Nouvelle Pasquille sur les
amours de Lucas et Claudine.- A Lélis, P.-G. Goderfe, rue
de Néméya [Caen, P. Chalopin], 1812.- 12 p. ; 14 cm.
Saisie du texte : S. Pestel pour la collection
électronique de la Médiathèque
André
Malraux de Lisieux (23.III.2007)
Texte relu par : A. Guézou
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PASQUILLE
NOUVELLE
SUR LES
AMOURS
De
Lucas et Claudine.
LUCAS.
AH
! que je suis malheureux Depuis que je suis
amoureux ! Je
passe les nuits sans dormir, A soupirer et à gémir ; L’amour,
depuis la mi-carême, M’a rendu tout jaune et tout blême ; J’étois
gras comme un harang saur, Mais l’amour me tourmente si fort, Que
j’en ai perdu toute ma graisse ; Mon visage et mes pauvres
fesses, Mes cuisses, mes bras et mes hanches, Sont
aussi gras que des planches ; J’ai le dos sec comme une
étrille, L’amour me donne si fort la gratte Qu’il
m’en fait enfler la rate. Il y a long-temps que je soupire, On
a beau faire, on a beau dire, Je veux, pour éteindre ma flamme, Prendre
tout-à-l’heure une femme ; Quand elle n’auroit pas un denier, C’en
est fait, je veux me marier. Les garçons de notre village, Tous
les jours se mettent en ménage ; Farsangué j’en aurai ma part, Quand
je devrois être cornard ; S’ils sont tretous bien amoureux, Je
le suis donc tout autant qu’eux ; Mais peste, quels étourdis ! Tous
ces amoureux transis Choisissent les filles les plus belles, Et
moi, comme Jean-de-Nivelle, Je n’aurai plus que le fretin ; Voilà
déjà la grande Catin Qui va se marier Lundi Pauline,
Marion, Grimbelles, Qui sont du village les plus belles, Se
sont, la semaine passée, Avec leurs amoureux, fiancées, Et
la fille de Martial Pautau, Avec Nicolas Tuyau ; Et
Thybault, Porte-Malheur Se va marier avec la soeur De
défunt George Guignon ; La nièce à Martin Pignon Prétend,
le jour du mardi gras, Epouser le grand Thomas ; Parsangué
j’en voulons rire, J’avons comme eux, aussi bien dire, Quoique
j’aye la tête pelée, J’en veux tirer ma raclée. J’ai
fait l’amour autrefois A la belle Claudine Dubois ; Peut-être
bien qu’elle m’aime encore, Je sais fort bien sa demeure, Je
m’en vais la voir tout-à-l’heure ; Mordienne hasardons le
paquet : Voyons, mettons notre toquet, Mes bas et
hauts-de-chausses de flanelle, Et mon collet à dentelle ; Quand
j’aurai mon beau chapiau, Et débarbouillé mon musiau, Je
lui donnerai dans la vue, A la première entrevue ; Ses
beaux yeux me troublent la cervelle, Sans badiner je vais chez
elle, Tatigué ! les beaux complimens Que je vas lui
faire en entrant ! J’ai bien étudié ma leçon. Bon, me
voilà proche sa maison ; Il faut d’une agréable sorte, Frapper
comme il faut à la porte ; Pan, pan…. Holà, Claudine, holà ; Vîte,
morbleu, c’est Lucas qui est là. Je n’en puis plus, tôt, tôt, Claudine,
ouvres-moi au plutôt, Ou je vais crever à ta porte ; C’est
l’amour qui me transporte, Pour tes beaux yeux double carogne, Jamais
la gale ni la rogne Ne m’ont tant donné d’ennui, Que
j’en ai pour toi aujourd’hui.
Claudine.
Qui est donc ce sot animal, Qui vient
ici comme un brutal, Chanter ces litanies sauvages ? V’la
encore un plaisant visage.
Lucas.
C’est pourtant moi, ma Claudine, Tout biau,
ne me fais point la mine, Car, vois-tu, je suis amoureux, Regardes-moi
entre deux yeux, Tu verras à mon visage Que l’amour
m’a mis tout en nage.
Claudine.
Ah ! c’est toi, mon pauvre Lucas, Je ne
te reconnoissois pas ; Ah ! que tu sais bien dire, Je
ne puis m’empêcher de rire, Ton compliment si fort me touche, Que
l’eau m’en vient à la bouche. J’en ai le visage tout blême. Tout
de bon, Lucas, est-ce que tu m’aimes ?
Lucas.
Parsangué tu me la baille belle, Je t’aime
mieux qu’une demoiselle ; Tu as un certain je ne sais quoi, Qui
est fait tout exprès pour moi, Quand j’suis auprès de ta
figure, Il m’semble que j’mange des confitures. Mordienne,
que je suis aise, Claudine, il faut que je te baise.
Claudine.
Tout biau, tout biau, Lucas, Doucement
ne t’échauffe pas, Car j’appréhende la baisure Autant
que la brûlure, Je n’veux pas que ton nez camard Frotte
sa couenne contre mon lard.
Lucas.
Claudine, tu me désole, Quand tu ne veux
pas que je t’accole, L’amour me rebutte si fort l’esprit, Que
j’en vais crever de dépit. Claudine, baises-moi un petit
morciau, Va, j’ai bien lavé mon musiau.
Claudine.
Quand tu aurois lavé ton corps, Et par
dedans, et par dehors, Depuis le haut jusqu’en bas. Non,
tu ne me baiseras pas. Si tu m’aimois d’une bonne sorte, Tu
ne viendrois point à ma porte, M’enguilbauder d’une façon Qui
n’a ni rime ni raison. Lucas.
Il ne faut pas qu’ça t’épouvante, C’est l’amour qui me
tourmente ; Il m’a rendu langoureux Tout comme un âne
morveux. Tiens, Claudine, crois moi, Toutes les fois
que je pense à toi, L’amour me prend comme la fièvre, Et
me fait courir comme un lièvre Qui est poursuivi par des
levriers Au travers des halliers.
Claudine.
Hélas ! qu’est-ce que tu me dis ? J’en
ai tous mes sens transis. Lucas, je ne te dirai plus rien, Tu
es amoureux, je le vois bien, Ce n’est point le diable qui te
tente, C’est l’amour qui te tourmente ; Quand je
t’écoutois bien dire, Je croyois que tu voulois rire.
Lucas.
Pour rire ? va, va, j’en rirons bien mieux Quand
je serons mariés tous deux.
Claudine.
Te voilà tout hors d’haleine, Quelqu’un
t’a-t-il fait de la peine ?
Lucas.
Ne t’ai-je pas bien dit Que l’amour m’a
tout interdit ? Tu as bien fait d’ouvrir la porte, Car
j’allois dans ma culotte, Ne, t’en déplaise, faire ca ca. Oui,
par ma foi, ca ca, Mes tripes
et mes boudins Se remuent comme des diablotins, L’amour
m’a émouvé la bile, D’une force si terrible, Que j’en
crève dans ma peau. L’amour est un grand embarras ! Claudine,
tu ne me réponds pas.
Claudine.
Vraiment, Lucas, je t’entends bien, Tu
es amoureux, je le vois bien ; Dis-moi un peu, entre nous deux, De
qui donc es-tu amoureux ?
Lucas.
Par la morguenne j’enrage Quand on n’entend
point mon langage. Je suis
amoureux de ta piau, De ta frisure, de ton musiau, Tes
yeux ont gribouillié mon ame, Je prétends que tu sois ma femme, Sans
tant faire de tripotage, Je veux t’avoir en mariage ; Quand
nous serons mariés tous deux, Je crois que nous serons heureux.
Claudine.
Je sens une douleur extrême Quand je
pense à ta peine, Lucas, déclares-moi ton coeur, Afin
d’appaiser ma douleur, Car je sens que la colique Me
darde et me pique ; Mets-moi mon esprit hors de peine, Dis-moi
tout de bon si tu m’aimes.
Lucas
Je t’aime si bien et si biau ; Que j’en
creve dans ma piau ; Ton visage et tes attraits, Ont
crevé mon coeur de cent traits ; Tes petits yeux de papillon Ont
mis ma rate au courbouillon ; Ton nez camus et tes dents
blanches M’ont déchiqueté toutes les hanches ; Quand
je vois tes cheveux blonds, Quand je pense à ton visage, Je
ne mange plus de potage ; Et quand j’entends ta parole, Mon
esprit ne sait où il s’envole ; Enfin, tous les plus grands
maux Ont pénétré jusques dans mes os.
Claudine.
Ah ! je ne sais plus où j’en suis, Sans
y penser je m’évanouis ; Lucas, n’en dis pas davantage, Car
tes beaux complimens m’outragent ; Je pleure sans verser des
larmes ; Tais-toi, Lucas, je serai ta femme ; Va, ne
te mets point en peine ; Mets ta main dedans la mienne ; Puisque
tu es mon favori. Je veux que tu sois mon mari.
Lucas.
Tu veux donc bien que je te baise ?
Claudine.
Oui, Lucas, ne fais point le blaise ? Baises-moi,
bras dessus, bras dessous ; Lucas, baises-moi, tout ton saoul.
Lucas.
Je crois que j’ai la pépie, Car mon coeur
saute comme une pie ; Crainte de gâter ta chair blanche, Je
me suis mouché sur ma manche ; C’est mon mouchoir de tous les
jours. Claudine, j’aurai donc tes amours ?
Claudine.
Oui, Lucas, pour finir l’affaire, Nous
irons demain chez le notaire, Et après demain tout d’un temps, Nous
ferons publier nos bans, Pour nous marier mercredi, Afin
que tu sois Jean jeudi.
Lucas.
Qu’est-ce que tu dis donc, Claudine ?
Claudine.
Tu n’aimes rien qu’à badiner ; Sais-tu
qu’à force de baiser, Que tu m’vas user tout le visage ; Et
puis quand nous serons en ménage, Qu’est-ce que tu baiseras ?
mes fesses ; Modères un peu tes caresses.
Lucas.
Bon, bon, Claudine, tu m’amuses ? Est-ce
qu’en baisant, le visage s’use ?
Claudine.
Vraiment, mon pauvre Lucas, Quoi, tu ne
le pensois donc pas. Lucas.
En voilà la première nouvelle ; Mordienne, cela me trouble la
cervelle. Claudine. Cela
n’est, n’te fâche pas ; A demain, bon soir, mon ami Lucas.
Lucas.
Bon soir, ma petite moutonne, Bon soir, ma
petite folichonne, Bon soir, ma petite folle ; Bon
soir, ma petite croquignole, Bon soir, bon soir ; enfin
n’importe pas, Je m’en vais coucher de ce pas.
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