[Discours de] Distribution des prix. Extrait du journal de Caen et de la Normandie. N° 38, Jeudi 14 Aout 1828.- Caen : de l'Imprimerie de A. Le Roy rue Froide, [1828].- 8 p. ; 19,5 cm.
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IL est une solennité qui inspire, chaque année, un nouvel intérêt, et qui ne peut manquer d’attirer un nombreux concours de spectateurs, parce qu’elle flatte les affections les plus chères des familles et les plus précieuses espérances de la société. On devine que nous voulons parler de la distribution des prix du collége royal. Mais on n’y avait jamais vu une foule plus considérable et en même temps plus brillante que lundi dernier, grâce, sans doute, à la réputation toujours croissante d’un établissement qui honore la province et l’université, et à la gloire qu’acquiert de jour en jour l’université elle-même, digne encore d’être appelée la fille aînée de nos rois. L’assemblée présentait à-la-fois le coup d’oeil le plus imposant et le plus touchant. A peu près tout ce que notre ville offre de plus distingué dans les hautes fonctions publiques et dans les corps savans et littéraires était réuni sur l’estrade où présidait M. l’abbé JAMET, Recteur de l’académie ; et si, d’un côté, les yeux étaient frappés de l’aspect d’une fête tout-à-fait nationale, de l’autre, la présence de tant de parens, pour lesquels c’était un si beau jour, excitait dans l’ame de vives émotions d’un autre genre, et, pour quelques-uns, des souvenirs délicieux. L’orateur désigné par M. le Recteur pour prononcer le discours d’usage, était M. GAUSSARD, professeur de cinquième. Nous voudrions bien faire connaître dès aujourd’hui à nos abonnés quelques-uns des morceaux les plus remarquables de son excellent discours, sur les avantages que procure l’étude des langues anciennes, et sur les dangers de trop de précipitation dans un système d’études ; mais la nécessité où nous nous trouverions d’abréger les citations, faute d’espace, nous engage à différer, pour en rendre compte, jusqu’à notre prochaine feuille. Après M. GAUSSARD, M. le Proviseur, dont l’administration éclairée et vraiment paternelle contribue si puissamment à la prospérité de l’établissement confié à ses soins, a prononcé le discours suivant, que nous sommes heureux de pouvoir mettre en entier sous les yeux de nos lecteurs. L’émotion profonde avec laquelle il a été entendu, et les applaudissemens cent fois répétés de tous les élèves du collége royal, nous dispensent de faire observer que M. l’abbé DANIEL est bien apprécié dans notre ville, et que, selon l’opinion commune, ses paroles n’étaient que l’expression de son coeur. « Jeunes élèves, Vous avez de nouveau parcouru le cercle annuel de vos travaux scholastiques. Les luttes où vous avez déployé tant d’ardeur ont cessé. Les palmes et les couronnes sont prêtes. Suspendus entre l’espérance et la crainte, vous attendez que l’on proclame les vainqueurs. Je ne prolongerai pas long-temps votre juste impatience. Que me reste-t-il à vous dire que nous ne vous ayons mille fois répété ? Souvent, dans le cours de l’année, nous vous avons montré en perspective ce jour de récompense, de gloire et de bonheur. Sans doute, jeunes élèves, vous comprenez, en ce moment, tout ce que vaut la science. Vos idées s’élèvent, vos sentimens s’ennoblissent, la passion de l’étude s’agrandit, le feu sacré de l’émulation s’allume dans vos ames, plus vif et plus durable. Que de charmes, que de puissance il y a dans cette fête littéraire ! Jeunes élèves, ce beau jour, ce jour de jouissances douces et pures influera sur votre vie entière ; vous vous le rappellerez toujours avec joie. Quel touchant souvenir il fait renaître chez tant d’hommes qui, dans des postes divers, servent et honorent la société ! Combien se reportent aux jours et aux triomphes de leur jeunesse, et retrouvent les délicieuses émotions qui firent alors palpiter leurs coeurs ! Il leur semble encore entendre les applaudissemens d’une brillante assemblée, et les félicitations de parens chéris ; il leur semble encore voir couler les larmes d’une tendre mère, si fière, si heureuse de leurs succès…… Pourquoi se rencontre-t-il quelquefois des élèves qui, ambitionnant peu de telles jouissances, qui, oubliant que le bonheur ne se trouve que dans l’accomplissement de tous les devoirs, se livrent à la dissipation ou s’endorment dans l’oisiveté ? Jeunes élèves ; si votre esprit ne s’éclaire pas des lumières de la science, les jours de triomphe ne vous apporteront que honte et douleur ; vous augmenterez le nombre de ces êtres malheureux qui fatiguent la société du poids de leur inutilité ; vous serez la désolation de vos familles, et vous vous préparerez un avenir de longs et pénibles regrets. Si de nobles, si de pieux sentimens ne s’enracinent pas dans vos coeurs, qui vous soutiendra dans les épreuves de la vie ? qui adoucira pour vous les peines dont elle est semée ? qui vous offrira des consolations précieuses pendant qu’on la traverse, plus précieuses encore alors qu’elle nous échappe ? C’est parce que vos parens savent quels inestimables avantages vous puiserez dans l’éducation, qu’ils vous remettent entre nos mains. Veiller sur vous, éclairer votre ame, former votre coeur, vous apprendre à aimer le bien, à aimer et à pratiquer la religion si sublime et si nécessaire à l’homme, à vous rendre capables de marcher sur les traces de tant de ministres du ciel, de magistrats, de guerriers dont la science et les vertus font la gloire et le bonheur de notre patrie : voilà la grande, la terrible tâche qui nous est imposée. J’ai la confiance que nos efforts pour la remplir seront couronnés de quelques succès. Comment ne l’aurais-je pas cette confiance, quand j’ai le bonheur de me voir au milieu de collègues qui s’acquittent de leurs devoirs avec autant de zèle que de talens, et qui n’instruisent pas moins par leurs exemples que par leurs leçons ? Bons élèves, votre docilité et votre application continueront de nous soutenir et de nous encourager ; vous continuerez de répondre à nos soins. Oh ! ne trompez pas cet espoir !.... Il est si doux et si consolant pour nous…. Nous prenons tous une part bien vive à tout ce qui vous intéresse. C’est par vous que nos jours s’attristent ou s’embellissent. Quel maître pourrait être heureux au milieu d’élèves rebelles à ses leçons et à ses conseils ? Quel maître ne goûterait pas le bonheur, quand il voit la science et la vertu croître et se fortifier dans les jeunes coeurs qu’il cultive avec tant de sollicitude ? Chers élèves, ce n’est pas seulement pendant que vous êtes soumis à notre surveillance que nos affections vous entourent. Alors que vous aurez quitté cette maison, nos pensées inquiètes vous suivront sur d’autres théâtres. A travers les orages de la vie, nos voeux vous accompagneront. Vos périls et vos peines, aussi-bien que vos joies et vos triomphes, ne sauraient jamais nous trouver insensibles. Aussi, jeunes élèves, les maîtres qui vous furent dévoués vivront dans vos coeurs. Vous en donnâtes une preuve touchante dans cette enceinte, il y a un an à pareil jour. Pourquoi faut-il que ce souvenir réveille un sentiment douloureux ! Nos regards cherchent en vain le vénérable vieillard que vous accueilliez alors avec transport (1). Hélas ! c’était la dernière fois que vous lui exprimiez et votre reconnaissance et celle de vos familles….. Estimables parens, nous vous le rendons pour quelque temps, le précieux dépôt que vous nous avez confié. Vos conseils et vos exemples vont continuer notre ouvrage. Au sein de leurs familles, comme au collége, ces chers enfans trouveront toujours une vigilance active et de la bonté sans faiblesse. Dans quelques semaines ils nous rapporteront cette patience, cette persévérance dans le travail qu’une voix amie vient de leur recommander, cet amour de l’ordre et de la discipline, cet attachement à tous les devoirs dont il nous est si agréable de les féliciter aujourd’hui. Jeunes élèves, en rentrant momentanément sous le toit paternel, montrez que depuis que vous l’avez quitté, vous avez grandi en science et en sagesse ; montrez que ce n’est pas en vain que la religion, que le Roi et la patrie, que vos familles attendent de vous des chrétiens fidèles, des sujets dévoués, des hommes utiles, dont les lumières et les vertus assureront le bonheur de la société dont vous êtes la plus chère espérance. » Avant la proclamation des prix, M. le Recteur, s’adressant aux élèves avec un ton plein de dignité, a causé parmi eux une émotion visible. Aux félicitations qu’il adressait aux vainqueurs, se mêlaient des encouragemens pour leurs rivaux malheureux, et des conseils salutaires pour ceux qui, jusqu’à présent, se sont montrés trop insensibles au bonheur que procurent de semblables victoires. Nous aurions été d’autant plus flattés de pouvoir rapporter les propres paroles du chef de cette académie, que les éloges qu’il s’est plu à donner au premier administrateur et aux autres fonctionnaires du collége royal, ont été accueillis par des applaudissemens unanimes de la part de tant de familles et de l’élite de la société, dont ils ont entre les mains les plus belles espérances. (1) M. l’abbé RIBARD, ancien sous-prieur de l’abbaye de St.-Etienne de Caen, et, après la réorganisation de l’université, professeur et ensuite censeur au collége royal. Cet homme de bien était aimé et estimé de tous ceux qui le connaissaient. Sa mémoire sera toujours chère sur-tout à ses collègues et à ses nombreux élèves. |