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Précis historique d’une affaire survenue à M. le Président de Coulons, par l’interception de ses Lettres, commise sur le chemin de Lisieux à Orbec (1790)
Précis historique d’une affaire survenue à M. le Président de Coulons, par l’interception de ses Lettres, commise sur le chemin de Lisieux à Orbec. Rédigé par un Spectateur impartial de cet événement.- A Lacédémone : [s.n.], Aoust 1790.- 11 p. ; 20 cm.
Saisie du texte : S. Pestel pour la collection électronique de la Médiathèque André Malraux de Lisieux (09.III.2007)
Texte relu par : A. Guézou
Adresse : Médiathèque André Malraux, B.P. 27216, 14107 Lisieux cedex
-Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01
Courriel : mediatheque@ville-lisieux.fr, [Olivier Bogros] obogros@ville-lisieux.fr
http://www.bmlisieux.com/

Diffusion libre et gratuite (freeware)
Orthographe et graphie conservées.
Texte établi sur l'exemplaire de la médiathèque (Bm Lx : norm 1964).

PRÉCIS
HISTORIQUE

D’une affaire survenue à M. le Président
de COULONS, par l’interception de
ses Lettres, commise sur le chemin de
Lisieux à Orbec.

Rédigé par un Spectateur impartial de cet
événement.
____________________________

Dès que l’on sçait que les Lettres seront ouvertes,
on peut immoler & sauver qui l’ont veut.
Discours de M. Dupont à l’Assemblée nationale,
sur l’inviolabilité des Lettres.

________________

A LACÉDÉMONE.
________________

AOUST 1790.

~*~

AVERTISSEMENT DE L’AUTEUR.

Je brûlois de signer cet ouvrage ; par une fatalité incroyable, les seules loix de l’homme en état de société s’y opposent, & me font aujourd’hui rougir de n’être pas sauvage.

~*~

DANS un moment où toutes les actions privées d’un bon citoyen doivent être mises au grand jour, je crois devoir publier le rapport d’une émotion assez extraordinaire, survenue dans le canton d’Orbec, district de Lisieux, département du Calvados.

Quatre particuliers, dont le vice favori est probablement la curiosité, ayant pour excuse le soupçon de projets anti-révolutionnaire, ont arrêté une boëte qui renfermait la correspondance de M. le Président de Coulons. Bientôt on parle de cette boëte, comme devant être aussi funeste que celle de Pandore, puisqu’elle ne devait renfermer (disait-on) que des maux & des projets dont tout honnête citoyen devait frémir.

Au bout de deux heures la municipalité d’Orbec en était saisie. M. le Maire de la ville, (dont tout le monde connaît la droiture) écrit à M. le Président de Coulons, que sa boëte est en dépôt sûr, & que s’il veut venir la reconnoître, elle lui sera remise : les officiers municipaux, pensant, avec M. Bailly, « que la publicité est la sauve-garde du peuple », ouvrent les portes, & donnent une grande multitude de spectateurs à cette entrevue : présenter la boëte, dresser un procès-verbal de l’état du cadenat, de l’introduction de la clef, inventorier son contenu ; les plus légers détails, les plus frivoles, ne sont point oubliés : de plus grands événements devaient bientôt agiter la scène : les clameurs du peuple soupçonneux, des cris séditieux se font entendre : on insiste pour avoir la lecture des lettres : c’est ainsi que la liberté prend des livrées de la licence, & c’est alors qu’elle doit être réprimée.

La municipalité, dont nous aurons plus d’une occasion de louer la fermeté, refuse ce voeu de l’injustice & de la violence, par deux décisions consécutives. Elle offre à M. de Coulons de se saisir de sa boëte. Sa réponse fut simple :   « Des papiers précieux avaient pû être soustraits dans le transport ; & d’ailleurs le dépôt était la preuve du délit, & la poursuite qu’il se réservait contre un arrêtement aussi extraordinaire, pourrait avoir besoin de ce témoin tacite. »

La fougue tumultuaire s’était un peu diminuée ; un citoyen s’avance & paraît manifester, de la manière la plus honnête, la demande de la commune, pour que M. le président de Coulons abandonne l’idée d’une procédure, & fasse céder la justice à un mouvement de générosité. Déjà, & j’en atteste l’orateur du peuple, la clémence se peignait dans les yeux de celui qu’il invoquait : il assurait que son voeu le plus cher était d’accéder à celui de la ville d’Orbec.

Mais les allarmes répandues dans le peuple, reproduisent bientôt une acclamation de soupçons odieux, la correspondance doit découvrir une conspiration contre la liberté : les cris de projets anti-constitutionnaires se renouvellent : les voûtes en frémissent & les bons citoyens aussi, mais sans y croire. La fureur qui a causé le massacre des Belsunce, des Rulhy, & qui s’est promenée dans diverses parties de la France, pour y trouver de nouvelles victimes, anime une assemblée de citoyens, entre lesquels il allait y avoir une échange de confiance.

Les lettres à ouvrir étaient celles de madame la présidente de Coulons : on ose en solliciter la lecture (1) ! on a l’audace de vouloir trahir la conversation des absens, d’interrompre les plus douces, comme les plus secrétes communications des ames : on ose provoquer la violation du secret des familles ! des confidences de l’amitié, des mystères du coeur ! On veut, dis-je, arracher le droit le plus sacré de propriété sur les productions de l’esprit & du sentiment ! Un procédé si coupable ne peut avoir d’excuse ; mais le peuple animé par la haine & la vengeance de quelques individus, peut-il raisonner ?

La municipalité pouvait courir quelques risques. Sans être accessible à aucunes craintes, sans cesser d’avoir le courage & l’énergie, qui sont l’appanage de l’ame forte, M. le président de Coulons voulant faire cesser la profanation du sanctuaire des loix, brise le cachet, & l’exposé de ses lettres eût bientôt contenté cette avide & impardonnable curiosité.

Après avoir assouvi la fureur d’un peuple, qui observoit alors le plus morne silence ; M. le président de Coulons, froissé d’avoir ainsi inspiré une défiance imméritée, prononce très-hautement :   « que les loix doivent le servir contre les ravisseurs de sa correspondance, & que si le ministère public s’oubliait, il en serait lui-même le provocateur ». La foule se dissipe, quelques bons citoyens essayent de le fléchir ; le coeur sensible & bon, injustement soupçonné est inexorable…. Celui qui aurait l’audace de l’improuver, donnera les dimensions de son ame, de son énergie & de son civisme.

Ministre des loix, M. le président de Coulons connaît toute la rigidité avec laquelle il les faut observer, il se présente lui-même pour être le vengeur d’un délit qui compromet la tranquillité publique : il honore son nom d’une dénonciation en forme, &, réunissant les auteurs de l’enlévement aux fabricateurs des propos injurieux, il réclame justice contre tous ; ayant acquis le droit de dire avec Hypolite :

« Examinez ma vie, & voyez qui je suis, »

Il la leur donne toute entière à scruter :

La négociation du pardon restait toujours ouverte, M. de Coulons se serait laissé fléchir par un acte de contrition bien vrai. Après les délais d’usage, le procès est jugé : deux des inculpés reconnaissent leur tort : les deux autres sont condamnés par défaut aux frais d’une sentence imprimée & affichée.

L’expression de ce prononcé transpire. Bientôt des conciliabules populaires se forment. La milice nationale de Bienfaite, où demeure l’un des délinquans, députe directement pour demander que M. de Coulons renonce aux affiches. « Quand la Loi a parlé, tout le monde doit se taire » ; tel est l’esprit de sa réponse. On espère qu’une lettre aura plus d’efficacité, les mêmes députés vont la provoquer à Orbec, & trente signataires sont de la garde nationale. La forme est celle d’une requête respectueuse : le fonds est un juste témoignage rendû au patrimoine de celui à qui elle est adressée ; mais on travestit l’idée de la grâce qu’il était dans l’intention de faire : on reclame une parole : on lui enjoint presque de n’y point manquer. M. de Coulons les relève de l’erreur sans doute involontaire qu’ils ont sur l’instant de la clémence : l’expression de leurs sentimens est reçue avec reconnaissance & sur-tout avec la certitude de les mériter : on y laisse entrevoir très-clairement, que lorsque la ville d’Orbec voudra faire la demande simple de l’oubli de toutes procédures, le premier devoir de M. le P. sera d’y souscrire. Chaque mot vaut un éloge, tout y est grand, tout y est simple, le sentiment, la raison & la vérité ne peuvent avoir un autre langage. On proclame cette réponse au milieu d’un cirque formé par l’université de la milice nationale ; quelques signataires avouent la lettre qui a donné lieu à celle-ci ; les officiers n’en avaient point été prévenus ; mais l’indiscipline leur ôte toutes voies de plaintes. Bientôt un grand nombre se fait entendre sur l’insuffisance de la réponse. Les plus violentes motions éclatent ; investir le château, contraindre à main armée à un désistement : ne pas souffrir en d’autres mots que la justice prévaille contre la force : voilà en masse l’esprit d’effervescence du moment.

Le corps municipal s’assemble ; il mande le commandement par intérim (2), & le charge de surveiller & de tempérer cette convulsion. Le soir on redouble de menaces ; l’hôtel-de-ville est entouré ; c’est une insurrection véritable ; les officiers sont méconnus ; on projette de marcher nuitamment, ce n’est plus une garde assurant la liberté & les propriétés ; c’est une horde de conspirateurs inspirée par le génie de la destruction.

Parmi les officiers municipaux (toujours à leur poste) était M. Daufresne, avocat de M. le P. de C., il proteste contre ce trouble & cette intervention, & parvient à calmer quelques factieux, en leur promettant réponse sous un court délai. L’appareil menaçant se dissipe ; & LA NUIT, COMPLICE INVOLONTAIRE DES FORFAITS QU’ELLE COUVRE DE SES VOILES, SE PASSAT DANS UN CALME INESPÉRÉ.

Le lendemain vît naître des mesures plus douces ; le tems qui donne la réflexion & la méditation, ces premières puissances de l’âme (3), suggéra aux officiers municipaux l’idée de se mettre à la tête du parti populaire qui réclamait la clémence de M. de C. Directeurs modérés & pacifiques, ils lui firent parvenir un arrêté dans lequel en rendant justice à son civisme, ils lui demandent l’abandon de toutes poursuites : pallient les torts des inculpés, & les avouent cependant réfractaires aux décrets de l’assemblée. M. de C. accueille le voeu de la ville d’Orbec, exprimé par ses représentans, en déclarant qu’il fait grâce ; il oublie cette fièvre populaire excitée par un petit nombre d’insurrecteurs, qu’il renonce à jamais inquiéter ; c’est le vrai sacrifice de la vertu, qui abandonne la stricte justice pour la générosité : c’est le sublime de la sagesse & de la vraie grandeur.

La municipalité a voté des remerciements, & a chargé le maire de lui exposer ses sentimens de reconnaissance & d’admiration : tous les citoyens lui doivent les mêmes : car celui qui accuse & poursuit un coupable, exerce un ministère public dont la société lui doit compte.

Ainsi s’est terminé un événement qui sert à faire connaître l’intrépidité raisonnée, le patriotisme, & la grandeur d’un citoyen ; qui marque la conduite sage & tempérée d’une municipalité qui a prévenu les excès & réprimé efficacement les mouvemens populaires ; & enfin découvre LE DANGER D’UNE FORCE ARMÉE EN DÉLIDÉRATION, DONT L’INFLUENCE CONDUIT TOUJOURS A L’OPPRESSION ET A L’INJUSTICE.

Aimer la loi : obéir à la loi : soutenir la loi, qui est elle-même le ferme appui de tous, voilà le cri de tous les vrais directeurs du peuple. Puissent bientôt ces convulsions alarmantes, ces commotions terribles, ne plus faire trembler les bons patriotes, & se dissiper pour ne jamais renaître !....

LA LIBERTÉ DE LA PRESSE EST LE SEUL ET UNIQUE REMÈDE DES GENS DE BIEN CONTRE LES MÉCHANS.

Arrêté du parlement de Paris, du 4 Décembre 1788.


NOTES :
(1) Pompée livra aux flammes les lettres que les sénateurs écrivaient à Sertorius. Qu’elle différence !
(2) M. le Bulge commandait alors à la place de M. du Longchamp fils, qui, après la lecture de la lettre, annonçât qu’un voyage de Paris, qu’il devait faire le lendemain, l’empêchait de remplir ses fonctions.
(3) Discours sur le droit de la paix & de la guerre, de M. Riquetti l’aîné.



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