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Normandie : Revue régionale illustrée mensuelle de toutes les questions intéressant la Normandie - Numéros 23 et 24 Mars-Avril 1919
Normandie, revue régionale illustrée mensuelle, n°23-24 mars-avril 1919.Normandie : Revue régionale illustrée mensuelle de toutes les questions intéressant la Normandie : économiques, commerciales, industrielles, agricoles, artistiques et littéraires / Miollais, gérant ; Maché, secrétaire général.- Numéros 23 et 24 Mars-Avril 1919.- Alençon : Imprimerie Herpin, 1919.- 32 p. : ill., couv. ill. ; 28 cm.
Numérisation du texte : O. Bogros pour la collection électronique de la Médiathèque André Malraux de Lisieux (30.X.2015).
[Ce texte n'ayant pas fait l'objet d'une seconde lecture contient immanquablement des fautes non corrigées].
Adresse : Médiathèque intercommunale André Malraux, B.P. 27216, 14107 Lisieux cedex
-Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01
Courriel : mediatheque@lintercom.fr, [Olivier Bogros] obogros@lintercom.fr
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Diffusion libre et gratuite (freeware)
Orthographe et graphie conservées.
Texte établi sur l'exemplaire de la Médiathèque (Bm Lx : 41060-nor598).


NORMANDIE

REVUE RÉGIONALE ILLUSTRÉE MENSUELLE
DE TOUTES LES QUESTIONS INTÉRESSANT LA NORMANDIE
Économiques, Commerciales, Industrielles, Agricoles, Artistiques et Littéraires

TROISIÈME ANNÉE. - N°23-24 MARS-AVRIL 1919

Normandie, revue régionale illustrée mensuelle, n°23-24 mars-avril 1919.

~*~

Vers une Action Normande
(Suite.)

LES REMÈDES
2° - Nos « Objectifs ».

Tous les peuples sont aujourd'hui sur les sommets.
Allons-nous redescendre ?

LLOYD GEORGE.
 
J'emprunte, à dessein, au langage militaire de la guerre, cette expression « nos objectifs » connue maintenant du dernier de nos poilus.
 
Tous ceux qui ont vécu en secteur, pris part aux opérations offensives selon la méthode mise au point par le général Pétain, savent que, sans préparation poussée jusqu'à la minutie, sans « plan d'engagement » patiemment réalisé, sans objectifs connus de tous ceux qui devaient sortir des tranchées à l'heure H du jour J, on risquait le « bec de gaz », le fatal et sanglant bec de gaz ! N'en va-t-il pas de même, au surplus, de toute entreprise humaine ? Plus la tâche est difficile, plus les objectifs sont lointains, plus il faut pousser à fond l'étude et la mise au point du plan directeur.
 
Que voulons-nous réaliser ? Jusqu'où voulons-nous aller dans la voie des réformes, au moyen de l'action envisagée ? Quels seront nos « objectifs » et comment les atteindre ? Loin de nous la pensée téméraire, immodeste, de présenter dans les lignes qui vont suivre un plan d'action auquel rien ne manquerait et qui serait dressé ne varietur ! Une enquête doit clore ces aperçus, qui sollicitera les critiques, les conseils de chacun, en vue de faire l'union nécessaire sur le programme minimum.

Les résultats de cette enquête seront d’un puissant intérêt pour arrêter les directives devant servir de guide aux groupements régionaux de Normandie.
 
Mais quelque grand que soit notre désir de faire des sacrifices à cette union sacrée, dont l'esprit nous anime — et nous en avons donné, chemin faisant, des preuves multiples — il en est que nous ne pouvons consentir sans compromettre l'assise même de l'œuvre à entreprendre. Le moment est venu pour nous de dire ce que de longues réflexions mûries dans les abris de la terre de France, au bruit douloureux du canon de Verdun, de la Somme et de l'Aisne, nous ont amené à considérer comme essentiel à la renaissance nationale ; ne pas donner ces sévères conclusions franchement, sans ambages, serait plus qu'une faiblesse, une lâcheté de caractère, à laquelle nous nous refusons.
 
Eh bien, si nous voulons sincèrement, énergiquement, que le pays renaisse, il faut réaliser sans retard tout ce qui suit :
 
I. — LA RACE ne reprendra force et vigueur que si :

Rompant avec une tradition qui ne connaît que l'individu, nous faisons enfin dans nos mœurs et dans nos lois à la seule vraie cellule sociale, LA FAMILLE, la situation nettement privilégiée à laquelle lui donnent droit les devoirs qu'elle a à remplir et les lourdes charges qu'elle a à supporter. (Emplois aux fonctions publiques, appointements et salaires plus élevés, dégrèvement d'impôts, de loyers, logements aérés et spacieux, jardins y attenant, semaine anglaise, gouttes de lait, garderies, crèches, etc.), le privilège s'accroissant avec le nombre d'enfants.
 
Elargissant le DROIT DE TESTER, on permet au père de famille, sans toutefois rompre l'égalité dans les partages, d'assurer entre les mains de celui de ses enfants qu'il jugera le plus apte, la survivance et le développement du domaine petit ou grand, agricole, industriel ou commercial qu'il aura créé.
 
Rayant d'une main ferme LES BOISSONS ALCOOLIQUES de la carte du débitant qui devra se contenter du « pinard » et des bons crus de France, nous réglons pour toujours, en tranchant dans le vif, une des questions les plus irritantes, j'en conviens, mais les plus graves de l’après-guerre.
 
Organisant la CULTURE PHYSIQUE, on en rend l'enseignement obligatoire dans tous les établissements scolaires.
 
Réalisant enfin la lutte contre la misère et les maladies, on se décide à faire dans nos lois une plus large place aux règles D'HYGIÈNE PUBLIQUE (suppression progressive des quartiers malsains, des maisons insalubres, mesures de prophylaxie, colonies de vacances en montagne et à la mer, sanatoria, etc).

Resserrant les liens du mariage (au rebours de ce qu'on a fait depuis trente ans), on ose renforcer l'institution et notamment modifier la loi sur le divorce et rendre ce dernier exceptionnel (1).
 
Dédaignant les inévitables clameurs des mercantis ou des dilettanti maladifs de L'ART ET DE LA LITTÉRATURE (ces pires ennemis du Vrai, du Beau, du Bien), on assainit la scène, le cinéma, les publications, en faisant notamment la guerre aux « cochoncetés », pour parler comme Sainte-Beuve.
 
Se décidant enfin, et surtout à ne pas plus longtemps vouloir ignorer quels auxiliaires précieux sont, en démocratie, les éléments de force morale et spirituelle, on met un terme aux luttes religieuses en inscrivant courageusement dans les lois, dans les programmes d'instruction, les mots de : BIENVEILLANCE ACTIVE A L'ÉGARD DES CULTES pratiqués en France... Bienveillance au lieu de neutralité, toutes les neutralités (surtout les malveillantes) sortant à jamais flétries du conflit mondial !
 
II. — LE RÉGIME ne nous donnera le gouvernement qui gouverne réclamé par tous, mais que bien peu parmi nos élus cherchent sincèrement, qu'autant que nous aurons fait le nécessaire pour : « Boucher le trou par en haut » en donnant à un Président de la République désigné par les grandes assemblées régionales, professionnelles et corporatives, des pouvoirs qu'on ne refuserait pas à un directeur d'usine, en faisant de lui un chef, une tête, gouvernant par des ministres choisis librement, responsables devant lui et pouvant avec compétence, tranquillité et continuité, accomplir de grands travaux ou réaliser de longs desseins ;

Rendre incompatibles les fonctions de ministre et de parlementaire, la section devant être nette entre l'exécutif et le législatif ;
 
Créer une Cour suprême composée de magistrats parvenus au terme de leur carrière, n'ayant plus rien à espérer, avec mission de veiller au respect scrupuleux, par tous sans exception, des lois constitutionnelles ;
 
Donner mission à un Conseil législatif (2) de préparer, d'accord avec les assemblées professionnelles intéressées, les projets de loi à présenter aux Chambres ;
 
Réaliser le Programme de la Fédération Régionaliste de France, publié dans le numéro d'août 1917 de cette Revue..., et non pas le timide projet qui vient d'être rapporté par M. Henessy ;
 
Perfectionner « cet instrument grossier qu'est notre suffrage universel (3) », et ce, en fonction de la valeur morale, sociale de chacun... A chacun selon ses œuvres ! (Scrutin élargi, vote familial, vote professionnel) ;
 
Permettre par une réforme prudente de l'enseignement, aux élites de tous les milieux de se manifester et de donner tout ce dont elles sont capables sans être arrêtées par des questions pécuniaires.
 
III. — LE MONDE AGRICOLE ne verra s'arrêter l'inquiétant exode des campagnes, le retour à la terre ne deviendra une réalité de demain que si le Pouvoir central, satisfaisant aux vœux formulés par les voix autorisées des régions, protège, développe intelligemment l'agriculture, l'aide à accroître et à exploiter selon les procédés modernes, des richesses que chacun sait incomparables. Le sage et docte M. Henri Blin, dont je sollicite les conseils, les rectifications, permet-il à mon incompétence de se risquer à dire qu'il faut, en matière agricole :
 
Assurer, par l'école primaire transformée d'abord, par des conférences et surtout des expériences et travaux pratiques ensuite, un enseignement très complet, approprié à la Région, répandu jusque dans les petits villages ?
 
Mettre, en conséquence, le cultivateur sans cesse au courant des découvertes nouvelles, des méthodes de culture les plus avantageuses et les plus propres à obtenir une meilleure utilisation de tel ou tel sol, une culture plus intensive ?
 
Faire connaître les mérites de l'association : Syndicats, Coopératives, Sociétés de crédit d'assurances, Mutualités, Groupements de défense et d'achats en commun ; puis susciter la création de ces associations en répandant des modèles de statuts ?
 
Créer des centres d'analyses avec terrains pour travaux pratiques ; peupler ces centres d'hommes... également pratiques et sachant se faire comprendre et aimer du paysan ?
 
Combler les lacunes de l'Enseignement régional actuel (Écoles ou Cours d'industrie laitière, fruitière, fromagère, etc. (4) ?
 
Voter une loi accordant une indemnité au fermier sortant pour plus-value donnée à la ferme. ?
 
Remédier, par des mesures sociales variant avec la Région, à la crise de la main-œuvre (placement direct par syndicats mixtes d'ouvriers et de patrons, logements améliorés, jardins ouvriers, crèches et garderies d'enfants, etc.) ?
 
IV. — LE DOMAINE INDUSTRIEL ET COMMERCIAL appelle un labeur immense, de nature à faire reculer les plus rudes à l'ouvrage. Nous avons dit notre alarmante situation d'avant-guerre ; or, la lutte que nous imposa l'Allemagne fut toute industrielle. Elle exigea, en France, du commerce et de l'industrie, un effort auquel ces derniers auraient succombé sans les secours venus de nos alliés.
 
Notre situation sur la carte, les événements, les impitoyables concurrences de ce siècle de fer, sont tels que nous devons demain, sous peine de renoncement, de suicide, soutenir la lutte économique. La République « athénienne », dont nous jouissons, nous y a mal préparés. Ne condamnons pas la culture générale et les études classiques, mais renonçons à l'irréalisable et folle entreprise d'en vouloir, à toute force, faire bénéficier le nombre ! Ce qu'on gagne en étendue, on le perd en profondeur ; et Dieu sait si le niveau des études classiques a baissé depuis quelque vingt ans ! Réservons ces études à l'élite (et j'entends par là les intelligences supérieures de tous les milieux) ; cultivons jalousement cette élite, « il jardinetto », comme disent les Italiens, mais veillons à ce qu'elle reste bien une élite morale et intellectuelle.
 
Tel fera de mauvaises humanités, qui deviendra un commerçant actif et entreprenant. Suscitons les vocations industrielles et commerciales, créons l'enseignement capable de nous façonner l'ingénieur, le chimiste, le négociant, le chef d'industrie ou d'usine, le voyageur de commerce, voire même le chef d'atelier ou de chantier qui seront les cadres indispensables de cette autre armée de demain.
 
Que notre méthode d'enseignement se préoccupe davantage de découvrir les aptitudes, qu'elle spécialise les compétences. Oh ! je sais quelles furieuses batailles on a livrées autour de ces mots : Spécialisation de l'enseignement ! Mais en cette matière, comme en beaucoup d'autres, la voix des extrémistes a couvert celle des sages. Il n'est pas question de remplacer, chez nous, par une spécialisation à l'allemande, cette culture générale qui est l'un des plus beaux titres de l'enseignement français : Rehaussons seulement le prestige de cette culture en diminuant le nombre de ceux qui s'y adonnent ; restituons à l'industrie et au commerce nationaux les sujets idoines, et spécialisons-les selon leurs aptitudes ; c'est à ce prix que nous pourrons affronter la lutte économique qui suivra fatalement la crise mondiale. N'allons pas jusqu'à faire comme le kaiser qui dut intervenir personnellement auprès des facultés allemandes pour imposer la parité entre les titres universitaires et les diplômes industriels et commerciaux, mais honorons et favorisons ces derniers. Au cours même de la guerre, l'université d'Edimbourg a créé un diplôme de bachelier du commerce. Inspirons-nous de cet exemple.

Dans la Région reconstituée, développons l'enseignement professionnel, faisons revivre l’apprentissage et que cet enseignement soit vivant, pratique, en relations suivies avec les centres concurrents de l'étranger.
 
Là encore, adoptons les méthodes nouvelles de travail, de spécialisation. Je me rappelle avec quel émerveillement un de mes sergents, retour d'une permission passée à La Rochelle, je crois, me parla de l'art consommé que les Américains mettaient à monter leurs locomotives. Les Machines arrivaient en pièces détachées, soigneusement emballées et numérotées ; des ouvriers familiarisés avec ce nouveau « puzzle » parvenaient en quelques heures à mettre sur rails le monstre venu de l'autre côté de l'Atlantique. Aucune manœuvre n'était faite inutilement, aucune minute n'était perdue, tant les mouvements de chacun étaient bien réglés. Et cet autre qui « n'en revenait pas » de chaudières, de réservoirs immenses, rivés à l'électricité, par des équipes travaillant jour et nuit, achevant en soixante-dix ou quatre-vingts heures ce que nous, Français, nous mettions quinze jours à exécuter avec les bons vieux procédés que l'on devine !

Il faut, en outre, rendre confiance au capitalisme français, en s'inspirant des idées développées par Lysis dans deux livres écrits pendant la guerre : La Démocratie Nouvelle, et Pour Renaître, c'est-à-dire en substituant à l'idée néfaste de partage celle de production.

Il faut en même temps permettre au travail, qui renferme plus d'éléments sérieux qu'on ne le croit généralement, de coopérer en une atmosphère de confiance réciproque avec le capital. Dans la mesure où il sera possible d'associer le travail au succès de l'entreprise sans qu'il puisse toutefois prétendre la diriger, favorisons cette collaboration. L'élite du monde du travail, assagie par les risques de perte pécuniaire qui en découleront, fera ainsi une éducation profitable dont ne pourront que bénéficier patrons et ouvriers.
 
Au point de vue social, la France est à la croisée des chemins. Trois routes, a dit Georges Valois, s'offrent à elle : Individualisme, Socialisme, Syndicalisme. N'hésitons pas ; rejetons les deux premiers : l'un comme stérile et anarchique, l'autre comme antifrançais, d'ailleurs faux, et manifestement contraire aux véritables intérêts de notre prolétariat (5).

Engageons-nous dans la voie syndicaliste ; transformons en large avenue le sentier timidement tracé dans notre législation par la loi de 1884 et donnons d'abord au Syndicat, avec la responsabilité effective, la faculté d'acquérir et de posséder. C'est le bon chemin, et pour le patron et pour l'ouvrier. Celui-là y gagnera en dévouement, en rendement ; celui-ci réalisera, par ce moyen, dans l'ordre et dans la dignité, ses aspirations légitimes, tant au point de vue matériel (hygiène, logement, salaires, etc.), qu'au point de vue moral (éducation, culture intellectuelle).

L'Angleterre, l'Amérique, l'Australie, pays réalistes et pratiques, ont, par le syndicalisme, assuré la prospérité et le confort d'usines et de logements ouvriers qu'on cite toujours en exemple à notre vieux monde. Comme certains industriels hardis, doués d'initiative, l'ont fait spontanément an cours de la guerre (les Citroën pour ne citer qu'un nom), aiguillons les esprits dans cette voie. Renonçons surtout aux discussions nettes et irritantes sur de prétendus principes « intangibles et sacro-saints » qui n'ont jamais servi qu'à enrichir les meneurs et les parasites : voyez politique alimentaire !
 
Pour résoudre les inévitables conflits entre le Capital et le Travail, de tout notre cœur, avec le sincère désir d'aboutir, étudions la création de Conseils de Patrons et d'Ouvriers, ou de tous autres organismes propres à prévenir les grèves avec leur cortège de haines et de misères. Ceux des lecteurs de Normandie qui ont feuilleté quelques revues anglaises et américaines durant ces derniers mois, auront pu se rendre compte de l'effort accompli chez nos alliés pour tenter de prévenir dans l'avenir ces conflits et de leur donner une solution équitable et pacifique.
 
Enfin, il faudra recourir aux groupements d'industriels et de commerçants. L'idée sera difficilement accueillie par certains cerveaux qui en sont encore à l'individualisme intransigeant de la grande révolution. Elles seront pourtant nécessaires, ces ententes, pour lutter contre l'industrie étrangère, assurer la stabilité des cours et régler la production. Trusts et cartels, à condition d'en user avec à-propos, sont susceptibles de rendre de grands services pour défendre une industrie, un produit sur les marchés mondiaux ; on a été, jusqu'ici, trop rebelle à ces idées en France.

Faut-il rappeler ici les premières impressions des ingénieurs américains venus pour jeter les bases de la belle organisation que tous sont contraints d'admirer sans réserves ?... « Les Français ont des vues courtes, égoïstes, ils ont l'effroi des ententes, ils voient « en épicier »
 
Mais pour que tout cela puisse se réaliser, il faut que notre Bureaucratie de « fossile » cède la place à des Ministères d'Hommes d'affaires ayant dirigé de grandes entreprises, des usines, des manufactures ; il importe que ces hommes restent, en outre, constamment en relations avec les organismes corporatifs régionaux peuplés des mêmes hommes d'initiative et de compétence éprouvée (6). Il faut enfin que tous ne connaissent d'autre politique que celle qui consiste à accroître sans cesse les richesses industrielles et commerciales du pays.

Il est à peine besoin de rappeler après tant d'autres que comme corollaire à tout ce qui précède, il faudra doter nos ports d'un outillage un peu moins 1830, mettre nos voies de transport par terre et par eau en mesure de répondre aux nouveaux besoins des régions, refaire notre marine marchande (la Hamburg Amerika Line, malgré les pertes de la guerre, reste la première Compagnie de navigation du monde !) Puis nous assurer aux lointains pays, où se négocient les fructueuses affaires, une représentation consulaire jeune, entreprenante, largement dotée de moyens d'action et s'occupant un peu moins de littérature, mais un peu plus de commerce et d'industrie !

Voilà très en gros, certes, mais il me semble sans équivoque dans les directives, ce qu'à mon sens nous devons réaliser, si nous voulons sincèrement renaître.
 
Que la France n'ait pas le courage de faire tout de suite cet effort et elle aura laissé passer une de ces heures qui ne se représentent pas dans la vie des peuples ! Qu'on médite bien ces problèmes : Reculons-nous devant la tâche, formidable, j'en conviens ? Le pays cesse, ipso facto, d'occuper, dans le monde, la place de Nation pacifique, mais forte, que nous imposent notre nature, nos sensibilités, aussi bien que les réalités ethniques et géographiques.
 
Très en gros, ai-je dit ?... En effet, chacune des questions effleurées dans les pages qui précèdent donnerait à elle seule matière à de longs développements. Ce sera la tâche que s'imposeront, je veux le croire, les lecteurs de Normandie ; il faut que les hommes qualifiés de l'agriculture, du commerce, de l'industrie, apportent le concours de leur expérience et leurs sages conseils. Ce sera l'œuvre, enfin, des Centres d'Action Normande à la création desquels tendent ces études.

(A suivre.)  

G. VINCENT-DESBOIS.


NOTES :
(1) Les statistiques démontrent que les divorces, sans cesse plus nombreux, deviennent un véritable péril pour la société. Cependant des esprits qui passent pour avoir un certain crédit auprès de l'opinion parlent encore d'en fendre l'obtention plus facile !
(2) Ou au Conseil d'Etat.
(3). Planiol, professeur à la Faculté de Droit de Paris : Précis de Droit civil, tome I.
(4) Consulter les études spéciales et documentées publiées ici même par M. Anoyaut.
(5) Antifrançais, puisque se réclamant du juif allemand Karl Marx, dont les sentiments « germains » et hostiles à notre nationalité ont été révélés au cours de cette guerre ; faux, puisque reposant sur une conception tout à fait erronée de la valeur et faisant dépendre l'amélioration du sort du travailleur d'une idée de partage, alors que c'est avant tout une question de production ; funeste enfin, puisqu'elle mène à la lutte de classes, à l'Internationalisme à l'allemande, à Berne, à Kienthal, à Zimmerwald
(6) Chambres Syndicales, Chambres de Commerce, constituent des armatures qu'avec un peu de volonté on peut faire sortir de leur relative léthargie et transformer en organismes vivants, actifs, influents.


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Régionalisme et Enseignement
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Aux jours de l'armistice, paraissait un livre riche d'ardentes résolutions : L'Université nouvelle, par les Compagnons (1). Il convient d'admirer, et d'en tirer leçon, l'exemple de ces jeunes universitaires qui, au milieu des combats comme dans la boue des tranchées, ont eu, au cours de cette longue guerre, le souci de méditer sur l'œuvre à accomplir, dès que les armes tomberaient des mains des soldats. Ils avaient cette nette compréhension qu'il fallait, sans attendre, songer à organiser les méthodes et les enseignements par lesquels serait assurée la sauvegarde de l'âme française. Avec enthousiasme, ils ont dressé le cahier des revendications par lesquelles ils entendaient préparer les esprits de la jeunesse pour les tâches nouvelles : La France ayant, après l'hécatombe, besoin d'une élite, il allait falloir la lui discerner ; nos industries devant s'accroître, il allait falloir leur préparer des ouvriers, des contremaîtres et aussi des directeurs hardis ; l'œuvre de l'Université ne devait plus être séparée du labeur quotidien de la nation, mais y collaborer intimement pour le diriger dans le sens le plus utile. Car le besoin de l'heure, c'est produire : produire pour que meilleures soient les conditions de la vie.
 
Ainsi, ces éducateurs, au spectacle tragique et sous la leçon de la souffrance, se proposaient comme but, non de recommencer à suivre égoïstement le sentier d'avant-guerre, humble et borné, mais d'élargir les routes et de planter les arbres de sciences au long de vastes avenues, remplies de clarté. En transformant, en modifiant les institutions vieillies, ils entendent lier l'enseignement à la vie économique du pays, pour que dans la démocratie qui s'organise chaque individu soit mis à même de fournir à la société toute sa capacité.

***

L'individu y fut jusqu'ici impuissant, car une centralisation outrée détournait ses efforts. Le vice de l'ancien système est là, dans cette « alternance tragique entre une centralisation excessive : qui appauvrit les régions comme les individus et cette anarchie égalitaire, qui est au fond une révolte illusoire contre cette centralisation même et n'aboutit qu'à l'émiettement des forces ». D'un côté, Paris où se décrètent budgets, programmes uniformes ; où les mêmes écoles attirent, pour les surchauffer, les candidats aux concours ; où règnent les Bureaux, les Conseils, les Inspecteurs qui considèrent la France comme une abstraction. De l'autre, l'anarchie universitaire : des catégories d'enseignement compartimentées ; aucun groupement à visées larges vers une foi, une religion nationale ; pas de lien entre les élèves d'un même enseignement ; entre les élèves et les maîtres ; entre les maîtres et les parents. La nécessité apparaît donc de constituer entre l'Etat omnipotent et centralisateur, et les citoyens isolés et impuissants, un moyen terme qui associe ces éléments épars : Ce sera l'association des intérêts professionnels. Voilà ce que vont réaliser « les Compagnons », l'organisation corporative dans chaque région. Comme ils le déclarent, c'est le fruit et l'enseignement de la guerre. Ce que celle-ci a en effet appris à ceux qui l'ont vécue, c'est la nécessité et la fécondité de la coopération et de la concentration des énergies ; assez donc de ce passé d'a priori et de centralisations administratifs ; que naisse un organisme vivant ! « Il y a là sous nos yeux un peuple qui tressaille, qui sent enfin craquer, dans la bourrasque de la guerre, les vieilles cloisons, qui ne demande qu'à vivre, à vivre partout où il est, partout où il trouvera un champ, une mine, une forêt, un fleuve. Nous sommes les amis de la vie, nous voulons vivre, préparer la vie, organiser la vie. Notre ordre nouveau ne se construira pas sur des compartiments universitaires, sur des catégories d'enseignements primaire, secondaire ou supérieur. Nous l'édifierons-sur la région, sur chaque morceau du sol français. Décentralisation et groupements provinciaux. Abattons les anciennes barrières et cherchons des liens nouveaux. Les forces montent de la terre. »
 
***

Le moyen de réaliser cette réforme est d'assurer au Français dans l'école unique l'éducation de toutes ses facultés. Dans un régime démocratique, l'enseignement doit tendre à tirer de tout individu le meilleur rendement. Il est indispensable, en effet, que soient révélées les intelligences et les énergies pour que tous produisent et pour que les meilleurs gouvernent dans l'intérêt de tous. La conséquence logique est donc l'instauration de l'enseignement unique, remplaçant les cloisonnements de primaire, secondaire et supérieur. A la base, l'école unique qui « acheminera d'une part l'élève aux humanités, d'autre part à l'enseignement professionnel qui tous deux se rejoindront dans l'enseignement supérieur ».

Cet enseignement unique sera adapté à la région. « On est de sa province, comme on est de son siècle. S'il est folie de ne pas préparer les enfants à la vie actuelle, il l'est tout autant de ne pas les préparer à la vie régionale. Puisqu'on vit, puisqu'on travaille autrement dans le Nord que dans le Midi, sur la côte que dans la montagne, il faut que l'enseignement, à tous les degrés, soit de la couleur du ciel et du sol, qu'on y sente la présence de la vigne ou celle du charbon, qu'on y respire ici l'odeur de la mer, là celle de la forêt ou du pâturage. Et ceci va très loin. Il s'agit non seulement de faire connaître la région à l'écolier, d'ouvrir toutes grandes les fenêtres de l'école sur le paysage ; il s'agit encore d'établir, entre l'enseignement et les forces de la région, ce double courant de vie qui permettra à l'école de fleurir sur son terroir, à la région de recueillir les fruits qu'elle aura fait mûrir. Vrai surtout pour l'école technique et la Faculté, ce principe l'est aussi pour l'école unique, dont le stade, étendu jusqu'à quatorze ans, comprend déjà un enseignement professionnel. » Il y aura collaboration de la sorte entre l'école et les activités régionales de l'industrie, du commerce ou de l'agriculture.
 
Cet enseignement unique se proposera l'éducation de toutes les facultés ; il faut faire des hommes pleinement productifs, c'est-à-dire équilibrés. Il cultivera donc le corps par des exercices appropriés, par les sports ; la volonté par l'entraînement à l'initiative ; l'esprit, en acheminant chaque élève, suivant ses aptitudes diverses, vers son avenir propre. Jusqu'à treize ou quatorze ans, l'école unique assurera ainsi la formation physique, intellectuelle et morale de tous les enfants. A partir de treize ou quatorze ans, suivant la valeur de ses facultés, l'enfant ou bien sera dirigé vers l'apprentissage d'une profession manuelle, ou bien recevra une culture générale. Quant à l'enseignement supérieur, il aura à remplir son rôle de formation pédagogigue tout en collaborant étroitement au travail scientifique pour le progrès et le développement des richesses nationales ; les chaires de cet enseignement seront tenues par de jeunes agrégés utiles à la région ; les laboratoires seront outillés pour les recherches nécessaires aux industries de la région.

***

Ainsi se résument les principes de la doctrine des Compagnons : comment ceux-ci conçoivent-ils l'institution chargées de les appliquer ? Celle-ci devra associer les membres de l'enseignement à la tâche d'organisation de l'Etat. Cette collaboration garantira l'élaboration des programmes d'études en conformité des besoins. L'Etat aura à utiliser, d'ailleurs, toutes les activités officielles comme celles qui seraient indépendantes. L'Etat n'a à se réserver qu'un droit général de direction et de contrôle. A lui d'indiquer l'orientation à donner à l'enseignement, suivant les besoins du pays : agricoles ou industriels, expansion aux colonies ou à l'étranger... A lui de déléguer ses représentants pour vérifier si cette orientation est bien suivie, et si les établissements obtiennent des résultats.
 
Quant à l'exécution et à ses moyens, c'est au corps enseignant à déterminer les meilleurs procédés pédagogiques à employer, à chaque groupe régional à prendre ses initiatives propres, pour remplir le but proposé. Il n'y a donc plus place pour cette concurrence que se font dans certaines localités des établissements qui se disputent sans utilité une même clientèle. Et il faut surtout bannir cette politique de carrière qui n'a rien de commun avec celle qu'enseignait Aristote. Ici une réforme s'impose urgente : L'indépendance politique des instituteurs. Que désormais l'instituteur, rentré au sein de l'Université, soit nommé et placé par elle. Enfin, la liberté largement comprise de l'enseignement doit encore aider au développement national ; les établissements libres devront être subventionnés par l'Etat en tant qu'ils accomplissent une fonction de l'Etat. Car pour être démocratique, il est indispensable que l'école unique, y compris celle de l'enseignement libre, soit gratuite. Et cette subvention de l'Etat n'exclut pas celles que pourront faire les éléments régionaux ; car « la corporation et les régions entendront leur devoir, les syndicats aussi. Le jour où les ouvriers, les commerçants, les agriculteurs sauront deux fois plus qu'ils ne savent, le rendement de leur travail sera décuplé. Nous retrouverons en prospérité générale largement ce que nous aurons dépensé en laboratoires et en écoles professionnelles ».
 
Le rôle de l'Etat sera de veiller à la réalité de l'obligation de cet enseignement démocratique : gratuité de renseignement, sa conformité aux directives, choix des maîtres, et surtout la fréquentation scolaire, jusqu'à l'âge fixé. Il approuvera les programmes élaborés par les corporations. Car les « Compagnons » veulent rapidement organiser ces corporations, en groupant dans « chaque région les éléments qui existent déjà pour former comme le « Conseil régional de l'enseignement ». C'est ainsi qu'ils envisagent que, dans chaque établissement, le bureau de l'Amicale des membres de l'Enseignement ferait partie du conseil d'administration de l'établissement ; que dans la région, un conseil académique fonctionnerait, auprès du recteur, formé par les bureaux des Fédérations des Amicales ; qu'à la tête se trouverait le conseil supérieur comprenant les représentants des Syndicats commerciaux, industriels, etc., et les bureaux des Fédérations nationales.
 
De la sorte, l'Etat, se bornant à son rôle directeur, laisse à ses recteurs, assistés de leurs conseils, les initiatives d'exécution, initiatives concordantes quand même, puisqu'à chaque échelon de la hiérarchie, la « liaison » est assurée ; c'est la division du travail qui est appliquée ici, comme elle l'a été hier dans la préparation des offensives destinées à délivrer le pays.
 
Toute la base du système repose donc sur la « Corporation régionale » qui groupe les Amicales du lycée ou du collège, des écoles techniques, des instituteurs, de l'enseignement libre.

Ainsi, au centre de l'institution, comme au centre de la doctrine, c'est un régionalisme fécond, en même temps que l'union des divers ordres d'enseignement. La corporation, rattachée au sol, aura à se relier à tout ce qui fait la vie qui l'environne : Syndicats et groupements du commerce et de l'industrie patronaux et ouvriers, pouvoirs publics, représentants des diverses confessions religieuses, parents des élèves, etc... Et au sommet de l'institution, pour couronner le système et lui assurer sa qualité d'organisme vivant, un professionnel, rappelant l'ancien grand-maître de l'Université.

Toute cette organisation se résume dans la gestion de l'Université par la corporation de l'enseignement. Et celle-ci, par les racines qu'elle pousse dans le milieu régional, trouve un accroissement de ses forces intellectuelles comme de ses moyens matériels. Car, plus encore peut-être que le contrôle de l'Etat, les nécessités, les besoins immédiats de la région aiguillonneront les éducateurs dans la recherche d'y toujours mieux satisfaire.
 
Ce plan, conçu avec une foi enthousiaste qui éclate à chaque page du livre, est un hommage de plus rendu à l'organisation régionale, qui, dans les différents domaines de la vie nationale, apparaît donc comme le principe de toute reconstitution. L'appel sera-t-il entendu ? Ou « les Compagnons » seront-ils obligés de partir, comme naguère, à l'assaut pour triompher des inerties qui maintiennent les vieilles institutions? « Chaque fois qu'un combattant, écrit un nouveau civil, démobilisé d'hier, rentrait de l'intérieur, il revenait avec l'impression que le soldat seul connaissait, avec quelque exactitude, le coût de la guerre en vies et en ruines. Cinq ans ont passé. La « Propagande » a fonctionné. Les « films » ont tourné. Les journalistes ont écrit. L'ignorance reste aussi complète. Il serait cependant temps de mesurer l'œuvre à accomplir, afin de préciser l'effort à donner. »
 
La démocratie française, que flattent en ces jours tant d'orateurs, est, en cette matière d'enseignement, bien dépassée encore par l'Angleterre. Ce pays, en pleine guerre, contre l'opposition d'intérêts privés puissants, a cependant réalisé une importante réforme. Le bill Fischer du 8 août 1918 impose l'obligation scolaire jusqu'à quinze ans, et, pour les jeunes gens de quinze à dix-huit ans, celle de suivre des cours de perfectionnement huit heures par semaine pendant quarante semaines annuellement. Sans doute, ce résultat n'a pas été obtenu sans résistance, et il fallut, pour assurer sa réalisation, une vaste campagne d'opinion. Les « Compagnons » ont, eux aussi, pour le succès de leur entreprise, grand besoin que l'opinion française s'intéresse à leur effort, si étroitement lié au développement économique du pays. Ils ont la jeunesse et l'audace : ce sont deux bons garants pour leur fortune.

M. ANOYAUT.

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LES INDUSTRIES A EXPLOITER EN NORMANDIE
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Les Lineries Agricoles et Industrielles
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L'étude sur la rénovation de la production et de l'industrie du lin en Normandie, à laquelle nous avons consacré l'article paru dans le précédent numéro (1), doit être considérée comme d'autant plus justifiée par les préoccupations actuelles que, dans le département de la Seine-Inférieure, la superficie cultivée en lin accuse, présentement, une diminution de 2.436 hectares. Si nous en croyons la dernière statistique, cette superficie, qui était de 3.601 hectares, en 1902, ne serait plus que de 1.165 hectares. Si on ajoute à cette constatation que les centres liniers de nos départements du Nord, anéantis par l'invasion, ne peuvent alimenter notre industrie linière ; que la Russie, notre grand fournisseur avant la guerre, ne peut, dans la situation si agitée qui la ruine chaque jour, rendre à ses ports de la Baltique le florissant commerce auquel donnait lieu sa production linière (semence et filasse) ; si, enfin, on considère que, pour la culture du lin, et bien avant la guerre, nous étions déjà devancés par l'Autriche-Hongrie, l'Italie, l'Angleterre, la Belgique, on ne peut que mesurer plus exactement encore l'insuffisance de nos ressources, la faiblesse de notre production et de notre industrie.
 
Et pourtant, les besoins de celle-ci sont immenses, car tous les stocks de fils et de tissus ont été épuisés au cours de ces cinquante-deux mois, où toute fabrication a été interrompue, où les rares centres manufacturiers liniers indemnes de l'invasion : Cholet, en Maine-et-Loire et Voiron, dans l'Isère, n'ont pu s'alimenter en matières premières.
 
Il faut donc revenir à la culture du lin, augmenter les surfaces à consacrer à cette plante industrielle. Le complément nécessaire de cette renaissance de la culture, c'est le travail sur place de la matière première, en substituant à la méthode ancienne, employée pour le rouissage et le teillage du lin, les méthodes nouvelles, qui en suppriment les inconvénients, procurent un meilleur rendement et permettent de créer, sur les lieux de production, des lineries agricoles ou industrielles, des usines ayant la matière première à pied-d’œuvre et constituant pour les cultivateurs et pour les industriels une source de réels et importants bénéfices. C'est qu'en effet, on peut prévoir avec certitude, pour la culture du lin, une rénovation complète et un nouvel essor comme conséquence de l'application des procédés perfectionnés de rouissage et de teillage dont la vulgarisation avait été commencée à la veille de la guerre, en Normandie, par un spécialiste distingué, M. Feuillette, qui installa une première linerie, en 1913, à Goderville (Seine-Inférieure), pour, précisément, y pratiquer le travail du lin, d'après ses procédés scientifiques et en démontrer les grands avantages économiques.
 
Aujourd'hui, on sait que le rouissage est une fermentation ; c'est l'œuvre de bactéries agissant sur la matière gommo-résineuse, décomposant la pectose ou enveloppe des fibres de cellulose (dans le lin à l'état vert) en acide pectique, qui donne au lin roui son brillant, sa « graisse ». Les tiges du lin portent des ferments rouisseurs, et c'est en fournissant à ces ferments, à ces bactéries, les conditions de température et d'aération favorables à leur développement rapide et à leur travail que M. Feuillette a démontré la réelle valeur pratique du procédé naturel de rouissage bactériologique ou microbien, qui est d'une extrême simplicité et ne demande que six jours environ. C'est une innovation d'autant plus remarquable qu'elle est caractérisée surtout par le minimum de main-d’œuvre, avantage considérable, et qui, dans les circonstances actuelles, acquiert une importance encore plus grande, en raison de la gravité du problème de la main-d’œuvre. Le procédé Feuillette réalise la synthèse scientifique de toutes les opérations de transformation du lin, jusqu'ici disséminées et confiées à des méthodes trop primitives et aléatoires. Ces opérations sont naturelles, réunies et effectuées dans l'usine où l'on peut travailler d'une façon continue et méthodique, toutes les conditions du travail se trouvant soumises à la volonté de l'homme, au lieu d'être abandonnées au gré de la nature, comme dans le rouissage à l'eau stagnante ou à la rosée (rouissage à terre ou rorage). En toute saison, et partout, on peut effectuer le rouissage, le séchage et le teillage du lin, d'où possibilité d'installer des lineries, soit industrielles, soit agricoles, dans les centres mêmes de production du lin. Ces usines pourront procurer aux ouvriers agricoles un travail rémunérateur pendant les mois de chômage, par conséquent sans gêner en rien les travaux aux champs et à la ferme. C'est là un moyen d'enrayer, dans une certaine mesure, l'exode des ouvriers ruraux vers les villes, et tout le travail du lin se faisant dans le pays au lieu de s'effectuer à l'étranger, c'est encore un bénéfice pour le producteur et pour l'ouvrier rural.
 
Bref, les procédés perfectionnés, dont l'application avait déjà été réalisée avec un succès complet dans notre département de Seine-Inférieure, à l'usine installée par M. Feuillette, à Goderville — laquelle avait commencé à fonctionner en avril 1914 — ces procédés, disons-nous, ont aujourd'hui la consécration industrielle. En 1914, toute la filasse fabriquée à Goderville, plutôt à titre démonstratif, était achetée par la « York Street Flax Spinning Cy », de Belfast, la plus ancienne et peut-être la plus considérable des filatures du monde entier.
 
Pendant deux siècles, on chercha la solution rationnelle du problème. On peut dire qu'aujourd'hui ce problème est industriellement résolu : on peut traiter le lin à n'importe quelle époque de l'année et le transformer en filasse de toute première qualité en une dizaine de jours, sans aucun transport, ainsi que la démonstration en a été faite à la linerie de Goderville. On se trouve en présence d'une seule industrie créée dans la même usine où toutes les opérations se succèdent sans interruption et où chaque machine effectue un travail continu correspondant à la production journalière totale. L'installation de lineries dans les centres linicoles doit permettre aux cultivateurs de livrer leurs produits directement à ces usines sans plus de frais de transport que lorsque les lins à livrer aux acheteurs doivent être conduits, par les producteurs, aux gares expéditrices. Bien plus : ces derniers peuvent se grouper pour constituer des coopératives possédant des lineries et réaliser les bénéfices qui, jusqu'ici, ont été recueillis par les intermédiaires. Cette orientation nouvelle contribuerait pour beaucoup au relèvement de la culture du lin et au développement d'une industrie rurale procurant aux ouvriers des campagnes un travail bien rémunéré.
 
Alors que le lin roui par le cultivateur et teillé par la méthode rurale donne, pour 100 kilogrammes brut, de 9 à 13 kilogrammes de filasse qui, en se basant seulement sur les chiffres d'avant-guerre, était vendue 1 fr. 15 à 1 fr. 35 le kilogramme, en filature, ce même lin, traité par la méthode Feuillette, donne pour 100 kilogrammes brut de 13 à 15 kilogrammes de filasse qui, en 1914, se vendait 2 fr. 10 à 2 fr. 30 le kilogramme, soit une plus-value de 0 fr. 95 par kilogramme, et cette filasse permet de fabriquer des fils plus fins et plus solides.
 
Tous les aléas des anciens procédés disparaissent, tout le rendement possible est obtenu et le traitement des récoltes, même mauvaises, peut être effectué dans de bonnes conditions. Ainsi, d'une part, rémunération plus avantageuse pour le cultivateur, et de l'autre, assurance pour le filateur d'avoir une filasse de meilleure qualité, plus homogène, pouvant fournir des produits supérieurs et à des prix défiant la concurrence étrangère, parce que les frais d'extraction de cette filasse sont bien moins élevés, par suite des avantages suivants : rendement supérieur en quantité et en qualité, suppression des frais de transport, économie résultant de ce fait qu'on n'a plus à immobiliser des capitaux considérables pendant dix-huit mois et plus sur une seule récolte ; substitution des machines à une main-d’œuvre coûteuse ; enfin, suppression des fluctuations considérables résultant de l'écart de dix-huit mois à deux ans entre l'achat du lin et la vente de la filasse. Les lineries traitant annuellement 1 million et demi de kilogrammes de lin brut, soit la quantité du lin produite par 300 hectares environ, permettront, par la suppression de fâcheux errements, d'assurer de larges bénéfices aux cultivateurs et aux filateurs, entre lesquels se placera leur activité et cela tout - en faisant fructifier les capitaux confiés à ces entreprises industrielles.
 
Evidemment, on ne peut, dans les circonstances actuelles, étant donnés le renchérissement de toutes choses et la raréfaction de la main-d’œuvre, fixer les conditions d'exploitation de lineries agricoles ou industrielles, et les bénéfices réalisables. Toutefois, il nous parait utile de donner un aperçu des estimations et évaluations se rapportant au fonctionnement de la linerie de Goderville, en 1914, où le procédé Feuillette était mis en application pour le rouissage, le séchage et le teillage de 5.000 kilogrammes de lin par jour, soit 1.500.000 kilogrammes par an. On payait 16 francs les 100 kilogrammes de pailles de lin en graines, rendus à l'usine. Le rendement industriel était en moyenne, pour 100 kilogrammes de lin brut, de 12 kilogrammes de paillettes pures, 9 k. 700 de graines, 3 k. 800 de déchets et 74 k. 500 de lin battu fournissant 59 kilogrammes de lin roui, rendant 13 kilogrammes de filasse, 2 k. 400 de bonnes étoupes, 5 k. 200 d'étoupes grossières et 38 k. 400 de chènevotte. Aux cours pratiqués en 1914, la valeur des sous produits (pailles, graines, étoupes) ressortait à 5 fr. 99 aux 100 kilogrammes, soit, pour 1.500.000 kilogrammes de lin alimentant l'usine, 5 fr. 99 x 1.500.000 = 89.850 francs. Production de filasse : 195.000 kilogrammes.

On comptait pour le matériel (réserve faite de la question d'eau, de transport et de montage) 136.070 francs ; pour les bâtiments en maçonnerie, 105.380 francs, et pour le terrain, 1 hectare à 10.000 francs ; soit, au total : 251.450 francs. Les frais annuels d'exploitation, pour trente-neuf personnes nécessaires au fonctionnement de l'usine : 31.100 francs ; frais généraux, entretien : 17.850 francs ; intérêts et amortissement : 48.900 francs. Total : 97.850 francs.

L'entreprise se présente donc dans les conditions suivantes :

Installation et aménagement de l'usine                         251.450 fr.
Fonds de roulement                                                   200.000 »
Frais généraux                                                             97.850 »
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Total                                                                         549.300 fr.
 
Avec 240.000 francs pour achat de la matière première, et 97.850 francs de frais généraux, on a un total de 337.850 francs de dépenses annuelles ; déduction faite de la valeur des sous-produits, il reste 337.850 — 89.850 = 248.000 francs à récupérer pour la filasse. Le kilogramme de lin revient à 1 fr. 287. Pour arriver à gagner 10 % de la dépense annuelle (337.850 francs), il suffirait de vendre la filasse au prix moyen de 1. fr. 445 le kilogramme. Or, les lins produits à la linerie de Goderville se sont vendus à raison de 2 fr. 10 le kilogramme, alors que le prix de revient n'était que de 1 fr. 287. Pour une production de 195.000 kilogrammes, le bénéfice annuel se chiffrait donc par 2,10 — 1,28 = 0 fr. 82 x 195.000 = 159.900 fr. La Normandie doit à la légitime renommée de ses lins du pays de Caux des avantages économiques qui seront plus importants encore lorsque de nombreuses lineries agricoles et industrielles s'y multiplieront parallèlement à la culture du lin et aux meilleures conditions de transformation de ce précieux textile.


Henri BLIN,
Lauréat de l’Académie d’Agriculture
de France.
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(1) Voir n° 21-22 de janvier-février 1919.


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Syndicats d'Initiative ? ? ?
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A la suite de l'article paru sous ce titre dans notre dernier numéro, nous avons reçu de M. Schmidt, président du Syndicat d'Initiative du Havre et trésorier de la Fédération normande des Syndicats d'initiative, la lettre suivante :

Non, Monsieur A. M., non ; les Syndicats d'Initiative de Normandie, y compris leurs Présidents, ne s'endorment pas dans les délices de l'indolence ; non, croyez-le bien, leur unique souci ne consiste pas à chercher des places honorifiques et à répondre à ceux qui s'adressent à eux que le temps leur manque pour les renseigner.

Seulement, car il y a un seulement, vous semblez oublier que nous venons de passer par quatre ans et demi de guerre et durant ce laps de temps, devriez convenir qu'une légère désorganisation a pu se glisser dans nos Syndicats et expliquer même les difficultés qui ont empêché l'accomplissement d'un travail intensif.

Le rôle de certains Syndicats d'Initiative n'a cependant pas été complètement effacé, puisque, pour ne citer que celui que je préside, je me permets de vous apprendre qu'annexé depuis septembre 1914 au Bureau municipal des Réfugiés, notre Syndicat a reçu et secouru de toutes façons plus de 50.000 de nos malheureux compatriotes chassés de leurs foyers.

L'ère de reconstruction qui s'ouvre à présent nous permet, Monsieur, de pronostiquer un labeur, qui, je l'espère, vous donnera complète satisfaction. La Fédération Normande des Syndicats d'Initiative, à laquelle j'ai l'honneur de collaborer étroitement avec mon ami, M. Monticone, a déjà entrepris l'étude de certains projets d'une grande importance pour notre région, projets auxquels il vaut mieux s'atteler résolument et' chercher à les faire réussir que de les prôner longuement dans les journaux et les abandonner ensuite. Cette Œuvre d'avenir devra aboutir, soyez-en persuadé, mais à la condition cependant que certaines énergies que vous connaissez sans doute ne continuent pas à se dérober et préférer nous opposer la force d'inertie à l'aide qu'elles devraient nous apporter.
 
Pour finir, je souhaite qu'honoré de votre confiance, nous puissions réaliser la tâche que nous nous sommes assignée, convaincus en outre que vous saurez reconnaître en son temps le mal fondé de vos critiques actuelles.

Le Président du Syndicat d’Initiative
du Havre et de la Région,
Trésorier de la Fédération Normande
des Syndicats d'Initiative,

SCHMIDT.

Tout d'abord, nous devons déclarer que noire article ne visait en rien le Syndicat d' Initiative du Havre, mais nous sommes d'autant plus heureux de cette réponse que, si elle défend les Syndicats d' Initiative et leurs présidents du reproche d'indolence que nous leur avons adressé, elle-nous permet de faire connaître le rôle éminemment charitable et de solidarité rempli par le Syndicat d'Initiative du Havre, dont il y a lieu de le grandement féliciter, et qu'elle confirme notre constatation du manque d'énergie en Normandie. M. Schmidt va même beaucoup plus loin que nous, puisqu'il accuse certains individus ou certaines administrations non seulement de manquer d'énergie, mais même de mettre des bâtons dans les roues.

En effet, il nous dit : « Cette oeuvre d'avenir devra aboutir, soyez-en persuadé, mais à la condition que certaines énergies, que vous connaissez sans doute, ne continuent pas à se dérober, et préférer nous opposer la force d'inertie à l'aide qu'elles DEVRAIENT nous apporter. »
 
Est-ce clair ? De l'aveu  même du Président du Syndicat d'Initiative du Havre, il y a, en Normandie, des personnages qui s'opposent à l'œuvre entreprise dans l'intérêt commun.
 
Quels sont ces mauvais compatriotes qui DEVRAIENT apporter leur aide et qui se dérobent à leur devoir ? Il ne suffit pas de déplorer leur inertie ; il faut les forcer à agir.
 
Et c'est là, précisément, Monsieur le Président, où l'action des journaux dont vous semblez faire fi peut vous être utile, car en dévoilant les agissements de ces hommes néfastes, elle les contraindra à agir ou tout au moins à faire connaître les raisons de leur mauvais vouloir. Puis, en faisant connaître vos projets, la presse pourra encore vous susciter des concours que vous ignorez et qui ne peuvent s'offrir puisqu'ils ne connaissent rien des grands projets que vous préparez, dans le silence du cabinet.
 
A ce propos, on me permettra une digression : La peur des journaux serait-elle un mal havrais ? Nous serions tentés de le croire, car la Chambre de Commerce du Havre, elle aussi, repousse le concours de la presse. Il y a quelques mois, lorsque nous avons commencé l'étude de l'organisation économique de la région normande, nous avions demandé leur avis aux Chambres de Commerce. Celle du Havre nous répondit « qu'elle avait décidé de ne faire aucune polémique dans la presse sur cette question ». On a pu voir d'ailleurs, par le rapport de M. Bouctot que nous avons publié, qu'elle n'a pas davantage voulu faire connaître son opinion au Conseil général. N'est-ce pus encore là un manque d'énergie, à moins que ce ne fût la peur des responsabilités ?
 
Pour en revenir aux Syndicats d'Initiative, M. le Président du Syndicat du Havre peut être persuadé que nous sommes tout disposés à reconnaître que nous nous sommes trompés sur leur compté ; pour cela; nous les attendons à l'œuvre et une fois encore, nous les assurons du dévoué concours qu'ils trouveront dans cette Revue aussi bien d'ailleurs, j'en suis certain, que dans toute la presse normande.

***
 
Cet article était écrit lorsque j'ai reçu de M. Monticone, secrétaire général de la Fédération Normande des Syndicats d'Initiative, la lettre qui suit :
 
Je n'aime pas beaucoup les polémiques de presse, j'y suis d'ailleurs peu habile, mais il me paraît difficile de laisser sans réponse la question que vous avez posée dans le numéro de janvier-février de votre très intéressante revue à propos des Syndicats d'Initiative :
 
« Le Normand est-il un égoïste qui ne songe à l'intérêt général que lorsque celui-ci sert son intérêt particulier ? »

A la réflexion, je ne le crois pas.
 
Toutefois, j'avoue bien volontiers avec vous que nos compatriotes ne vibrent pas facilement, et l'ami dont vous avez rapporté l'interview n'est malheureusement pas un isolé.
 
Lorsqu'il y a un an exactement les délégués des Syndicats d'Initiative de Normandie, répondant à l'appel éloquent du T. C. F. et de l'Office National du Tourisme ; eurent décidé de fédérer leurs efforts, je crus nécessaire, avant d'accepter l'honneur qu'ils me faisaient de diriger leurs travaux, de souligner que toute notre agitation serait vaine tant que nos associations n'auraient par élargi leurs cadres et que l'activité de leurs dirigeants serait paralysée par un budget de famine. Le programme d'action que je fus assez heureux pour faire approuver insistait donc particulièrement sur la nécessité :
 
1° De créer de nouveaux Syndicats d'Initiative ;
2° De vitaliser les Syndicats déjà existants
3° De faire aboutir au plus tôt le projet de loi sur la cure taxe, qui seule doit, peut nous assurer des ressources régulières et substantielles, alors que nous en sommes réduits actuellement à une quasi-mendicité.
 
Il serait trop long de développer ici ces trois points : pour ne pas sortir du sujet qui nous occupe, je me contenterai de vous indiquer quelques-unes des difficultés auxquelles je me suis heurté à propos de la création de nouveaux syndicats.

Vous connaissez, pour l'avoir publié et très aimablement commenté, l'appel qu'en avril dernier j'ai lancé en faveur de la Renaissance du Tourisme. Je développais alors cette idée qu'en plus de ses richesses agricoles et industrielles, la Normandie possédait un admirable capital de beauté touristique, dont la mise en valeur doit accroître considérablement la fortune régionale (le tourisme n'offre-t-il pas un moyen élégant de faire rentrer en France une partie des milliards exportés pendant la guerre ?), que les Syndicats d'Initiative sont le trait d'union naturel et indispensable entre les touristes et les industries de luxe, et je demandais à mes compatriotes de m'aider à planter notre drapeau dans tous les centres d'excursion dépourvus d'un office de tourisme.
 
Dois-je vous dire qu'une réponse unique me parvint !!!

A quelque temps de là, je tentai une nouvelle expérience, demandant cette fois à mes collègues leur bienveillant concours pour arriver aux mêmes fins ; par la même occasion, je les priais de m'adresser le cahier des revendications de leur syndicat respectif, les assurant que je serais heureux d'aider à la réalisation de leurs vœux.
 
Hélas ! cette fois encore la collaboration ne fut pas très féconde ce fut tout au plus un essai timide ; il me faut encore avouer, pour être jusqu'au bout sincère, qu'à l'heure actuelle et malgré cinq ou six rappels, les dossiers de quelques Syndicats sont encore vierges de toute réponse, au point qu'il m'arrive parfois de me demander si ces organismes sont réellement existants.
 
Je sais bien que la guerre a troublé bien des habitudes, que beaucoup d'entre nous, moi tout le premier, ont été jusqu'à ces temps derniers sous l'uniforme, que par suite de ces défections temporaires presque tous les Syndicats mènent depuis quatre ans une vie ralentie ; mais toutes ces raisons n'auraient-elles pas dû exalter la bonne volonté de ceux de l'arrière, dont le devoir était de préparer le retour des mobilisés ?
 
Fort heureusement, toute médaille a deux faces et je me hâte d'ajouter que la collaboration avisée, active et intelligente que j'ai trouvée chez certains collègues efface les mauvais souvenirs que j'évoque aujourd'hui.
 
Dans l'un des cinq départements où s'exerce l'influence de la Fédération Normande, j'ai eu la bonne fortune de rencontrer un trio d'organisateurs remarquablement dévoués, si bien que l'idée me vint avec leur appui de faire de ce département un champ d'expérience, quitte à généraliser la formule si elle réussissait.
 
Je ne veux plus me souvenir des déceptions de la première heure, de l'indifférence de certaines personnalités enrichies dans des industries confinant au tourisme, et que je m'étais cru autorisé par cela même à consulter plus particulièrement, de la réserve inquiète de certaines municipalités que j'espérais associer à notre tâche en faisant briller à leurs yeux l'heureuse répercussion du tourisme sur le commerce local, et qui ne virent en nous que des concurrents éventuels : tout cela c'est le passé ; aujourd'hui tout ce coin de Normandie s'organise méthodiquement et dix nouveaux Syndicats d'Initiative marchent en parfaite harmonie avec la Fédération Normande.
 
Pour en arriver à ce résultat, il a suffi de l'union de quatre personnes de bonne volonté ; avec des éléments identiques, je suis tout prêt à tenter la même expérience dans les départements voisins, et je suis convaincu qu'elle réussira.
 
Quels résultats ne peut-on pas espérer quand l'indifférence générale sera vaincue !!! Car c'est bien de l'indifférence, mêlée à un peu de cette prudente réserve qui caractérise notre race, que l'on nous oppose. L'égoïsme n'est pas en cause ; l'idée aura peut-être du mal à germer, mais le jour où elle germera, elle poussera dru : chez nous le sol est bon et il n'y a pas que les pommiers qui fleurissent : le tourisme aura son tour.
 
J'aurais bien des choses intéressantes à dire sur le rôle de certains Syndicats d'Initiative pendant la guerre, comme avant 1914 : isolément de très louables efforts ont été tentés et puisque vous voulez bien m'y convier, je traiterai cette question dans une prochaine chronique.

Cela m'amène tout naturellement à vous remercier, Monsieur le Secrétaire général, de mettre très aimablement Normandie au service de la cause du tourisme.
 
Car il est bien entendu, n'est-ce pas, que les Syndicats d'Initiative sont des associations touristiques et non pas des académies destinées à couronner des chansons. Au fait, pourquoi s'obstine-t-on à les appeler « Syndicats d'Initiative », ce qui n'a aucune signification précise ?? Pourquoi pas « Syndicats de Tourisme » ? Leur programme ainsi limité est assez vaste pour absorber toute l'activité de leurs dirigeants.
 
A chacun sa tâche et merci à ceux qui s'offriront à faciliter la nôtre.

C. MONTICONE.

Je ne veux pas affaiblir par de longs commentaires ce lumineux exposé de l'activité des Syndicats d'Initiative en Normandie. Je me bornerai à constater que mon cri d'alarme n'était pas inutile.

Ce que j'appelais égoïsme est qualifié indifférence par le secrétaire général de la Fédération Normande. Marchons pour indifférence, mais le résultat est le même, cette indifférence est bien coupable, et il faut déplorer, avec mon honorable correspondant qu'un seul parmi nos cinq départements ait répondu à l'appel qu'il adressait aux hommes d'action il y a près d'un an.
 
Nos lecteurs suivront avec intérêt l'étude que veut bien nous promettre M. Monticone, et il est à souhaiter que ses efforts soient couronnés de succès, pour le plus grand bien de la Normandie dont la prospérité devrait être chère à tous.

***

Les délégués des Syndicats d'Initiative de Normandie se sont réunis le 27 février en assemblée générale, au siège du T. C. F., sous la présidence de M. Celos, député, maire, et président d'honneur du Syndicat d'Initiative de Bernay.
 
M. Monticone, secrétaire général de la Fédération, donne la liste des monuments et sites classés jusqu'à ce jour dans les cinq départements normands et il demande à ses collègues de vouloir bien lui signaler tous ceux qui méritent de l'être, car il importe de défendre les beautés naturelles et architecturales contre les atteintes de ceux et ils sont nombreux — qui n'ont aucun souci de l'art et du beau.

M. Schmidt, trésorier de la Fédération, donne lecture du bilan de l'exercice 1918. Ses comptes sont approuvés et des remerciements lui sont votés pour le dévouement qu'il apporte dans son ingrate fonction.

Puis M. Monticone donne lecture d'un long et remarquable rapport dans lequel il passe en revue toutes les questions qui doivent retenir l'attention des Syndicats d'Initiative : taxe de séjour ; relations à entretenir avec les Chambres de commerce ; moyens de faire connaître le rôle des Syndicats d'initiative ; question hôtelière ; architecture hôtelière ; question des transports ; réfection des routes ; transports en commun par automobiles ; publicité à faire pour permettre aux touristes de diriger leur choix sur la région à visiter ; établissement d'itinéraires ; conférences avec l'adjonction du cinéma, etc., etc.
 
En terminant son remarquable rapport, M. Monticone fait appel aux concours des membres des Syndicats d'Initiative normands en leur assurant qu'ils peuvent compter qu'il leur consacrera tout son temps et toute son énergie.

***

Nous regrettons vivement que le défaut de place nous empêche de rendre compte aussi longuement qu'il serait nécessaire de la Conférence qui a été faite le 20 mars, au Havre, sous la présidence de M. l'amiral Didelot, gouverneur du Havre et sous le patronage du Syndicat d'Initiative, par MM. Famechon, délégué du ministère des Travaux publics, et Auscher, membre du Conseil d'administration du Touring-Club en vue d'examiner ce qui devait être fait au Havre pour contribuer à l'organisation du Tourisme en France. M. Famechon, expliquant les conditions dans lesquelles l'Office national du Tourisme entend contribuer à discipliner les efforts à faire pour attirer les étrangers en France, préconise l'installation au Havre d'un bureau de renseignements afin de relier les arrivants avec le pays. Le Touring Club verse 2.000 francs pour cette organisation, mais il est nécessaire d'obtenir le concours matériel et financier de l'Administration municipale, de la Chambre de Commerce, des Chemins de fer et des Compagnies de navigation.

M. Auscher rappelle que par l'ensemble des beautés naturelles, des monuments, par son climat, la France possède un véritable fonds de commerce à exploiter ; il estime qu'il viendra cette année 500.000 touristes ; l'année prochaine un million et dans deux ans, un million et demi, et qu'à raison d'un séjour de vingt jours, c'est neuf milliards qui, en trois ans, rentreront en France. Toutes les industries, dit-il, sont appelées à en bénéficier, mais pour retenir ces visiteurs en France, il faudra leur donner des hôtels confortables.
 
M. Prince, avocat au Conseil suprême des Etats-Unis, grand ami de la France, dit quels efforts on doit faire pour que ces étrangers séjournent au Havre.
 
Puis M. Monticone fait appel à l'union dans la Fédération normande du Tourisme.

A. MACHÉ.

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Vers une Fédération Normande
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De nombreux correspondants nous écrivent pour nous témoigner de leur désir de voir s'unir toutes les bonnes volontés. C'est le but de Normandie de donner asile à ces initiatives et de tenter de grouper en une union agissante ces efforts dispersés. Notre collaborateur Vincent-Desbois a conçu tout un plan d'action qu'il expose ici-même. Il nous paraît toutefois intéressant de faire connaître quelques idées que nous soumet le distingué président du « Cercle agricole du Sap (Orne) », M. G. Choisne.
 
M. Choisne place au premier rang la question de la protection de l'enfance. Si notre natalité n'est pas plus vigoureuse, du moins que tout le meilleur parti en soit tiré. Aussi, apparaît-il nécessaire de surveiller les soins physiques et moraux dont l'enfant doit être entouré. En assurant la cause et l'instruction de ces petits êtres, c'est sauvegarder pour la nation un capital productif dont elle doit être au plus haut point économe. Dans ce but, M. Choisne n'hésite pas à demander que soient soustraits à leur milieu, après avis d'une Commission communale, les enfants plus ou moins abandonnés, ou qui ne fréquenteraient pas régulièrement les écoles. Ils seraient ainsi élevés aux frais de la nation qui récupérerait bien au-delà de ses débours en évitant un gaspillage d'énergies.
 
C'est en vue des mêmes fins qu'il propose, à côté des Chambres de commerce, la création de Chambres d'agriculture et de métiers, dont la capacité devrait être suffisante pour leur permettre la création et l'entretien d'écoles professionnelles, d'orphelinats..., l'entreprise en commun de grands travaux : canaux, voies ferrées, ports et l'organisation de magasins, docks, laboratoires, etc. Pour atteindre ce but, il envisage, à la base, des sociétés locales dont feraient obligatoirement partie les agriculteurs, les industriels et commerçants, les ouvriers et artisans. Le rôle de ces sociétés serait en outre de fournir à leurs membres un appui moral et financier, de mettre à leur disposition les journaux et les livres dans lesquels chacun d'eux pourrait trouver les enseignements utiles à leur profession. Ces organisations, en outre, auraient une action immédiate sur la formation des élèves dans les écoles professionnelles qui fonctionneraient non loin d'elles.
 
M. Choisne ne se contente pas de rechercher ce qui peut contribuer à la meilleure utilisation de nos ressources en hommes et en capitaux, mais il veut assurer la paix sociale. Aussi préconise-t-il l'assurance obligatoire contre l'invalidité et la vieillesse, et, pour ceux qui ont des terres, l'institution d'un réservat viager, rendant incessible et insaisissable toute propriété immobilière jusqu'à concurrence d'un revenu de 370 francs. Il demande également la réforme des droits de mutation sur la propriété foncière, qui est d'autant plus grevée par eux qu'elle est plus petite.
 
Telles sont les quelques idées dont nous fait part, dans une longue causerie, M. Choisne. Sans les faire nôtres absolument, du moins y voyons-nous la preuve de cette aspiration très répandue à la réorganisation économique de notre pays. Nous nous associons, en tout cas, pleinement à son appel à la coopération. Et comme M. Choisne a déjà réussi à mener à bien le groupement agricole qu'il préside, nous ne doutons pas qu'il ne parvienne, dans le riche coin de Normandie où il se trouve, à réaliser bientôt quelques-unes de ces unions qu'il recommande.
Autour de ce foyer viendront se réunir d'autres associations voisines : ainsi commencerait à se former cette Fédération normande, qui centraliserait, pour leur donner pleine force, toutes les capacités, et coordonnerait, pour les réaliser au mieux, tous les projets ayant en vue l'aménagement et le développement des ressources de notre région.

M. ANOYAUT.

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Tout en causant...
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C'était dans les premiers jours de février. Nous étions de nouveau réunis tous les trois, le capitaine Percy Fergusson, le sergent canadien Paul Dumoustier et moi, dans la salle à manger de la villa des Chimères, aujourd'hui toute encombrée de malles et de valises, car, le capitaine va quitter Rouen, et c'est à un déjeuner d'adieux qu'il m'avait convié.
 
Un grand feu de bois, aux flammes claires et vacillantes, pétillait dans la haute cheminée devant laquelle, jadis, à une époque déjà lointaine, j'avais vu tant de fois le vieux père Houzeau, le précédent propriétaire de la villa des Chimères, ratatiné dans sa robe de chambre, étendre ses longues jambes maigres et tisonner les bûches à demi consumées.
 
Dans la pièce, où nous achevions un succulent déjeuner, dont un plum-pudding authentique, venu directement de Londres, avait formé le couronnement, une douce chaleur régnait, dont nous goûtions d'autant plus vivement le pénétrant bien-être qu'à travers les fenêtres aux rideaux écartés, nous apercevions la pente boisée du mont Thuringe couverte d'une épaisse couche de neige, paysage d'hiver, vision frileuse évoquant à nos yeux le froid rigoureux du dehors.
 
« Eh bien, me dit tout à coup le capitaine Fergusson, vous voilà contents, vous autres Rouennais, vous allez être débarrassés de notre présence. Avouez-le, qu'à la longue vous nous trouviez un peu encombrants !
 
— Oui, oui, ajouta Paul Dumoustier, sans me donner le temps de répondre, vous ne le dites pas, parce que vous êtes gens courtois, mais vous soupirez tout bas après le moment où vous pourrez dire : Enfin, seuls !
 
— Voyons, soyez franc, reprit le capitaine, en souriant et en me fixant de ses grands yeux bleus. »
 
J'étais, je dois l'avouer, un peu interloqué. Ce fut le jeune Canadien qui vint à mon aide.
 
« Ce sentiment de la population rouennaise, fit-il, d'être rendue à elle-même, ce désir intime que vous avez au fond du cœur, sans le manifester ouvertement, de reprendre votre vie propre et autonome, de voir votre cité retrouver son aspect et sa physionomie d'avant-guerre, ce sentiment et ce désir sont trop naturels pour que nous, vos hôtes si cordialement accueillis, si sympathiquement traités par vous durant plus de quatre ans, nous puissions nous en étonner ni surtout en prendre ombrage » .
 
— Very well, continua le capitaine Percy Fergusson. Tenez, cela me rappelle un souvenir de famille. Je venais de terminer mes études à Oxford, et, jeune « bachelor », je coulais — (c'est bien ainsi que vous dites en France ?) — je coulais des jours heureux auprès de mon père et de ma mère, dans notre jolie petite maison de Cardigan. C'étaient mes dernières vacances, avant le business, et pour rendre ces vacances plus gaies, mon père eut l'idée d'inviter des cousins que nous avions dans le comté de Leicester, à venir passer un mois chez nous.
 
Quand les cousins arrivèrent, ce fut une fête, une joie délirante ; on les embrassa, on les choya, on était pour eux aux petits soins. Tous, mon père, ma mère, moi-même, nous nous ingéniions à leur procurer des distractions quotidiennes et sans cesse renouvelées ; excursions dans les environs de Cardigan, promenades en mer sur le canal Saint-George, etc. Cette existence d'effusions réciproques se prolongea pendant une quinzaine ; puis quand vint la troisième semaine, nous commençâmes à nous apercevoir, mes chers parents et moi, que la présence de nos bons cousins mettait beaucoup de bruit, et même un peu de désordre dans notre maison, si paisible, si tranquille, si bien ordonnée et que nous finissions par ne plus nous appartenir. Insensiblement, nos hôtes s'étaient habitués à se considérer, chez nous, comme étant chez eux. Nous en prîmes, sans le laisser paraître, quelque impatience, et la fin du mois, qui devait marquer le départ de nos cousins, parut bien longue à notre lassitude et à notre besoin de calme et de repos.
 
« Pour en finir, acheva le capitaine, la satisfaction que nous éprouvâmes à les rembarquer en chemin de fer lui égale, je n'ose dire, supérieure à la joie que nous avions ressentie à les voir arriver. Et pourtant nous les aimions bien, nos bons cousins du Leicester, et nous les aimons toujours bien. Mais que voulez-vous, ces hôtes attendus et choyés, à la longue, étaient devenus, pour nous, de véritables intrus...
 
— Et, insista Paul Dumoustier, en clignant de l'œil vers le capitaine, c'est précisément ce qu'à l'heure actuelle les Rouennais pensent des Britanniques installés dans leur ville.
 
J'esquissai un geste vague, de ces gestes à la normande qui ne veulent dire ni oui, ni non..

C'est qu'en vérité, j'étais fort embarrassé.

En dépit de la bonne grâce avec laquelle mes deux amis m'avaient parlé, je craignais de les froisser en leur confessant que les sentiments qu'ils prêtaient à la population rouennaise étaient réels, tout au moins dans une certaine mesure.
 
Non, pas certes, que les habitants de la vieille capitale normande considèrent comme des « intrus » les vaillants Alliés qui sont venus en France combattre, aux côtés de nos admirables poilus, pour la cause du Droit et de la Liberté.
 
Une telle pensée serait choquante et je puis affirmer -qu'elle n'est ni dans l'esprit ni dans le cœur d'aucun de mes braves concitoyens.
 
La vérité — et on peut l'avouer — c'est que si les Rouennais n'éprouvent pas trop de regret à l'idée du départ prochain des troupes britanniques, Anglais, Ecossais, Canadiens, Australiens, Néo-Zélandais dont les uniformes khaki ont, quatre années durant, « moutardisé » l'atmosphère de nos rues, ce n'est pas que nous soyons excédés de leur présence parmi nous, c'est parce que cet exode sera indice irréfragable d'une paix définitive et victorieuse.
 
Et puis, tout de même, soyons francs, nous serons contents aussi, comme le disait le jeune sergent canadien Paul Dumoustier (dont je conserverai, pour ma part, ainsi que du capitaine Percy Fergusson, un aimable et durable souvenir) — nous serons contents de nous retrouver entre nous, et d'être rendus à nous-mêmes.
 
Aussi, est-ce, en toute sincérité, et sans ironie que, lorsque nous quitterons nos alliés, nos hôtes de guerre, nous leur dirons, en les saluant d'un geste cordial : Au revoir, braves amis, au revoir... et merci !

Henry BRIDOUX.


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FIGURES NORMANDES
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M. Henri Vermont

Président de l'Emulation chrétienne de Rouen,
Membre du Conseil supérieur de la Mutualité,
Vice-Président de la Fédération nationale de la
Mutualité française.
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Henri Vermont (1836-19..)
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Henri Vermont est une personnalité française, on pourrait dire universelle dans le monde de la mutualité ; mais c'est aussi une personnalité normande, fidèle à la petite patrie qu'il honore, et gardant de cette origine normande certains traits particulièrement caractéristiques.

Sa vie. — La vie de M. Vermont, déjà longue, est aussi singulièrement bien remplie. Né à Rouen, le 20 janvier 1836, il se fit inscrire au barreau de cette ville en 1860. Il fit au Palais des débuts brillants en cour d'assises, et un avenir d'orateur judiciaire s'ouvrait devant lui.
 
Cependant, en 1871, il n'hésita pas à compromettre cet avenir, pour présider et, on peut le dire, ressusciter, orienter vers de vastes destinées la Société de Secours mutuels, l'Emulation Chrétienne, grâce à lui, universellement connue.
 
Le souci de son intérêt et même de sa sécurité n'a jamais troublé cet apôtre de la prévoyance. Cette même année 1871, au moment où les Prussiens organisaient une revue sensationnelle et, avec leur tact habituel, y conviaient les Rouennais, M. Vermont, au passage du prince royal de Prusse et de son état-major, n'hésita pas à escalader le socle de la statue de Boïeldieu, sur les quais, pour la voiler d'un crêpe de protestation.
 
La vie de M. Vermont se confond dès lors avec la vie de son ouvre et de la mutualité française elle-même.
 
Vice-président des Congrès mutualistes de Rouen (1882), de Marseille (1886), du Havre (1887), de Philippeville (1890), de Bordeaux (1892), de Paris (1890), de Saint-Etienne (1895), de Saintes (1897), de Reims (1899), il a été rapporteur de commission dans ces mêmes Congrès.
 
Par la parole, dans d'innombrables conférences, par des mémoires au Parlement, par des articles de journaux, des brochures et des livres, M. Vermont n'a jamais cessé de plaider la cause de la mutualité, de la faire estimer et aider par l'Etat, tout en la défendant avec énergie contre une protection qui deviendrait une tutelle fâcheuse.
 
Il faudrait des pages pour énumérer toutes ses œuvres. Citons seulement un peu au hasard : La question sociale (1880) ; Les retraites des travailleurs et les Sociétés de Secours mutuels (1882) ; La liberté d'enseignement (1882) ; De l'admission des femmes dans les Sociétés de Secours mutuels (1884) ; De l'obligation en matière de prévoyance (1899) ; La Mutualité française (1890) ; Des pensions de retraites, du fonds commun et du livret individuel (1890) ; Des retraites ouvrières
(1891) ; La loi des accidents du travail (1888) ; Le projet de loi contre les Sociétés de Secours mutuels (1895).
 
Cette dernière brochure résumait treize années d'une lutte ardente, convaincue et qui n'est pas finie, pour la liberté de la mutualité et contre la conception étatique et païenne de la prévoyance obligatoire.
 
M. Vermont est membre de l'Académie de Rouen et du Conseil supérieur de la mutualité où il joue un rôle extrêmement actif, ne laissant échapper aucune occasion d'exposer et de défendre ses théories très nettes, très précises et qu'il sait ramasser d'une phrase alerte en une heureuse formule. Toute la vie de M. Vermont, à part une action toujours utile et avisée dans les luttes pour la liberté religieuse et pour les grandes idées de tolérance, est la vie d'un mutualiste. Celle-ci est longue, elle vient d'entrer dans sa 84e année, et il n'y paraît pas.
 
L'homme. — En effet, M. Vermont, à 84 ans, n'a rien d'un vieillard ; sauf la vue qui a baissé, on dirait, à l'apercevoir, un homme en pleine maturité. La parole est aisée, alerte, savoureuse, le geste vif, suivant l'envol de la pensée et se déclenchant comme d'un bond pour fondre sur l'objection. La démarche est d'un jeune homme, le pas large, assuré, sans une hésitation ; les mouvements d'une souplesse incroyable. M. Vermont, à 80 ans, escalade d'un saut une chaise ou même une table, en réunion publique, pour s'en faire une tribune improvisée. Svelte, élancé, c'est une dextérité dont on ne revient pas, quelque chose de félin, sans aucune raideur des muscles, sans le moindre tremblement de la main ; tous les mouvements s'adaptent, avec seulement quelques saccades d'impatience, mais qui ne dénotent aucun déséquilibre de l'ensemble. Le sourcil se fronce, le bras se lève, la lèvre frémit, le pied avance, au service exact d'une pensée toujours active.

L'orateur. — Car c'est bien d'un homme comme M. Vermont qu'on peut dire qu'une âme guerrière reste toujours maîtresse du corps qu'elle anime. Il y a, en effet, toujours quelque chose d'un peu belliqueux dans l'allure générale. M. Vermont n'est pas un violent ni un sectaire, toute sa vie et toute son oeuvre prouvent le contraire ; mais c'est volontiers un combatif, c'est à coup sûr un militant.

De conviction profonde et d'une absolue sincérité, incapable de la moindre dissimulation, M. Vermont a une âme mue par un idéal puissant et précis.
 
Un auteur qui le connaît bien, M. Marin-Thibault, l'a défini : « Athénien pour la forme, au fond gaulois, c'est un Normand au verbe méridional. »

C'est vrai, l'expression est impeccable, le débit est quelquefois un peu précipité sous l'afflux des pensées, mais le mot qui enlève les applaudissements et qui met les rieurs du bon côté ne lui manque jamais. La bataille excite sa verve ; aussi, il excelle dans la riposte. Ceux qui l'attaquent se sentent cloués d'un mot preste, vif et ils y restent. Pas la moindre gaucherie dans le discours, pas plus que dans la démarche, pas de timidité dans les mots ni dans le geste. Que de fois des salles mal disposées ont été soulevées par cette verve qu'on dit méridionale, mais qui, chez M. Vermont, est surtout l'apanage d'une persistante et extraordinaire jeunesse.
 
Et quelle sincérité ! Pas la moindre attitude, pas la moindre pose, rien du démagogue ; mais rien non plus du prêcheur. Ce catholique fervent, d'une foi admirable et sereine, est le contraire d'un clérical ; nul ne revendique plus crânement que lui les indépendances nécessaires, nul ne fait moins le jeu des réactionnaires. L'Evangile appliqué est la source de ses vastes audaces.

M. Vermont déconcerte ainsi certains de ses amis personnels, mais il ne s'en, émeut pas ; il n'atténue rien, il continue le bon combat pour la liberté et la tolérance.
 
Un tel homme occupe-t-il la place qu'il mériterait ? On peut dire : non. Nul n'est prophète dans son pays, mais la postérité, comme dit l'autre, commence aux frontières, aux frontières de la cité comme aux frontières de l'Etat.
 
Si M. Vermont ne siège pas au Parlement comme député d'un pays de prévoyance, s'il n'a pas vu sa boutonnière rougir du ruban de la Légion d'honneur, il est au moins récompensé par sa notoriété universelle et d'un aloi incontesté dans l'univers mutualiste.
 
Le Mutualiste. — L'Emulation Chrétienne. C'est cette œuvre mutualiste qu'il convient de faire maintenant apprécier en présentant la Société l'Emulation Chrétienne, qui est comme le champ d'expérience de cette admirable sociologue normand.
 
L'Emulation Chrétienne a été fondée le 2 décembre 1849, dans la Sacristie de l'église Saint-Vivien ; par sept ouvriers, sur l'initiative d'un sellier, M. Carpentier, et au capital de sept sous.

Trois ans après, elle comptait 3.000 adhérents et on vendait à Rouen des faïences à ses emblèmes ; mais ce succès ne se maintint pas. M. Carpentier, en butte à la calomnie, démissionna en 1855 et, après deux ans d'intérim, fut remplacé à la présidence par M. Allard, notaire, puis par M. Edouard Leroy, instituteur. Ces honorables présidents ne purent empêcher la décadence qui s'accéléra.
 
A la fin de 1871, la Société n'avait plus que 2.160 membres. C'est à ce moment de crise presque mortelle que M. Vermont, jeune avocat, fut appelé à la présidence.
 
Ce qu'il y fit est merveilleux de hardiesse et de cohésion. Entrons dans quelques détails intéressants.

Le fonctionnement de la Société est assuré par un conseil d'administration de cinquante participants avec un président et deux vice-présidents.
 
L'âge d'admission des membres est fixé de neuf à trente-cinq ans pour les femmes et de neuf à quarante ans pour les hommes. Le droit d'entrée, progressif suivant l'âge, est de 50 centimes pour les enfants, de 1 franc pour les adolescents et peut s'élever jusqu'à 20 francs. Les cotisations sont de 9 francs à neuf ans ; elles augmentent de trois francs par périodes triennales, jusqu'à dix-huit ans, époque à partir de laquelle elles sont de 18, 24, 30 francs pour les femmes et de 18 fr. 60, 21 fr. 80, et 30 francs pour les hommes. ,
 
Les femmes en couches reçoivent un secours en argent de 25 à 50 francs, les médicaments leur sont dus ; elles reçoivent de plus une allocation de 28 francs si elles gardent un repos de vingt-huit jours après leurs couches.
 
Les hommes ont, pendant une année, droit à une indemnité quotidienne de 2 francs, 1 fr. 50 et 1 franc, suivant leur cotisation. L'indemnité continue ensuite jusqu'au bout de la maladie au moyen d'une réassurance.
 
L'Emulation Chrétienne a aussi organisé la mise en subsistance pour le cas où le sociétaire est appelé à laisser Rouen.
 
Une des initiatives les plus originales et les plus éducatives de l'Emulation Chrétienne, a été la création des prêts d'honneur, création qui remonte à 1896 et qui n'a donné que d'excellents résultats puisque la Société, à peu près sans rien perdre, a pu prêter jusqu'à 90.000 fr. à d'honnêtes travailleurs momentanément dans le besoin.
 
Pour les retraites, la Société a dû tâtonner quelque temps avant de les asseoir avec sécurité jusqu'à concurrence de 300 francs.
 
L'Emulation Chrétienne, grâce à sa bonne organisation technique, grâce à l'activité de son président et à la confiante sympathie qu'il inspire, a reçu quantité de dons volontaires et, en 1903, elle pouvait fêter son premier million d'économies.
 
Une telle œuvre fait honneur à celui qui, depuis bientôt cinquante ans, la préside et lui imprime une orientation si heureuse.
 
L'Emulation Chrétienne, malgré son titre, n'est point une société confessionnelle ; elle s'adresse à tous et tous y viennent. Son président n'en fait pas un moyen de prosélytisme indiscret.
 
Conclusion. — M. Vermont, partisan de la liberté envers l'Etat, est également partisan de la liberté de conscience. Catholique pour lui-même, il ne prêche que par l'exemple, par la netteté de son caractère, la franchise de ses allures et sa perpétuelle bonne humeur. Cet entrain juvénile lui a permis de supporter et de surmonter des difficultés douloureuses, mais inévitables pour quiconque s'occupe d'œuvres sociales.
 
M. Vermont est certainement un des types les plus vivants, les plus sympathiques, les plus caractéristiques de la Normandie ; pratique et hardi tout ensemble, il a rendu à la France entière, dans l'ordre de la mutualité, des services éminents. La Normandie le revendique, non pour restreindre son action, mais pour s'en glorifier.

Edward MONTIER,
De l'Académie de Rouen.


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Dits et Devis
sur « L'Arc d'Ulysse »
de Charles-Théophile FÉRET

L'Arc d'Ulysse de Charles -Th. Féret
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« Qu'il y a de choses bonnes à côté de celles que nous aimons !
Il faut faire place en nous pour un certain contraire. »
(Cahiers de SAINTE-BEUVE.)

 
 Quelle colère, Philémon, tempête en vous contre moi ?

 — Rien. Sur votre conseil, et malgré de justes préventions, j'ai acheté L'Arc d'Ulysse. Je l'ai lu en courant, sans y trouver le plaisir promis. C'est un mauvais, un triste, un méchant livre.
 
— Diable, Philémon ! La couverture plume de paon, si originale dans ses ondulations ocellées, les trois images qui sont de Chapront, Aider et Calbet, ne vous ont donc point amusé ? Les caractères seraient-ils trop fins pour votre myopie ? Ne sauriez-vous trouver bons des vers imprimés sur papier de guerre ? Peut-être vous a-t-il manqué une préface qui, vous racontant le livre, vous eût dispensé de le découvrir ?

— Vous vous moquez, Philéas ! C'est l'œuvre qui me chagrine. Ni poésie, ni attrait, ni charme. De l'obscurité, de l'obscénité, de l'étrange...
 
— Oui, je sais, vous demandez à tous les poètes de vous rappeler le bon Lamartine. Ou, comme dit Anatole France, si vous aimez la poésie, il ne vous en faut pas trop, et vous la dispensez d'être poétique. Surtout, pour faire comme tout le monde aujourd'hui, vous n'y souffrez point l'intelligence. Vous ne savez pas lire les poètes...

— Apprenez-moi...

— Il faut aller à eux avec une grande sympathie, un grand désir d'être conquis. Il faut ne leur demander que ce qu'ils veulent vous offrir, les laisser vous prendre par la main, vous mener où il leur plaît, fût-ce au diable, et admirer avec eux

— Aveuglément !...

— Si vous pouvez admirer... Si vous les suivez avec le secret désir de les trouver en défaut, de vous affronter à eux, d'opposer aux leurs vos goûts, vos opinions et vos sentiments, laissez-les plutôt tranquilles. Vous souffrirez ; eux aussi. Tous les poètes ont droit à cet abandon de nous-mêmes, et M. Rostand n'aurait su toujours s'en passer. Laissez an critique le souci d'être clairvoyant. Mais il se prive de bien des plaisirs.

— Mais, d'abord, qui est-ce, Féret ? Barbey disait : « Les oeuvres et les' hommes » ; Sainte-Beuve était curieux de physionomies, et M. Taine, je crois...
 
— Que vous faut-il donc, Philémon ? Un portrait ? En voici un que je fis naguère ...Imaginez un homme court, solidement et fermement charpenté, aux muscles d'acier, puissants de chair nerveuse et drue, qu'une sobriété sans défaillance fera vivre jusqu'à cent ans et sur ce tronc d'athlète, un visage sculptural, aux traits nets et accentués ; un menton proéminent, le rude menton de galoche de nos paysans, laissant deviner une mâchoire féroce faite pour déchirer la chair et broyer les os ; un nez qui....
 
— Oui. Mon large nez... hume les Livarots. J'ai lu ça, ou à peu près, dans L'Arc...
 
— Et, derrière le clair lorgnon, des yeux perçants, incisifs, fouilleurs, scruteurs et lucides ; un regard qui entre en aiguillon au fond du vôtre et fait craindre à la jolie femme — en dépit d'un poil maintenant poivre et sel — un assaut terrible et victorieux à sa vertu ; un regard de Maître Inquisiteur et de Centaure..., brillant d'une tendresse heureuse quand l'amitié sourit au cœur...
 
— Continuez, je vous en prie...
 
— Quoi encore ? — Nous sortîmes ensemble un soir dans Paris, mais Féret était vêtu comme vous et moi ; il n'avait ni chapeau à la mousquetaire, ni gilet rouge à la Gautier ; et personne ne criait. : « Vive Féret ! » sur notre passage. Seules, nous souriaient quelques belles filles en quête d'aventure. Féret n'aime pas qu'on regarde à travers ses vitres.

— Dommage....
 
— Ah ! n'admirer l'homme qu'autant qu'il se singularise, qu'il vous ouvre sa porte et vous laisse fouiller jusqu'en l'alcôve ! La toque d'Anatole France, les guêtres rouges de Richepin, le portrait japonais de Jules Lemaître ! Féret se cache ; et je sais bien qu'il a tort ! — Pourtant....
 
— Ah ! vous y venez !

— Non : c'est dans L'Arc ! Ce bibliophile a des recettes merveilleuses, des secrets miraculeux pour... remettre à neuf les livres graisseux, flétris, piqués, mangés des vers....

— L'aiguille, le pinceau, le grattoir et l'éponge...
La reliure a pris un beau ton ivoirin...


Tout ça, c'est donc vrai ?
 
— Vous voulez connaître Féret ? Lisez L'Arc ! Tout poème y est fruit de circonstances, de moments vécus. C'est pour ça que c'est si bien, si attirant, malgré les défauts. Féret a perdu des vers ? Un sonnet ! Un poète lui a fait des confidences ? Il en tire un Premier livre. Fleuret est en exil, et tarde ? Voici les Vers à Favone. Féret se repose à la campagne ? Et c'est Dimanche d'août. Comme Lamartine pour ses Méditations, il pourrait conter l'histoire de ses vers, en note. Mais on ne s'étale plus ainsi.
 
— Moi qui croyais qu'un poète...
 
 — Peut s'asseoir à sa table et dire : Je chantai Diane hier, chantons Bacchus aujourd'hui !
 
— Mais, son caractère ? on en dit tant de mal, dans les parlotes littéraires de..., et d'ailleurs...
 
— Au dire d'un jeune poète de nos amis, il ne saurait être pire que le mien (1). Mais voyez mon Epître à Tircis :

Féret, coeur frémissant, partial et sincère,
De l'un fait son ami, de l'autre un adversaire
Et lit avec des yeux prévenus ou ravis.
Sa dent dure a brisé mainte flûte légère...


Dix ans de correspondance suivie ; une amitié littéraire fervente qui, malgré la diversité, l'opposition sans cesse croissante de nos tempéraments (il n'a pas changé, lui, mais j'ai pris conscience de moi-même), s'est montrée, dans le privé, solide et sûre....
 
— Ne le criez pas trop haut, Philéas....
 
— Que voulez-vous dire ? J'étais hier un enfant. Je me sens maintenant un homme. Féret peut dire avant tous : J'y ai aidé !

— Soit. Mais cette « conscience de vous ! » Deux ténors dans le chœur normand (1). Vous le gênez ! Il vous gênera !

— Méchant Philémon. Ténor ne suis, ni ne peux être. Et la Normandie, qui a la piété de Féret, me semble bien la mère — ou l'aïeule — de cette Normandie qui aura tantôt mes amours. Mais j'ai aimé l'autre avec lui, par lui, et je lui garde ma tendresse, comme le fils qui se marie continue d'aimer sa mère... Et malgré nos âmes différentes, toujours nous unira, Féret, et moi, et tant d'autres,, le culte fervent de l'art, le seul dieu

Qui réponde par des miracles aux humains.

(un vers de Féret que vous ne savez pas encore !) Notre Dieu, à nous, poètes, c'est la Beauté. Nous la comprenons mal, peut-être, et différemment, et nous allons-vers elle en trébuchant. Mais que nous y parvenions ou non, nous sommes « des volontés tendues, des cœurs ardents, des flèches lancées »... Et nous gravissons la double colline, les genoux meurtris et les mains en sang.
 
— Flamboie donc, orgueil du Poète !
 
— Comme c'est joli, pense un autre, cette présomption immortelle ! Allez, ne nous raillez point. Nous sommes plus malheureux que vous, parce que plus passionnés. Vous pouvez servir deux maîtres. Nous pas.

L'art est un dieu jaloux qui ne partage point.

— Mais Féret n'y croit pas, à votre amitié !

Par le poison de l'or et l'ongle du désir
L'amour ne fait jamais que tuer ce qu'il aimé...


— Las ! Ces vers sont fruits d'expérience, dure et amère 1 Mais n'y a entre nous or ni envie. Le Parnasse est à ceux qui savent en gravir les pentes. Et, le verger des Muses normandes, après tant d'ombres accueillies, est ouvert à des hôtes nouveaux... — Venons-en à L'Arc. A la page où, d'ordinaire, un auteur nous remémore son passé et nous confie ses projets, Féret nous promet un roman, Présences secrètes ; Les Contes de Quillebeuf et du Roumois, et une Normandie exaltée, en partie nouvelle. Pour parler de l'homme, du caractère, des doctrines, de l'œuvre, attendons. Mais les pièces de L'Arc datent de 1884 à 1915 ; je peux, sans avoir trop à me corriger plus tard, en étudier l'art avec vous.
 
— Il ne vaut rien, Philéas. Souvenez-vous donc :

Moi, barbare danois des îles Far-oer…
   
« Il parle une langue de Scanie, votre poète, faite pour lutter contre le fracas des avalanches et le hurlement de la mer. »

— Vous récitez bien, Philémon. A me faire grincer des dents. Mais ces vers ne sont point dans L'Arc, et vous trichez. Et que nous sommes injustes, quand nous n'y prenons point garde ! Hier, parce que j'ai noté dans L'Arc deux vers sans harmonie :

Demain, te confrontant à tes traits d'autrefois
De douze gens, j'habite en même temps la peau...


(tantatestraits ; je-jan-ja...), je me suis hâté d'écrire : Féret, un très médiocre musicien...

— Les premiers sentiments sont les plus...
 
— Et les jugements hâtifs les plus sujets à erreur. Pour deux défaillances, condamner tant de beautés ! Mais si Féret chante rauquement, aux endroits choisis, parce qu'il le faut et qu'il le veut, plus souvent aussi, il

Chante comme le vent sur l'orgue des roseaux.

Par lui,

... la Cambrie
Se lamente au frisson de ses bouleaux légers ;


le jardin de Vard est plein d'abeilles

Dont le peuple guerrier bruit comme des dards ;

et le calme s'épand

Sur la colline douce et le toit endormi.

Féret est maître de ses airs ; criant ici, soupirant là, il accorde et il harmonise, mais le timbre de sa voix, inattendu, n'est pas plus que le nôtre à tous, soumis à sa volonté. Sa poésie est un beau chant sur un instrument sonore, mais étrange. Mais il est si maître doses airs, vous le savez, qu'il a des dons d'ubiquiste...

— Toute la Compagnie en un seul...

— Oui, et si grands que naguère, m'étant permis d'affirmer que des vers où il évoquait Verlaine n'étaient pas aussi mélodieux que ceux du pauvre Lélian, je m'attirai du bon critique Jean d'Armor,... un aimable, mais très ferme démenti... Féret peut chanter comme Marie de France, Mlle de La Vigne ou Sonnet de Courval ; et avec leur vocabulaire, car il est, nul ne le conteste, un savant, un érudit, un « Apollonnien fou de mots »...
 
— Mais leur timbre...
 
— Est si usé que Féret leur substitue le sien sans désavantage... Mais voyez le Sonnet sur mon prénom, de Théophile. Féret s'y réclame, en art, du Gautier d'Emaux et Camées :

Sous lui, j'ai peint, serti, cuit l'émail, et sculpté.

Un tort de Féret — si c'en est un — est d' avoir  poussé à l'extrême, de s'être appliqué de force les théories de Gautier, qui ne voyait dans l'artiste qu'un ouvrier très habile, d'un genre supérieur, certes, mais un ouvrier comme les autres. Dans ses vers, Féret semble ne rien laisser au hasard. Il n'a pas la Muse heureuse à qui tout réussit sans effort ; sa poésie n'est point la rivière qui coule, fluide, entre des rives verdoyantes, sous un ciel largement fenêtré d'azur, c'est-à-dire la seule que vous supportiez, Philémon, parce que...
 
— Parce que la plus naturelle...

— Et la plus facile. J'écrivais hier : « L'art de Féret sent le roc et le granit, qui, jamais ne sont lustrés, vernis ou cirés, mais qui conservent à travers les temps et jusqu'en leurs sables une inaltérable dureté. » Disons mieux. Féret est, dans l'ensemble, un musicien qui s'applique, un peintre qui étale des couleurs, un imagier qui trace d'un crayon ferme un trait exact, un sculpteur qui modèle dans la glaise des formes au dur relief. Il tire de l'harmonie imitative des effets étranges. C'est que pour lui, l'Art, le Beau, « c'est la nuance, l'exceptionnel, le geste arrêté dans sa plus belle pose... » ; ce n'est pas le général, qui n'est que votre banalité. Il en arrive à être compliqué, torturé, obscur. Certes, le trop de clarté a ses inconvénients

— Jamais de l'homme un dieu n'a montré son visage...

— Mais il ne faut rien exagérer... Il fait violence à son libre et capricieux génie, pour se voir plus beau. Il s'habille.

— D'autres vont nus...
 
— Les amoureux de la ligne pure ! D'autres se parent de bijoux, ou s'enguirlandent de fleurs... Il lui faut, à lui, des teintes vives, des nuances...

— « Il faut savoir risquer des couleurs sur son aile ! »

— Merle ! Et tous les chemins qui montent vont à la beauté ! Suivons Féret sur le sien. Mots heurtés et rimes barbares ? Il les a voulus.

— Pour étonner.

— Non, mais vous vous en êtes étonnés ! Hier, il nous faisait de Vard un

Anachréon sculpté comme un dieu des jardins.

Voici aujourd'hui son rire :

Un rire rauque, aigu comme un hennissement.

Evoque-t-il une beauté d'antan ?

Et tout l'harmonieux second Empire est là
Dans cette chute des épaules.


Admirez, dans .cette servante bien en chair,

Les beaux flancs faits pour la luxure et les yeux chastes
Et ce balancement sensuel des vaisseaux
Que leur château-d'arrière assied bien sur les eaux !


Des nuages courent-ils en un ciel nocturne :

Voici le doux hameau qui revient de la guerre
Dans la Flandre assoupie ;
Et la lune rassemble à sa lanterne claire
Ses moutons de charpie.


La brise murmure-t-elle dans la feuillée,

Le vent sur les feuilles du tremble,
Ce matin,
A pile -ou face, joue il semble,
Nos destins.


Si l'homme préhistorique

Tend les bras vers le ciel aux fentes des brouillards
Où cuit la venaison saignante de l'aurore,


nos jeunes filles perdent leur temps

A regarder couler leur fraîche destinée....

Et bien qu'il sache autant qu'un autre

Que l'art avec ses choix très tendres purifie
La nature,


je vous accorde que parfois ce qui semble harmonieux à Féret, faune épris de tous les bruits, le rire rauque, le hennissement des étalons, le fracas des vagues, peut ne pas l'être pour nous, prudes et prudents. Nous supportons les sons durs, les bruits heurtés ; mais nous en évitons le supplice à nos oreilles ; et nous ne les souffrons pas dans les vers, pas plus que des images de squale ou de vampire... L'excessif...
 
— Oui, l'ombre des plis sur la robe étincelante de la vie nous fait peur. « Les délicats sont malheureux... s
 
— Mais ce manque à nous plaire, ces outrances (rares, mais sensibles) ne sont chez lui qu'un aveu, une révélation de soi-même, parmi tant d'autres...
 
— Curieux, curieux ! Dommage que de l'homme vous ne montriez qu'un bout d'oreille ! Mais ces vers de onze pieds, ces alexandrins coupés à la septième syllabe ? Préciosité, mandarinades ou grand art ?
 
— Pour deux pièces ! Paresseux Philémon ! Vous ne souffrez rien qui ne flatte en vous l'habitude. La nouveauté vous fait peur. Ainsi l'enfant timide aux lisières de la forêt. Il y a sans doute de verts gazons, des ombres douces, de tendres fleurs, des brises charmantes et des clairières merveilleuses. Mais il y a peut-être le loup. Et il reste, sage, au soleil aride du grand chemin. Et pendant ce, un autre va, naïf ou hardi, et fait sa moisson, dût-il rencontrer l'abîme et y choir...

— Quittez les cimes, Philéas !

 — C'est devant l'inconnu qu'est grande la secousse !
 
— Philéas, revenez au sol !

— Je vous l'ai conté naguère :

Le vers est muscle, et nerf, et corps bien charpenté.

Des rythmes disciplinés comme ceux de Féret sont plus qu'acceptables ; ils sont classiques, quoique neufs, et plaisants, parce que subtils....

Plaise aux amants, | l'arc argenté de Di-ane... ;
L'hiver, | qui durcit le cœur, | qui durcit les mares...

 
Vers de onze pieds ? Je ne l'ai su qu'en y regardant. — Et que ces rythmes sautillants ont de charme en la circonstance ! Ces coupes me sont familières, mais nouvelles, et c'est ma raison, et votre excuse. J'ai été plus loin que Féret :

Vers de quatorze pieds, je vous raillais sans vous connaître,
Et n'osais pas vous lire, ayant peur de vous trouver beaux...


— Des alexandrins à rallonge...

— N'y voyez que cela si vous voulez. Mais ces efforts vers des formes neuves, aux disciplines fermes, claires, logiques et simples, auront toujours ma sympathie. Elles seules sauveront l'art de la pauvreté où le maintiennent les ultra-classiques, et nous garderont de l'anarchie dont le verlibrisme, dans sa forme moderne, peut vous sembler un timide essai. Et je vous dirai que si Féret use de l'hiatus, c'est que la poésie est chant ; et que si on y tolère : Ils sont infatués d'eux-mêmes, il n'y a pas de raison logique pour ne pas dire à une femme : Tu es belle ! Féret a évolué quant à ses rimes ? Mais la rime est pour l'oreille ; et les finales s ou nt qui ne dérangent pas la musique, ne sont pas à considérer...

— Vous vous gardez de ces hardiesses !
 
— Je m'en expliquerai demain (2), Vous, vous regardez, pour juger d'une œuvre, si les rimes sont riches, et si la césure est au milieu de l'alexandrin. Le collège vous a appris Boileau ; il est votre pierre de touche. L'eau a coulé sous les ponts, depuis. Mais écoutez donc :

Ma Rime — Ondine dans le vent qui vire et valse —
Fluteau parmi les joncs, clairon sur la mer vaste,
Chuchote en la feuillée et pleure dans la vasque...


A notre néant d'orgueil
Siérait tant la mort des fleurs ;
Abdiquer, tout bas, sans leurre,
Au gré du vent qui nous cueille...


— Quelles musiques suaves, Philémon !

— Suaves, suaves    Ah ! les Marseillaises de Victor Hugo ! Ça, ça vous faisait marcher au pas !
 
— Fracas, stridences, sonorités, flûtes, ruisseaux, abeilles ou brises, soupirs ou plaintes, ce chant est tous les sons et tous les bruits. Mais ; ça ne suffit pas pour qu'on l'aime. L'amour se donne, en dehors des qualités qu'on a. Et la gloire aussi !
 
— Riquet à la Houppe !(3) Mais les Flèches de L'Arc, Philéas ? Ces satires rageuses, ces coups de massue....
 
— Féret n'assomme qu'en effigie, Philémon. De ses satires, je me délecte sans mauvaises pensées. Impartiales comme des critiques, ces pièces me seraient insipides... Le taureau fonce au rouge ; l'autre, au noir. Pour produire l'émotion d'art, il ose exagérer et être injuste. Mais il suffit que je le sache, pour ne rire des victimes, ni les plaindre. Demain, sans leur faire de condoléances, je choquerai mon verre au leur. Mais que leurs Mannequins reçoivent des coups bien portés, et j'applaudis l'adresse et la force de qui les donne. Vous êtes trop commère de village ; vous ne voyez que le potin et la méchanceté. Les meilleures de ces satires sont celles dont je n'ai point la clef.
 
— Gare aux ennemis, Philéas ! Mais ces poèmes licencieux...
 
— L'Art, qui me justifie les satires, me justifie aussi ces poèmes, et les interdit aux simples. Certes, chez Féret, qui se reconnaît
 
Un grand rire de bouc, sacrilège et salace,

il y avait naguère du Centaure :

Le viol, sous les torches brandies,
Sema ma race……………………………………

   
Le voici faune concupiscent et sensuel ; et sous le masque du satire apparaît parfois un Silène. Cet Alceste, me dit-on, est quelquefois un Rabelais. Alors, je regrette une ou deux pièces, pour la robe... Que n'a-t-il fait des Vers pour les Servantes et de quelques Compliments un recueil à part ! Vous l'auriez lu en cachette, et pu dire de celui-ci : C'est un bon livre ! Mais Féret en fera-t-il un, un bon livre, sans taches ?
 
— Bravo, bravo, Philéas ?

— Oui, votre superstition de la Moralité se rencontre ici avec mon goût de l'ordre et de l'harmonie en toutes choses. Ces vers licencieux ne me semblent pas ici à leur place. Vous, vous ne les trouverez à leur place nulle part... Nos Muses, pour vous, ne doivent être femmes que comme les sirènes, jusqu'au nombril.
 
— Trop de franchise, Philéas, gâte en vous le parfait Normand. Et cet amour maladif pour les Poètes maudits, les Ratés et les Impuissants ?
 
— La crudité verbale de Féret n'est rien auprès de la sécheresse de votre cœur. Ces Villon, Théophile, Saint-Amant, Glatigny, Vard, qu'en savez-vous ? La vie, racontée par le menu, pour vous amuser, bassement, par des critiques qui n'avaient pas toujours sous la main de grands hommes à leur convenance. Mais quel cœur battait sous leurs oripeaux, peu vous importe. C'est ce cœur, à défaut d'une œuvre imparfaite, que Féret a chanté, sublimifié, inventé peut-être, pareil au sien ! Tâche ingrate, garder les ombres de mourir !

Ne regarde donc point son œuvre, mais son âme,

dit-il en parlant de Vard ; et de

Ceux qui marchent sans voir par la rue importune
Ou collent aux carreaux leurs yeux comme deux lunes,


il guette,

Quand jaillit leur pauvre secret,
Par quels sanglots
Ils reprochent à Dieu leur génie et leurs fautes.


— Féret est une grande tendresse calomniée, Philémon !

— Le tendre Féret ! Si je m'attendais....
 
— Pas tendre, Féret ! Quelle injure ! Vous confondez douceur de style et tendresse de cœur ! Vous ne pensez qu'à Racine : Le doux, le tendre..., et vous n'imaginez pas que la tendresse puisse se faire violente. Vous vous en tenez aux mois ; et qui n'a pas de cœur en aura pour vous, s'il module doucement et harmonieusement ses airs. Il y a des cris déchirants dans Féret :

J'aurais été plus grand si l'on m'avait aimé !

Et reconnaissez qu'il y a au moins une magnifique tendresse filiale ! Depuis La Maison maternelle :

Mon âme en un balbutiement
A ses pauvres pieds exhalée
Je gémirais : Maman ! maman !


jusqu'à Ma mère adoptive :

Viens me voir cette nuit, maman, que dans un songe
Tout le bonheur brisé par la mort se prolonge

en passant par Maître Villon :

Maman ! maman ! seul vrai cri de l'humaine détresse. Sanglot et reflux vers sa source du sang qu'on précipite. Maman ! »

— Le cri de nos pauvres soldats....

— Comme vous vous étonnerez un jour ! Il n'a semblé parfois haïr que parce qu'il n'a pas rencontré...

— Le bout de l'oreille, Philéas ! Quel rang...

— Attendez l'œuvre complète.

— Mais encore...

— Le plus fin s'y trompe. Si, dans 200 ans, Rostand est quelque chose dans la mémoire des hommes, comme… aujourd'hui..., le bon.... Regnard....

— Mais non. Pourtant, soyez sûr que Féret se débattra farouchement contre l'oubli. Que de pièces de L'Arc méritent mieux que le sonnet d'Arvers !

— La gloire injuste
Paya quatorze vers médiocres d'un buste...


— Quelles pièces, Philéas ?

— Ecoutez Philémon, terrible ! Du livre nul de vos quarante-ans, je tirerai la pire pièce, pour faire besogne de bourreau. Du livre inégal d'un adolescent, je dirai les plus belles pages, pour le faire aimer.

— De l'enfant attends l'homme, et du bloc lourd le vase.

— Oui. Et dans un beau livre, je chercherai celles qui sont, non les plus belles absolument, mais les plus chères à mon cœur.

— Le cœur a ses raisons...

— ...ses faiblesses et ses partis pris. Ici, quelques strophes de La Muse de Villon, les deux premiers poèmes de Aux miens, l'Ode pour reprendre une dédicace, le Rossignol... Et voici un Regret de Normandie que je mets au-dessus de tout.
 
Savez-vous, qu'au temps de sa jeunesse, Théophile Gautier consacra presque tout un livre à ressusciter Théophile de Viau ; ce dont le blâma d'ailleurs assez fort le bon Sainte-Beuve ? Coupant-ci, rajustant-là, il en cita des pièces fort présentables. Combien des longues pièces de Féret mériteront le même heureux sort ? Beaucoup ! Et jusqu'à ces satires que les érudits... Soyez sans crainte ; on fera plus de livres sur Féret qu'il n'en a fait sur les autres....

— Vous le premier, Philéas, dès qu'il...
 
— Ou avant, Philémon, car j'attendrais trop ! Je vous dirai demain un sonnet à la... louange de mon aîné, et une épître...

— Le bon défenseur que vous faites !

— Point, Philéas. L'Art se défend seul, par sa divinité même. Dédaigné, il est immortel. Mais les hommes ont besoin qu'on les aide à s'élever jusqu'à lui, car il descend rarement jusqu'à eux. Qui l'infirme, celui qui plane, ou celui qui ne peut s'élever ?
 
— Oui, L'Albatros de Baudelaire, et Les Oiseaux de Passage de Richepin. Pauvres oisons que nous sommes....
 
— Vous avez des lectures, Philémon, que vous prenez pour des lettres, et de l'ironie Par en bas. Mais si vous n'admirez même plus quand on vous crie d'admirer ! Que n'êtes-vous apprenti poète ! Je vous dirais : Gardez L'Arc à votre chevet.... Allons ! Achetez mon Chemin Délaissé. Il vous délassera de L'Arc d'Ulysse.

  — L'églantine après l'orchidée ? Merci ! Critique épineux qui n'offrez point rançon de roses !

— L'ami Campion — un délicieux pince-sans-rire — dit parfois « En fait de bons poètes, il n'y a plus guère que Le Révérend et moi ! Et encore, Le Révérend ! » Ce encore, mon cher Mécène, vous autorise à ne point m'ouvrir votre bourse. Mais, tenez, j'ai ce qu'il vous faut. Achetez un livre de M. Fauchois. Il joue très bien du clairon !

— Rendez-moi mon Arc, Philéas !
 
— Pourquoi ? Lu en courant, su par cœur...

— Pour le revendre, Philéas ! Votre Féret est décidément trop fort pour moi... Mais qui donc, à propos d'un livre où l'ironie elle-même a du poids, vous a permis un ton si léger ?...

— C'est que vous m'égayez, Philémon.

— Adieu, ô « rêve errant » paradoxal, ô trop peu révérend ami. Une mouche semble vous avoir piqué. Mais prenez bien garde aux javelots ! Il suffit d'un, bien lancé, pour vous abattre à jamais….

Janvier 1919.

Gaston LE RÉVÉREND.
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NOTES :
(1) Certaines répliques de Philémon sont « vécues » Leurs auteurs me pardonneront, j'en suis sûr, de les leur emprunter sans les leur rendre...
(2) Et de bien d'autres choses, en étudiant Belphégor, de M. Julien Benda.
(3) Que manque-t-il, de capital, à Féret, qu'il plaît à si peu ! Il a du sentiment, de l'humanité, de l'expérience, de la vie. Mais presque toujours, il fait appel au savoir, à l'érudition, à l'analyse ; il invite à la méditation et au souvenir ; il exige un effort de mémoire, d'évocation, de réflexion presque constant ; il nous voudrait aussi savants que lui... Il ne désaltère point le cœur à notre gré ; il nourrit l'esprit ; et les aliments qu'il lui propose ont des parties... indigestes. Mais, pour qui s'obstine, il a de hautes et délicates récompenses. — Il révolte et violente nos féminités sans s'en faire accepter ni subir ; et son romantisme intellectuel s'oppose au sensitivisme exaspéré des disciples de Henri Bataille, de Bergson, et de tous nos primitifs, intuitifs, émotifs, subjectivistes, panlyriques, et tangotistes à la mode. Refus de se mêler au flot, de s'abandonner au courant, de satisfaire nos vœux les plus chers : impardonnable défaut. Mais un vrai grand défaut, en notre âge où les vertus sont si faciles qu'on les prendrait volontiers pour des tares, a bien, lui aussi, une valeur positive...

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AU FOND DES CAMPAGNES NORMANDES

L'Artiste Archéologue G. Poulain
 
Le charmant village de Saint-Pierre-d'Autils, accroupi au pied d'une colline boisée, semblerait perdu le long de la rive gauche si verdoyante de la Seine, dans ce coin coquet du département de l'Eure qui avoisine Vernon, s'il ne se signalait à l'attention du touriste par son clocher orné d'arcs brisés et de colonnettes du style ogival primaire le plus pur, pesamment recouvert d'une pyramide que l'on aperçoit du goulet à Vernon.
 
En quittant cette ville, au cinquième kilomètre environ, le promeneur est agréablement surpris de rencontrer cette agglomération bien normande aux maisons basses, en cailloux et colombages, entourées de jardins fruitiers, de clos et de vergers, qui semblent dire au visiteur : « Il fait bon vivre ici. »
 
Est-ce séduit par cette ambiance, par le charme du paysage, que l'excellent artiste archéologue Georges Poulain y a fixé définitivement sa demeure ? Je ne saurais le dire. Il pouvait en tout cas plus mal choisir. La région est romantique à souhait. De l'autre côté de l'eau, en effet, apparaît un peu cachée dans la verdure qui l'entoure la façade du château de la Madeleine, qui évoque le souvenir de Casimir Delavigne, et dans le chemin même que nous foulons, dans les sillons où s'enfoncent chevaux et charretiers, des outils préhistoriques, des objets romains et gallo-romains, francs, mérovingiens et du moyen-âge, dorment encore enfouis, attendant le jour où un heureux coup de pioche les exhumera, comme ceux déjà retrouvés précédemment dans la commune.

C'est grâce à cette richesse archéologique du sous-sol que G. Poulain a pu constituer cette intéressante collection qu'il abrite avec amour dans son pittoresque « Ermitage » situé au haut du village, ceint de murs et de haies vives, où son hôte mène une vie d'indépendance et de labeur. Car ce n'est que lorsqu'octobre ramène sous son manteau roux les pluies et les jours sombres que Poulain, les dernières récoltes terminées, rentre dans sa maisonnette au toit de vieilles tuiles drapées de lierre et de roses paresseusement étalées le long des murs de ce petit logis qui semble un décor d'opéra.

L'intérieur en est simple, comme les gens qui l'habitent, mais on pourrait inscrire au fronton de cette demeure ce distique que jadis l'Arioste composa pour la sienne :

Parva sed apta mihi, sed nulli obnoxia, sed non
Sordida : parta meo, sed tamen œre domus.


A l'une des extrémités du bâtiment se trouve le petit musée bien ordonné, bien soigné, enrichi chaque année de nouvelles découvertes, orné d'une énorme cheminée à coquilles sculptées.

Celle-ci porte fièrement la date 1779, inscrite au-dessus de l'âtre noirci par des centaines d'hivers qui ont déposé sur le blason décorant le fond la suie de cent beaux chênes arrachés aux taillis et futaies de Bigy.
 
Il serait mieux de dresser ici le catalogue des objets exposés. Ils embrassent les deux périodes paléos et néolithiques, rappellent le souvenir des stations locales occupées jadis par nos lointains ancêtres comme celle de Mestreville, par exemple, où des fragments importants de squelettes ont été retrouvés. Les épreuves postérieures y sont également représentées, notamment par des mosaïques, poteries, petits bronzes, tuiles et vestiges romains.

Ai-je dit que la plupart des pièces ont été exhumées par G. Poulain dans des fouilles aussi nombreuses que fructueuses, méthodiquement conduites ? Les résultats en ont été consignés par lui dans Le Bulletin de la Société normande d'études préhistoriques et dans Le Bulletin archéologique, publié par le ministère de l'Instruction publique.
 
C'est au sein de cette retraite vraiment poétique et reposante, entouré de ces reliques du passé, dans l'atelier bas, mais clair et très gai, où voisinent livres, ébauches, outils et moulages, que Poulain cisèle ses délicats coffrets gothiques, appréciés des connaisseurs et des amateurs rouennais, voire même anglais, car des gens de goût recherchent ces manifestations d'un art qui restera certainement le plus gracieux et le plus mystérieux de, tous ceux qui ont contribué à embellir la vie de nos pères.

Poulain a la patience du huchier. Il fouille et fignole. Ses lignes, courbes, arcs brisés, roses, flammes, soufflets et manchettes sont impeccables, et c'est au quinzième siècle qu'il emprunte ses modèles.
 
Mais ne se bornant pas au rôle de copiste, il improvise des scènes avec des personnages qui conservent la naïveté du faire des artisans médiévaux. Ses bonshommes restent figés dans des poses hiératiques, qui contribuent à donner un cachet vaguement archaïque à ses charmantes compositions sur bois. Sur les côtés, flancs et couvercles, se déploie la riche dentelle d'ornements caractéristiques du gothique flamboyant.
 
Quelquefois, l'artiste abandonne le coffret pour la représentation du Crucifié du Golgotha, sur lequel il se penche attentif à lui donner l'accent de la douleur. Il s'est également essayé au véritable ogival, mais c'est encore à ses coffrets qu'il faut revenir pour apprécier l'habileté du sculpteur.
 
Poulain aurait pu percer à Paris, tirer parti de son talent. Il a préféré son Ermitage et sa Normandie. Belle leçon de philosophie et de sagesse donnée à de plus turbulents et à de moins sincères. Et c'est pourquoi j'ai plaisir à faire sortir de l'ombre cette curieuse figure, un peu énigmatique d'artiste campagnard, qui s'obstine à demeurer sur la terre natale, dont il retourne l'humus, et fouille les entrailles, ressuscitant enfin ses traditions artistiques, d'une main experte à manier à la fois la bêche, la pioche et le ciseau.

Ed. SPALIKOWSKI.

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La condamnation de Maître Lepileur
 
Maître Lepileur était un honnête homme au même titre que ses concitoyens qui l'avaient élu maire. Il administrait nominalement sa commune de six cents habitants dont toutes les charges retombaient sur l'instituteur secrétaire de mairie, car M. le Maire écrivait péniblement et la grammaire ne lui avait jamais révélé ses secrets. Plus fort en calcul, il additionnait volontiers les grosses pièces dans son bas de laine. Le soir, à la chandelle, quand les domestiques étaient couchés, quand sa femme elle-même ronflait sous les rideaux de reps rouge à ramages noirs, il tirait avec précaution les verrous de la cuisine et ouvrait les portes enfumées de la grande armoire de chêne. Une odeur de lessive se répandait dans l'air épais. Maître Lepileur prenait le magot caché sous une pile de draps jaunes et rugueux, comptait les louis, les faisait sonner, en ajoutait d'autres. Après avoir remis tout en place, il soufflait la chandelle et, s'aidant d'une chaise placée au chevet du lit, montait s'étendre auprès de sa femme sur le matelas haut perché.
 
Dans ce lit, quelques années auparavant, son père était mort, la conscience troublée. Sa confession faite au curé, le bonhomme avait appelé son héritier pour lui confier un secret qui, celui-là, ne devait pas sortir de la famille, même pour tomber dans l'oreille d'un prêtre ; car sait-on jamais quelle réparation pourrait vous imposer le ministre de Dieu ? Le père Lepileur avait nié une dette dont il était parfaitement redevable envers un voisin ; il exprimait le désir de la payer dans la crainte de l'enfer. Le nouveau fermier, solide et jeune, sentant une longue vie devant lui, ne s'émut point, car son âme n'était pas en cause. Son hésitation fut courte. Il se gratta un coup l'oreille et conseilla sagement :

« Tant pis, mon « pé » ! Risquons le paquet !
 
Quel avait été le résultat du risque ? Le vieux fermier ne revint jamais le dire. Son fils ne s'en tracassa point et occupa tranquillement avec son épouse le lit paternel, dans la cuisine où couchent les maîtres.
 
Sa ferme était enfouie dans les terres, loin des routes et des grands chemins. On y accédait par des sentiers boueux dans lesquels, l'hiver, les sabots s'embourbaient. La cour était pleine de fumier. L'eau dégouttait sans cesse du toit de chaume sur le seuil défoncé. A l'intérieur, il faisait sombre, car on avait été avare d'ouvertures ; les poutres et les murs étaient noircis par la fumée ; les marches du large escalier s'affaissaient. A quoi bon faire des réparations ? Depuis des années, les Lepileur avaient respiré là ; l'atmosphère du lieu leur était familière, ils ne s'apercevaient pas du délabrement. D'ailleurs, cela ne gênait en rien la vie de la ferme : les bestiaux s'engraissaient et se vendaient bien, le grain était au sec et l'on buvait aussi bien dans une cuisine fumeuse que dans une salle à manger fraîchement peinte.
 
Maître Lepileur faisait de bonnes affaires. Bien sûr, il n'aurait jamais pris un sou à personne ; mais, tricher n'est pas voler ! Il s'entendait fort bien à garnir le fond d'un wagon de pommes pourries, tandis que des pommes fraîches s'étalent dessus, à glisser quelques bottes de foin avarié dans une charretée de fourrage appétissant ; il savait aussi se débarrasser à des prix avantageux d'une vache malade. Tout cela prouvait qu'il connaissait son métier, puisqu'il y gagnait beaucoup d'argent et n'avait jamais eu de démêlés avec la justice. Il dévoilait parfois ses ruses à ses amis qui lui confiaient les leurs et personne ne lui retirait un pouce de considération.
 
Pendant la guerre, les produits agricoles atteignirent des prix exorbitants. Les paysans, qui n'achetaient à peu près rien, puisque leur exploitation suffisait à les nourrir, firent de gros bénéfices. Le bas de maître Lepileur se gonfla. Hélas ! le son des clairs écus d'autrefois, conservés malgré les appels de l'or, s'amortissait dans des liasses de papier ! Maître Lepileur n'aimait pas bien tous ces billets de banque ; mais il avait fallu s'habituer à les recevoir, puisque la monnaie de métal disparaissait.
 
Le fermier revenait du marché, tout ébaubi lui-même des gains réalisés. Après trois ans de guerre, les prix de vente avaient quadruplé. Il faisait bon cultiver du grain, élever des bestiaux, nourrir des volailles, baratter du beurre ! Et les cochons ! On emmenait à la foire une « cagée » de petits porcs ; on rapportait un billet de mille francs ! Et l'on évoquait les temps d'avant-guerre où l'on abandonnait les petits gorets sur la place publique, faute d'acheteurs... A présent, le métier n'était pas mauvais ; on allait jusqu'à l'avouer entre soi.

Mais on devenait exigeant. Si le prix du beurre s'abaissait une semaine de quelques sous, cela semblait une catastrophe. Maître Lepileur déclarait qu'il n'y avait plus moyen de vivre.

Il lui fallait gagner encore ; toujours, de plus en plus. Ses qualités de fraudeur s'accrurent.
  
L'hiver, les œufs se vendaient fort cher, par malheur les poules pondaient peu. Maître Lepileur, en homme sagace, avait prévu la chose et fait des conserves. Aussi, tandis que pendant la mauvaise saison, ses amis ramassaient à peine une douzaine d'œufs par semaine, notre fermier portait au marché des paniers bien garnis. Le système lui réussit ; il se frottait les mains, content de gagner, content surtout de duper ces maudits « villois », ces feignants qui se promènent la canne à la main, tandis que le paysan peine pour les nourrir.
 
Mais des voisins, méfiants et jaloux, surent bien vite à quoi s'en tenir. Une lettre anonyme dénonça au Parquet l'astucieux compère.
 
Un samedi, sur la place, maître Lepileur avait pris l'alignée des vendeurs derrière la corde. Il tendait son grand panier rempli d'œufs vers lequel s'attroupaient les acheteurs, car la marchandise était rare.

Un agent de police s'approcha :
 
— Combien vos œufs ?
 
— Sept francs !
 
— La pièce ? gouailla le représentant de l'autorité.

— J'aime pas qu'on se foute de moi, grogna le paysan. Vous savez bi que c'est la douzaine !

— Bon ! Je les prends tous.
 
— Dans qui que vous allez les mettre ? Vous avez pas de « pani »....
— Suivez-moi avec le vôtre !
 
Maître Lepileur se sentit pincé. Mais la foule le regardait, hostile déjà. Il comprit que mieux valait ne pas faire de résistance.
 
Les œufs furent saisis, examinés. L'affaire passa devant le tribunal.
 
Maître Lepileur était dans l'état d'âme du renard pris au piège ; sa conscience demeurait sereine, mais son amour-propre souffrait. Le président du tribunal fit appel à son patriotisme et lui démontra que la gravité des circonstances rendait encore plus grave sa faute.
 
— Comment ? s'écria le magistrat dans une belle envolée, vous vous faites voleur, vous qui avez donné vos fils à la Patrie !
 
— D'abord, je les ai pas donnés; on me les a pris, répondit le paysan bourru. Et puis, raison de pus ! Faut bin que je leur en gagne pendant qu'i ne peuvent point le faire.
 
— Songez à leur honte lorsque, dans les tranchées, ces héros apprendront votre condamnation !
 
— Pour seur que ça leur fera point piaisi d'savoir qu'on tourmente leur pé pendant qu'i se font tuer.
 
Le président vit qu'il perdait son temps à sermonner le coupable. Le tribunal rendit son jugement qui condamnait maître Lepileur à trois cents francs d'amende.
 
Alors, le fermier s'émut et, bien poliment, humblement, la voix tremblante, il supplia :

— M'sieu le Président, donnez-moi plutôt de la prison !
 
La justice est impitoyable. M. le Maire dut payer.

Au village, les malins ont calculé que ses œufs lui sont revenus à soixante francs la douzaine. Et, plus d'une fois la semaine, il entend autour de 'lui des propos narquois :
 
— Soixante francs les oeufs ! J'allons faire fortune ! Les villois nous lapideront si ça continue...

Marguerite GENDRIN.

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CONFÉRENCE
Le dimanche 25 mai, dans la salle des fêtes de la mairie du 10e arrondissement, à Paris, matinée organisée par la Société des Normands de Paris et « Normandie » Conférence : La Terre et le Paysan, par notre collaborateur Gaston Demongé (Maît' Arsène), et une partie artistique dont nous publierons le programme dans notre prochain numéro.
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A S. A. R. le Prince de Serbie

Poème dit par Mlle MADELEINE ROCH,
Sociétaire de la Comédie-Française,
sur la scène du théâtre de la Porte-Saint-Martin,
le 7 Février 1919.

«Et tous mirent leur confiance en Alexandre. »
(1er Livre des Macchabées, chp. X, 47.)
     
Regarde, Marko ; tous les Serbes,
Tous les fils de Serbie sont heureux.
La bataille sanglante s'est déroulée
Et nous avons été victorieux :
C'est la revanche de Kossovo.
« Pesmé » de Kossovo.


La France libre admire en Vous un prince libre
Et le digne héritier de grands libérateurs.
O Karageorgevitch, votre nom sacré vibre
Et fait, dans l'univers entier, vibrer les cœurs
Comme celui d'Albert Premier, roi de Belgique
Votre destin fut, comme son destin, tragique
D'abord, puis radieux et rayonnant d'espoir.
Serbes ! même en exil, vous n'avez voulu voir
Jamais, quelle que fût l'épouvante de l'heure,
« Braves gens » qui n'aviez même plus de demeure,
A travers feux, charniers, pillages, ruines noires,
Que le visage éblouissant de vos victoires !

C'est que, depuis toujours, votre invincible race
Sait secouer le joug sanglant de l'oppresseur,
Que votre bisaïeul brava les Turcs en face
Et préféra mourir, restant son défenseur,
A vivre sans vouloir sauver l'Indépendance ;
C'est que tous vos martyrs ont souffert en silence
Pour ne point se soumettre aux lois des Ottomans
Et des Scythes !... Comment les Austro-Allemands,
Connaissant le passé de leurs fières victimes,
Purent-ils concevoir leurs plans illégitimes
Et lancer contre Toi leurs bourreaux pleins de zèle,
Belgique des Balkans, ô Serbie éternelle ?

Quand, comme un océan dont les vagues déferlent,
Leur masse submergea vos rangs à Kossovo
Ils purent espérer revoir, au Champ-des-Merles,
Un roi serbe mourir (1) ...Or, parmi les chevaux,
Les canons, les caissons de l'armée en retraite,
Côtoyant ce ravin, franchissant cette crête,
Votre Père voulait soustraire, avec l'honneur
Du Pays, votre gloire à l'étranger vainqueur.
Il put dompter sa chair, bien que de souffrance ivre,
Il eût, malgré les ans l'héroïsme de vivre !
Ce Roi, Prince, fut Plus que Lazare sublime
Et son chemin d'exil passa de cime en cime

Dans les nuits où la Mort fauchait à pleine lame
Aucun de nous ne peut évoquer sans pâlir
Ce vieillard aussi faible qu'une jeune femme,
Ce roi plus pathétique encor que le roi Lear.
Traînant sur les rochers, dans les forêts glacées
De la Schunadia, sa démarche harassée,
Il eut soif, il eut faim, il eut mal, il eut froid.
Il allait sans parler, l'œil large ouvert...Ce roi
Ne voyait, au-dessus des monts et des vallées,
Planer que la Justice et la Victoire ailées !
Et nous discernons tous, sur Sa figure franche
Vos traits, Prince, qui porterez Sa toque blanche.

Vous avez de ses mains reçu la noble épée.
Hier à Villersexel, tout à l'heure à Pirot
Partout, Il fut vraiment un soldat d'épopée...
Fils de ce héros, frère de tous « vos héros »
Qu'ils fussent réguliers ou bien batteurs d'estrade,
Vous avez délivré la Serbie — et Belgrade
Reconquise devient, par vous, le cœur ardent
Des pays opprimés. — Slovène indépendant,
Croate et Bosnien, vos frères yougo-slaves
Que l'ennemi voulait faire à jamais esclaves,
Vous veulent pour leur chef. - Ah !leur vivat immense,
Prince, retrouvez-le dans celui de la France !

Georges NORMANDY.

(1) L'empereur serbe Lazare se fit tuer à KossovoPolje (Champ des Merles), plutôt que de se soumettre au féroce turc Mourad (1474).

*
* *

L'AURÉOLE

Petit conte pour les petiots.

Le pauvre petit séraphin,
Un peu bobo, pas très malade,
(Son auréole a la pelade),
Dans son lit, nuage d'or fin,
Mangeote un tantet d'arbolade,
Tristement, sans plaisir, sans faim.

Il s'ennuie, il s'ennuie Il songe.
Quelques joujoux et quelques fleurs
Etancheraient vite ses pleurs ;
Mais il n'a rien, donc il se plonge
Et patauge dans ses malheurs,
Comme une mouche dans l'axonge.

« O mon Dieu », dit-il tout à coup,
« Encor que glabre, je me rase
Tellement que le spleen m'écrase.
Que ne suis-je merle ou coucou ?
Tout-Puissant, excusez ma phrase :
Vrai, je prends le ciel en dégoût !
 
Tandis que le printemps me huche
Et me sourit par le carreau,
Je reste ici dans mon fourreau.
Ah ! si j'avais la coqueluche,
Au moins boirais-je du sirop.
C'est bête ce mal qui m'épluche.

Soyez bon prince, ô roi des rois !
Le soleil brille, ouvrez la trappe
Et permettez que je m'échappe.
C'est bien peu demander, je crois.
Au besoin je mettrai la chape
Que je revêts par les grands froids. »

Le bon Dieu, pour clore une agape,
Buvait, dans un pot précieux,
Du Lacryma-Christi très vieux,
En somnolant clavant la nappe.
A ces mots, il ouvre les yeux,
Et le voilà qui rit sous cape.

Et puis, faisant la grosse voix,
Bien qu'au fond, il se désopile,
Il répond : « Quoi ? gamin débile,
Tu veux sortir ? Si je te vois
Vaguer nu-tête, quelle pile
Reste couché, sabre de bois !

T'ai-je doué d'une auréole
Pour qu'elle devienne un cerceau
Que tu roules dans le ruisseau ?
C'est ta faute, cervelle folle,
Si tu languis dans ton berceau.
Il est étonnant, ma parole,

Avec son air ébouriffé !
Ça court, ça se tient mal à table,
Ça prend le ciel pour une étable....
Tu ne bougeras que coiffé
D'une auréolé présentable,
Entends-tu ? galopin fieffé !

Pourtant, comme il est, je l'accorde,
Très dur, pour un fougueux crapaud
D'être enfermé lorsqu'il fait beau,
Bien que tu mérites la corde,
Et même des coups de sabot,
Je te ferai miséricorde.

Oui, je gaspillerai pour toi
Un peu de poudre de comète ;
Mais il faut que l'on me promette,
Au lieu de se sucer le doigt
Et de se gratter la pommette,
D'être sage comme on le doit.

Hein ? C'est sûr ? Attrape la boîte !
Ote le cercle de ton front,
Verse la poudre sur ce rond,
Fourbis avec un tampon d'ouate,
Et les rayons repousseront
Pour orner ta tête benoîte. »

Alors, calé sur son séant,
L'angelot astique sa gloire :
Frotte, râcle ; vilaine histoire !
En sueur, vexé, maugréant,
Craignant encor quelque déboire,
Il fait des efforts de géant.

« Et tout cela pour un caprice, »
Grogne le bambin grassouillet,
« C'est bien dur ! je suis si douillet.
Où donc est la bonne nourrice
Qui naguère me nettoyait
D'une main sûre et protectrice ?
Il peine, il souffle comme un bœuf :

Mais l'auréole qu'il récure
S'enjolive, se transfigure,
Devient couleur de jaune d'œuf,
Et puis, à la fin de la cure,
Se pare d'un éclat tout neuf.

La voilà propre, nette, belle,
Avec un aspect distingué.
Pourtant le pauvret n'est pas gai
Devant cette clarté nouvelle :
Sa tâche l'a trop fatigué,
Il en laisse pendre son aile.

Ouf ! quel travail ! Et long ! Si long
Que maintenant il est nuit close.
Comment jouer à quelque chose ?...
Vaincu par un sommeil de plomb,
En attendant le matin rose,
Il s'endort, le séraphin blond.

G. DE COLVÉ DES JARDINS.

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A NOS LECTEURS
 
Normandie serait heureuse de pouvoir insérer rapidement tous les intéressants articles qui lui sont adressés, mais pour cela il faudrait qu'elle puisse paraître mensuellement à trente-deux pages, comme le présent numéro, ce qui lui est actuellement interdit par suite du coût élevé de l'impression. Pour cette réalisation, elle demande l'appui de tous ses amis et de tous ceux qui s'intéressent à son effort dans l'intérêt normand. Que ceux-ci et ceux-là veuillent bien faire autour d'eux une large propagande pour lui amener les abonnements et les ressources qui lui permettront cet effort. De notre côté, nous ferons de notre mieux pour leur donner satisfaction et augmenter sans cesse l'intérêt de la revue.
 
Normandie publiera dans ses prochains numéros :

FIGURES NORMANDES :

Guillaume Desgranges, par Eléonore DAUBRÉE.
Ernest Hulin, par Manuel MARQUEZ.
François Enault, par Manuel MARQUEZ.
Gaston Lefèvre, président du syndicat des armateurs à la pêche, au Havre, par A. MACHE.
 
Saint-Ouen-sur-Seine et le Souvenir de Saint-Ouen, par G.-U. LANGÉ, avec illustrations d'Emile ALDER.
 
Impressions Vernonnaises, par Louis GAMILLY.
Des contes : d'Edward MONTIER, Manuel MARQUEZ, Lucien DANGEL.
Des poésies de : Louis BARBAY, Marguerite GENDRIN, André GUILLON, Lucien HESS, G.-U. LANGÉ, Eugène LEROUX, Jean MIRVAL, Ed. MONTIER, Georges NORMANDY, Gaston LE RÉVÉREND, Gabriel RINGARD, Ed. SPALIKOWSKY, Paul VAUTIER.
 
Le prochain numéro contiendra, en hors texte, la reproduction de La bonne Pipe de Guillaume DESGRANGES.
 
Le numéro de juin de Normandie sera spécialement consacré à Jean LORRAIN, avec la collaboration de Paul ADAM, Jean DE BONNEFON, Paul BRULAT, Jean REVEL, DUGLÉ, Georges NORMANDY, Charles BRUN, G.-U. LANGÉ, et contiendra des lettres inédites de Jean Lorrain et de nombreuses illustrations.
 
Il ne sera fait de ce numéro spécial aucun service de presse et il sera seulement adressé aux abonnés.

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ÉCHOS ET NOUVELLES

UN HOMMAGE A LA MÉMOIRE D'UN JOURNALISTE NORMAND : Un comité vient de se créer à Rouen en vue de recueillir les fonds nécessaires à l'érection d'un monument sur la tombe d'un écrivain rouennais décédé au cours de l'année dernière, M. Ernest Morel, ancien rédacteur en chef de La Dépêche de Rouen et critique d'art. Normandie s'associe de tout cœur à 'hommage qui va être rendu à la mémoire d'un journaliste de talent qui honora sa profession, et cela d'autant plus sincèrement que nous nous rappelons qu'Ernest Morel fut l'auteur de ces « Lettres du Berger Magloire », que La Dépêche de Rouen publiait chaque dimanche, et qui, rédigées en parler du pays de Caux, avaient une si piquante saveur de terroir et qui étaient goûtées même de ceux dont le journal où elles paraissaient n'était pas l'organe de prédilection. Ces lettres, où le berger Magloire commentait à sa façon un fait du jour ou racontait une plaisante anecdote du cru, étaient pleines d'une verve malicieuse et narquoise, en même temps que de finesse et de bon sens et par là, le vieux « berquier » d'Ernest Morel s'apparentait avec l'inoubliable et légendaire « pé Malandrin » de notre cher et regretté ami Paul Delesques. Paul Delesques a déjà son monument au cimetière monumental de Rouen où Ernest Morel va avoir le sien, et ces deux bons Normands, ces deux « braves gas de chez nous » qu'unissait dans la vie une étroite et confraternelle amitié, reposeront ainsi l'un près de l'autre dans l'éternel sommeil.   H. B.

— Ceux des lecteurs de Normandie qui voudraient participer personnellement à l'hommage rendu à la mémoire d'Ernest Morel, peuvent adresser leur souscription à M. Gaston Nibelle, secrétaire-trésorier du Comité, hôtel des Sociétés Savantes, rue Saint-Lô, 40 bis, à Rouen.

DANS LA PRESSE NORMANDE :  Sous ce titre : Les Nouvelles Normandes, vient de paraître à Rouen un nouveau journal hebdomadaire dont le directeur et rédacteur en chef est M. Paul Bocq-Lequillon, un Normand du pays de Caux, revenu au sol natal après quinze années de presse parisienne et cinquante-quatre mois de guerre, au cours desquels il a vaillamment gagné la croix de guerre. Vient également de faire son apparition, sous la même direction de M. Bocq-Lequillon, un organe qui, sous le titre : Le Port de Rouen, s'occupera spécialement de toutes les questions d'ordre maritime, industriel, commercial et économique intéressant notre grand port sur la Seine, et contribuera ainsi à favoriser son développement et sa prospérité. A Caen, vient aussi de paraître, sous la direction de notre collaborateur, Olivier Adeline, Le Carillon, qui se présente ainsi lui-même : « Le Carillon ? Qu'est-ce à dire ? C'est-à-dire tous les sons de cloches, toutes les opinions sur tous les sujets, toutes les idées dans tous les domaines — sauf celui, inviolable et sacré, de la conscience et de la Religion. » Normandie adresse cordialement son salut de bienvenue à ces trois nouveaux confrères qui prennent rang dans la presse normande et leur souhaite très sincèrement une pleine réussite.
 
— Puisque nous en sommes à parler de la presse normande, notons qu'un de nos lecteurs — un vieux liseur rouennais, ainsi s'intitule-t-il — nous signale quelques omissions dans l’article du numéro de Normandie paru en décembre dernier, consacré par notre distingué collaborateur, M. G.-U. Langé, à « l'effort des Revues à Rouen ».  Il nous cite, entre autres publications dont il n'a point été parlé dans cet article, par ailleurs des plus intéressants au double point de vue rétrospectif et documentaire, Le Cri de Rouen, une revue d'allure très vivante et combative, fondée vers 1898 par Fernand de Bergevin, l'écrivain de talent si prématurément enlevé aux lettres, et sa sœur Mme Colette Yver, la romancière des Dames du Palais et des Princesses de Science, qui appartient aujourd'hui à l'Académie de Rouen. En 1904, parut aussi à Rouen, mais pour ne vivre que d'une existence éphémère, La Revue Normande Illustrée, avec Paul Delesques comme rédacteur en chef.

* * *

Sous le titre « Un Hôpital normand de la Croix-Rouge » (Librairie Lestringant, 11, rue Jeanne-d'Arc, Rouen)», notre collaborateur Ed. Spalikowski vient de publier une petite plaquette dans laquelle il fait l'historique de l'hôpital auxiliaire n° 204, installé au Château des Pénitents, à Vernon, sur les instances des propriétaires, M. et Mme Choque, de nationalité belge, mais Français de cœur et d'origine. M. Spalikowski y rend un émouvant hommage au corps médical, dont il nous permettra de dire qu'il faisait partie, et au dévouement des dames infirmières qui, pendant cinquante-trois mois, se sont multipliées près des 961 blessés qui y ont été reçus.

***

Notre excellent confrère, M. Julien Guillemard, directeur de La Mouette, va faire paraître, chez Figuière, éditeur, 7, rue Corneille, à Paris, Les Réflexions de Maître Aliboron. Tous les lettrés devront posséder ces réflexions si profondément vécues, si humaines, dont la philosophie atteint les plus hauts sommets, et dont les lecteurs de La Mouette connaissent la noblesse et la beauté morale. Elles formeront une élégante brochure ornée d'une couverture artistique.   En souscription au prix de 2 fr. 50 l'exemplaire, chez M. Julien Guillemard, 20, rue du Perrey, Le Havre.

***
 
La librairie Georges Crès, 116, boulevard Saint-Germain, à Paris, vient de publier un album de dix images, sur la Cathédrale de Coutances, dessinées et coloriées par Joseph Quesnel, taillées dans le bois par Jean Thézaloup. Le tirage a été limité à 200 exemplaires signés et numérotés :   De 1 à 25 (dont 10 hors commerce), ces albums contiennent : de 11 à 15 un dessin original non reproduit ; de 15 à 25 les dessins ayant servi à établir les bois: 50 francs l'exemplaire. De 26 à 50 sur Bouffant vergé avec suite en noir de quelques gravures sur Pelure Japon : 20 francs l'exemplaire. De 51 à 200 sur papier Bouffant.  On peut souscrire chez M. Joseph Quesnel, venelle du « Pou qui Grimpe », à Coutances.

***
 
M. Auguste Nicolas, adjoint au maire de Caen, a publié un ouvrage : Le Calvados agricole et industriel, Caen et la Basse-Normandie, dont le caractère d'intérêt général a incité la Chambre de Commerce de Caen à souscrire cinquante exemplaires.

***

MORT D'ALEXIS MÉRODACK-JEANEAU
: J'apprends la mort, à Angers, — où il s'était retiré pour lutter contre un mal implacable, — du peintre et sculpteur Alexis Mérodack-Jeaneau, promoteur du Synthétisme, fondateur de L'Union Internationale des Beaux-Arts et des Lettres et directeur des Tendances Nouvelles. Cet artiste laisse une œuvre curieuse qui ne périra pas tout entière. Je m'incline respectueusement sur la tombe de Mérodack-Joaneau, qui « débuta » presque en même temps que moi, à une époque où l'on entrait « dans la carrière » un peu comme on entre encore en religion. G. NORMANDY.

QUAND ILS REVIENDRONT... : Le vigoureux poème de notre collaborateur Georges Normandy poursuit sa carrière. Sous les auspices de la Revue hebdomadaire Gallia de Buenos-Agres, qui l'a reproduit le 28 décembre dernier, ce poème, mis en musique par l'excellent compositeur Alf. Amadeï, sera créé, pour la République Argentine, en mai prochain, au théâtre Colon, par le célèbre baryton Krabbé, et présenté par le fameux impresario da Rosa, en collaboration avec M. A.-M. Resurgo, directeur des Ediciones Modernas.

***

En Route, du 1er janvier, contient un bon article de Léo Claretie (conclusion toutefois plus ou moins juste), sur Tourisme et Jouets de France... Et plus loin, Delair, Sur les chemins de la Brie, écrit de délicieuses choses qu'il illustre de dessins aux joliesses un peu puériles !
 
— Pandora, somptueuse annexe de La Vie Féminine, dirigée avec un goût parfait par Mme Valentine Thomson, a publié, dans un de ses derniers fascicules, Les Litanies de la Rose, de Rémy de Gourmont... Ces litanies, belles et voluptueuses, sont de toute beauté et méritent cette admirable mise en page : la typographie a ses délices...
 
— Dans La Maison Française, article de M.-C. Poinsot, Banville d'Hostel, Charles-Baudouin, et une prose de G.-U. Langé, ornée d'un bandeau et d'un cul-de-lampe d'Emile Aider.
 
— Notre article sur L'Effort des Revues à Rouen (et en Normandie) a été lu, puisque l'on nous fait remarquer quelques omissions, évidentes, mais involontaires. Il est entendu que cet article n'est qu'une sorte d'esquisse d'un sujet que nous aimerions voir repris pour ce qui est de chaque pays de notre province. Nous avons cité, très imparfaitement, nous nous en rendons compte, titres de revues et noms d'écrivains... Qu'on sache nous en excuser et n'y voir aucun ostracisme... Dans l'instant  où, (plainte un peu personnelle !) nous apprenons la destruction totale par les Allemands d'un manuscrit à Bruxelles, nous sommes plus que jamais à même de savoir la valeur d'un effort... Bref, pour compléter notre article, citons encore M. Alfred Ravet, qui collabora au Donjon, et y donna, si notre mémoire est sûre, des articles documentés et d'impression sur le Maroc et sur l'Espagne. G.-U. L.

***
 
— Le dimanche 27 avril dernier a eu lieu, à la salle Herz, 27, rue des Petits-Hôtels, à 3 heures après midi, une Matinée Normande organisée par M. Pierre Preteux, directeur de la Revue Normande.

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— Signalons un intéressant travail de M. P. Le Verdier, conseiller général de la Seine-Inférieure, sur La Réorganisation Administrative, que nous aurons à examiner dans la suite de nos articles concernant l'organisation régionale.

L'ÉCOLE DE FÉCAMP

Cet intéressant groupement régional, dont le Mécène est l'excellent compositeur Adrien Constantin, et qui a produit des peintres tels que Henry-E. Bluet, René Crevel, Sim, Joseph Lefebre (celui-ci un peu à part) et surtout le maître André-Paul Leroux et des poètes tels qu'André Maréchal, Eugène Leroux, Gaston Demongé (Maître Arsène), dont le dernier volume L'Ame qu'on crucifie reçoit, à Paris et ailleurs, le plus flatteur accueil, Henri Maugis, Julien Jeanne, Deschamps, etc.., va révéler au grand public un talent nouveau que nos lecteurs n'ignorent déjà plus. M. Charles Argentin fils (alias Théophile Defescan), donnera très prochainement son premier recueil de poèmes. Publié par la Maison Française d'Art et d'Edition (16, rue de l'Odéon, à Paris), cet élégant ouvrage sera orné d'un frontispice inédit du grand artiste Emile Aider.

HONFLEUR

Cette jolie ville normande, riche en célébrités, a vu naître, le 25 décembre 1838, Blanche Guérard, en la curieuse maison qui fut habitée par le grand corsaire Jean Doublet. Sous le pseudonyme de Noël Bazan, elle occupe une place enviable parmi les poètes et les écrivains de notre pays. Le jour de Noël dernier, ses quatre-vingts ans furent fêtés à Paris en présence de hautes personnalités et de compatriotes honfleurais. La poétesse, profondément émue, a répondu dans les termes suivants aux compliments qui lui étaient adressés (R. P.)

Mes enfants, mes amis, j'ai des rayons au cœur !
De mes quatre-vingts ans, vous célébrez la fête
Et vous dites au Temps impitoyable : Arrête,
Ne sois pas encore son vainqueur.

Les jours de mon enfance et ceux de ma jeunesse
Viennent souvent causer avec mon souvenir,
J'ai bien plus de passé que je n'ai d'avenir,
Impossible que l'on renaisse.

Donc, soyons philosophe et sans changer de ton
Disons-nous qu'aujourd'hui la joie est nécessaire
Entourons-nous d'azur pour cet anniversaire
Où je marche encor sans bâton.

Entourons-nous d'azur, mais laissons quelques larmes
Voiler nos yeux pensifs en évoquant le sort
Tragique, de ceux-là dont l'immortel effort
Fait partout triompher nos armes !

J'ai connu la défaite, hélas ! dans le lointain
Je revois l'ombre épaisse assombrissant la gloire
C'est pourquoi frémissante à ces cris de Victoire
Preuves d'un lumineux destin.

Je dis au ciel : Merci d'avoir laissé ma vie
Entendre les clameurs, monter vers les drapeaux
Qui flottent dans les airs, magnifiques lambeaux
Dominant la foule ravie.

Je dis au ciel : Merci, d'acclamer conquérants
Ces fils des anciens preux indestructible race,
Et de revoir enfin la Lorraine et l'Alsace
Sourire à mes quatre-vingts ans !

Noël BAZAN.

Paris, 25 décembre 1918.


SAINT-LO


L' « Union des Pères et des Mères dont les Fils sont morts pour la Patrie » a fait célébrer le 18 février dernier, à l'église Notre-Dame, un Service solennel en mémoire des soldats tués à l'ennemi. Cette cérémonie, la première depuis la victoire pour commémorer le souvenir collectif de nos héros défunts, se para d'un caractère grandiose. La ville entière était là qui pleurait ses grands morts. Chacun, sans distinction de ce qu'on appelle encore « les partis », avait apporté son concours à cette solennité : La messe en musique, d'une beauté parfaite, fut chantée par des artistes chez lesquels on sentait une émotion intense. Un superbe discours fut prononcé par M. l'abbé Adde, ce curé de campagne, normand fervent, fervent patriote, érudit et orateur distingué, dont nous avons déjà eu l'occasion de parler. Il convient de féliciter le Comité organisateur de cette belle cérémonie, marquant dans nos annales et, tout spécialement, son actif président, M. Chazalette, dont le zèle a déjà donné une place marquante à cette Société nouvellement fondée dans notre ville.

LIGUE FRANÇAISE


Toujours à Saint-Lô. Conférence très brillante par M. Lorini, Syndic de la ville de Pavie, sur   « Italie contre les Austro-Boches ». M. Lorini possède admirablement son français ; il le parle avec un léger accent qui ne manque pas de charme. Il sait tour à tour faire sourire et enthousiasmer son public. Il poursuit avec ardeur sa campagne contre la terrible armée, nombreuse encore, des « embochés », et, chaleureusement, il revendique tous les profits que nous pouvons tirer de la paix, afin d'écraser définitivement la « punaise » boche, toute prête à recommencer son invasion sournoise. M. Follet, Directeur honoraire de l’Ecole Normale d'Instituteurs, qui représente à Saint-Lô la Ligue Française, avait organisé cette conférence fort applaudie.

PETITS PORTRAITS LOCAUX

 
Quiconque prétend connaître Saint-Lô ne peut ignorer le Salon de coiffure de l'artiste Lebourgeois. Aquarelliste distingué, autant que Figaro soigneux, il maugrée contre sa profession qui l'empêche de se livrer en toute liberté aux délices de l'art. Il se venge, par des invectives, sur les clients dont il est obligé de « gratter la couenne ». Aussi, selon son humeur, on est reçu chez lui, parfois comme au sein de sa famille, parfois comme chez Bruant. A part cela, on y entend des imitations parfaites de trombone ou de piston, des tirades lyriques sur la nature, des aperçus originaux sur tout un peu. On part amusé ; on revient toujours, car, nulle part en province, on ne serait mieux que chez lui. A un client commerçant qui lui conseillait de « faire grand » pour réussir dans les affaires, mon Lebourgeois, énervé, répliqua : - Mais, saperlotte ! Quand un imbécile me demande de lui raser le menton, je ne peux pas lui proposer ensuite de lui raser le d...os ! Toutes les boutades de notre artiste seraient à citer. Le dimanche, il s'évade en pleine campagne. Sur son pliant, devant son chevalet, son enthousiasme déborde en phrases exubérantes ; puis, silencieux, il regarde, il se recueille et son pinceau traduit l'émotion qui l'étreint. Comme il le dit, « il a quelque chose dans le ventre » ; il est l'un de ces types qui donnent du caractère à une ville. De passage chez lui, vous aurez certainement un réel plaisir à voir ses aquarelles du vieux Rouen, ses pochades faites sur les bords de la Vire et ses pommiers en fleurs. (M. G.)

LE HAVRE

Dans le courant de janvier dernier, Probus, le premier fondateur de L'Association Nationale pour l'organisation de la Démocratie, est venu au Havre exposer le programme de cette association. Présenté par M. Arnaudtizon, il a indiqué que ses fondateurs entendaient être des constructeurs dans la France d'après-guerre, voulant réaliser son avenir en se plaçant au-dessus des partis qu'ils ne veulent ni supprimer ni remplacer. Leur programme, aussi bien au point de vue de l'intérêt général, qu'au point de vue régional, est trop près de la politique essentielle que nous avons toujours défendue pour ne pas applaudir à leur effort. A la suite de cette conférence, a été décidée l'organisation d'un groupement havrais de l'association. Notre grand port normand comptait d'ailleurs déjà un nombre important de membres souscripteurs, parmi lesquels nous citerons : MM. Henri Mancheron ; Emile Thieullent, négociant ; A. Pimare, droguiste ; Guy Pfister ; Edgard Raoul-Duval, sous-lieutenant ; Désiré Biette, pilote de la Basse-Seine ; de Germann, directeur de la Société Cotonnière ; Arnaudtizon, capitaine au long cours ; Augustin Normand, directeur des chantiers Augustin-Normand ; L. Pedron, négociant en cotons ; Sylvain Peillard, ingénieur ; Tessandier ; Henri Thieullent, négociant ; G.-P. Truck, capitaine au long cours ; P. Guillain, avocat. Parmi les autres personnalités normandes, faisant partie de l'association  nous pouvons citer : MM. Lafosse, président du Tribunal de commerce de Rouen, et Frétigny-Borde, armateur à Rouen. Les personnes désireuses de recevoir le programme de cette association, peuvent le demander à M. Probus, 7, rue Pasquier, à Paris (8e).

FESTIVAL D'ART DE « LA MOUETTE »


Le 15 mars, au Havre, l'excellente Revue havraise avait organisé un festival d'art à la mémoire de deux de ses collaborateurs, André Dufner et Gabriel-Pierre Martin, morts au champ d'honneur. Une nombreuse assemblée était venue assister à cette belle fête artistique, en même temps que charitable, puisque la moitié de la recette devait être versée à l’Œuvre de la Goutte de lait. M. Julien Guillemard, l'aimable directeur de La Mouette, dans une délicieuse allocution, rendit hommage à ses collaborateurs disparus et exposa le but qu'il poursuit dans sa Revue. Puis notre excellent confrère, M. Pierre -Préteux, directeur de La Revue Normande, lui succéda dans une conférence sur Les Trouvères Normands.

  Dans la seconde partie, Mlles Chapelle et Germaine Maugendre détaillèrent des poèmes de MM. Louis Maurice, Camy-Renoult et des écrivains morts au champ d'honneur, et Mile George une poésie de sa composition : Les Apôtres. Mme Le Maire, très remarquée dans l'interprétation de deux œuvres de Georges Clerget, secrétaire de La Mouette. Puis tour à tour, MM. Marcel Otto, Pierre Préteux et enfin notre collaborateur et ami Gaston Demongé, l'auteur des Gars Normands et de L'Ame qu'on crucifie, présenta « Mait'Arsène » qui, comme toujours, eut le plus franc succès. En résumé, fête très réussie et qui en appelle d'autres.    (G.-D. QUOIST.)

LOUVIERS. — Nécrologie.
 
Nous apprenons avec un vif regret la mort, des suites de la grippe, de M. René Thorel, sous-lieutenant à la 3e section des convois automobiles, fils de M. Raoul Thorel, conseiller général et maire de Louviers. Parmi les nombreuses marques de sympathie qui ont été prodiguées à M. et Mme Raoul Thorel, il en est une qui a dû les toucher d'une façon toute spéciale: c'est la lettre suivante d'anciens compagnons d'armes de leur fils que publie Le Journal du Neubourg :
  
« Plusieurs anciens soldats qui ont servi sous les ordres du lieutenant René Thorel, dans la section automobile qu'il commandait au front, apprennent avec une peine profonde la mort inopinée de celui qui fut pour eux un officier bon, attentionné, aimable et toujours entraînant. Ils vous demandent d'ajouter à votre notice du 26 février l'expression de leur pensée et de leur souvenir pour lui. Ils se rappellent le soin qu'il avait de ménager, dans la mesure du possible, leurs forces. Il recherchait pour eux des distractions, un peu de bien-être, et ils se souviennent qu'ils ne l'ont jamais en vain cherché des yeux quand, sur les routes, il ne faisait pas bon rouler. Aussi la section, animée par le cœur et l'intelligence de ce chef, lui rendait en hommage toute sa bonne volonté dont les anciens veulent citer ici un exemple : en 1916, dans la Somme, durant quatre mois de convois incessants... et troublés, sur vingt hommes à marcher tous les jours, le lieutenant n'eut pas à enregistrer tr6is journées d'indisponibles pour fatigue ou maladie: avec lui, tout le monde marchait. Nous l'aimions bien. Nous le pleurons. Nous ne l'oublierons pas.

« Un groupe d'anciens de la T. M. 649 ».
 
Rappelons que M. René Thorel avait pris l'initiative de la publication d'une intéressante revue mensuelle,L'Humour française, dans laquelle il avait lui-même écrit bon nombre d'articles très intéressants et très appréciés, sous la signature de Camera.

EVREUX. — SOCIÉTÉ LIBRE DE L'EURE

Festival d'art organisé par La Revue Normande, directeur M. pierre Préteux, avec le concours de MM. Ch. Argentin et G. Demongé, de L'Ecole de Fécamp. Le dimanche 9 février, à l'amphithéâtre du jardin botanique, sous les auspices de la S. L. E. que préside l'éminent écrivain Joseph L'Hopital, lauréat de l'Académie Française, M. Pierre. Préteux, dont on connaît le beau talent oratoire, donnait lecture devant un auditoire de choix, de son érudite conférence : Chez les Trouvères Normands. M. Charles Argentin, que les amis de. L'Ecole de Fécamp ont maintes fois apprécié pour son talent de poète et de diseur, faisait applaudir à son tour quelques-uns de ses poèmes.... virgiliens ; l'épithète est de M. Joseph L'Hopital lui-même. Puis, M. Gaston Demongé, sous les traits de Mait'Arsène, présentait aux Ebroïciens l' incarnation du Paysan cauchois et rappelait à l'auteur d'Un Clocher dans la Plaine le souvenir des illustres patoisants : Louis Beuve et Le Sieutre. En résumé, splendide manifestation d'art au succès de laquelle il nous faut associer le nom de M. Doucerain, avocat, qui s'était chargé de l’organisation,

EN TUNISIE

 
Il vient de se créer à Tunis :une Revue d'art et de littérature, Le Douar, parmi les collaborateurs de laquelle nous remarquons : MM. M.-C. Poinsot, Marcel Lebarbier, Ch.-Th. Féret, G.-U. Langé, Philéas Lebesgue, P.-N. Roinard, etc. Le premier numéro de cette publication a paru au début du mois de mars. Prix du no : 1 fr. 50. Abonnement : 5 francs l'an. Adresser toute correspondance au Douar, 5 bis, rue d' Italie, à Tunis.

LE MONT SAINT-MICHEL

  La Société des Amis du Mont Saint-Michel, réunis sous la présidence de M. Léon Bérard, député, a pris une délibération demandant aux pouvoirs publics « d'autoriser la célébration des cérémonies du culte dans l'église abbatiale, étant entendu que le monument restera confié aux bons soins de l'administration des monuments historiques, laquelle fixera, avec l'autorité ecclésiastique, les époques de ces cérémonies et dont l'approbation sera nécessaire dans toutes les questions de mobilier, de décorations et d'usage. » Le Conseil municipal d'Avranches a émis un vœu dans le même sens.

***

L'Association des Amis du Mont Saint-Michel organise un concours littéraire ayant rapport à l'histoire du Mont Saint-Michel. Sujet proposé : « Un grand abbé du Mont, Robert de Torigni : ses œuvres, ses rapports avec les pouvoirs anglais, son existence publique et privée, évocation du milieu dans lequel il a vécu, des choses et des gens du Mont Saint-Michel à son époque. » Les manuscrits (60 pages format in-4°) devront être remis avant le 31 décembre au siège de l'Association, 167, rue Montmartre. Le premier prix consistera en l'œillet d'or des Amis du Mont Saint-Michel et l'impression du manuscrit aux frais de l'Association ; 2e prix : œillet d'argent ; 3e prix : œillet de bronze.

MOTOCULTURE. — Avis aux Agriculteurs.

Vous avez le plus grand intérêt à acheter sans tarder un tracteur agricole ; d'abord parce que c'est le seul moyen de mettre en culture vos terres en friche et de les approprier en vue d'obtenir de grands rendements, ensuite pour profiter des subventions que l'Etat accorde actuellement aux agriculteurs pour ces achats et qui s'élèvent jusqu'à 50 pour 100 de leur valeur, et enfin parce que les stocks existants sont très restreints.
 
Mais avant de faire votre choix, visitez l'exposition permanente des 400 tracteurs agricoles des nouveaux modèles les plus perfectionnés, des charrues et autres instruments aratoires immédiatement disponibles qui vient d'être organisée à votre intention par les Etablissements « AGRICULTURAL », 25, route de Flandre, à Aubervilliers (Métro Paris : Porte de la Villette). Le personnel technique de ces établissements vous fournira tous les renseignements utiles pour guider votre choix, ainsi que pour la conduite de l'appareil et l'obtention des subventions officielles. Si vous ne pouvez faire dès aujourd'hui cette intéressante visite, écrivez à L'AGRICULTURAL, Aubervilliers (Seine), pour demander le catalogue gratuit et tous les renseignements utiles en indiquant vos besoins.

UNION DES PAYSANS DE FRANCE

 
Il vient d'être créé à Paris un secrétariat central de L'Union des Paysans de France, dont le but sera :

1° D'établir entre les populations rurales et les œuvres diverses s'intéressant à elles un lien permanent d'un caractère général: Sociétés d'agriculture ; Associations contre l'alcoolisme, la dépopulation, l'abandon des campagnes ; Conférence au village, le Cinéma au village, les Foyers des campagnes ; Bibliothèques de propagande, Sociétés de construction, de culture mécanique, Associations économiques, patriotiques ou même politiques plaçant la patrie au-dessus de tout, n'ayant en vue que sa prospérité et la défense des intérêts généraux du pays dans l'ordre et la liberté ; 2° De défendre, sans aucun parti pris politique ou confessionnel, les intérêts des populations des campagnes et d'en saisir les Pouvoirs publics ; 3° De faire prévaloir par une action constante les idées de solidarité, de fraternité, d'association, d'union entre les producteurs, propriétaires, métayers, fermiers, colons et ouvriers agricoles, et l'accord nécessaire entre l'agriculture, le commerce et l'industrie ; 4° De préparer la création d'une Confédération Générale Agricole ou d'une Union des Paysans de France, unissant dans une même association tous les syndicats, toutes les sociétés agricoles, toutes les forces rurales de la France. L'adresse du secrétariat central de L'Union des Paysans de France est à Paris, 5, boulevard de Clichy, Paris (9e).

PUBLICATIONS NORMANDES

La Revue Normande, organe mensuel du Foyer artistique et littéraire, place de la HauteVieille-Tour, Rouen (abonnement, 10 francs par an).
La Mouette, revue normande de renaissance littéraire, 20, rue du Perrey, Le Havre (abonnement, 6 francs par an).
Les Pionniers de Normandie, revue normande, d'action d'art. Marcel LEBARBIER, directeur. E.Dupuis, secrétaire, à Aunay-sur-Odon (Calvados).
La Normandie pharmaceutique, 38, rue Armand-Carrel, à Rouen (abonnement, 5 francs par an).

___________________
Le Gérant : MIOLLAIS.
_________________________________________________________
IMPRIMERIE HERPIN, Alençon. Vve A. LAVERDURE, Successeur.



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