont parties les faies
L’pour vûs moulin s’est assigi…
Un été, taindis qu’ès Viv’s-Terres
Les froments c’ qu’emchaient à jaîni,
Sous l’gros if, près d’la crouet d’pierre
L’vus mouni, usé, fut couchi.
A muche-pot, derrire la quesnâe
Qui bordait la piche du moulin,
La dergnire mule r’vint d’sa tournâe
Avé l’dergni sâ d’serrasin !
Car, sûs terre, hélas, tout passe,
Goublins, visions, moulins itou !
Achteu de sa pourn vûle carcasse
No n’vait pûs bitot ri’ n’en tout !
Les ronches et la pariétaire
Tapissent ses restes crailaints
Y où qu’les hu-hants, à la gnit naire,
Font tremblii d’pous tous les passaints.
Aveuc toutes leues belles machaines,
Les bounnes gens du teimps d’achteu
N’ont même pas piti d’ses ruaines
Et méprisent jusqu’à sa fieu.
Pourtaint, no vaintait sa mouture,
Coumm’ la meilleur’ de tout l’Bauptouais
Et, tcheu nous, pûs d’eunn criyature
Faisait d’aveu, san chouesn’ des Rouais !
Combi n’nos pères y sont v’neuns moudre
Duraint troîs sîcles et pûs hélas !
L’long d’sa cache ombragie d’coudre,
Que d’frinots ont sumé leus pas !
Qu’y fussent d’ava ou bi d’amont,
No les disait fins coumm’ belette.
Y’avait Bonot, l’tortu de Biaimont,
Colin l’sorchi, Giaimin, Taîpette….
Confondeu d’fieu jusqu’au bounet,
L’moucheux noué sus la poitraine,
D’aveuc san biaidot d’roguet
Coumm’ Jain d’Biaivent avait bounn’ maine !
Quaind y passait par les maisons,
Li qu’avait lû certains « grimouaires »
No s’y prenait d’toutes les féchons
Pour li fair’ conter des histouaires !
Tout est désert sur la collaine
Et silencieux coumm’ dans un bouais.
San tic-ta qui battait à pouène
Un matin, s’est teu à jomais.
Le vent pieure dans la querryire
Depis l’jou qu’ses dergnis frinots
Ont emportâe dans l’vûs chym’tire
L’zairs qui chantaient en b’vaint un pot !
Même au r’nouvet, ah ! qui minsère !
No n’vait personn’ dains les bissons !
Pourtaint, l’bouais jain et la brière
Sur la butt’ fieuriss’nt à foison !
Mais l’vûs moulin n’est pus d’la fête ;
Et l’z’ainciâns, en l’viyaint coumm’ cha,
Murmurent, tout en brainlaint la tête :
« Ch’est l’restaint du bon temps qu’ s’en va ! »
A. L
EMARESQUIER.
Toulon, 20 décembre 1904.
~~~~~~~
Un Honnête Homme
UN ACTE EN PROSE
(Suite)
___________
SCÈNE IV
RAYMOND ET MARGUERITE, SEULS.
(
Restés seuls, un long silence s’établit entre eux, peuplé de jeux de
scène sobres où, peu à peu, ils s’enhardissent. Leurs regards se
heurtent d’abord, puis se fondent, puis se pénètrent. Ils veulent
dissiper ce silence gênant. Ils parlent et disent, d’abord, un peu
n’importe quoi.)
MARGUERITE. (
Douloureuse.)
Ils sont drôles, n’est-ce pas ?...
RAYMOND.
Drôles !... Vous êtes indulgente. Moi je les trouve…
MARGUERITE. (
Vivement.)
Je vous en prie…
RAYMOND.
Vous... ? Soit, je ne dirai pas le mot. Mais je ne puis vous cacher mon
indignation. (
Geste de Marguerite.) Ah ! laissez-moi parler, je vous
prie à mon tour ! C’est un besoin : il faut que je dise à haute voix ce
que je pense !... Je me suis trop longtemps contenu. J’étouffe à la fin
!
MARGUERITE.
Calmez-vous !
RAYMOND. (
Impétueux, continuant.)
Laissez donc ! Je traduis ce que vous pensez. Ah ! ils sont bien
pareils l’un et l’autre, Druard et Druard fils de Druard. Génération
d’hommes d’affaires, d’âmes d’affaires… Certes, quand nous étions au
collège, et plus tard même, Germain ressemblait assez à son père, mais
il avait pour lui de la jeunesse, de la spontanéité ; il vivait et il
vibrait encore… Non ! je n’aurais jamais cru qu’il pouvait devenir ce
qu’il est aujourd’hui.
MARGUERITE. (
Triste.)
… Un honnête homme…
RAYMOND. (
Amer.)
Oui, un honnête homme !... Oh ! je vois bien dans vos regards une
stupéfaction qui s’accentue : cela vous étonne évidemment que je parle
ainsi de mon meilleur ami devant son épouse et pendant son absence.
Mais, je vous le répète, si Germain est trop mon ami pour que je ne lui
reconnaisse pas de grandes qualités, il vient aussi de se montrer
tellement pareil à son père, que je souffre atrocement de sa
métamorphose continue… Ce qui s’ébauchait naguère s’accuse à présent…
Pendant qu’il parlait tout à l’heure, je l’ai trouvé si loin de moi…,
si loin de moi…, je l’ai vu si irrémédiablement transformé que…
MARGUERITE. (
Avec effort, protestant « par devoir » seulement.)
Mais Monsieur Favier…
RAYMOND. (
Se ressaisissant, redevenant un peu blagueur.)
C’est vrai… Je déraillais… Mais ne m’en veuillez pas, je vous en
supplie, d’avoir dit, devant vous un peu… beaucoup de mal de la vertu.
MARGUERITE.
Je ne vous en veux pas… Et puis… il ne faut pas garder rancune non plus
à Germain, vous !... Ce serait très vilain…
RAYMOND.
Pourtant…
MARGUERITE.
Et puis ça me ferait de la peine.
RAYMOND.
Je vous ai donc fait de la peine tout à l’heure ?... Oh ! dites-moi que
non, car je serais navré… navré… en un pareil moment…
MARGUERITE.
Quel grand enfant vous faites !... Vous savez bien… Nous ne nous
connaissons pas d’hier, bien que vous aimiez à vous oublier durant de
longs mois dans je ne sais quels pays légendaires du Nord… Je vous
connais assez pour que vos paroles ne me peinent pas. Vos intentions,
votre caractère dissiperaient toute équivoque s’il pouvait s’en créer
une…
RAYMOND.
Merci. Que vous êtes bonne de rappeler un peu le passé, l’autrefois !...
MARGUERITE. (
Les yeux brillants.)
Ça me change un peu…
RAYMOND.
D’atmosphère… n’est-ce pas ?
MARGUERITE. (
Riant avec effort.)
Oui… (
Un temps.) J’en conviens : Germain a quelques idées fixes – une
surtout, à mon égard… mais je sais qu’il ne veut que mon bonheur.
RAYMOND.
Il vaudrait mieux pour vous, certes, qu’il fût moins soucieux de votre
joie… Il y a des bienfaiteurs qui… Ecoutez. Vous n’ignorez pas que si
j’ai pu suivre ma vocation d’artiste, ce ne fut pas sans vaincre des
difficultés de tous ordres. Vous n’avez jamais connu, au temps où les
salles vous acclamaient, que le Favier bienheureux, le Favier d’hier…
MARGUERITE.
Et d’aujourd’hui.
RAYMOND. (
La fixant.)
Non… (
Un temps.) Celui dont un critique officiel écrivait à propos du
dernier Salon : « C’est l’un des plus curieux tempérament que je
connaisse, l’un des plus…, etc… » Vous connaissez cette pommade… Mais
il y eut naguère, au temps de mes dix-huit ans, un autre Favier… pas «
Poil-de-Carotte » pour deux sous, mais au moins aussi malheureux que le
gosse de Jules Renard. Voici l’histoire, d’ailleurs : elle n’est ni
très neuve, ni bien originale ; elle est exacte, rien de plus. C’est
celle de la plupart de mes pareils. Et maintenant, je deviens l’aïeule
qui va raconter quelque chose, le soir, à la veillée… (
Il transporte
son siège tout près de Marguerite.) Le premier indice de ma vocation
se manifesta vers ma sixième année. Ma bonne ayant laissé sur une
chaise un épouvantable chapeau à plumes qui lui seyait comme un
haute-forme à Raymond Favier, je marquai mon indignation d’artiste à
grands coups de ciseaux et j’éparpillais les plumes avec un art…
impeccable. Je reçus une correction… méritée. Or mon oncle affirma
gravement que je serais chapelier… « Ou tondeur de chiens », gronda mon
père. Puis il ajouta avec une assurance qui m’éblouit comme une
prédiction : « Il sera ingénieur comme l’ami Druard. C’est un bon
métier et avec nos relations… » Bref, à seize ans, ayant épaté mes
divers professeurs de dessin j’exprimai le désir de me spécialiser en
vue de la carrière artistique. Ma proposition fut admirablement
accueillie…
MARGUERITE.
Alors ?...
RAYMOND.
On me défendit de dessiner, de faire des croquis, d’ébaucher n’importe
quoi se rapportant à l’Art. J’avais sollicité des cours de dessin.
J’obtins des bouquins de mathématiques, plus un espionnage constant et,
par surcroît, des admonestations périodiques pour stimuler mes
assiduités auprès des X, des cosinus et des courbes gauches…
(
A suivre.)
GEORGES NORMANDY.
~~~~~~~
PAYSAGES NORMANDS
Saint-Martin-de-Boscherville
_____
… C’est la charmante salle capitulaire
demi-gothique de Bocherville, à laquelle
la couche romane vient jusqu’à mi-corps…
V. HUGO.
(Notre-Dame de Paris, Liv. 3, chap. I.)
M
AROMME…. Les hautes cheminées des usines dessinent des banderolles
fumeuses dans la vallée, où l’on entend le ronron des roues qui
tournent sous l’active avalanche des eaux des riviérettes….. La brume
cache les collines ; c’est un voile qui dérobe d’abord comme de beaux
corps, mais une main mystérieuse le soulève, et le soleil dore alors
les croupes des collines – nymphes géantes endormies… La route court au
flanc des coteaux couronnés de rangées d’arbres ; elle court ainsi
longtemps jusqu’à Bapeaume, pays industriel, où l’on recommence à
trouver les Anglais actifs… Sur le petit pont d’une rivière deux
tommies s’amusent fort à jeter du pain à des canards !... On traverse
Bapeaume, puis c’est la montée en colimaçon vers Canteleu, nom dont
l’assonance rappelle la vie d’un moyen âge où l’on entendait, dans la
forêt « canter les leus » !
Les camions chargés de bois en grume dévalent, freins serrés, et,
bientôt, sur la gauche, Rouen apparaît… Toute la vie frémissante du
port : les bateaux à quai, la multitude des grues ; les gros
remorqueurs au sifflet impérieux, sillonnent, infatigables, le fleuve…
Puis le gros de la ville : les trois églises, d’abord la Primatiale
dont les deux tours, par un bizarre effet d’optique semblent changer de
place, tourner autour de la flèche d’Alavoine qui prend les allures
épiques d’une lance dressée ; Saint-Ouen-la-Couronnée, à la tour
ajourée, comme le bonnet que portait grand’mère ; Saint-Maclou à
l’unique flèche sculptée…. Au premier plan, presque sans transition,
tout contre la ville, d’immenses champs… La moisson est faite… Les
gerbes sont accouplées sur la bande jaune… Des vaches paissent dans une
prairie en fleurs, et leur gardien siffle, enfoui dans les herbes…
Curieux effet d’estampe, comme on l’aimait au dix-septième… Il y manque
les deux philosophes à la Jean-Jacques…. De Canteleu, la vue sur Rouen
est d’une totale beauté. La ville se ramasse autour des églises plus
que jamais, en un bloc et les détails s’abolissent dans les fumées ;
une ville respire sur les bords d’un fleuve qui, jadis, creusa son lit,
au flanc des collines.
Nous sommes allé nous reposer dans l’église de Canteleu, sur un vieux
banc normand modestement sculpté, mais beau dans la sobriété des
lignes, et beau par ses accoudoirs usés par les bras appuyés des
paysannes… Pures émotions !
Désormais, la route s’enfoncera dans la forêt du Roumare, nom évoquant
Rou, premier titulaire de la Duché…. Ce matin, dans la forêt, des
soldats abattent les arbres magnifiques, mais c’est pour sauver… le
fief ! Nous marchons ainsi longtemps sur la route déserte, odorant les
fragrances des pins, puis la route se déroule comme un phylactère,
abandonne la forêt, débusque, surplombant un pays :
Saint-Martin-de-Boscherville ! Et l’abbaye apparaît, ses flèches
tournées vers la Seine invisible, au pied des collines lointaines…
Quand on arrive dans Jumièges, l’on ressent une impression de tristesse
: est-ce le vent qui, gémissant, dans le croassement des corbeaux,
autour des deux tours puissantes et sévères, provoque cette tristesse ?
Mais ici, à Saint-Martin-de-Boscherville, le pays est souriant, et les
pauvres maisons ne paraissent point s’étonner de vivre au pied d’une
basilique… En vérité, elles ont sauvé l’abbatiale de la destruction ;
elles en sont restées les vassales dévouées… Ce ne fut pas comme à
Jumièges… On suit longtemps la rue principale, bordée quand on parvient
aux anciennes dépendances de l’abbaye, par les murs de clôture à
contreforts, murs assez épais pour que des habitations y soient
installées… Enfin, voici l’église sur la petite place… On entre :
quelle impression de force tranquille, et d’ambiance carolingienne ! Le
dallage est grossier, et usé par quels pas d’hommes d’armes ? A la
croisée, le regard, éperdu, cherche un appui sous la lanterne, et ce
pauvre regard pour revenir au sol sans vertige, s’accroche banalement à
la corde des cloches !
Peu de mobilier, si ce n’est un pompeux confessionnal du dix-septième…
Cette nudité plaît, et l’on a assez à faire à considérer les sculptures
des chapiteaux pour lesquels l’artiste a su mettre à profit ses
connaissances de la faune, de la flore, et de l’âme humaine…
Au midi, une chapelle fut décorée de peintures qui ont peut-être le
même âge que le confessionnal, mais l’humidité les a rongées… L’autel
affreux, de cette chapelle, consacré à Saint-Joseph, porte cette
inscription :
Ite ad Joseph… Et nous, nous allons à la basilique !
Raoul de Tancarville, Grand Chambellan du Conquérant, en ordonna la
construction. Elle fut dédiée à Saint-Georges. On la situa sur une
hauteur devant le fleuve qui, en un temps, dut venir battre les murs de
l’immense pourpris, si bien qu’aujourd’hui l’on s’étonne de voir
l’abbaye si loin de l’eau… Ces boucles de la Seine arrosèrent – voire
mirèrent – de bien jolies choses. Elles arrosèrent ces collines dont
les carrières fournissaient la pierre pour des abbayes entières. Ainsi
les pierres des abbayes furent d’abord le lit somptueux du dieu des
Eaux… Elles glorifièrent ensuite le vrai Dieu comme les anciennes
statues du Paganisme devinrent les statues de saints et d’évêques
devant lesquels s’inclinaient les fidèles du Christ… A travers la
fenêtre de l’auberge, devenue ainsi un vitrail unique, nous pouvons
considérer cette pierre cuite à point, dorée par le soleil, et la
montée des deux flèches de pierre de la plus belle époque du treizième
siècle, accostées de pinacles, et flanquant un grand pignon… Quel
éblouissement le jet à la fois si puissant et si gracile de ces flèches
que le maître-d’œuvre lança comme une prière plus ailée, plus dégagée
vers le ciel. La transition entre un roman sévère et un gothique qui en
garde encore la sévérité s’affirme nette, et un écrivain mystique qui
compara un jour le roman à l’Ancien Testament et le gothique au Nouveau
pourrait ici surtout reprendre son image…
Une cloche sonne !... C’est l’Angelus !... O mon pays !... Collines si
florissantes, si généreuses de moissons dorées, pommiers aux âpres
branches, mais si chargés de fleurs, c’est-à-dire de pommes ; rivières
laborieuses, vieux chaumes, forêts profondes où semble retentir encore
la chasse endiablée des ducs ou de quelque Saint-julien ; vents
mugissants comme des orgues qui donnent la vie à la plaine ; villes
sévères groupées sur les monts ou chantantes dans les vallées ;
villages accrochés au flanc fécond des collines, vastes prairies où les
vaches paissent, paisibles, et vous abbayes, dont il ne reste plus que
ruines ! Il est venu des cataclysmes dans le vol prodigieux des
siècles… Et les années fuient, dans les temps emportant sur leurs
ailes, le souvenir des us et des coutumes... Solitude qui fait si
tristes les abbayes…
La nef de Saint-Georges-de-Boscherville tend maintenant les bras pour
six cents âmes ! Nous aurons encore su, par notre enfance, la bonne vie
d’autrefois des abbayes, par ceux qui ont connu les hôtes de
Saint-Wandrille, ou les jours de fête du Loup-Vert dans les ruines de
Jumièges… Mais ils disparaissent à leur tour, pour l’éternité, et leurs
logis sont devenus des granges !
Saint-Georges, patron de la nef, combattez-vous aussi, dans votre
armure d’argent, pour le pays de France ?
J’ai repris la route… L’abbaye apparaît une dernière fois à travers un
rideau d’arbres… La belle flèche qui somme la tour-lanterne, les deux
flèches en avant-garde tournée vers le fleuve… C’est une châsse entre
la forêt et l’eau, et Saint-Georges y repose endormi, dans son armure
d’argent !...
Maintenant, la route file à travers la forêt du Roumare. Elle est
toujours une longue banderolle sortie du chœur de
Saint-Georges-de-Boscherville…. Ainsi que dans les livres d’heures,
elle s’arrêtera à la ville prochaine, qui est la ville des cathédrales,
et je suis le pèlerin barbu qui la suit, fidèle… Saint Georges,
levez-vous dans votre armure d’argent, et venez férir de beaux coups
pour la délivrance du beau pays de France !
Maromme, août 1916.
Gabriel-Ursin LANGÉ.
═════════════════
Nous commencerons, dans notre prochain numéro, la publication d’une
curieuse étude d’un de nos amis, Louis Gamilly, sur une petite ville
normande : VERNON.
═════════════════
ÉCHOS ET NOUVELLES
_________
L’Académie française, tant plaisantée, fait quelquefois bien les
choses… Eh ! oui ! n’en déplaise à notre spirituel confrère
Ernest-Charles !... Elle a accordé le
Prix Charles-Blanc à M. Hardy
pour son ouvrage intitulé la
Cathédrale Saint-Pierre-de-Lisieux (ci…
500 fr.)… Mais une autre de ses décisions nous cause une vraie joie…
Elle a, comme on sait, décerné à M. Auguste Bunoust le prix de poésie
Le Fèvre-Deumier (1.000 fr.) par moitié, pour son admirable livre :
Les Nonnes au Jardin ! Le poète Auguste Bunoust est déjà bien connu.
Demain, il le sera plus encore. C’est un grand talent qui se lève au
ciel de notre Normandie… Et n’oublions pas à tresser aussi quelques
couronnes à
la Revue Normande qui publia ses premiers poèmes ; à ses
directeurs : Raymond Postal et Pierre Préteux.
J’ai lu, dans même
Revue Normande, un article du docteur Tulasne sur
Saint-Ouen et son abbaye. M. Tulasne y fait montre d’une érudition fort
agréable, mais il me permettra de lui chercher noise – oh ! un tantet !
Car je l’ai lu à fond… Ainsi, parlant de la déviation de l’axe des
églises, il explique qu’il ne faut pas y attacher, quant au point de
vue symbolisme, d’autre importance… Il a raison ! Ce sont là d’ailleurs
les excellentes théories de Lasteyrie, qui, quoi qu’en dise Huysmans,
sont logiques. Le chœur des églises gothiques dévie, en effet, aussi
bien à droite qu’à gauche, et ne saurait indiquer absolument le
mouvement de tête du Christ expirant, le visage uniquement tourné vers
le Nord… Mais M. Tulasne, quelques lignes plus loin, nous parle du
bénitier de Saint-Ouen sur lequel s’inverse la voûte de l’église, et il
découvre là une idée symbolique !... Il faudrait s’entendre… Et
j’attends une explication de M. Tulasne sur la non-présence dans les
autres églises d’un pareil bénitier ? Ou alors, l’auteur, qui ne croit
pas au symbolisme, y croirait tout de même ?
Le Ministre de l’Instruction publique et des Beaux-Arts a pris
d’excellentes mesures quant au musée de Rouen, menacé par d’éventuels
bombardements. Et, d’autre part, les vitraux de l’église primatiale,
les vitraux de Saint-Ouen, de Saint-Patrice, ont été déposés. Ces
travaux, extrêmement délicats, ont été accomplis par les soins des
maisons G. Marein, G. Simon, et Boulanger. C’est tout un admirable
ensemble qu’il était opportun de soustraire au danger, tout un travail
inestimable daté depuis le treizième siècle jusques au dix-huitième
siècle…. Enfin, pour ce qui est de la cathédrale, c’était un pieux
devoir aussi de mettre hors d’atteinte le vitrail devant lequel Gustave
Flaubert est venu rêver, ce « vitrail d’église » désigné, sans plus,
comme un « vitrail d’église, dans mon pays… »
Revenons sur
Sainte-Débarras. Un lecteur-pèlerin passionné des choses
belles et curieuses, nous écrit que Sainte-Débarras est encore toute
puissante. Et il put remarquer, lors d’un assez récent voyage à
Beauvais, une plaque de marbre clouée à l’autel de la sainte… Il lut :
«
RECONNAISSANCE ÉTERNELLE. – MAI 1915. » C’est là un culte fervent,
et, à tous égards, il importe, plus que jamais, de préserver cette
sainte utile.
G.-U. L.
LA DISTILLATION DES CIDRES INTERDITE PENDANT DEUX MOIS
Sous ce titre, le
Nouvelliste d’Avranches a publié l’entrefilet
suivant :
« Un décret rendu sur la proposition du Ministre de l’Agriculture et du
Ravitaillement, interdit la distillation des cidres pendant la période
du 15 juillet au 15 septembre 1918.
« Cette prohibition a été rendue nécessaire par l’augmentation
considérable des quantités de cidre allant à la distillation. La
distillation des cidres a produit 10.439 hectolitres en 1915 1916. Elle
donnait, pour la campagne en cours, à la date du 1er mai, 68.66[1]
hectolitres.
» L’alimentation en cidre des départements de l’Ouest se trouvant ainsi
compromise, l’administration du Ravitaillement a été obligée
d’intervenir, d’autant plus que la récolte des pommes sera probablement
déficitaire. Par la mesure prise, on espère parvenir à réserver pour la
consommation directe un million d’hectolitres de cidre, qui auraient
été absorbés par les alambics.
» Il y a trois mois qu’on eût dû prendre cette mesure. Aujourd’hui, on
a distillé tant et plus dans certaines régions et la conséquence en a
été la hausse du prix du cidre, à un tel point que celui-ci va devenir
une boisson de luxe, dont beaucoup de ménages devront se passer.
Pendant que les uns auront de l’alcool plein leurs celliers, d’autres
boiront de l’eau.
» Ce n’était vraiment pas la peine de nous mettre sous les yeux des
affiches qui représentent l’alcool comme un des principaux agents de la
tuberculose, pour laisser, à côté, les alambics absorber la majeure
partie des boissons hygiéniques. »
Nous ne pouvons qu’approuver notre confrère et déplorer avec lui, qu’en
même temps qu’on encourage les Sociétés d’action contre l’alcoolisme,
on favorise la distillation du poison.
A ce propos, nous nous faisons un devoir de signaler une petite
brochure intitulée :
Conférence antialcoolique (1) qui reproduit une
conférence que M. le docteur Boucher, conseiller général de la
Seine-Inférieure, a été chargé de faire aux troupes du camp retranché
de Paris, par M. le Directeur du Service de santé.
Cette brochure devrait être répandue dans toute l’armée et pourrait
être lue et commentée avec profit dans nos écoles.
_______________
(1) Berger-Levrault, éditeur, 5 rue des Beaux-Arts Paris.
UNE HÉRÉSIE RÉGIONALISTE
Un bon point à M. le Ministre des Beaux-Arts qui, par décret en date du
12 juillet, a donné raison à la réclamation, contenue dans notre
dernier numéro, relative au rattachement du département de la Manche au
Comité des Arts appliqués de Rennes. Ce décret rend à Caen, les départements de l’Orne et de la Manche.
UN BEL EXEMPLE
Une louable initiative vient d’être prise à Fécamp par MM. L. Durand,
directeur du
Journal de Fécamp. Un livre d’or où tous les morts pour
la patrie de la glorieuse cité cauchoise auront leur place, sera rédigé
par notre confrère et collaborateur, M. Eugène Leroux, édité avec luxe
(et cela sans aucune arrière-pensée de lucre).
Pieuse entreprise qu’il faut souhaiter voir imiter par toutes les
villes françaises, car il ne saurait être rendu à ceux qui ont sauvé la
liberté du Monde un honneur plus émouvant et plus durable. Œuvre
d’union sacrée, œuvre régionaliste, œuvre désintéressée, qui réunira
sous les mêmes couronnes ceux qui, venus de tous les pôles de l’opinion
et de toutes les classes sociales, ont mêlé leur sang pour tracer sur
la terre française les lignes que l’envahisseur n’a pu dépasser.
La Préface du
Livre d’Or des soldats fécampois morts pour la Patrie,
portera la signature de notre collaborateur, M. Georges Normandy, dont
la fidélité à sa ville natale est connue.
SUCCÈS RÉGIONALISTE
L’Académie Française vient de couronner un autre écrivain régionaliste,
dont nous avons déjà entretenu nos lecteurs. C’est M. Pierre Aguétant,
l’excellent poète bugiste, auteur de la
Tour d’Ivoire, préfacée par
Mme Alphonse Daudet et du déjà célèbre
Poème du Bugey, préfacé par M.
Georges Normandy et illustré par le maître peintre bressan Johannès Son.
Normandie est heureuse d’offrir au nouveau lauréat ses plus cordiales
félicitations.
LES ARTS
La guerre n’a pas interrompu l’activité des artistes normands qui
étaient dignement représentés au salon de 1918, organisé au Petit
Palais à Paris, par la Société des
Artistes français et la
Société
Nationale. Malgré le nombre restreint des œuvres exposées, la
Normandie y faisait bonne figure :
Dans la section de peinture : Anquetin (Louis) : L’enfant au drapeau. – Bouchor (Félix) : Arrivée à
Géradmer du général de Pouydraquin. – Charrière (M.) : Souvenirs de
Dieppe et du Havre. – Clary (E.) : Les quais de Rouen. – Courant (M.) :
Au pied de la Falaise. – Diéterle (G.) : Un camp anglais. – Grün : M.
le curé du Breuil-en-Auge. – Laugée (G.) : Temps d’orage. – Le Petit
(A. M.) : Bords de Seine. – Moteley (G.) : Morez du Jura. – Olivier
(René) : La procession à Furnes. – Rame : Paysage dans l’Aude.
Dans la section de sculpture : Bénet (E.) : Portrait du Dr Foley. – Chauvel (G.) : Le général Mangin.
– Dubois (Ernest) : L’abbé Wetterlé (statuette) ; le maréchal de
Mac-Mahon.
Dans la section d’architecture : MM. Cochepain : Reconstruction d’un village meusien. – Chédanne : Rome
au IVe siècle. – A. Dervaux : Gare de Rouen.
A la Gravure : Brunet-Debaines : Quatre eaux-fortes originales, dont
Le Pont de Vernonnet. – Desgranges : Jeune femme (litho). – Léandre
(Ch.) : La Guerre et la Paix (litho). – Le Melleur (G.) : Le Petit
Andely. – Vergesarrat :
L’Hôtel-Dieu à Paris.
Dans la section d’arts appliqués : R. Bigot, avec des Etudes d’
Oiseaux ; Mme M. Le Melleur :
Panneau-frise ; Mme Andrée Foucart-Mauger : Reliure en cuir incisé ; et
la grande artiste qu’est Mme Blanche Ogy-Robin, avec une de ses belles
œuvres, intitulée :
Faune sous la Vigne.
LA MAISON DES TEMPLIERS A CAUDEBEC-EN-CAUX
En 1913, il paraissait dans le
Journal de Rouen un joli roman de Paul
Vautier,
John le Conquérant,
où était décrite la Maison des Templiers
vieille construction du treizième siècle, « à façade de pierre, où
trois gargouilles entrecroisent des ombres fantastiques sur l’ogive des
fenêtres. » Paul Vautier y réunissait un Comité de défense des
monuments et nous faisait assister à une de ses séances… fictives. Or,
ce que la clairvoyance du romancier avait prévu, s’est réalisé. M.
James, en effet, nous apprend que les Amis du Vieux-Caudebec, dont il
est le président, ont acquis pour y installer leur siège social, la
vieille maison du treizième siècle de la rue de la Boucherie, à
Caudebec-en-Caux, classée comme monument historique et connue sous le
nom de Maisons des Templiers. Ainsi que le dit M. James, « à l’heure où
tant de précieux édifices de notre pays tombent sous le canon de nos
barbares ennemis, les « Amis du Vieux-Caudebec sont fiers de donner,
par l’acquisition qu’ils viennent de faire, une preuve de la vitalité
de leur société et de leur sollicitude pour les monuments de notre
chère Normandie. » Le vœu de M. Paul Vautier, grâce à la très heureuse
initiative de M. James, s’est donc accompli. Paul Vautier qui depuis le
commencement des hostilités, combat dans un régiment de zouaves sur le
front, où il a remporté la croix de guerre, sera certainement heureux
d’apprendre cette nouvelle artistique. (
Journal de Rouen, Georges D
UBOSC.)
BAYEUX
Le pays de la Dentelle a donné asile à l’Ecole Drouot (Ecole de
lingerie et broderie), si populaire en Lorraine. Grâce au concours désintéressé de tous dans la vieille ville normande,
les petites élèves nancéennes ont pu s’adonner à leurs travaux
accoutumés, dès leur arrivée. L’ancien séminaire de Bayeux a été
transformé et l’on croit voir une vieille demeure lorraine, lorsqu’on
visite la salle Jeanne d’Arc, la salle Nancy, la salle Drouot… Tout a
été fait pour rendre le séjour agréable et faciliter les travaux. Les
commandes affluent de fine lingerie de dentelles de Nancy…
LE HAVRE
Le roi des Belges dont, on le sait, le gouvernement est installé à
Sainte-Adresse, a conféré la médaille de la reine Elisabeth à Mmes
Georges Ancel, femme du député du Havre ; Benoist, femme du
sous-préfet, et Talon, femme du préfet, commissaire général français
près le gouvernement belge, en récompense des services rendus à des
œuvres belges militaires et civiles. La même distinction honorifique est accordée à Mmes Bathala, Hérouard
et de la Mourvonnais, de Sainte-Adresse qui, depuis octobre 1914, se
sont dévouées aux œuvres des mutilés de guerre et des réfugiés belges
dirigées par Mme Helleputte, femme du ministre de l’Agriculture et des
Travaux publics.
BALZAC ET LE NORMAND
On sait qu’un Musée connu sous le nom de Maison de Balzac avait été
installé rue Raynouard, à Paris. Faute de subsides, on avait craint, un
moment, que cette institution ne disparût. Mais un normand a eu le joli
geste. Il a payé les termes en retard ; il devient le locataire de la
Maison et n’y modifiera rien. Le logis de Balzac restera donc le
rendez-vous des balzaciens fervents. Nous regrettons vivement de ne pas connaître le nom de ce Normand de
Caen qui a droit à la reconnaissance des admirateurs du Maître.
LE CHEVAL DE GUERRE
La Société du cheval de guerre, à Argentan, donnera cette
année à
Argentan, le 14 septembre prochain, un important concours de chevaux de
selle. Ce concours est exclusivement réservé aux chevaux de 3 ans, nés
ou
élevés dans les départements dépendant des dépôts d’étalons du Pin et
de Saint-Lô. Sont seuls qualifiés pour prendre part à ce concours, les
poulains
hongres et les pouliches de demi-sang, âgés de trois ans, comptant au
moins un auteur de pur sang (étalon ou jument) dans ses six ascendants
directs, ou issus d’un étalon qualifié « type selle » comptant lui-même
un auteur de pur sang au nombre de ses six ascendants directs.
Exceptionnellement la présentation n’aura lieu qu’à la main. Ce
concours est doté de 12.500 francs de primes répartis en deux
catégories :
1re catégorie : chevaux de 1 m. 55 à 1 m. 58 inclus. 6.250 francs
divisés en 16 primes.
2e catégorie : chevaux de 1 m. 59 et au-dessus, 6.250 francs divisés en
16 primes.
Le programme détaillé de ce concours ainsi que des feuilles
d’engagement seront adressés à toute personne qui en fera la demande au
siège de la Société : 43, rue de Lisbonne, à Paris.
___________________
Le Gérant : MIOLLAIS.
_________________________________________________________
IMPRIMERIE HERPIN, Alençon. Vve A. LAVERDURE, Successeur.