Vers une
Action Normande
(Suite.)
LES REMÈDES
2° - Nos « Objectifs ».
Tous les peuples sont aujourd'hui sur les sommets.
Allons-nous
redescendre ?
LLOYD GEORGE.
J'emprunte, à dessein, au langage militaire de la guerre, cette
expression « nos objectifs » connue maintenant du dernier de nos poilus.
Tous ceux qui ont vécu en secteur, pris part aux opérations offensives
selon la méthode mise au point par le général Pétain, savent que, sans
préparation poussée jusqu'à la minutie, sans « plan d'engagement »
patiemment réalisé, sans objectifs connus de tous ceux qui devaient
sortir des tranchées à l'heure H du jour J, on risquait le « bec de gaz
», le fatal et sanglant bec de gaz ! N'en va-t-il pas de même, au
surplus, de toute entreprise humaine ? Plus la tâche est difficile,
plus les objectifs sont lointains, plus il faut pousser à fond l'étude
et la mise au point du plan directeur.
Que voulons-nous réaliser ? Jusqu'où voulons-nous aller dans la voie
des réformes, au moyen de l'action envisagée ? Quels seront nos «
objectifs » et comment les atteindre ? Loin de nous la pensée
téméraire, immodeste, de présenter dans les lignes qui vont suivre un
plan d'action auquel rien ne manquerait et qui serait dressé
ne
varietur ! Une enquête doit clore ces aperçus, qui sollicitera les
critiques, les conseils de chacun, en vue de faire l'union nécessaire
sur le programme minimum.
Les résultats de cette enquête seront d’un puissant intérêt pour
arrêter les directives devant servir de guide aux groupements régionaux
de Normandie.
Mais quelque grand que soit notre désir de faire des sacrifices à cette
union sacrée, dont l'esprit nous anime — et nous en avons donné, chemin
faisant, des preuves multiples — il en est que nous ne pouvons
consentir sans compromettre l'assise même de l'œuvre à entreprendre. Le
moment est venu pour nous de dire ce que de longues réflexions mûries
dans les abris de la terre de France, au bruit douloureux du canon de
Verdun, de la Somme et de l'Aisne, nous ont amené à considérer comme
essentiel à la renaissance nationale ; ne pas donner ces sévères
conclusions franchement, sans ambages, serait plus qu'une faiblesse,
une lâcheté de caractère, à laquelle nous nous refusons.
Eh bien, si nous voulons sincèrement, énergiquement, que le pays
renaisse, il faut réaliser sans retard tout ce qui suit :
I. — LA RACE
ne reprendra force et vigueur que si :
Rompant avec une tradition qui ne connaît que l'individu, nous faisons
enfin dans nos mœurs et dans nos lois à la seule vraie cellule sociale,
LA FAMILLE, la situation nettement privilégiée à laquelle lui donnent
droit les devoirs qu'elle a à remplir et les lourdes charges qu'elle a
à supporter. (Emplois aux fonctions publiques, appointements et
salaires plus élevés, dégrèvement d'impôts, de loyers, logements aérés
et spacieux, jardins y attenant, semaine anglaise, gouttes de lait,
garderies, crèches, etc.),
le privilège s'accroissant avec le nombre
d'enfants.
Elargissant le DROIT DE TESTER, on permet au père de famille, sans
toutefois rompre l'égalité dans les partages, d'assurer entre les mains
de celui de ses enfants qu'il jugera le plus apte, la survivance et le
développement du domaine petit ou grand, agricole, industriel ou
commercial qu'il aura créé.
Rayant d'une main ferme LES BOISSONS ALCOOLIQUES de la carte du
débitant qui devra se contenter du « pinard » et des bons crus de
France, nous réglons pour toujours, en tranchant dans le vif, une des
questions les plus irritantes, j'en conviens, mais les plus graves de
l’après-guerre.
Organisant la CULTURE PHYSIQUE, on en rend l'enseignement obligatoire
dans tous les établissements scolaires.
Réalisant enfin la lutte contre la misère et les maladies, on se décide
à faire dans nos lois une plus large place aux règles D'HYGIÈNE
PUBLIQUE (suppression progressive des quartiers malsains, des maisons
insalubres, mesures de prophylaxie, colonies de vacances en montagne et
à la mer, sanatoria, etc).
Resserrant les liens du mariage (au rebours de ce qu'on a fait depuis
trente ans), on ose renforcer l'institution et notamment modifier la
loi sur le divorce et rendre ce dernier exceptionnel (1).
Dédaignant les inévitables clameurs des mercantis ou des dilettanti
maladifs de L'ART ET DE LA LITTÉRATURE (ces pires ennemis du Vrai, du
Beau, du Bien), on assainit la scène, le cinéma, les publications, en
faisant notamment la guerre aux « cochoncetés », pour parler comme
Sainte-Beuve.
Se décidant enfin, et surtout à ne pas plus longtemps vouloir ignorer
quels auxiliaires précieux sont, en démocratie, les éléments de force
morale et spirituelle, on met un terme aux luttes religieuses en
inscrivant courageusement dans les lois, dans les programmes
d'instruction, les mots de : BIENVEILLANCE ACTIVE A L'ÉGARD DES CULTES
pratiqués en France... Bienveillance au lieu de neutralité, toutes les
neutralités (surtout les malveillantes) sortant à jamais flétries du
conflit mondial !
II. — LE RÉGIME
ne nous donnera le gouvernement qui gouverne réclamé
par tous, mais que bien peu parmi nos élus cherchent sincèrement,
qu'autant que nous aurons fait le nécessaire pour : «
Boucher le trou
par en haut » en donnant à un Président de la République désigné par
les grandes assemblées régionales, professionnelles et corporatives,
des pouvoirs qu'on ne refuserait pas à un directeur d'usine, en faisant
de lui un chef, une tête, gouvernant par des ministres choisis
librement, responsables devant lui et pouvant avec compétence,
tranquillité et continuité, accomplir de grands travaux ou réaliser de
longs desseins ;
Rendre incompatibles les fonctions de ministre et de
parlementaire, la section devant être nette entre l'exécutif et le
législatif ;
Créer une
Cour suprême composée de magistrats parvenus au terme de
leur carrière, n'ayant plus rien à espérer, avec mission de veiller au
respect scrupuleux, par tous sans exception, des lois
constitutionnelles ;
Donner mission à un
Conseil législatif (2) de préparer, d'accord avec
les assemblées professionnelles intéressées, les projets de loi à
présenter aux Chambres ;
Réaliser le Programme de la Fédération Régionaliste de France, publié
dans le numéro d'août 1917 de cette Revue..., et non pas le timide
projet qui vient d'être rapporté par M. Henessy ;
Perfectionner « cet instrument grossier qu'est notre suffrage
universel (3) », et ce, en fonction de la valeur morale, sociale de
chacun... A chacun selon ses œuvres ! (Scrutin élargi, vote familial,
vote professionnel) ;
Permettre par une
réforme prudente de l'enseignement, aux élites de
tous les milieux de se manifester et de donner tout ce dont elles sont
capables sans être arrêtées par des questions pécuniaires.
III. — LE MONDE AGRICOLE
ne verra s'arrêter l'inquiétant exode des
campagnes, le retour à la terre ne deviendra une réalité de demain que
si le Pouvoir central, satisfaisant aux vœux formulés par les voix
autorisées des régions, protège, développe intelligemment
l'agriculture, l'aide à accroître et à exploiter selon les procédés
modernes, des richesses que chacun sait incomparables. Le sage et docte
M. Henri Blin, dont je sollicite les conseils, les rectifications,
permet-il à mon incompétence de se risquer à dire qu'il faut, en
matière agricole :
Assurer, par l'école primaire transformée d'abord, par des
conférences et surtout des expériences et travaux pratiques ensuite, un
enseignement très complet, approprié à la Région, répandu jusque dans
les petits villages ?
Mettre, en conséquence,
le cultivateur sans cesse au courant des
découvertes nouvelles, des méthodes de culture
les plus avantageuses
et les plus propres à obtenir une meilleure utilisation de tel ou tel
sol, une culture plus intensive ?
Faire connaître les mérites de l'association : Syndicats,
Coopératives, Sociétés de crédit d'assurances, Mutualités, Groupements
de défense et d'achats en commun ; puis susciter la création de ces
associations en répandant des modèles de statuts ?
Créer des centres d'analyses avec terrains pour travaux pratiques ;
peupler ces centres d'hommes... également pratiques et sachant se faire
comprendre et aimer du paysan ?
Combler les lacunes de l'Enseignement régional actuel (Écoles ou
Cours d'industrie laitière, fruitière, fromagère, etc. (4) ?
Voter une
loi accordant une indemnité au fermier sortant pour
plus-value donnée à la ferme. ?
Remédier, par des mesures sociales variant avec la Région, à la crise
de la main-œuvre (placement direct par syndicats mixtes d'ouvriers et
de patrons, logements améliorés, jardins ouvriers, crèches et garderies
d'enfants, etc.) ?
IV. — LE DOMAINE INDUSTRIEL ET COMMERCIAL
appelle un labeur immense,
de nature à faire reculer les plus rudes à l'ouvrage. Nous avons dit
notre alarmante situation d'avant-guerre ; or, la lutte que nous imposa
l'Allemagne fut toute industrielle. Elle exigea, en France, du commerce
et de l'industrie, un effort auquel ces derniers auraient succombé sans
les secours venus de nos alliés.
Notre situation sur la carte, les événements, les impitoyables
concurrences de ce siècle de fer, sont tels que nous devons demain,
sous peine de renoncement, de suicide, soutenir la lutte économique. La
République « athénienne », dont nous jouissons, nous y a mal préparés.
Ne condamnons pas la culture générale et les études classiques, mais
renonçons à l'irréalisable et folle entreprise d'en vouloir, à toute
force, faire bénéficier le nombre ! Ce qu'on gagne en étendue, on le
perd en profondeur ; et Dieu sait si le niveau des études classiques a
baissé depuis quelque vingt ans ! Réservons ces études à l'élite (et
j'entends par là les intelligences supérieures de tous les milieux) ;
cultivons jalousement cette élite, « il jardinetto », comme disent les
Italiens, mais veillons à ce qu'elle reste bien une élite morale et
intellectuelle.
Tel fera de mauvaises humanités, qui deviendra un commerçant actif et
entreprenant.
Suscitons les vocations industrielles et commerciales,
créons l'enseignement capable de nous façonner l'ingénieur, le
chimiste, le négociant, le chef d'industrie ou d'usine, le voyageur de
commerce, voire même le chef d'atelier ou de chantier qui seront les
cadres indispensables de cette autre armée de demain.
Que notre méthode d'enseignement se préoccupe davantage de découvrir
les aptitudes, qu'elle spécialise les compétences. Oh ! je sais quelles
furieuses batailles on a livrées autour de ces mots : Spécialisation de
l'enseignement ! Mais en cette matière, comme en beaucoup d'autres, la
voix des extrémistes a couvert celle des sages. Il n'est pas question
de remplacer, chez nous, par une spécialisation à l'allemande, cette
culture générale qui est l'un des plus beaux titres de l'enseignement
français : Rehaussons seulement le prestige de cette culture en
diminuant le nombre de ceux qui s'y adonnent ;
restituons à
l'industrie et au commerce nationaux les sujets idoines, et
spécialisons-les selon leurs aptitudes ; c'est à ce prix que nous
pourrons affronter la lutte économique qui suivra fatalement la crise
mondiale. N'allons pas jusqu'à faire comme le kaiser qui dut intervenir
personnellement auprès des facultés allemandes pour imposer la parité
entre les titres universitaires et les diplômes industriels et
commerciaux, mais honorons et favorisons ces derniers.
Au cours même
de la guerre, l'université d'Edimbourg a créé un diplôme de bachelier
du commerce. Inspirons-nous de cet exemple.
Dans la Région reconstituée, développons l'enseignement professionnel,
faisons revivre l’apprentissage et que cet enseignement soit vivant,
pratique, en relations suivies avec les centres concurrents de
l'étranger.
Là encore, adoptons les méthodes nouvelles de travail, de
spécialisation. Je me rappelle avec quel émerveillement un de mes
sergents, retour d'une permission passée à La Rochelle, je crois, me
parla de l'art consommé que les Américains mettaient à monter leurs
locomotives. Les Machines arrivaient en pièces détachées, soigneusement
emballées et numérotées ; des ouvriers familiarisés avec ce nouveau «
puzzle » parvenaient en quelques heures à mettre sur rails le monstre
venu de l'autre côté de l'Atlantique. Aucune manœuvre n'était faite
inutilement, aucune minute n'était perdue, tant les mouvements de
chacun étaient bien réglés. Et cet autre qui « n'en revenait pas » de
chaudières, de réservoirs immenses, rivés à l'électricité, par des
équipes travaillant jour et nuit, achevant en soixante-dix ou
quatre-vingts heures ce que nous, Français, nous mettions quinze jours
à exécuter avec les bons vieux procédés que l'on devine !
Il faut, en outre,
rendre confiance au capitalisme français, en
s'inspirant des idées développées par Lysis dans deux livres écrits
pendant la guerre :
La Démocratie Nouvelle, et
Pour Renaître,
c'est-à-dire en substituant à l'idée néfaste de partage celle de
production.
Il faut en même temps
permettre au travail, qui renferme plus
d'éléments sérieux qu'on ne le croit généralement,
de coopérer en une
atmosphère de confiance réciproque avec le capital. Dans la mesure où
il sera possible d'associer le travail au succès de l'entreprise sans
qu'il puisse toutefois prétendre la diriger, favorisons cette
collaboration. L'élite du monde du travail, assagie par les risques de
perte pécuniaire qui en découleront, fera ainsi une éducation
profitable dont ne pourront que bénéficier patrons et ouvriers.
Au point de vue social, la France est à la croisée des chemins. Trois
routes, a dit Georges Valois, s'offrent à elle : Individualisme,
Socialisme, Syndicalisme. N'hésitons pas ; rejetons les deux premiers :
l'un comme stérile et anarchique, l'autre comme antifrançais,
d'ailleurs faux, et manifestement contraire aux véritables intérêts de
notre prolétariat (5).
Engageons-nous dans la voie syndicaliste ; transformons en large
avenue le sentier timidement tracé dans notre législation par la loi de
1884 et donnons d'abord au Syndicat, avec la responsabilité effective,
la faculté d'acquérir et de posséder. C'est le bon chemin, et pour le
patron et pour l'ouvrier. Celui-là y gagnera en dévouement, en
rendement ; celui-ci réalisera, par ce moyen, dans l'ordre et dans la
dignité, ses aspirations légitimes, tant au point de vue matériel
(hygiène, logement, salaires, etc.), qu'au point de vue moral
(éducation, culture intellectuelle).
L'Angleterre, l'Amérique, l'Australie, pays réalistes et pratiques,
ont, par le syndicalisme, assuré la prospérité et le confort d'usines
et de logements ouvriers qu'on cite toujours en exemple à notre vieux
monde. Comme certains industriels hardis, doués d'initiative, l'ont
fait spontanément an cours de la guerre (les Citroën pour ne citer
qu'un nom), aiguillons les esprits dans cette voie. Renonçons surtout
aux discussions nettes et irritantes sur de prétendus principes «
intangibles et sacro-saints » qui n'ont jamais servi qu'à enrichir les
meneurs et les parasites : voyez politique alimentaire !
Pour résoudre les inévitables conflits entre le Capital et le Travail,
de tout notre cœur, avec le sincère désir d'aboutir, étudions la
création de
Conseils de Patrons et d'Ouvriers, ou de tous autres
organismes propres à prévenir les grèves avec leur cortège de haines et
de misères. Ceux des lecteurs de
Normandie qui ont feuilleté quelques
revues anglaises et américaines durant ces derniers mois, auront pu se
rendre compte de l'effort accompli chez nos alliés pour tenter de
prévenir dans l'avenir ces conflits et de leur donner une solution
équitable et pacifique.
Enfin, il faudra recourir aux
groupements d'industriels et de
commerçants. L'idée sera difficilement accueillie par certains
cerveaux qui en sont encore à l'individualisme intransigeant de la
grande révolution. Elles seront pourtant nécessaires, ces ententes,
pour lutter contre l'industrie étrangère, assurer la stabilité des
cours et régler la production. Trusts et cartels, à condition d'en user
avec à-propos, sont susceptibles de rendre de grands services pour
défendre une industrie, un produit sur les marchés mondiaux ; on a été,
jusqu'ici, trop rebelle à ces idées en France.
Faut-il rappeler ici les premières impressions des ingénieurs
américains venus pour jeter les bases de la belle organisation que tous
sont contraints d'admirer sans réserves ?... « Les Français ont des
vues courtes, égoïstes,
ils ont l'effroi des ententes, ils voient «
en épicier »
Mais pour que tout cela puisse se réaliser, il faut que notre
Bureaucratie de « fossile » cède la place à des
Ministères d'Hommes
d'affaires ayant dirigé de grandes entreprises, des usines, des
manufactures ; il importe que ces hommes restent, en outre, constamment
en relations avec les organismes corporatifs régionaux peuplés des
mêmes hommes d'initiative et de compétence éprouvée (6). Il faut enfin
que tous ne connaissent d'autre politique que celle qui consiste à
accroître sans cesse les richesses industrielles et commerciales du
pays.
Il est à peine besoin de rappeler après tant d'autres que comme
corollaire à tout ce qui précède, il faudra
doter nos ports d'un
outillage un peu moins 1830, mettre nos voies de transport par terre
et par eau en mesure de répondre aux nouveaux besoins des régions,
refaire notre marine marchande (la Hamburg Amerika Line, malgré les
pertes de la guerre, reste la première Compagnie de navigation du monde
!) Puis nous assurer aux lointains pays, où se négocient les
fructueuses affaires, une
représentation consulaire jeune,
entreprenante, largement dotée de moyens d'action et s'occupant un peu
moins de littérature, mais un peu plus de commerce et d'industrie !
Voilà très en gros, certes, mais il me semble sans équivoque dans les
directives, ce qu'à mon sens nous devons réaliser, si nous voulons
sincèrement renaître.
Que la France n'ait pas le courage de faire tout de suite cet effort et
elle aura laissé passer une de ces heures qui ne se représentent pas
dans la vie des peuples ! Qu'on médite bien ces problèmes :
Reculons-nous devant la tâche, formidable, j'en conviens ? Le pays
cesse,
ipso facto, d'occuper, dans le monde, la place de Nation
pacifique, mais forte, que nous imposent notre nature, nos
sensibilités, aussi bien que les réalités ethniques et géographiques.
Très en gros, ai-je dit ?... En effet, chacune des questions effleurées
dans les pages qui précèdent donnerait à elle seule matière à de longs
développements. Ce sera la tâche que s'imposeront, je veux le croire,
les lecteurs de
Normandie ; il faut que les hommes qualifiés de
l'agriculture, du commerce, de l'industrie, apportent le concours de
leur expérience et leurs sages conseils. Ce sera l'œuvre, enfin, des
Centres d'Action Normande à la création desquels tendent ces études.
(A suivre.)
G. VINCENT-DESBOIS.
NOTES :
(1) Les statistiques démontrent que les divorces, sans cesse plus
nombreux, deviennent un véritable péril pour la société. Cependant des
esprits qui passent pour avoir un certain crédit auprès de l'opinion
parlent encore d'en fendre l'obtention plus facile !
(2) Ou au Conseil d'Etat.
(3). Planiol, professeur à la Faculté de Droit de Paris :
Précis de
Droit civil, tome I.
(4) Consulter les études spéciales et documentées publiées ici même par
M. Anoyaut.
(5)
Antifrançais, puisque se réclamant du juif allemand Karl Marx,
dont les sentiments « germains » et hostiles à notre nationalité ont
été révélés au cours de cette guerre ;
faux, puisque reposant sur une
conception tout à fait erronée de la valeur et faisant dépendre
l'amélioration du sort du travailleur d'une idée de partage, alors que
c'est avant tout une question de production ;
funeste enfin,
puisqu'elle mène à la lutte de classes, à l'Internationalisme à
l'allemande, à Berne, à Kienthal, à Zimmerwald
(6) Chambres Syndicales, Chambres de Commerce, constituent des
armatures qu'avec un peu de volonté on peut faire sortir de leur
relative léthargie et transformer en organismes vivants, actifs,
influents.
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Régionalisme et Enseignement
________
Aux jours de l'armistice, paraissait un livre riche d'ardentes résolutions :
L'Université nouvelle,
par les Compagnons (1). Il convient d'admirer, et d'en tirer leçon,
l'exemple de ces jeunes universitaires qui, au milieu des combats comme
dans la boue des tranchées, ont eu, au cours de cette longue guerre, le
souci de méditer sur l'œuvre à accomplir, dès que les armes tomberaient
des mains des soldats. Ils avaient cette nette compréhension qu'il
fallait, sans attendre, songer à organiser les méthodes et les
enseignements par lesquels serait assurée la sauvegarde de l'âme
française. Avec enthousiasme, ils ont dressé le cahier des
revendications par lesquelles ils entendaient préparer les esprits de
la jeunesse pour les tâches nouvelles : La France ayant, après
l'hécatombe, besoin d'une élite, il allait falloir la lui discerner ;
nos industries devant s'accroître, il allait falloir leur préparer des
ouvriers, des contremaîtres et aussi des directeurs hardis ; l'œuvre de
l'Université ne devait plus être séparée du labeur quotidien de la
nation, mais y collaborer intimement pour le diriger dans le sens le
plus utile. Car le besoin de l'heure, c'est produire : produire pour
que meilleures soient les conditions de la vie.
Ainsi,
ces éducateurs, au spectacle tragique et sous la leçon de la
souffrance, se proposaient comme but, non de recommencer à suivre
égoïstement le sentier d'avant-guerre, humble et borné, mais d'élargir
les routes et de planter les arbres de sciences au long de vastes
avenues, remplies de clarté. En transformant, en modifiant les
institutions vieillies, ils entendent lier l'enseignement à la vie
économique du pays, pour que dans la démocratie qui s'organise chaque
individu soit mis à même de fournir à la société toute sa capacité.
***
L'individu
y fut jusqu'ici impuissant, car une centralisation outrée détournait
ses efforts. Le vice de l'ancien système est là, dans cette «
alternance tragique entre une centralisation excessive : qui appauvrit
les régions comme les individus et cette anarchie égalitaire, qui est
au fond une révolte illusoire contre cette centralisation même et
n'aboutit qu'à l'émiettement des forces ». D'un côté, Paris où se
décrètent budgets, programmes uniformes ; où les mêmes écoles attirent,
pour les surchauffer, les candidats aux concours ; où règnent les
Bureaux, les Conseils, les Inspecteurs qui considèrent la France comme
une abstraction. De l'autre, l'anarchie universitaire : des catégories
d'enseignement compartimentées ; aucun groupement à visées larges vers
une foi, une religion nationale ; pas de lien entre les élèves d'un
même enseignement ; entre les élèves et les maîtres ; entre les maîtres
et les parents. La nécessité apparaît donc de constituer entre l'Etat
omnipotent et centralisateur, et les citoyens isolés et impuissants, un
moyen terme qui associe ces éléments épars : Ce sera l'association des
intérêts professionnels. Voilà ce que vont réaliser « les Compagnons »,
l'organisation corporative dans chaque région. Comme ils le déclarent,
c'est le fruit et l'enseignement de la guerre. Ce que celle-ci a en
effet appris à ceux qui l'ont vécue, c'est la nécessité et la fécondité
de la coopération et de la concentration des énergies ; assez donc de
ce passé d'
a priori et de
centralisations administratifs ; que naisse un organisme vivant ! « Il
y a là sous nos yeux un peuple qui tressaille, qui sent enfin craquer,
dans la bourrasque de la guerre, les vieilles cloisons, qui ne demande
qu'à vivre, à vivre partout où il est, partout où il trouvera un champ,
une mine, une forêt, un fleuve. Nous sommes les amis de la vie, nous
voulons vivre, préparer la vie, organiser la vie. Notre ordre nouveau
ne se construira pas sur des compartiments universitaires, sur des
catégories d'enseignements primaire, secondaire ou supérieur. Nous
l'édifierons-sur la région, sur chaque morceau du sol français.
Décentralisation et groupements provinciaux. Abattons les anciennes
barrières et cherchons des liens nouveaux. Les forces montent de la
terre. »
***
Le moyen de réaliser cette réforme est d'assurer au Français dans l'
école unique l'éducation de
toutes ses facultés.
Dans un régime démocratique, l'enseignement doit tendre à tirer de tout
individu le meilleur rendement. Il est indispensable, en effet, que
soient révélées les intelligences et les énergies pour que tous
produisent et pour que les meilleurs gouvernent dans l'intérêt de tous.
La conséquence logique est donc l'instauration de l'enseignement
unique, remplaçant les cloisonnements de primaire, secondaire et
supérieur. A la base, l'école unique qui « acheminera d'une part
l'élève aux humanités, d'autre part à l'enseignement professionnel qui
tous deux se rejoindront dans l'enseignement supérieur ».
Cet
enseignement unique sera adapté à la région. « On est de sa province,
comme on est de son siècle. S'il est folie de ne pas préparer les
enfants à la vie actuelle, il l'est tout autant de ne pas les préparer
à la vie régionale. Puisqu'on vit, puisqu'on travaille autrement dans
le Nord que dans le Midi, sur la côte que dans la montagne, il faut que
l'enseignement, à tous les degrés, soit de la couleur du ciel et du
sol, qu'on y sente la présence de la vigne ou celle du charbon, qu'on y
respire ici l'odeur de la mer, là celle de la forêt ou du pâturage. Et
ceci va très loin. Il s'agit non seulement de faire connaître la région
à l'écolier, d'ouvrir toutes grandes les fenêtres de l'école sur le
paysage ; il s'agit encore d'établir, entre l'enseignement et les
forces de la région, ce double courant de vie qui permettra à l'école
de fleurir sur son terroir, à la région de recueillir les fruits
qu'elle aura fait mûrir. Vrai surtout pour l'école technique et la
Faculté, ce principe l'est aussi pour l'école unique, dont le stade,
étendu jusqu'à quatorze ans, comprend déjà un enseignement
professionnel. » Il y aura collaboration de la sorte entre l'école et
les activités régionales de l'industrie, du commerce ou de
l'agriculture.
Cet enseignement unique se proposera
l'éducation de toutes les facultés ; il faut faire des hommes
pleinement productifs, c'est-à-dire équilibrés. Il cultivera donc le
corps par des exercices appropriés, par les sports ; la volonté par
l'entraînement à l'initiative ; l'esprit, en acheminant chaque élève,
suivant ses aptitudes diverses, vers son avenir propre. Jusqu'à treize
ou quatorze ans, l'école unique assurera ainsi la formation physique,
intellectuelle et morale de tous les enfants. A partir de treize ou
quatorze ans, suivant la valeur de ses facultés, l'enfant ou bien sera
dirigé vers l'apprentissage d'une profession manuelle, ou bien recevra
une culture générale. Quant à l'enseignement supérieur, il aura à
remplir son rôle de formation pédagogigue tout en collaborant
étroitement au travail scientifique pour le progrès et le développement
des richesses nationales ; les chaires de cet enseignement seront
tenues par de jeunes agrégés utiles à la région ; les laboratoires
seront outillés pour les recherches nécessaires aux industries de la
région.
***
Ainsi
se résument les principes de la doctrine des Compagnons : comment
ceux-ci conçoivent-ils l'institution chargées de les appliquer ?
Celle-ci devra associer les membres de l'enseignement à la tâche
d'organisation de l'Etat. Cette collaboration garantira l'élaboration
des programmes d'études en conformité des besoins. L'Etat aura à
utiliser, d'ailleurs, toutes les activités officielles comme celles qui
seraient indépendantes. L'Etat n'a à se réserver qu'un droit général de
direction et de contrôle. A lui d'indiquer l'orientation à donner à
l'enseignement, suivant les besoins du pays : agricoles ou industriels,
expansion aux colonies ou à l'étranger... A lui de déléguer ses
représentants pour vérifier si cette orientation est bien suivie, et si
les établissements obtiennent des résultats.
Quant à
l'exécution et à ses moyens, c'est au corps enseignant à déterminer les
meilleurs procédés pédagogiques à employer, à chaque groupe régional à
prendre ses initiatives propres, pour remplir le but proposé. Il n'y a
donc plus place pour cette concurrence que se font dans certaines
localités des établissements qui se disputent sans utilité une même
clientèle. Et il faut surtout bannir cette politique de carrière qui
n'a rien de commun avec celle qu'enseignait Aristote. Ici une réforme
s'impose urgente : L'indépendance politique des instituteurs. Que
désormais l'instituteur, rentré au sein de l'Université, soit nommé et
placé par elle. Enfin, la liberté largement comprise de l'enseignement
doit encore aider au développement national ; les établissements libres
devront être subventionnés par l'Etat en tant qu'ils accomplissent une
fonction de l'Etat. Car pour être démocratique, il est indispensable
que l'école unique, y compris celle de l'enseignement libre, soit
gratuite. Et cette subvention de l'Etat n'exclut pas celles que
pourront faire les éléments régionaux ; car « la corporation et les
régions entendront leur devoir, les syndicats aussi. Le jour où les
ouvriers, les commerçants, les agriculteurs sauront deux fois plus
qu'ils ne savent, le rendement de leur travail sera décuplé. Nous
retrouverons en prospérité générale largement ce que nous aurons
dépensé en laboratoires et en écoles professionnelles ».
Le rôle de l'Etat sera de veiller à la réalité de l'
obligation
de cet enseignement démocratique : gratuité de renseignement, sa
conformité aux directives, choix des maîtres, et surtout la
fréquentation
scolaire, jusqu'à l'âge fixé. Il approuvera les programmes élaborés par
les corporations. Car les « Compagnons » veulent rapidement organiser
ces corporations, en groupant dans « chaque région les éléments qui
existent déjà pour former comme le « Conseil régional de l'enseignement
». C'est ainsi qu'ils envisagent que, dans chaque établissement, le
bureau de l'Amicale des membres de l'Enseignement ferait partie du
conseil d'administration de l'établissement ; que dans la région, un
conseil académique fonctionnerait, auprès du recteur, formé par les
bureaux des Fédérations des Amicales ; qu'à la tête se trouverait le
conseil supérieur comprenant les représentants des Syndicats
commerciaux, industriels, etc., et les bureaux des Fédérations
nationales.
De la sorte, l'Etat, se bornant à son rôle
directeur, laisse à ses recteurs, assistés de leurs conseils, les
initiatives d'exécution, initiatives concordantes quand même, puisqu'à
chaque échelon de la hiérarchie, la « liaison » est assurée ; c'est la
division du travail qui est appliquée ici, comme elle l'a été hier dans
la préparation des offensives destinées à délivrer le pays.
Toute la base du système repose donc sur la «
Corporation régionale » qui groupe les Amicales du lycée ou du collège, des écoles techniques, des instituteurs, de l'enseignement libre.
Ainsi,
au centre de l'institution, comme au centre de la doctrine, c'est un
régionalisme fécond, en même temps que l'union des divers ordres
d'enseignement. La corporation, rattachée au sol, aura à se relier à
tout ce qui fait la vie qui l'environne : Syndicats et groupements du
commerce et de l'industrie patronaux et ouvriers, pouvoirs publics,
représentants des diverses confessions religieuses, parents des élèves,
etc... Et au sommet de l'institution, pour couronner le système et lui
assurer sa qualité d'organisme vivant, un professionnel, rappelant
l'ancien grand-maître de l'Université.
Toute cette organisation
se résume dans la gestion de l'Université par la corporation de
l'enseignement. Et celle-ci, par les racines qu'elle pousse dans le
milieu régional, trouve un accroissement de ses forces intellectuelles
comme de ses moyens matériels. Car, plus encore peut-être que le
contrôle de l'Etat, les nécessités, les besoins immédiats de la région
aiguillonneront les éducateurs dans la recherche d'y toujours mieux
satisfaire.
Ce plan, conçu avec une foi enthousiaste qui
éclate à chaque page du livre, est un hommage de plus rendu à
l'organisation régionale, qui, dans les différents domaines de la vie
nationale, apparaît donc comme le principe de toute reconstitution.
L'appel sera-t-il entendu ? Ou « les Compagnons » seront-ils obligés de
partir, comme naguère, à l'assaut pour triompher des inerties qui
maintiennent les vieilles institutions? « Chaque fois qu'un combattant,
écrit un nouveau civil, démobilisé d'hier, rentrait de l'intérieur, il
revenait avec l'impression que le soldat seul connaissait, avec quelque
exactitude, le coût de la guerre en vies et en ruines. Cinq ans ont
passé. La « Propagande » a fonctionné. Les « films » ont tourné. Les
journalistes ont écrit. L'ignorance reste aussi complète. Il serait
cependant temps de mesurer l'œuvre à accomplir, afin de préciser
l'effort à donner. »
La démocratie française, que
flattent en ces jours tant d'orateurs, est, en cette matière
d'enseignement, bien dépassée encore par l'Angleterre. Ce pays, en
pleine guerre, contre l'opposition d'intérêts privés puissants, a
cependant réalisé une importante réforme. Le bill Fischer du 8 août
1918 impose l'obligation scolaire jusqu'à quinze ans, et, pour les
jeunes gens de quinze à dix-huit ans, celle de suivre des cours de
perfectionnement huit heures par semaine pendant quarante semaines
annuellement. Sans doute, ce résultat n'a pas été obtenu sans
résistance, et il fallut, pour assurer sa réalisation, une vaste
campagne d'opinion. Les « Compagnons » ont, eux aussi, pour le succès
de leur entreprise, grand besoin que l'opinion française s'intéresse à
leur effort, si étroitement lié au développement économique du pays.
Ils ont la jeunesse et l'audace : ce sont deux bons garants pour leur
fortune.
M. ANOYAUT.
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LES INDUSTRIES A EXPLOITER EN NORMANDIE
_________
Les Lineries Agricoles et Industrielles
____
L'étude sur la rénovation de la production et de l'industrie du lin
en Normandie, à laquelle nous avons consacré l'article paru dans le
précédent numéro (1), doit être considérée comme d'autant plus
justifiée par les préoccupations actuelles que, dans le département de
la Seine-Inférieure, la superficie cultivée en lin accuse,
présentement, une diminution de 2.436 hectares. Si nous en croyons la
dernière statistique, cette superficie, qui était de 3.601 hectares, en
1902, ne serait plus que de 1.165 hectares. Si on ajoute à cette
constatation que les centres liniers de nos départements du Nord,
anéantis par l'invasion, ne peuvent alimenter notre industrie linière ;
que la Russie, notre grand fournisseur avant la guerre, ne peut, dans
la situation si agitée qui la ruine chaque jour, rendre à ses ports de
la Baltique le florissant commerce auquel donnait lieu sa production
linière (semence et filasse) ; si, enfin, on considère que, pour la
culture du lin, et bien avant la guerre, nous étions déjà devancés par
l'Autriche-Hongrie, l'Italie, l'Angleterre, la Belgique, on ne peut que
mesurer plus exactement encore l'insuffisance de nos ressources, la
faiblesse de notre production et de notre industrie.
Et
pourtant, les besoins de celle-ci sont immenses, car tous les stocks de
fils et de tissus ont été épuisés au cours de ces cinquante-deux mois,
où toute fabrication a été interrompue, où les rares centres
manufacturiers liniers indemnes de l'invasion : Cholet, en
Maine-et-Loire et Voiron, dans l'Isère, n'ont pu s'alimenter en
matières premières.
Il faut donc revenir à la culture du
lin, augmenter les surfaces à consacrer à cette plante industrielle. Le
complément nécessaire de cette renaissance de la culture, c'est le
travail sur place de la matière première, en substituant à la méthode
ancienne, employée pour le rouissage et le teillage du lin, les
méthodes nouvelles, qui en suppriment les inconvénients, procurent un
meilleur rendement et permettent de créer, sur les lieux de production,
des lineries agricoles ou industrielles, des usines ayant la matière
première à pied-d’œuvre et constituant pour les cultivateurs et pour
les industriels une source de réels et importants bénéfices. C'est
qu'en effet, on peut prévoir avec certitude, pour la culture du lin,
une rénovation complète et un nouvel essor comme conséquence de
l'application des procédés perfectionnés de rouissage et de teillage
dont la vulgarisation avait été commencée à la veille de la guerre, en
Normandie, par un spécialiste distingué, M. Feuillette, qui installa
une première linerie, en 1913, à Goderville (Seine-Inférieure), pour,
précisément, y pratiquer le travail du lin, d'après ses procédés
scientifiques et en démontrer les grands avantages économiques.
Aujourd'hui,
on sait que le rouissage est une fermentation ; c'est l'œuvre de
bactéries agissant sur la matière gommo-résineuse, décomposant la
pectose ou enveloppe des fibres de cellulose (dans le lin à l'état
vert) en acide pectique, qui donne au lin roui son brillant, sa «
graisse ». Les tiges du lin portent des ferments rouisseurs, et c'est
en fournissant à ces ferments, à ces bactéries, les conditions de
température et d'aération favorables à leur développement rapide et à
leur travail que M. Feuillette a démontré la réelle valeur pratique du
procédé naturel de rouissage bactériologique ou microbien, qui est
d'une extrême simplicité et ne demande que six jours environ. C'est une
innovation d'autant plus remarquable qu'elle est caractérisée surtout
par le minimum de main-d’œuvre, avantage considérable, et qui, dans les
circonstances actuelles, acquiert une importance encore plus grande, en
raison de la gravité du problème de la main-d’œuvre. Le procédé
Feuillette réalise la synthèse scientifique de toutes les opérations de
transformation du lin, jusqu'ici disséminées et confiées à des méthodes
trop primitives et aléatoires. Ces opérations sont naturelles, réunies
et effectuées dans l'usine où l'on peut travailler d'une façon continue
et méthodique, toutes les conditions du travail se trouvant soumises à
la volonté de l'homme, au lieu d'être abandonnées au gré de la nature,
comme dans le rouissage à l'eau stagnante ou à la rosée (rouissage à
terre ou rorage). En toute saison, et partout, on peut effectuer le
rouissage, le séchage et le teillage du lin, d'où possibilité
d'installer des lineries, soit industrielles, soit agricoles, dans les
centres mêmes de production du lin. Ces usines pourront procurer aux
ouvriers agricoles un travail rémunérateur pendant les mois de chômage,
par conséquent sans gêner en rien les travaux aux champs et à la ferme.
C'est là un moyen d'enrayer, dans une certaine mesure, l'exode des
ouvriers ruraux vers les villes, et tout le travail du lin se faisant
dans le pays au lieu de s'effectuer à l'étranger, c'est encore un
bénéfice pour le producteur et pour l'ouvrier rural.
Bref,
les procédés perfectionnés, dont l'application avait déjà été réalisée
avec un succès complet dans notre département de Seine-Inférieure, à
l'usine installée par M. Feuillette, à Goderville — laquelle avait
commencé à fonctionner en avril 1914 — ces procédés, disons-nous, ont
aujourd'hui la consécration industrielle. En 1914, toute la filasse
fabriquée à Goderville, plutôt à titre démonstratif, était achetée par
la « York Street Flax Spinning Cy », de Belfast, la plus ancienne et
peut-être la plus considérable des filatures du monde entier.
Pendant
deux siècles, on chercha la solution rationnelle du problème. On peut
dire qu'aujourd'hui ce problème est industriellement résolu : on peut
traiter le lin à n'importe quelle époque de l'année et le transformer
en filasse de toute première qualité en une dizaine de jours, sans
aucun transport, ainsi que la démonstration en a été faite à la linerie
de Goderville. On se trouve en présence d'une seule industrie créée
dans la même usine où toutes les opérations se succèdent sans
interruption et où chaque machine effectue un travail continu
correspondant à la production journalière totale. L'installation de
lineries dans les centres linicoles doit permettre aux cultivateurs de
livrer leurs produits directement à ces usines sans plus de frais de
transport que lorsque les lins à livrer aux acheteurs doivent être
conduits, par les producteurs, aux gares expéditrices. Bien plus : ces
derniers peuvent se grouper pour constituer des coopératives possédant
des lineries et réaliser les bénéfices qui, jusqu'ici, ont été
recueillis par les intermédiaires. Cette orientation nouvelle
contribuerait pour beaucoup au relèvement de la culture du lin et au
développement d'une industrie rurale procurant aux ouvriers des
campagnes un travail bien rémunéré.
Alors que le lin roui
par le cultivateur et teillé par la méthode rurale donne, pour 100
kilogrammes brut, de 9 à 13 kilogrammes de filasse qui, en se basant
seulement sur les chiffres d'avant-guerre, était vendue 1 fr. 15 à 1
fr. 35 le kilogramme, en filature, ce même lin, traité par la méthode
Feuillette, donne pour 100 kilogrammes brut de 13 à 15 kilogrammes de
filasse qui, en 1914, se vendait 2 fr. 10 à 2 fr. 30 le kilogramme,
soit une plus-value de 0 fr. 95 par kilogramme, et cette filasse permet
de fabriquer des fils plus fins et plus solides.
Tous les
aléas des anciens procédés disparaissent, tout le rendement possible
est obtenu et le traitement des récoltes, même mauvaises, peut être
effectué dans de bonnes conditions. Ainsi, d'une part, rémunération
plus avantageuse pour le cultivateur, et de l'autre, assurance pour le
filateur d'avoir une filasse de meilleure qualité, plus homogène,
pouvant fournir des produits supérieurs et à des prix défiant la
concurrence étrangère, parce que les frais d'extraction de cette
filasse sont bien moins élevés, par suite des avantages suivants :
rendement supérieur en quantité et en qualité, suppression des frais de
transport, économie résultant de ce fait qu'on n'a plus à immobiliser
des capitaux considérables pendant dix-huit mois et plus sur une seule
récolte ; substitution des machines à une main-d’œuvre coûteuse ;
enfin, suppression des fluctuations considérables résultant de l'écart
de dix-huit mois à deux ans entre l'achat du lin et la vente de la
filasse. Les lineries traitant annuellement 1 million et demi de
kilogrammes de lin brut, soit la quantité du lin produite par 300
hectares environ, permettront, par la suppression de fâcheux errements,
d'assurer de larges bénéfices aux cultivateurs et aux filateurs, entre
lesquels se placera leur activité et cela tout - en faisant fructifier
les capitaux confiés à ces entreprises industrielles.
Evidemment,
on ne peut, dans les circonstances actuelles, étant donnés le
renchérissement de toutes choses et la raréfaction de la main-d’œuvre,
fixer les conditions d'exploitation de lineries agricoles ou
industrielles, et les bénéfices réalisables. Toutefois, il nous parait
utile de donner un aperçu des estimations et évaluations se rapportant
au fonctionnement de la linerie de Goderville, en 1914, où le procédé
Feuillette était mis en application pour le rouissage, le séchage et le
teillage de 5.000 kilogrammes de lin par jour, soit 1.500.000
kilogrammes par an. On payait 16 francs les 100 kilogrammes de pailles
de lin en graines, rendus à l'usine. Le rendement industriel était en
moyenne, pour 100 kilogrammes de lin brut, de 12 kilogrammes de
paillettes pures, 9 k. 700 de graines, 3 k. 800 de déchets et 74 k. 500
de lin battu fournissant 59 kilogrammes de lin roui, rendant 13
kilogrammes de filasse, 2 k. 400 de bonnes étoupes, 5 k. 200 d'étoupes
grossières et 38 k. 400 de chènevotte. Aux cours pratiqués en 1914, la
valeur des sous produits (pailles, graines, étoupes) ressortait à 5 fr.
99 aux 100 kilogrammes, soit, pour 1.500.000 kilogrammes de lin
alimentant l'usine, 5 fr. 99 x 1.500.000 = 89.850 francs. Production de
filasse : 195.000 kilogrammes.
On comptait pour le matériel (réserve
faite de la question d'eau, de transport et de montage) 136.070 francs
; pour les bâtiments en maçonnerie, 105.380 francs, et pour le terrain,
1 hectare à 10.000 francs ; soit, au total : 251.450 francs. Les frais
annuels d'exploitation, pour trente-neuf personnes nécessaires au
fonctionnement de l'usine : 31.100 francs ; frais généraux, entretien :
17.850 francs ; intérêts et amortissement : 48.900 francs. Total :
97.850 francs.
L'entreprise se présente donc dans les conditions suivantes :
Installation
et aménagement de l'usine
251.450 fr.
Fonds de
roulement
200.000 »
Frais
généraux
97.850 »
-----------------------------------------------------------------
Total
549.300 fr.
Avec
240.000 francs pour achat de la matière première, et 97.850 francs de
frais généraux, on a un total de 337.850 francs de dépenses annuelles ;
déduction faite de la valeur des sous-produits, il reste 337.850 —
89.850 = 248.000 francs à récupérer pour la filasse. Le kilogramme de
lin revient à 1 fr. 287. Pour arriver à gagner 10 % de la dépense
annuelle (337.850 francs), il suffirait de vendre la filasse au prix
moyen de 1. fr. 445 le kilogramme. Or, les lins produits à la linerie
de Goderville se sont vendus à raison de 2 fr. 10 le kilogramme, alors
que le prix de revient n'était que de 1 fr. 287. Pour une production de
195.000 kilogrammes, le bénéfice annuel se chiffrait donc par 2,10 —
1,28 = 0 fr. 82 x 195.000 = 159.900 fr. La Normandie doit à la légitime
renommée de ses lins du pays de Caux des avantages économiques qui
seront plus importants encore lorsque de nombreuses lineries agricoles
et industrielles s'y multiplieront parallèlement à la culture du lin et
aux meilleures conditions de transformation de ce précieux textile.
Henri BLIN,
Lauréat de
l’Académie d’Agriculture
de France.
____________________________
(1) Voir n° 21-22 de janvier-février 1919.
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Syndicats d'Initiative ? ? ?
______
A la suite de l'article
paru sous ce titre dans notre dernier numéro, nous avons reçu de M.
Schmidt, président du Syndicat d'Initiative du Havre et trésorier de la
Fédération normande des Syndicats d'initiative, la lettre suivante :
Non,
Monsieur A. M., non ; les Syndicats d'Initiative de Normandie, y
compris leurs Présidents, ne s'endorment pas dans les délices de
l'indolence ; non, croyez-le bien, leur unique souci ne consiste pas à
chercher des places honorifiques et à répondre à ceux qui s'adressent à
eux que le temps leur manque pour les renseigner.
Seulement, car
il y a un seulement, vous semblez oublier que nous venons de passer par
quatre ans et demi de guerre et durant ce laps de temps, devriez
convenir qu'une légère désorganisation a pu se glisser dans nos
Syndicats et expliquer même les difficultés qui ont empêché
l'accomplissement d'un travail intensif.
Le rôle de certains
Syndicats d'Initiative n'a cependant pas été complètement effacé,
puisque, pour ne citer que celui que je préside, je me permets de vous
apprendre qu'annexé depuis septembre 1914 au Bureau municipal des
Réfugiés, notre Syndicat a reçu et secouru de toutes façons plus de
50.000 de nos malheureux compatriotes chassés de leurs foyers.
L'ère
de reconstruction qui s'ouvre à présent nous permet, Monsieur, de
pronostiquer un labeur, qui, je l'espère, vous donnera complète
satisfaction. La Fédération Normande des Syndicats d'Initiative, à
laquelle j'ai l'honneur de collaborer étroitement avec mon ami, M.
Monticone, a déjà entrepris l'étude de certains projets d'une grande
importance pour notre région, projets auxquels il vaut mieux s'atteler
résolument et' chercher à les faire réussir que de les prôner
longuement dans les journaux et les abandonner ensuite. Cette Œuvre
d'avenir devra aboutir, soyez-en persuadé, mais à la condition
cependant que certaines énergies que vous connaissez sans doute ne
continuent pas à se dérober et préférer nous opposer la force d'inertie
à l'aide qu'elles devraient nous apporter.
Pour finir, je
souhaite qu'honoré de votre confiance, nous puissions réaliser la tâche
que nous nous sommes assignée, convaincus en outre que vous saurez
reconnaître en son temps le mal fondé de vos critiques actuelles.
Le Président du Syndicat d’Initiative
du Havre et de la Région,
Trésorier de la Fédération Normande
des Syndicats d'Initiative,
SCHMIDT.
Tout
d'abord, nous devons déclarer que noire article ne visait en rien le
Syndicat d' Initiative du Havre, mais nous sommes d'autant plus heureux
de cette réponse que, si elle défend les Syndicats d' Initiative et
leurs présidents du reproche d'indolence que nous leur avons adressé,
elle-nous permet de faire connaître le rôle éminemment charitable et de
solidarité rempli par le Syndicat d'Initiative du Havre, dont il y a
lieu de le grandement féliciter, et qu'elle confirme notre constatation
du manque d'énergie en Normandie. M. Schmidt va même beaucoup plus loin
que nous, puisqu'il accuse certains individus ou certaines
administrations non seulement de manquer d'énergie, mais même de mettre
des bâtons dans les roues.En effet, il nous dit : « Cette oeuvre d'avenir devra aboutir, soyez-en persuadé, mais à la condition que certaines énergies
, que vous connaissez sans doute, ne continuent pas à se dérober, et préférer nous opposer la force d'inertie à l'aide qu'elles DEVRAIENT nous apporter. »
Est-ce
clair ? De l'aveu même du Président du Syndicat d'Initiative du
Havre, il y a, en Normandie, des personnages qui s'opposent à l'œuvre
entreprise dans l'intérêt commun.
Quels sont ces mauvais compatriotes qui DEVRAIENT
apporter leur aide et qui se dérobent à leur devoir ? Il ne suffit pas de déplorer leur inertie ; il faut les forcer à agir. Et
c'est là, précisément, Monsieur le Président, où l'action des journaux
dont vous semblez faire fi peut vous être utile, car en dévoilant les
agissements de ces hommes néfastes, elle les contraindra à agir ou tout
au moins à faire connaître les raisons de leur mauvais vouloir. Puis,
en faisant connaître vos projets, la presse pourra encore vous susciter
des concours que vous ignorez et qui ne peuvent s'offrir puisqu'ils ne
connaissent rien des grands projets que vous préparez, dans le silence
du cabinet. A
ce propos, on me permettra une digression : La peur des journaux
serait-elle un mal havrais ? Nous serions tentés de le croire, car la
Chambre de Commerce du Havre, elle aussi, repousse le concours de la
presse. Il y a quelques mois, lorsque nous avons commencé l'étude de
l'organisation économique de la région normande, nous avions demandé
leur avis aux Chambres de Commerce. Celle du Havre nous répondit «
qu'elle avait décidé de ne faire aucune polémique dans la presse sur
cette question ». On a pu voir d'ailleurs, par le rapport de M. Bouctot
que nous avons publié, qu'elle n'a pas davantage voulu faire connaître
son opinion au Conseil général. N'est-ce pus encore là un manque
d'énergie, à moins que ce ne fût la peur des responsabilités ? Pour
en revenir aux Syndicats d'Initiative, M. le Président du Syndicat du
Havre peut être persuadé que nous sommes tout disposés à reconnaître
que nous nous sommes trompés sur leur compté ; pour cela; nous les
attendons à l'œuvre et une fois encore, nous les assurons du dévoué
concours qu'ils trouveront dans cette Revue aussi bien d'ailleurs, j'en
suis certain, que dans toute la presse normande.
***
Cet article était écrit lorsque j'ai reçu de M. Monticone, secrétaire général de la Fédération Normande des Syndicats d'Initiative
, la lettre qui suit : Je
n'aime pas beaucoup les polémiques de presse, j'y suis d'ailleurs peu
habile, mais il me paraît difficile de laisser sans réponse la question
que vous avez posée dans le numéro de janvier-février de votre très
intéressante revue à propos des Syndicats d'Initiative :
«
Le Normand est-il un égoïste qui ne songe à l'intérêt général que lorsque celui-ci sert son intérêt particulier ? »
A la réflexion, je ne le crois pas.
Toutefois,
j'avoue bien volontiers avec vous que nos compatriotes ne vibrent pas
facilement, et l'ami dont vous avez rapporté l'interview n'est
malheureusement pas un isolé.
Lorsqu'il y a un an
exactement les délégués des Syndicats d'Initiative de Normandie,
répondant à l'appel éloquent du T. C. F. et de l'Office National du
Tourisme ; eurent décidé de fédérer leurs efforts, je crus nécessaire,
avant d'accepter l'honneur qu'ils me faisaient de diriger leurs
travaux, de souligner que toute notre agitation serait vaine tant que
nos associations n'auraient par élargi leurs cadres et que l'activité
de leurs dirigeants serait paralysée par un budget de famine. Le
programme d'action que je fus assez heureux pour faire approuver
insistait donc particulièrement sur la nécessité :
1° De créer de nouveaux Syndicats d'Initiative ;
2° De vitaliser les Syndicats déjà existants
3°
De faire aboutir au plus tôt le projet de loi sur la cure taxe, qui
seule doit, peut nous assurer des ressources régulières et
substantielles, alors que nous en sommes réduits actuellement à une
quasi-mendicité.
Il serait trop long de développer
ici ces trois points : pour ne pas sortir du sujet qui nous occupe, je
me contenterai de vous indiquer quelques-unes des difficultés
auxquelles je me suis heurté à propos de la création de nouveaux
syndicats.
Vous connaissez, pour l'avoir publié et très
aimablement commenté, l'appel qu'en avril dernier j'ai lancé en faveur
de la Renaissance du Tourisme. Je développais alors cette idée qu'en
plus de ses richesses agricoles et industrielles, la Normandie
possédait un admirable capital de beauté touristique, dont la mise en
valeur doit accroître considérablement la fortune régionale (le
tourisme n'offre-t-il pas un moyen élégant de faire rentrer en France
une partie des milliards exportés pendant la guerre ?), que les
Syndicats d'Initiative sont le trait d'union naturel et indispensable
entre les touristes et les industries de luxe, et je demandais à mes
compatriotes de m'aider à planter notre drapeau dans tous les centres
d'excursion dépourvus d'un office de tourisme.
Dois-je vous dire qu'une réponse unique me parvint !!!
A
quelque temps de là, je tentai une nouvelle expérience, demandant cette
fois à mes collègues leur bienveillant concours pour arriver aux mêmes
fins ; par la même occasion, je les priais de m'adresser le cahier des
revendications de leur syndicat respectif, les assurant que je serais
heureux d'aider à la réalisation de leurs vœux.
Hélas !
cette fois encore la collaboration ne fut pas très féconde ce fut tout
au plus un essai timide ; il me faut encore avouer, pour être jusqu'au
bout sincère, qu'à l'heure actuelle et malgré cinq ou six rappels, les
dossiers de quelques Syndicats sont encore vierges de toute réponse, au
point qu'il m'arrive parfois de me demander si ces organismes sont
réellement existants.
Je sais bien que la guerre a
troublé bien des habitudes, que beaucoup d'entre nous, moi tout le
premier, ont été jusqu'à ces temps derniers sous l'uniforme, que par
suite de ces défections temporaires presque tous les Syndicats mènent
depuis quatre ans une vie ralentie ; mais toutes ces raisons
n'auraient-elles pas dû exalter la bonne volonté de ceux de l'arrière,
dont le devoir était de préparer le retour des mobilisés ?
Fort
heureusement, toute médaille a deux faces et je me hâte d'ajouter que
la collaboration avisée, active et intelligente que j'ai trouvée chez
certains collègues efface les mauvais souvenirs que j'évoque
aujourd'hui.
Dans l'un des cinq départements où s'exerce
l'influence de la Fédération Normande, j'ai eu la bonne fortune de
rencontrer un trio d'organisateurs remarquablement dévoués, si bien que
l'idée me vint avec leur appui de faire de ce département un champ
d'expérience, quitte à généraliser la formule si elle réussissait.
Je
ne veux plus me souvenir des déceptions de la première heure, de
l'indifférence de certaines personnalités enrichies dans des industries
confinant au tourisme, et que je m'étais cru autorisé par cela même à
consulter plus particulièrement, de la réserve inquiète de certaines
municipalités que j'espérais associer à notre tâche en faisant briller
à leurs yeux l'heureuse répercussion du tourisme sur le commerce local,
et qui ne virent en nous que des concurrents éventuels : tout cela
c'est le passé ; aujourd'hui tout ce coin de Normandie s'organise
méthodiquement et dix nouveaux Syndicats d'Initiative marchent en
parfaite harmonie avec la Fédération Normande.
Pour en
arriver à ce résultat, il a suffi de l'union de quatre personnes de
bonne volonté ; avec des éléments identiques, je suis tout prêt à
tenter la même expérience dans les départements voisins, et je suis
convaincu qu'elle réussira.
Quels résultats ne peut-on
pas espérer quand l'indifférence générale sera vaincue !!! Car c'est
bien de l'indifférence, mêlée à un peu de cette prudente réserve qui
caractérise notre race, que l'on nous oppose. L'égoïsme n'est pas en
cause ; l'idée aura peut-être du mal à germer, mais le jour où elle
germera, elle poussera dru : chez nous le sol est bon et il n'y a pas
que les pommiers qui fleurissent : le tourisme aura son tour.
J'aurais
bien des choses intéressantes à dire sur le rôle de certains Syndicats
d'Initiative pendant la guerre, comme avant 1914 : isolément de très
louables efforts ont été tentés et puisque vous voulez bien m'y
convier, je traiterai cette question dans une prochaine chronique.
Cela
m'amène tout naturellement à vous remercier, Monsieur le Secrétaire
général, de mettre très aimablement Normandie au service de la cause du
tourisme.
Car il est bien entendu, n'est-ce pas, que les
Syndicats d'Initiative sont des associations touristiques et non pas
des académies destinées à couronner des chansons. Au fait, pourquoi
s'obstine-t-on à les appeler « Syndicats d'Initiative », ce qui n'a
aucune signification précise ?? Pourquoi pas « Syndicats de Tourisme »
? Leur programme ainsi limité est assez vaste pour absorber toute
l'activité de leurs dirigeants.
A chacun sa tâche et merci à ceux qui s'offriront à faciliter la nôtre.
C. MONTICONE.
Je
ne veux pas affaiblir par de longs commentaires ce lumineux exposé de
l'activité des Syndicats d'Initiative en Normandie. Je me bornerai à
constater que mon cri d'alarme n'était pas inutile.Ce que j'appelais égoïsme
est qualifié indifférence
par le secrétaire général de la Fédération Normande. Marchons pour indifférence
,
mais le résultat est le même, cette indifférence est bien coupable, et
il faut déplorer, avec mon honorable correspondant qu'un seul parmi nos
cinq départements ait répondu à l'appel qu'il adressait aux hommes
d'action il y a près d'un an. Nos
lecteurs suivront avec intérêt l'étude que veut bien nous promettre M.
Monticone, et il est à souhaiter que ses efforts soient couronnés de
succès, pour le plus grand bien de la Normandie dont la prospérité
devrait être chère à tous.***
Les
délégués des Syndicats d'Initiative de Normandie se sont réunis le 27
février en assemblée générale, au siège du T. C. F., sous la présidence
de M. Celos, député, maire, et président d'honneur du Syndicat
d'Initiative de Bernay. M.
Monticone, secrétaire général de la Fédération, donne la liste des
monuments et sites classés jusqu'à ce jour dans les cinq départements
normands et il demande à ses collègues de vouloir bien lui signaler
tous ceux qui méritent de l'être, car il importe de défendre les
beautés naturelles et architecturales contre les atteintes de ceux et
ils sont nombreux — qui n'ont aucun souci de l'art et du beau.M.
Schmidt, trésorier de la Fédération, donne lecture du bilan de
l'exercice 1918. Ses comptes sont approuvés et des remerciements lui
sont votés pour le dévouement qu'il apporte dans son ingrate fonction.Puis
M. Monticone donne lecture d'un long et remarquable rapport dans lequel
il passe en revue toutes les questions qui doivent retenir l'attention
des Syndicats d'Initiative : taxe de séjour ; relations à entretenir
avec les Chambres de commerce ; moyens de faire connaître le rôle des
Syndicats d'initiative ; question hôtelière ; architecture hôtelière ;
question des transports ; réfection des routes ; transports en commun
par automobiles ; publicité à faire pour permettre aux touristes de
diriger leur choix sur la région à visiter ; établissement
d'itinéraires ; conférences avec l'adjonction du cinéma, etc., etc. En
terminant son remarquable rapport, M. Monticone fait appel aux concours
des membres des Syndicats d'Initiative normands en leur assurant qu'ils
peuvent compter qu'il leur consacrera tout son temps et toute son
énergie.***
Nous
regrettons vivement que le défaut de place nous empêche de rendre
compte aussi longuement qu'il serait nécessaire de la Conférence qui a
été faite le 20 mars, au Havre, sous la présidence de M. l'amiral
Didelot, gouverneur du Havre et sous le patronage du Syndicat
d'Initiative, par MM. Famechon, délégué du ministère des Travaux
publics, et Auscher, membre du Conseil d'administration du Touring-Club
en vue d'examiner ce qui devait être fait au Havre pour contribuer à
l'organisation du Tourisme en France. M. Famechon, expliquant les
conditions dans lesquelles l'Office national du Tourisme entend
contribuer à discipliner les efforts à faire pour attirer les étrangers
en France, préconise l'installation au Havre d'un bureau de
renseignements afin de relier les arrivants avec le pays. Le Touring
Club verse 2.000 francs pour cette organisation, mais il est nécessaire
d'obtenir le concours matériel et financier de l'Administration
municipale, de la Chambre de Commerce, des Chemins de fer et des
Compagnies de navigation.M.
Auscher rappelle que par l'ensemble des beautés naturelles, des
monuments, par son climat, la France possède un véritable fonds de
commerce à exploiter ; il estime qu'il viendra cette année 500.000
touristes ; l'année prochaine un million et dans deux ans, un million
et demi, et qu'à raison d'un séjour de vingt jours, c'est neuf
milliards qui, en trois ans, rentreront en France. Toutes les
industries, dit-il, sont appelées à en bénéficier, mais pour retenir
ces visiteurs en France, il faudra leur donner des hôtels confortables. M.
Prince, avocat au Conseil suprême des Etats-Unis, grand ami de la
France, dit quels efforts on doit faire pour que ces étrangers
séjournent au Havre. Puis M. Monticone fait appel à l'union dans la Fédération normande du Tourisme.A. MACHÉ.
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Normandie n'est pas seulement une Revue d'études, c'est aussi un journal d'action.
Ecrivez-nous donc, faites-nous part de vos idées, de vos difficultés et de vos besoins,
Nous nous efforcerons toujours de vous aider.
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Vers une Fédération Normande
_________
De nombreux correspondants nous écrivent pour nous témoigner de leur
désir de voir s'unir toutes les bonnes volontés. C'est le but de
Normandie
de donner asile à ces initiatives et de tenter de grouper en une union
agissante ces efforts dispersés. Notre collaborateur Vincent-Desbois a
conçu tout un plan d'action qu'il expose ici-même. Il nous paraît
toutefois intéressant de faire connaître quelques idées que nous soumet
le distingué président du « Cercle agricole du Sap (Orne) », M. G.
Choisne.
M. Choisne place au premier rang la question de
la protection de l'enfance. Si notre natalité n'est pas plus
vigoureuse, du moins que tout le meilleur parti en soit tiré. Aussi,
apparaît-il nécessaire de surveiller les soins physiques et moraux dont
l'enfant doit être entouré. En assurant la cause et l'instruction de
ces petits êtres, c'est sauvegarder pour la nation un capital productif
dont elle doit être au plus haut point économe. Dans ce but, M. Choisne
n'hésite pas à demander que soient soustraits à leur milieu, après avis
d'une Commission communale, les enfants plus ou moins abandonnés, ou
qui ne fréquenteraient pas régulièrement les écoles. Ils seraient ainsi
élevés aux frais de la nation qui récupérerait bien au-delà de ses
débours en évitant un gaspillage d'énergies.
C'est en vue
des mêmes fins qu'il propose, à côté des Chambres de commerce, la
création de Chambres d'agriculture et de métiers, dont la capacité
devrait être suffisante pour leur permettre la création et l'entretien
d'écoles professionnelles, d'orphelinats..., l'entreprise en commun de
grands travaux : canaux, voies ferrées, ports et l'organisation de
magasins, docks, laboratoires, etc. Pour atteindre ce but, il envisage,
à la base, des sociétés locales dont feraient obligatoirement partie
les agriculteurs, les industriels et commerçants, les ouvriers et
artisans. Le rôle de ces sociétés serait en outre de fournir à leurs
membres un appui moral et financier, de mettre à leur disposition les
journaux et les livres dans lesquels chacun d'eux pourrait trouver les
enseignements utiles à leur profession. Ces organisations, en outre,
auraient une action immédiate sur la formation des élèves dans les
écoles professionnelles qui fonctionneraient non loin d'elles.
M.
Choisne ne se contente pas de rechercher ce qui peut contribuer à la
meilleure utilisation de nos ressources en hommes et en capitaux, mais
il veut assurer la paix sociale. Aussi préconise-t-il l'assurance
obligatoire contre l'invalidité et la vieillesse, et, pour ceux qui ont
des terres, l'institution d'un réservat viager, rendant incessible et
insaisissable toute propriété immobilière jusqu'à concurrence d'un
revenu de 370 francs. Il demande également la réforme des droits de
mutation sur la propriété foncière, qui est d'autant plus grevée par
eux qu'elle est plus petite.
Telles sont les quelques
idées dont nous fait part, dans une longue causerie, M. Choisne. Sans
les faire nôtres absolument, du moins y voyons-nous la preuve de cette
aspiration très répandue à la réorganisation économique de notre pays.
Nous nous associons, en tout cas, pleinement à son appel à la
coopération. Et comme M. Choisne a déjà réussi à mener à bien le
groupement agricole qu'il préside, nous ne doutons pas qu'il ne
parvienne, dans le riche coin de Normandie où il se trouve, à réaliser
bientôt quelques-unes de ces unions qu'il recommande.
Autour de ce
foyer viendront se réunir d'autres associations voisines : ainsi
commencerait à se former cette Fédération normande, qui centraliserait,
pour leur donner pleine force, toutes les capacités, et coordonnerait,
pour les réaliser au mieux, tous les projets ayant en vue l'aménagement
et le développement des ressources de notre région.
M. ANOYAUT.
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Tout en causant...
____
C'était
dans les premiers jours de février. Nous étions de nouveau réunis tous
les trois, le capitaine Percy Fergusson, le sergent canadien Paul
Dumoustier et moi, dans la salle à manger de la villa des Chimères,
aujourd'hui toute encombrée de malles et de valises, car, le capitaine
va quitter Rouen, et c'est à un déjeuner d'adieux qu'il m'avait convié.
Un
grand feu de bois, aux flammes claires et vacillantes, pétillait dans
la haute cheminée devant laquelle, jadis, à une époque déjà lointaine,
j'avais vu tant de fois le vieux père Houzeau, le précédent
propriétaire de la villa des Chimères, ratatiné dans sa robe de
chambre, étendre ses longues jambes maigres et tisonner les bûches à
demi consumées.
Dans la pièce, où nous achevions un
succulent déjeuner, dont un plum-pudding authentique, venu directement
de Londres, avait formé le couronnement, une douce chaleur régnait,
dont nous goûtions d'autant plus vivement le pénétrant bien-être qu'à
travers les fenêtres aux rideaux écartés, nous apercevions la pente
boisée du mont Thuringe couverte d'une épaisse couche de neige, paysage
d'hiver, vision frileuse évoquant à nos yeux le froid rigoureux du
dehors.
« Eh bien, me dit tout à coup le capitaine
Fergusson, vous voilà contents, vous autres Rouennais, vous allez être
débarrassés de notre présence. Avouez-le, qu'à la longue vous nous
trouviez un peu encombrants !
— Oui, oui, ajouta Paul
Dumoustier, sans me donner le temps de répondre, vous ne le dites pas,
parce que vous êtes gens courtois, mais vous soupirez tout bas après le
moment où vous pourrez dire : Enfin, seuls !
— Voyons, soyez franc, reprit le capitaine, en souriant et en me fixant de ses grands yeux bleus. »
J'étais, je dois l'avouer, un peu interloqué. Ce fut le jeune Canadien qui vint à mon aide.
«
Ce sentiment de la population rouennaise, fit-il, d'être rendue à
elle-même, ce désir intime que vous avez au fond du cœur, sans le
manifester ouvertement, de reprendre votre vie propre et autonome, de
voir votre cité retrouver son aspect et sa physionomie d'avant-guerre,
ce sentiment et ce désir sont trop naturels pour que nous, vos hôtes si
cordialement accueillis, si sympathiquement traités par vous durant
plus de quatre ans, nous puissions nous en étonner ni surtout en
prendre ombrage » .
— Very well, continua le capitaine
Percy Fergusson. Tenez, cela me rappelle un souvenir de famille. Je
venais de terminer mes études à Oxford, et, jeune « bachelor », je
coulais — (c'est bien ainsi que vous dites en France ?) — je coulais
des jours heureux auprès de mon père et de ma mère, dans notre jolie
petite maison de Cardigan. C'étaient mes dernières vacances, avant le
business, et pour rendre ces vacances plus gaies, mon père eut l'idée
d'inviter des cousins que nous avions dans le comté de Leicester, à
venir passer un mois chez nous.
Quand les cousins
arrivèrent, ce fut une fête, une joie délirante ; on les embrassa, on
les choya, on était pour eux aux petits soins. Tous, mon père, ma mère,
moi-même, nous nous ingéniions à leur procurer des distractions
quotidiennes et sans cesse renouvelées ; excursions dans les environs
de Cardigan, promenades en mer sur le canal Saint-George, etc. Cette
existence d'effusions réciproques se prolongea pendant une quinzaine ;
puis quand vint la troisième semaine, nous commençâmes à nous
apercevoir, mes chers parents et moi, que la présence de nos bons
cousins mettait beaucoup de bruit, et même un peu de désordre dans
notre maison, si paisible, si tranquille, si bien ordonnée et que nous
finissions par ne plus nous appartenir. Insensiblement, nos hôtes
s'étaient habitués à se considérer, chez nous, comme étant chez eux.
Nous en prîmes, sans le laisser paraître, quelque impatience, et la fin
du mois, qui devait marquer le départ de nos cousins, parut bien longue
à notre lassitude et à notre besoin de calme et de repos.
«
Pour en finir, acheva le capitaine, la satisfaction que nous éprouvâmes
à les rembarquer en chemin de fer lui égale, je n'ose dire, supérieure
à la joie que nous avions ressentie à les voir arriver. Et pourtant
nous les aimions bien, nos bons cousins du Leicester, et nous les
aimons toujours bien. Mais que voulez-vous, ces hôtes attendus et
choyés, à la longue, étaient devenus, pour nous, de véritables intrus...
—
Et, insista Paul Dumoustier, en clignant de l'œil vers le capitaine,
c'est précisément ce qu'à l'heure actuelle les Rouennais pensent des
Britanniques installés dans leur ville.
J'esquissai un geste vague, de ces gestes à la normande qui ne veulent dire ni oui, ni non..
C'est qu'en vérité, j'étais fort embarrassé.
En
dépit de la bonne grâce avec laquelle mes deux amis m'avaient parlé, je
craignais de les froisser en leur confessant que les sentiments qu'ils
prêtaient à la population rouennaise étaient réels, tout au moins dans
une certaine mesure.
Non, pas certes, que les habitants
de la vieille capitale normande considèrent comme des « intrus » les
vaillants Alliés qui sont venus en France combattre, aux côtés de nos
admirables poilus, pour la cause du Droit et de la Liberté.
Une
telle pensée serait choquante et je puis affirmer -qu'elle n'est ni
dans l'esprit ni dans le cœur d'aucun de mes braves concitoyens.
La
vérité — et on peut l'avouer — c'est que si les Rouennais n'éprouvent
pas trop de regret à l'idée du départ prochain des troupes
britanniques, Anglais, Ecossais, Canadiens, Australiens, Néo-Zélandais
dont les uniformes khaki ont, quatre années durant, « moutardisé »
l'atmosphère de nos rues, ce n'est pas que nous soyons excédés de leur
présence parmi nous, c'est parce que cet exode sera indice irréfragable
d'une paix définitive et victorieuse.
Et puis, tout de
même, soyons francs, nous serons contents aussi, comme le disait le
jeune sergent canadien Paul Dumoustier (dont je conserverai, pour ma
part, ainsi que du capitaine Percy Fergusson, un aimable et durable
souvenir) — nous serons contents de nous retrouver entre nous, et
d'être rendus à nous-mêmes.
Aussi, est-ce, en toute
sincérité, et sans ironie que, lorsque nous quitterons nos alliés, nos
hôtes de guerre, nous leur dirons, en les saluant d'un geste cordial :
Au revoir, braves amis, au revoir... et merci !
Henry BRIDOUX.
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ce n'est pas seulement vous tenir au
courant des choses normandes,
c'est vous assurer le moyen de voir vos
intérêts soutenus et défendus.
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FIGURES NORMANDES
____
M. Henri Vermont
Président de l'Emulation chrétienne de Rouen,Membre du Conseil supérieur de la Mutualité,Vice-Président de la Fédération nationale de laMutualité française.
___
___
Henri Vermont est une personnalité française, on pourrait
dire universelle dans le monde de la mutualité ; mais c'est aussi une
personnalité normande, fidèle à la petite patrie qu'il honore, et
gardant de cette origine normande certains traits particulièrement
caractéristiques.
Sa vie.
— La vie de M. Vermont, déjà longue, est aussi singulièrement bien
remplie. Né à Rouen, le 20 janvier 1836, il se fit inscrire au barreau
de cette ville en 1860. Il fit au Palais des débuts brillants en cour
d'assises, et un avenir d'orateur judiciaire s'ouvrait devant lui.
Cependant,
en 1871, il n'hésita pas à compromettre cet avenir, pour présider et,
on peut le dire, ressusciter, orienter vers de vastes destinées la
Société de Secours mutuels, l'Emulation Chrétienne, grâce à lui,
universellement connue.
Le souci de son intérêt et même
de sa sécurité n'a jamais troublé cet apôtre de la prévoyance. Cette
même année 1871, au moment où les Prussiens organisaient une revue
sensationnelle et, avec leur tact habituel, y conviaient les Rouennais,
M. Vermont, au passage du prince royal de Prusse et de son état-major,
n'hésita pas à escalader le socle de la statue de Boïeldieu, sur les
quais, pour la voiler d'un crêpe de protestation.
La vie de M. Vermont se confond dès lors avec la vie de son ouvre et de la mutualité française elle-même.
Vice-président
des Congrès mutualistes de Rouen (1882), de Marseille (1886), du Havre
(1887), de Philippeville (1890), de Bordeaux (1892), de Paris (1890),
de Saint-Etienne (1895), de Saintes (1897), de Reims (1899), il a été
rapporteur de commission dans ces mêmes Congrès.
Par la
parole, dans d'innombrables conférences, par des mémoires au Parlement,
par des articles de journaux, des brochures et des livres, M. Vermont
n'a jamais cessé de plaider la cause de la mutualité, de la faire
estimer et aider par l'Etat, tout en la défendant avec énergie contre
une protection qui deviendrait une tutelle fâcheuse.
Il faudrait des pages pour énumérer toutes ses œuvres. Citons seulement un peu au hasard :
La question sociale (1880) ;
Les retraites des travailleurs et les Sociétés de Secours mutuels (1882) ; La liberté d'enseignement (1882) ;
De l'admission des femmes dans les Sociétés de Secours mutuels (1884) ;
De l'obligation en matière de prévoyance (1899) ;
La Mutualité française (1890) ;
Des pensions de retraites, du fonds commun et du livret individuel (1890) ;
Des retraites ouvrières(1891) ;
La loi des accidents du travail (1888) ;
Le projet de loi contre les Sociétés de Secours mutuels (1895).
Cette
dernière brochure résumait treize années d'une lutte ardente,
convaincue et qui n'est pas finie, pour la liberté de la mutualité et
contre la conception étatique et païenne de la prévoyance obligatoire.
M.
Vermont est membre de l'Académie de Rouen et du Conseil supérieur de la
mutualité où il joue un rôle extrêmement actif, ne laissant échapper
aucune occasion d'exposer et de défendre ses théories très nettes, très
précises et qu'il sait ramasser d'une phrase alerte en une heureuse
formule. Toute la vie de M. Vermont, à part une action toujours utile
et avisée dans les luttes pour la liberté religieuse et pour les
grandes idées de tolérance, est la vie d'un mutualiste. Celle-ci est
longue, elle vient d'entrer dans sa 84e année, et il n'y paraît pas.
L'homme.
— En effet, M. Vermont, à 84 ans, n'a rien d'un vieillard ; sauf la vue
qui a baissé, on dirait, à l'apercevoir, un homme en pleine maturité.
La parole est aisée, alerte, savoureuse, le geste vif, suivant l'envol
de la pensée et se déclenchant comme d'un bond pour fondre sur
l'objection. La démarche est d'un jeune homme, le pas large, assuré,
sans une hésitation ; les mouvements d'une souplesse incroyable. M.
Vermont, à 80 ans, escalade d'un saut une chaise ou même une table, en
réunion publique, pour s'en faire une tribune improvisée. Svelte,
élancé, c'est une dextérité dont on ne revient pas, quelque chose de
félin, sans aucune raideur des muscles, sans le moindre tremblement de
la main ; tous les mouvements s'adaptent, avec seulement quelques
saccades d'impatience, mais qui ne dénotent aucun déséquilibre de
l'ensemble. Le sourcil se fronce, le bras se lève, la lèvre frémit, le
pied avance, au service exact d'une pensée toujours active.
L'orateur.
— Car c'est bien d'un homme comme M. Vermont qu'on peut dire qu'une âme
guerrière reste toujours maîtresse du corps qu'elle anime. Il y a, en
effet, toujours quelque chose d'un peu belliqueux dans l'allure
générale. M. Vermont n'est pas un violent ni un sectaire, toute sa vie
et toute son oeuvre prouvent le contraire ; mais c'est volontiers un
combatif, c'est à coup sûr un militant.
De conviction profonde
et d'une absolue sincérité, incapable de la moindre dissimulation, M.
Vermont a une âme mue par un idéal puissant et précis.
Un auteur qui le connaît bien, M. Marin-Thibault, l'a défini : «
Athénien pour la forme, au fond gaulois, c'est un Normand au verbe méridional. »
C'est
vrai, l'expression est impeccable, le débit est quelquefois un peu
précipité sous l'afflux des pensées, mais le mot qui enlève les
applaudissements et qui met les rieurs du bon côté ne lui manque
jamais. La bataille excite sa verve ; aussi, il excelle dans la
riposte. Ceux qui l'attaquent se sentent cloués d'un mot preste, vif et
ils y restent. Pas la moindre gaucherie dans le discours, pas plus que
dans la démarche, pas de timidité dans les mots ni dans le geste. Que
de fois des salles mal disposées ont été soulevées par cette verve
qu'on dit méridionale, mais qui, chez M. Vermont, est surtout l'apanage
d'une persistante et extraordinaire jeunesse.
Et quelle
sincérité ! Pas la moindre attitude, pas la moindre pose, rien du
démagogue ; mais rien non plus du prêcheur. Ce catholique fervent,
d'une foi admirable et sereine, est le contraire d'un clérical ; nul ne
revendique plus crânement que lui les indépendances nécessaires, nul ne
fait moins le jeu des réactionnaires. L'Evangile appliqué est la source
de ses vastes audaces.
M. Vermont déconcerte ainsi certains de
ses amis personnels, mais il ne s'en, émeut pas ; il n'atténue rien, il
continue le bon combat pour la liberté et la tolérance.
Un
tel homme occupe-t-il la place qu'il mériterait ? On peut dire : non.
Nul n'est prophète dans son pays, mais la postérité, comme dit l'autre,
commence aux frontières, aux frontières de la cité comme aux frontières
de l'Etat.
Si M. Vermont ne siège pas au Parlement comme
député d'un pays de prévoyance, s'il n'a pas vu sa boutonnière rougir
du ruban de la Légion d'honneur, il est au moins récompensé par sa
notoriété universelle et d'un aloi incontesté dans l'univers mutualiste.
Le Mutualiste. —
L'Emulation Chrétienne.
C'est cette œuvre mutualiste qu'il convient de faire maintenant
apprécier en présentant la Société l'Emulation Chrétienne, qui est
comme le champ d'expérience de cette admirable sociologue normand.
L'Emulation
Chrétienne a été fondée le 2 décembre 1849, dans la Sacristie de
l'église Saint-Vivien ; par sept ouvriers, sur l'initiative d'un
sellier, M. Carpentier, et au capital de sept sous.
Trois ans
après, elle comptait 3.000 adhérents et on vendait à Rouen des faïences
à ses emblèmes ; mais ce succès ne se maintint pas. M. Carpentier, en
butte à la calomnie, démissionna en 1855 et, après deux ans d'intérim,
fut remplacé à la présidence par M. Allard, notaire, puis par M.
Edouard Leroy, instituteur. Ces honorables présidents ne purent
empêcher la décadence qui s'accéléra.
A la fin de 1871,
la Société n'avait plus que 2.160 membres. C'est à ce moment de crise
presque mortelle que M. Vermont, jeune avocat, fut appelé à la
présidence.
Ce qu'il y fit est merveilleux de hardiesse et de cohésion. Entrons dans quelques détails intéressants.
Le
fonctionnement de la Société est assuré par un conseil d'administration
de cinquante participants avec un président et deux vice-présidents.
L'âge
d'admission des membres est fixé de neuf à trente-cinq ans pour les
femmes et de neuf à quarante ans pour les hommes. Le droit d'entrée,
progressif suivant l'âge, est de 50 centimes pour les enfants, de 1
franc pour les adolescents et peut s'élever jusqu'à 20 francs. Les
cotisations sont de 9 francs à neuf ans ; elles augmentent de trois
francs par périodes triennales, jusqu'à dix-huit ans, époque à partir
de laquelle elles sont de 18, 24, 30 francs pour les femmes et de 18
fr. 60, 21 fr. 80, et 30 francs pour les hommes. ,
Les
femmes en couches reçoivent un secours en argent de 25 à 50 francs, les
médicaments leur sont dus ; elles reçoivent de plus une allocation de
28 francs si elles gardent un repos de vingt-huit jours après leurs
couches.
Les hommes ont, pendant une année, droit à une
indemnité quotidienne de 2 francs, 1 fr. 50 et 1 franc, suivant leur
cotisation. L'indemnité continue ensuite jusqu'au bout de la maladie au
moyen d'une réassurance.
L'Emulation Chrétienne a aussi organisé la mise en subsistance pour le cas où le sociétaire est appelé à laisser Rouen.
Une
des initiatives les plus originales et les plus éducatives de
l'Emulation Chrétienne, a été la création des prêts d'honneur, création
qui remonte à 1896 et qui n'a donné que d'excellents résultats puisque
la Société, à peu près sans rien perdre, a pu prêter jusqu'à 90.000 fr.
à d'honnêtes travailleurs momentanément dans le besoin.
Pour les retraites, la Société a dû tâtonner quelque temps avant de les asseoir avec sécurité jusqu'à concurrence de 300 francs.
L'Emulation
Chrétienne, grâce à sa bonne organisation technique, grâce à l'activité
de son président et à la confiante sympathie qu'il inspire, a reçu
quantité de dons volontaires et, en 1903, elle pouvait fêter son
premier million d'économies.
Une telle œuvre fait honneur à celui qui, depuis bientôt cinquante ans, la préside et lui imprime une orientation si heureuse.
L'Emulation
Chrétienne, malgré son titre, n'est point une société confessionnelle ;
elle s'adresse à tous et tous y viennent. Son président n'en fait pas
un moyen de prosélytisme indiscret.
Conclusion.
— M. Vermont, partisan de la liberté envers l'Etat, est également
partisan de la liberté de conscience. Catholique pour lui-même, il ne
prêche que par l'exemple, par la netteté de son caractère, la franchise
de ses allures et sa perpétuelle bonne humeur. Cet entrain juvénile lui
a permis de supporter et de surmonter des difficultés douloureuses,
mais inévitables pour quiconque s'occupe d'œuvres sociales.
M.
Vermont est certainement un des types les plus vivants, les plus
sympathiques, les plus caractéristiques de la Normandie ; pratique et
hardi tout ensemble, il a rendu à la France entière, dans l'ordre de la
mutualité, des services éminents. La Normandie le revendique, non pour
restreindre son action, mais pour s'en glorifier.
Edward MONTIER,
De l'Académie de Rouen.
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Dits et Devis
sur « L'Arc d'Ulysse »
de Charles-Théophile FÉRET
________
« Qu'il y a de choses bonnes à côté de celles que nous aimons !
Il faut faire place en nous pour un certain contraire. »
(Cahiers de SAINTE-BEUVE.)
Quelle colère, Philémon, tempête en vous contre moi ?
— Rien. Sur votre conseil, et malgré de justes préventions, j'ai acheté
L'Arc d'Ulysse. Je l'ai lu en courant, sans y trouver le plaisir promis. C'est un mauvais, un triste, un méchant livre.
—
Diable, Philémon ! La couverture plume de paon, si originale dans ses
ondulations ocellées, les trois images qui sont de Chapront, Aider et
Calbet, ne vous ont donc point amusé ? Les caractères seraient-ils trop
fins pour votre myopie ? Ne sauriez-vous trouver bons des vers imprimés
sur papier de guerre ? Peut-être vous a-t-il manqué une préface qui,
vous racontant le livre, vous eût dispensé de le découvrir ?
—
Vous vous moquez, Philéas ! C'est l'œuvre qui me chagrine. Ni poésie,
ni attrait, ni charme. De l'obscurité, de l'obscénité, de l'étrange...
—
Oui, je sais, vous demandez à tous les poètes de vous rappeler le bon
Lamartine. Ou, comme dit Anatole France, si vous aimez la poésie, il ne
vous en faut pas trop, et vous la dispensez d'être poétique. Surtout,
pour faire comme tout le monde aujourd'hui, vous n'y souffrez point
l'intelligence. Vous ne savez pas lire les poètes...
— Apprenez-moi...
—
Il faut aller à eux avec une grande sympathie, un grand désir d'être
conquis. Il faut ne leur demander que ce qu'ils veulent vous offrir,
les laisser vous prendre par la main, vous mener où il leur plaît,
fût-ce au diable, et admirer avec eux
— Aveuglément !...
—
Si vous pouvez admirer... Si vous les suivez avec le secret désir de
les trouver en défaut, de vous affronter à eux, d'opposer aux leurs vos
goûts, vos opinions et vos sentiments, laissez-les plutôt tranquilles.
Vous souffrirez ; eux aussi. Tous les poètes ont droit à cet abandon de
nous-mêmes, et M. Rostand n'aurait su toujours s'en passer. Laissez an
critique le souci d'être clairvoyant. Mais il se prive de bien des
plaisirs.
— Mais, d'abord, qui est-ce, Féret ? Barbey disait : «
Les oeuvres et les' hommes » ; Sainte-Beuve était curieux de
physionomies, et M. Taine, je crois...
— Que vous faut-il
donc, Philémon ? Un portrait ? En voici un que je fis naguère
...Imaginez un homme court, solidement et fermement charpenté, aux
muscles d'acier, puissants de chair nerveuse et drue, qu'une sobriété
sans défaillance fera vivre jusqu'à cent ans et sur ce tronc d'athlète,
un visage sculptural, aux traits nets et accentués ; un menton
proéminent, le rude menton de galoche de nos paysans, laissant deviner
une mâchoire féroce faite pour déchirer la chair et broyer les os ; un
nez qui....
— Oui. Mon large nez... hume les Livarots. J'ai lu ça, ou à peu près, dans
L'Arc...
—
Et, derrière le clair lorgnon, des yeux perçants, incisifs, fouilleurs,
scruteurs et lucides ; un regard qui entre en aiguillon au fond du
vôtre et fait craindre à la jolie femme — en dépit d'un poil maintenant
poivre et sel — un assaut terrible et victorieux à sa vertu ; un regard
de Maître Inquisiteur et de Centaure..., brillant d'une tendresse
heureuse quand l'amitié sourit au cœur...
— Continuez, je vous en prie...
—
Quoi encore ? — Nous sortîmes ensemble un soir dans Paris, mais Féret
était vêtu comme vous et moi ; il n'avait ni chapeau à la mousquetaire,
ni gilet rouge à la Gautier ; et personne ne criait. : « Vive Féret ! »
sur notre passage. Seules, nous souriaient quelques belles filles en
quête d'aventure. Féret n'aime pas qu'on regarde à travers ses vitres.
— Dommage....
—
Ah ! n'admirer l'homme qu'autant qu'il se singularise, qu'il vous ouvre
sa porte et vous laisse fouiller jusqu'en l'alcôve ! La toque d'Anatole
France, les guêtres rouges de Richepin, le portrait japonais de Jules
Lemaître ! Féret se cache ; et je sais bien qu'il a tort ! —
Pourtant....
— Ah ! vous y venez !
— Non : c'est dans
L'Arc
! Ce bibliophile a des recettes merveilleuses, des secrets miraculeux
pour... remettre à neuf les livres graisseux, flétris, piqués, mangés
des vers....
— L'aiguille, le pinceau, le grattoir et l'éponge...
La reliure a pris un beau ton ivoirin...
Tout ça, c'est donc vrai ?
— Vous voulez connaître Féret ? Lisez
L'Arc
! Tout poème y est fruit de circonstances, de moments vécus. C'est pour
ça que c'est si bien, si attirant, malgré les défauts. Féret a perdu
des vers ? Un sonnet ! Un poète lui a fait des confidences ? Il en tire
un
Premier livre. Fleuret est en exil, et tarde ? Voici les
Vers à Favone. Féret se repose à la campagne ? Et c'est
Dimanche d'août. Comme Lamartine pour ses
Méditations, il pourrait conter l'histoire de ses vers, en note. Mais on ne s'étale plus ainsi.
— Moi qui croyais qu'un poète...
— Peut s'asseoir à sa table et dire : Je chantai Diane hier, chantons Bacchus aujourd'hui !
— Mais, son caractère ? on en dit tant de mal, dans les parlotes littéraires de..., et d'ailleurs...
— Au dire d'un jeune poète de nos amis, il ne saurait être pire que le mien (1). Mais voyez mon Epître à Tircis :
Féret, coeur frémissant, partial et sincère,
De l'un fait son ami, de l'autre un adversaire
Et lit avec des yeux prévenus ou ravis.
Sa dent dure a brisé mainte flûte légère...
Dix
ans de correspondance suivie ; une amitié littéraire fervente qui,
malgré la diversité, l'opposition sans cesse croissante de nos
tempéraments (il n'a pas changé, lui, mais j'ai pris conscience de
moi-même), s'est montrée, dans le privé, solide et sûre....
— Ne le criez pas trop haut, Philéas....
— Que voulez-vous dire ? J'étais hier un enfant. Je me sens maintenant un homme. Féret peut dire avant tous : J'y ai aidé !
— Soit. Mais cette « conscience de vous ! » Deux ténors dans le chœur normand (1). Vous le gênez ! Il vous gênera !
—
Méchant Philémon. Ténor ne suis, ni ne peux être. Et la Normandie, qui
a la piété de Féret, me semble bien la mère — ou l'aïeule — de cette
Normandie qui aura tantôt mes amours. Mais j'ai aimé l'autre avec lui,
par lui, et je lui garde ma tendresse, comme le fils qui se marie
continue d'aimer sa mère... Et malgré nos âmes différentes, toujours
nous unira, Féret, et moi, et tant d'autres,, le culte fervent de
l'art, le seul dieu
Qui réponde par des miracles aux humains.
(un
vers de Féret que vous ne savez pas encore !) Notre Dieu, à nous,
poètes, c'est la Beauté. Nous la comprenons mal, peut-être, et
différemment, et nous allons-vers elle en trébuchant. Mais que nous y
parvenions ou non, nous sommes « des volontés tendues, des cœurs
ardents, des flèches lancées »... Et nous gravissons la double colline,
les genoux meurtris et les mains en sang.
— Flamboie donc, orgueil du Poète !
—
Comme c'est joli, pense un autre, cette présomption immortelle ! Allez,
ne nous raillez point. Nous sommes plus malheureux que vous, parce que
plus passionnés. Vous pouvez servir deux maîtres. Nous pas.
L'art est un dieu jaloux qui ne partage point.
— Mais Féret n'y croit pas, à votre amitié !
Par le poison de l'or et l'ongle du désir
L'amour ne fait jamais que tuer ce qu'il aimé...
—
Las ! Ces vers sont fruits d'expérience, dure et amère 1 Mais n'y a
entre nous or ni envie. Le Parnasse est à ceux qui savent en gravir les
pentes. Et, le verger des Muses normandes, après tant d'ombres
accueillies, est ouvert à des hôtes nouveaux... — Venons-en à
L'Arc.
A la page où, d'ordinaire, un auteur nous remémore son passé et nous
confie ses projets, Féret nous promet un roman, Présences secrètes ;
Les
Contes de Quillebeuf et du Roumois, et une
Normandie exaltée, en partie nouvelle. Pour parler de l'homme, du caractère, des doctrines, de l'œuvre, attendons. Mais les pièces de
L'Arc datent de 1884 à 1915 ; je peux, sans avoir trop à me corriger plus tard, en étudier l'art avec vous.
— Il ne vaut rien, Philéas. Souvenez-vous donc :
Moi, barbare danois des îles Far-oer…
« Il parle une langue de Scanie, votre poète, faite pour lutter contre le fracas des avalanches et le hurlement de la mer. »
— Vous récitez bien, Philémon. A me faire grincer des dents. Mais ces vers ne sont point dans
L'Arc, et vous trichez. Et que nous sommes injustes, quand nous n'y prenons point garde ! Hier, parce que j'ai noté dans
L'Arc deux vers sans harmonie :
Demain, te confrontant à tes traits d'autrefois
De douze gens, j'habite en même temps la peau...
(tantatestraits ; je-jan-ja...), je me suis hâté d'écrire : Féret, un très médiocre musicien...
— Les premiers sentiments sont les plus...
—
Et les jugements hâtifs les plus sujets à erreur. Pour deux
défaillances, condamner tant de beautés ! Mais si Féret chante
rauquement,
aux endroits choisis, parce qu'il le faut et qu'il le
veut, plus souvent aussi, il
Chante comme le vent sur l'orgue des roseaux.
Par lui,
... la Cambrie
Se lamente au frisson de ses bouleaux légers ;
le jardin de Vard est plein d'abeilles
Dont le peuple guerrier bruit comme des dards ;
et le calme s'épand
Sur la colline douce et le toit endormi.
Féret
est maître de ses airs ; criant ici, soupirant là, il accorde et il
harmonise, mais le timbre de sa voix, inattendu, n'est pas plus que le
nôtre à tous, soumis à sa volonté. Sa poésie est un beau chant sur un
instrument sonore, mais étrange. Mais il est si maître doses airs, vous
le savez, qu'il a des dons d'
ubiquiste...
— Toute la Compagnie en un seul...
—
Oui, et si grands que naguère, m'étant permis d'affirmer que des vers
où il évoquait Verlaine n'étaient pas aussi mélodieux que ceux du
pauvre Lélian, je m'attirai du bon critique Jean d'Armor,... un
aimable, mais très ferme démenti... Féret peut chanter comme Marie de
France, Mlle de La Vigne ou Sonnet de Courval ; et avec leur
vocabulaire, car il est, nul ne le conteste, un savant, un érudit, un «
Apollonnien fou de mots »...
— Mais leur timbre...
— Est si usé que Féret leur substitue le sien sans désavantage... Mais voyez le
Sonnet sur mon prénom, de Théophile. Féret s'y réclame, en art, du Gautier d'
Emaux et Camées :
Sous lui, j'ai peint, serti, cuit l'émail, et sculpté.
Un
tort de Féret — si c'en est un — est d' avoir poussé à l'extrême,
de s'être appliqué de force les théories de Gautier, qui ne voyait dans
l'artiste qu'un ouvrier très habile, d'un genre supérieur, certes, mais
un ouvrier comme les autres. Dans ses vers, Féret semble ne rien
laisser au hasard. Il n'a pas la Muse heureuse à qui tout réussit sans
effort ; sa poésie n'est point la rivière qui coule, fluide, entre des
rives verdoyantes, sous un ciel largement fenêtré d'azur, c'est-à-dire
la seule que vous supportiez, Philémon, parce que...
— Parce que la plus naturelle...
—
Et la plus facile. J'écrivais hier : « L'art de Féret sent le roc et le
granit, qui, jamais ne sont lustrés, vernis ou cirés, mais qui
conservent à travers les temps et jusqu'en leurs sables une inaltérable
dureté. » Disons mieux. Féret est, dans l'ensemble, un musicien qui
s'applique, un peintre qui étale des couleurs, un imagier qui trace
d'un crayon ferme un trait exact, un sculpteur qui modèle dans la
glaise des formes au dur relief. Il tire de l'harmonie imitative des
effets étranges. C'est que pour lui, l'Art, le Beau, « c'est la nuance,
l'exceptionnel, le geste arrêté dans sa plus belle pose... » ; ce n'est
pas le général, qui n'est que votre banalité. Il en arrive à être
compliqué, torturé, obscur. Certes, le trop de clarté a ses
inconvénients
— Jamais de l'homme un dieu n'a montré son visage...
— Mais il ne faut rien exagérer... Il fait violence à son libre et capricieux génie, pour se voir plus beau. Il s'habille.
— D'autres vont nus...
—
Les amoureux de la ligne pure ! D'autres se parent de bijoux, ou
s'enguirlandent de fleurs... Il lui faut, à lui, des teintes vives, des
nuances...
— « Il faut savoir risquer des couleurs sur son aile ! »
—
Merle ! Et tous les chemins qui montent vont à la beauté ! Suivons
Féret sur le sien. Mots heurtés et rimes barbares ? Il les a voulus.
— Pour étonner.
— Non, mais vous vous en êtes étonnés ! Hier, il nous faisait de Vard un
Anachréon sculpté comme un dieu des jardins.
Voici aujourd'hui son rire :
Un rire rauque, aigu comme un hennissement.
Evoque-t-il une beauté d'antan ?
Et tout l'harmonieux second Empire est là
Dans cette chute des épaules.
Admirez, dans .cette servante bien en chair,
Les beaux flancs faits pour la luxure et les yeux chastes
Et ce balancement sensuel des vaisseaux
Que leur château-d'arrière assied bien sur les eaux !
Des nuages courent-ils en un ciel nocturne :
Voici le doux hameau qui revient de la guerre
Dans la Flandre assoupie ;
Et la lune rassemble à sa lanterne claire
Ses moutons de charpie.
La brise murmure-t-elle dans la feuillée,
Le vent sur les feuilles du tremble,
Ce matin,
A pile -ou face, joue il semble,
Nos destins.
Si l'homme préhistorique
Tend les bras vers le ciel aux fentes des brouillards
Où cuit la venaison saignante de l'aurore,
nos jeunes filles perdent leur temps
A regarder couler leur fraîche destinée....
Et bien qu'il sache autant qu'un autre
Que l'art avec ses choix très tendres purifie
La nature,
je
vous accorde que parfois ce qui semble harmonieux à Féret, faune épris
de tous les bruits, le rire rauque, le hennissement des étalons, le
fracas des vagues, peut ne pas l'être pour nous,
prudes et prudents.
Nous supportons les sons durs, les bruits heurtés ; mais nous en
évitons le supplice à nos oreilles ; et nous ne les souffrons pas dans
les vers, pas plus que des images de
squale ou de vampire... L'excessif...
— Oui, l'ombre des plis sur la robe étincelante de la vie nous fait peur. « Les délicats sont malheureux... s
—
Mais ce manque à nous plaire, ces outrances (rares, mais sensibles) ne
sont chez lui qu'un aveu, une révélation de soi-même, parmi tant
d'autres...
— Curieux, curieux ! Dommage que de l'homme
vous ne montriez qu'un bout d'oreille ! Mais ces vers de onze pieds,
ces alexandrins coupés à la septième syllabe ? Préciosité, mandarinades
ou grand art ?
— Pour deux pièces ! Paresseux Philémon !
Vous ne souffrez rien qui ne flatte en vous l'habitude. La nouveauté
vous fait peur. Ainsi l'enfant timide aux lisières de la forêt. Il y a
sans doute de verts gazons, des ombres douces, de tendres fleurs, des
brises charmantes et des clairières merveilleuses. Mais il y a
peut-être le loup. Et il reste, sage, au soleil aride du grand chemin.
Et pendant ce, un autre va, naïf ou hardi, et fait sa moisson, dût-il
rencontrer l'abîme et y choir...
— Quittez les cimes, Philéas !
— C'est devant l'inconnu qu'est grande la secousse !
— Philéas, revenez au sol !
— Je vous l'ai conté naguère :
Le vers est muscle, et nerf, et corps bien charpenté.
Des
rythmes disciplinés comme ceux de Féret sont plus qu'acceptables ; ils
sont classiques, quoique neufs, et plaisants, parce que subtils....
Plaise aux amants, | l'arc argenté de Di-ane... ;
L'hiver, | qui durcit le cœur, | qui durcit les mares...
Vers
de onze pieds ? Je ne l'ai su qu'en y regardant. — Et que ces rythmes
sautillants ont de charme en la circonstance ! Ces coupes me sont
familières, mais nouvelles, et c'est ma raison, et votre excuse. J'ai
été plus loin que Féret :
Vers de quatorze pieds, je vous raillais sans vous connaître,
Et n'osais pas vous lire, ayant peur de vous trouver beaux...
— Des alexandrins à rallonge...
—
N'y voyez que cela si vous voulez. Mais ces efforts vers des formes
neuves, aux disciplines fermes, claires, logiques et simples, auront
toujours ma sympathie. Elles seules sauveront l'art de la pauvreté où
le maintiennent les ultra-classiques, et nous garderont de l'anarchie
dont le verlibrisme, dans sa forme moderne, peut vous sembler un timide
essai. Et je vous dirai que si Féret use de l'hiatus, c'est que la
poésie est chant ; et que si on y tolère :
Ils sont infatués d'eux-mêmes, il n'y a pas de raison logique pour ne pas dire à une femme :
Tu es belle ! Féret a évolué quant à ses rimes ? Mais la rime est pour l'oreille ; et les finales
s ou
nt qui ne dérangent pas la musique, ne sont pas à considérer...
— Vous vous gardez de ces hardiesses !
—
Je m'en expliquerai demain (2), Vous, vous regardez, pour juger d'une
œuvre, si les rimes sont riches, et si la césure est au milieu de
l'alexandrin. Le collège vous a appris Boileau ; il est votre pierre de
touche. L'eau a coulé sous les ponts, depuis. Mais écoutez donc :
Ma Rime — Ondine dans le vent qui vire et valse —
Fluteau parmi les joncs, clairon sur la mer vaste,
Chuchote en la feuillée et pleure dans la vasque...
A notre néant d'orgueil
Siérait tant la mort des fleurs ;
Abdiquer, tout bas, sans leurre,
Au gré du vent qui nous cueille...
— Quelles musiques suaves, Philémon !
— Suaves, suaves Ah ! les Marseillaises de Victor Hugo ! Ça, ça vous faisait marcher au pas !
—
Fracas, stridences, sonorités, flûtes, ruisseaux, abeilles ou brises,
soupirs ou plaintes, ce chant est tous les sons et tous les bruits.
Mais ; ça ne suffit pas pour qu'on
l'aime. L'amour se donne, en
dehors des qualités qu'on a. Et la gloire aussi !
— Riquet à la Houppe !(3) Mais les
Flèches de L'Arc, Philéas ? Ces satires rageuses, ces coups de massue....
—
Féret n'assomme qu'en effigie, Philémon. De ses satires, je me délecte
sans mauvaises pensées. Impartiales comme des critiques, ces pièces me
seraient insipides... Le taureau fonce au rouge ; l'autre, au noir.
Pour produire l'émotion d'art, il ose exagérer et être injuste. Mais il
suffit que je le sache, pour ne rire des victimes, ni les plaindre.
Demain, sans leur faire de condoléances, je choquerai mon verre au
leur. Mais que leurs Mannequins reçoivent des coups bien portés, et
j'applaudis l'adresse et la force de qui les donne. Vous êtes trop
commère de village ; vous ne voyez que le potin et la méchanceté. Les
meilleures de ces satires sont celles dont je n'ai point la clef.
— Gare aux ennemis, Philéas ! Mais ces poèmes licencieux...
—
L'Art, qui me justifie les satires, me justifie aussi ces poèmes, et
les interdit aux simples. Certes, chez Féret, qui se reconnaît
Un grand rire de bouc, sacrilège et salace,
il y avait naguère du Centaure :
Le viol, sous les torches brandies,
Sema ma race……………………………………
Le
voici faune concupiscent et sensuel ; et sous le masque du satire
apparaît parfois un Silène. Cet Alceste, me dit-on, est quelquefois un
Rabelais. Alors, je regrette une ou deux pièces, pour la robe... Que
n'a-t-il fait des
Vers pour les Servantes et de quelques
Compliments un recueil à part ! Vous l'auriez lu en cachette, et pu dire de celui-ci : C'est un
bon livre ! Mais Féret en fera-t-il un, un
bon livre, sans taches ?
— Bravo, bravo, Philéas ?
—
Oui, votre superstition de la Moralité se rencontre ici avec mon goût
de l'ordre et de l'harmonie en toutes choses. Ces vers licencieux ne me
semblent pas ici à leur place. Vous, vous ne les trouverez à leur place
nulle part... Nos Muses, pour vous, ne doivent être femmes que comme
les sirènes, jusqu'au nombril.
— Trop de franchise,
Philéas, gâte en vous le parfait Normand. Et cet amour maladif pour les
Poètes maudits, les Ratés et les Impuissants ?
— La
crudité verbale de Féret n'est rien auprès de la sécheresse de votre
cœur. Ces Villon, Théophile, Saint-Amant, Glatigny, Vard, qu'en
savez-vous ? La vie, racontée par le menu, pour vous amuser, bassement,
par des critiques qui n'avaient pas toujours sous la main de grands
hommes à leur convenance. Mais quel cœur battait sous leurs oripeaux,
peu vous importe. C'est ce cœur, à défaut d'une œuvre imparfaite, que
Féret a chanté, sublimifié, inventé peut-être,
pareil au sien ! Tâche ingrate,
garder les ombres de mourir !Ne regarde donc point son œuvre, mais son âme,
dit-il en parlant de Vard ; et de
Ceux qui marchent sans voir par la rue importune
Ou collent aux carreaux leurs yeux comme deux lunes,
il guette,
Quand jaillit leur pauvre secret,
Par quels sanglots
Ils reprochent à Dieu leur génie et leurs fautes.
— Féret est une grande tendresse calomniée, Philémon !
— Le tendre Féret ! Si je m'attendais....
— Pas tendre, Féret ! Quelle injure ! Vous confondez
douceur de style et
tendresse de cœur ! Vous ne pensez qu'à Racine :
Le doux, le tendre...,
et vous n'imaginez pas que la tendresse puisse se faire violente. Vous
vous en tenez aux mois ; et qui n'a pas de cœur en aura pour vous, s'il
module
doucement et harmonieusement ses airs. Il y a des cris déchirants dans Féret :
J'aurais été plus grand si l'on m'avait aimé !
Et reconnaissez qu'il y a au moins une magnifique tendresse filiale ! Depuis
La Maison maternelle :
Mon âme en un balbutiement
A ses pauvres pieds exhalée
Je gémirais : Maman ! maman !
jusqu'à
Ma mère adoptive :
Viens me voir cette nuit, maman, que dans un songe
Tout le bonheur brisé par la mort se prolonge
en passant par
Maître Villon :
Maman ! maman ! seul vrai cri de l'humaine détresse. Sanglot et reflux vers sa source du sang qu'on précipite. Maman ! »
— Le cri de nos pauvres soldats....
— Comme vous vous étonnerez un jour ! Il n'a semblé parfois haïr que parce qu'il n'a pas rencontré...
— Le bout de l'oreille, Philéas ! Quel rang...
— Attendez l'œuvre complète.
— Mais encore...
—
Le plus fin s'y trompe. Si, dans 200 ans, Rostand est quelque chose
dans la mémoire des hommes, comme… aujourd'hui..., le bon....
Regnard....
— Mais non. Pourtant, soyez sûr que Féret se débattra farouchement contre l'oubli. Que de pièces de
L'Arc méritent mieux que le sonnet d'Arvers !
— La gloire injuste
Paya quatorze vers médiocres d'un buste...
— Quelles pièces, Philéas ?
—
Ecoutez Philémon, terrible ! Du livre nul de vos quarante-ans, je
tirerai la pire pièce, pour faire besogne de bourreau. Du livre inégal
d'un adolescent, je dirai les plus belles pages, pour le faire aimer.
— De l'enfant attends l'homme, et du bloc lourd le vase.
— Oui. Et dans un beau livre, je chercherai celles qui sont, non les plus belles absolument, mais les plus chères à mon cœur.
— Le cœur a ses raisons...
— ...ses faiblesses et ses partis pris. Ici, quelques strophes de
La Muse de Villon, les deux premiers poèmes de
Aux miens, l'
Ode pour reprendre une dédicace, le
Rossignol... Et voici un
Regret de Normandie que je mets au-dessus de tout.
Savez-vous,
qu'au temps de sa jeunesse, Théophile Gautier consacra presque tout un
livre à ressusciter Théophile de Viau ; ce dont le blâma d'ailleurs
assez fort le bon Sainte-Beuve ? Coupant-ci, rajustant-là, il en cita
des pièces fort présentables. Combien des longues pièces de Féret
mériteront le même heureux sort ? Beaucoup ! Et jusqu'à ces satires que
les érudits... Soyez sans crainte ; on fera plus de livres sur Féret
qu'il n'en a fait sur les autres....
— Vous le premier, Philéas, dès qu'il...
— Ou avant, Philémon, car j'attendrais trop ! Je vous dirai demain un sonnet à la... louange de mon aîné, et une épître...
— Le bon défenseur que vous faites !
—
Point, Philéas. L'Art se défend seul, par sa divinité même. Dédaigné,
il est immortel. Mais les hommes ont besoin qu'on les aide à s'élever
jusqu'à lui, car il descend rarement jusqu'à eux. Qui l'infirme, celui
qui plane, ou celui qui ne peut s'élever ?
— Oui,
L'Albatros de Baudelaire, et
Les Oiseaux de Passage de Richepin. Pauvres oisons que nous sommes....
—
Vous avez des lectures, Philémon, que vous prenez pour des lettres, et
de l'ironie Par en bas. Mais si vous n'admirez même plus quand on vous
crie d'admirer ! Que n'êtes-vous apprenti poète ! Je vous dirais :
Gardez
L'Arc à votre chevet.... Allons ! Achetez mon
Chemin Délaissé. Il vous délassera de
L'Arc d'Ulysse.
— L'églantine après l'orchidée ? Merci ! Critique épineux qui n'offrez point rançon de roses !
—
L'ami Campion — un délicieux pince-sans-rire — dit parfois « En fait de
bons poètes, il n'y a plus guère que Le Révérend et moi ! Et
encore, Le Révérend ! » Ce
encore,
mon cher Mécène, vous autorise à ne point m'ouvrir votre bourse. Mais,
tenez, j'ai ce qu'il vous faut. Achetez un livre de M. Fauchois. Il
joue très bien du clairon !
— Rendez-moi mon
Arc, Philéas !
— Pourquoi ? Lu en courant, su par cœur...
—
Pour le revendre, Philéas ! Votre Féret est décidément trop fort pour
moi... Mais qui donc, à propos d'un livre où l'ironie elle-même a du
poids, vous a permis un ton si léger ?...
— C'est que vous m'égayez, Philémon.
—
Adieu, ô « rêve errant » paradoxal, ô trop peu révérend ami. Une mouche
semble vous avoir piqué. Mais prenez bien garde aux javelots ! Il
suffit d'un, bien lancé, pour vous abattre à jamais….
Janvier 1919.
Gaston LE RÉVÉREND.
_______
NOTES :
(1)
Certaines répliques de Philémon sont « vécues » Leurs auteurs me
pardonneront, j'en suis sûr, de les leur emprunter sans les leur
rendre...
(2) Et de bien d'autres choses, en étudiant
Belphégor, de M. Julien Benda.
(3)
Que manque-t-il, de capital, à Féret, qu'il plaît à si peu ! Il a du
sentiment, de l'humanité, de l'expérience, de la vie. Mais presque
toujours, il fait appel au savoir, à l'érudition, à l'analyse ; il
invite à la méditation et au souvenir ; il exige un effort de mémoire,
d'évocation, de réflexion presque constant ; il nous voudrait aussi
savants que lui... Il ne désaltère point le cœur à notre gré ; il
nourrit l'esprit ; et les aliments qu'il lui propose ont des parties...
indigestes. Mais,
pour qui s'obstine,
il a de hautes et délicates récompenses. — Il révolte et violente nos
féminités sans s'en faire accepter ni subir ; et son romantisme
intellectuel s'oppose au sensitivisme exaspéré des disciples de Henri
Bataille, de Bergson, et de tous nos primitifs, intuitifs, émotifs,
subjectivistes, panlyriques, et tangotistes à la mode. Refus de se
mêler au flot, de s'abandonner au courant, de satisfaire nos vœux les
plus chers : impardonnable défaut. Mais
un vrai grand défaut,
en notre âge où les vertus sont si faciles qu'on les prendrait
volontiers pour des tares, a bien, lui aussi, une valeur positive...
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AU FOND DES CAMPAGNES NORMANDES
L'Artiste Archéologue G. Poulain
Le
charmant village de Saint-Pierre-d'Autils, accroupi au pied d'une
colline boisée, semblerait perdu le long de la rive gauche si
verdoyante de la Seine, dans ce coin coquet du département de l'Eure
qui avoisine Vernon, s'il ne se signalait à l'attention du touriste par
son clocher orné d'arcs brisés et de colonnettes du style ogival
primaire le plus pur, pesamment recouvert d'une pyramide que l'on
aperçoit du goulet à Vernon.
En quittant cette ville, au
cinquième kilomètre environ, le promeneur est agréablement surpris de
rencontrer cette agglomération bien normande aux maisons basses, en
cailloux et colombages, entourées de jardins fruitiers, de clos et de
vergers, qui semblent dire au visiteur : « Il fait bon vivre ici. »
Est-ce
séduit par cette ambiance, par le charme du paysage, que l'excellent
artiste archéologue Georges Poulain y a fixé définitivement sa demeure
? Je ne saurais le dire. Il pouvait en tout cas plus mal choisir. La
région est romantique à souhait. De l'autre côté de l'eau, en effet,
apparaît un peu cachée dans la verdure qui l'entoure la façade du
château de la Madeleine, qui évoque le souvenir de Casimir Delavigne,
et dans le chemin même que nous foulons, dans les sillons où
s'enfoncent chevaux et charretiers, des outils préhistoriques, des
objets romains et gallo-romains, francs, mérovingiens et du moyen-âge,
dorment encore enfouis, attendant le jour où un heureux coup de pioche
les exhumera, comme ceux déjà retrouvés précédemment dans la commune.
C'est
grâce à cette richesse archéologique du sous-sol que G. Poulain a pu
constituer cette intéressante collection qu'il abrite avec amour dans
son pittoresque « Ermitage » situé au haut du village, ceint de murs et
de haies vives, où son hôte mène une vie d'indépendance et de labeur.
Car ce n'est que lorsqu'octobre ramène sous son manteau roux les pluies
et les jours sombres que Poulain, les dernières récoltes terminées,
rentre dans sa maisonnette au toit de vieilles tuiles drapées de lierre
et de roses paresseusement étalées le long des murs de ce petit logis
qui semble un décor d'opéra.
L'intérieur en est simple, comme
les gens qui l'habitent, mais on pourrait inscrire au fronton de cette
demeure ce distique que jadis l'Arioste composa pour la sienne :
Parva sed apta mihi, sed nulli obnoxia, sed non
Sordida : parta meo, sed tamen œre domus.
A
l'une des extrémités du bâtiment se trouve le petit musée bien ordonné,
bien soigné, enrichi chaque année de nouvelles découvertes, orné d'une
énorme cheminée à coquilles sculptées.
Celle-ci porte fièrement
la date 1779, inscrite au-dessus de l'âtre noirci par des centaines
d'hivers qui ont déposé sur le blason décorant le fond la suie de cent
beaux chênes arrachés aux taillis et futaies de Bigy.
Il
serait mieux de dresser ici le catalogue des objets exposés. Ils
embrassent les deux périodes paléos et néolithiques, rappellent le
souvenir des stations locales occupées jadis par nos lointains ancêtres
comme celle de Mestreville, par exemple, où des fragments importants de
squelettes ont été retrouvés. Les épreuves postérieures y sont
également représentées, notamment par des mosaïques, poteries, petits
bronzes, tuiles et vestiges romains.
Ai-je dit que la plupart
des pièces ont été exhumées par G. Poulain dans des fouilles aussi
nombreuses que fructueuses, méthodiquement conduites ? Les résultats en
ont été consignés par lui dans
Le Bulletin de la Société normande d'études préhistoriques et dans
Le Bulletin archéologique, publié par le ministère de l'Instruction publique.
C'est
au sein de cette retraite vraiment poétique et reposante, entouré de
ces reliques du passé, dans l'atelier bas, mais clair et très gai, où
voisinent livres, ébauches, outils et moulages, que Poulain cisèle ses
délicats coffrets gothiques, appréciés des connaisseurs et des amateurs
rouennais, voire même anglais, car des gens de goût recherchent ces
manifestations d'un art qui restera certainement le plus gracieux et le
plus mystérieux de, tous ceux qui ont contribué à embellir la vie de
nos pères.
Poulain a la patience du huchier. Il fouille et
fignole.
Ses lignes, courbes, arcs brisés, roses, flammes, soufflets et
manchettes sont impeccables, et c'est au quinzième siècle qu'il
emprunte ses modèles.
Mais ne se bornant pas au rôle de copiste, il improvise des scènes avec des personnages qui conservent la naïveté du
faire
des artisans médiévaux. Ses bonshommes restent figés dans des poses
hiératiques, qui contribuent à donner un cachet vaguement archaïque à
ses charmantes compositions sur bois. Sur les côtés, flancs et
couvercles, se déploie la riche dentelle d'ornements caractéristiques
du gothique flamboyant.
Quelquefois, l'artiste abandonne
le coffret pour la représentation du Crucifié du Golgotha, sur lequel
il se penche attentif à lui donner l'accent de la douleur. Il s'est
également essayé au véritable ogival, mais c'est encore à ses coffrets
qu'il faut revenir pour apprécier l'habileté du sculpteur.
Poulain aurait pu percer à Paris, tirer parti de son talent. Il a préféré son
Ermitage
et sa Normandie. Belle leçon de philosophie et de sagesse donnée à de
plus turbulents et à de moins sincères. Et c'est pourquoi j'ai plaisir
à faire sortir de l'ombre cette curieuse figure, un peu énigmatique
d'artiste campagnard, qui s'obstine à demeurer sur la terre natale,
dont il retourne l'humus, et fouille les entrailles, ressuscitant enfin
ses traditions artistiques, d'une main experte à manier à la fois la
bêche, la pioche et le ciseau.
Ed. SPALIKOWSKI.
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La condamnation de Maître Lepileur
Maître
Lepileur était un honnête homme au même titre que ses concitoyens qui
l'avaient élu maire. Il administrait nominalement sa commune de six
cents habitants dont toutes les charges retombaient sur l'instituteur
secrétaire de mairie, car M. le Maire écrivait péniblement et la
grammaire ne lui avait jamais révélé ses secrets. Plus fort en calcul,
il additionnait volontiers les grosses pièces dans son bas de laine. Le
soir, à la chandelle, quand les domestiques étaient couchés, quand sa
femme elle-même ronflait sous les rideaux de reps rouge à ramages
noirs, il tirait avec précaution les verrous de la cuisine et ouvrait
les portes enfumées de la grande armoire de chêne. Une odeur de lessive
se répandait dans l'air épais. Maître Lepileur prenait le magot caché
sous une pile de draps jaunes et rugueux, comptait les louis, les
faisait sonner, en ajoutait d'autres. Après avoir remis tout en place,
il soufflait la chandelle et, s'aidant d'une chaise placée au chevet du
lit, montait s'étendre auprès de sa femme sur le matelas haut perché.
Dans
ce lit, quelques années auparavant, son père était mort, la conscience
troublée. Sa confession faite au curé, le bonhomme avait appelé son
héritier pour lui confier un secret qui, celui-là, ne devait pas sortir
de la famille, même pour tomber dans l'oreille d'un prêtre ; car
sait-on jamais quelle réparation pourrait vous imposer le ministre de
Dieu ? Le père Lepileur avait nié une dette dont il était parfaitement
redevable envers un voisin ; il exprimait le désir de la payer dans la
crainte de l'enfer. Le nouveau fermier, solide et jeune, sentant une
longue vie devant lui, ne s'émut point, car son âme n'était pas en
cause. Son hésitation fut courte. Il se gratta un coup l'oreille et
conseilla sagement :
« Tant pis, mon « pé » ! Risquons le paquet !
Quel
avait été le résultat du risque ? Le vieux fermier ne revint jamais le
dire. Son fils ne s'en tracassa point et occupa tranquillement avec son
épouse le lit paternel, dans la cuisine où couchent les maîtres.
Sa
ferme était enfouie dans les terres, loin des routes et des grands
chemins. On y accédait par des sentiers boueux dans lesquels, l'hiver,
les sabots s'embourbaient. La cour était pleine de fumier. L'eau
dégouttait sans cesse du toit de chaume sur le seuil défoncé. A
l'intérieur, il faisait sombre, car on avait été avare d'ouvertures ;
les poutres et les murs étaient noircis par la fumée ; les marches du
large escalier s'affaissaient. A quoi bon faire des réparations ?
Depuis des années, les Lepileur avaient respiré là ; l'atmosphère du
lieu leur était familière, ils ne s'apercevaient pas du délabrement.
D'ailleurs, cela ne gênait en rien la vie de la ferme : les bestiaux
s'engraissaient et se vendaient bien, le grain était au sec et l'on
buvait aussi bien dans une cuisine fumeuse que dans une salle à manger
fraîchement peinte.
Maître Lepileur faisait de bonnes
affaires. Bien sûr, il n'aurait jamais pris un sou à personne ; mais,
tricher n'est pas voler ! Il s'entendait fort bien à garnir le fond
d'un wagon de pommes pourries, tandis que des pommes fraîches s'étalent
dessus, à glisser quelques bottes de foin avarié dans une charretée de
fourrage appétissant ; il savait aussi se débarrasser à des prix
avantageux d'une vache malade. Tout cela prouvait qu'il connaissait son
métier, puisqu'il y gagnait beaucoup d'argent et n'avait jamais eu de
démêlés avec la justice. Il dévoilait parfois ses ruses à ses amis qui
lui confiaient les leurs et personne ne lui retirait un pouce de
considération.
Pendant la guerre, les produits agricoles
atteignirent des prix exorbitants. Les paysans, qui n'achetaient à peu
près rien, puisque leur exploitation suffisait à les nourrir, firent de
gros bénéfices. Le bas de maître Lepileur se gonfla. Hélas ! le son des
clairs écus d'autrefois, conservés malgré les appels de l'or,
s'amortissait dans des liasses de papier ! Maître Lepileur n'aimait pas
bien tous ces billets de banque ; mais il avait fallu s'habituer à les
recevoir, puisque la monnaie de métal disparaissait.
Le
fermier revenait du marché, tout ébaubi lui-même des gains réalisés.
Après trois ans de guerre, les prix de vente avaient quadruplé. Il
faisait bon cultiver du grain, élever des bestiaux, nourrir des
volailles, baratter du beurre ! Et les cochons ! On emmenait à la foire
une « cagée » de petits porcs ; on rapportait un billet de mille francs
! Et l'on évoquait les temps d'avant-guerre où l'on abandonnait les
petits gorets sur la place publique, faute d'acheteurs... A présent, le
métier n'était pas mauvais ; on allait jusqu'à l'avouer entre soi.
Mais
on devenait exigeant. Si le prix du beurre s'abaissait une semaine de
quelques sous, cela semblait une catastrophe. Maître Lepileur déclarait
qu'il n'y avait plus moyen de vivre.
Il lui fallait gagner encore ; toujours, de plus en plus. Ses qualités de fraudeur s'accrurent.
L'hiver,
les œufs se vendaient fort cher, par malheur les poules pondaient peu.
Maître Lepileur, en homme sagace, avait prévu la chose et fait des
conserves. Aussi, tandis que pendant la mauvaise saison, ses amis
ramassaient à peine une douzaine d'œufs par semaine, notre fermier
portait au marché des paniers bien garnis. Le système lui réussit ; il
se frottait les mains, content de gagner, content surtout de duper ces
maudits « villois », ces feignants qui se promènent la canne à la main,
tandis que le paysan peine pour les nourrir.
Mais des
voisins, méfiants et jaloux, surent bien vite à quoi s'en tenir. Une
lettre anonyme dénonça au Parquet l'astucieux compère.
Un
samedi, sur la place, maître Lepileur avait pris l'alignée des vendeurs
derrière la corde. Il tendait son grand panier rempli d'œufs vers
lequel s'attroupaient les acheteurs, car la marchandise était rare.
Un agent de police s'approcha :
— Combien vos œufs ?
— Sept francs !
— La pièce ? gouailla le représentant de l'autorité.
— J'aime pas qu'on se foute de moi, grogna le paysan. Vous savez bi que c'est la douzaine !
— Bon ! Je les prends tous.
— Dans qui que vous allez les mettre ? Vous avez pas de « pani »....
— Suivez-moi avec le vôtre !
Maître
Lepileur se sentit pincé. Mais la foule le regardait, hostile déjà. Il
comprit que mieux valait ne pas faire de résistance.
Les œufs furent saisis, examinés. L'affaire passa devant le tribunal.
Maître
Lepileur était dans l'état d'âme du renard pris au piège ; sa
conscience demeurait sereine, mais son amour-propre souffrait. Le
président du tribunal fit appel à son patriotisme et lui démontra que
la gravité des circonstances rendait encore plus grave sa faute.
— Comment ? s'écria le magistrat dans une belle envolée, vous vous faites voleur, vous qui avez donné vos fils à la Patrie !
—
D'abord, je les ai pas donnés; on me les a pris, répondit le paysan
bourru. Et puis, raison de pus ! Faut bin que je leur en gagne pendant
qu'i ne peuvent point le faire.
— Songez à leur honte lorsque, dans les tranchées, ces héros apprendront votre condamnation !
— Pour seur que ça leur fera point piaisi d'savoir qu'on tourmente leur pé pendant qu'i se font tuer.
Le
président vit qu'il perdait son temps à sermonner le coupable. Le
tribunal rendit son jugement qui condamnait maître Lepileur à trois
cents francs d'amende.
Alors, le fermier s'émut et, bien poliment, humblement, la voix tremblante, il supplia :
— M'sieu le Président, donnez-moi plutôt de la prison !
La justice est impitoyable. M. le Maire dut payer.
Au
village, les malins ont calculé que ses œufs lui sont revenus à
soixante francs la douzaine. Et, plus d'une fois la semaine, il entend
autour de 'lui des propos narquois :
— Soixante francs les oeufs ! J'allons faire fortune ! Les villois nous lapideront si ça continue...
Marguerite GENDRIN.
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CONFÉRENCE
Le dimanche 25 mai, dans la salle des fêtes de la mairie du 10e arrondissement, à Paris, matinée organisée par la
Société des Normands de Paris et «
Normandie » Conférence :
La Terre et le Paysan,
par notre collaborateur Gaston Demongé (Maît' Arsène), et une partie
artistique dont nous publierons le programme dans notre prochain numéro.
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A S. A. R. le Prince de Serbie
Poème dit par Mlle MADELEINE ROCH,
Sociétaire de la Comédie-Française,
sur la scène du théâtre de la Porte-Saint-Martin,
le 7 Février 1919.
«Et tous mirent leur confiance en Alexandre. »
(1er Livre des Macchabées, chp. X, 47.)
Regarde, Marko ; tous les Serbes,
Tous les fils de Serbie sont heureux.
La bataille sanglante s'est déroulée
Et nous avons été victorieux :
C'est la revanche de Kossovo.
« Pesmé » de Kossovo.
La France libre admire en Vous un prince libre
Et le digne héritier de grands libérateurs.
O Karageorgevitch, votre nom sacré vibre
Et fait, dans l'univers entier, vibrer les cœurs
Comme celui d'Albert Premier, roi de Belgique
Votre destin fut, comme son destin, tragique
D'abord, puis radieux et rayonnant d'espoir.
Serbes ! même en exil, vous n'avez voulu voir
Jamais, quelle que fût l'épouvante de l'heure,
« Braves gens » qui n'aviez même plus de demeure,
A travers feux, charniers, pillages, ruines noires,
Que le visage éblouissant de vos victoires !
C'est que, depuis toujours, votre invincible race
Sait secouer le joug sanglant de l'oppresseur,
Que votre bisaïeul brava les Turcs en face
Et préféra mourir, restant son défenseur,
A vivre sans vouloir sauver l'Indépendance ;
C'est que tous vos martyrs ont souffert en silence
Pour ne point se soumettre aux lois des Ottomans
Et des Scythes !... Comment les Austro-Allemands,
Connaissant le passé de leurs fières victimes,
Purent-ils concevoir leurs plans illégitimes
Et lancer contre Toi leurs bourreaux pleins de zèle,
Belgique des Balkans, ô Serbie éternelle ?
Quand, comme un océan dont les vagues déferlent,
Leur masse submergea vos rangs à Kossovo
Ils purent espérer revoir, au Champ-des-Merles,
Un roi serbe mourir (1) ...Or, parmi les chevaux,
Les canons, les caissons de l'armée en retraite,
Côtoyant ce ravin, franchissant cette crête,
Votre Père voulait soustraire, avec l'honneur
Du Pays, votre gloire à l'étranger vainqueur.
Il put dompter sa chair, bien que de souffrance ivre,
Il eût, malgré les ans l'héroïsme de vivre !
Ce Roi, Prince, fut Plus que Lazare sublime
Et son chemin d'exil passa de cime en cime
Dans les nuits où la Mort fauchait à pleine lame
Aucun de nous ne peut évoquer sans pâlir
Ce vieillard aussi faible qu'une jeune femme,
Ce roi plus pathétique encor que le roi Lear.
Traînant sur les rochers, dans les forêts glacées
De la Schunadia, sa démarche harassée,
Il eut soif, il eut faim, il eut mal, il eut froid.
Il allait sans parler, l'œil large ouvert...Ce roi
Ne voyait, au-dessus des monts et des vallées,
Planer que la Justice et la Victoire ailées !
Et nous discernons tous, sur Sa figure franche
Vos traits, Prince, qui porterez Sa toque blanche.
Vous avez de ses mains reçu la noble épée.
Hier à Villersexel, tout à l'heure à Pirot
Partout, Il fut vraiment un soldat d'épopée...
Fils de ce héros, frère de tous « vos héros »
Qu'ils fussent réguliers ou bien batteurs d'estrade,
Vous avez délivré la Serbie — et Belgrade
Reconquise devient, par vous, le cœur ardent
Des pays opprimés. — Slovène indépendant,
Croate et Bosnien, vos frères yougo-slaves
Que l'ennemi voulait faire à jamais esclaves,
Vous veulent pour leur chef. - Ah !leur vivat immense,
Prince, retrouvez-le dans celui de la France !
Georges NORMANDY.
(1)
L'empereur serbe Lazare se fit tuer à KossovoPolje (Champ des Merles),
plutôt que de se soumettre au féroce turc Mourad (1474).*
* *
L'AURÉOLE
Petit conte pour les petiots.
Le pauvre petit séraphin,
Un peu bobo, pas très malade,
(Son auréole a la pelade),
Dans son lit, nuage d'or fin,
Mangeote un tantet d'arbolade,
Tristement, sans plaisir, sans faim.
Il s'ennuie, il s'ennuie Il songe.
Quelques joujoux et quelques fleurs
Etancheraient vite ses pleurs ;
Mais il n'a rien, donc il se plonge
Et patauge dans ses malheurs,
Comme une mouche dans l'axonge.
« O mon Dieu », dit-il tout à coup,
« Encor que glabre, je me rase
Tellement que le spleen m'écrase.
Que ne suis-je merle ou coucou ?
Tout-Puissant, excusez ma phrase :
Vrai, je prends le ciel en dégoût !
Tandis que le printemps me huche
Et me sourit par le carreau,
Je reste ici dans mon fourreau.
Ah ! si j'avais la coqueluche,
Au moins boirais-je du sirop.
C'est bête ce mal qui m'épluche.
Soyez bon prince, ô roi des rois !
Le soleil brille, ouvrez la trappe
Et permettez que je m'échappe.
C'est bien peu demander, je crois.
Au besoin je mettrai la chape
Que je revêts par les grands froids. »
Le bon Dieu, pour clore une agape,
Buvait, dans un pot précieux,
Du Lacryma-Christi très vieux,
En somnolant clavant la nappe.
A ces mots, il ouvre les yeux,
Et le voilà qui rit sous cape.
Et puis, faisant la grosse voix,
Bien qu'au fond, il se désopile,
Il répond : « Quoi ? gamin débile,
Tu veux sortir ? Si je te vois
Vaguer nu-tête, quelle pile
Reste couché, sabre de bois !
T'ai-je doué d'une auréole
Pour qu'elle devienne un cerceau
Que tu roules dans le ruisseau ?
C'est ta faute, cervelle folle,
Si tu languis dans ton berceau.
Il est étonnant, ma parole,
Avec son air ébouriffé !
Ça court, ça se tient mal à table,
Ça prend le ciel pour une étable....
Tu ne bougeras que coiffé
D'une auréolé présentable,
Entends-tu ? galopin fieffé !
Pourtant, comme il est, je l'accorde,
Très dur, pour un fougueux crapaud
D'être enfermé lorsqu'il fait beau,
Bien que tu mérites la corde,
Et même des coups de sabot,
Je te ferai miséricorde.
Oui, je gaspillerai pour toi
Un peu de poudre de comète ;
Mais il faut que l'on me promette,
Au lieu de se sucer le doigt
Et de se gratter la pommette,
D'être sage comme on le doit.
Hein ? C'est sûr ? Attrape la boîte !
Ote le cercle de ton front,
Verse la poudre sur ce rond,
Fourbis avec un tampon d'ouate,
Et les rayons repousseront
Pour orner ta tête benoîte. »
Alors, calé sur son séant,
L'angelot astique sa gloire :
Frotte, râcle ; vilaine histoire !
En sueur, vexé, maugréant,
Craignant encor quelque déboire,
Il fait des efforts de géant.
« Et tout cela pour un caprice, »
Grogne le bambin grassouillet,
« C'est bien dur ! je suis si douillet.
Où donc est la bonne nourrice
Qui naguère me nettoyait
D'une main sûre et protectrice ?
Il peine, il souffle comme un bœuf :
Mais l'auréole qu'il récure
S'enjolive, se transfigure,
Devient couleur de jaune d'œuf,
Et puis, à la fin de la cure,
Se pare d'un éclat tout neuf.
La voilà propre, nette, belle,
Avec un aspect distingué.
Pourtant le pauvret n'est pas gai
Devant cette clarté nouvelle :
Sa tâche l'a trop fatigué,
Il en laisse pendre son aile.
Ouf ! quel travail ! Et long ! Si long
Que maintenant il est nuit close.
Comment jouer à quelque chose ?...
Vaincu par un sommeil de plomb,
En attendant le matin rose,
Il s'endort, le séraphin blond.
G. DE COLVÉ DES JARDINS.
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A NOS LECTEURS
Normandie
serait heureuse de pouvoir insérer rapidement tous les intéressants
articles qui lui sont adressés, mais pour cela il faudrait qu'elle
puisse paraître mensuellement à trente-deux pages, comme le présent
numéro, ce qui lui est actuellement interdit par suite du coût élevé de
l'impression. Pour cette réalisation, elle demande l'appui de tous ses
amis et de tous ceux qui s'intéressent à son effort dans l'intérêt
normand. Que ceux-ci et ceux-là veuillent bien faire autour d'eux une
large propagande pour lui amener les abonnements et les ressources qui
lui permettront cet effort. De notre côté, nous ferons de notre mieux
pour leur donner satisfaction et augmenter sans cesse l'intérêt de la
revue.
Normandie publiera dans ses prochains numéros :
FIGURES NORMANDES :Guillaume Desgranges, par Eléonore
DAUBRÉE.
Ernest Hulin, par Manuel
MARQUEZ.François Enault, par Manuel
MARQUEZ.Gaston Lefèvre, président du syndicat des armateurs à la pêche, au Havre, par
A. MACHE.
Saint-Ouen-sur-Seine et le Souvenir de Saint-Ouen, par
G.-U. LANGÉ, avec illustrations d'Emile
ALDER.
Impressions Vernonnaises, par Louis
GAMILLY.Des contes : d'Edward
MONTIER, Manuel
MARQUEZ, Lucien
DANGEL.Des poésies de :
Louis
BARBAY, Marguerite GENDRIN, André GUILLON, Lucien HESS, G.-U. LANGÉ,
Eugène LEROUX, Jean MIRVAL, Ed. MONTIER, Georges NORMANDY, Gaston LE
RÉVÉREND, Gabriel RINGARD, Ed. SPALIKOWSKY, Paul VAUTIER. Le prochain numéro contiendra, en hors texte, la reproduction de
La bonne Pipe de Guillaume
DESGRANGES. Le numéro de juin de Normandie sera spécialement consacré à Jean
LORRAIN, avec la collaboration de P
aul ADAM, Jean DE BONNEFON, Paul BRULAT, Jean REVEL, DUGLÉ, Georges NORMANDY, Charles BRUN, G.-U. LANGÉ, et contiendra des lettres inédites de Jean Lorrain et de nombreuses illustrations.
Il ne sera fait de ce numéro spécial aucun service de presse et il sera seulement adressé aux abonnés.
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ÉCHOS ET NOUVELLES
UN HOMMAGE A LA MÉMOIRE D'UN JOURNALISTE NORMAND : Un
comité vient de se créer à Rouen en vue de recueillir les fonds
nécessaires à l'érection d'un monument sur la tombe d'un écrivain
rouennais décédé au cours de l'année dernière, M. Ernest Morel, ancien
rédacteur en chef de
La Dépêche de Rouen et critique d'art.
Normandie
s'associe de tout cœur à 'hommage qui va être rendu à la mémoire d'un
journaliste de talent qui honora sa profession, et cela d'autant plus
sincèrement que nous nous rappelons qu'Ernest Morel fut l'auteur de ces
«
Lettres du Berger Magloire », que
La Dépêche de Rouen
publiait chaque dimanche, et qui, rédigées en parler du pays de Caux,
avaient une si piquante saveur de terroir et qui étaient goûtées même
de ceux dont le journal où elles paraissaient n'était pas l'organe de
prédilection. Ces lettres, où le berger Magloire commentait à sa façon
un fait du jour ou racontait une plaisante anecdote du cru, étaient
pleines d'une verve malicieuse et narquoise, en même temps que de
finesse et de bon sens et par là, le vieux « berquier » d'Ernest Morel
s'apparentait avec l'inoubliable et légendaire « pé Malandrin » de
notre cher et regretté ami Paul Delesques. Paul Delesques a déjà son
monument au cimetière monumental de Rouen où Ernest Morel va avoir le
sien, et ces deux bons Normands, ces deux « braves gas de chez nous »
qu'unissait dans la vie une étroite et confraternelle amitié,
reposeront ainsi l'un près de l'autre dans l'éternel
sommeil. H. B.
—
Ceux des lecteurs de Normandie qui voudraient participer
personnellement à l'hommage rendu à la mémoire d'Ernest Morel, peuvent
adresser leur souscription à M. Gaston Nibelle, secrétaire-trésorier du
Comité, hôtel des Sociétés Savantes, rue Saint-Lô, 40 bis, à Rouen.DANS LA PRESSE NORMANDE : Sous ce titre :
Les Nouvelles Normandes,
vient de paraître à Rouen un nouveau journal hebdomadaire dont le
directeur et rédacteur en chef est M. Paul Bocq-Lequillon, un Normand
du pays de Caux, revenu au sol natal après quinze années de presse
parisienne et cinquante-quatre mois de guerre, au cours desquels il a
vaillamment gagné la croix de guerre. Vient également de faire son
apparition, sous la même direction de M. Bocq-Lequillon, un organe qui,
sous le titre :
Le Port de Rouen,
s'occupera spécialement de toutes les questions d'ordre maritime,
industriel, commercial et économique intéressant notre grand port sur
la Seine, et contribuera ainsi à favoriser son développement et sa
prospérité. A Caen, vient aussi de paraître, sous la direction de notre
collaborateur, Olivier Adeline,
Le Carillon,
qui se présente ainsi lui-même : « Le Carillon ? Qu'est-ce à dire ?
C'est-à-dire tous les sons de cloches, toutes les opinions sur tous les
sujets, toutes les idées dans tous les domaines — sauf celui,
inviolable et sacré, de la conscience et de la Religion. »
Normandie
adresse cordialement son salut de bienvenue à ces trois nouveaux
confrères qui prennent rang dans la presse normande et leur souhaite
très sincèrement une pleine réussite.
— Puisque nous en
sommes à parler de la presse normande, notons qu'un de nos lecteurs —
un vieux liseur rouennais, ainsi s'intitule-t-il — nous signale
quelques omissions dans l’article du numéro de
Normandie paru
en décembre dernier, consacré par notre distingué collaborateur, M.
G.-U. Langé, à « l'effort des Revues à Rouen ». Il nous cite,
entre autres publications dont il n'a point été parlé dans cet article,
par ailleurs des plus intéressants au double point de vue rétrospectif
et documentaire,
Le Cri de Rouen,
une revue d'allure très vivante et combative, fondée vers 1898 par
Fernand de Bergevin, l'écrivain de talent si prématurément enlevé aux
lettres, et sa sœur Mme Colette Yver, la romancière des
Dames du Palais et des
Princesses de Science,
qui appartient aujourd'hui à l'Académie de Rouen. En 1904, parut aussi
à Rouen, mais pour ne vivre que d'une existence éphémère,
La Revue Normande Illustrée, avec Paul Delesques comme rédacteur en chef.
* * *
Sous le titre «
Un Hôpital normand de la Croix-Rouge
» (Librairie Lestringant, 11, rue Jeanne-d'Arc, Rouen)», notre
collaborateur Ed. Spalikowski vient de publier une petite plaquette
dans laquelle il fait l'historique de l'hôpital auxiliaire n° 204,
installé au Château des Pénitents, à Vernon, sur les instances des
propriétaires, M. et Mme Choque, de nationalité belge, mais Français de
cœur et d'origine. M. Spalikowski y rend un émouvant hommage au corps
médical, dont il nous permettra de dire qu'il faisait partie, et au
dévouement des dames infirmières qui, pendant cinquante-trois mois, se
sont multipliées près des 961 blessés qui y ont été reçus.
***
Notre excellent confrère, M. Julien Guillemard, directeur de
La Mouette, va faire paraître, chez Figuière, éditeur, 7, rue Corneille, à Paris,
Les Réflexions de Maître Aliboron.
Tous les lettrés devront posséder ces réflexions si profondément
vécues, si humaines, dont la philosophie atteint les plus hauts
sommets, et dont les lecteurs de
La Mouette
connaissent la noblesse et la beauté morale. Elles formeront une
élégante brochure ornée d'une couverture artistique. En
souscription au prix de 2 fr. 50 l'exemplaire, chez M. Julien
Guillemard, 20, rue du Perrey, Le Havre.
***
La librairie Georges Crès, 116, boulevard Saint-Germain, à Paris, vient de publier un album de dix images, sur la
Cathédrale de Coutances,
dessinées et coloriées par Joseph Quesnel, taillées dans le bois par
Jean Thézaloup. Le tirage a été limité à 200 exemplaires signés et
numérotés : De 1 à 25 (dont 10 hors commerce), ces albums
contiennent : de 11 à 15 un dessin original non reproduit ; de 15 à 25
les dessins ayant servi à établir les bois: 50 francs l'exemplaire. De
26 à 50 sur Bouffant vergé avec suite en noir de quelques gravures sur
Pelure Japon : 20 francs l'exemplaire. De 51 à 200 sur papier
Bouffant. On peut souscrire chez M. Joseph Quesnel, venelle du «
Pou qui Grimpe », à Coutances.
***
M. Auguste Nicolas, adjoint au maire de Caen, a publié un ouvrage :
Le Calvados agricole et industriel, Caen et la Basse-Normandie, dont le caractère d'intérêt général a incité la Chambre de Commerce de Caen à souscrire cinquante exemplaires.
***
MORT D'ALEXIS MÉRODACK-JEANEAU
: J'apprends la mort, à Angers, — où il s'était retiré pour lutter
contre un mal implacable, — du peintre et sculpteur Alexis
Mérodack-Jeaneau, promoteur du Synthétisme, fondateur de
L'Union Internationale des Beaux-Arts et des Lettres et directeur des
Tendances Nouvelles.
Cet artiste laisse une œuvre curieuse qui ne périra pas tout entière.
Je m'incline respectueusement sur la tombe de Mérodack-Joaneau, qui «
débuta » presque en même temps que moi, à une époque où l'on entrait «
dans la carrière » un peu comme on entre encore en religion. G. N
ORMANDY.QUAND ILS REVIENDRONT... : Le vigoureux poème de notre collaborateur Georges Normandy poursuit sa carrière. Sous les auspices de la Revue hebdomadaire
Gallia
de Buenos-Agres, qui l'a reproduit le 28 décembre dernier, ce poème,
mis en musique par l'excellent compositeur Alf. Amadeï, sera créé, pour
la République Argentine, en mai prochain, au théâtre Colon, par le
célèbre baryton Krabbé, et présenté par le fameux impresario da Rosa,
en collaboration avec M. A.-M. Resurgo, directeur des
Ediciones Modernas.
***
—
En Route, du 1er janvier, contient un bon article de Léo Claretie (conclusion toutefois plus ou moins juste), sur
Tourisme et Jouets de France... Et plus loin, Delair,
Sur les chemins de la Brie, écrit de délicieuses choses qu'il illustre de dessins aux joliesses un peu puériles !
—
Pandora, somptueuse annexe de
La Vie Féminine, dirigée avec un goût parfait par Mme Valentine Thomson, a publié, dans un de ses derniers fascicules,
Les Litanies de la Rose,
de Rémy de Gourmont... Ces litanies, belles et voluptueuses, sont de
toute beauté et méritent cette admirable mise en page : la typographie
a ses délices...
— Dans
La Maison Française,
article de M.-C. Poinsot, Banville d'Hostel, Charles-Baudouin, et une
prose de G.-U. Langé, ornée d'un bandeau et d'un cul-de-lampe d'Emile
Aider.
— Notre article sur
L'Effort des Revues à Rouen
(et en Normandie) a été lu, puisque l'on nous fait remarquer quelques
omissions, évidentes, mais involontaires. Il est entendu que cet
article n'est qu'une sorte d'esquisse d'un sujet que nous aimerions
voir repris pour ce qui est de chaque pays de notre province. Nous
avons cité, très imparfaitement, nous nous en rendons compte, titres de
revues et noms d'écrivains... Qu'on sache nous en excuser et n'y voir
aucun ostracisme... Dans l'instant où, (plainte un peu
personnelle !) nous apprenons la destruction totale par les Allemands
d'un manuscrit à Bruxelles, nous sommes plus que jamais à même de
savoir la valeur d'un effort... Bref, pour compléter notre article,
citons encore M. Alfred Ravet, qui collabora au
Donjon, et y donna, si notre mémoire est sûre, des articles documentés et d'impression sur le Maroc et sur l'Espagne. G.-U. L.
***
— Le dimanche 27 avril dernier a eu lieu, à la salle Herz, 27, rue des Petits-Hôtels, à 3 heures après midi, une
Matinée Normande organisée par M. Pierre Preteux, directeur de la
Revue Normande.
****
— Signalons un intéressant travail de M. P. Le Verdier, conseiller général de la Seine-Inférieure, sur
La Réorganisation Administrative, que nous aurons à examiner dans la suite de nos articles concernant l'organisation régionale.
L'ÉCOLE DE FÉCAMPCet
intéressant groupement régional, dont le Mécène est l'excellent
compositeur Adrien Constantin, et qui a produit des peintres tels que
Henry-E. Bluet, René Crevel, Sim, Joseph Lefebre (celui-ci un peu à
part) et surtout le maître André-Paul Leroux et des poètes tels
qu'André Maréchal, Eugène Leroux, Gaston Demongé (Maître Arsène), dont
le dernier volume
L'Ame qu'on crucifie
reçoit, à Paris et ailleurs, le plus flatteur accueil, Henri Maugis,
Julien Jeanne, Deschamps, etc.., va révéler au grand public un talent
nouveau que nos lecteurs n'ignorent déjà plus. M. Charles Argentin fils
(alias Théophile Defescan), donnera très prochainement son premier
recueil de poèmes. Publié par la Maison Française d'Art et d'Edition
(16, rue de l'Odéon, à Paris), cet élégant ouvrage sera orné d'un
frontispice inédit du grand artiste Emile Aider.
HONFLEURCette
jolie ville normande, riche en célébrités, a vu naître, le 25 décembre
1838, Blanche Guérard, en la curieuse maison qui fut habitée par le
grand corsaire Jean Doublet. Sous le pseudonyme de Noël Bazan, elle
occupe une place enviable parmi les poètes et les écrivains de notre
pays. Le jour de Noël dernier, ses quatre-vingts ans furent fêtés à
Paris en présence de hautes personnalités et de compatriotes
honfleurais. La poétesse, profondément émue, a répondu dans les termes
suivants aux compliments qui lui étaient adressés (R. P.)
Mes enfants, mes amis, j'ai des rayons au cœur !
De mes quatre-vingts ans, vous célébrez la fête
Et vous dites au Temps impitoyable : Arrête,
Ne sois pas encore son vainqueur.
Les jours de mon enfance et ceux de ma jeunesse
Viennent souvent causer avec mon souvenir,
J'ai bien plus de passé que je n'ai d'avenir,
Impossible que l'on renaisse.
Donc, soyons philosophe et sans changer de ton
Disons-nous qu'aujourd'hui la joie est nécessaire
Entourons-nous d'azur pour cet anniversaire
Où je marche encor sans bâton.
Entourons-nous d'azur, mais laissons quelques larmes
Voiler nos yeux pensifs en évoquant le sort
Tragique, de ceux-là dont l'immortel effort
Fait partout triompher nos armes !
J'ai connu la défaite, hélas ! dans le lointain
Je revois l'ombre épaisse assombrissant la gloire
C'est pourquoi frémissante à ces cris de Victoire
Preuves d'un lumineux destin.
Je dis au ciel : Merci d'avoir laissé ma vie
Entendre les clameurs, monter vers les drapeaux
Qui flottent dans les airs, magnifiques lambeaux
Dominant la foule ravie.
Je dis au ciel : Merci, d'acclamer conquérants
Ces fils des anciens preux indestructible race,
Et de revoir enfin la Lorraine et l'Alsace
Sourire à mes quatre-vingts ans !
Noël BAZAN.Paris, 25 décembre 1918.
SAINT-LOL'
« Union des Pères et des Mères dont les Fils sont morts pour la Patrie » a
fait célébrer le 18 février dernier, à l'église Notre-Dame, un Service
solennel en mémoire des soldats tués à l'ennemi. Cette cérémonie, la
première depuis la victoire pour commémorer le souvenir collectif de
nos héros défunts, se para d'un caractère grandiose. La ville entière
était là qui pleurait ses grands morts. Chacun, sans distinction de ce
qu'on appelle encore « les partis », avait apporté son concours à cette
solennité : La messe en musique, d'une beauté parfaite, fut chantée par
des artistes chez lesquels on sentait une émotion intense. Un superbe
discours fut prononcé par M. l'abbé Adde, ce curé de campagne, normand
fervent, fervent patriote, érudit et orateur distingué, dont nous avons
déjà eu l'occasion de parler. Il convient de féliciter le Comité
organisateur de cette belle cérémonie, marquant dans nos annales et,
tout spécialement, son actif président, M. Chazalette, dont le zèle a
déjà donné une place marquante à cette Société nouvellement fondée dans
notre ville.
LIGUE FRANÇAISEToujours à
Saint-Lô. Conférence très brillante par M. Lorini, Syndic de la ville
de Pavie, sur « Italie contre les Austro-Boches ». M.
Lorini possède admirablement son français ; il le parle avec un léger
accent qui ne manque pas de charme. Il sait tour à tour faire sourire
et enthousiasmer son public. Il poursuit avec ardeur sa campagne contre
la terrible armée, nombreuse encore, des « embochés », et,
chaleureusement, il revendique tous les profits que nous pouvons tirer
de la paix, afin d'écraser définitivement la « punaise » boche, toute
prête à recommencer son invasion sournoise. M. Follet, Directeur
honoraire de l’Ecole Normale d'Instituteurs, qui représente à Saint-Lô
la Ligue Française, avait organisé cette conférence fort applaudie.
PETITS PORTRAITS LOCAUX Quiconque
prétend connaître Saint-Lô ne peut ignorer le Salon de coiffure de
l'artiste Lebourgeois. Aquarelliste distingué, autant que Figaro
soigneux, il maugrée contre sa profession qui l'empêche de se livrer en
toute liberté aux délices de l'art. Il se venge, par des invectives,
sur les clients dont il est obligé de « gratter la couenne ». Aussi,
selon son humeur, on est reçu chez lui, parfois comme au sein de sa
famille, parfois comme chez Bruant. A part cela, on y entend des
imitations parfaites de trombone ou de piston, des tirades lyriques sur
la nature, des aperçus originaux sur tout un peu. On part amusé ; on
revient toujours, car, nulle part en province, on ne serait mieux que
chez lui. A un client commerçant qui lui conseillait de « faire grand »
pour réussir dans les affaires, mon Lebourgeois, énervé, répliqua : -
Mais, saperlotte ! Quand un imbécile me demande de lui raser le menton,
je ne peux pas lui proposer ensuite de lui raser le d...os ! Toutes les
boutades de notre artiste seraient à citer. Le dimanche, il s'évade en
pleine campagne. Sur son pliant, devant son chevalet, son enthousiasme
déborde en phrases exubérantes ; puis, silencieux, il regarde, il se
recueille et son pinceau traduit l'émotion qui l'étreint. Comme il le
dit, « il a quelque chose dans le ventre » ; il est l'un de ces types
qui donnent du caractère à une ville. De passage chez lui, vous aurez
certainement un réel plaisir à voir ses aquarelles du vieux Rouen, ses
pochades faites sur les bords de la Vire et ses pommiers en fleurs. (M.
G.)
LE HAVREDans le courant de janvier dernier, Probus, le premier fondateur de
L'Association Nationale pour l'organisation de la Démocratie,
est venu au Havre exposer le programme de cette association. Présenté
par M. Arnaudtizon, il a indiqué que ses fondateurs entendaient être
des constructeurs dans la France d'après-guerre, voulant réaliser son
avenir en se plaçant au-dessus des partis qu'ils ne veulent ni
supprimer ni remplacer. Leur programme, aussi bien au point de vue de
l'intérêt général, qu'au point de vue régional, est trop près de la
politique essentielle que nous avons toujours défendue pour ne pas
applaudir à leur effort. A la suite de cette conférence, a été décidée
l'organisation d'un groupement havrais de l'association. Notre grand
port normand comptait d'ailleurs déjà un nombre important de membres
souscripteurs, parmi lesquels nous citerons : MM. Henri Mancheron ;
Emile Thieullent, négociant ; A. Pimare, droguiste ; Guy Pfister ;
Edgard Raoul-Duval, sous-lieutenant ; Désiré Biette, pilote de la
Basse-Seine ; de Germann, directeur de la Société Cotonnière ;
Arnaudtizon, capitaine au long cours ; Augustin Normand, directeur des
chantiers Augustin-Normand ; L. Pedron, négociant en cotons ; Sylvain
Peillard, ingénieur ; Tessandier ; Henri Thieullent, négociant ; G.-P.
Truck, capitaine au long cours ; P. Guillain, avocat. Parmi les autres
personnalités normandes, faisant partie de l'association nous
pouvons citer : MM. Lafosse, président du Tribunal de commerce de
Rouen, et Frétigny-Borde, armateur à Rouen. Les personnes désireuses de
recevoir le programme de cette association, peuvent le demander à M.
Probus, 7, rue Pasquier, à Paris (8e).
FESTIVAL D'ART DE « LA MOUETTE »Le
15 mars, au Havre, l'excellente Revue havraise avait organisé un
festival d'art à la mémoire de deux de ses collaborateurs, André Dufner
et Gabriel-Pierre Martin, morts au champ d'honneur. Une nombreuse
assemblée était venue assister à cette belle fête artistique, en même
temps que charitable, puisque la moitié de la recette devait être
versée à l’Œuvre de la Goutte de lait. M. Julien Guillemard, l'aimable
directeur de
La Mouette,
dans une délicieuse allocution, rendit hommage à ses collaborateurs
disparus et exposa le but qu'il poursuit dans sa Revue. Puis notre
excellent confrère, M. Pierre -Préteux, directeur de
La Revue Normande, lui succéda dans une conférence sur
Les Trouvères Normands.
Dans la seconde partie, Mlles Chapelle et Germaine Maugendre
détaillèrent des poèmes de MM. Louis Maurice, Camy-Renoult et des
écrivains morts au champ d'honneur, et Mile George une poésie de sa
composition :
Les Apôtres. Mme Le Maire, très remarquée dans l'interprétation de deux œuvres de Georges Clerget, secrétaire de
La Mouette. Puis tour à tour, MM. Marcel Otto, Pierre Préteux et enfin notre collaborateur et ami Gaston Demongé, l'auteur des
Gars Normands et de
L'Ame qu'on crucifie,
présenta « Mait'Arsène » qui, comme toujours, eut le plus franc succès.
En résumé, fête très réussie et qui en appelle
d'autres. (G.-D. Q
UOIST.)
LOUVIERS. — Nécrologie.
Nous
apprenons avec un vif regret la mort, des suites de la grippe, de M.
René Thorel, sous-lieutenant à la 3e section des convois automobiles,
fils de M. Raoul Thorel, conseiller général et maire de Louviers. Parmi
les nombreuses marques de sympathie qui ont été prodiguées à M. et Mme
Raoul Thorel, il en est une qui a dû les toucher d'une façon toute
spéciale: c'est la lettre suivante d'anciens compagnons d'armes de leur
fils que publie
Le Journal du Neubourg :
«
Plusieurs anciens soldats qui ont servi sous les ordres du lieutenant
René Thorel, dans la section automobile qu'il commandait au front,
apprennent avec une peine profonde la mort inopinée de celui qui fut
pour eux un officier bon, attentionné, aimable et toujours entraînant.
Ils vous demandent d'ajouter à votre notice du 26 février l'expression
de leur pensée et de leur souvenir pour lui. Ils se rappellent le
soin qu'il avait de ménager, dans la mesure du possible, leurs forces.
Il recherchait pour eux des distractions, un peu de bien-être, et ils
se souviennent qu'ils ne l'ont jamais en vain cherché des yeux quand,
sur les routes, il ne faisait pas bon rouler. Aussi la section, animée
par le cœur et l'intelligence de ce chef, lui rendait en hommage toute
sa bonne volonté dont les anciens veulent citer ici un exemple : en
1916, dans la Somme, durant quatre mois de convois incessants... et
troublés, sur vingt hommes à marcher tous les jours, le lieutenant
n'eut pas à enregistrer tr6is journées d'indisponibles pour fatigue ou
maladie: avec lui, tout le monde marchait. Nous l'aimions bien.
Nous le pleurons. Nous ne l'oublierons pas.
« Un groupe d'anciens de la T. M. 649 ».
Rappelons que M. René Thorel avait pris l'initiative de la publication d'une intéressante revue mensuelle,
L'Humour française, dans laquelle il avait lui-même écrit bon nombre d'articles très intéressants et très appréciés, sous la signature de Camera.
EVREUX. — SOCIÉTÉ LIBRE DE L'EUREFestival d'art organisé par
La Revue Normande,
directeur M. pierre Préteux, avec le concours de MM. Ch. Argentin et G.
Demongé, de L'Ecole de Fécamp. Le dimanche 9 février, à l'amphithéâtre
du jardin botanique, sous les auspices de la
S. L. E.
que préside l'éminent écrivain Joseph L'Hopital, lauréat de l'Académie
Française, M. Pierre. Préteux, dont on connaît le beau talent oratoire,
donnait lecture devant un auditoire de choix, de son érudite conférence
:
Chez les Trouvères Normands. M. Charles Argentin, que les amis de.
L'Ecole de Fécamp
ont maintes fois apprécié pour son talent de poète et de diseur,
faisait applaudir à son tour quelques-uns de ses poèmes.... virgiliens
; l'épithète est de M. Joseph L'Hopital lui-même. Puis, M. Gaston
Demongé, sous les traits de Mait'Arsène, présentait aux Ebroïciens l'
incarnation du Paysan cauchois et rappelait à l'auteur d'
Un Clocher dans la Plaine
le souvenir des illustres patoisants : Louis Beuve et Le Sieutre. En
résumé, splendide manifestation d'art au succès de laquelle il nous
faut associer le nom de M. Doucerain, avocat, qui s'était chargé de
l’organisation,
EN TUNISIE Il vient de se créer à Tunis :une Revue d'art et de littérature,
Le Douar,
parmi les collaborateurs de laquelle nous remarquons : MM. M.-C.
Poinsot, Marcel Lebarbier, Ch.-Th. Féret, G.-U. Langé, Philéas
Lebesgue, P.-N. Roinard, etc. Le premier numéro de cette publication a
paru au début du mois de mars. Prix du no : 1 fr. 50. Abonnement : 5
francs l'an. Adresser toute correspondance au Douar, 5 bis, rue d'
Italie, à Tunis.
LE MONT SAINT-MICHEL
La Société des Amis du Mont Saint-Michel, réunis sous la présidence de
M. Léon Bérard, député, a pris une délibération demandant aux pouvoirs
publics « d'autoriser la célébration des cérémonies du culte dans
l'église abbatiale, étant entendu que le monument restera confié aux
bons soins de l'administration des monuments historiques, laquelle
fixera, avec l'autorité ecclésiastique, les époques de ces cérémonies
et dont l'approbation sera nécessaire dans toutes les questions de
mobilier, de décorations et d'usage. » Le Conseil municipal d'Avranches
a émis un vœu dans le même sens.
***
L'Association
des Amis du Mont Saint-Michel organise un concours littéraire ayant
rapport à l'histoire du Mont Saint-Michel. Sujet proposé : « Un grand
abbé du Mont, Robert de Torigni : ses œuvres, ses rapports avec les
pouvoirs anglais, son existence publique et privée, évocation du milieu
dans lequel il a vécu, des choses et des gens du Mont Saint-Michel à
son époque. » Les manuscrits (60 pages format in-4°) devront être remis
avant le 31 décembre au siège de l'Association, 167, rue Montmartre. Le
premier prix consistera en l'œillet d'or des Amis du Mont Saint-Michel
et l'impression du manuscrit aux frais de l'Association ; 2e prix :
œillet d'argent ; 3e prix : œillet de bronze.
MOTOCULTURE. — Avis aux Agriculteurs.
Vous
avez le plus grand intérêt à acheter sans tarder un tracteur agricole ;
d'abord parce que c'est le seul moyen de mettre en culture vos terres
en friche et de les approprier en vue d'obtenir de grands rendements,
ensuite pour profiter des subventions que l'Etat accorde actuellement
aux agriculteurs pour ces achats et qui s'élèvent jusqu'à 50 pour 100
de leur valeur, et enfin parce que les stocks existants sont très
restreints.
Mais avant de faire votre choix, visitez
l'exposition permanente des 400 tracteurs agricoles des nouveaux
modèles les plus perfectionnés, des charrues et autres instruments
aratoires immédiatement disponibles qui vient d'être organisée à votre
intention par les Etablissements «
AGRICULTURAL », 25,
route de Flandre, à Aubervilliers (Métro Paris : Porte de la Villette).
Le personnel technique de ces établissements vous fournira tous les
renseignements utiles pour guider votre choix, ainsi que pour la
conduite de l'appareil et l'obtention des subventions officielles. Si
vous ne pouvez faire dès aujourd'hui cette intéressante visite, écrivez
à
L'AGRICULTURAL, Aubervilliers (Seine), pour demander le catalogue gratuit et tous les renseignements utiles en indiquant vos besoins.
UNION DES PAYSANS DE FRANCE Il vient d'être créé à Paris un secrétariat central de
L'Union des Paysans de France, dont le but sera :
1°
D'établir entre les populations rurales et les œuvres diverses
s'intéressant à elles un lien permanent d'un caractère général:
Sociétés d'agriculture ; Associations contre l'alcoolisme, la
dépopulation, l'abandon des campagnes ; Conférence au village, le
Cinéma au village, les Foyers des campagnes ; Bibliothèques de
propagande, Sociétés de construction, de culture mécanique,
Associations économiques, patriotiques ou même politiques plaçant la
patrie au-dessus de tout, n'ayant en vue que sa prospérité et la
défense des intérêts généraux du pays dans l'ordre et la liberté ; 2°
De défendre, sans aucun parti pris politique ou confessionnel, les
intérêts des populations des campagnes et d'en saisir les Pouvoirs
publics ; 3° De faire prévaloir par une action constante les idées de
solidarité, de fraternité, d'association, d'union entre les
producteurs, propriétaires, métayers, fermiers, colons et ouvriers
agricoles, et l'accord nécessaire entre l'agriculture, le commerce et
l'industrie ; 4° De préparer la création d'une Confédération Générale
Agricole ou d'une Union des Paysans de France, unissant dans une même
association tous les syndicats, toutes les sociétés agricoles, toutes
les forces rurales de la France. L'adresse du secrétariat central de
L'Union des Paysans de France est à Paris, 5, boulevard de Clichy,
Paris (9e).
PUBLICATIONS NORMANDESLa Revue Normande, organe mensuel du Foyer artistique et littéraire, place de la HauteVieille-Tour, Rouen (abonnement, 10 francs par an).
La Mouette, revue normande de renaissance littéraire, 20, rue du Perrey, Le Havre (abonnement, 6 francs par an).
Les Pionniers de Normandie, revue normande, d'action d'art. Marcel
LEBARBIER, directeur. E.Dupuis, secrétaire, à Aunay-sur-Odon (Calvados).
La Normandie pharmaceutique, 38, rue Armand-Carrel, à Rouen (abonnement, 5 francs par an).
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Le Gérant : MIOLLAIS.
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IMPRIMERIE HERPIN, Alençon. Vve A. LAVERDURE, Successeur.