La fête nationale a été
célébrée cette année à Lisieux, avec un entrain patriotique plus vif
que les années précédentes. L’affluence était plus grande partout,
grâce à un temps favorable, égayé par un doux soleil.
La revue des troupes passée sur la place Thiers, présentait un intérêt
particulier, en dehors de l’attrait du défilé qui éveille toujours la
curiosité publique.
Après la remise à M. Crem, gendarme à Trouville, de la médaille de
Casablanca (Maroc) par M. le lieutenant colonel Largillier et le défilé
qui s’est accompli avec une régularité parfaite, la Société de
Gymnastique et de Préparation Militaire “ La Lexovienne ”, recevait son
drapeau des mains de la municipalité de Lisieux.
Devant ce drapeau que le maire de la ville a remis à M. Ragot,
président de la Société, les enfants des écoles municipales sous la
conduite de leurs directeurs et directrices : MM. Degrenne, Hue, Mlles
Lemaître et Prestavoine, ont défilé, saluant en passant l’emblême
national que tient fièrement le porte-drapeau. Ce défilé, que soutenait
d’airs entraînants la musique municipale, a été fort réussi et a causé
une excellente impression. C’est pour la jeunesse une fortifiante leçon
de choses que cette participation aux manifestations patriotiques.
Il serait désirable qu’on lui réservât aussi une participation directe
à la fête du travail qui revient chaque année et qui offre à tous le
fortifiant exemple donné par tous ceux dont on récompense l’honnêteté,
l’énergie dans les épreuves de la vie et le dévouement au travail. Il
n’est pas de leçon plus utile à donner à l’enfance que celle qui lui
apprend à honorer le travail persévérant qui soutient dans la vie et
donne à l’homme la conscience de sa dignité et de sa valeur morale.
Au cours de la fête du travail, qui a eu lieu à l’Hôtel-de-Ville, huit
prix de mérite on été distribués et trois machines à coudre ont été
remises à des titulaires particulièrement dignes d’intérêt.
Dans l’après-midi, la jeune société de gymnastique “ La Lexovienne ” a
exécuté sur la place Thiers une série d’exercices qui ont vivement
intéressé un public fort nombreux. Les jeunes gymnastes dont la tenue
excellente et l’entrain ont été fort remarqués, ont accompli avec
précision plusieurs mouvements d’ensemble. Les exercices à la barre
fixe, les sauts très hardis et fort réussis ont provoqué des
applaudissements mérités.
Terminée par l’exécution de deux pyramides que nos gravures
reproduisent, ces premiers exercices de “ La Lexovienne ” font honneur
à la jeune société et à son chef distingué, M. Michaut, sergent au 119e
de ligne.
Grâce au beau temps, les jeux nautiques au pont de Caen ont obtenu un
franc succès de gaîté ; la foule s’y est copieusement amusée et de
nombreux auditeurs ont applaudi l’orphéon “ Les Enfants de Lisieux ”
qui s’est fait entendre en divers endroits du quartier de Saint-Désir.
Les courses vélocipédiques au vélodrome d’Orival dont les épreuves ont
été disputées par une trentaine de coureurs avaient attiré une foule
considérable.
Nous donnons plus loin les impressions du jeune aéronaute, M. Raymond
Blanche, qui faisait sa première ascension à bord du ballon “ Ville de
Lisieux ”, monté par M. E. Boyteux, des Prés-Saint-Gervais et qui
emmenait également M. Blanche, conseiller municipal. Le ballon, parti à
7 heures, après s’être élevé à une hauteur de 550 mètres environ, est
allé atterrir au Pré-d’Auge dans la propriété de M. Decauville.
La soirée du 14 juillet s’est terminée par un grand concert, donné par
la Musique Municipale, sur la place Thiers, fort brillamment illuminée.
Un magnifique feu d’artifice, fourni par la maison Duchemin, de Rouen,
a été tiré au Grand-Jardin où la presque unanimité de la population
s’était transportée. Enfin un bal a réuni à la Halle-au-Beurre bon
nombre de danseurs qui ne se sont séparés qu’aux premières lueurs du
jour.
Les impressions d’une ascension en ballon
Le ballon “ La Ville de Lisieux ” était monté par M. Boyteux,
aéronaute, qui avait pris avec lui à son bord, M. Blanche, conseiller
municipal et son fils, M. Raymond Blanche.
Celui-ci a fait de la façon suivante, le récit de ses impressions au
cours de cette ascension qui s’est terminée par un heureux atterrissage
dans la propriété de M. Decauville, le sympathique maire du Pré-d'Auge.
Il faut avoir fait une ascension en ballon libre pour être capable
d’exprimer la douce sensation que l’on en ressent. S’il est possible
qu’au moment d’un premier départ une vague appréhension envahisse le
voyageur, cette appréhension est bien vite remplacée par un sentiment
tout différent : l’admiration. C’est à trois que nous avons pu éprouver
ce sentiment lorsque le “ Ville de Lisieux ” s’est élevé dans les airs
le 14 juillet dernier.
Il est sept heures lorsque du ballon on commande le “ lâchez tout ”.
Bien tôt, à mesure que l’altitude augmente, les grandes lignes du sol
se resserrent et la ville que nous venons de quitter nous donne peu à
peu l’impression d’un immense plan en relief. Mais une faible brise,
que nous ne pouvons ressentir, nous pousse vers l’Ouest. Nous voyons
longtemps encore la place que nous avons quittée. Puis, nous élevant de
plus en plus, nous ne distinguons plus de la ville qu’une grande tache
grise se détachant au milieu d’un immense tapis vert. Nous sommes alors
au-dessus de la route de Caen et à une altitude de 500 mètres. La
campagne est magnifique et présente une curieuse particularité.
L’ensemble d’un vert foncé est nettement séparé par une longue traînée
beaucoup plus claire, dirigée du Sud au Nord. Cette traînée, qui n’est
autre que la vallée de la Touques, ne semble pas plus large qu’une de
nos rues. Mais alors, les routes, que deviennent-elles ? Elles sont
réduites à des rubans blancs qui, d’en haut, peuvent avoir au plus une
largeur de quelques centimètres et qui se détachent nettement sur la
campagne environnante. Nous avons pu aussi assister à l’arrivée du
train de Caen, vers sept heures un quart. Nous croyions voir alors un
simple jouet d’enfant animé d’une très faible vitesse. Cependant, nous
avançons lentement et nous quittons un peu la route de Caen. Les
bestiaux, dans les herbages, sont réduits à des points de couleurs
différentes. Enfin les champs cultivés nous apparaissent comme des
carrés de dimensions minimes.
Malheureusement, notre ascension ne peut se prolonger longtemps encore.
Nous sommes trois et la force ascensionnelle diminue. De plus, il est
déjà sept heures et demie et la nuit serait défavorable à un bon
atterrissage. Nous prenons donc à regret le parti de descendre. Le
guide-rope traîne bientôt sur le sol et s’enroule autour d’un pommier.
Nous sommes captifs et nous ne tardons pas à voir apparaître de
nombreux habitants qui veulent bien nous aider dans cette manœuvre au
milieu des pommiers. Mais où sommes-nous ? Le hasard, qui fait bien les
choses, nous a conduits dans la propriété de M Decauville, maire du
Prédauge, où nous avons trouvé MM. Constant Petit et Trèche, de
Lisieux. Nous sommes reçus très cordialement et, après quelques courtes
ascensions faites par plusieurs personnes présentes, nous procédons au
dégonflement du ballon. L’enveloppe est repliée, ainsi que le filet,
et, après une heure de travail, nous sommes prêts à repartir. Notons,
de plus, qu’au moment de notre atterrissage, nous avons envoyé une
dépêche, grâce à quelques pigeons que nous avions emportés. Un pigeon
appartenant à M. Doublet, vice-président de la société “ La Colombe ”,
et deux autres que nous avait confiés M. Colette sont partis du
Prédauge à sept heures et demie et, avant huit heures, la nouvelle
était connue à Lisieux. Il était dix heures lorsque nous rentrâmes en
ville dans une voiture que M. Decauville avait mise aimablement à notre
disposition.
En somme, notre ascension a été excellente, bien qu’un peu courte, mais
elle a suffi pour nous faire connaître tous les délices de
l’aérostation. N’est-ce pas là un sport idéal ? On ne se sent pas
entraîné et aucune secousse ne se produit. De plus, l’action de l’air
ne peut se faire sentir, puisque nous sommes emportés par lui. Nous ne
saurions donc trop remercier M. Boyteux, notre excellent pilote, qui a
fait tout son possible pour faire partir à trois et qui a fait de nous
de nouveaux adeptes de l’aérostation. Merci enfin à toutes les
personnes qui ont bien voulu, lors de l’atterrissage, nous apporter
leur précieux concours.
Raymond BLANCHE.