AVERTISSEMENT
DE L’AUTEUR.
Je brûlois de
signer cet ouvrage ; par une fatalité incroyable, les seules
loix de l’homme en état de société s’y opposent, & me
font aujourd’hui rougir de n’être pas sauvage.
~*~
D
ANS un
moment où toutes les actions privées d’un bon citoyen doivent être
mises au grand jour, je crois devoir publier le rapport d’une émotion
assez extraordinaire, survenue dans le canton d’Orbec, district de
Lisieux, département du Calvados.
Quatre
particuliers, dont le vice favori est probablement la curiosité, ayant
pour excuse le soupçon de projets anti-révolutionnaire, ont arrêté une
boëte qui renfermait la correspondance de M. le Président de Coulons.
Bientôt on parle de cette boëte, comme devant être aussi funeste que
celle de Pandore, puisqu’elle ne devait renfermer (disait-on) que des
maux & des projets dont tout honnête citoyen devait frémir.
Au
bout de deux heures la municipalité d’Orbec en était saisie. M. le
Maire de la ville, (dont tout le monde connaît la droiture) écrit à M.
le Président de Coulons, que sa boëte est en dépôt sûr, & que
s’il veut venir la reconnoître, elle lui sera remise : les officiers
municipaux, pensant, avec M. Bailly, «
que la publicité est la
sauve-garde du peuple », ouvrent les portes, & donnent une
grande multitude de spectateurs à cette entrevue : présenter la boëte,
dresser un procès-verbal de l’état du cadenat, de l’introduction de la
clef, inventorier son contenu ; les plus légers détails, les plus
frivoles, ne sont point oubliés : de plus grands événements devaient
bientôt agiter la scène : les clameurs du peuple soupçonneux, des cris
séditieux se font entendre : on insiste pour avoir la lecture des
lettres : c’est ainsi que la liberté prend des livrées de la licence,
& c’est alors qu’elle doit être réprimée.
La
municipalité, dont nous aurons plus d’une occasion de louer la fermeté,
refuse ce voeu de l’injustice & de la violence, par deux
décisions consécutives. Elle offre à M. de Coulons de se saisir de sa
boëte. Sa réponse fut simple : «
Des papiers précieux
avaient pû être soustraits dans le transport ; & d’ailleurs le
dépôt était la preuve du délit, & la poursuite qu’il se
réservait contre un arrêtement aussi extraordinaire, pourrait avoir
besoin de ce témoin tacite. »
La fougue tumultuaire
s’était un peu diminuée ; un citoyen s’avance & paraît
manifester, de la manière la plus honnête, la demande de la commune,
pour que M. le président de Coulons abandonne l’idée d’une procédure,
& fasse céder la justice à un mouvement de générosité. Déjà,
& j’en atteste l’orateur du peuple, la clémence se peignait
dans les yeux de celui qu’il invoquait : il assurait que son voeu le
plus cher était d’accéder à celui de la ville d’Orbec.
Mais
les allarmes répandues dans le peuple, reproduisent bientôt une
acclamation de soupçons odieux, la correspondance doit découvrir une
conspiration contre la liberté : les cris de projets
anti-constitutionnaires se renouvellent : les voûtes en frémissent
& les bons citoyens aussi, mais sans y croire. La fureur qui a
causé le massacre des Belsunce, des Rulhy, & qui s’est promenée
dans diverses parties de la France, pour y trouver de nouvelles
victimes, anime une assemblée de citoyens, entre lesquels il allait y
avoir une échange de confiance.
Les lettres à ouvrir
étaient celles de madame la présidente de Coulons : on ose en
solliciter la lecture (1) ! on a l’audace de vouloir trahir la
conversation des absens, d’interrompre les plus douces, comme les plus
secrétes communications des ames : on ose provoquer la violation du
secret des familles ! des confidences de l’amitié, des mystères du coeur
! On veut, dis-je, arracher le droit le plus sacré de propriété sur les
productions de l’esprit & du sentiment ! Un procédé si coupable
ne peut avoir d’excuse ; mais le peuple animé par la haine & la
vengeance de quelques individus, peut-il raisonner ?
La
municipalité pouvait courir quelques risques. Sans être accessible à
aucunes craintes, sans cesser d’avoir le courage & l’énergie,
qui sont l’appanage de l’ame forte, M. le président de Coulons voulant
faire cesser la profanation du sanctuaire des loix, brise le cachet,
& l’exposé de ses lettres eût bientôt contenté cette avide
& impardonnable curiosité.
Après avoir
assouvi la fureur d’un peuple, qui observoit alors le plus morne
silence ; M. le président de Coulons, froissé d’avoir ainsi inspiré une
défiance imméritée, prononce très-hautement : «
que les loix
doivent le servir contre les ravisseurs de sa correspondance, &
que si le ministère public s’oubliait, il en serait lui-même le
provocateur ». La foule se dissipe, quelques bons citoyens essayent de
le fléchir ; le coeur sensible & bon, injustement soupçonné est
inexorable…. Celui qui aurait l’audace de l’improuver, donnera les
dimensions de son ame, de son énergie & de son civisme.
Ministre
des loix, M. le président de Coulons connaît toute la rigidité avec
laquelle il les faut observer, il se présente lui-même pour être le
vengeur d’un délit qui compromet la tranquillité publique : il honore
son nom d’une dénonciation en forme, &, réunissant les auteurs
de l’enlévement aux fabricateurs des propos injurieux, il réclame
justice contre tous ; ayant acquis le droit de dire avec Hypolite :
« Examinez ma vie, & voyez qui je suis, »
Il
la leur donne toute entière à scruter :
La
négociation du pardon restait toujours ouverte, M. de Coulons se serait
laissé fléchir par un acte de contrition bien vrai. Après les délais
d’usage, le procès est jugé : deux des inculpés reconnaissent leur tort
: les deux autres sont condamnés par défaut aux frais d’une sentence
imprimée & affichée.
L’expression de ce
prononcé transpire. Bientôt des conciliabules populaires se forment. La
milice nationale de Bienfaite, où demeure l’un des délinquans, députe
directement pour demander que M. de Coulons renonce aux affiches. «
Quand la Loi a parlé, tout le monde doit se taire » ; tel est
l’esprit de sa réponse. On espère qu’une lettre aura plus d’efficacité,
les mêmes députés vont la provoquer à Orbec, & trente
signataires sont de la garde nationale. La forme est celle d’une
requête respectueuse : le fonds est un juste témoignage rendû au
patrimoine de celui à qui elle est adressée ; mais on travestit l’idée
de la grâce qu’il était dans l’intention de faire : on reclame une
parole : on lui enjoint presque de n’y point manquer. M. de Coulons les
relève de l’erreur sans doute involontaire qu’ils ont sur l’instant de
la clémence : l’expression de leurs sentimens est reçue avec
reconnaissance & sur-tout avec la certitude de les mériter : on
y laisse entrevoir très-clairement, que lorsque la ville d’Orbec voudra
faire la demande simple de l’oubli de toutes procédures, le premier
devoir de M. le P. sera d’y souscrire. Chaque mot vaut un éloge, tout y
est grand, tout y est simple, le sentiment, la raison & la
vérité ne peuvent avoir un autre langage. On proclame cette réponse au
milieu d’un cirque formé par l’université de la milice nationale ;
quelques signataires avouent la lettre qui a donné lieu à celle-ci ;
les officiers n’en avaient point été prévenus ; mais l’indiscipline
leur ôte toutes voies de plaintes. Bientôt un grand nombre se fait
entendre sur l’insuffisance de la réponse. Les plus violentes motions
éclatent ; investir le château, contraindre à main armée à un
désistement : ne pas souffrir en d’autres mots que la justice prévaille
contre la force : voilà en masse l’esprit d’effervescence du moment.
Le
corps municipal s’assemble ; il mande le commandement par intérim (2),
& le charge de surveiller & de tempérer cette
convulsion. Le soir on redouble de menaces ; l’hôtel-de-ville est
entouré ; c’est une insurrection véritable ; les officiers sont
méconnus ; on projette de marcher nuitamment, ce n’est plus une garde
assurant la liberté & les propriétés ; c’est une horde de
conspirateurs inspirée par le génie de la destruction.
Parmi
les officiers municipaux (toujours à leur poste) était M. Daufresne,
avocat de M. le P. de C., il proteste contre ce trouble & cette
intervention, & parvient à calmer quelques factieux, en leur
promettant réponse sous un court délai. L’appareil menaçant se dissipe
; &
LA NUIT, COMPLICE INVOLONTAIRE DES FORFAITS QU’ELLE COUVRE
DE SES VOILES, SE PASSAT DANS UN CALME INESPÉRÉ.
Le
lendemain vît naître des mesures plus douces ; le tems qui donne la
réflexion & la méditation,
ces premières puissances de l’âme
(3), suggéra aux officiers municipaux l’idée de se mettre à la tête du
parti populaire qui réclamait la clémence de M. de C. Directeurs
modérés & pacifiques, ils lui firent parvenir un arrêté dans
lequel en rendant justice à son civisme, ils lui demandent l’abandon de
toutes poursuites : pallient les torts des inculpés, & les
avouent cependant réfractaires aux décrets de l’assemblée. M. de C.
accueille le voeu de la ville d’Orbec, exprimé par ses représentans, en
déclarant qu’il
fait grâce ; il oublie cette fièvre populaire excitée
par un petit nombre d’insurrecteurs, qu’il renonce à jamais inquiéter ;
c’est le vrai sacrifice de la vertu, qui abandonne la stricte justice
pour la générosité : c’est le sublime de la sagesse & de la
vraie grandeur.
La municipalité a voté des
remerciements, & a chargé le maire de lui exposer ses sentimens
de reconnaissance & d’admiration : tous les citoyens lui
doivent les mêmes : car celui qui accuse & poursuit un
coupable, exerce un ministère public dont la société lui doit compte.
Ainsi
s’est terminé un événement qui sert à faire connaître l’intrépidité
raisonnée, le patriotisme, & la grandeur d’un citoyen ; qui
marque la conduite sage & tempérée d’une municipalité qui a
prévenu les excès & réprimé efficacement les mouvemens
populaires ; & enfin découvre
LE DANGER D’UNE FORCE ARMÉE EN
DÉLIDÉRATION, DONT L’INFLUENCE CONDUIT TOUJOURS A L’OPPRESSION ET A
L’INJUSTICE.
Aimer la loi : obéir à la loi :
soutenir la loi, qui est elle-même le ferme appui de tous, voilà le cri
de tous les vrais directeurs du peuple. Puissent bientôt ces
convulsions alarmantes, ces commotions terribles, ne plus faire
trembler les bons patriotes, & se dissiper pour ne jamais
renaître !....
LA LIBERTÉ DE LA PRESSE EST LE SEUL
ET UNIQUE REMÈDE DES GENS DE BIEN CONTRE LES MÉCHANS.Arrêté
du parlement de Paris, du 4 Décembre 1788.
N
OTES
:
(1) Pompée livra aux flammes les lettres que les sénateurs
écrivaient à Sertorius. Qu’elle différence !
(2) M. le Bulge
commandait alors à la place de M. du Longchamp fils, qui, après la
lecture de la lettre, annonçât qu’un voyage de Paris, qu’il devait
faire le lendemain, l’empêchait de remplir ses fonctions.
(3)
Discours sur le droit de la paix & de la guerre, de M. Riquetti
l’aîné.