La plupart des noms des rues de cette ville viennent des personnes notables qui les habitaient, et des lieux sur lesquels elles sont dirigées.
Rues de Paris et de Rouen.
Elles tirent leurs noms des lieux de leur direction. C'est au haut de la rue de Paris qu'est placé le réservoir qui distribue les eaux aux divers quartiers de la ville, et que l'on nomme la belle Fontaine. Ces eaux viennent des sources nommées les Rouges-Fontaines, à cause des petites portes rouges qui ferment chacune d'elles. Ces fontaines paraissent remonter au XVe siècle. Ce qu'il y a de certain, c'est qu'il n'y en avait pas dans le XIIIe, lorsque Philippe-Auguste fit la conquête de notre province ; car Guillaume Breton, son historien, dans sa Philippide, livre V, dit, en vers latins dont voici la traduction : "Lisieux, qui manque de fontaines, mais qui, à leur place, se réjouit de boire les eaux fangeuses de marais dans lesquels le crapaud poursuit le crapaud, lorsque la grenouille s'unit à son mâle couvert de taches". Le pré qui porte le nom de Pré des Rouges-Fontaines, dans lequel existent plusieurs de ces sources, fut acheté par la ville en 1469, vendu en 1543, et racheté en 1569 ; mais le gouvernement, s'étant emparé des biens des communes, le vendit le 18 octobre 1796.
Boulevard Pont-L'Evêque.
Le 23 novembre 1794, dans un temps où l'on voulait abolir tout signe religieux ou monarchique, on donna à ce boulevard le nom de Pont-Châlier (1), afin de perpétuer la mémoire de ce fougueux disciple de Marat. La plantation que l'on y voit aujourd'hui eut lieu vers 1776.
Place Victoire.
Cette place, qui était autrefois une espèce de voierie, avait, vers son milieu, un trou qu'il fut question de combler en 1793, afin d'y élever une montagne en l'honneur de cette partie de la Convention qui portait ce titre ; mais, après la chute de Robespierre, les idées se modifièrent, et, le 23 octobre 1794, elle reçut le nom de Place Victoire.
On nommait cette excavation le Trou de la Lanterne, à cause d'un pavillon de l'un des jardins de l'Evêché, qui avait vue sur cette place, et qui, étant vitré de chaque côté, avait la forme d'une lanterne.
Ce trou n'était pas encore comblé en 1796 ; car ce fut sur son bord que furent fusillés quatre individus, savoir : deux le 10 avril, un le 18 mai suivant, et un autre le 15 juin. Ils avaient été condamnés par un conseil de guerre.
Boulevard d'Orbec.
Jadis fossé rempli de boue, dans lequel la bourgeoisie de ce temps tirait à la cible, qui avait succédé au papegault ou papeguai (2). Les spectateurs et les promeneurs étaient obligés de se placer sur les remparts et de passer sur le sentier assez étroit et escarpé qui se trouve à l'est et qui conduit à des jardins. Vers 1783, il fut comblé et planté, et, le 2 septembre 1809, on lui donna le nom de Boulevard d'Orbec.
Grande Rue.
Cette rue, qui traverse la ville dans sa longueur, depuis l'emplacement de la Porte de Paris jusqu'à celui de la Porte de Caen, comprenait une ancienne rue nommée Rue-Etroite, à cause de son peu de largeur ; elle existait du côté sud, depuis l'angle de la rue des Boucheries jusque vis-à-vis l'allée de la Ronce, et du côté nord, depuis cette allée jusqu'à la Place. Les accidents qu'occasionnaient ce rétrécissement en firent demander l'élargissement, et la Ville paya la moitié des indemnités accordées aux propriétaires : en 1828, elle paya 3,400 fr. et, en 1829, 25,000 fr., y compris les frais judiciaires.
Au haut de cette rue, à l'est, existait jadis une porte nommée Porte de Paris ; de chaque côté était une tour ; l'une d'elles, celle du midi, servait de prison ; un pont-levis et un fossé large et profond garantissaient la ville de ce côté ; une fontaine assez basse existait en dedans de la Ville, contre la tour au nord. Le pont-levis cessa d'exister lorsque l'on établit les boulevards de Pont-l'Evêque et d'Orbec ; on dit qu'il ne fut pas enlevé, et que les terres placées au-dessous et au-dessus le firent disparaître. La démolition de la porte et des tours commença en 1808. L'ouverture de la porte avait 10 pieds 10 pouces de largeur, et 17 pieds de
hauteur.
A l'autre extrémité de cette rue, à l'ouest, existait une autre porte nommée Porte de Caen, flanquée de deux tours. On la démolit en 1798. On ignore la
largeur et la hauteur de son ouverture.
Rue de la Paix.
Cette rue en comprenait jadis deux : l'une nommée rue du Doyenné, parce qu'elle conduisait à l'hôtel de ce dignitaire, et l'autre rue du Bailli, parce qu'elle était habitée par un bailli ou par une personne portant ce nom. Le 1er avril 1791, on donna à la première le nom de rue du Patriote et, le 23 octobre 1794, on nomma la deuxième rue de la Paix. Le 4 septembre 1809, elles reçurent ensemble ce dernier nom.
Rue au Char.
Cette rue fut anciennement nommée rue Cadoc. Ce nom avait été celui de l'un des principaux notables qui l'habitaient ; car, dans un cartulaire de
l'évêché, on trouve un acte de fieffe, fait par Jean le Vicomte, d'une maison assise dans cette rue, et qui avait pour abornement une autre maison quoe
quondam fuit Cadoc. Cet acte est de 1290 (3). On y trouve également que, le 8 février 1431, Antoine de Castillon, écuyer, seigneur du Bénercy, reconnut avoir pris à rente, de l'évêque de Lisieux, certaines places vides, avec des murailles et vieux édifices, qui, anciennement, appartenaient à un nommé
Cadoc... jouxte la rue Cadoc d'un côté, et d'un autre côté les maisons de la haute rue de la Boucherie.
Cette rue fut, depuis nommée rue au Chapt. D'anciens titres la désignent sous ce nom, qui était celui de l'un de ses notables habitants en 1492. En 1775, lorsque l'administration municipale fit faire le recensement pour le logement des militaires, elle portait le nom de rue au Chat ; mais, depuis, elle a été nommée rue aux Char, par corruption de ce dernier nom.
Rue Olivier.
Cette rue ou chemin existait dans le XVe siècle, sous le nom de rue des Places, et se dirigeait sur des places (Place-Victoire) qui appartenaient au chapitre de la cathédrale. Depuis, ce passage fut bouché par les jardins du Doyenné et de l'Evêché. Le 6 avril 1839, le conseil municipal la nomma rue Olivier, qui était le nom du propriétaire sur le terrain duquel elle fut ouverte au nord. Ce terrain dépendait jadis de l'un des jardins de l'Evêché, nommé les Cascades, et fut abandonné à la Ville par M. Lefrançois, gendre de M. Olivier, sous la condition que la rue porterait ce dernier nom. Elle fut ouverte en 1847.
On dit qu'une autre rue, nommée rue Notre-Dame, partait de l'ancienne rue du Doyenné, longeait toute l'église cathédrale, et se rendait sur la place
Saint-Pierre.
Rue du Paradis
Anciennement rue Saint-Pierre, elle reçut, le 23 octobre 1794, le nom de Cul-de-Sac de la Fraternité, et, le 2 septembre 1809, celui de rue du Paradis.
Rue des Boucheries
Cette rue tirait son nom des boucheries qui y existaient, et qui furent reconstruites en 1832. L'on supprima alors la halle des merciers, au nord, sur la porte de laquelle était une statue de la Vierge, dans une châsse. On supprima également le Poids public, au midi, et on la transporta dans la Couture-du-Milieu.
Marché aux Boeufs.
Le terrain qui sert d'emplacement pour ce marché, était jadis le cimetière de la paroisse Saint-Jacques, mais sur un terrain plus élevé et soutenu par un mur. Il fut vendu le 3 mars 1794, et acheté par la Ville le 9 août 1810, moyennant 6,000 fr. En 1819, elle le fit entourer de bornes en pierre et de chaînes.
Au devant de ce cimetière, à l'ouest, était jadis une place que l'on nommait Place du Crochet, et anciennement Crocquet. C'était sur cette place que se vendaient les objets au poids, et que l'on pesait au moyen d'un crochet, tels que fil, chanvre, laine, etc. Dans l'acte qui fut dressé par Cosme Banery, sous-sénéchal de l'évêque Pierre Cauchon, qui occupa le siège de Lisieux depuis 1430 jusqu'en 1442, pour constater les droits de coutume dus à l'évêque, ont voit figurer en deuxième ligne la coutume du Crocquet. A l'extrémité sud de la Boucherie existait un bâtiment que l'on nommait le Poids du Roi, et depuis Poids public. On y vendait la laine, la bourre, le suif. Tous les droits perçus appartenaient à l'évêque. A l'extrémité nord était une halle nommée Halle des Merciers. Lorsque le cimetière subsistait, il existait à l'extrémité la rue des Cuirs Verts, à cause des peaux que l'on vendait dans cet endroit.
Rue aux Fèvres.
Ce nom vient peut-être du latin faber, ouvrier, attendu qu'elle était originairement destinée à l'exercice des professions à marteau, telles que celles de ferblantier, chaudronnier, tonnelier, menuisier, etc. Peut-être aussi tire-t-elle son nom de celui de l'un de ses principaux habitants. Il existait dans cette rue une maison qui renfermait des sculptures en bois fort curieuses, et qui devait appartenir jadis à une personne notable ou à un habile ouvrier. Il y a quelques années, M. Chalamel prit les dessins des sculptures de cette maison, et M. H....., membre de l'Institut Historique de France, composa une Notice assez curieuse sur cette maison ; elle fut imprimée à Paris, chez Ducessois, quai des Augustins, n° 55. Malheureusement, des panneaux entiers en ont été enlevés, et ont ôté à cette maison ce qui faisait son lustre.
Rue d'Orbiquet.
Ce nom lui vient de la rivière d'Orbec, dite quelquefois l'Orbiquet, voisine de cette rue.
Rue d'Ouville.
Cette rue était jadis divisée en deux parties : la première à l'est se nommait rue de la Vache, et celle à l'ouest, rue d'Ouville. Le premier nom vient de ce qu'une enseigne représentant une vache existait au commencement de la rue ; car, avant le XVIIIe siècle, on ne désignait pas les maisons et les manoirs par des numéros, mais par des enseignes où étaient figurés des saints, des animaux, etc. La deuxième partie tirait probablement son nom d'un principal propriétaire. En 1809, on supprima le nom de la première, et on les réunit sous le nom de rue d'Ouville.
Lorsqu'on numérota les maisons pour la première fois, il n'y avait qu'une série de numéros pour toute la Ville ; mais, en 1825, on établit une série de numéro pour chaque rue.
Rue du Mouton blanc.
Au haut de la rue de la Vache, au nord, existe une petite rue dont le nom vient probablement d'une enseigne, ou de ce que l'on vendait des moutons dans cette partie.
Rue d'Orbec.
A l'extrémité sud de la place du Crochet (Marché aux Boeufs), existait une porte nommée Porte d'Orbec, et deux tours ; l'ouverture avait neuf pieds de largeur et quinze de hauteur; On commença à la démolir en 1808.
Rue de Livarot.
Avant la révolution, il existait dans cette rue un établissement nommé le Bon Pasteur, pour retirer du monde les personnes du sexe qui, après avoir mené une conduite scandaleuse, revenaient à des sentiments de vertu, et cherchaient à réparer des égarements passagers. On y renfermait aussi les jeunes personnes que leurs parents y faisaient mettre en vertu de lettres de cachet ou autres actes de l'autorité. Cet établissement fut fondé, en 1709, par M. Léonor II de Matignon ; et, le 18 mai 1712, il acheta les bâtiments nommés le Manoir de l'Homme Sauvage, dans lequel cette communauté fut établie. La Maison était composée de six Soeurs, prises parmi celles de l'Hôpital-Général. Elle fut supprimée en 1790. En 1792, les bâtiments furent convertis en prison ; mais, la maison d'arrêt ayant été transférée dans une partie du palais épiscopal, un décret du 15 février 1811 la concéda à Mgr l'évêque de Bayeux, pour y établir une école ecclésiastique qui, en 1816, fut transférée dans l'ancien couvent des Ursulines, qui servait alors de caserne. L'ancien couvent du Bon-Pasteur, concédé à la Ville, fut démoli, et sur son emplacement on établit en 1827, l'abreuvoir que l'on y voit actuellement, et qui existait auparavant sur le boulevard Sainte-Anne ; mais, à cette époque,
on construisit une voûte qui couvre la rivière dans toute la largeur du boulevard et l'on reconstruisit les latrines qui existent à son extrémité sud.
Dès 1820, l'administration avait fait couvrir un fossé assez malpropre qui partait presque de l'emplacement de la Porte d'Orbec et se rendait à l'abreuvoir. Le canal qui existe aujourd'hui conduit à la rivière les immondices de l'Hospice-Général.
Dans cette même rue existe un monastère de Carmélites, qui y furent établies en 1858.
Boulevard Sainte-Anne.
Depuis la Porte d'Orbec jusqu'à la rue de la Barre, qui était alors un lieu inculte et marécageux, existait un fossé profond. Dans les temps d'hostilités, on le remplissait d'eau au moyen d'écluses qui étaient à la tour Bachelet ou Boesselet, sous laquelle passait la rivière d'Orbec. Toute l'eau entrait d'abord dans les fossés, et inondait la campagne au midi. Lorsqu'après la bataille de Dreux, les débris de l'armée de l'amiral de Coligny voulurent surprendre notre Ville, le corps municipal ordonna, le 8 février 1562 qu'il serait placé des escluses et esseaulx près la tour Boesselet, pour faire regorger les eaux. On fit avertir les habitants du hameau des Loges de quitter leurs maisons et d'en enlever leurs meubles, attendu que leur territoire allait être inondé.
Dans les temps paisibles, on faisait paître l'herbe de ces fossés, alors sans eau, par des bestiaux. Le 5 mars 1563, le corps municipal loua pour un an, moyennant 20 sous, l'herbage des fossés de l'entour de cette Ville, depuis la Porte de la Chaussée jusqu'à la Porte d'Orbec, à charge de n'y mettre que des bêtes à laine.
Peu d'années avant la révolution, il fut question d'acquérir de M. de Bancas, gouverneur, les terrains situés entre le boulevard Sainte-Anne et les murailles, afin d'y faire une promenade. Mais la révolution arriva, les idées prirent une autre direction, et ce projet, qui, en se réalisant, aurait été un agrément pour la Ville, fut abandonné, et des particuliers sont devenus propriétaires de ces terrains.
L'extrémité nord de ce boulevard, près le pont de Caen, n'a été ouverte qu'en 1805. Avant cette époque, la rivière baignait le bas des maisons depuis le pont de Caen jusqu'au détour de la rivière d'Orbec.
Avant 1822, dans une partie de ce boulevard, l'eau provenant de la prise faite à la rivière de Touques ou Gacé, pour alimenter un moulin à tan, avait une direction qui lui faisait longer le milieu de ce boulevard, depuis son origine sur la voie publique jusqu'au prolongement de la rue Petite-couture. A cette époque, on la fit traverser le boulevard, on la couvrit d'une voûte, et on la dirigea sur une propriété particulière en dedans d'un mur, et ensuite à la rivière ; ce qui rendit cette partie de la voie publique plus sûre et plus agréable.
Rue de La Barre.
Dans cette rue, qui communique du boulevard Sainte-Anne à la rue de Caen, existe un pont qui a été construit en 1821.
Cette rue se nommait autrefois rue des Becquets, ainsi que celle qui partait du Coin-Mauduit et allait jusqu'à la tour et le mur qui la fermaient à l'ouest. Ce nom vient probablement de l'un de ses principaux habitants. Avant que le mur fût abattu, en 1783, il n'existait pas de pont sur cette rivière. A cette époque, on y établit une passerelle d'environ trois pieds de largeur. Mais jadis il y en avait existé un ; car, dans le compte de 1442, on trouve une somme dépensée pour un pont qui fut abattu et refait "à travers la rivière de Touques, pour aller aux jardins aux Dames de Lisieux". On sait que la rue des Becquets, maintenant rue de La Barre, est bornée d'un côté, dans toute sa longeur, par des terrains, une église et des bâtiments appartenant jadis à l'Abbaye de Saint-Désir ; ce qui porte à croire que ce pont existait sur l'emplacement de celui que l'on y voit aujourd'hui, c'est que, dans le compte de 1428 à 1429, il est question d'une somme payée à deux charpentiers, "pour eux et hui compaignons, pour avoir mis et assis un pont de temble sur la grant rivière de la rue des Becques, desrière les
Dames".
Le nom de rue de La Barre, que portait jadis le quartier où elle est située, vient d'une muraille derrière laquelle passait la rivière de Touques ou de Gacé, sur l'emplacement du déversoir actuel, ou plus à l'est. Dans les temps d'hostilités, on y adaptait un auget qui portait l'eau dans les fossés. L'endroit où l'on prenait l'eau devait avoir une plus grand étendue que le reste de la rivière ; car on lit dans le compte fini le jour Saint-Jean-Baptiste 1562, qu'une somme fut payée à un charpentier, pour travaux faits "à l'estang de La Barre, pour faire aller l'eau aux fossez de la ville".
Le 17 août même année, le corps municipal ordonna, entre autres mesures de sûreté, que "les fossez seront emplys d'eau par une bonde qui sera faite en la barre avecque un auget".
Henri IV, roi d'Angleterre, duquel notre province dépendait alors, ordonna que trois pieds seraient ajoutés au lit de cette rivière, et ce, à ses frais ; mais, soit que cet élargissement fût insuffisant, soit que ces ordres n'eussent été exécutés qu'imparfaitement, le corps municipal arrêta que l'élargissement de cette rivière aurait lieu aux abords de la ville, et, le 26 juillet 1451, il acheta, moyennant 20 livres, "une place avec le fons de l'éritage assis à Saint-Désir, devant le pont de la Porte de Caen, pour eslargir le cours de la rivière devant la Porte". Et, peu de temps, il ordonna la continuation de ces travaux et un nouvel élargissement. On voit encore dans le lit de la rivière, au-dessous du Pont de Caen, les fondations de l'ancienne muraille qui fut alors démolie.
Grande-Couture. - Couture-du-Milieu. - Petite-Couture.
Les noms de ces trois endroits viennent du latin cultura, que l'on traduisait par coulture. Ce furent les derniers endroits cultivés dans l'intérieur de la ville, probablement avant la construction des maisons. Jadis, à l'extrémité ouest de la rue Petite-Couture, existait une tour, et une muraille qui fermait cette rue de ce côté, et qui furent démolis en 1783. Avant 1750, il y avait eu une ouverture dans cette muraille, pour accéder à des jardins que l'on nommait le Pré de la Barre, appartenant au gouverneur de la Ville. Vers 1750, le fermier des Aides, avec la permission de M. de Brancas, gouverneur, fit fermer cette issue, à condition que le loyer des portes dû audit gouverneur, et qui était de 300 livres, serait porté à 420 livres, eu égard aux pertes qu'il éprouverait dans le loyer des
jardins.
La partie de cette rue qui existe depuis cette ancienne clôture jusqu'à la rue du Moulin-à-Tan, se nomme le Coin-Mauduit, et par corruption, le Coin-Maudit. Les maisons de cette partie avaient des porches sous lesquels les voisins et voisines se réunissaient tous les soirs, pour parler de leurs affaires, et souvent de celles des autres. Les porches ont été supprimés ; mais on ne supprime pas aussi facilement les usages.
En 1789, la Grande-Couture fut nommée Place de la Confédération, pour perpétuer la mémoire de ces fédérations que les communes voisines venaient y célébrer avec la ville. Depuis, on la nomma Place de la Liberté, et l'on y célébrait les fêtes républicaines. On la nomme actuellement Place du Marché aux Chevaux.
Rue des Tanneurs.
Cette rue, qui fut ouverte en 1844 sur le boulevard Sainte-Anne, renferme plusieurs établissements, dans l'ancien couvent de la Providence : une halle au toiles et une halle aux frocs, qui furent construites en 1819, une école d'enseignement mutuel établie en 1834, et une salle d'asile établie en 1839. Auparavant, les toiles étaient vendus dans des maisons particulières, et les frocs dans la partie ouest de la halle aux grains, séparée alors par une cloison qui fut enlevée en 1820.
Rue Pont-Mortain.
Dans le XVe siècle, cette rue se nommait rue Pont-Mortaigne ; depuis, on l'a nommée Rue Pont-Mortagne, et aujourd'hui rue Pont-Mortain. Ces noms viennent probablement du constructeur du pont sous lequel passe la rivière d'Orbec. Presque au commencement de cette rue, au nord, du côté gauche, était une ancienne chapelle nommée la chapelle Saint-Aignan. La tradition porte que le clergé de la cathédrale fit anciennement, et même assez long-temps,
l'office canonial dans cette chapelle. Ce fut apparemment sur la fin de Xe siècle ou au commencement du XIe, après la destruction de l'ancienne cathédrale, et pendant que l'on édifiait la nouvelle. Jusqu'en 1790, le clergé de cette église s'y rendait processionnellement, le 17 novembre de chaque année, jour de la fête de ce saint, pour y chanter les premières vêpres et la grand'messe, après laquelle les habitants de la rue et du voisinage, qui regardaient ce jour comme un jour de fête pour eux, en faisaient célébrer une autre où ils rendaient le pain bénit tour-à-tour ; ils y faisaient également célébrer les vêpres.
Jadis, l'extrémité sud était fermée, et la partie depuis le bas de la rue aux Fèvres jusqu'à cette clôture se nommait le Coin-Hectière. La muraille qui la fermait fut démolie en 1783.
Les latrines publiques de cette rue furent reconstruites en 1825.
Autrefois, l'on communiquait dans la cour dite du Chapitre, et ensuite dans la rue Petite-Couture, par une ouverture qui existait du côté sud du pont. Depuis l'administration municipale a permis la clôture de ce passage, avec faculté de le faire rouvrir à sa volonté.
Rue du Moulin-à-Tan.
Ce mot vient du moulin qui existait dans cette rue, et qui appartenait à la communauté des tanneurs.
La tannerie était jadis plus considérable qu'aujourd'hui, si on en juge par le nombre des moulins et celui des tanneurs. On trouve que, le dimanche après la Chandeleur 1350, les vicaires de Guillaume Guittard, évêque et comte de Lisieux, vendirent à trente-deux tanneurs, dénommés dans l'acte, tant pour eux, leurs hoirs et pour tout le commun des tanneurs, trois moulins à tan que l'évêque possédait dans la ville. La petite rivière dites des Tanneurs, qui est une dérivation de celle d'Orbec, fut établie pour l'apprêt des cuirs, on ignore à quelle époque ; mais elle doit être fort ancienne.
Rue des Mathurins. - Rue du Hommet. - Rue du Rempart. - Rue de la Poissonnerie.
Toutes situées sur l'emplacement du couvent des Mathurins, ces rues furent ouvertes en 1843 ; mais la Poissonnerie n'y fut établie qu'en 1850. Par le nom des Mathurins, on a voulu conserver celui des religieux qui desservaient l'hôpital depuis le XIIIe siècle jusqu'en 1790 ; par celui du Hommet, le nom de l'évêque qui les y institua, et qui fut un des principaux bienfaiteurs de l'Hôtel-Dieu. Ces noms leur furent donnés : celui des Mathurins, en 1844 ; les autres, en 1848. La rue du Rempart n'a été ouverte à l'ouest qu'en 1853.
Rue Condorcet.
Son ancien nom était rue Cardin-Martin, et venait de celui d'un chapelain de la cathédrale, qui l'habitait dans le XVe siècle, et qui se nommait Richard Martin ; alors, au lieu de Richard, on disait Cardin. Avant 1826, cette rue n'était ouverte, au sud, que jusqu'à la grille du Jardin public de ce côté ;le surplus, au nord, était occupé par un jardin de l'évêché que l'on nommait le Jardin des Cygnes. En 1826, la ville acheta du propriétaire de ce jardin le terrain nécessaire pour l'ouverture de cette rue, et on lui donna, en 1834, le nom qu'elle porte aujourd'hui.
Boulevard de la Chaussée.
Ce boulevard donne accès par deux principales entrées au Jardin public, qui fut ouvert le dimanche 18 juin 1837.
Rue de la Chaussée.
L'origine de cette rue vient probablement d'une chaussée qui conduisait à la porte de ce nom ; mais les terrains ont tellement changé, qu'il est impossible de porter un jugement certain sur cette voie. On dit que, très-anciennement, le manoir de l'évêque était à la maison qui forme l'angle de cette rue, et qui sert actuellement de presbytère à la paroisse Saint-Pierre ; que l'évêque et son clergé vivaient en commun dans un enclos que l'on nommait encore, en 1789, le Friche aux Chanoines ; que des jardins ou places vides existaient depuis cet enclos jusqu'à la cathédrale. Mais je pense que le palais de l'évêque a toujours été où nous
le voyons, et qu'il a subi de grands changements. Les fouilles que l'on fit pour l'établissement du Jardin public, qui était l'un de ceux de l'évêché, ont fait découvrir des fondations de tours qui existaient au nord et défendaient ce palais, qui était lui-même alors une forteresse, ainsi qu'on le voit dans une charte donnée par Charles VI, le 9 octobre 1400, à l'occasion du droit qu'avait l'évêque de nommer le capitaine-gouverneur. Elle porte qu'il avait été représenté au roi que l'évêque, "en son manoir de Lisieux, lequel a été enforcié pour le temps de nos guerres, auquel chastel le peuple de la ville de Lisieux et d'environ a coutume de soy retraire et avoir son refuge, en cas de nécessité et péril".
Dans le faubourg de cette rue, qui en fait aujourd'hui le prolongement, jusqu'à l'entrée à l'ouest, existait une chapelle nommée Chapelle aux Pauvres, et un cimetière où l'on inhumait les pauvres de la paroisse Saint-Germain. On serait porté à croire que ce cimetière est celui dont il est fait mention dans le compte de receveur de la ville pour 1525. On y trouve que, le dernier jour du mois de mai de cette année , maître Gabriel de Jorps vendit aux habitants "un certain héritaige assis en la paroisse Saint-Germain, près et joignant les murailles de ladite ville, pour faire établir ung cimetière".
Cette vente fut faite moyennant 70 livres tournois pour le principal, 100 sous pour le vin, et 12 sous 6 deniers pour les frais de contrat. On voit, par des délibérations du corps municipal du 9 octobre 1534, du mois de juin 1536, et des fêtes de Pâques 1539, que le terrain qui avait été acheté pour inhumer les corps des personnes décédées à l'Hôtel-Dieu ne servait pas encore à cet usage.
Ce fut dans ce faubourg que M. Léonor II de Matignon établit, en 1704, le Petit-Séminaire, pour y élever vingt ecclésiastiques pauvres admis au concours. Cet établissement, supprimé en 1790, fut rétabli en 1811, dans l'ancienne maison du Bon-Pasteur, rue de Livarot, par les soins de M. Foubert-Dépallières, prêtre, qui en fut le fondateur et le premier supérieur. En 1816, il fut transféré dans l'ancien couvent des Ursulines, rue du Bouteiller.
Le Collège, qui avait été rétabli en 1804, sous le titre d'Ecole Secondaire, dans la maison de l'ancienne communauté de la Providence, rue des Tanneurs, fut transféré, sous le titre de Collège, dans l'ancien Petit-Séminaire, en 1811. Depuis, la ville y a fait de nouvelles constructions. A l'extrimité de ce faubourg, elle a fait construire des abbatoirs, en 1839.
La première partie de la rue de la Chaussée était fermée par une porte nommée Porte de la Chaussée, et deux tours ; l'ouverture avait neuf pieds de largeur et quatorze de hauteur. On commença à la démolir en 1797. Avant le XVIIe siècle, époque à laquelle M. de Matignon fit agrandir le parterre de l'Evêché, aujourd'hui Jardin public, aux dépens de la prairie qui le bornait au nord, il existait une ligne de tours, dont deux étaient placées à l'entrée de la porte du palais épiscopal. Cette ligne partait de la Porte de la Chaussée et se rendait en ligne droite à une tour existant à l'angle du jardin du Doyenné, qui servit, pendant la révolution, à mettre de la poudre ; elle a été démolie en 1840.
Rue du Camp-Franc.
Cette rue, ouverte en 1839, tire son nom du terrain sur lequel elle a été établie, et qui vient, dit-on, du camp que les Francs, sous Clovis, établirent en cet endroit, au commencement du VIe siècle ; mais cette étymologie est bien hasardée.
Rue Labbey
M. Antoine Labbey, propriétaire de l'Ile Saint-Dominique, ouvrit sur ce terrain, en 1840, cette rue, qui communique de la rue de la Chaussée à la rue du Camp-Franc. En 1843, on lui donna le nom de rue Labbey.
Boulevard des Bains.
Ce boulevard, que l'on nommait jadis Chaussée des Jacobins, parce qu'elle conduisait à leur couvent, était beaucoup plus étroit qu'aujourd'hui, et on y entrait par le Pont de Caen, où l'on descendait quelques marches. En 1809, on lui donna le nom de Boulevard des Bains, à cause de l'entrée de ceux que M. Loir a établis sur la rivière de Touques. La tour, qui a été la dernière reconstruite, et qui était sur le bord du terrain qui longeait alors cette Chaussée, se nomme Tour Lambert, nom pris probablement de l'un des voisins ; car, dans ce temps, il y avait à Lisieux une famille Lambert assez notable, dont quelques membres furent conseillers de ville. L'inscription que l'on y lit encore, sauf quelques lettres effacées par le temps, est ainsi conçue :
"L'an 1587, le 8 de .... ceste tour a esté commencée à refaire et ..... A la diligence des honnestes hom Jacques Mauduict sr de la Rozière, Louis Le Marquant, Jehan de Pagny et Nicolas Pierre Coseillers. Robert Ermenoult et Nicolas Lefebure mesnagers. 1587".
Rue de Caen
Le faubourg Saint-Désir, qui compose la plus grande partie de cette rue, tire son nom de l'église qui existait à son extrémité ouest. Ce faubourg est fort ancien, car il en est fait mention dans la charte de fondation de l'Abbaye, qui doit avoir été donnée par le duc Guillaume, avant la conquête de l'Angleterre, en 1066 ; elle porte que ce monastère serait établi dans le faubourg de Lisieux : locum qui dicitur ad. S. Desiderium in suburbio Lexovii positum.
Le pont dit de Caen a dû être reconstruit en 1718, d'après l'inscription portée sur un écusson au nord de ce pont.
Rue de Beaumont-en-Auge.
Autrefois Rue Bon-Ange, à cause de l'image d'un ange qui existait à son entrée.
Rue Saint-Dominique.
Cette rue, nouvellement ouverte au nord, était jadis une allée qui conduisait à la propriété des Dominicains. Elle communique aujourd'hui avec la rue de la Sous-Préfecture, dont l'hôtel est l'ancien couvent de ces religieux, avec la rue Labbey et avec celle du Camp-Franc.
Rue du Bouteiller
Cette rue se nommait, dans le XIIe siècle, Via Pincerna, rue du Bouteiller ou Echanson. On doit présumer que le personnage qui exerçait cette charge à
la cour de nos ducs ou de nos rois avait une habitation dans cette rue, et qu'on la désignait sous le nom de ce dignitaire.
C'est dans cette rue qu'étaient : le Grand-Séminaire, occupé aujourd'hui par les Dames de la Providence ; et le couvent des Ursulines, occupé aujourd'hui par le Petit-Séminaire, et où sont encore les Ecoles des Frères, de la Doctrine chrétienne, qui y furent établis en 1777, supprimés en 1791, et rétablis en 1811.
Il y existe une fontaine que la Ville fit constuire en l'honneur de M. Feron de la Ferronnays, notre dernier évêque ; voici à quelle occasion : M. de la Ferronnays fut instruit que la Ville s'apprêtait à faire des frais pour sa réception ; ce prélat remercia le corps municipal, et manifesta le désir que le montant de ces frais fût employé à un objet d'utilité publique. Le corps municipal, pour remplir ses intentions, arrêta qu'il serait élevé une fontaine qui fut inaugurée le 9 janvier 1785. Les armoiries et inscriptions qui la décoraient furent détruites pendant la révolution ; on n'a retrouvé que la suivante, que l'on y replaça en 1819 :
"De la Mairie De M. Thillaye du Boullay, écuyer ; De l'Echenage De MM. Ricquier, négociant ; Couture, écuyer, contrôleur des guerres ; Desmares, docteur en médecine, Desbordeaux, ancien conseiller en l'élection. L'an M. D.
CC. L. XXX. IV."
Rues qui n'existent plus.
Autrefois, avant la démolition de l'église Saint-Germain, il y avait deux rues qui n'existent plus : l'une, partant de la rue Condorcet et se rendant au presbytère actuel de Saint-Pierre, se nommait rue des Chanoines ; l'autre ; à l'ouest, et en face du portail de l'église, se nommait rue du Cerf. Elles font aujourd'hui partie de la Place-Impériale, dont voici l'origine :
Le 26 février 1798, cent seize citoyens de cette ville, ayant été informés que l'on devait vendre l'église Saint-Germain et son emplacement, désirant procurer à la Ville une place utile et agréable, signèrent un acte par lequel il s'engagèrent à acheter cet édifice et son emplacement. Le 5 mars, ils nommèrent une commission chargée de se rendre à Caen le 12, pour cet effet. Cette église leur fut vendue par l'administration départementale ; et le prix des matériaux provenant de la démolition servit à rembourser les avanceurs. Lors de l'existence de cette église, et même depuis, la poissonnerie se tenait auprès, sur le bord de la Grande-Rue. En 1825 et 1828, on l'entoura de bornes et de chaînes.
Le premier nom de cette place a été Place Saint-Germain ; elle l'a porté depuis 1798 jusqu'en 1804, qu'elle prit celui de Place Impériale ; en 1814,
elle reçut celui de Place Royale ; en 1848, celui de Place de la République ; en 1852, elle reprit celui de Place Impériale. Ainsi, son nom a subi les changements opérés dans les formes de notre gouvernement. Si on lui eût conservé celui de Place Saint-Germain, ce nom convenant à tous les régimes, l'eût mise à l'abri de tout changement, et rappelerait qu'un édifice religieux avait existé jadis sur son emplacement.
Rue de Paris.
C'est dans cette rue qu'est établi l'Hôpital-Général. Avant sa fondation, les enfants trouvés étaient exposés dans les rues ou à la porte des églises, et on les remettait à des personnes auxquelles la ville payait une fort modique rétribution. Le 29 août 1536, il fut remontré au corps municipal "que Michelle, fille de Robin Duval, ayant la charge de deux petites filles exposées, l'une desd. y a ung an, et l'autre deux ans et demi", n'avait encore reçu que dix sous par mois, pour les deux, ce qui n'était pas suffisant. D'après cette réclamation, on lui accorda douze sous six deniers par mois, pour les deux.
Depuis 1672, sous M. Léonor 1er de Matignon, jusqu'en 1716, sous M. de Brancas, cet hôpital fut desservi par des personnes pieuses qui se vouaient à cette bonne oeuvre. A cette dernière époque, il prit une forme nouvelle, et la communauté eut à sa tête une supérieure générale.Cet hôpital avait déjà reçu plusieurs augmentations par les libéralités de Mme de La Touraille, qui consacra ses revenus à des établissements de charité, lorsqu'en 1841 l'administration municipale acheta et y annexa l'Hôtel du Lion-d'Or, fit des constructions assez considérables, afin de réunir dans le même local les deux hôpitaux, ce qui causa la suppression de l'ancien Hôtel-Dieu.
Grande-Rue
Presque à l'extrémité de cette rue, à l'ouest, existait l'Hôtal-Dieu, depuis la maison qui fait l'angle de la Grande-Rue et de la rue des Mathurins jusqu'à la rue du Rempart. Cet hôpital fut originairement fondé dans l'île Saint-Dominique, qui alors portait le nom de l'île de Putangle, et fut transféré dans l'intérieur de la ville vers la fin du XIIe siècle. Laurent Aisni, chanoine de Lisieux, donna à quelques personnes laïques, qui s'étaient réunies sous le nom de Pauvres de la Maison-Dieu de Lisieux, une cour sise en la rue du Bouteiller, et acheta plusieurs héritages situés dans l'île de Putangle, qu'il leur donna également en 1165. Alors la rivière d'Orbec ne passait pas par les derrières de la rue du Bouteiller, et le terrain était libre jusqu'aux murs et tours de la ville. Ce ne fut qu'en 1754, d'après une concession faite par M. de Brancas, évêque de Lisieux, à un sieur Jean Maillot, qu'un cours d'eau de 22 pouces de largeur, pris à la rivière de
Touques, fut établi pour faire mouvoir des machines destinées à apprêter et friser des frocs. Ce canal comprend aujourd'hui toute la rivière d'Orbec. Auparavant, cette rivière se jettait dans l'espèce d'étang formé par le trop-plein de la Touque, à l'extrémité nord du boulevard Sainte-Anne. On communiquait par un pont jeté sur la Touques à l'île, dans laquelle on forma l'Hôtel-Dieu. La chapelle en était dédiée à Notre-Dame-du-Pré. Depuis, on jugea plus convenable d'établir cet hôpital dans la ville ; et on en construisait l'église, lorsque Thomas Becket, archevêque de Cantorbéry, séjourna à Lisieux. Il avait été obligé de quitter l'Angleterre à cause de ses démêlés avec Henri II. Arnoul, qui alors était notre évêque, le reçut et fut un de ses intercesseurs auprès du roi d'Angleterre pour les réconcilier.
Pendant son séjour à Lisieux, ce prélat célébrait la messe dans la chapelle de l'ancien hôpital. Un jour, on lui demanda sous le nom de quel saint il conseillait de dédier l'église que l'on construisait pour le nouveau ; il répondit : "Sous celui du premier martyr". Thomas Becquet, étant retourné dans son église, y fut massacré, et fut canonisé par le pape Alexandre III. Lorsqu'il fut question de dédier l'église du nouvel Hôtel-Dieu, on se souvint de la réponse du prélat anglais, et, comme il était le premier martyr depuis sa construction, le célèbre Arnoult la dédia sous le nom de saint Thomas de Cantorbéry.
Jourdain du Hommet, l'un de nos évêques, augmenta beaucoup les revenus de cet hôpital : il lui donna une autre petite île située près de celle de Putangle,
et le patronage de différentes paroisses.
Par une charte du mois de juin 1218, il ordonna que les pauvres de l'Hôtel-Dieu auraient dans les bois de l'évêché, un âne qui leur apporterait le bois dont ils auraient besoin. Le conducteur était autorisé à prendre tous les bois morts, les arbres secs et les branches des arbres vifs ; mais il lui était défendu d'abattre les hêtres et les chênes encore verts. Il ordonna également que les pauvres qui habitaient cette maison conserveraient pour leur usage les treize prébendes (4) que les treize pauvres prébendés auxquelles elles étaient assignées avaient coutume d'avoir sur les biens de l'évêché, et qu'elles seraient spécifiées ainsi qu'il suit : Chaque semaine, treize boisseaux de gros blé pris au grenier de l'évêque, et treize deniers payés par son intendant ; dans le carême, treize boisseaux de poisson, et treize sommes de bois apportées par un âne, et cela deux fois pendant l'hiver. Ils devaient avoir du vin, mille bons harengs et treize paires de chaussures le jour de l'absolution, un bélier le jour de l'Ascension ; de la boisson à la fête de saint Martin d'hiver, et de la viande ou quatre deniers
aux fêtes de Noël, de Pâques, et des apôtres saint Pierre et saint Paul ; treize tuniques à la foire du Pré de Lisieux, chaque tunique devait avoir trois aunes et un quart. Ce prélat étant allé en la Terre-Sainte, où il mourut en 1219, il y avait fait connaissance avec des religieux de l'ordre de la Trinité dits Mathurins, qui, d'après leur règle, sont chargés de soigner les malades et de racheter les captifs ; il en envoya à Lisieux, pour exercer les mêmes fonctions et jouir des mêmes droits et privilèges que ceux de la première communauté qui cessa d'exister.
En 1304, le droit d'avoir un âne qui charriait continuellement les bois de l'évêché, fut réduit par Gui de Harcourt à cinq sommes par jour ; il confirma les fondations précédentes, mais avec les modifications suivantes, savoir : Le droit de prendre chaque semaine, dans les greniers de l'évêque, treize boisseaux de blé, treize boisseaux de bons pois ; en carême, un mille de harengs ; treize paires de souliers le Jeud-Saint, un mouton le jour de l'Ascension, à boire le jour de saint Martin d'hiver, les restes de la table de l'évêque ou quatre deniers à chacun des pauvres les jours de Noël, Pâques et des apôtres saint Pierre et saint Paul, et treize robes de chacune trois aunes et un quart le jour de saint Michel.
Les Mathurins, comme tous les ordres religieux, ayant été supprimés en France en 1790, cet hôpital fut confié aux soins des Soeurs Hospitalières qui
desservaient déjà une partie de l'Hôtel-Dieu.
Les ornements dont s'était servi l'archevêque de Cantorbéry étaient conservés dans cet hôpital, et ont été transportés, en 1841, dans l'Hôpital Général ; ils sont enfermés dans une châsse et ont été visités, le 17 août 1812, par M. Jumel, curé de Saint-Désir, délégué à cet effet par Mgr l'évêque de Bayeux ; et, le 12 mai 1849, par M. de Caumont, président de la Société française pour la Conservation des monuments historiques, MM. Billon et Bouet, membres de la même Société, et par quelques ecclésiastiques autorisés par Mgr l'évêque de Bayeux à en briser les sceaux. M. Billon, docteur-médecin, ci-dessus cité, fit un rapport à cette Société sur les ornements existant dans cette châsse ; on y trouva une aube ; une chasuble antique regardée comme une chape, et trois dalmatiques, dont deux d'un tissu semblable à la chasuble ; l'aube, tissue d'un fin lin, est d'une dimension étonnante : elle a près de deux mètres de hauteur (1 mètre 90 c.) ; sa circonférence, dans le bas, est de quatre mètres quatre-vingts centimètres ; cette énorme ampleur est formée par l'addition à la largeur propre de l'étoffe, qui est
d'un mètre cinq centimètre, de cinq pointes triangulaires de trente centimètres de largeur inférieurement, sur un mètre cinq centimètres de hauteur ; à moins d'être d'une stature gigantesque, il serait impossible d'en faire usage, si elle n'était relevée au moyen d'une ceinture.
La chasuble, désignée sous le nom chape, parce que, décousue à sa partie antérieure, elle présente en effet la forme de cet ornement, est bien la chasuble antique si en usage au moyen-âge ; primitivement fermée, elle offrait une ouverture à son sommet, pour passer la tête. Au moment de la célébration des saints mystères, elle se relevait sur les bras et retombait en avant et en arrière, presque jusqu'au bas des jambes, en larges plis ondoyants. Elle est d'un tissu de soie représentant de petits losanges, avec un oeil au milieu ; sa couleur, primitivement rouge, est bien ternie ; un simple galon, dont on ne voit plus que la place, décorait la partie centrale de chaque face.
Parmi les dalmatiques, deux sont du même tissu que celui de la chasuble ; elles ont toutes trois à peu près la même forme ; toutes avaient des manches et étaient cousues latéralement jusqu'au tiers inférieur, et représentaient des espèces de toges ; elles étaient doublées d'une toile assez fine, sur laquelle la soie avait été collée : on reconnaît encore facilement l'empois qui a servi à cet usage : Elles sont encore garnies de galons armoriés, d'or, d'argent et de soie. Elles ont un mètre trente centimètres de hauteur sur les deux faces. La troisième dalmatique était de soie rouge, sans autres ornements que des galons armoriés.
Rue de la Chaussée
On communique de cette rue à un ancien chemin nommé le Chemin du Bouloir, beaucoup plus large qu'autrefois depuis l'ouverture de la rue Labbey, dont il fait partie. Ce chemin conduit à deux ruelles qui portent le même nom, dont l'origine vient d'un Bouloir qui existait près du quai dont on va parler. Dans le XVe siècle, temps où les communications étaient difficiles, par le défaut de grandes routes, on conçut le projet d'en établir par eau, et l'un de nos évêques, Pierre Cauchon, fit faire "la visitation du cours de la rivière de Touques, depuis Roncheville jusqu'au dit lieu de Lisieux, pour trouver manière qu'elle portât navire". Et le receveur de la ville inscrivit dans son compte de 1438 à 1445 : "la somme de 94 livres12 sous 6 deniers, pour despenses faites par Mons. l'évêque de Lisieux et autres nobles bourgeois et habitans de lad. ville, en leur compaignie grant nombre de gens de guerre, pour leur conduit et seurté en faisant visitation de la rivière
depuis lad. ville de Lisieux jusques au pont de Touques, espérant trouver voye et manière comme navire pourroit arriver et descendre à cay aud. lieu de Lisieux, quelle chose de pouvoit bien faire, selon l'advis et opinion de plusieurs".
Ce projet n'était pas encore exécuté en 1513 ; car, aux mois de mars et d'avril de cette année, les habitants réclamèrent auprès de l'évêque, pour qu'il rendit cette rivière navigable jusqu'à Touques.
Cependant, dès 1507, la ville possédait un bateau : à cette époque, il fut payé une somme, pour seize jours employés à nétoyer la rivière par laquelle passe le grant bateau commun.
Avant le XVe siècle, la rivière de Touques passait par le milieu des prairies, et ce fut vers le milieu de ce siècle qu'elle fut établie au bas des coteaux où on la voit aujourd'hui ; car, dans des actes de cette époque, on trouve pour abornement de propriétés : la neuve rivière. Dans le commencement du XVIe siècle, après ce déplacement, on y établit des bateaux plats nommés gabares, de la charge de seize charrettes en descendant, et de dix en remontant. Deux quais furent établis aux environs de notre ville : l'un dans une propriété située à l'extrémité de la deuxième ruelle du quartier du Bouloir, nommé le Quai de l'Orme, à cause d'un orme qui existait auprès, et l'autre au Petit-Malheur.
La navigation sur cette rivière cessa en 1788, après la confection de la grand'route de Pont l'Evêque et de Honfleur.
Dans le XVIe siècle, la rivière d'Orbec était aussi en partie navigable ; car, de 1513 à 1530, lorsque le corps municipal fit réparer ou paver à neuf plusieurs rues de cette ville, le pavé venait de Glos, et était transporté jusqu'au Pont-Bouillon sur des bateaux :
2e Addition à l'article Grande-Rue.
A l'endroit où la Grande-Rue fait angle avec la rue Pont-Mortain, du côté ouest, existait une maison dont le premier étage avançait de plusieurs pieds sur la voie publique, et dont l'extrémité était soutenue par un poteau que l'on nommait le Pôt-de-Falaise, nom d'un ancien propriétaire de cette maison. Ce poteau, où l'on placardait les affiches et derrière lequel les piétons passaient pour se garantir des voitures, fut supprimé en 1836, par la reconstruction de la façade de cette maison.
Au sud du Pont de Caen, il existait une espèce d'étang contenant alors du poisson. On trouve que, le 27 février 1521, Charles de Valois, duc d'Alençon, frère de François 1er, gouverneur de Normandie, passa par Lisieux. Le dernier jour de ce mois, le corps municipal paya 7 sous 6 deniers pour le salaire de quatre hommes qui avaient "pesché la cuve de la Porte de Caen, pour prendre du poisson pour présenter pour le souper de mond. seigr d'Alençon ; obstant qu'on ne pouvoit avoir ne recouvrer aultre poisson".
Avant son arrivée, on visita toutes les caves des taverniers, pour choisir le vin qui devait lui être offert.
Le 1er mars, les habitants lui firent présent de douze hanaps ou tasses d'argent, et d'une custode ou pouaille.
Il y a à Lisieux quinze fontaines publiques et cinq pompes. La Belle-Fontaine, nommée autrefois la Fontaine Cabot. Elle fut reconstruite en 1621 et en 1813.
Celles dites de la Porte de Paris, établies en 1808, sur l'emplacement des deux tours de cette Porte. Auparavant, il en existait une au dessous, dans l'intérieur de la ville.
Celle dite de Saint-Jacques, construite en 1809, au bas du perron de l'église. L'ancienne était située presque au milieu de la place du Crochet, et existait avant 1490 puisqu'à cette époque, on y plaça des tuyaux pour conduire une partie de ses eaux à celle de la Halle au Blé. Ces tuyaux et les soudures pesaient 2356 livres, et coûtèrent 12 deniers la livre. Peu de temps après sa construction, on trouva l'inscription suivante affichée sur le mur près duquel elle existe :
INSCRIPTION
Pour la huitième Merveille du Monde, la Fontaine de Saint-Jacques de Lisieux, chef-d'oeuvre entrepris en 1808, et fini vers la fin de mai 1809
AUX ADMIRATEURS
Dixain à la Renommée
De Falaise, d'Honfleur, du fond de l'Aquitaine,
Vous viendrez,connaisseurs, pour voir notre fontaine ;
En effet, ce que Rome a produit de plus beau,
Auprès de ce travail n'aurait faut que de l'eau.
On n'y remarque pas le goût du vieux gothique,
Mais un goût renfoncé d'utilité publique ;
Car quelques-uns viendront pour y puiser de l'eau,
D'autres de leur trop plein en feront le tombeau.
Ainsi, tu vois, passant, qu'en ouvriers fertile,
Lisieux sacrifia l'agréable à l'utile !!!!
On attribua ces vers à un professeur.
Celle de la rue Paradis, dite fontaine Saint-Pierre. Elle fut reconstruite en 1769.
Celle de la rue des Boucheries, reconstruite en 1833.
Celle de la place du Marché (place Matignon). En 1443, il existait une fontaine bouillante et devant l'église cathédrale. Elle fut reconstruite en 1682 et en 1807.
Celle de la Halle au Blé, édifiée en 1490. Elle fut démolie en 1857, et remplacée par deux bornes-fontaines existant aux deux côtés de la façade de cette Halle.
Celle de la rue du Bouteiller, construite en 1784, en l'honneur de M. Ferron de La Ferronnays, évêque de cette ville.
Celle de la Grande-Rue, construite ou reconstruite en 1508 ; car, en cette année, le receveur de la ville paya 42 liveres 4 sous 8 deniers "pour avoir besoigné à la fontaine neuve assise devant l'Hôtel-de-Ville (5). Elle existait alors dans le milieu de la rue ; mais, ayant été renversée par une voiture pendant la nuit du 14 décembre 1774, on la fit reconstruire contre les maisons. Elle le fut de nouveau en 1817.
Celle de la Halle aux Frocs, établie en 1837.
Celle du boulevard de la Chaussée, adossée au Jardin public, établi en 1859. Les eaux reviennent du Cavaudon.
Celle établie, en 1843, à l'angle de la rue Olivier et de la place Victoire.
Outre ces fontaines, il y a cinq pompes publiques :
Deux dans la rue de Caen, établies en 1824 ;
Celle de la rue d'Orbec, en 1829 ;
Celle de la rue Labbey, en 1853 ;
Celle de la place des Abattoirs, en 1853.
D'après des lettres-patentes délivrées par Louis XVIII, le 19 avril 1817, le roi confirma à la ville de Lisieux ses anciennes armoiries, et les désigna ainsi : "D'argent, à deux chef de sable posés en sautoir, cantonnés de quatre étoiles du même ; au chef d'azur, chargé de trois fleurs de lis d'or posées en fasce".
Il est certain que ces armoiries ne sont point celles que la ville possédait anciennement ; car, sur le couvert du plus ancien registre des actes du corps municipal, qui commence au mois de mai 1477, et qui finit au mois de février 1506, on trouve cette inscription presque effacée :
"Armes de la ville de Lisieux.
Dedans le champ d'azur,
Deux clefs d'argent et quatre estoiles d'or".
Ce qu'il y a de singulier, c'est que cette description était la même que celle des armoiries du chapitre de la cathédrale.
Il est bien difficile de déterminer l'époque à laquelle le chapitre a pris ces armoiries ; ce dut être après le XIIe siècle, car on a des actes de cette époque scellés du sceau de ce corps : il représente saint Pierre assis, tenant des clés.
Il est impossible de fixer celle à laquelle la ville a eu le droit de porter ces armoiries, ni à quelle autre époque le chef d'azur fleurdelisé y fut ajouté ; ce dut être après 1506, époque de la fin du registre dont on a fait mention. L'auteur possède une pièce qui constate que ce chef venait d'y être ajouté lors de sa confection : c'est un vieux morceau de parchemin contenant des vers, ou plutôt des rimes, en vieille écriture presque effacée, et dont la fin même n'existe pas, ce morceau de parchemin ayant été coupé et servant de couverture à un livre lorsqu'il a été trouvé.Cette pièce est ainsi conçue :
Adreçant au Prélat et Sr dud. lieu,
Chier pélican du vergier de deliz,
Bien viens à point veoier ton église saincte.
Plus ne seront mes armes aboliz ;
Quant je te voy, Dieu seul vient à ma plaincte.
Mon pavillon encore airaa l'empraincte
Avironné de planectes de prix ;
Car en ce point que gist ce signe pur,
Jadiz porté par droit et porte encor,
Et porteray dedans le champ d'asur,
Deux clefz d'argent et quatre estoilles d'or.
En collaudant le chief des fleurs de liz,
Qui me donne veoir à telle actaincte
Que voient mes eyeulx, le très-précieux liz
Duquel l'ondeur forte chassera craincte,
Blasmes et grief, erreur, murmure et faincte,
Par luy sera le fracteur de lay prins,
Et sans faute en justice estrins.
Vivre pourront tous mes subgets à seur,
Quant ils orront pour ma relique encor,
Prélat portant dedans le champ d'aseur
Deux clefs d'argent et quatre estoilles d'or.
Par mistique art en clerté si poliz,
Que la splendeur n'en sera point destaincte,
Maiz seront tant mes siéges embelliz,
Que l'on vendra me voier de place maincte ;
Cil qui voyra mon armarie paincte
Et entendra comme en elle est comprins
Signe papal de vrays amour esprins,
Tantost dira : Mon trosne estre si seur,
Que puis Tharé, que engendra Nacor,
Myeulx ne porte dedans le champ d'aseur
Deux clefz d'argent et IIII estoilles d'or.
Prince, les clefz exentent de périlz ;
Autant ès corps convient ès espritz.
Peuent remonstrer les estoilles son leur.
De ma vertu en nom de ce trésor
Porte en escu dedans le champ d'aseur
Deux clefs d'argent et IIII estoilles d'or.
M. D....., élève de l'école des Chartes, qui, en 1849, a bien voulu revoir et corriger cette copie, pense que "quelques mots de la première strophe pourraient faire conjecturer que le chef fleurdelisé venait d'être ajouté à cet écu.
Il nous semble," dit-il, "que cette pièce a été composée à l'occasion de la première entrée d'un évêque de Lisieux dans sa ville. Pour cette cérémonie, on aura dressé un arc-de-triomphe aux armes de la ville de Lisieux, et, pour en expliquer le sens, on aura mis les vers en question dans la bouche de la Ville. - On trouve des pièces du même genre dans plusieurs recueils du temps. Il serait difficile de reculer au-delà du XVIe siècle la date de la composition de cette pièce".
Lorsque l'administration municipale demanda, en 1815, la confirmation des anciennes armoiries de la Ville, elle envoya d'anciennes vignettes et l'empreinte d'un sceau dans lesquelles les armoiries sont figurées telles qu'elles ont été confirmées ; d'ailleurs, comme elles n'étaient désignées dans aucun armorial, on fut obligé de s'en rapporter à ces pièces, qui, peut-être, n'indiquaient pas suffisamment les couleurs.
Voilà, ce me semble, les conséquences que l'on pourrait tirer de ce qui précède : Anciennement, les armoiries de Lisieux étaient d'azur, à deux clés d'argent, et quatre étoiles d'or. Dans ces temps, les seigneurs donnaient ordinairement leurs armoiries aux lieux qui dépendaient d'eux. Il est probable que l'un de nos évêques les avait données à la Ville, soit que ce fussent les siennes ou celles de son église.
Plus tard, il aurait existé des contestations à ce sujet, et l'on aurait disputé à la Ville de droit de les porter. Peut-être alors, pour terminer le différend, on aurait changé les émaux ou couleurs de celles de la Ville et l'on y aurait ajouté le chef d'azur chargé de trois fleurs de lys d'or. Ce qui vient à l'appui de cette opinion, c'est que, d'après les règles du blason, le chef ne doit pas être de la même couleur que celle de l'écu, et que, ne pouvant changer celle des armoiries de France (azur), on aura changé celle des armoiries de la Ville, et on les aura mises d'argent, au lieu d'azur. On aurait aussi changé la couleur des clefs, qui étaient d'argent,
et des étoiles, qui étaient d'or, parce que, d'après les mêmes règles, on ne peut mettre couleur sur couleur, ni métal sur métal, et que, le champ de l'écu étant actuellement d'argent, on ne put y mettre des figures de métal ; on les mit de sable, qui est une couleur.
Autrefois, les habitants de Lisieux, resserrés dans l'intérieur de leurs murailles, étaient obligés, pour exercer leurs professions, de se contenter d'une étendue de terrain très-restreinte, et les principales industries avaient des lieux destinés à leur exercice : ainsi, le quartier des Coutures était consacré à la fabrication et à l'apprêt des cuirs et des frocs. Alors, il n'existait pas d'usines renfermant un nombreux personnel : chaque fabricant, avec sa famille et quelquefois quelques ouvriers, travaillait chez lui et pour lui, et vendait ses produits dans la halle à ce destinée ou dans les fouleries. Les acheteurs ou marchands de frocs leur faisaient donner tous les apprêts. Alors il y avait des lanneurs, des tondeurs, des teinturiers, des apprêteurs de toute espèce, qui exerçaient pour leur compte particulier. La rue aux Fèvres était destinée aux professions à marteau ; la rue des Boucheries, aux bouchers, qui ne pouvaient exposer leur viande que dans la halle à ce destinée, et qui appartenait à l'évêque seigneur temporel. Les boulangers ne pouvaient faire moudre leurs grains qu'au moulin de l'évêque, rue aux Fèvres. Cependant il y en avait deux autres : un dans le manoir Hauvel, nommé Moulin à Blanc, situé au bas de la Grande-Rue, et qui appartenait à l'Hôtel-Dieu ; et un autre, construit par l'abbesse de Saint-Désir, sur la rivière de Touques, près le pont en bois existant dans la rue de Caen, autrefois faubourg Saint-Désir. Ce moulin fut détruit pendant la révolution.
Les professions étaient divisées par corporations ; elles élisaient chacune leurs syndics, dont le chef avait le titre de roi pendant un an. Pour être reçu dans une industrie, il fallait faire un chef-d'oeuvre accepté par les syndics ; et, pour exercer une profession quelconque, acheter des lettres de maîtrise. Le droit de patente n'existait pas alors ; il y en avait un autre, nommé la taille, dont la perception ne coûtait rien au gouvernement, ni aux contribuables. L'intendant de la généralité d'Alençon, dont notre ville ressortissait, fixait la part à payer par chaque corporation ; les syndics faisaient la répartition, et nommaient parmi eux un collecteur et un porte-bourse, qui se rendaient chez leurs confrères et percevaient la contribution de chacun. Le tout était versé chez le receveur des finances. Les personnes qui vivaient de leur revenu, ou qui avaient un emploi, habitaient ordinairement des manoirs situés dans des cours, mais non sur la
rue, et portant chacun une enseigne de saint ou d'animal qui donnait son nom au manoir ; les maisons situées sur la voie publique étaient réservées pour le commerce ou l'industrie : je ne parle que des rues commerçantes, et non de celles qui étaient occupées par de riches propriétaires ou des communautés.
Les termes de manants et habitants, que l'on trouve dans les anciens titres, s'appliquaient alors à ceux qui occupaient des manoirs et aux autres
habitants ; mais les mots ont changé de signification, et certains termes, alors fort usités, sont aujourd'hui des termes injurieux.
En 1789, tout changea : la liberté de commerce fut proclamée, ainsi que celle de l'industrie ; chacun put exercer librement sa profession, sans contrôle, ce qui enfanta le progrès dans la fabrication des étoffes. Alors, on n'employait dans cette fabrication que des matières non mélangées, et les étoffes étaient solides ; aujourd'hui, elles ont le vernis et la durée de la mode. On doit dire cependant que, depuis 1789, et surtout depuis1800, après la fin de nos troubles civils, toutes les branches d'industrie ont fait de bien notables progrès.
Dans les temps dont je viens de parler, la vraie fraternité existait parmi les habitants. Après le repas du soir, les voisins et voisines se réunissaient au-devant de leurs maisons, dont plusieurs avaient des porches, et se livraient à des jeux ou à des conversations non politiques (on ne s'en occupait pas alors) ; pendant ce temps, les jeunes gens organisaient des jeux plus bruyants, où la décence régnait toujours. Quelquefois les voisins prenaient leur repas en commun au-devant de leurs habitations. Dans des circonstances particulières, on établissait des tentes de feuillage sur la place publique, on y dressait des tables, et des habitants y portaient leurs mets pour les manger en commun ; la joie la plus franche et la plus vraie présidait à ces réunions.
Alors, on déjeûnait à huit heures, on dinait à midi, les enfants collationnaient à quatre heures, et on soupait à huit heures.En 1718, le 23 janvier, on fit en cette ville une fête comme on n'en avait pas encore vu : elle dura huit jours, et eut lieu à l'occasion de la taille proportionnelle, ordonnée par arrêt du conseil d'état du 27 décembre 1717. Auparavant, on taxait arbitrairement les habitants ; et ce mode fut alors aboli, et remplacé par une répartition proportionnée aux facultés de chacun. On voit, dans le détail des fêtes qui eurent lieu à ce sujet, que des familles, auparavant divisées, joignirent leurs repas ensemble pour célébrer
la concorde rétablie parmi eux. Ce détail fut imprimé, et a été inséré dans l'Almanach de cette ville pour 1841.
Je ne puis mieux terminer cet article qu'en racontant la cérémonie qui avait lieu le 10 et le 11 juin de chaque année, et que l'on nomme cérémonie de la
comté, ou solemnis D. D. canonicorum comitem Lexoviensium obsquitatio. On fait remonter son établissement avant le milieu du XIIe siècle, à la suite de longues discussions entre l'évêque et le chapitre, au sujet de leur juridiction sur certaines portions de la ville. On croit que Jean 1er, qui occupa le siège épiscopal de Lisieux depuis 1107 jusqu'en 1141 ; voulant terminer ces débats, fit une convention avec le chapitre, d'après laquelle il abandonnait tout pouvoir temporel sur la ville pendant deux jours de chaque année, et le transférait au chapitre, qui le faisait exercer par deux chanoines élus annuellement sous le titre de comtes.
La cérémonie qui avait lieu à cette occasion était annoncée le 10 juin, à midi, par le son de toutes les cloches. A trois heures, les deux comtes se rendaient solennellement à la cathédrale avec le cortège, et dans l'ordre suivant : 1° les tambours de la Ville ; 2° les vassaux du doyen du chapitre, marchant deux à deux, armés de toutes pièces de pied en cap, pot en tête, cuirasse, brassards, cuissarts, gantelets, portant une hallebarde sur l'épaule et un glaive au côté ; c'est ce que l'on nommait hommes de fer ; 3° les deux appariteurs du chapitre en surplis, décorés d'une bandoulière de fleurs, tenant de la main droite leur bâton d'argent, et de la gauche un bouquet de fleurs; 4° deux chapelains en surplis et en aumusse, parés aussi de bandoulières, de fleurs et de bouquets ; 5° les deux comtes, parés comme les deux chapelains ; 6° les officiers de la haute justice du chapitre, en robes noires, chacun avec semblable bandoulière et bouquets. Les armoiries des comtes figuraient à la porte de leur hôtel et au portail de l'église. Quant le premier psaume des vêpres était chanté, les comtes et leur cortège sortaient de la cathédrale et montaient à cheval au bas du perron ; ils allaient prendre possession des quatre portes de la Ville, dont on leur présentait les clés ; les comtes y plaçaient quelques-uns de leurs hommes d'armes, pour les garder ce jour et le lendemain. En passant dans la rue du Bouteiller, le cortège s'arrêtait devant le collège, et les comtes donnaient congé aux écoliers. On se rendait ensuite au prétoire du comté ; on prenait séance ; et les comtes présidaient aux réglements de police et au jugement des causes ; ils continuaient ainsi le lendemain, fête de Saint-Ursin : pendant ces deux jours, toute la juridiction civile et
criminelle appartenait à ces deux dignitaires, ainsi que les droits de coutume que l'on percevait à la foire, qui dure huit jours. Après ces cérémonies, les comtes donnaient à chaque chanoine et aux membres de la justice deux pots de vin et quatre livrees de pain.
Les armures dont on vient de parler se conservaient dans les maisons qui avoisinaient l'église Saint-Germain, et formaient une redevance seigneuriale qui se transmettait avec les maisons ; toutes ne fournissaient pas un homme armé ; il y avait des redevances d'un demi-homme, d'un tiers, d'un quart d'homme.
(1) Châlier, Marin-Joseph, piémontais, l'un des plus fougueux terroristes, négociant à Lyon, établit dans cette ville un tribunal révolutionnaire et s'en fit le chef ; mais la population se souleva, et il fut condamné à mort et exécuté le 29 mai 1793.
(2) Le papegault, et, depuis, papeguai, était un oiseau de bois sur lequel on tirait avec une arquebuse. Celui qui l'abattait pouvait vendre, pendant un an, soixante tonneaux de cidre en détail, sans payer aucun droit, et il était exempt, pendant le même espace de temps, de toute espèce d'impôts ; il pouvait faire battre le tambour quand bon lui semblait et sans permission, pour assembler les arquebusiers ; mais il fallait que l'arquebuse lui appartint, et qu'il ne l'eût pas empruntée. Ces privilèges furent confirmés, pour Lisieux, par lettres-patentes de Henri III, au mois d'août 1576 ; de Henri IV, au mois de février 1594 ; de Louis XIII, au mois de mai 1614 et le 21 janvier 1615 ; et de Louis XIV, au mois de juin 1652.
(3) Lorsque Richard, roi d'Angleterre, assiégea le château de Gaillon, de 1194 à 1199, le châtelain, nommé Cadoc, lança au roi, du haut d'une tour, un trait d'arbalète qui l'atteignit au genou et tua le cheval.
(4) Revenu fixe et déterminé nommé prébende.
(5) L'Hôtel-de-Ville était alors dans la Grande Ville, proche la fontaine actuelle.