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G.-A. Raymon :La Métallurgie Normande (1915)
RAYMOND,  G.-A. (18..-19..) :  La Métallurgie Normande (1915).
Saisie du texte : S. Pestel pour la collection électronique de la Médiathèque André Malraux de Lisieux (25 Mai 2013)
Texte relu par : A. Guézou
Adresse : Médiathèque intercommunale André Malraux, B.P. 27216, 14107 Lisieux cedex
-Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01
Courriel : mediatheque@lintercom.fr, [Olivier Bogros] obogros@lintercom.fr
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Diffusion libre et gratuite (freeware)
Orthographe et graphie conservées.
Texte établi sur l'exemplaire de la Médiathèque (Bm Lx : 41074) du n° 9 - octobre 1915 de la Petite Revue Bas-Normande de la Guerre, éditée à Caen.
 
La Métallurgie Normande
La France industrielle
par
G.-A. Raymond

~*~


Hauts Fourneaux et Aciéries de Caen (1)

Nous ne voudrions pas que l’on se méprît sur les sentiments qui nous ont guidés dans l’étude qui va suivre. Si nous avons analysé l’affaire industrielle que représente la Société des Hauts Fourneaux et Aciéries de Caen, c’est qu’elle symbolisait en Normandie la métallurgie naissante. Si le projet prêté à M. de Poorter d’installer des hauts fourneaux à Granville avait vu le jour, nous l’aurions au même titre examiné et critiqué, s’il y avait eu lieu. Nous voudrions dire que c’est en toute liberté de pensée que nous ferons ce schéma, que le peu de place dont nous disposons réduira au minimum nécessaire. Les organisateurs de l’affaire nous ignorent, nous ne les connaissons pas ; c’est assez dire que le lecteur ne verra dans les pages qui suivent qu’une étude purement documentaire dégagée de tout lien financier et mercantile. Le sérieux de la « Petite Revue » en est d’ailleurs un sûr garant.

*
*   *

L’entreprise des Hauts Fourneaux, de Caen, dans sa conception première, est d’origine allemande. Il n’est pas difficile – nous l’avons fait autre part – de découvrir les raisons qui ont amené MM. Thyssen à venir en Normandie. La pénurie du minerai se faisait d’autant plus sentir aux métallurgistes allemands que leurs usines de Bruckhausen, de Duisburg et de Mulheim en absorbaient une quantité toujours plus grande (2).

M. Thyssen acquit la concession de Soumont et celle de Perrières. Son intention apparaît bien, à ce moment (1907), d’extraire le minerai et de le transporter en Westphalie ; à l’étude, il lui semble cependant préférable d’utiliser sur place le minerai pauvre et d’exporter le minerai riche. Mais, du même coup, ses projets prennent une extension formidable. Il achète 250 hectares de terrains situés à 3 kilomètres de Caen, entre l’Orne et le canal de Caen à la Mer, où il escompte établir ses hauts fourneaux ; mais les difficultés sont nombreuses ; il essaie d’obtenir la déclaration d’utilité publique pour un chemin de fer minier qui relierait les mines à l’usine de Caen ; le Gouvernement s’inquiète, pose des conditions, une campagne de presse se poursuit. C’est alors que l’industriel allemand sollicite et obtient le concours d’une firme française : la Société française de Constructions Mécaniques (Anciens Établissements Cail).

L’affaire, qui jusqu’ici n’était qu’en projet, prend forme et se développe. Le 30 mai 1910, le Société des Hauts Fourneaux de Caen était constituée au capital de 500.000 francs, souscrits partie par le groupe Thyssen, partie par le groupe Cail. L’objet social prévoyait un large programme industriel : hauts fourneaux, forges, fonderies, aciéries, exploitation de voies ferrées, armement et construction de navires, exploitation de mines, houillères, carrières, transformation des sous-produits, production de gaz, d’électricité, exploitation de la lumière et de la traction électrique, fabrication d’engrais, etc.

La Société ainsi constituée devait obtenir la déclaration d’utilité publique de son chemin de fer minier. Elle rencontra d’abord l’opposition des propriétaires fonciers, effrayés à la pensée de l’industrialisation du pays, et celle, plus sérieuse encore, de la Société des Chemins de fer du Calvados, qui revendiquait le transport du minerai. Une entente intervenait, le 28 mars 1911, qui réservait 25 % du trafic du minerai aux tramways de Caen à Falaise et le reste, 75 %, au chemin de fer minier. Le trafic réservé au tramway ne pouvait être inférieur à 50.000 tonnes, ni supérieur à 350.000 tonnes. Toute tonne détournée par le chemin de fer minier sur le trafic réservé au tramway donnerait lieu au paiement par le premier au profit du second d’une indemnité de 0 fr. 35.

La concession du chemin de fer minier et l’intervention de la Société Cail dans l’affaire Thyssen avaient été subordonnées, d’accord avec le Gouvernement, à la cession des droits acquis par MM. Thyssen à une société où la part française serait prépondérante. « Affaire Cail-Thyssen sous la prépondérance de Cail », telle était la formule qui résumait les pourparlers engagés entre les parties.

Dans cet ordre d’idées, le 11 mars 1912, une assemblée générale transformait la raison sociale en : Société des Hauts Fourneaux et Aciéries de Caen et portait le capital à 30 millions, souscrits : 11 millions par MM. Thyssen, 11 millions par la Société Cail et 8 millions par un groupe de capitalistes français.

La cession des droits acquis par MM. Thyssen s’était faite au pair de leurs dépenses et sous la seule condition que les mines cédées fourniraient en 25 ans 10 millions de tonnes de minerai, soit les trois quarts de la consommation d’un haut fourneau, à un prix réservant aux mines un bénéfice brut présumé de 20 %, et sans aucune stipulation concernant l’achat du charbon.

Un peu plus tard, MM. Thyssen consentaient à céder une partie de leurs actions à la Société Cail, de façon à ramener leur quorum à 25 %. En revanche, ils se réservaient la faculté d’acheter un tonnage annuel de minerai représentant une fois et demie l’alimentation d’un haut fourneau et ils s’obligeaient à fournir aux hauts fourneaux de Caen leurs bons offices pour l’achat du charbon en Allemagne ou en Angleterre, à leur gré ; les parties prenaient enfin l’engagement de conjuguer les transports par mer de minerai et de charbon, avec partage des parts égales de l’économie de frêt.

*
*   *

Les cadres de l’entreprise définitivement constituée comprennent trois sociétés :

1° Une société minière assurant l’exploitation des mines et du chemin de fer minier, le capital de la Société des Mines de Soumont étant porté à 12 millions ;

2° Une société métallurgique : la Société des Hauts Fourneaux et Aciéries de Caen, au capital de 30.000 millions ;

3° Une société dont le rôle consistera à créer et à gérer le port privé, au capital de 3 millions.

L’affaire reposait sur un contrat de 25 ans, à partir de la mise en marche de l’usine, passé par MM. Thyssen et la Société. Le groupe français s’engageait à vendre aux métallurgistes allemands 400.000 tonnes de minerai grillé, et, en retour, Thyssen s’engageait à lui fournir ou à lui permettre d’acheminer aux meilleures conditions la quantité de charbon nécessaire à l’usine de Caen, évaluée à 400.000 tonnes par an.

Entre temps pour augmenter sa production en minerai, la Société se rendait acquéreur de minières situées à Châteaubriant.

« La conception fondamentale, disait le rapport du Conseil d’administration à l’assemblée générale du 30 juin 1913, sur laquelle est basée notre affaire est celle de l’échange entre la France et l’Allemagne du minerai, abondant chez la première et manquant chez la seconde, contre le charbon à coke, dont notre pays n’est que faiblement doté et que les houillères de Westphalie peuvent produire en quantités énormes. »

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*   *

La ville de Caen est merveilleusement placée pour l’établissement d’un grand centre métallurgiste. Reliée à la mer par un canal de 14 kilomètres, elle peut faire venir à peu de frais le charbon des pays exportateurs.

Le programme total de la Société comporte l’édification de huit hauts fourneaux, d’une production de 400 tonnes par jour. Les laminoirs et aciéries produiront 500.000 tonnes de produits finis. Les fours à coke comprendront une installation de récupération des sous-produits de distillation de la houille. Une centrale électrique, devant disposer de 30.000 kilowatt-heures, sera alimentée par les gaz non utilisés dans les appareils de récupération, qui brûleront dans des moteurs à explosion. Le courant assurera le fonctionnement de tous les appareils de transport, d’élevage de l’usine, l’exploitation du port, du chemin de fer minier et des mines. L’usine en marche normale occupera environ 7 à 8.000 ouvriers.

Quelques chiffres sont utiles pour se faire une idée de la puissance des installations. Entre l’Orne et le canal, là où sera le port privé, la Société possède 130 hectares de terrain et est riveraine du canal sur plus de 2 kilomètres. Entre l’Orne et la route de Cabourg, sur la hauteur, l’usine sera aménagée sur une plate-forme de 2 kilomètres de long et 700 mètres de large, soit sur 150 hectares. Enfin, de l’autre côté de la route de Cabourg, la Société possède 120 hectares pour les services annexes, habitations ouvrières, etc., au total 400 hectares, près de deux fois la superficie du Creusot !

Fin 1913, l’ensemble des travaux représentait un mouvement de terrassement de 2 millions de mètres cubes. Les maçonneries, travaux d’art, fondations approchaient de 100.000 mètres cubes. La construction définitive de l’usine devra entraîner la mise en œuvre de 12 à 15.000 tonnes de charpentes métalliques, ponts, etc.

Disons enfin que, par son capital social, la Société apparaît comme devant prendre une des premières places dans la production métallurgique française, si on la compare aux sociétés similaires, comme les Aciéries de Longwy, au capital de 24 millions ; Micheville, au capital de 17 millions ; la Marine-Homécourt, au capital de 28 millions.

M. Bruneau, qu’on ne peut pourtant pas accuser de bienveillance envers la Société, reconnaissait lui-même « qu’elle était appelée à dépasser les plus importants de nos établissements et comptera parmi les plus puissantes du monde » (3).

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*   *

La guerre a surpris la Société en plein travail d’organisation. Elle en a sensiblement modifié la base. En premier lieu, un séquestre a été nommé aux intérêts de Thyssen dans la Société, représentés par une part de 30.000 actions sur les 120.000 formant le capital social. En second lieu, les contrats de longue haleine concernant l’exportation du minerai et l’importation du charbon qui liaient la Société aux Allemands ont été annulés par ordonnance du Président du Tribunal civil de Caen du 31 octobre 1914. Enfin, l’assemblée générale du 29 juin 1915 a renouvelé le conseil d’administration, dans lequel ne figure plus aucun Allemand.

On ne peut que se féliciter de la disparition de l’influence étrangère dans une affaire aussi importante. Elle se trouve aujourd’hui libre de tout engagement, dégagée de toute attache avec la sidérurgie allemande, mais, du même coup, elle se trouve devant deux sortes de difficultés qui semblent, à la lecture de la communication du président, présentée à l’assemblée du 29 juin, avoir été surmontées par la Société : la fourniture du combustible et la question des débouchés.

Comment la question du charbon a-t-elle été solutionnée ? Nous ne le savons, mais, en tout cas, il ne faut pas oublier que, si la Société faisait appel aux charbons westphaliens, c’était une conséquence directe de l’organisation de l’affaire. Elle aurait pu, dans d’autres circonstances, se fournir de charbons anglais. Le port de Caen a importé, en 1913, 549.259 tonnes de charbon ; il n’y avait dans ce chiffre que 81.000 tonnes de houilles allemandes, alors que le Pays de Galles, le Northumberland et Durham nous envoyaient 468.259 tonnes de houilles anglaises. Que ce soit par ce moyen ou par un autre, il importe peu, après tout ; ce qu’il est intéressant de savoir, c’est que la Société s’est assuré le combustible nécessaire, puisque son président n’hésite pas à déclarer que la « destination commerciale de l’usine se révélera, au lendemain de la guerre, assez nette pour qu’il soit opportun d’entreprendre de suite la construction d’un troisième haut fourneau, sinon aussi d’un quatrième, parallèlement à l’achèvement des deux premiers ». La Société n’aurait pas prévu le dédoublement de sa capacité productive primitive si elle n’avait été assurée de la fourniture du charbon nécessaire.

Quant à la question des débouchés, on a entendu, ces temps derniers, le son de cloche que les éternels pessimistes nous tenaient il y a quelques années : La Normandie n’a pas d’industrie locale, la lutte sera difficile, les frais de transports handicaperont les prix, etc. En d’autres temps, le même raisonnement avait été tenu.

Le président a, d’un mot, caractérisé la politique de la Société. Elle sera exportatrice. Ce sera une politique d’expansion. A ce titre, elle mérite toute notre attention.

Nous disons que la Société sera exportatrice et qu’au lendemain de la guerre, elle ira à travers le monde chercher les débouchés nécessaires à son énorme production. Nous sommes, en effet, devant une entreprise de très grande production, comme il y en a peu en France. La Société des Hauts Fourneaux de Caen est constituée sur de telles bases, elle a pris une telle direction qu’elle ne peut vivre et prospérer que si elle fait grand. Les immenses capitaux qu’elle engage exigent, pour être rémunérés convenablement, d’être soutenus par d’autres millions encore ; le capital social sera très fort et il ne donnera un rendement suffisant que si la production est proportionnée. Et c’est bien là la pensée du président quand il annonce que la production, primitivement fixée à 500.000 tonnes de produits marchands, sera doublée. Ce sera, sans conteste, la plus forte entreprise française de ce genre.

Il ne faut pas nous cacher qu’un tel organisme industriel est un instrument de lutte de conquête économique qui dépasse singulièrement les cadres d’une entreprise privée et, pour peu, ce qui semble assuré, qu’il se développe normalement, il n’aura rien à envier aux établissements de la Westphalie ou de la Province rhénane.

On s’épouvante du gros chiffre du capital social ; mais, à supposer qu’on le double, qu’on le triple, il n’atteindra même pas la moitié du capital des firmes allemandes comme la Gelsenkirchener, au capital de 222.300.000 francs ; la Deutsch Luxemburgischen, à 160.550.000, ou Krupp, à 222.200.000. Le Phénix Hoerde, qui a fabriqué, en 1910, 1.015.000 tonnes de produits finis, à peu près la capacité future de l’usine de Caen, est au capital de 132.500.000 francs. Et il ne s’agit là que du capital social, le capital obligataire étant dans la même proportion.

De tels organismes financiers nécessitent, il est inutile de le dire, une autre politique industrielle que celle que nous voyons suivre à nos entreprises ; il faut de la hardiesse et une vue très large des nécessités et des possibilités que présentera, au lendemain de la guerre, le marché sidérurgique ; aussi, une étude rapide de ce marché n’est-elle pas inutile pour comprendre qu’une entreprise comme celle des Hauts Fourneaux de Caen peut trouver des débouchés suffisants.

*
*   *

Voici, en premier lieu, l’état de la production mondiale de la fonte et de l’acier (en millions de tonnes métriques) pour l’année 1913 :

                                            Fonte    Acier
Etats-Unis.........................    31.46    31.80
Allemagne et Luxembourg    19.30    18.93
Grande-Bretagne..............    10.64      7.01
France..............................      5.31      4.63
Russie..............................      4.73      4.49
Autriche-Hongrie..............      2.31      2.68
Belgique...........................      2.35      2.33
Autres pays......................      « « «      2.55
        Totaux....    86.10    74.42

La production mondiale des minerais de fer a été, en 1913, la suivante (en millions de tonnes) :

Etats-Unis.........................    59.44
Allemagne et Luxembourg    35.94
Grande-Bretagne..............    16.25
Espagne...........................      9.86
France..............................     21.50
Suisse..............................      7.47 
Autriche-Hongrie..............      5.03
Russie..............................      7.99   (1912)
Algérie.............................      1.35
Grèce...............................      0.61   (1910)
Belgique...........................      0.12   (1910)
 
        Totaux....    165.56

On comprendra qu’il a été impossible de reconnaître la puissance exacte des différents bassins de minerai du monde entier ; néanmoins, on s’accorde généralement sur les chiffres suivants, qui représentent la valeur des gîtes reconnus actuellement, en tonnes métriques :

Etats-Unis : un milliard pour le bassin du Lac Supérieur.

Angleterre : 250 millions.

Espagne : 300 millions pour les gisements des Asturies, de Séville, d’Alméria et de Malaga.

Russie : 800 millions, sans le bassin de l’Oural.

Scandinavie : 1 milliard.

France : 4 milliards pour les bassins de Longwy, Briey, Nancy, de la Crusnes, de la Normandie et de l’Algérie.

Allemagne : Les ressources allemandes sont mal connues. Cependant, elles seraient insignifiantes en dehors du bassin de la Lorraine annexée, qui, pour 43.000 hectares reconnus, comprendrait 1 milliard 870 millions de tonnes.

L’examen des chiffres qui précèdent permet de remarquer qu’au lendemain de la guerre, l’Allemagne se verra, ne possédant plus le bassin lorrain, dans l’impossibilité d’alimenter ses hauts fourneaux, puisque, sur 27.199.000 tonnes de minerai extraites de son sol en 1912, 20.083.000 provenaient des mines de Lorraine. Elle se verra obligée de s’adresser aux pays miniers à très faible production métallurgique, comme l’Espagne et les Pays scandinaves. Nous avons vu que les mines espagnoles ne sauraient la satisfaire pendant longtemps ; seule la Suède pourrait lui venir en aide et encore faudrait-il que la politique minière du gouvernement suédois devienne plus large. Quoi qu’il en soit, et à supposer même que la métallurgie allemande arrive à trouver du minerai, jamais elle ne comblera le déficit que lui fera la fermeture des marchés anglais, russes et français et la perte du bassin lorrain. Sa puissance productive en sera très fortement diminuée et son organisation industrielle, fondée sur une production intense, en sera ébranlée.

Le moment sera donc favorable, même si les usines allemandes ne souffrent pas matériellement des hostilités, pour tenter la reprise du marché intérieur et mondial.

L’Allemagne nous envoyait, en 1902, 301.925 quintaux métriques de « machines et mécaniques » diverses, pour une valeur de 35 millions ; en 1912, 989.652, pour une valeur de 132 millions. Dans le même temps, nos exportations pour les mêmes produits passaient seulement de 6 millions à 8.634.000 francs.

En 1912, elle importait en France 262.363 quintaux « d’outils et ouvrages en métaux », pour 41 millions, contre 138.212 quintaux pour 16 millions en 1902.

Nous pourrions continuer ainsi dans toutes les branches de l’industrie métallurgique. On aura une idée de l’appel que les chemins de fer français ont fait à l’étranger et notamment à l’Allemagne quand on saura que, de 1906 à 1913, leurs commandes se sont élevées à 168.537.495 francs. (Déclaration de M. Thiéry, ministre des Travaux Publics, Sénat, 22 juillet 1913.)

C’est assez dire que, même sans avoir recours à l’exportation, il existe en France un large champ d’activité, à la condition que les usines soient à même de fabriquer les produits que nous demandions à l’Allemagne et à des prix sensiblement pareils. Il s’ensuivra, il est vrai, une transformation complète de nos méthodes de production, mais cette mise à jour de notre « machine à produire » est la condition première du renouveau industriel.

*
*   *

Ce n’est pas seulement dans une extension de son champ commercial que la Société des Hauts Fourneaux et Aciéries de Caen trouvera un élément de prospérité.

Il semble bien, à la lecture de son objet social, qu’elle entendait faire graviter autour du centre métallurgiste tout un ensemble d’industries secondaires qui devaient en vivre, mais aussi l’étayer en quelque sorte au milieu d’une organisation industrielle se soutenant réciproquement, et une usine métallurgique peut donner lieu à un grand nombre de sous-produits.

Le plus important est certainement l’utilisation des gaz qui s’échappent des hauts fourneaux et des fours à coke. Nous ne sommes en France qu’au commencement de cette utilisation, mais déjà, depuis quelque temps, l’Allemagne en tire profit. M. A. Gouvy signalait, en 1911, au Congrès de l’industrie minérale, l’intérêt qu’il y avait à ne pas laisser inutilisé le gaz métallurgique. Il estimait qu’une usine comprenant deux hauts fourneaux de 200 tonnes, deux batteries de fours à coke et une aciérie Thomas pouvait, en utilisant le gaz à l’intérieur de l’usine, faire une économie annuelle de plus de 550.000 francs. Or, la Société des Hauts Fourneaux a prévu non seulement l’utilisation de gaz pour son usage personnel, mais aussi pour l’éclairage public, la traction, etc.

Autre source de revenus : le haut fourneau donne par tonne de fonte environ deux tonnes de crasse ou « laitier ». On utilise ce laitier pour faire du ciment artificiel et des briques réfractaires. On en tire aussi des scories de déphosphoration, que l’agriculture emploie comme engrais phosphaté. Voilà un sous-produit dont l’utilisation peut donner lieu à deux industries importantes. Et il ne faut pas croire qu’il s’agit là de petites sommes. L’Europe, qui produit 40 millions de tonnes de fonte, fournit donc 80 millions de tonnes de laitier, qui, au bénéfice moyen de 1 fr. 50, donnent 120 millions. Et nous ne parlons pas du traitement du goudron et de tous ses dérivés.

*
*   *

Nous ne saurions trop insister sur le caractère de cette étude. Peut-être bien, certains voudront-ils y voir sous une forme déguisée le panégyrique de l’œuvre entreprise par les hauts fourneaux de Caen. Si nous insistons particulièrement sur le fonctionnement et sur les possibilités d’avenir de cette Société, c’est que nous avons la conviction profonde qu’elle est à la base de l’industrialisation de la Normandie. Qu’elle échoue, nous ne disons pas dans son œuvre financière, mais dans son but industriel, et c’en est fait de la Normandie métallurgique. Et notre intérêt de Français et de Normands est qu’elle réussisse. La Normandie a trop à attendre de la mise en valeur de ses richesses minières pour que nous nous justifions de cet intérêt. Mais c’est aussi celui du pays tout entier, de la Nation tout entière, qui aura dans le centre métallurgique de Caen un incomparable outil d’expansion économique, un merveilleux instrument de lutte contre les tentatives de l’hégémonie allemande. Il faut se dire aussi que, si les Barbares nous laissent notre outillage du Nord et du Nord-Est en bon état, il faudra quelque temps encore pour le mettre en route. Ce serait grave de laisser la moindre trêve à nos ennemis, si déprimés seront-ils. Et l’existence d’une industrie puissante dans l’ouest normand permettra de profiter immédiatement des possibilités du marché mondial.

Ce sera la preuve aussi que, tout comme les Allemands, nous sommes capables de bâtir et de faire vivre un grand établissement métallurgique, un de ces immenses creusets où se forgent les destinées économiques des nations modernes.

G.-A. RAYMOND.


NOTES :
(1) La documentation concernant la Société a été puisée dans La Revue de la Métallurgie, février 1912 et dans le compte rendu des assemblées générales des 30 juin 1913 et 29 juin 1915.
(2) La Deutscher Kaiser (Bruckhausen) produisait en 1910 : 650.000 tonnes de fonte, 780.000 tonnes d’acier et 550.000 tonnes de laminés, l’A. G. für Huttenbetrieb (Duisburg) possède une capacité de production annuelle de 300.000 tonnes, la Maschienfabrik Thyssen (Mulheim) se consacre aux constructions mécaniques. Deux faits donneront une idée de l’importance qu’attachait Thyssen à la possession du minerai. En 1912, le gouvernement Luxembourgeois mit une concession de 584 hectares de terrain minier à la disposition de l’industrie. Les métallurgistes du Grand Duché offrirent une redevance annuelle de 720 à 800 marks. Thyssen surenchérit de 20 % et il obtint la concession. De 1908 à 1912, il a acheté en Russie plus de 200 millions de pouds de minerai (un pouds pèse 16 kil. 380). Pour faciliter les opérations de chargement, il avait fait à Nicolaïew des installations qui lui coûtèrent plus de 500.000 marks sur un terrain concédé par le gouvernement russe pour une durée de huit années seulement.
(3) La Grande Revue, n° du 25 avril 1913, p. 804.



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