O
N
peut dire,
sans paradoxe, que l’art français est, en France, le plus mal connu de
tous les arts. Il a subi le sort de notre territoire national où l’on
vient seulement de découvrir des villes admirables et des paysages qui
ne le cèdent à nul autre comme beauté naturelle.
Combien sont nombreux ceux qui, intéressés, par l’histoire et l’art de
notre pays, avouent leur surprise d’avoir rencontré, au cours d’un
voyage, non seulement des sites émouvants, mais aussi des chefs-d’oeuvre
ignorés.
La chronologie des oeuvres capitales des grands artistes français fut
exposée dans des ouvrages consacrés à l’histoire universelle des arts.
Cependant certaines nations : l’Italie, la Flandre ou les Pays-Bas,
occupent une place excessive dans l’éducation du goût public. Elles
doivent cette faveur à leur intensité artistique pendant une période
déterminée.
La connaissance trop dominante des oeuvres de maîtres, souvent
étrangers, si elle fournit un élément essentiel dans la culture
générale, nous semble, en ce qui concerne notre patrie, faire oublier
le principe par lequel la tradition de nos arts nationaux peut être
comprise et continuée.
Or, pour la France, il n’a pas été publié, jusqu’à ce jour, de précis
de son évolution d’art depuis ses origines, alors qu’elle abonde en
merveilles, dues surtout aux maîtres et artisans régionaux. Il nous a
donc paru qu’il était utile d’en présenter la synthèse.
Pareille entreprise était complexe. L’expansion même des qualités de la
race et la diversité des efforts dans chaque contrée en rendaient la
réalisation singulièrement difficile. Nous l’avons obtenue en adoptant
la division des oeuvres de nos maîtres français par provinces anciennes.
Cette méthode réunissait le double avantage d’en faciliter l’étude
historique et d’en déterminer les attaches de terroir.
On ne peut, en effet, connaître intimement l’art français qu’en
étudiant nos vieilles provinces. Là se sont formés et développés des
groupes ethniques qui, chacun ayant son caractère particulier, ont
marqué d’une profonde empreinte, les oeuvres qui en sont issues, par
l’influence des moeurs et des coutumes.
Préoccupés de donner, sur chaque région, un exposé documenté et précis
des oeuvres des maîtres et des artisans, dans leurs manifestations les
plus typiques, nous n’avons voulu présenter, ni un sec inventaire, ni
une analyse critique qui dépasserait le cadre de notre dessein, mais
plutôt un résumé clair et substantiel de l’art national par provinces,
de ses origines au milieu du XIXe siècle.
Quant à la rédaction, nous avons choisi nos collaborateurs parmi les
érudits qui, séjournant dans la contrée, ont étudié son art,
s’intéressent à son histoire et qui, placés aux sources mêmes,
apportent chaque jour aux archives de l’État et aux grandes Sociétés
d’études artistiques et archéologiques le fruit de leurs recherches
passionnées.
Chaque collaborateur conserve sa liberté dans le plan que
nous
lui avons tracé et, dans tous les ouvrages, on retrouvera l’expression
intime de notre génie national. Nous aspirons à redonner l’essor au
régionalisme de pensée qui, à notre sens, peut rénover nos arts aussi
bien que notre littérature.
Nous croyons à la nécessité de cette collection « Les Arts Français »,
qui contribuera à faire mieux connaître et mieux aimer encore le
merveilleux pays qu’est le nôtre, pays dont la séduction s’exerce non
seulement par le charme de sa physionomie, mais par la richesse d’une
parure dont onze siècles d’art ont fait un impérissable patrimoine.
PAUL
STECK. - LOUIS LUMET.
PRÉLIMINAIRES
C’
EST avec raison que la Normandie a été
appelée la «
terre des églises et des châteaux », et nulle qualification ne pouvait
être mieux choisie, car elle caractérise la principale richesse
artistique d’une province qui compte au nombre de ses monuments
religieux :
Notre-Dame,
Saint-Ouen
et
Saint-Maclou
de Rouen, les cathédrales de Bayeux, d’Évreux, de Coutances, de Séez,
de Lisieux, les églises de
Saint-Étienne
de
la Trinité,
de
Saint-Pierre
de Caen, d’Eu, de Fécamp, de Gisors, des Andelys, de Louviers, de
Conches, de Norrey, le Mont-Saint-Michel, « la merveille de l’Occident
» ; et parmi ses édifices civils, les châteaux féodaux de Falaise, de
Gisors, d’Arques, de Tancarville, le
Château-Gaillard
et, dans une époque plus moderne, le
Palais de Justice
et l’
Hôtel du
Bourgtheroulde de Rouen, l’
Hôtel d’Écoville
de Caen, les châteaux de Gaillon, de Fontaine-Henry, de Lasson, de
Chanteloup, de Chambray, de Beaumesnil. On voit que la Normandie est
privilégiée entre toutes les provinces françaises.
« Les productions de l’esprit humain, comme celles de la nature
vivante, a dit T
AINE,
ne s’expliquent que par leur milieu. » Cette théorie a du vrai, mais
elle est trop absolue. Lorsque le génie ouvre à l’art des horizons
nouveaux et le porte aux sommets, il suit une voie mystérieuse et
libre. Pourrait-on bien définir le milieu auquel on doit les imagiers
de Chartres et de Reims, G
IOTTO, D
ONATELLO,
les V
AN E
YCK, L
ÉONARD
DE V
INCI, M
ICHEL-A
NGE,
R
APHAEL, V
ELAZQUEZ,
R
EMBRANDT, C
LAUDE L
ORRAIN
? Il serait plus exact de dire que le milieu aide à expliquer et à
comprendre les différences spécifiques, les préférences et les
variations du goût que l’on remarque aussi bien dans la littérature que
dans l’art et l’industrie des nations civilisées. Considéré dans sa
moyenne et circonscrit dans les limites d’un pays, l’art est une
résultante. Le caractère de la race, le régime politique, la richesse
du sol, le degré de sécurité publique, les relations commerciales sont
autant de facteurs importants dont il faut tenir compte lorsqu’on se
trouve en face de la production artistique d’un groupe régional ou
provincial. La Normandie en fournit une preuve.
Une race foncièrement active et entreprenante, fortement organisée par
des ducs souverains, ayant politiquement vécu de sa vie propre durant
trois siècles, initiée à la civilisation par les moines de Jumièges, de
Saint-Wandrille, du Bec, de Caen, capable de conquérir l’Angleterre et
de lui imposer sa langue, ses idées, ses moeurs, son architecture : une
telle race était d’un tempérament assez robuste et d’une trempe
d’esprit assez forte pour avoir son génie propre et produire des oeuvres
artistiques marquées d’une empreinte originale.
Si, à ces caractères distinctifs de la race, on ajoute la fécondité
exceptionnelle de la terre normande arrosée par la Seine et de nombreux
cours d’eau ; un sol renfermant d’innombrables carrières de pierre ou
de granit, fournissant du fer en abondance, couvert çà et là de
séculaires forêts de chênes, de hêtres et de châtaigniers, on
comprendra que ces conditions réunies durent puissamment aider à la
production industrielle et artistique, et en favoriser la durée.
Pendant le Moyen Age, un art vraiment national, l’architecture dite
gothique, prend naissance en France, s’y développe avec un succès
merveilleux, du XIIe au XVIe siècle, imprimant son style et ses formes
à la sculpture, à l’ivoirerie, à l’enluminure des manuscrits, à la
ferronnerie, au vitrail. La Normandie, on le verra, tient son rang et
joue un rôle très actif durant cette apogée de l’art français.
A des époques de paix et de sécurité, la protection de grands seigneurs
et de riches prélats vient donner aux arts un nouvel essor. Qu’il
suffise de nommer les cardinaux d’A
MBOISE et
DE B
OURBON à Rouen et à
Gaillon, les L
E R
OUX DU B
OURGTHEROULDE à Rouen, les L
E V
ENEUR à
Lisieux, à Évreux et à Tillières, les L
E V
ALOIS et les D
UVAL DE
M
ONDRAINVILLE à Caen, les M
ATIGNON en Basse-Normandie.
Montrer que l’architecture, la sculpture, la peinture et les arts
mineurs eurent, dans notre province, surtout à l’époque du Moyen Age et
de la Renaissance, leur accent propre, leurs expressions originales et
variées : tel sera l’objet principal de cette étude. Mais nous aurons à
signaler d’autres oeuvres, bien qu’elles appartiennent à des artistes
étrangers à la Normandie. S’il est le plus souvent impossible de les
séparer du monument pour lequel elles ont été faites, on ne saurait non
plus rester indifférent devant l’initiative de l’homme de goût, quel
qu’il soit, prélat, gentilhomme ou bourgeois, qui en voulut enrichir
les églises, ou simplement décorer sa propre demeure.
Cette étude est un aperçu documenté et précis ; aussi ne nous
arrêterons-nous qu’aux oeuvres vraiment caractéristiques.
ÉPOQUE GALLO-ROMAINE
T
OUS ceux qui ont lu l’histoire savent avec quelle rapidité et quelle
tenacité les Romains s’assimilaient les peuples dont ils avaient fait
la conquête, en important chez eux leur organisation politique, leurs
usages, leurs industries et leurs arts. Et comme à Rome l’art était
avant tout une institution sociale, l’architecture devint pour eux le
signe d’une activité toute puissante, et la construction des édifices
publics un moyen de domination.
Les provinces méridionales de la Gaule, notamment le bassin du Rhône,
gardent de nombreux et très beaux spécimens de l’architecture
gallo-romaine. S’il n’y eut pas dans les contrées du nord-ouest des
monuments comparables aux Arènes d’Arles et de Nîmes, au Pont du Gard,
à la Maison Carrée, au Tombeau de Saint-Rémy, au Théâtre et à l’Arc
d’Orange, on y voyait néanmoins, au commencement du IIIe siècle et même
auparavant, des temples et des constructions d’une grandiose
architecture.
C’est ainsi qu’à Évreux on a mis à jour des chapiteaux à feuilles
d’acanthe de dimensions colossales, des fûts de colonnes avec feuilles
imbriquées, des fragments de corniches et de frises sculptées, de
superbes inscriptions sur bronze et sur pierre. On a reconnu
l’existence de la muraille de l’enceinte militaire en petit appareil,
pouvant dater du IIIe ou du IVe siècle, et dont le soubassement était
formé de tronçons de grosses colonnes, de débris de corniches plus
anciennes : particularité qui se rencontre au Mans, à Sens, etc. C’est
bien là l’art architectural gallo-romain, imposant, mais lourd et
chargé d’ornements, que l’on retrouve à cette époque dans les régions
septentrionales de notre pays.
A Berthouville (Eure), lors des fouilles conduites en 1897 par le P.
C
AMILLE DE LA C
ROIX, on a découvert dans les fondations d’un temple de
Mercure, rebâti au IVe siècle, des fragments considérables de colonnes,
d’entablements, de corniches de grande proportion qui provenaient d’un
temple plus ancien détruit vers l’an 270, pendant les invasions
germaniques et la révolte des Bagaudes. Ces matériaux antiques étaient
naturellement extraits des carrières de pierre environnantes. Près de
ce temple dédié au Mercure de
Canetonum, on a reconnu un théâtre et
quelques autres constructions, mais pas de nécropole. Il n’y eut jamais
là de ville ni d’agglomération importante. « On se trouvait en présence
des ruines d’un
forum, a écrit M. Babelon, ou si l’on veut d’un champ
de foire gaulois, puis gallo-romain, installé en pleine campagne, à
proximité du croisement de routes nombreuses, sur les confins du
territoire des Lexoves et des Eburovices. »
La riche peuplade des Lexoves avait son Sénat et son chef suprême nommé
Vergobret. La ville actuelle de Lisieux est assise sur des ruines
romaines. En 1818, l’existence d’un théâtre fut constatée, et plus
tard, des travaux de terrassement ont mis à jour une infinité de
fragments de marbre, de statuettes, de médailles, et de vases du galbe
le plus élégant. Vieux, l’
Aregenuæ de la carte de Peutinger, renferme
un théâtre délabré en 1856 et de nombreuses substructions romaines ;
mais cette localité est surtout célèbre par le piédestal de marbre
chargé d’inscriptions, découvert à la fin du XVIe siècle et déposé au
musée de Saint-Lô, qui portait la statue que les trois provinces des
Gaules avaient fait ériger, en l’an 238, en l’honneur de Titus Sennius
Solennis, grand-prêtre de Mercure, de Mars et de Diane, dans sa cité
des Viducasses. Le sol de Bayeux,
Augustodurus, et des environs, a
fourni des débris antiques qui attestent son importance, notamment cinq
colonnes militaires avec des inscriptions relatives aux empereurs
Claude, Néron, Marc-Aurèle et autres, c’est-à-dire s’étendant depuis
l’an 46 jusqu’à l’an 313.
MOSAÏQUES
D
ES fouilles exécutées à différentes époques à Lillebonne,
Juliobona,
ont mis à jour un théâtre, un balnéaire, une villa et d’autres
constructions indéterminées. En 1870, on trouva dans une salle voisine
du théâtre une mosaïque, probablement du IIe siècle, dont le sujet
central est
Apollon poursuivant Daphné ; quatre scènes d’une chasse
au cerf forment l’encadrement. Cette mosaïque vraiment somptueuse
renferme une inscription qui en double l’intérêt. On lit sur un tillet,
dans le médaillon central : T. SEN. FILIX C PVTEOLANVS FEC. et sur un
autre : ET AMORCK DISCIPVLVS. C’était donc un mosaïste de Pouzzoles qui
était venu à Lillebonne à la demande d’un riche gallo-romain. Aussi
n’est-on pas surpris de voir que le style du sujet principal rappelle
de très près celui des grandes peintures mythologiques de Pompéi.
Une autre mosaïque fort belle, conservée comme la précédente au Musée
d’antiquités de Rouen, avait été trouvée en 1838 dans une villa de la
forêt de Brotonne. Au centre, on voit
Orphée jouant de la lyre ; sur
chaque face sont figurés des animaux que le divin chanteur est censé
apprivoiser ; aux angles, quatre têtes de femmes représentent les
quatre saisons ; le tout encadré par une bordure d’élégants rinceaux.
STATUES
L
ES riches Gaulois, initiés par les Romains à une civilisation
supérieure, eurent comme eux la passion des statues ; ils en
encombraient leurs villas. Malgré les incendies et les pillages des
Barbares, notre sol en recélait - et en recèle encore - un grand
nombre. Si elles ne nous sont pas toujours parvenues intactes, elles
gardent du moins leur valeur d’art et d’enseignement.
A Lillebonne, on trouva en 1838 une grande statue de femme en marbre
blanc (Musée de Rouen), et une splendide
statue d’Apollon, en bronze
doré, de 1m94 de hauteur ; elle est au Louvre.
Nous mentionnerons parmi les bronzes du Musée de Rouen : une
statuette
d’Hercule, de bon style, un petit
Mercure debout, et surtout un
admirable
Mercure assis sur un rocher, découvert en 1842 à Epinay
(Seine-Inférieure). Le dieu est nu et coiffé du pétase ; ses yeux sont
incrustés d’argent ; le modelé du corps est parfait. Ce petit
chef-d’oeuvre de grâce et de souplesse est une copie libre du Mercure au
repos du Musée de Naples.
Au Vieil-Évreux, situé sur le plateau sud-est à six kilomètres de
l’antique
Mediolanum, les Romains avaient établi la ville
administrative, ou tout au moins installé le palais de quelque grand
personnage ou fonctionnaire. Un long aqueduc, des thermes, un théâtre,
une basilique montrent toute l’importance de cette résidence. De
nombreux objets d’art ont été trouvés dans le sol, notamment une
statue de Jupiter et une
statue d’Apollon en bronze, des
statuettes, en même métal, de
Bacchus, de
Sylvain, de
Minerve,
une
Victoire, un
Amour portant un fardeau au-dessus de sa tête, un
masque de bronze, des inscriptions sur bronze et sur pierre, des camées
et des intailles. La statue du Jupiter du Vieil-Évreux est célèbre ;
elle mesure 92 centimètres de hauteur et date de la première moitié du
IIe siècle. L’
Apollon, de facture moins magistrale que le
Jupiter,
est néanmoins fort remarquable et d’une excellente conservation.
VERRERIE
L
ES Romains atteignirent dans l’art de la verrerie à une perfection
vraiment étonnante : le
vase de Portland au British Museum, le
vase
de la Vendange et la coupe de verre noir à émaux de couleurs du Musée
de Naples sont de pures merveilles.
Dans les Gaules, il y eut de nombreuses verreries. Une stèle découverte
à Lyon, en 1767, nous apprend que
Julius Alexander, citoyen de
Carthage, habile ouvrier en l’art de la verrerie, s’était établi à Lyon
et qu’il y mourut.
Une quantité d’objets de verrerie usuelle, tirés du sol et des
tombeaux, sont indubitablement sortis de fours établis en Normandie à
l’époque romaine : patères, gobelets, ampoules, bouteilles,
abalastra, verroteries de colliers, barillets, vases de formes
diverses pour incinérations. La Seine-Inférieure en a fourni un nombre
considérable, grâce aux fouilles de l’abbé C
OCHET.
Au moyen du moulage soufflé dans un creux de bois ou de métal, les
verriers romains obtenaient soit des marques de fabrique, soit des
inscriptions, des figures en pied ou des feuillages sur la surface du
vase ; ces motifs, pris dans la pâte à chaud, sont nécessairement d’un
dessin mou et insuffisant. Le Musée de Rouen a recueilli une coupe
moulée à reliefs, trouvée à Trouville-en-Caux en 1857. Elle représente
un quadrige courant dans un cirque, avec les noms de deux gladiateurs
célèbres. Des coupes analogues, mais en moins bon état, ont été
trouvées à Autun et à Londres.
La décoration à froid laissait au verrier plus de temps et de liberté ;
elle se faisait à la molette ou au foret montés sur un tour. Ces
oeuvres, plus fines et plus soignées, se rencontrent assez rarement.
Paris, Londres, Berlin, Nuremberg en possèdent des spécimens. L’un des
plus beaux est assurément celui qui a été trouvé à Évreux, en 1884,
dans le sarcophage d’une jeune femme, avec quelques bijoux et un
collier de perles. Cette coupe, d’une merveilleuse conservation, est
entièrement couverte de stries et de dessins géométriques. (Musée
d’Évreux).
OFÈVRERIE, BIJOUX
L
ES vases précieux, les bijoux d’or et d’argent, les parures gemmées,
conservés dans les musées ou les collections particulières, sont
relativement rares.
On connaît l’histoire du trésor de Berthouville, fortuitement trouvé en
1830 sous la charrue d’un laboureur ; c’était la cachette du temple de
Mercure de
Canetonum placée là pour être soustraite aux envahisseurs
barbares. Le trésor comprend soixante-neuf objets d’argent que l’on
peut admirer au Cabinet des médailles de la Bibliothèque nationale ;
nous ne saurions les décrire ici. Il est probable que la statuette du
Mercure nu est de fabrication gallo-romaine ; elle est d’ailleurs
plutôt médiocre ; mais les plus beaux canthares sortent d’ateliers
italo-grecs. « Il y a, dit M. B
ABELON, dans le trésor de Berthouville,
une demi-douzaine de vases qui, au point de vue artistique, n’ont point
leur pendant dans aucun trésor ; nous le proclamons hardiment ; ce sont
les plus beaux vases d’argent que nous ait légués l’antiquité. »
Est-ce au trésor d’un temple, ou plutôt au
ministerium ou service de
table de quelque riche fonctionnaire gallo-romain qu’aurait appartenu
la jolie cuiller en argent découverte en 1880 à Preuseville
(Seine-Inférieure) ? Le manche est en forme de pilastre, et un mufle de
lionne le rattache au cuilleron arrondi et orné de niellures ou
rinceaux en émail noir. Cette rare et superbe pièce, d’un grand goût,
ne doit pas être postérieure à la fin du IIe siècle.
En 1848, on trouva à la Haye-Malherbe (Eure), dans une boîte de fer
réduit à l’état friable, une série d’objets en or composant la parure
d’une Gallo-Romaine. Cet écrin comprenait : un anneau sigillaire garni
d’une intaille
niccolo représentant
Rome assise portant une
Victoire ; un camée de sardonyx figurant une tête d’éphèbe ; des
grains d’un collier d’or ; deux pendants d’oreilles garnis d’émeraudes
; une bague formée d’une lame d’or portant sur sa circonférence six
petits grenats sertis en relief et séparant des lettres découpées à
jour qui formaient l’inscription : FRVERE ME : enfin, deux monnaies
d’or, l’une de
Domitien et l’autre de
Lucius Verus.
Le Cabinet des médailles a recueilli un superbe bracelet d’or massif
découpé à jour, découvert en 1821 au Landin (Eure).
Les bijoux de l’époque franque trouvés en Normandie sont très nombreux,
mais leur intérêt est plutôt historique ; ils consistent en fibules,
styles, épingles à cheveux, boucles d’oreilles, bagues, colliers,
plaques d’argent et boucles de ceinturons en bronze parfois incrustées
ou plaquées d’argent. Les motifs d’ornementation sont bien connus, car
on les rencontre dans toute l’Europe centrale, depuis les bords du
Danube jusqu’aux rives de la Baltique ; ce sont des dessins
géométriques, des stries, des entrelacs, des figures d’animaux ou
d’oiseaux fantastiques gravés sur le métal. Une autre décoration qui se
voit assez fréquemment à cette époque consiste en incrustations de
petites plaques de verre rouge montées en cloisonné. l’
épée de
Chilpéric (mort en 481) en est un exemple bien connu. Il se peut que
de véritables grenats en lamelles se rencontrent dans les bijoux
attribués à l’époque franque, et alors il faudrait se demander si ces
objets ne sont pas de provenance orientale, car c’est bien en Orient
que cet art a eu son point de départ. Quoi qu’il en soit, selon M.
Gerspach, le « goût des Mérovingiens pour le grenat véritable ou
artificiel était à ce point prononcé et persévérant qu’il est devenu
l’une des caractéristiques de la race. »
MOYEN-AGE
S
ANS conteste, la période mérovingienne et carolingienne vit s’élever
en Neustrie, comme dans la plupart des autres contrées de la Gaule, des
monastères et des églises. Selon A
UGUSTE L
E P
RÉVOST, l’organisation des
paroisses rurales était à peu près complètement établie dès cette
époque. De tous ces édifices, il n’est pas, pour ainsi dire, resté
pierre sur pierre. Les uns furent détruits pendant les invasions des
Northmans ; les autres, car beaucoup étaient construits en charpente,
périrent dans des incendies ; ceux qui avaient survécu furent trouvés
indignes d’être conservés lorsque l’art architectural eut accompli de
grands progrès. De l’antique abbaye de Saint-Samson-sur-Risle, qui
renfermait des parties du IXe siècle, il ne reste que quelques
chapiteaux conservés au Musée d’Évreux, et des briques ou claveaux en
terre cuite ornés de croix et de fleurons destinés à décorer la surface
des murs et des arcs.
L’abside demi-circulaire de l’ancienne église de
Notre-Dame de Rugles
offre une alternance de pierres de petit appareil et de chaînages de
briques. Les églises de Vieux-Pont-en-Auge, d’Ouillie-le-Vicomte, de
Saint-Jean-de-Livet, de Saint-Martin-de-la-Lieue (Calvados), de Reuilly
(Eure), offrent également de petits appareils carrés ou inclinés,
mélangés de briques plates qui sont, selont toute apparence, de la
seconde moitié du Xe siècle.
Le XIe siècle fut marqué par une rénovation architecturale à laquelle
on a donné le nom de style roman. Cette architecture, fait observer M.
C. Enlart, « coordonne, simplifie et développe les éléments que lui
fournit l’art carolingien… Tout le trésor des formes ornementales
byzantines dont l’origine remonte aux Perses, aux Assyriens, aux
Égyptiens (art copte), est venu s’ajouter aux éléments romains et
francs ; et de ces apports si divers, l’art roman a su composer un
style très homogène et très original. »
Des diverses écoles romanes, celle de Normandie fut la plus précoce et
l’une des plus fécondes.
Fidèles au génie de leur race qui en avait fait, sur les bords de la
Baltique, un peuple de navigateurs et de charpentiers, les Normands
furent dans leur nouvelle patrie, de savants constructeurs et des
ingénieurs habiles. Dès le commencement du XIe siècle, il y eut chez
les moines normands comme une fièvre de construction qui ne s’apaisa
qu’en élevant partout de vastes basiliques dont l’ampleur robuste nous
étonne encore aujourd’hui : Bernay, Jumièges, Saint-Étienne, la
Trinité, Saint-Nicolas de Caen, Cerisy, Lessay, le Mont-Saint-Michel,
Saint-Georges de Boscherville qui est peut-être l’expression la plus
achevée du roman normand. L’austère simplicité de ces architectures est
saisissante. De longues nefs, des piles largement assises et flanquées
de puissantes colonnes, des arcs au profil rudement accusé, des
ouvertures plutôt rares et étroites, produisent un ensemble d’une
majesté un peu sombre, parfois incomparable. L’ornementation est des
plus sommaires ; à peine paraît-on s’en préoccuper à l’extérieur. On la
réserve pour les chapiteaux ou quelque étroit bas-relief, plaqué là on
ne sait pourquoi. Les entrelacs, les inextricables réseaux, les
monstres hybrides cherchant à s’entredévorer semblent empruntés à
quelque boucle de bronze trouvée dans un tombeau franc, ou bien encore
à quelque débris sculpté rapporté des pays scandinaves.
Si nous passons en Angleterre, nous y retrouvons l’architecture romane
normande avec ses dispositions essentielles, son style, son
ornementation. Elle y fut introduite, aussitôt après la Conquête, par
les moines du Bec et de Caen. Des témoignages contemporains nous
apprennent que l’archevêque de Cantorbéry, L
ANFRANC, voulant
reconstruire sa cathédrale, fit venir de Caen, par des bateaux à
voiles, des pierres toutes taillées prêtes à la construction.
V
AUQUELIN, évêque de Winchester, P
AUL, abbé de Saint-Alban, G
ONDULF,
évêque de Rochester, rebâtissent leurs églises à la mode normande. On
attribue même à ce dernier prélat le donjon de
Malling, existant
encore sous le nom de
tour Saint-Léonard, et que l’on regarde comme
le plus ancien type du donjon anglo-normand. Au nombre des églises
romanes d’Angleterre où l’influence normande se fait plus sentir, nous
citerons : Saint-Alban, Winchester et Worcester (cryptes),
Waltham-Abbey, Peterborough, Rochester, Durham, Chichester, Gloucester,
Landisfarne, Southwell.
On connaît l’étrange aventure des deux fils de Tancrède de Hauteville,
R
OBERT G
UISCARD et R
OGER, qui, après trente ans d’une lutte épique
contre les musulmans de Sicile, finirent par les déloger, et fondèrent
un véritable royaume, d’abord comme ducs de Pouille et de Calabre, puis
comme grands-comtes de Sicile. Grâce au merveilleux génie politique de
cette dynastie étrangère, le royaume des Deux-Siciles fut, durant le
XIIe siècle, l’un des plus puissants et des plus prospères de l’Europe
occidentale. Ces rois normands furent de grands bâtisseurs ; mais comme
le pays qu’ils habitaient était déjà en possession d’une civilisation
très avancée qui avait ses architectes, ses artistes, ses mosaïstes, il
n’est pas surprenant que les monuments les plus remarquables qu’ils
firent élever, la chapelle palatine de Palerme, une partie de la
cathédrale de Messine, l’église et le cloître de Monreale, offrent une
combinaison curieuse d’art occidental, byzantin et arabe. Un seul
monument est bien normand et dû à des ouvriers normands, c’est le choeur
et le transept de la cathédrale de Cefalù ; encore est-il à remarquer
que cette construction ne remonte pas au-delà du dernier tiers du XIIe
siècle.
L’avènement du style gothique, principalement caractérisé par l’emploi
de la croisée d’ogives, ne s’est pas produit d’un seul coup, mais à la
suite d’essais et de tâtonnements. « Il ne sort pas entièrement du
style roman, dit M. Enlart, puisqu’il repose sur un élément de
structure tout nouveau et sur un principe décoratif tout à fait
différent ; il peut néanmoins être considéré comme l’aboutissement du
style roman, puisqu’il apporte la solution des recherches qui
préoccupaient les maîtres d’oeuvre romans. » Il n’est donc pas étonnant
qu’un grand nombre d’édifices bâtis dans la première moitié du XIIe
siècle, c’est-à-dire au moment où l’art se transformait, renferment en
quantité presque égale les éléments caractéristiques (arcs, portes,
fenêtres) du style que nous appelons roman et de celui que nous
appelons gothique.
Telle est la nef de la cathédrale d’Evreux, commencée en 1125, et
disposée, à en juger par la distribution de ses piliers, pour supporter
des croisées d’ogives sur plan barlong ; son ornementation est purement
romane. Telles encore plusieurs églises du Calvados : Creully,
Ouistreham, Saint-Gabriel, Bernières. Les voûtes ajoutées vers le
milieu du XIIe siècle aux églises romanes de
Saint-Étienne et de la
Sainte-Trinité de Caen, ainsi qu’à celle de Creully, sont
sexpartites, disposition savante, affectionnée par les Normands. La
cathédrale de Durham, élevée de 1093 à 1133, semble aussi avoir été
destinée à porter des voûtes sur nervures. L’école anglo-normande
aurait donc des droits sérieux à l’invention de la croisée d’ogives. Il
convient toutefois de faire observer que d’éminents archéologues n’en
sont pas encore bien convaincus.
La période gothique proprement dite a doté la Normandie de monuments
d’une beauté supérieure. Le premier en date est la cathédrale de
Lisieux. Construite dans sa majeure partie de 1160 à 1190, elle offre,
par la sévère ordonnance de ses colonnes et la belle sculpture de
quelques chapiteaux, une certaine analogie avec sa contemporaine la
cathédrale de Laon. Nous ferons remarquer que le rond-point de
l’abside, de style normand, a été rebâti à la suite d’un incendie entre
les années 1226 et 1235. Le grand portail et la tour-lanterne sont
également de ces dernières dates.
Qui n’a été frappé, en entrant dans la cathédrale de Rouen, de la
majesté de l’ensemble, de l’ampleur des proportions, de la variété et
de l’imprévu des aspects qui se multiplient à mesure que l’on avance
vers l’abside ? Reconstruite dans le premier tiers du XIIIe siècle,
elle a compté parmi ses maîtres de l’oeuvre J
EAN D’A
NDELY, qui en traça
probablement le plan ; E
NGUERRAN, qui y travailla jusqu’en 1214, avant
d’élever l’église abbatiale du Bec ; D
URAND, dont le nom se lit sur
l’une des clefs de voûtes de la nef ; G
AUTIER DE S
AINT-H
ILAIRE en 1251
; J
EAN D
AVI en 1278, auquel on doit le
portail des Libraires, et sans
doute aussi celui de
la Calende ; au XIVe siècle, G
UILLAUME DE
B
AYEUX, J
EAN DE P
ÉRIERS, J
EAN DE B
AYEUX ; au XVe siècle, J
EAN S
ALVART,
J
EAN R
OUSSEL, G
EOFFROY R
ICHIER, G
UILLAUME P
ONTIFZ, l’auteur du
ravissant escalier de la bibliothèque du chapitre et de la
Tour de
Beurre. On travailla durant des siècles à cette immense cathédrale de
Rouen, et c’est précisément cette variété dans les conceptions
architecturales, cette habileté toujours soutenue dans l’exécution qui
retiennent volontiers la curiosité et l’attention du touriste et de
l’archéologue.
Saint-Ouen est plus vite vu. Mais quelle impression profonde produit
cette simple et claire ordonnance ! Quelle émotion douce et pénétrante
se dégage de toutes ces pierres qui semblent chanter quelque hymne
religieux ! « L’édifice, a dit Eug. Noël, de la base au faîte, est dans
une perpétuelle vibration ; les bourdonnements s’y promènent, montent,
descendent, répétés d’écho en écho. Tout bruit y devient mélodie. »
Toutefois, ces lignes architecturales du XIVe siècle finissant ne vont
pas sans quelque sécheresse, et les vastes nefs, les chapelles
largement ouvertes n’ont plus le mystérieux recueillement de la
cathédrale du XIIIe siècle.
Saint-Ouen est en grande partie l’oeuvre
de J
EAN DE B
AYEUX, d’A
LEXANDRE DE B
ERNEVAL, mort le 8 janvier 1441, et
de son fils C
OLIN DE B
ERNEVAL.
A l’autre extrémité de la Normandie, la cathédrale de Coutances, élevée
pendant la seconde moitié du XIIIe siècle, présente un caractère
d’unité très remarquable. A la logique simplicité de son plan, à la
sobriété de sa décoration, elle unit la grandeur et la beauté des
proportions. La vue extérieure de l’abside dominée par la tour centrale
et les flèches est vraiment superbe. Coutances est certainement le
spécimen le plus complet du gothique normand.
Le choeur de Bayeux est plus vaste encore que celui de Coutances et plus
décoré. La nef de Séez, avec ses grosses colonnes aux bases et aux
chapiteaux arrondis, est lourde et manque de charme ; par contre, le
choeur, du commencement du XIVe siècle, est d’une élégance et d’une
sveltesse surprenantes. A Évreux, le choeur « 1295-1320) est un
chef-d’oeuvre par ses proportions harmonieuses, la pureté de ses voûtes,
la splendeur de ses vitraux. « C’est, a écrit Gonse, l’un des plus
beaux morceaux de l’architecture gothique en France. »
Resteraient encore à mentionner Les Andelys, ancienne collégiale du
premier tiers du XIIIe siècle, dont on a attribué le plan à J
EAN
D’A
NDELY ; Louviers, antérieur à 1230, avec une large nef portée sur
des piliers cylindriques et éclairée par de curieuses fenêtres amorties
en trilobe ; le choeur de
Saint-Étienne de Caen, construit vers 1200
par M
AITRE G
UILLAUME, et restauré entre 1316 et 1344 ; la charmante
église de Norrey ; Saint-Pierre-sur-Dives, qui a conservé un beau
carrelage vernissé de la fin du XIIIe siècle ; dans la Haute-Normandie,
Fécamp (1175 à 1225), Eu (1180 à 1230), et l’ancien prieuré de
Beaumont-le-Roger (1269).
Les architectes de la région de Caen et de Bayeux ont montré un goût
décidé pour les hauts clochers de pierre ; n’avaient-ils pas d’ailleurs
sous la main des matériaux de premier choix ? Dès le XIIe siècle, on
voit apparaître les flèches quadrangulaires d’Allemagne, de
Saint-Contest, de Saint-Michel de Vaucelles, de Vienne, de Rosel, de
Colleville-sur-Mer. Au XIIIe siècle, les flèches deviennent polygonales
et sont flanquées de clochetons et de lucarnes qui complètent
heureusement leur silhouette élancée : Bayeux, Langrune, Douvres, Ifs,
Ducy, Secqueville, Louvières, Bernières-sur-Mer, Vierville-sur-Mer et
surtout Saint-Pierre de Caen, du commencement du XIVe siècle, le roi
des clochers normands.
C’est encore au XIIIe siècle, et dans les diocèses de Bayeux et de
Coutances, que le gothique normand a déployé le mieux son originalité.
« De 1220 à 1230, dit Viollet-le-Duc, nous voyons l’architecture
normande se réveiller et s’emparer du style ogival pour se
l’approprier, comme un peuple conquis modifie bientôt une langue
imposée pour en faire un patois. » Pour nous autres Normands, ce mot «
patois » n’a rien qui puisse nous offusquer ; car de même que notre
vieux langage - patois si l’on y tient - a eu sa littérature que l’on
étudie aujourd’hui, ainsi l’architecture et la sculpture décorative
normandes, malgré quelques défauts, ont connu des destinées assez
glorieuses pour que nous en gardions quelque fierté.
M. Enlart les caractérise ainsi : « L’école normande se distingue de
l’école de l’Ile-de-France par des formes plus sèches, plus monotones
et systématiques, plus aiguës et plus anguleuses. Le plan rectangulaire
y est plus fréquent encore dans les chevets des moyennes églises, et il
persiste dans un certain nombre de flèches de clochers ; les arcs
brisés prennent parfois un tracé excessivement pointu, car les arcs
larges et étroits d’une même composition, tels que baies de clochers
encadrées d’arcatures, ou fenêtres garnies de meneaux ou remplages,
sont souvent tracées avec une seule et même ouverture de compas ; les
fenêtres s’ébrasent intérieurement par ressauts, et les galeries de
circulation traversent encore leurs embrasures ; les clochers élevés,
couronnés de flèches très aiguës, sont plus fréquents qu’ailleurs ;
l’emploi du chapiteau rond sans crochets est perpétuel ;
l’ornementation reste en partie géométrique ; on y remarque notamment
des suites de médaillons tréflés ou quadrilobés ; l’ornementation
végétale elle-même a quelque chose de symétrique et d’un peu
conventionnel ; elle est généralement empreinte de quelque monotonie ;
les feuilles offrent des types particuliers à lobes tout arrondis ; la
statuaire est rare. »
A ces traits on peut ajouter : l’usage à peu près constant des
tours-lanternes à l’intersection des transepts ; les chapelles
circulaires et les tourelles carrées à l’abside ; les immenses fenêtres
en place de roses aux transepts et au portail principal ; la
multiplication des moulures aux arcs intérieurs et extérieurs
;
l’emploi du cul-de-lampe coudé à la retombée des voûtes ; les tympans
des arcs parfois profondément refouillés en treillis de feuillages et
de fleurs (
cloître du Mont-Saint-Michel), le double remplage
dissemblable des fenêtres du clerestory (
cathédrale de Séez).
Ces motifs architectoniques, nous les voyons pour la plupart adoptés et
appliqués à outrance en Angleterre, où le style normand avait encore
trouvé, dans le cours du XIIIe siècle, - chose assez étrange - un champ
d’influence incomparable. On peut citer : York, Ely, Lincoln,
Worcester, Salisbury, Beverley, Chester, Wells, Exeter et la grande
église de Westminster.
L’ordre de Cîteaux a possédé en Normandie, notamment dans les diocèses
de Rouen et d’Évreux, d’importants monastères. Ce qui en subsiste
aujourd’hui à Mortemere, à Bonport, à Fontaine-Guérard, à la Noë, au
Breuil-Benoît, construits à la fin du XIIe siècle ou au commencement du
XIIIe, nous révèle l’austère simplicité et la noble ordonnance de ces
églises, salles capitulaires, réfectoires, bâtis, il est vrai,
conformément aux règles rigoureuses de l’architecture cistercienne,
mais par des ouvriers qui avaient su imprimer à leur oeuvre un accent
local et bien normand. Le Breuil-Benoît se rapproche plutôt du type
chartrain, ce qui s’explique par le voisinage..
L’établissement du système féodal et la multiplication des
châteaux-forts sont deux événements corrélatifs. Dès la seconde moitié
du XIe siècle, on voit des châteaux solidement construits en blocage et
en pierre succéder aux blockaus de bois plantés sur une motte de terre
et défendus par des palissades et des fossés. La forme carrée ou
rectangulaire de ces nouveaux châteaux est très caractéristique et
persiste jusque dans le XIIe siècle ; c’est celle des donjons du
Plessis-Grimoult, du Pin, de la Pommeraye, de Falaise (Calvados), de
Domfront, de Chambois (Orne), de Brionne (Eure). A la même époque,
l’architecture militaire anglaise s’inspire évidemment de celle de la
Normandie ; nous citerons seulement les châteaux de Rochester, de
Newcastle, de Richemond, de Douvres, de Norwich, de Hedingham, de
Conisburgh, de Guildford. Parfois cependant, à la forme carrée on
préfère la forme polygonale, par exemple au donjon de Gisors, bâti par
ordre de Guillaume Le Roux sur les plans donnés par R
OBERT DE B
ELLESME.
Ce château fut agrandi par Henri Ier et Henri II, et plus
tard
par Philippe-Auguste. Le
Château-Gaillard, dont tout le monde connaît
la position à la fois pittoresque et formidable, fut construit sur un
plan très original par R
ICHARD C
oeUR-DE-L
ION, dans les dernières années
du XIIe siècle. Orderic Vital nous a conservé le nom de L
ANFROI,
architecte célèbre, qui éleva le donjon d’Ivri, maintenant détruit.
SCULPTURE ET STATUAIRE
O
N a volontiers reconnu aux Normands la qualité de grands bâtisseurs,
mais généralement on leur refuse celle de sculpteurs et de statuaires.
Cette dernière assertion ne nous paraît pas justifiée.
Il est certain que la Normandie ne peut offrir un ensemble tel que
Paris, Chartres, Amiens, Bourges et Reims. Néanmoins, dès la fin du
XIIe siècle, la cathédrale de Rouen voit ses portes de
Saint-Jean-Baptiste et de
Saint-Étienne couvertes d’une décoration
sculpturale fort riche et d’un dessin très ferme. A Lisieux, certains
chapiteaux de la nef, les portes de la façade, les deux enfeus du
transept nord révèlent un goût délicat. Il y avait au portail
occidental de la cathédrale de Séez dix grandes statues datant de 1230
à 1240 ; c’était une oeuvre bien normande, à en juger par les caractères
du monument ; tout cela a malheureusement disparu, sauf les bas-reliefs
du tympan, mutilés eux-mêmes. L’ornementation très fouillée de la porte
trilobée de la même cathédrale procède évidemment de Rouen et de
Lisieux, et se rapproche beaucoup de celle du portail de Bayeux.
Vers 1260 , alors qu’à Rouen on se bornait à mettre en place les
statues colossales abritées sous les dais des contreforts des
bas-côtés, Paris, Chartres, Amiens, Reims avaient peuplé de tout un
monde de statues leurs cathédrales achevées. A Rouen, la façade
occidentale était seule terminée. Ce n’est qu’en 1280 que l’on conçoit
le projet d’élever le portail et la façade des
Libraires ; en 1302,
on commence le portail de la
Calende. « Ces travaux du commencement
du XIVe siècle, a dit Viollet-le-Duc, surpassent comme richesse et
comme beauté d’exécution tout ce que nous connaissons en ce genre à
cette époque. Alors la Normandie possède une école de constructeurs,
d’appareilleurs et de sculpteurs qui égale l’école de l’Ile-de-France.
Le portail de la
Calende et des
Libraires, la chapelle de la
Sainte Vierge de la cathédrale de Rouen sont des chefs-d’oeuvre. » Et
le même écrivain ajoute : « Malgré la profusion des détails, la tenuité
des moulures et de l’ornementation, ces portes conservent encore des
masses bien accentuées, et leurs proportions sont étudiées par un
artiste consommé ».
La statuaire n’est pas inférieure à cette belle architecture ; les
contreforts des façades, les ébrasements et les voussures des portes,
l’encadrement des roses, le gâble lui-même sont constellés de statues.
La finesse de l’exécution, l’observation très délicate de la nature,
une certaine coquetterie dans la pose, ont remplacé la simplicité un
peu lourde d’Amiens et la sévérité presque farouche de Chartres. A
Rouen, les plus grandes statues n’ont rien de disproportionné ; la
silhouette un peu maigre est toujours élégante, les draperies sont
savamment disposées, et les traits du visage ont quelque chose de calme
et de pondéré, comme le caractère normand. Il y a au portail des
Libraires quelques statues de saintes d’une gravité douce et familière
vraiment charmante. C’est du
portail de la Calende et de la sculpture
qui le décore que Viollet-le-Duc disait : « Tout cela est exécuté avec
une rare perfection, et les statues, qui ne dépassent pas les
dimensions humaines, sont de véritables chefs-d’oeuvre pleins de grâce
et d’élégance ».
Si maintenant l’on se demande à quel foyer artistique les imagiers
rouennais du XIVe siècle étaient allés réchauffer leur imagination et
demander des idées, on s’apercevra aisément que c’est à Reims, et l’on
en trouvera une preuve dans la scène du Couronnement de la Vierge,
au-dessus de la rose de la Calende, qui n’est qu’une reproduction
réduite et simplifiée de celle du grand portail de Reims.
Il conviendrait de dire ici quelque chose de la statuaire funéraire
dont la Normandie offre de bons exemples du XIVe et du XVe siècles ;
qu’il suffise d’indiquer les effigies tombales de
Sainte-Marie-aux-Anglais, de Campigny, d’Aunay-sur-Calonne, de la Cambe
(Calvados), de Saint-Éloi de Fourques, - G
EOFFROY F
AÉ, abbé du Bec,
puis évêque d’Éveux, mort en 1340, curieux type de finesse et de
bonhomie, bien observé et bien rendu, - d’Étrépagny, de Pont-Audemer,
de Fécamp, d’Envermeu, d’Eu, de Valmont. Parmi les nombreuses statues
de la Vierge de cette époque, mentionnons celles de
Saint-Nicolas de
Coutances, de Saint-Planchers, de Muneville (Manche) ; du Besneray
(Calvados) ; d’Écouis, de Bosrobert, de Beaumontel.
C’est entre les années 1390 et 1410 que l’on peut placer la série
d’apôtres et d’évangélistes ornant autrefois le choeur de l’abbatiale du
Bec (aujourd’hui à Sainte-Croix de Bernay). Quelques-unes de ces
statues, par leur carrure puissante, l’ampleur des draperies, l’imprévu
de la pose, font penser à certaines oeuvres de C
LAUX S
LUTER et de son
école ; leur auteur avait dû passer par la Bourgogne. Quant aux autres,
traitées dans le goût du XIVe siècle, mais avec un type physionomique
très personnel et d’une grandeur un peu sauvage, elles doivent être
attribuées aux imagiers normands attachés au chantier de la cathédrale
de Rouen, en pleine activité au commencement du XVe siècle.
En 1407, le maître de l’oeuvre J
EAN S
ALVART reconstruit la partie haute
du portail de
Saint-Jean-Baptiste à laquelle travaillent les
imagiers J
EAN L
ESCOT et P
IERRE L
EMAIRE. En 1420, un autre imagier,
J
EAN L
E H
UN, exécute pour ce même portail dix-neuf grandes statues ;
quelques-unes sont encore en place ; ce sont des apôtres et des évêques
à la pose un peu raide, qui rappellent beaucoup les apôtres du Bec. Le
goût des imagiers qui travaillaient à Rouen aux environs de 1420
retardait sensiblement sur celui qui dominait en Flandre ou en
Bourgogne. Cette persistance d’un style traditionnel et vieilli
s’explique par l’état précaire d’une province où le désarroi causé par
la guerre anglaise paralysait et ajournait tout progrès artistique.
La sculpture sur bois a produit durant la période gothique un bon
nombre de monuments qui méritent d’être étudiés. Au premier rang, nous
placerons les stalles d’église. Celles de la cathédrale de Lisieux
appartiennent aux premières années du XIVe siècle ; elles sont assez
simples, mais de belle forme. Du dernier quart du même siècle datent
les quarante-six stalles de la cathédrale d’Évreux, puisque, d’après le
Gallia christiana, le roi assigna aux chanoines, le 17 juin 1377, 200
livres d’or « pour refaire les stalles du choeur. » Quant aux
quatre-vingt-huit stalles de la métropole de Rouen, elles furent
exécutées de 1457 à 1469, sous la direction de P
HILIPOT V
IART, par un
atelier de huchiers normands et flamands. La dépense totale, y compris
le trône de l’archevêque, malheureusement détruit, s’éleva à la somme
de 7.673 livres 18 sols 3 deniers. L’ancienne collégiale d’Andely
possède une série de stalles du XVe siècle qui, selon toute
vraisemblance, peuvent être attribuées à un huchier andelysien, N
ICOLAS
L
ECHEVALIER, appelé au mois de mai 1466 pour donner son avis sur la
confection des stalles de la cathédrale de Rouen.
Il existe, dans l’église de Bourg-Achard (Eure), autrefois prieuré de
Chanoines réguliers de saint Augustin, des stalles du XVe siècle
surmontées d’un dais courant que supporte, à chaque extrémité, un large
rinceau de feuillages s’enroulant autour de têtes enchaperonnées et
quelque peu grotesques. Mais, pour intéressantes que soient ces
stalles, elles sont loin de valoir le splendide trône ou siège destiné
au célébrant et à ses deux assistants. Les accoudoirs sont terminés par
les statuettes des quatre évangélistes, et le haut dossier est orné
d’un quadrillé encadrant des fleurs de lys. Au-dessus du dais, formé de
trois gâbles subtrilobés, s’élève un triple fenestrage soutenu par des
arcs-boutants et des pinacles d’une extrême légèreté. Cette merveille
de l’art du huchier mesure près de six mètres de hauteur, et date des
premières années du XVe siècle. Selon M. H. Langlois, elle rappelle les
beaux trônes ou
chaises des monnaies d’or de Philippe de Valois.
CÉRAMIQUE
O
N connaît le rôle important de la terre cuite émaillée dans le
carrelage des églises et des châteaux pendant tout le Moyen Age, et il
n’est guère de province où l’on n’en retrouve quelques traces. La
Normandie posséda plusieurs centres de fabrication de ces produits
céramiques, notamment la vallée de Bray, dans la Seine-Inférieure, le
Molay et le Pré-d’Auge, dans le Calvados.
Le plus beau et le plus complet carrelage du XIIIe siècle qui subsiste
aujourd’hui est celui de l’église de Saint-Pierre-sur-Dives. Les
figures jaunes sur fond noir, ou noires sur fond jaune, représentent
des cerfs, des lions, des chimères, des aigles à deux têtes, des fleurs
de lys, des entrelacs feuillagés du plus beau style ; le dessin général
est concentrique, et les briques sont taillées en claveaux. Pour
obtenir le jaune, on avait placé sous la couverte de plomb une couche
mince de terre blanche sur la brique rougeâtre ; quant au noir, il
avait été également appliqué après coup. On peut s’en assurer dans les
cassures.
Les motifs héraldiques, fleurs de lys, roses, bars, merlettes, ont été
fréquemment employés dans les carrelages ; de même, les dessins en
rosaces formés de quatre ou même seize carreaux.
Les briques émaillées furent également appliquées à la décoration
tumulaire. Mais si ce mode fut en usage dans d’autres contrées,
notamment dans le Beauvaisis, la Basse-Normandie est certainement la
région où la céramique funéraire a laissé les meilleurs spécimens ; ils
sortaient de la fabrique du Molay. Le manuscrit 4902 du fonds français
de la Bibliothèque nationale renferme trois dessins de tombes en
briques émaillées, provenant de l’abbaye de Fontenay et représentant un
chevalier, une dame
DE B
RUCOURT et un prêtre, G
UILLAUME DE C
ROISILLES,
mort en 1340. De l’abbaye de Longues proviennent six carreaux de la
tombe de G
UILLAUME B
ACON DU M
OLAY ; le style de l’ornementation et de
l’inscription décèle le XIVe siècle. D’autres tombeaux de la même
époque existaient à l’abbaye de Hambye ; le Musée d’Avranches en a
recueilli quelques briques figurées ; les couleurs employées sont le
brun rouge et le jaune verdâtre sous vernis de plomb.
Le Molay ne paraît pas avoir prolongé sa fabrication de carreaux
émaillés au-delà de la fin du XIVe siècle ; le Pré-d’Auge la reprend au
siècle suivant pour la continuer jusqu’au XVIIIe siècle. Les carreaux à
dessins bruns sur fond jaune, ou verts sur fond brun-noirâtre, que l’on
rencontrait en si grand nombre dans les églises, châteaux et manoirs de
la contrée de Lisieux, du pays d’Auge et du Lieuvin sortaient des mains
des potiers du Pré-d’Auge. Ces artisans firent mieux encore ; ils
imitèrent assez habilement les plats à reliefs de B
ERNARD P
ALISSY, et
modelèrent ces superbes épis de faîtage, à la silhouette monumentale,
aux jaspures brillantes, que les musées recueillent avec grand soin.
Au XVIe siècle, on fabriqua dans le pays de Bray des carrelages d’un
type tout différent, de forme hexagonale ou carrée, et de terre très
cuite et fort dure. A l’aide d’une matrice de bois ou de métal, on
imprimait au trait sur la surface, puis on remplissait d’émail bleu ou
noir des arabesques Renaissance, des personnages mythologiques en pied,
des profils dans un médaillon, qui rappellent le style François Ier ;
ces carrelages se rencontrent dans la Haute-Normandie.
Les carrelages de faïence, ou à émail stannifère, sortis des ateliers
de M
ASSEOT AB
AQUESNE, de Rouen, sont le produit d’un art déjà avancé et
vraiment supérieur. En 1542, ils exécutent le pavage du château
d’Ecouen, dont les deux compositions principales,
Marcus Curtius et
Mucius Scevola, sont à Chantilly. Des documents certains nous
apprennent qu’A
BAQUESNE fit, en 1557, le carrelage du château de
la
Bastie d’Urfé ; on lui attribue encore ceux de Polisy et d’une
chapelle de la cathédrale de Langres, et des vases de pharmacie. Le
procédé très perfectionné de la fabrication de ces carreaux, ainsi que
leur style, indiquent que des potiers émailleurs italiens travaillèrent
dans les ateliers d’A
BAQUESNE, comme dans les fabriques de Nevers de la
fin du XVIe siècle.
Vers le milieu du XVIIe siècle, un potier du Pré-d’Auge qui avait
travaillé à Rouen, J
OACHIM V
ATTIER, imagina de fabriquer des pavés de
faïence à dessins symétriques et revêtus du plus bel émail, blanc,
bleu, jaune, vert ou brun ; on les connaissait sous le nom de
pavés
Joachim ou
pavés de Lisieux. Leur vogue fut telle que non seulement
les châteaux et les manoirs normands, mais encore le Trianon de
porcelaine, détruit en 1685, furent pavés, ou eurent l’intérieur de
leurs cheminées revêtu de ces brillants carrelages. Un sieur D
UMONT
établit à Rouen, en 1770, une manufacture de
pavés dits de Lisieux ;
elle fonctionna jusqu’à la fin du XVIIIe siècle.
ORFÈVRERIE
L
E trésor des rois anglo-normands était fort riche, au dire du
continuateur de Guillaume de Jumièges. On connaît le nom de l’un des
orfèvres de Guillaume Le Roux, E
UDES, auquel il avait donné un poids
considérable d’or et d’argent, ainsi qu’une quantité de gemmes et de
pierres fines destinées au monument funéraire de Guillaume le
Conquérant. Aux richesses qu’elle tenait de son père Henri Ier,
l’impératrice Mathilde avait ajouté celles qui provenaient du trésor
impérial et qu’elle avait apportées d’Italie et d’Allemagne après la
mort de son époux Henri V. En 1134, dans une grave maladie dont elle
crut mourir, elle distribua ses trésors à divers monastères normands.
Le Bec reçut pour sa part deux couronnes d’or, dont l’une, qui avait
servi au couronnement de l’empereur, et d’un poids si lourd qu’elle
était soutenue par deux verges d’argent fixées au dais du trône, était
formée de plusieurs plaques articulées, et surmontée d’une croix d’or
massif ; la chapelle, qui comprenait deux calices d’or avec de
nombreuses pierres fines ; enfin une quantité de reliques renfermées
dans des châsses et des phylactères d’or et de cristal.
De toutes ces splendeurs de l’art byzantin, rhénan, anglais et normand,
il ne reste, à notre connaissance, qu’une seule épave : une grande
croix-reliquaire, d’argent doré, de la fin du XIe siècle ou du
commencement du XIIe, donnée par Mathilde à l’
abbaye du Valasse ;
elle est aujourd’hui conservée au Musée d’antiquités de Rouen. La croix
est pattée ; à l’intersection des branches est une petite croix d’or
ornée de perles dans l’oeil des rinceaux ; des filigranes en or
accompagnés de cabochons garnissent les deux faces. La tranche est
recouverte d’un galon, et le revers porte la trace d’une restauration
faite au XVe siècle.
De l’époque mérovingienne jusqu’au commencement du XIIIe siècle, la
forme des châsses à reliques est presque toujours celle des sarcophages
en usage au IVe siècle, c’est-à-dire d’un coffre rectangulaire
recouvert d’un toit à deux rampants. Telle est la belle châsse dite de
Saint-Avit, en argent estampé, conservée autrefois à l’abbaye de
Saint-Nicolas de Verneuil. Les côtés sont décorés de figures
d’apôtres et d’autres saints sous des arcades romanes, et les versants
du toit, de médaillons encadrant des anges. C’est une oeuvre de la fin
du XIIe siècle.
La châsse de
Saint-Sever, au Musée de Rouen, marque la transition
insensible des reliquaires romans aux reliquaires gothiques ; elle
reproduit déjà le plan d’une église à transept. Le champ est garni de
lames de cuivre argenté et estampé de rosettes à six feuilles, avec des
filigranes et des cabochons sur les bordures. Cette châsse, qui fit
partie du trésor de la cathédrale de Rouen, fut donnée à la fin du XIIe
siècle par un chanoine, D
ROGON DE T
RUBLEVILLE, qui mourut vers 1210.
Au XIIIe siècle, on abandonne le type du sarcophage pour donner aux
grandes châsses la forme d’une église, avec flèche, contreforts, et
quelquefois même des bas-côtés. Cette évolution de l’orfèvrerie sous
l’influence de l’architecture est beaucoup plus marquée au nord de la
Loire que dans le midi de la France. La superbe
châsse de
Saint-Taurin appartient à ce type nouveau. Une inscription gravée sur
la bande du plateau inférieur : ABBAS GILBERTVS FECIT ME FIERI, nous
apprend qu’elle fut exécutée par ordre de Gilbert de Saint-Martin, abbé
de Saint-Taurin d’Évreux, mort en 1255. La châsse de Saint-Taurin a été
souvent reproduite par la gravure.
A cette même époque appartient l’
anneau épiscopal de Jean de la Cour
d’Aubergenville, chancelier du roi saint Louis, et évêque d’Évreux de
1244 à 1256 ; il fut trouvé dans son tombeau à la cathédrale d’Évreux,
en 1884. L’anneau d’or massif est orné d’une large plaque quadrilobée
couverte de filigranes fleuronnés ; huit petits châtons répartis sur
les quatre lobes contiennent des grenats et des saphirs. Le centre est
occupé par une grosse topaze. Ce précieux objet est conservé dans
l’ancien évêché d’Évreux.
Deux fois dépouillé, par les Huguenots en 1562, puis à la Révolution,
le trésor de la cathédrale de Rouen n’a guère conservé de ses anciennes
richesses qu’une jolie monstrance de la fin du XVe siècle. Il possède
en outre un superbe reliquaire d’argent doré, dit du
chef de saint
Romain, qui a dû jadis appartenir à l’abbaye de Saint-Ouen. Sur la
plate-forme ajourée d’un fenestrage trilobé s’élève la monstrance de
forme circulaire dont le pied est surmonté d’un gros noeud de cristal de
roche. De chaque côté sont deux anges céroféraires en ivoire. Une
inscription gravée sur la partie supérieure du socle porte les noms des
donateurs et la date de 1340.
On peut voir au Musée d’antiquités de Rouen deux bras reliquaires dont
l’un provient de l’église de Saint-Saëns. Un autre bras du XIIIe
siècle, en argent repoussé, orné de filigranes et de petits médaillons
niellés, se trouvait à l’abbaye de Saint-Nicolas de Verneuil.
Une ordonnance de Charles-le-Bel, en 1325, avait fixé la demeure des
orfèvres de Rouen sur le parvis de Notre-Dame et dans les rues voisines
; chose digne de remarque, c’est encore aujourd’hui le quartier préféré
des joailliers et des bijoutiers. Les statuts de la corporation des
orfèvres furent successivement revisés en 1563, 1654 et 1739. Le Musée
de Cluny possède (n° 5101) une table de cuivre reproduisant les marques
et poinçons « des ouvriers de mestier d’orfavrerie de Rouen » ;
commencée en 1408, elle renferme cent quarante-six noms. Au Musée
d’antiquités de Rouen on conserve une autre lame de cuivre exécutée en
1563, avec les noms des maîtres orfèvres et une troisième table,
remontant au XVIIe et au XVIIIe siècles, est à l’Hôtel de Ville.
ENLUMINURE DES MANUSCRITS
C
’EST dans les antiques monastères de Saint-Ouen de Rouen, de Jumièges,
de Saint-Wandrille, de Saint-Évroult, du Mont-Saint-Michel qu’il faut
chercher les plus anciens spécimens de la peinture ou enluminure des
manuscrits. L’école monastique normande est plus sobre d’ornements que
ses voisines de l’Ile-de-France et de la Picardie ; elle affectionne
particulièrement les entrelacs, les lettres dragontines, les
enroulements de feuillages et d’animaux fantastiques : amalgame de
formes hybrides probablement importées par les moines anglo-saxons qui
vinrent en France à la suite d’Alcuin. Elle a encore un goût spécial
pour les grandes initiales dessinées à la plume, avec quelques rehauts
de couleurs claires.
Certains manuscrits renferment des scènes à personnages ; le dessin a
de la dureté, mais l’effet est surprenant et d’une grandeur un peu
sauvage. Citons une figure de
saint Grégoire, accompagnant une copie
des Homélies exécutées au Mont-Saint-Michel ; le saint est dessiné en
rouge sur un fond vert. Même parti pris dans un cartulaire du milieu du
XIIe siècle provenant de la même abbaye (
Saint Michel apparaissant à
saint Aubert ;
la princesse Gonnor, femme de Richard Ier, faisant une
donation à Hildebert, abbé du Mont-Saint-Michel), et dans la Chronique
de Fontenelle, du Xe ou XIe siècle (
Saint Ansbert avec un moine à ses
pieds). Ces enluminures sont au trait de plume.
Un groupe fort intéressant de manuscrits anglo-saxons, dont trois
proviennent de l’abbaye de Jumièges, est conservé à la Bibliothèque de
Rouen. Il comprend un missel ou sacramentaire, un bénédictionnaire
venant du chapitre de Rouen, un pontifical et un psautier : ces
manuscrits sont du IXe au XIe siècle. Le missel et le bénédictionnaire
sont ornés d’un grand nombre de miniatures et d’initiales d’un goût
particulier, anglo-saxon évidemment, mais influencé par les enlumineurs
italiens plus accessibles aux réminiscences de l’art antique.
Notons encore, à la Bibliothèque d’Évreux, un psautier du XIe siècle,
avec une miniature à pleine page représentant
saint Michel terrassant
le dragon et, en regard, le premier verset d’un psaume en capitales
rustiques d’or sur fond pourpré. Ce manuscrit provient de l’abbaye de
Lyre.
La Bibliothèque de Rouen est très riche en manuscrits à enluminures du
moyen âge.
On sait que le fameux missel de J
UVÉNAL DES U
RSINS, exécuté de 1449 à
1457 et détruit dans l’incendie de l’Hôtel de Ville de Paris en 1871,
avait appartenu à R
AOUL D
U F
OU, évêque d’Évreux, de 1479 à 1511. La
Bibliothèque d’Évreux conserve un beau pontifical exécuté pour le même
prélat, renfermant trois grandes miniatures et sept petites d’une
grande fraîcheur de coloris et, de plus, un pontifical avec plusieurs
miniatures, ayant appartenu à l’un des L
E V
ENEUR, évêques d’Évreux
(1511-1574). En 1518, un cordelier d’Évreux, frère J
ÉRÉMIE L
OUEL,
calligraphiait et enluminait pour son couvent un graduel en trois
volumes in-folio, ornés de quelques grandes miniatures fort belles,
malheureusement détériorées par l’humidité.
A cette catégorie des livres liturgiques se rattache le
Graduel
(Bibliothèque publique de Rouen) exécuté en 1682 pour l’église de
Saint-Ouen de Rouen par D. D
ANIEL D’E
AUBONNE, religieux de ce
monastère. Cet énorme manuscrit est rempli de miniatures, initiales et
bordures, dignes, malgré une certaine lourdeur de dessin, des plus
habiles miniaturistes de la cour de Louis XIV.
PEINTURE MURALE
N
OUS parlerons ici de la
Broderie de Bayeux. C’était une véritable
décoration murale que cette toile de 70 mètres de longueur, que l’on
tendait dans la nef de la cathédrale de Bayeux, le 1er juillet, au jour
de la fête des Reliques. Exécutée quelques années après la conquête,
très vraisemblablement sous l’inspiration de l’évêque de Bayeux, E
UDES,
frère utérin du roi Guillaume, cette broderie est un inestimable
monument de l’art normand de la fin du XIe siècle.
Il existe sur divers points de la Normandie des spécimens de peintures
murales dont la rareté relative augmente encore l’intérêt. Le plus
remarquable est dans la chapelle
Saint-Julien du Petit-Quevilly, près
de Rouen. Construit vers 1150 pour servir de chapelle au manoir des
rois anglo-normands, à Quevilly, ce petit monument aux formes toutes
romanes, est voûté sur croisées d’ogives ; les voûtes du choeur, seules
subsistantes, sont couvertes de peintures représentant les scènes de la
Vie de Notre-Seigneur encadrées dans de grands médaillons ; les
espaces libres sont occupés par de larges rinceaux de feuillages. « Le
dessin est ferme et précis, dit le docteur Coutan, le modelé des
figures souvent remarquable ; il atteint la perfection dans le visage
de la Vierge de la Nativité. La palette, où dominent le bleu, le vert,
le jaune et le rouge-brun, est d’une harmonieuse sobriété. » Ces
intéressantes peintures, auxquelles plusieurs écrivains ont assigné
comme date les premières années du dernier quart du XIIe siècle,
semblent plutôt des quinze premières années du XIIIe siècle.
A Savigny (Manche), trois scènes (la quatrième a disparu) se voient
dans les grandes arcatures de l’abside ; elles figurent des épisodes de
la
Vie de saint Barbe (commencement du XIIIe siècle). Les couleurs
employées sont le rouge-brun, le jaune, le noir et le gris bleuté.
Le choeur et l’abside de Saint-Céneri-le-Gerey (Orne) sont couverts de
curieuses peintures du XIVe siècle, représentant
sainte
Ursule
abritant ses compagnes sous son manteau, le Pèsement des âmes, des
personnages isolés et des scènes difficiles à déterminer ; la gamme des
couleurs comprend le bleu, le jaune, le rouge-brun et le noir.
Au Petit-Andely, la décoration s’étendait au choeur entier, et des
fragments importants ont permis de reconnaître un fond rouge avec
fleurs de lys noires. A chacun des arcs du triforium correspond un
personnage, apôtre ou évêque, et au centre de l’abside,
Jésus en croix
avec Marie et saint Jean ; cette décoration doit dater du XVe siècle.
En 1895, on a découvert dans l’église de Saint-Philbert-sur-Risle
(Eure), sous le badigeon qui les empâtait, des peintures murales du
milieu du XVe siècle figurant des scènes vraisemblablement empruntées à
la
Vie de saint Philbert, abbé de Jumièges. Les fonds teintés d’ocre
jaune sont semés de coeurs et de larges fleurons rouges ; les
personnages, exécutés au trait, ne comportent que deux couleurs, le
rouge-brun et le jaune avec rehauts blancs.
Bien plus importante est la curieuse décoration de l’église de
Ferrières-Haut-Clocher, près de Conches (Eure). Elle comprend
trente-deux scènes disposées sur deux registres, avec inscriptions
gothiques, consacrées à la
Vie et au martyre de sainte Christine. Ces
intéressantes peintures du commencement du XVIe siècle ont beaucoup
perdu de leur valeur artistique par une inepte restauration faite en
1781. La vie de sainte Christine occupe les murailles de la nef ; sur
les murs du pignon occidental, le même imagier a peint, en plus grandes
proportions, la populaire légende des
Trois morts et des trois vifs.
Mentionnons encore une grande peinture murale, dans l’une des chapelles
méridionales de
Notre-Dame d’Andely, représentant la
Mort de la
sainte Vierge ; c’est une oeuvre de la première moitié du XVIe siècle,
mais défigurée par une restauration du XVIIIe.
Enfin, citons deux décorations qui pourraient bien être de la main du
même artiste : l’une aux voûtes de l’église de
Saint-Jacques de
Lisieux (1552), l’autre à celles de
Saint-Michel de Vaucelles, à
Caen, où des médaillons à personnages sont accompagnés d’enroulements
et de candélabres d’un beau style rappelant l’ornementation de l’abside
de
Saint-Pierre de Caen.
FERRONNERIE
Q
UE l’abondance du minerai dans la région limitrophe des départements
de l’Eure et de l’Orne ait, dès l’antiquité, favorisé chez nous
l’industrie du fer : le nom topographique très répandu dans cette
contrée de Ferrières,
Ferrariæ déjà cité par César à propos des
forges gauloises,
magnæ ferrariæ, en est la preuve.
« En Normandie, la fabrication du fer avait donné naissance à une
corporation puissante, celle des
férons, à la tête desquels étaient
six barons des plus notables de la province que l’on appelait
barons
fossiers, à cause des fosses à minerai qu’ils avaient le droit
d’ouvrir sur leurs terres. Trois de ces barons étaient ecclésiastiques,
savoir : les abbés de L
YRE, de S
AINT-É
VROULT et de S
AINT-W
ANDRILLE, et
trois laïcs : les barons de F
ERRIÈRES, de la F
ERTÉ-F
RESNEL et de
C
HAUMONT dans le comté de Gacé. Le siège de la corporation, qui
comprenait un nombre considérable d’ouvriers, était à Glos-la-Ferrière,
bourg du pays d’Ouche, entre Lyre et la Ferté-Fresnel, et voisin des
villes de Laigle et de Rugles, où le travail des métaux florit encore
de nos jours. Les ferrons choisissaient chaque année, en se réunissant
dans la chapelle de la
Maladrerie de Glos, un juge électif qui
connaissait du fait de la ferronnerie et des poids et mesures employés
à peser le travail du fer et à mesurer le minerai et le charbon. Cette
juridiction spéciale a subsisté jusqu’en 1789 » (R
AYMOND B
ORDEAUX,
Serrurerie du Moyen-Age). Il n’est donc pas étonnant que la Normandie
ait produit et conserve encore de nombreuses oeuvres artistiques de
ferronnerie.
Citons d’abord les belles pentures du XIIIe siècle des portes de la
cathédrale de Rouen, remarquées par Viollet-le-Duc, César Daly et
Raymond Bordeaux. Au Musée d’antiquités de Rouen, on voit quatre
admirables vantaux de fer forgé, du XIVe siècle, qui, dit-on,
proviennent de la cathédrale. Du moins, la curieuse porte de fer, de la
fin du XVe siècle, qui ferme la chapelle absidale conduisant à la
sacristie du chapitre, est toujours à sa place.
La cathédrale d’Évreux possède, dans sa chapelle dite du Trésor, une
oeuvre de ferronnerie des plus importantes. La partie antérieure de la
chapelle est close par une sorte de grillage de fer surmonté de
piquants et de crochets ; à droite et à gauche s’ouvrent des portes
avec tirants ou poignées en fer ciselé. Au milieu, un large avant-corps
en forme de coffre recevait les offrandes des fidèles et une petite
porte grillée s’ouvrant au-dessus servait à l’ostension des châsses et
des reliques. Du haut de la grille part une armature en fer qui va se
fixer au pied de la fenêtre et forme une toiture impénétrable.
L’armoire du Trésor, placée sur un emmarchement de pierre, occupe tout
le fond de la chapelle. Cette originale construction purement gothique
ne doit pas être postérieure à 1475.
Plusieurs clôtures en bois des chapelles de la même cathédrale ont
conservé des entrées de serrures, des verrous, des tirants ou poignées
de fer ciselé avec découpages flamboyants du travail le plus délicat.
Bien que les motifs de décoration soient gothiques, ils ne datent,
comme les clôtures, que du premier quart du XVIe siècle.
Il n’y a pas quarante ans, on voyait aux fenêtres des églises de
Saint-Germain de Pont-Audemer, de la Neuve-Lyre, des Bottereaux, du
Parc (Eure), des
étançons, ou grilles annelées, couronnés par des
fleurons en tôle repoussée et emboutie du plus charmant effet. Sont-ils
toujours à leur place, et l’oeuvre des ferronniers du XVe et du XVIe
siècles n’a-t-elle pas été détruite sous prétexte de sottes
restaurations ?
Au XVIIe et au XVIIIe siècles, l’art de la serrurerie était parvenu à
une rare perfection. Qui n’a admiré la merveilleuse grille fermant
l’entrée de la galerie d’Apollon, au Louvre, et qui provient du château
de Maisons ? Les grilles monumentales de fer forgé dont J
EAN L
AMOUR a
entouré la place Stanislas, à Nancy, sont probablement le dernier mot
de l’art de la serrurerie. Celles du choeur de
Saint-Ouen de Rouen,
placées de 1742 à 1749, ne leur sont guère inférieures, tant pour la
beauté du dessin que pour la maîtrise de l’exécution. Toutefois, ce
n’est pas à un Normand que l’on doit en rapporter l’honneur ; elles
sont l’oeuvre d’un maître serrurier de Paris, N
ICOLAS F
LAMBART. Mais
c’est bien à des serruriers normands qu’il faut attribuer ces
innombrables grilles seigneuriales, rampes d’escalier, grilles de
clôture, chaires à prêcher, balcons, poignées et marteaux de portes
agrémentés de découpages métalliques, que l’on trouve dans les églises
ou les vieux hôtels et les maisons bourgeoises du XVIIe et du XVIIIe
siècles, et qui, après avoir échappé aux réquisitions des fabricants de
piques de la Révolution, sont - pour combien de temps encore ? - à
l’abri de la rapacité des brocanteurs modernes.
RENAISSANCE
B
IEN que plus d’une fois troublé par de graves conflits politiques, le
XIIIe siècle avait été une période de production presque surhumaine ;
puis l’ère des travaux gigantesques était passée. Les malheurs qui
désolèrent la France au déclin du XIVe siècle achevèrent de ralentir
l’essor des constructions civiles et religieuses. D’autre part, selon
la pensée de Viollet-le-Duc, l’architecture perdait de vue peu à peu
son point de départ, et la profusion des détails étouffait la
disposition d’ensemble. A la fin du XVe siècle, l’architecture gothique
semblait avoir dit son dernier mot, et l’extrême habileté des
exécutants ne pouvait être matériellement dépassée. Voyons ce que fut,
en Normandie, cette architecture à son déclin, et dans quelles
conditions s’ouvrit pour elle l’ère de la Renaissance.
Si les constructeurs normands n’ont pas, au XVe siècle, imprimé à leurs
oeuvres un caractère d’école régionale bien prononcé, du moins ont-ils
fait le plus souvent preuve d’habileté technique et de bon goût. On
peut citer les églises de : Caudebec-en-Caux, construite en grande
partie par G
UILLAUME L
E T
ELLIER, mort en 1484, d’Harfleur, du Tréport,
de Saint-Jacques de Dieppe, de Saint-Maclou de Rouen, la nef de Vernon,
les transepts et la tour centrale de la cathédrale d’Évreux, les
églises de Conches, du Pont-de-l’Arche, du Neubourg, dont le choeur,
comme celui de Caudebec-en-Caux, affecte la forme triangulaire au moyen
d’un pilier terminal, une partie de Saint-Ouen de Pont-Audemer, les
églises de Saint-Germain et de Saint-Martin d’Argentan, de Notre-Dame
d’Alençon, de Mortagne, de Saint-Jacques de Lisieux, de Pont-l’Évêque,
de Saint-Etienne-le-Vieux et de Saint-Gilles de Caen, la curieuse
église toute en charpente de Sainte-Catherine de Honfleur, Saint-Pierre
de Coutances, le choeur et l’abside du Mont-Saint-Michel.
Avec les premières années du XVIe siècle, on arrive à une période de
transition où l’architecture, encore franchement gothique, va subir une
transformation profonde due aux pénétrations de plus en plus actives de
la renaissance classique italienne. Mais il ne manquait pas en
Normandie de vieux maîtres qui, fiers de leur science acquise et de
leurs oeuvres, se défendaient contre les influences d’outre-monts et
résistaient aux séductions de l’esprit nouveau, soutenus en cela par le
haut clergé, évêques et chapitres, qui gardaient leur préférence pour
le style traditionnel. Ainsi, à Évreux, de 1500 à 1505, P
IERRE M
OTEAU
construit le palais épiscopal sur des données nettement gothiques ;
vers 1510, J
EAN C
OSSART bâtit le portail nord de la cathédrale. A
Louviers, on commence en 1506 le beau portail méridional. A Gisors, les
chapelles du choeur et le transept, plantés en 1497, sont continués et
achevés, ainsi que le portail nord, vers 1520, par P
IERRE G
OSSE et
R
OBERT J
UMEL ; tout y est gothique. A Rouen, un architecte inconnu,
peut-être R
OULAND L
E R
OUX, élève de 1493 à 1507 le
Palais de
l’Échiquier, aujourd’hui le
Palais de Justice, véritable merveille
d’architecture, digne de se mesurer avec les plus beaux Hôtels de ville
de la Belgique. De 1507 à 1514, on refait toute la partie centrale du
grand portail de la cathédrale de Rouen d’après les plans de R
OULAND L
E
R
OUX ; l’imagier P
IERRE DES A
UBEAUX taille au tympan un immense Arbre
de Jessé, et d’autres sculpteurs normands, P
IERRE D
ULIS, J
EAN
T
HÉROUDE, R
ICHARD L
E R
OUX, N
ICOLAS Q
UESNEL, D
ENIS L
E R
EBOURS, exécutent
l’énorme et infinie sculpture du portail.
Or, pendant ces mêmes années, de 1502 à 1510, le cardinal d’Amboise, le
tout puissant ministre de Louis XII, l’ancien concurrent de Jules II au
suprême pontificat, s’était fait construire à Gaillon un vrai palais,
l’une des merveilles de la Renaissance, dont certaines ordonnances et
la décoration présentaient un caractère très italien. C’était comme une
inauguration officielle du style nouveau. Mais, quoi qu’on en ait dit,
ce furent des Français, G
UILLAUME S
ENAULT, P
IERRE F
AIN et P
IERRE
D
ELORME, qui construisirent Gaillon. Si des Italiens furent appelés
pour l’ornementation, la sculpture des marbres, les travaux de terre
cuite et la peinture, les sculpteurs les plus occupés sont un
Tourangeau, comme M
ICHEL C
OLOMB, ou des Normands comme R
ICHARD G
UERPE,
C
OLIN C
ASTILLE, P
IERRE C
ORNEDIEU, J
EAN D
UBOIS. Ne verra-t-on pas un
Rouennais R
ICHARD T
AURIN, s’en aller plus tard en Italie où il
travaillera aux stalles de
Sainte-Justine de Padoue et à celles du
dôme de Milan ?
Avec des Mécènes aussi riches et aussi puissants que les deux cardinaux
d’Amboise, la Renaissance classique devint vite à la mode ; cela se
conçoit. D’ailleurs, l’impulsion se généralisait et venait de partout à
la fois. Mais tout en s’ingéniant à créer des formes nouvelles, les
architectes prenaient soin de les approprier aux convenances du goût
français ; et ces goûts étaient variés. « On ne bâtissait pas à Caen
comme dans la vallée de l’Eure, à Rouen comme à Gisors. Les écoles sont
nombreuses et tranchées, ce qui n’a pas lieu d’étonner lorsqu’on
considère l’étendue de la province. » (L. P
ALUSTRE).
Nous citerons à Rouen l’admirable
Hôtel du Bourgtheroulde, remanié et
agrandi de 1520 à 1535, avec ses curieux bas-reliefs représentant
l’
Entrevue du Camp du drap d’or ; le
Bureau des Finances, bâti vers
1510 ; l’ancienne
Cour des Comptes, datée 1524 ; l’
Aître de
Saint-Maclou, dont trois galeries furent construites de 1526 à 1533 ;
la
Voûte de la Grosse-Horloge, en 1527 ; l’
Édicule de Saint-Romain,
en 1544, et nombre de jolies maisons en pans de bois sculpté. L’une des
plus remarquables a sa façade transférée dans le
Square Saint-André.
A Caen, le XVIe siècle voit surgir une véritable école d’architectes et
de sculpteurs, les B
LAISE et A
BEL L
E P
RESTRE, les H
ECTOR S
OHIER et les
inconnus auxquels on doit l’
Hôtel d’Écoville, le
Manoir des
Gendarmes, le
Château de Fontaine-Henry, etc. Il faut surtout
admirer l’
Abside de Saint-Pierre, oeuvre d’H
ECTOR S
OHIER, commencée en
1518 et terminée en 1545, avec ses voûtes si originales, dans
lesquelles les nervures supportent, au moyen de tympans ajourés, des
dalles horizontales qui forment un véritable plafond de pierre.
L’extérieur n’a pas moins d’élégance, et les pinacles en candélabres, à
base écrasée et à renflements multipliés, peuvent à bon droit passer
pour l’une des meilleures créations de la Renaissance. L’
Abside de
l’église
Saint-Sauveur de Caen est également l’oeuvre d’H
ECTOR S
OHIER.
Plus riche encore et plus étonnante est l’ornementation des voûtes de
l’église de Tillières (Eure), construites de 1543 à 1546 aux frais de
Gabriel Le Veneur, évêque d’Évreux. Au plafond droit, entièrement
couvert de sculptures ou de blasons accostés de personnages,
s’accrochent, au croisement des nervures, des clefs pendantes
délicieusement fouillées où se nichent des figurines en pied. Des
pendentifs du même genre, soit isolés, soit accompagnés de cartouches à
sujets religieux et mythologiques, se retrouvent aux voûtes d’églises
de la région, à Notre-Dame de Verneuil, à Laigle, à Beaumont-le-Roger,
à Serquigny.
Pendant le XVIe siècle, Gisors fut le centre d’un mouvement artistique
très important. R
OBERT G
RAPPIN et ses quatre fils, M
ICHEL, J
ACQUES,
J
EAN Ier et J
EAN II, non seulement transformèrent l’église de
Gisors, mais encore élevèrent ou inspirèrent dans l’Ile-de-France et le
Vexin français, à Vétheuil, à Magny, à Saint-Gervais, à Montjavoult,
une série de constructions originales.
Au nombre des oeuvres caractéristiques de l’architecture religieuse au
XVIe siècle, mentionnons encore : la tour centrale, inachevée, de
Saint-Jean de Caen ; la tour-lanterne de Saint-Pierre de Coutances,
élevée de 1545 à 1580 sur les plans de R
ICHARD V
ATIN, G
UILLAUME L
E
R
OUSSEL et N
ICOLAS L
AUREL ; les bas-côtés de Saint-Germain d’Argentan
dûs à G
UILLAUME C
RÉTÉ et à T
HOMAS O
LIVIER, qui figurent avec le titre
de maîtres de l’oeuvre de 1580 à 1598 ; la chapelle de Longni (Orne), de
1545 à 1549 ; l’énorme tour de la Madeleine de Verneuil, élevée au
commencement du XVIe siècle par des ouvriers venus de Rouen et amenés
par A
RTHUR F
ILLON, chanoine de Rouen, ancien curé de la Madeleine ; les
tours de Laigle et de Rugles, qui paraissent avoir été construites par
les mêmes ouvriers ; le portail nord de Notre-Dame des Andelys, le
portail occidental de la cathédrale d’Évreux, celui de Conches, et le
vaste choeur de Beaumont-le-Roger.
Moins nombreux peut-être, mais tout aussi intéressants sont les
monuments civils de la Renaissance. Nous avons parlé de ceux de Rouen ;
signalons pour terminer ceux dont s’enorgueillit à juste titre la cité
caennaise. L’
Hôtel d’Écoville, « l’une des merveilles de Caen, on
pourrait dire de la France entière », - c’est un mot de Palustre, - a
été bâti de 1532 à 1538, par un architecte demeuré inconnu et dont la
main se retrouve tout près de là à l’
Hôtel de Duval de Mondrainville,
à l’
Hôtel des Monnaies et dans le gros pavillon du château de
Fontaine-Henry. Quant aux châteaux de Lasson, près de Caen, et de
Chanteloup, dans la Manche, on y reconnaît le style très particulier
d’H
ECTOR S
OHIER. Nous nous reprocherions de ne pas au moins mentionner
le château d’Auffay, si original avec ses appareils variés de silex et
de briques, ceux d’Angerville-Bailleul, de Mesnières
(Seine-Inférieure), vaste et imposante construction élevée de 1540 à
1546, de Lion-sur-Mer (Calvados), de Tourlaville (Manche), auquel ses
matériaux rebelles au ciseau, le schiste et le granit, ont imprimé un
caractère d’étrange sévérité.
SCULPTURE
S
I la sculpture française de la Renaissance a produit quantité d’oeuvres
remarquables, la Normandie est en droit d’en revendiquer sa bonne part
; à elle seule, la cathédrale de Rouen renferme deux monuments qui
suffiraient à donner la plus haute idée des artistes normands du XVIe
siècle. L’un est le
Tombeau des cardinaux d’Amboise, admirable
ouvrage de R
OULAND L
E ROUX, qui conserve la richesse originale de
composition de l’école française, mais où l’on sent déjà l’influence
italienne dans quelques ornements ; l’autre est le
Tombeau de Louis de
Brézé, d’allure plus classique auquel Jean Goujon a peut-être
travaillé, et dont il a donné, croyons-nous, le plan et l’ordonnance,
du moins pour la moitié inférieure.
J
EAN G
OUJON avait créé un type féminin, à la pose noble et gracieuse,
aux draperies légères et comme mouillées qui laissent aux corps
qu’elles voilent toute l’élégance de leurs formes. Ce type fut adopté
avec enthousiasme et souvent reproduit. Les six
statues cariatides
placées au
Portail nord de Notre-Dame des Andelys peuvent compter
parmi ce qu’il y a de plus parfait à cette époque. « Ces statues sont
admirables, a écrit L. Palustre, et le sculpteur qui les a dégagées de
la pierre, avec leur ferme attitude et leur physionomie résignée, se
montre évidemment tourmenté du désir de marcher sur les traces de J
EAN
G
OUJON. Les draperies dont il enveloppe ses types féminins font surtout
songer au maître, car par une heureuse inspiration, un peu de diversité
a été introduite dans ce genre de supports, et tandis que d’élégantes
jeunes filles se dressent au flanc des deux portes, des statues
d’hommes sont placées sous le grand arc extérieur. »
Le Moyen-Age, dont la statuaire fut si noble et si expressive, s’était
contenté du bas-relief quand il avait eu à représenter quelque scène
évangélique ou légendaire ; il n’avait guère osé grouper des figures de
grandeur naturelle. Plus hardi et plus dégagé de la tradition, l’art de
la Renaissance fit une heureuse innovation en établissant dans les
églises ces Mises au tombeau d’un caractère si grandiose et si
touchant. On en voit à Eu, au Tréport, à Dieppe, à Caudebec. Gisors en
possédait une avant la Révolution ; elle fut détruite, comme le groupe
du
Trépassement de la Vierge, exécuté de 1511 à 1513 par P
IERRE DES
A
UBEAUX, aidé de trois autres imagiers, P
IERRE L
E M
ONNIER, M
ATHURIN
D
ELORME et J
EAN DE R
OUEN. En 1536, N
ICOLAS C
OULLE sculptait les statues
colossales des
Douze apôtres et de Notre Seigneur que l’on voit sur
les flancs de la tour septentrionale, et un peu plus tard, les statues
des
sept Vertus, de
saint Gervais, de
saint Protais, de
saint
Luc et de
sainte Anne. Enfin, J
EAN G
RAPPIN taillait, en 1542, les
figures qui garnissent les voussures du grand portail.
La construction de la
tour de la Madeleine à Verneuil-au-Perche avait
amené la création d’un important atelier de sculpteurs venus
principalement de Rouen. Dès le commencement du XVIe siècle, ils
exécutent la
Mise au Tombeau de Notre-Seigneur dans l’église de la
Madeleine, et pour l’église de Notre-Dame de Verneuil, un
saint
Christophe, oeuvre nerveuse et vibrante, qui rappelle Albert Dürer et
l’école allemande. L’accent est plus original et plus français dans les
superbes statues de
sainte Suzanne, de
saint Denis, de
saint
Martin, de
saint Jacques, de s
aint Joseph ; le drapé y est traité
d’une façon excellente. La petite église de Blandey, à quelques lieues
de Verneuil, possède une
Vierge de pitié, une statue d’
Évêque et un
saint Louis en costume François Ier qui sortent du même
atelier. Il est fait mention, dans un registre de confrérie de la
paroisse de Notre-Dame, à l’année 1558, d’un G
ABRIEL L
HOSTE « tailleur
d’images », qui pourrait bien être l’auteur de plusieurs statues en
bois, conservées dans les églises de Verneuil, et qui portent
l’empreinte d’un même ciseau.
La
Mise au tombeau de Notre-Seigneur à Notre-Dame de Louviers ne
remonte pas au-delà des premières années du XVIe siècle ; quant aux
apôtres (1520 à 1530) adossés aux murs de la nef, ils offrent plutôt un
intérêt de curiosité. Certains se ressentent de l’influence de l’Italie
du Nord ; le drapé abondant et tourmenté, les attitudes tragiques, les
têtes violemment contournées font penser, sous des exagérations
maladroites, aux terres cuites de Mazzoni et de Begarelli.
Nous signalerons en terminant une oeuvre de la fin du XVIe siècle d’une
tout autre valeur : le groupe de la
Mise au tombeau, que l’église du
Grand-Andely a recueillie après la destruction de la Chartreuse de
Gaillon, fondée en 1571 par le vieux cardinal de Bourbon. Il y a dans
le Christ mort une souplesse si vraie et dans ses traits une majesté si
sereine, dans la sainte femme debout portant des parfums une telle
grandeur, dans le groupement et la pose des personnages tant d’aisance
et de noblesse qu’il faut bien sentir là la pensée et la main d’un
maître. Mais ce maître, quel est-il ? Jusqu’à ce jour on l’ignore.
SCULPTURE SUR BOIS
L’
ART du bois n’a pas encore trouvé son historien. L’amateur délicat,
auteur de ce « propos », a donc été bien inspiré en prenant la plume
pour en faire l’étude en France durant le XVIe siècle ; le chapitre
qu’il a consacré à la Normandie est des plus suggestifs. C’est que «
dans cet épanouissement de la Renaissance, la Normandie a une part
exceptionnelle » (E. B
ONNAFFÉ). L’art du bois fut patronné, à l’égal de
la sculpture monumentale, par ce grand seigneur de goût raffiné que fut
le cardinal Georges d’Amboise. Des vingt et un menuisiers - tous
Français - que l’on voit travailler à Gaillon, le plus en évidence est
C
OLIN C
ASTILLE, maître menuisier de la cathédrale de Rouen et de
Saint-Ouen ; il taille, avec ses confrères R
ICHART G
UERPE, R
ICHART
D
ELAPLACE et P
IERRE C
ORNEDIEU, les admirables stalles de la chapelle
haute de Gaillon, conservées à Saint-Denis.
La région d’Évreux et de Saint-André a fourni de nombreuses boiseries
supérieurement traitées, paraissant appartenir à une même école.
En réalité, il y eut dans l’Évrecin deux générations de ces
huchiers-menuisiers. A la première, on doit les clôtures encore
gothiques des chapelles de la cathédrale d’Évreux, exécutées dans les
vingt-cinq premières années du XVIe siècle, et à la seconde, les autres
clôtures, purement Renaissance et de la plus riche facture, ainsi que
le plafond de la tribune des orgues. La présence sur le siège épiscopal
d’Évreux, de 1511 à 1575, de deux membres de la puissante famille Le
Veneur de Tillières suffirait à expliquer cette abondante production
d’oeuvres d’un art à la fois somptueux et délicat. C’est encore de
l’atelier d’Évreux que sont sortis : la clôture des fonds baptismaux de
Bretagnolles, formée de colonnettes ciselées supportant un baldaquin
décoré de figurines et d’arabesques ; les boiseries de l’église de
Chavigny ; les stalles de l’ancienne abbaye de la Noë, aujourd’hui à
Ormes et au Plessis-Sainte-Opportune ; la chaire à prêcher de Vézillon
; les vantaux du portail méridional de Notre-Dame de Louviers, donnés
en 1528 par Jean Le Grand, abbé de Saint-Taurin d’Évreux ; la chaire
priorale et les stalles de l’église de Goupillières, que le prieur
Richard Amiot fit faire en 1532 pour son riche monastère de Notre-Dame
du Parc.
Les importantes boiseries formant lambris et clôture au-dessus des
stalles d’Écouis doivent avoir été faites par quelques-uns des nombreux
huchiers que l’on voit travailler à Rouen, vers 1510, et exécuter entre
autres travaux les boiseries de l’église Saint-Vincent de cette ville.
A Gisors, les portes de la façade nord peuvent bien remonter à l’année
1520 ; dans les panneaux inférieurs, on sent déjà l’influence italienne
aux arabesques, et aux têtes antiques se profilant dans une couronne de
laurier ou chapeau de triomphe. Quant aux portes de l’église
d’Aubevoye, située à peu de distance du château des cardinaux
d’Amboise, elles sont datées 1547 ; on y reconnaît aisément les motifs
empruntés aux écoles de Gaillon et d’Évreux.
Par contre, c’est à l’école d’Alençon ou de Caen qu’il faut rattacher
les stalles à hauts dossiers qui ornent le choeur de l’église de
Saint-Pierre-sur-Dives, et qui furent exécutées par les soins de l’abbé
Jacques de Silly (1502-1539).
Toutes ces oeuvres de la hucherie normande, où règnent le médaillon et
l’arabesque, sont caractérisées par la fermeté de l’exécution et
l’expression dramatique des figures. Cette vigueur est due en grande
partie à la résistance du bois de chêne sur lequel travaillaient nos
menuisiers. Cette essence, d’un aspect sévère, aux fibres longues, se
prête moins que celle du noyer aux caresses de l’outil dans lesquelles
se complaisaient les artistes du Midi. Vers la seconde moitié du XVIe
siècle, le style en usage sous le règne de François Ier subit une
transformation, et les huchiers empruntent, pour leurs meubles,
certaines formes architecturales des édifices de J
EAN B
ULLANT, de
P
IERRE L
ESCOT et de P
HILIBERT D
ELORME. La vogue est alors aux
cartouches contournés, aux ornements antiques, cannelures, acanthes,
oves, rais de coeur ; la figure humaine en cariatide ou en pied, le
bas-relief, les mascarons décorent, avec une richesse parfois
exubérante, les oeuvres du bois de 1545 à 1580.
On a dit et répété que les fameuses
Portes de l’église Saint-Maclou
de Rouen étaient l’oeuvre de J
EAN G
OUJON ; un écrivain prétendait même
avoir retrouvé, en 1842, une quittance signée du grand artiste et
mentionnant son travail aux portes de l’église. Malheureusement,
personne n’a jamais pu voir le rare parchemin. D’autre part, on sait
que G
OUJON quitta Rouen à la fin de 1542 ; et comme les portes ont été
terminées au plus tôt en 1552, il y a tout lieu de croire qu’il n’y a
pas travaillé ; mais il a bien pu donner des plans et des croquis. En
tout cas, c’est le style de J
EAN G
OUJON que l’on retrouve, à la porte
de gauche, dans ces figures en très bas-relief de l’arrière-plan qui
rappellent, d’une façon si troublante, les nymphes de la fontaine des
Innocents. Quel qu’en soit l’auteur, les
Portes de Saint-Maclou
demeureront à jamais un chef-d’oeuvre hors de pair d’un artiste
probablement normand.
Nous signalerons encore le riche buffet des orgues de
Notre-Dame des
Andelys, daté 1573 ; la tribune des orgues de
Sainte-Croix de Bernay
; les belles stalles de Lonlay, contemporaines de François Ier ; celles
de Saint-Jacques de Lisieux ; les stalles et les clôtures du
choeur de Carentan ; à Valognes, les portes historiées, les
stalles et chancels du choeur avec leurs colonnes fuselées et leurs
panneaux à trophées, datant des environs de 1545.
En 1531, R
OBERT P
ISSOT, menuisier-imagier, fait les stalles de
Notre-Dame d’Alençon ; il meurt en 1546 ; ses fils et ses parents
forment une véritable dynastie qui travaille dans les églises d’Alençon
et de la région durant tout le XVIe siècle. Un maître huchier de Caen,
J
ACQUES L
EFEBVRE, achève en 1588 les stalles du choeur de Bayeux, oeuvre
qui ne mérite pas sa réputation ; puis il se rend en Angleterre, où il
est fort employé par la reine Élisabeth.
VITRAUX
P
OUR le peintre-verrier du XIIe et du XIIIe siècles, comme aux yeux du
maître de l’oeuvre, le vitrail fait partie intégrante du plan
architectural, et la décoration transparente ne remplit son but qu’à la
condition de se relier étroitement à la décoration peinte des murailles
et des voûtes, qu’elle vient accentuer et réchauffer de ses ondes
lumineuses. Alors, le vitrail ne joue pas le rôle d’un tableau, mais
d’une mosaïque translucide, à laquelle les sertissures du plomb donnent
une vigueur et un relief que la lumière du jour eût absorbés. Ainsi
s’expliquent les harmonies de ces colorations à la fois rayonnantes et
profondes qui caractérisent les merveilleuses verrières de Chartres, de
Bourges, du Mans, de Sens, de Troyes, de Reims. Si l’on veut se faire
une idée adéquate du rôle du vitrail dans les églises du XIIIe siècle,
qu’on aille à la Sainte-Chapelle de Paris : architecture, peintures
murales, pavage, vitraux, tout ici est conçu et exécuté dans une unité
parfaite.
Les vitraux du XIIIe siècle sont assez rares en Normandie. La
cathédrale de Rouen en possède, au pourtour de l’abside, cinq de la
plus grande beauté ; on dirait des pierres précieuses en fusion. L’un
est signé
Clemens vitrearius Carnutensis fecit. On attribue à ce
C
LÉMENT la
verrière légendaire de Saint-Martin, de la cathédrale
chartraine. Évreux conserve un certain nombre de verrières de la fin du
XIIIe siècle ; Lisieux n’en a gardé que deux ou trois ; Coutances plus
riche en possède une vingtaine, dont quelques grisailles.
Du XIVe siècle on peut citer la splendide vitrerie du choeur d’Évreux,
datée par les effigies et les blasons des donateurs ; on y remarquera
les dais d’architecture, et déjà l’emploi des fonds d’étoffes
damassées, si richement diaprées au siècle suivant ; Les Andelys, avec
une belle grisaille ; Coutances et Carentan.
Du XVe siècle, les vitraux d’Évreux, de Bernay, de Verneuil-sur-Avre,
de Caudebec-en Caux, d’Aumale, de Bayeux, de Saint-Lô. La
vitrerie de
Saint-Ouen de Rouen est l’une des plus considérables qui soient, mais
elle est assez médiocre. Pour l’ordinaire, la décoration consiste en
personnages isolés, entourés d’un motif d’architecture couronné d’un
pinacle. En outre, l’abus du verre blanc dans les fonds enlève aux
vitraux de Saint-Ouen beaucoup de leur valeur artistique.
La Renaissance apporta une révolution dans l’art du vitrail. Loin de se
préoccuper du monument auquel leur oeuvre était destinée, les verriers
composèrent dans leurs ateliers de véritables tableaux, avec des effets
de clair-obscur, des fonds de paysage ou d’appartement, si bien que le
verre n’était plus que la matière subjective de la peinture, comme la
toile ou le bois dans la peinture à l’huile. Toutefois, grâce à leur
entente de la perspective et à leur prodigieuse habileté, les verriers
de la Renaissance nous ont laissé des oeuvres admirables.
Dans ce partage, la Haute-Normandie est de beaucoup la plus favorisée,
sans doute à cause de son voisinage du Beauvaisis et de sa puissante
école de verriers. Nous pouvons citer : à Saint-Vincent de Rouen :
le Triomphe de la Vierge, 1515, la Vie de saint
Jean-Baptiste, 1525,
les oeuvres de miséricorde, 1530, par E
NGRAND et J
EAN LE P
RINCE, la Vie de saint-Pierre et un superbe fragment du Jugement dernier ; à
Saint-Patrice : l’Annonciation, 1538, laLégende de saint Eustache,
1543, le Triomphe de la loi de grâce ; à Saint-Godard : la Vie de
saint Romain, 1555. A Saint-Étienne d’Elbeuf : la Chasse de saint
Hubert, 1500, l’Arbre de Jessé, 1523, la Vie de saint Pierre,
1540. A Blosseville-ès-Plains, la Vie de saint Lézin, 1546. A
Caudebec-en-Caux, la Femme adultère, 1532 ; et d’autres beaux vitraux
à Valmont, 1552, à Monville, 1527-1529, à Villequier où est représenté
un combat naval.
Dans l’Eure, à Gisors : la
Légende de saint Claude et celle de
saint
Crépin et saint Crépinien, 1530, la
Vie de la Vierge, superbe
grisaille, 1545, le vitrail des
Quatre saints, de R
OMAIN B
URON. Au
Grand-Andely, trente-cinq vitraux jouissant d’une célébrité méritée,
notamment : la
Légende de Théophile, la
Vie de sainte Clotilde, la
Vie de Saint-Léger, la
Vie de saint Pierre, Quatre
Apôtres, signés R
OMAIN B
URON. A Conches : la
Cène, 1546, le
Divin pressoir,
1552, la
Manne, le
Triomphe de la Vierge, 1553, et les sept
splendides verrières du choeur, principalement consacrées à la
Vie de
sainte Foy, où les verriers français ont fait de curieux emprunts à
des estampes d’Albert Dürer, d’Aldegrever et de Dirk van Staren. A
Pont-Audemer : la
Vie de saint Nicolas, la
Vie de saint-Honoré,
1536, la
Loi de grâce, 1556. A Beaumont-le-Roger, à Serquigny, à
Bernay, à Pont-de-l’Arche, il y a de très intéressants vitraux du XVIe
siècle. Dans le Calvados, à Saint-Jacques de Lisieux, la
Légende de
saint Jacques, 1527, la
Grande prostituée de Babylone ; à
Pont-l’Évêque, à Falaise. Dans l’Orne, à Saint-Martin d’Argentan, des
verrières d’un style très serré et d’un chaud coloris ; à Alençon, le
Passage de la mer Rouge, 1535 ; P
IERRE et M
ICHEL F
ORMENTIN y ont
exécuté les meilleurs vitraux de 1530 à 1555 ; à Laigle, la
Légende de
saint Portien, et le beau vitrail de
saint Hubert.
On a parfois tenté une classification des vitraux normands de la
Renaissance ; mais les rapprochements de style, de facture, de coloris
qu’on a pu faire, si fondés et si ingénieux qu’ils soient, ne
permettent pas encore de tirer des conclusions d’ensemble suffisamment
établies.
LE XVIIe SIÈCLE
M
OINS souple, moins raffinée qu’au XVIe siècle, l’architecture du XVIIe
siècle emprunte cependant à la Renaissance ses formes essentielles ;
mais en voulant les simplifier et les unifier, elle leur donne de la
lourdeur et de la monotonie. Le style Louis XIV rachète ces défauts par
le caractère de noblesse et d’imposante grandeur qu’il imprime à ses
monuments : le Val-de-Grâce, les Invalides, la Porte Saint-Denis, la
colonnade du Louvre, le château de Versailles.
Décimée et appauvrie par les guerres du dernier tiers du XVIe siècle,
la noblesse normande répare ses pertes sous le règne de Henri IV et de
Louis XIII, et elle reconstruit ses châteaux sur des plans souvent
grandioses. On peut citer ceux de Chambray, près de Damville
(1600-1615), de Fumichon, d’Ouillie-du-Houlley, du Mesnil-Guillaume ;
sous le règne de Louis XIII, les châteaux de Cany, de Balleroy (1626),
de Brécourt, de Beaumesnil (1633-1640), de Lantheuil, du Robillard à
Lieuray ; de Familly, de Mailloc, de la Motte-d’Acqueville, de Torigny,
le palais épiscopal de Lisieux, construit en grande partie sous
l’évêque Philippe de Cospéan (1635-1646). Enfin, sous Louis XIV, les
châteaux du Champ-de-Bataille (1686-1700), d’Esquay, d’Harcourt-Thury,
de Versainville, de Flamanville (1654-1660), de Laigle (1690), l’ancien
logis abbatial de La Croix-Saint-Leufroy (1650), l’
Hôtel de
l’Intendance, à Alençon (préfecture), l’
Hôtel de Brilly, à
Pont-l’Évêque (sous-préfecture). A l’époque de Henri IV et de Louis
XIII, la brique se mêle agréablement à la pierre en bossages, réservée
pour les angles, l’encadrement des fenêtres et des lucarnes, et les
cheminées monumentales.
Le XVIIe siècle est l’époque où les Bénédictins de la Congrégation de
Saint-Maur relèvent leurs monastères et leur donnent d’amples
proportions :
Saint-Étienne et la
Trinité de Caen, Bernay, Fécamp,
Saint-Wandrille, Lessay, Saint-Martin de Séez et, plus tard, Le Bec, où
travailla le célèbre architecte-sculpteur frère G
UILLAUME DE L
A
T
REMBLAYE, et
Saint-Ouen de Rouen, reconstruit par
DE F
RANCE.
Quelques églises remarquables datent du XVIIe siècle : la chapelle des
Jésuites de Rouen (1615), aujourd’hui du Lycée, et celle de Caen
(1684),
Notre-Dame ou
la Gloriette ; la chapelle du séminaire des
Eudistes, à Évreux (1685), aujourd’hui la Cour d’assises ; l’
église
Saint-Romain de Rouen (1679), ancienne chapelle des Carmes déchaussés
; l’église des Prémontrés de Mondaye ; le portail de Notre-Dame du
Havre, la tour de Saint-Germain d’Argentan (1640) ; la tour nord du
grand portail de la cathédrale d’Évreux, commencée en 1606.
SCULPTURE
S
OUS l’influence du goût italien et par l’effet de la centralisation
artistique opérée par L
E B
RUN, la sculpture tend à devenir purement
académique et savante ; la plupart des artistes s’en vont travailler et
étudier à Paris et à Rome. C’est la fin des écoles provinciales sorties
du Moyen-Age et de la Renaissance.
Des deux fils du menuisier eudois, H
ONORÉ A
NGUIER, l’aîné, F
RANÇOIS
(1613-1669), après avoir fait son apprentissage à Abbeville dans
l’atelier de M
ARTIN C
ARON, entre à Paris chez le sculpteur S
IMON
G
UILLAIN, passe en Angleterre et, de là, va à Rome ; à son retour à
Paris, il exécute, en 1651 et 1652, le
mausolée d’Henri de
Montmorency et de sa femme, pour la Visitation de Moulins et, plus
tard, ceux du président de Thou et de sa femme, et du duc de Rohan, aux
Célestins de Paris. La statue de
Gasparde de la Châtre, seconde femme
du président de Thou (aujourd’hui à Versailles), est une oeuvre d’une
valeur exceptionnelle. M
ICHEL A
NGUIER, son frère (1614-1686), quitte Eu
à l’âge de quinze ans et va à Rome étudier sous la direction de
l’Algarde. Au bout de dix ans, il rentre à Paris où la reine-mère et le
roi font appel à son talent, déjà célèbre.
J
EAN D
ROUILLY, né en 1641, à Vernon, où son père était menuisier,
quitte tout jeune sa ville natale et va à Paris. Lorsqu’en 1664, il
exécute un crucifix pour l’église de Vernon, il est constaté qu’il
demeure à Paris, paroisse Saint-Paul. Florent le Comte dit « qu’il fut
un des bons sculpteurs de la communauté des maîtres dont il passa les
charges de bonne heure ». Devenu sculpteur du roi, il fit plusieurs
travaux pour Versailles, notamment une statue allégorique en marbre de
Louis XIV, le
Poème héroïque, et deux grands vases destinés aux
jardins. D
ROUILLY mourut, jeune encore, en 1698.
Par contre, le goût fastueux et avisé d’un ami du surintendant Fouquet,
Claude Girardin, appelle P
UGET en Normandie. En 1659 et 1660, il
exécute pour le château de Vaudreuil deux groupes en pierre de Vernon
de dimensions colossales, Hercule terrassant l’hydre de Lerne et
Cybèle couronnant Janus. Nous eûmes, en 1882, la bonne fortune de
reconnaître et de signaler à l’attention du public le premier de ces
groupes, abandonné depuis la Révolution dans un champ à La Londe ; il
fait l’un des plus beaux ornements du Musée de Rouen.
Les oeuvres de cette qualité sont rares. A des degrés divers, on
pourrait encore citer le tombeau en marbre avec la statue priante du
premier président Claude Groulart, mort en 1607, et celle couchée de
Barbe Guiffard, sa femme, placés depuis 1864 dans la chapelle
Saint-Étienne de la cathédrale de Rouen. Au Musée de Bayeux, les
statues couchées de Jacques-André de Sainte-Croix, mort en 1637, et de
Marie Davot, sa femme, morte en 1628. On possède le marché par lequel
P
IERRE L
EFAYE, « sculpteur demeurant à Caen », s’engage à faire,
moyennant la somme de 75 livres, la statue de Marie Davot ; cet acte
est du 8 mai 1628. Une belle statue de marbre à genoux se voit dans
l’église de Vernon : c’est celle de Marie Maignart de Bernières, femme
d’Alphonse Jubert, sieur d’Arquency, morte en 1610, à l’âge de
vingt-trois ans. A Saon (Calvados), dans la chapelle seigneuriale, un
remarquable tombeau surmonté des statues couchées de Robert d’Avayne,
mort en 1616, et de Jeanne d’Aché, sa femme. L’église d’Aubigny, près
de Falaise, a recueilli six statues de gentilshommes priants, autrefois
placées dans une chapelle particulière ; elles sont en pierre du pays
et d’une très belle conservation. Elles représentent divers membres de
la famille Raven de Morell d’Aubigny, morts de 1592 à 1673. Nous
ignorons le nom des sculpteurs auxquels on doit ces effigies, comme
celui de l’auteur de la statue en marbre d’Henri de Matignon, mort en
1682, conservée au Musée de Vire.
SCULPTURE DÉCORATIVE
S
OUS ce titre, nous rangerons parmi les oeuvres dignes d’être étudiées :
l’autel majeur de
Sainte-Croix de Bernay, provenant de l’abbaye du
Bec, oeuvre colossale en marbre de Guillaume de la Tremblaye, avec une
statue de l’Enfant Jésus dans la Crèche, qui est une réplique ou une
copie de celle que M
ICHEL A
NGUIER fit en 1662 pour le
Val-de-Grâce ;
le couronnement du tabernacle de l’église de Gaillon, groupe en marbre
formé de trois têtes d’anges, de la fin du XVIIe siècle ; les hauts
rétables de bois doré ou peint, à colonnes vitéennes et à frontons
brisés, que l’on rencontre dans beaucoup d’églises normandes, notamment
à la chapelle de la sainte Vierge de la cathédrale de Rouen, à
Saint-Nicaise et à Saint-Vivien, à Pont-de-l’Arche, à Saint-Nicolas de
Pont-Saint-Pierre, au Petit-Andely, à Thiberville, à Drucourt, etc. ;
la chaire de la cathédrale d’Évreux (XVIIe siècle), les stalles et les
boiseries de l’église de Mortagne (
Chartreuse du Val-Dieu), celles de
Pont-de-l’Arche (
abbaye de Bonport), les boiseries et les meubles de
l’église d’Authouillet (Eure), de la fin du XVIIe siècle ; le chancel
et les lambris de l’église d’Écouis (seconde moitié du XVIIe siècle).
Cette liste est nécessairement très incomplète.
PEINTURE
C
’EST aux Andelys que naquit, en 1594, N
ICOLAS P
OUSSIN, le plus grand
nom de la peinture française. On dirait que cet événement a porté
bonheur à la province, car depuis ce temps les Normands ont cultivé la
peinture avec succès, souvent avec maîtrise. On sait que les premières
leçons de dessin furent données à Poussin par un peintre picard,
Q
UENTIN V
ARIN, né vers 1575, et qui, se trouvant aux Andelys pendant
l’année 1611, peignit pour l’église collégiale trois tableaux que l’on
y admire encore aujourd’hui : le
Regina coeli, le
Martyre de saint
Vincent et le
Martyr de saint Clair. Ces toiles dénotent un
tempérament de coloriste ; elles révèlent aussi une science réelle dans
la composition ; l’élève pouvait donc mettre à profit les leçons d’un
tel maître. Nous ne suivrons pas P
OUSSIN dans ses pérégrinations, à
travers ses oeuvres ; les unes et les autres sont connues. Ses meilleurs
tableaux sont au Louvre, - ou en Angleterre et en Espagne. Sa province
natale est infiniment moins riche, étant, par malheur, venue trop tard
au partage. Depuis 1832, Les Andelys sont en possession d’une admirable
toile,
Coriolan vaincu par les prières de sa mère, où l’on retrouve
les plus parfaites qualités du maître. Au Musée de Rouen se voit le
fort beau tableau
Enée venant chercher les armes que lui donne Vénus,
acheté en 1864 sur les indications d’Alfred Darcel. On y expose, en
outre, sous le nom de P
OUSSIN,
saint Denis couronné par un ange, dont
l’authenticité est quelque peu contestée. Il en est de même au sujet de
la
Mater dolorosa du Musée de Cherbourg, et l’accord ne s’est pas
fait sur la valeur de cette attribution. Plus heureux, le Musée de Caen
possède une oeuvre bien authentique de Poussin et de sa meilleure
manière, la
Mort d’Adonis. « Le corps d’Adonis, dit L. Gonse, est une
merveille de dessin, de sentiment et de coloris. » Toutefois, le
tableau a un peu poussé au noir. P
OUSSIN mourut à Rome en 1665. Le
caractère de son talent a été fort justement apprécié par Ph. de
Chennevières : « Toutes les vertus de l’art particulières au génie de
la France, a-t-il dit, la simplicité, la sobriété dans la force, la
noblesse dans la grâce, la clarté dans la conception, et « le jugement
partout », ces vertus, le Poussin les possédait dans leur plénitude et
il les a poussées à leur plus haut point ; il les a comme incarnées en
lui. »
P
OUSSIN avait un cousin, P
IERRE L
E T
ELLIER, - né à Vernon en 1614, mort
vers 1700, - qui était allé à Rome et s’était mis en tête de marcher
sur les traces de son parent ; il le suivit d’assez loin, ce dont il
est fort excusable. Le Musée de Rouen garde de lui une vingtaine de
toiles représentant des sujets religieux, notamment les
Adieux de
saint Paul et de Silas (1680),
Saint Joseph portant l’Enfant Jésus
(1665), le
Nunc dimittis, qui assurent à Le Tellier une place
distinguée dans l’école française, par son style simple et noble et la
bonne ordonnance de ses personnages ; mais le coloris est généralement
faible.
Moins savantes peut-être, mais plus attrayantes sont les compositions
de J
EAN DE S
AINT-I
GNY, né en 1590, l’
Adoration des bergers et
l’
Adoration des mages, grandes grisailles datées 1636, au Musée de
Rouen ; celles d’A
DRIEN S
ACQUESPÉE (1620-1692), le
Martyre de saint
Adrien (1659),
Saint Bruno en prière, Chartreux ensevelis sous la
neige, du même Musée,
Saint Mathurin exorcisant une possédée, à
l’église Saint-Ouen, la Glorification de saint François de Sales, au
couvent de la Visitation ; ou encore celles de J
EAN N
ICOLLE
(1614-1650), la
Reine de Saba, Sainte Mélidone, dans l’église de la
Croix-Saint-Leufroy, et la
Vie de sainte Clotilde, au Musée des
Andelys. S
AINT-I
GNY et N
ICOLLE se plaisent à revêtir leurs personnages
de costumes Renaissance ou Louis XIII. Tous ces articles n’étaient pas
de grands maîtres, du moins ils savaient peindre.
J
EAN J
OUVENET est un vrai maître, un robuste exécutant, un ardent
coloriste, une sorte de Rubens normand. Jamais mieux il ne déploya ses
puissantes facultés qu’en peignant le plafond du Palais de Justice de
Rennes, le
Triomphe de la religion, ou dans la
Descente de croix,
la
Résurrection de Lazare, la
Pêche miraculeuse, du Louvre ;
néanmoins, les vingt-trois toiles du musée de Rouen, notamment le
Char
de Phaëton, les esquisses des
Douze apôtres, l’
Annonciation, le
Portrait de l’abbé de Séraucourt et, plus encore, la
Mort de saint
François d’Assise, font le plus grand honneur au peintre rouennais.
Son neveu, J
EAN R
ESTOUT le fils (1692-1768) a peint une
Présentation
au temple habilement composée, mais d’un coloris un peu pâle ; du même
peintre, le Musée de Rouen garde encore l’admirable portrait d’un
Jeune Chartreux de Gaillon, daté 1735, morceau plein de vie et de
fraîcheur. Les Restout, comme les Jouvenet, étaient légion ;
contentons-nous de mentionner E
USTACHE R
ESTOUT, religieux prémontré de
Mondaye, mort en 1743 à l’âge de quatre-vingt-huit ans, qui couvrit les
murs de son église de vastes toiles, - originaux et copies, - non sans
mérite.
Le Musée de Caen conserve trois toiles du Caennais B
LAIN DE F
ONTENAY,
né en 1654, mort en 1715, que l’on a surnommé le peintre des fleurs ;
la plus remarquable est un
Portrait de jeune femme attribué à A
NTOINE
C
OYPEL, mais entouré d’une abondante guirlande de fleurs que B
LAIN DE
F
ONTENAY a signée. Avant de quitter le Musée de Caen, signalons un
extraordinaire
Portrait d’un magistrat, plus chassieux qu’Horace,
mais admirable d’effet et criant de vérité ; ce chef-d’oeuvre est de
R
OBERT T
OURNIÈRES, né près de Caen en 1669.
TAPISSERIES
L
’ART de la tapisserie est un art somptuaire, c’est-à-dire riche et
coûteux, réservé pour la décoration des palais, des cathédrales et des
châteaux ; On ne le voit prospérer que là où quelque mécénat s’exerce :
à Arras, à Bruges, à Bruxelles, à Florence, à Ferrare, à Fontainebleau,
à Paris ; les plus grands artistes sont appelés à fournir les cartons.
Il n’est pas étonnant que la plupart des oeuvres des hauts-lissiers
offrent une grande valeur artistique. Les trop rares séries conservées
dans quelques églises de Normandie, pour lesquelles elles avaient été
faites, méritent donc quelque attention.
Jusqu’à la Révolution, l’église de Saint-Vincent de Rouen fut en
possession d’une suite de quarante-six pièces de tapisseries données à
la fabrique entre les années 1598 et 1644. Elles figuraient la
Légende
du martyr saint Vincent, ou des scènes de la
Vie de Notre-Seigneur,
et devaient provenir d’ateliers flamands. Cette église ne possède plus
que huit pièces dont quelques-unes n’appartiennent même pas à ces
séries.
Pendant l’octave de la Fête-Dieu et à certaines autres solennités, les
piliers de la cathédrale de Rouen sont tendus de fort belles
tapisseries d’Aubusson, du XVIIe siècle, représentant des scènes de la
Vie d’Esther, de la parabole de l’
Enfant prodigue, de la
Vie de
saint Pierre et de saint Paul et de
saint Grégoire le Grand. Ces
pièces, d’une bonne conservation, sont d’une grande vivacité de coloris.
L’église de Notre-Dame de Vernon, autrefois collégiale, est décorée de
six vastes tapisseries d’un grand intérêt ; elles représentent les
sujets suivants : 1°
Castitas Honorata in Josepho ; 2°
Misericordia
Coronata in Marciano ; 3°
Innocentia indicata in Daniele ; 4°
Humilitas exaltata in Rudolpho ; 5°
Pacis Infula Proemium in
Ambrosio ; 6°
Est sua virtuti Merces, est Triumphus. Les tapisseries
de Vernon sont de la première moitié du XVIIe siècle, et doivent sortir
des ateliers d’Aubusson ou de Felletin.
Il n’était pas rare, aux XVIe et XVIIe siècles, de voir des tapissiers
transporter leurs métiers dans les villes éloignées et y travailler
pour des couvents ou de riches particuliers. C’est ainsi que trois
grandes tapisseries, appartenant aux Ursulines de Caen et figurant
l’
Embarquement et le
Martyr de saint Ursule, et un
Paysage,
portent les curieuses signatures :
Faict par moi Pierre Dumon. - L.-C.
Feye. P. - La Champagne Feye ; et sur le paysage :
Faict à Caen, l’an
de grâce 1659. - Faict par moi Jean Colpart, tapissier du Roy. Ce J
EAN
C
OLPART était sans doute parent d’A
NTOINE C
OLPAERT, originaire de
Flandre et habile tapissier, que Fouquet employa à la décoration de
Vaux-le-Vicomte. Quant à L
A C
HAMPAGNE L
AFAYE, il était originaire de
Caen, comme le prouve la signature que l’on voit à deux tableaux peints
par lui, dans l’église Saint-Vivien de Rouen, la
Pentecôte et le
Nunc dimittis. Le Musée de Caen possède de L
A C
HAMPAGNE L
AFAYE une
copie signée du
Martyre de saint André, de Simon Vouet.
Gisors vit également se dresser, mais pour peu d’années seulement, un
métier de haute-lisse. En 1703, un ancien ouvrier de la manufacture de
Beauvais, A
DRIEN N
EUSSE, d’Audenarde, obtint du magistrat
l’autorisation d’y établir une manufacture de tapisserie de
haute-lisse, « pour le bien du public ». En 1708, l’artiste offrit à la
ville le
Portrait de Louis XIV, qui orne aujourd’hui le Musée de
Gisors. A partir de ce moment, nous perdons ses traces.
CUIRS DORÉS
IL est certain que l’Espagne fabriqua de très bonne heure des cuirs
dorés appelés d’abord
guadamaciles d’Espagne, cuirs de Cordoue, -
parce qu’ils étaient fabriqués par les Arabes à Cordoue, - puis or
basané ; la fabrication n’en cessa guère qu’à la fin du XVIIIe siècle.
Quand les cuirs dorés furent mis à la mode au XVIe et au XVIIe siècles,
on en fit en Italie, en Angleterre, en Flandre et en France. Vers 1603,
Henri IV établissait des manufactures de cuirs dorés aux faubourgs de
Saint-Honoré et de Saint-Jacques. Leur usage était des plus variés ; on
en faisait des devants d’autel, des garnitures de coffres, de chaises
et de fauteuils, des tentures d’appartement ; leurs couleurs
brillantes, les ornements et les figures peintes faisaient une forte
concurrence aux
verdures de tapisserie. l’
hôtel Detancourt, à
Rouen, construit au commencement du XVIIe siècle, contenait une vaste
salle dont les murs lambrissés étaient ornés d’une suite de panneaux,
de deux mètres de hauteur sur un mètre de largeur, de cuir doré et
peint représentant les héros de l’ancienne Rome,
Scevola, Curtius,
Coclès, etc., d’après des gravures de Goltzius ; six de ces panneaux
sont aujourd’hui au Musée de Cluny. Le baron Davillier les supposait de
fabrication espagnole ; M. Ch. de Beaurepaire les croit plutôt
d’origine rouennaise, et ce qui donne du poids à son assertion, c’est
l’existence à Rouen de manufactures de cuir doré. Un contrat de mariage
est passé, le 4 juillet 1684, entre Jeanne Carré et J
EAN D
ELPERGAT,
peintre tapissier en cuir doré, demeurant à Rouen, paroisse
Sainte-Croix-Saint-Ouen, fils unique de feu J
EAN D
ELPERGAT, bourgeois
de Rouen, aussi peintre tapissier en cuir doré, et de Jeanne Parent. On
note que Jeanne Parent s’était remariée avec un autre tapissier en cuir
doré, J
EAN J
OURDAN, domicilié sur la paroisse Saint-Hilaire de Rouen.
De plus, le compte des marguilliers de Saint-Maclou de 1675
mentionne le paiement fait aux sieurs V
INANT VAN H
OMONEM et F
RANÇOIS L
E
C
OULTRE d’une somme de 31 livres, pour le cuir doré mis à la
contre-table du grand autel de cette église. Vinant van Homonem et
Delpergat sont des noms étrangers, ce qui porte à supposer que la
fabrication du cuir doré fut introduite à Rouen par des ouvriers
espagnols ou flamands. Du reste, le passage d’un plan de mémoire sur
les manufactures du royaume, manuscrit autographe de Colbert, publié
par P. Clément, est décisif sur la question : » Protéger et gratifier
les faïenciers de Rouen et des environs et les faire travailler à
l’envy. Leur donner des dessins et les faire travailler pour le Roy.
Idem des tapisseries de cuir doré qui se font à Rouen.
LE XVIIIe SIÈCLE
C
HACUN, lorsqu’il est question de l’art du XVIIIe siècle, songe à un
art élégant, précieux, tout d’intimité, un peu mièvre, plus féminin que
viril, et fait pour un monde dont la vie se passe à la cour ou dans les
salons ; et les noms de Boucher, de Watteau, de Fragonard, de Pigalle,
de Clodion, de Roettiers, de Gouthières, de Cressent, de Riesener se
présentent d’eux-mêmes à l’esprit pour personnifier l’art parisien sous
Louis XV et Louis XVI.
En province, cet art est avant tout cossu et bourgeois, conservant sous
son luxe joli quelque préoccupation utilitaire ; mais il n’en faudrait
pas conclure que la distinction lui fait défaut. Si l’ameublement, les
étoffes, l’orfèvrerie, l’horlogerie, la faïence subissent alors un
complet renouvellement, il n’est que juste de reconnaître que les
artistes, célèbres à divers degrés, qui travaillent à cette adaptation,
font preuve d’un goût affiné et d’une grande habileté technique.
Il existe encore en Normandie bon nombre de châteaux ou d’anciens
hôtels que la noblesse, la finance, la riche bourgeoisie s’étaient fait
construire dans le cours du XVIIIe siècle. Ces architectures sont, pour
l’ordinaire, assez simples d’aspect ; le luxe était réservé pour
l’intérieur. C’est là que se voyaient les larges escaliers de pierre
aux rampes monumentales en fer forgé, et, dans les salons, les
fauteuils aux fûts contournés, garnis de tapisseries de Beauvais aux
couleurs gaies et claires, les consoles gracieusement tarabiscotées,
les commodes ventrues aux bronzes ciselés, les superbes lambrissages
aux frontons fleuris ou en rocaille, comme on en voit un admirable
spécimen à la Bibliothèque publique d’Alençon (ancienne bibliothèque de
la Chartreuse du Val-Dieu), et les tableaux de notre ancienne école
française. Quelques familles nobles ont pieusement conservé leurs
portraits d’ancêtres, souvent signés de noms illustres : P
HILIPPE DE
C
HAMPAGNE, N
ATTIER, RAOUX, à Chambray, près Damville ; S
AMUEL B
ERNARD,
Q
UENTIN DE L
A T
OUR, H
EIM, H
ERSENT, à Glisolles ; R
IGAUD, G
ÉRARD,
I
NGRES, à Broglie.
PEINTURE
S
I, à l’époque où nous sommes arrivés, la liste des peintres normands
est longue, par contre il n’y a plus de grands noms à enregistrer :
P
OUSSIN et J
OUVENET sont morts ; G
ÉRICAULT n’est pas encore né.
Toutefois, la patrie de P
OUSSIN demeure fidèle à son culte de la
peinture, à l’École académique de dessin, peinture, sculpture et
architecture de Rouen, dirigée de 1741 à 1791 par J
EAN-B
APTISTE
D
ESCAMPS et qui compta jusqu’à trois cents inscrits, maintient les
traditions artistiques et forme d’excellents élèves. D’autres vont à
Paris se former près des maîtres en renom.
Il convient de signaler : F
RANÇOIS J
OUVENET (1686-1749), dont le Musée
de Caen possède le
Portrait de François Romain, architecte dominicain
; P
IERRE L
ÉGER (1658-1749), le
Rachat des captifs, à Saint-Léger du
Bourg-Denis, le
Rosaire, au Grand-Andely ; J
EAN M
AUVIEL l’
Ouverture
de la porte sainte à Rome, en 1700, à Saint-Ouen de Rouen ; H
UBERT
D
ROUAIS (1699-1767),
Portrait du peintre Christophe, et du sculpteur
Robert le Lorrain ; J
EAN-B
APTISTE D
ESHAYS (1729-1765), trois scènes
du Martyre de saint André, la
Charité romaine, au Musée de Rouen ;
É
TIENNE L
AVALLÉE-P
OUSSIN (1740-1765),
Élisée multipliant l’huile de la
veuve ; C
HARLES L
E C
ARPENTIER (1750-1822), une
Marine ; C
HARLES
L
EMONNIER (1743-1824), la
Mission des apôtres, Louis XIV inaugurant le
Milon de Crotone de Puget, et, à la cathédrale de Lisieux, six grandes
scènes de la
Vie de saint Pierre et de saint Paul ; M
ICHEL
H
UBERT-D
ESCOURS (1707-1775), la
Résurrection de Notre-Seigneur, dans
l’église de Breteuil, la
Descente de croix et le
Portrait de Mme de
Ticheville, - un chef-d’oeuvre, - à l’Hospice de Bernay ; le chevalier
S
IXC (1704-1780), peintre attitré des ducs de Bouillon,
Portrait du
prince et de la princesse de Turenne, la
Prédiction de saint
Jean-Baptiste, à Évreux, étrange tableau où l’on voit, dans
l’auditoire du Précurseur, les membres de la famille Bouillon en
costumes du temps.
SCULPTURE
P
ARMI les sculpteurs, on ne peut citer que G
UILLAUME C
OUSIN, né à
Pont-Audemer en 1706, mort en 1783 ; élève de N
ICOLAS C
OUSTOU et de
P
IGALLE, il travaille à la décoration du palais royal de Stockholm.
F
RANÇOIS L
E M
ASSON, né à la Vieille-Lyre (Eure), en 1745, élève en 1768
la
Fontaine monumentale de Noyon, fait la sculpture du palais du
gouvernement à Metz ; auteur du
Tombeau de Vauban aux Invalides ; il
meurt en 1807. N
ICOLAS J
ADDOULLE, né à Rouen en 1736 mort en 1805,
exécute un grand bas-relief, la
Charité, pour la Madeleine de Rouen,
en 1777, et une
Statue de Henri IV, en 1782 (détruite), J
ADDOULLE
s’était acquis une certaine réputation dans sa ville natale ;
néanmoins, ce ne fut point à son talent que le Chapitre fit appel pour
la décoration du jubé construit en 1775 ; il s’adressa à C
LODION qui
sculpta, en 1777, la belle statue en marbre de
sainte Cécile, avec le
bas-relief figurant son
Martyre et, en 1785, le grand
Crucifix de
plomb doré. La statue de la
Vierge et le bas-relief de la
Mise au
tombeau sont de F
ÉLIX L
ECOMTE.
IVOIRERIE
I
L est possible que l’art de l’ivoirerie ait été pratiqué à Dieppe dès
le XIVe ou XVe siècle, et qu’on y ait sculpté des triptyques, des
crosses, des coffrets, des manches de dagues, etc. Ces oeuvres ne sont
connues que par la renommée, et la preuve absolue n’a pas été faite. Au
XVIIIe siècle, on fabrique à Dieppe des montures d’éventails, des râpes
à tabac, bonbonnières, boîtes à mouches, navettes, etc.
Si l’on en croit Guillet de Saint-Georges, M
ICHEL A
NGUIER, né à Eu, pas
bien loin de Dieppe, aurait travaillé de 1652 à 1668, pendant ses
loisirs, à un beau crucifix d’ivoire de 22 pouces de hauteur. Parmi les
Dieppois qui ont taillé l’ivoire, on cite : M
ICHEL M
OLARD, qui
travaillait à la fin du XVIIe siècle ; D
AVID L
E M
ARCHAND, mort en 1726
; les C
RUCVOLLE père et fils, sculpteurs de crucifix, qui vivaient sous
Louis XV ; L
E F
LAMANT, dont parle Bernardin de Saint-Pierre en 1775 ;
C
OINTRE, qui sculptait des gueux et des mendiants ; J
EAN-A
NTOINE
B
ELLETESTE, célèbre par ses rondes-bosses, et son élève C
LÉMENCE, mort
en 1831 ; C
ROQUELOIX, D
AILLY, M
EUGNOT, auteur de nombreuses statuettes,
mort en 1842, B
LARD, P
IERRE G
RAILLON. A l’Exposition de 1855, Dieppe
était encore représentée par quatorze ivoiriers.
CÉRAMIQUE
L
ES faïences de Rouen furent une des manifestations les plus parfaites
de l’art céramique. Inaugurée en 1644 par le privilège royal accordé à
N
ICOLAS P
OIREL, sieur de Grandval, cette fabrication à laquelle prirent
part, à l’origine, des ouvriers italiens, prospéra entre les mains
d’E
DME P
OTERAT ; au XVIIIe siècle, son importance s’accrut et dura
jusqu’à la Révolution. On classe ordinairement les produits de la
faïence de Rouen en six groupes principaux ; 1° Décor bleu, influence
italo-nivernaise ; 2° Décor bleu à lambrequins et à broderies ; 3°
Décor bleu rayonnant, ou en bleu et rouille ; 4° Apogée de la
fabrication, décor bleu avec fonds ocrés à niellures noires ou
violacées ; 5° Décor chinois polychrome, pagodes ; 6° Décor rocaille
polychrome, cornes d’abondance, carquois, scènes galantes.
VERRERIE NORMANDE
O
N a vu que, dès l’époque romaine, le territoire qui devint la
Normandie possédait des verreries. Celles de la forêt de Lyons étaient
en pleine activité au XIVe siècle : La Haye, 1302 ; le Londel, 1360.
D’autres furent établies au XVIe et au XVIIe siècles :
Martagny-en-Lyons, 1520 ; Gast, 1532 ; Varimpré, 1573 ; Rouen, 1598 ;
Courval, 1623 ; Grande-Vallée, 1640 ; Tourlaville, 1652 ;
Beaumont-le-Roger, 1678. Quatre familles nobles, dites familles
verrières, B
ROSSARD, C
AQUERAY, B
ONGARS et L
E V
AILLANT, auxquelles le
privilège des verreries normandes avait été accordé pendant le
Moyen-Age, les exploitèrent jusqu’à la Révolution. Sous le nom de
grosse verrerie, on comprenait le verre à vitre, dit verre en plat ou à
férule, et les bouteilles ; sous celui de petite verrerie, les verres
de table, carafes et ouvrages de verre blanc. Au XVIe siècle, les
verreries de Rouen et des environs fabriquaient des grains de
chapelets, perles, boutons et autres menus objets de couleur et, au
siècle suivant, des bouteilles ou flacons pour l’eau, le vin de table
et le cidre, des aiguières à casque, des huiliers, des salières, des
flambeaux, des coupes à fruits confits, et des verres à pied de formes
diverses ; ces pièces ne sont généralement décorées ni par les émaux,
ni par la gravure. Les verres très minces, du profil le plus élégant,
étaient appelés
verres de fougère, parce qu’on y employait des
cendres de fougère.
DENTELLES
D
ÈS le commencement du XVIIe siècle, on faisait à Alençon de la
dentelle à l’aiguille, et des contrats de mariage, des partages de
succession nous apprennent que les femmes y gagnaient parfois des
sommes importantes. Aussi, lorsque Colbert y établit, en 1665, une
manufacture royale de dentelles avec trente maîtresses ouvrières qu’il
avait fait venir de Venise, le pays était en mesure de fournir
d’habiles dentellières pour exécuter les dessins donnés par Bérain et
Le Brun. Alençon avait la spécialité des réseaux très réguliers, mais
un peu grands, que l’on remplaça par la maille fine du
réseau
Alençon, connu partout comme le plus joli type de la maille
hexagonale. En 1738, Argentan avait son
point, où le grand et le
petit réseau étaient habilement mariés ; c’est un des meilleurs genres
de dentelles. Les manufactures de Bolbec, d’Eu, de Dieppe, de Fécamp,
étaient très prospères au XVIIIe siècle, et Thomas Corneille dit que
les dentelles du Havre étaient recherchées. La fabrication de la
dentelle noire aux fuseaux, affectionnée par Mme de Maintenon, après
avoir fait la fortune de Chantilly et de la contrée environnante, s’est
transportée en Normandie, autour de Caen et de Bayeux, et a pris au
XIXe siècle un développement considérable, tout en parvenant à un degré
de perfection qu’elle n’avait jamais atteint aux époques précédentes.
BIJOUX NORMANDS
U
NE catégorie de bijoux, d’un caractère très particulier, eut une
grande vogue en Normandie au XVIIIe siècle et même durant la première
moitié du XIXe siècle. Ces bijoux normands d’or ou d’argent se
fabriquaient à Saint-Lô, à Caen, à Alençon, à Bernay, à Lisieux, à
Rouen et comprenaient des
croix bosse, avec bossettes au repoussé en
pointes de diamant ou avec pierres taillées, surmontées d’un coeur ou
d’un noeud en coulant ; des croix plus petites dites
jeannettes ; des
esclavages ou colliers avec chaînes ou avec plaques rectangulaires et
fermoirs ciselés ou émaillés ; des boutons de chemises et de longues
épingles à tête à facettes, ou à plaques découpées en filigranes, ou
bien encore ornées de fleurs en émail ; des châtelaines, de larges
agrafes de pelisses, des boucles de jarretières et de souliers. Le
saint-esprit, le plus riche des bijoux normands, était un pendant de
col figurant une colombe tenant au bec un rameau entouré de rinceaux en
filigranes et surmontée d’un noeud accompagné de nervures filigranées.
Ces bijoux, suspendus à un ruban de velours noir qui tranchait sur une
gorgerette blanche ou un fichu de Jouy, étaient constellés de petites
pierres transparentes, à facettes, parfois serties sur paillon de
couleur, et connues sous le nom de diamants d’Alençon. Odolant-Desnos
leur a consacré le curieux passage suivant : « Les orfèvres d’Alençon
mettent proprement en oeuvre des cristallisations connues dans le public
sous le nom de
diamans d’Alençon ; ces cristallisations sont d’une
couleur plus ou moins enfumée ; quand on veut, on leur donne le blanc
en les mettant, avec du suif, dans un creuset à feu modéré. Comme elles
se trouvent plus abondamment dans les carrières du Hertré et du
Pont-Percé que dans les autres carrières de granit, on les connaît
aussi sous le nom de diamants de Hertré ».
ARMOIRES NORMANDES
A
L’ÉPOQUE de la Renaissance, on fabriquait en Normandie - et ailleurs
- des meubles à deux corps avec la partie supérieure en retrait.
C’étaient des oeuvres de luxe, somptueusement sculptées, souvent ornées
d’incrustations de marbre. Simplifiés et adaptés à des usages plus
vulgaires, ces cabinets devinrent, sous Louis XIII et Louis XIV, des
buffets de salle à manger. Quant aux armoires à linge, en bois de
chêne, fort recherchées de nos jours où l’on aime à les transformer en
vitrines et en bibliothèques, elles procèdent, au point de vue de la
construction mais non du style, des hautes armoires droites à double
vantail que les Boulle incrustaient de cuivre et d’écaille. Les plus
anciennes armoires normandes, celles de l’époque de Louis XV et Louis
XVI, sont aussi les plus remarquables et les plus soignées ; la
sculpture est profondément refouillée, les moulures filées avec une
régularité parfaite. Le fronton, de forme cintrée ou droite, abrite
soit deux colombes se becquetant sur l’autel de l’amour, soit une
corbeille de fleurs ; le milieu des vantaux est orné de cartouches ou
médaillons avec trophées se rapportant tantôt à l’agriculture (fruits,
gerbes, râteaux, bèches), tantôt au mariage (carquois, torches, fleurs
nouées), à l’occasion duquel ces armoires étaient le plus souvent
confectionnées.
Sous le Directoire et au commencement du XIXe siècle, - car la
fabrication de ces armoires s’est poursuivie pour la clientèle des
campagnes jusqu’au-delà de 1830, - l’exécution est beaucoup moins
soignée ; la sculpture manque de relief, et l’art est ordinairement
absent de ces productions vulgaires, uniquement intéressantes par la
persistance d’un type fidèlement copié, mais souvent mal compris.
LE XIXe SIÈCLE
S
’IL est vrai que la tranquillité publique est l’une des conditions
essentielles à la pratique et à l’expansion des arts, il faut
reconnaître que la Révolution ne dut guère faciliter leur essor : les
pensées et les aspirations étaient ailleurs. Il y eut l’art Louis XVI,
l’art du Directoire et du Consulat : on n’a pas encore classé l’art de
la Révolution, - de 1791 à 1796.
A Paris et dans les grandes villes, l’art officiel est occupé et assez
largement pourvu : en province et dans les petits centres, il n’en va
pas de même. Ne voit-on pas, à Bernay, Descours le fils, qui peignait
avec un certain succès des tableaux et des portraits, réduit, pour
mettre d’accord son talent et son patriotisme, à peindre sur les
tambours de la garde nationale les emblèmes de la liberté ?
Lorsque D
ESCAMPS mourut en 1791, son fils tenta de reprendre la
direction de l’École de peinture de Rouen et recueillit quelques élèves
;
DE C
HAUMONT lui succéda. En 1828, la nomination du
dessinateur-archéologue H
YACINTHE L
ANGLOIS donna aux études une vive
impulsion, continuée par G
USTAVE M
ORIN qui, de 1838 à 1844, admit à ses
cours près de treize cents élèves.
Si nous jetons un regard sur les peintres normands qui se sont acquis
une légitime célébrité durant la première moitié du XIXe siècle, nous
pouvons nommer :
R
OBERT L
EFÈVRE (Bayeux, 1756-1830) ; J
ACQUES N
OURY (Carpiquet,
1747-1832) ;
JOSEPH D
UCHESNE (Gisors, 1770-1856) ; H
YACINTHE L
ANGLOIS
(Pont-de-l’Arche, 1777-1837) ; T
HÉODORE G
ÉRICAULT (Rouen, 1791-1824) ;
D
ÉSIRÉ C
OURT (Rouen, 1797-1865) ; L
OUIS M
ALBRANCHE (Caen, 1790-1838) ;
G
EORGES L
EFRANÇOIS (Caen, 1805-1839) ; F
RANÇOIS M
ILLET (Gréville,
1814-1875) ; C
HARLES C
HAPLIN (Les Andelys, 1825-1890) ; G
USTAVE M
ORIN
(Rouen, 1809-1886) ; A
NTOINE M
OREL-F
ATIO (Rouen, 1810-1871) ; T
HÉODULE
R
IBOT (Saint-Nicolas d’Attez, 1823-1891). Et parmi les sculpteurs :
É
TIENNE M
ÉLINGUE (Caen, 1807-1875) ; A
UGUSTE L
ECHESNE (Caen, 1815-18..)
; L
E H
ARIVEL-D
UROCHER (Chanu, 1816-1878) ; A
RMAND L
E V
ÉEL (Bricquebec
1821-18..).
Nous ne parlerons pas des vivants : ils sont légion. Il suffira pour
s’en convaincre de parcourir la liste des artistes normands qui
exposent chaque année aux divers Salons et ont reçu des récompenses.
CONCLUSION
L
ES caractères distinctifs et la valeur propre de l’art normand se
rattachent à des oeuvres trop variées, comme à des siècles trop divers,
pour qu’on puisse les envelopper dans un jugement commun ou les faire
tenir dans une formule unique. L’art n’est-il pas une chose
essentiellement variable ? On a dit que l’art est le reflet de l’état
général des esprits et des moeurs, l’expression matérielle des goûts
dominants d’une société. Or, ces goûts changent avec le temps. Aussi
bien, qui pourrait reconnaître la race normande ardente et batailleuse
du XIe siècle dans la bourgeoisie riche et la noblesse raffinée de la
Renaissance ? Quels rapprochements établir entre les seigneurs féodaux
du Moyen-Age et les fermiers-généraux ou les parlementaires du XVIIIe
siècle ? Il convient donc de procéder par époques, si l’on veut, à
travers les âges, saisir les aspects vrais de l’art en Normandie.
Lors de la conquête romaine, le Gaulois n’avait pas d’art proprement
dit, mais il s’empressa d’adopter et de s’assimiler la civilisation
très avancée de ses vainqueurs. Le Franc en conserva quelques
traditions et en sauva les débris à travers la période mérovingienne et
carlovingienne, et c’est peut-être à cet appoint gallo-romain, si
faible qu’on le suppose, joint à l’apport plus actif des races
scandinaves, que le Normand doit le rang qu’il a occupé dans l’art
roman.
Les architectes du temps de Guillaume le Conquérant et de Henri
Ier, c’est-à-dire les maçons, moines ou laïques, qui ont
élevé
les églises de Bernay, de Jumièges, de Saint-Étienne et de la Trinité
de Caen, de Saint-Georges de Boscherville, étaient des constructeurs de
premier ordre, créant des formes architecturales d’une grande
simplicité, mais d’un goût accompli. Si l’école d’Auvergne a plus de
variété, celles du Poitou et de la Saintonge plus de richesse, nulle
n’a atteint la grandeur austère et imposante de l’école normande.
Il n’est pas étonnant que la Normandie s’attarde, jusqu’après le milieu
du XIIe siècle, au roman qu’elle affectionne et qu’elle pratique avec
maîtrise. Le style gothique est alors importé, tout formé, par des
maçons de l’Ile-de-France à Rouen (tour Saint-Romain), et du pays de
Laon à Lisieux (nef de la cathédrale). Ce n’est qu’en 1220 et 1230 que
les architectes normands se sont approprié le style nouveau au point de
lui imprimer un caractère régional bien tranché (arcs très aigus,
colonnettes et moulures multipliées, tailloirs circulaires, sculpture
décorative toujours un peu symétrique). La cathédrale de Coutances est
le type accompli du gothique normand.
La statuaire monumentale n’apparaît que lorsque Paris, Amiens,
Chartres, Reims ont clos le cycle iconographique de leurs cathédrales
achevées ; le type rouennais a quelque chose de tempéré, d’assagi, avec
une recherche évidente d’élégance dans la pose et le drapé.
Interrompue ou ralentie par les guerres anglaises, l’activité
artistique renaît çà et là dès qu’elle retrouve un peu de calme et de
sécurité, et la seconde moitié du XVe siècle est marquée par un
épanouissement superbe : Saint-Ouen, Saint-Maclou, la grande salle du
Palais de Justice de Rouen, suffiraient à illustrer une époque.
L’expédition de Charles VIII dans le Milanais avait mis la France en
contact avec la Renaissance italienne ; elle en garda l’attrait pour
les formes antiques remises à la mode par Brunellesco, Alberti et
Rosellino. L’établissement d’ouvriers italiens à Paris, et l’étude des
planches du
Songe de Polyphile achèveront cette inoculation du goût
italien.
C’est sous le patronage du cardinal d’Amboise, à Gaillon, qu’il
s’implantera en Normandie. Mais sur les bords de la Seine, comme sur
ceux de la Loire, comme dans l’Ile-de-France, les influences italiennes
n’enlèveront pas à nos architectes et à nos sculpteurs leur originalité
propre ; il y aura une Renaissance bien française, dont les oeuvres
peuvent supporter la comparaison avec les plus beaux monuments
d’outre-monts. En Normandie, des écoles se fondent, assez fortes et
assez fécondes pour couvrir le sol de la province de leurs élégantes
créations. La sculpture s’associe à ce mouvement et le seconde
brillamment ; Rouen, Caen, Gisors, Évreux, Verneuil, Alençon ont des
ateliers de sculpture monumentale et décorative. Enfin, l’art du
vitrail s’élève à une perfection qu’il ne connaissait pas ; Rouen,
Gisors, Les Andelys, Pont-Audemer, Conches, Argentan, Alençon voient
leurs églises resplendir de ces vastes compositions dans lesquelles on
ne sait trop ce qu’il faut le plus admirer, la richesse du dessin ou la
magie de la couleur.
Sous Louis XIII, l’architecture est en renouveau ; elle donne une haute
allure à ses châteaux et à ses manoirs, et imagine, par la combinaison
de la brique et de la pierre, une véritable décoration murale.
Contrairement à ce qui s’était passé au XVIe siècle, la sculpture a
cédé le pas à la peinture. P
OUSSIN avait ouvert la voie, mais Rome l’a
pris et le garde. J
OUVENET, R
ESTOUT, T
OURNIÈRES prennent la tête et, à
leur suite, de nombreux artistes moins célèbres, mais non sans talent,
peignent des tableaux religieux ou mythologiques dans le genre
décoratif, un peu vide, que Vouet avait brillamment inauguré. Le
portrait est fort en honneur, non pas héroïque et fastueux comme Rigaud
et Largillière l’ont imaginé, mais plutôt sobre et vrai, comme Philippe
de Champagne et Claude Lefèvre l’ont compris.
Au XVIIIe siècle, l’art déclamatoire et pompeux ne disparaît pas, mais
il a dû faire une large place, à ses côtés, à un art plus intime et
plus raffiné. Avec plus d’entrain que jamais, les artistes déploient un
réel talent dans les arts mineurs : menuiserie, ébénisterie, céramique,
ferronnerie, dentelles, bijouterie, etc. ; les Normands y excelleront
pour leur part, et laisseront des oeuvres pleines de sérieux et
d’élégance, d’un goût ferme et d’une irréprochable exécution.
Le comte de Laborde, à l’occasion de l’Exposition universelle de 1855,
a écrit deux gros volumes pour démontrer la nécessité de ne pas séparer
l’art et l’industrie : union féconde, fidèlement pratiquée chez nous
jusqu’à la Révolution, et à laquelle, depuis trente ans, on tend de
plus en plus à revenir. Il convient, à ce propos, de mentionner une
industrie, artistique au premier chef, qui fait depuis un siècle la
gloire de la région rouennaise ; nous voulons parler des tissus
imprimés. On a pu voir, à l’Exposition des tissus, à Rouen, en 1901, à
quel degré de perfection dans le procédé, comme avec quel goût dans le
dessin et la couleur, on imprime les étoffes, - velours, soie, coton, -
soit pour vêtements, soit pour tentures d’ameublement.
Il ne faudrait pas croire, toutefois, que l’activité de nos
compatriotes n’ait de préférence que pour les applications de l’art à
l’industrie. L’art pur a gardé pour eux toutes ses séductions, et les oeuvres de T
HÉODORE G
ÉRICAULT, de R
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EFÈVRE, de D
ÉSIRÉ C
OURT, de
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ANIEL S
AINT, de Mme
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IRBEL, de C
HARLES C
HAPLIN, de T
HÉODULE RIBOT,
de F
RANÇOIS M
ILLET en sont la preuve.
Si, enfin, il fallait tenter de caractériser l’esprit et les tendances
de notre art provincial, nous dirions que le Normand, si
positif
qu’on le suppose et qu’il soit réellement, est en même temps épris du
beau. C’est de ces deux qualités innées de son tempérament, - qualités
peu compatibles en apparence, - qu’est né son génie artistique, fait
d’un goût solide, mesuré et ennemi de l’emphase, d’une imagination
pleine de souplesse et de ressources, et d’une volonté forte et
persévérante.
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