CE n'est pas d'aujourd'huy que Dieu nous advertit avant que de chastier, c'est le propre de sa misericorde d'alentir les effets de sa juste colere, et de luy faire dire garre avant que de frapper : il est tellement du propre et de l'essence de sa bonté de retarder les effets de sa justice, que jamais il ne l'exerce envers ceux qui l'offencent que auparavant il ne donne le temps et le loisir de s'amander de changer de vie. Ainsi le Tout-Puissant voulant donner advis au peuple de l'Egypte de la future vengeance qu'il prendroit du rigoureux traitement que les esclaves des passions de Pharaon faisoient en l'endroit de son peuple bien-aymé les enfants d'Israël, leur envoya premierement des signes fort extraordinaires et espouvantables, afin de recognoistre en ces signes qu'il y avoit un Dieu en Israël, juste vengeur des torts et inhumanitez que le peuple barbare deshonorant son culte, faisoient et commettoient envers les siens. Il se servit de Moyse comme d'un instrument necessaire pour annoncer la future vengeance qu'il prendroit de ces peuples ingrats, par l'entremise du quel il convertit la substance des fleuves, des rivieres, des ruisseaux et fontaines, en la substance cruelle et horrible de sang, il leur envoya puis apres les raines et grenoüilles avec telle quantité que toute la terre d'Egypte en estoit couverte, mais cecy ne fut rien au prix de l'advenuë des mouches et moucherons qui causoient en tout le Royaume d'Egypte un si grand dommage que tous les champs en estoient remplis et jusques dans les maisons il n'y avoit lieu ou ils ne donnassent de l'incommodité tres grande.
Or ce qui est arrivé en ce pays d'Egypte pour la conversion des Egyptiens semble estre aujourd'huy arrivé en France, et singulierement en la presente année depuis un mois çà au pays de Normandie, et ce, par un advertissement notable arrivé de la part du Ciel que Dieu sans doute est couroucé contre son peuple, et veut l'admonester à penitence par la demonstration des signes et prodiges.
Dès le commencement de la presente année, il se sçait par le rapport des mesmes Paysans, que les vers et autres animaux imparfaicts de la terre, estans en abondance par une nouveauté fort extraordinaire, et pretendant quelque punition du Ciel, ont comme par une rage affamée, broutté et rongé le germe des bleds en plusieurs et divers endroicts de Brie, Normandie et Picardie, si bien qu'il a esté force et necessaire aux pauvres laboureurs de faire une seconde semaille à la ruine et perte inestimable de plusieurs, où le dommage a esté grand et fort : mais tout cecy n'est rien au respect de ce qui est arrivé audit pays de Normandie, depuis un mois en çà, comme j'ay dit.
Il se sçait donc par les originaires mesmes du pays, qu'environ la fin de Juillet dernier de la presente année, il est arrivé une si grande quantité d'oyseaux incogneuz dans ledit pays de Normandie, que l'abondance en obscurcissoit l'air et le rendoit tenebreux, comme autrefois il arriva en Egypte au temps de la mission des mouches et moucherons. Ces oyseaux, au jugement de plusieurs, mesmes des mariniers, sont fort extraordinaires et incogneuz, et ceux qui ont fait de longs voyages aux terres estrangeres, comme ès isles de l'Océan au delà de l'Affrique aux Indes Occidentales, Orientales et autres lieux, treuvent que jamais n'en ont veu de semblables en aucune region du monde. Toutes fois par certaines conjectures et rapports, plusieurs ont esté d'opinion que c'estoient certaines especes de pappeguais ou perroquets, lesdits oyseaux de rapines fort adonnez à la queste et recherche des choses douces ; ils ont le bec crochu comme les perroquets que nous voyons ordinairement en ces pays, le corps de mesme que celuy des sansonnets ou des merles, de couleur grise, qui cheminent et voltigent par l'air de mesme que des compagnies de gruës au temps des semailles.
Donc ces sortes d'animaux, d'oyseaux incogneuz estant ainsi arrivez en Normandie durant le temps que les fruicts commençoient d'entrer en maturité, ils ont fait un tel ravage et dommage au pays à l'occasion desdits fruicts, que les pauvres paysans n'ont autre richesse que l'emolument et proffit de leurs fruicts. Ces animaux ont causé une perte incroyable aux habitans dudit pays qui croyoient faire un grand proffit veu l'apparence et la belle monstre des fruicts qui estoit belle ceste presente année, suppleant le deffaut de la precedente.
Car c'est chose monstrueuse et fort affreuse que ces bandes d'oyseaux incogneus et non jamais veus venant à voltiger sur ce pays abondant en belle quantité de biens, et venant à fondre sur les arbres dont les fruicts commençoient d'entrer en maturité, en ont faict un tel degast que c'est chose merveilleuse de voir les clos et jardins tout couverts de fruits gastez et corrompus par l'atouchement des dits oyseaux qui n'estans qu'amoureux et affamez du pepin qui est au coeur et au milieu des pommes et des poires, ouvroient et fendoient de leur bec crochu de mesme que nous voyons ceux des perroquets et sansonnets, sans se repaistre d'autre chose des dits fruicts que du seul pepin et rendoient pourtant les fruicts tellement corrompus et infectez que tombans à terre au pied des arbres, non seulement les personnes abhorroient d'en manger, mais mesme ce qui est estrange les porcs et autres animaux qui vivent ordinairement de fruicts, n'en faisoient aucun compte, ny mesme les sentir et fleurer : à plus forte raison eurent-ils daigné en manger et gouster. Ce pouvant le mesme desdits oiseaux que les naturalistes rapportent du Lyon, qui ayant surpris quelque proye et halainé quelques fruicts, il cause une telle putrefaction et une si mauvaise odeur, que les animaux les plus gloutons et afamez n'en veuillent seullement aprocher. Ainsi il n'y avoit ny beste ny gens qui ayent sceu faire aucun proffit des Poirierrs et Pommiers, sur qui les dits oyseaux avoient perché et entamé les fruicts, les habitans du plat pays ne pouvant faire autre chose sinon que ramasser au ratiau les fruicts tombez et les transporter hors des clos et jardins, craignant que leur mauvaise odeur et putrefaction n'imfectast le reste des plants et des autres fruits non touchés, encore que rarement en est-il resté aucuns qui n'ayent senti leur infection.
Ce que voyant le peuple du plat pays, et mesme plusieurs des habitans des villes, interessez de cette persecution de fruicts en leurs propres heritages, n'ont sceu trouver remede de pouvoir sauver leurs dits clos et jardins de ce dommage general, sinon de faire le mesme que les petits enfans qui donnent la huée aux milans, qui viennent ordinairement sur les petits poussins. Car ceux-cy voyant venir ces trouppes d'oyseaux armez de plumes, qui de leur quantité innumérable rendoient l'air obscur, et les champs tout gris, s'assembloient par paroisses tant hommes que femmes et petits enfans, les hommes armez d'arquebuses et bastons à feu, garnis de dragées, et les enfans de frondes et de pierres, tirans sur les dits oyseaux nichez et perchez sur les arbres, qui estans de leur naturel gloutons, demeuroient si apres et attachez aux fruicts, que ny le bruit des arquebusades, ny le bruyant des pierres ne les espouventoit aucunement, et n'y avoit que ceux qui estoient frappez qui quittassent proye, sans que les autres fissent mine d'avoir peur, et de s'envoler, ains ne laissoient de demeurer immobiles sur les dits arbres, ce que voyant le peuple ne pouvant faire autre chose pour chasser ces animaux, n'ont eu autre recours qu'à monter sur les dits arbres avec plusieurs perchers et incessamment huer après, gardant journellement ainsi leurs clos et jardins tant de nuict que de jour avec grand soin et ennuy. Et est à notter qu'ayant pris quelques uns des dits oyseaux par le moyen des fausses trapes et filets, il y en a eu quelques uns à qui leur curiosité les a portez de faire quelque essay de sçavoir si cesdits oyseaux estoient bons à manger, et les ont trouvé d'un goust si amer et une viande si infectée que quelques uns en sont morts peu de temps après en avoir mangé.
Et ont ravagé lesdits oyseaux grande quantité de pays, voire mesme se sont maintenant espars jusques dans le pays du Mayne, et autres lieux circonvoisins, mesme a t'on grand peur des pays d'Anjou et de Blois, qu'ils ne se jettent sur les vignes, et ne ravagent toute la belle vendange que Dieu y prepare : si bien à vray dire, qu'il se void que ceste persecution d'oyseaux sont apparens et vrays effets de l'ire de Dieu sur ceste province, pour des causes occultes et cachées : de telle sorte que les Normands affligez ont perdu leurs poulles par la guerre les années passées, et leurs vendanges en la presente, par la persecution des oyseaux, qui est cause que les cydres seront chers, et la biere de saison. Dieu y conserve le reste.