Extraits du Bulletin
de la Société d'Horticulture et de Botanique du Centre de la Normandie,
n°1 - 1878.
Saisie du texte : O. Bogros pour la collection électronique de la Médiathèque André Malraux de Lisieux (22.IX.2015) [Ce texte n'ayant pas fait l'objet d'une seconde lecture contient immanquablement des fautes non corrigées]. Adresse : Médiathèque intercommunale André Malraux, B.P. 27216, 14107 Lisieux cedex -Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01 Courriel : mediatheque@lintercom, [Olivier Bogros] obogros@lintercom.fr http://www.bmlisieux.com/ Diffusion libre et gratuite (freeware) Orthographe et graphie conservées. Texte établi sur les exemplaires de la médiathèque (Bm Lx : Norm 1101) EXTRAITS du BULLETIN DE LA SOCIÉTÉ D'HORTICULTURE DU CENTRE DE LA NORMANDIE N°1 - 1878 * * * DORYPHORA OU COLORADO
(DORYPHORA DECEMLINEATA) INSECTE DESTRUCTEUR DE LA POMME DE TERRE AVIS IMPORTANT La pomme de terre cultivée dans l'Amérique septentrionale est attaquée, depuis 1859, par un insecte appelé Doryphore, Doryphora ou Colorado. Ce coléoptère de la pomme de terre a beaucoup de rapport avec les chrysomèles (1) et les coccinelles ou bêtes à bon Dieu. Il est originaire des Montagnes Rocheuses, chaîne qui traverse l'Etat du Colorado et s'étend de la Nouvelle-Bretagne au Mexique. Après avoir envahi une grande partie des Etats-Unis et du Canada et y avoir causé des ravages incalculables, le Colorado est arrivé dans les ports d'où partent de nombreux navires pour l'Europe. C'est par l'intermédiaire de ces navires et des marchandises dont ils sont chargés, que cet insecte a été importé cette année en Allemagne. En vertu des décrets du 27 mars 1875 et du 11 août 1877, l'entrée et le transit des tubercules et, des fanes des pommes de terre provenant des Etats-Unis, du Canada et de l'Allemagne, ainsi que les sacs et futailles ayant servi à leur emballage, sont interdits en France. Toutefois, malgré la surveillance rigoureuse exercée soit dans les navires circulant entre l'Amérique et la France, soit dans les marchandises qu'on en retire, soit sur les frontières du Nord-Est, ce redoutable scarabée peut s'introduire en France, s'y propager et compromettre l'avenir de la pomme de terre, plante qui, par ses tubercules, fait aujourd'hui la base de l'alimentation du plus grand nombre et fournit à l'industrie des produits divers ayant une valeur importante. Dans le but de faciliter les recherches dans les navires, les ports, les entrepôts des douanes, les marchandises et les champs dans lesquels le Colorado pourrait exister, l'Administration de l'agriculture a jugé utile de faire connaître les caractères qui le distinguent des autres insectes, ses moeurs et les mesures à prendre immédiatement dans le cas où sa présence serait constatée dans un champ de pommes de terre. 1° Description du Colorado INSECTE PARFAIT.— Le Colorado a l0 à 12 millimètres de longueur et 7 à 9 millimètres de largeur : son corps est ovoïde, un peu allongé et sans poils ; son dos est très-convexe ; sa tête est saillante et dégagée du corselet ou thorax, qui est très-court ; ses élytres sont coriaces et un peu luisantes ; elles couvrent complétement le corps et les ailes, qui sont membraneuses et de couleur rose ; ses pattes sont au nombre de six ou de trois paires ; elles sont terminées par un tarse composé de quatre articles ; le mésosternum est avancé en manière de très-petites cornes ; les antennes sont libres, filiformes et de la longueur environ de la moitié du corps. Les élytres sont jaune blanchâtre ; chacune présente cinq raies noires longitudinales ; la ligne intérieure est confluente avec la suture interne ; le corselet, la tête et les pattes sont jaune roux ou roux bronzé ; les antennes, les articulations des pattes et les tarses sont noirs. On distingue sur la tête une tache noire en forme de coeur, et sur le thorax une marque noire en forme de V, autour de laquelle existent çà et là des points noirs. Le dessous du corps est rougeâtre. Les Doryphores sont agréables à la vue. Ils ne sautent point, mais ils se distinguent par la vivacité de leurs mouvements. ŒUFS. — Les oeufs du Colorado sont ovulaires, brillants et un peu translucides ; leur bout supérieur est arrondi ; ils adhèrent au-dessous des feuilles par leur extrémité inférieure et sont placés assez régulièrement les uns à côté des autres ; ils sont au nombre de 20 à 50 sur chaque feuille ; leur longueur est de 2 millimètres. Ces oeufs sont d'abord jaune citronné, puis jaune orangé et enfin rouge orangé. LARVES. — Les larves ont, comme les insectes parfaits, une tête arrondie et plus petite que le corps ; leur consistance est molle, et elles sont aussi luisantes ; leur corps est allongé, divisé par des anneaux et terminé en pointe ; leur thorax est armé de six pattes très-apparentes ; leurs antennes sont très-courtes. A leur naissance, les larves sont noirâtres et elles ont la grosseur d'une forte tête d'épingle. Vers le cinquième ou le sixième jour, elles ont de 4 à 5 millimètres de longueur, et leur abdomen est rouge brun, ou rouge vénitien obscur, ou rouge indien, ou acajou foncé et un peu transparent. Vers le dixième ou le douzième jour, elles ont une couleur bien moins sombre. Quand elles sont entièrement développées, vers le seizième ou le dix-huitième jour, elles ont de 10 à 12 millimètres de longueur, et leur couleur est rouge cuivré clair et accidentellement jaune rougeâtre. Dans ces divers états, leur corps est très-pyriforme, surtout quand elles sont à l'état de repos ou lorsqu'elles mangent ; leur tête, leur corselet et leurs pattes sont très-noirs. Toutefois, quand elles ont dix à douze jours d'existence, leur tête est séparée du thorax, qui est noir, par une bande étroite semblable, quant à sa couleur, à la teinte du corps. En outre, on observe sur le dos une ligne longitudinale grise assez apparente. Ces larves, à partir du cinquième ou sixième jour qui suit leur naissance, présentent de chaque côté du corps deux lignes superposées de points noirs qui deviennent chaque jour plus apparents. Les larves subissent plusieurs mues. Les pellicules qui se détachent de leur partie antérieure sont entièrement noires. Pendant ces évolutions, qui sont de très-courte durée, ces insectes restent presque immobiles. Leurs déjections sont noirâtres et en forme de chapelet irrégulier; elles restent sur les feuilles. NYMPHES. — Les larves, du seizième au vingtième jour, quittent les tiges et les feuilles, arrivent sur le sol et s'y enfoncent jusqu'à 2 à 6 centimètres, selon la nature de la couche arable, pour se transformer en nymphes. Dans cet état, elles restent inactives, sont contractées et comme recouvertes d'une pellicule mince de couleur rose cuivré, mais n'offrant aucun point noir. Au bout de douze à seize jours d'immobilité, la métamorphose est terminée et chaque nymphe devient un insecte parfait. 2. Moeurs du Colorado Le Colorado ne redoute ni les grands froids, ni les fortes chaleurs, ni les pluies abondantes et prolongées. Vers la fin d'août, pendant le mois de septembre et la première quinzaine d'octobre, les insectes parfaits provenant de la seconde et de la troisième génération perdent de leur vivacité et s'enfoncent en terre jusqu'à 20, 30 et même 40 centimètres de profondeur ; ils passent ainsi l'hiver dans un état d'engourdissement pour se réveiller et sortir du sol vers la fin d'avril ou le commencement de mai, dès les premiers rayons de soleil. Alors ils se dirigent vers les champs de pommes de terre qu'ils dépouillent promptement de leurs feuilles. Il importe donc de surveiller le réveil de cet insecte dévastateur, et de prendre les mesures les plus énergiques pour l'arrêter dans sa multiplication. C'est dans le courant de juin qu'a lieu le premier accouplement. Les femelles sont très-fécondes et collent leurs oeufs sous les feuilles ; elles font quatre à cinq pontes chaque semaine, pendant environ quatre à cinq semaines. Le nombre d'oeufs qu'une femelle peut produire pendant son existence varie entre 300 et 500. Les oeufs éclosent vers le huitième jour. Lorsque les insectes naissent, les amas d'oeufs, au lieu d'être d'un rouge orangé, prennent une teinte brunâtre. Les jeunes larves sont très-petites. Jusqu'au huitième ou dixième jour, elles attaquent les feuilles en les perçant. Les trous qu'elles font vont chaque jour en s'agrandissant. A partir du dixième ou douzième jour, elles mangent avec une grande avidité et rongent les feuilles en y formant de larges échancrures. Les larves qui ont atteint leur développement sont beaucoup plus voraces que les insectes parfaits ; elles dénudent promptement les pommes de terre de leurs feuilles. Les unes et les autres, pendant toute leur existence, se tiennent sur les tiges, ou sur ou sous les feuilles. Les grandes larves rendent, quand on les saisit, un liquide roussâtre, un peu astringent ; cette bave produit une légère irritation de la peau. Les insectes parfaits sont inoffensifs, mais ils replient leurs pattes contre le corps et restent immobiles pendant quelques minutes quand on les prend ou lorsqu'on les fait tomber à terre. Ces insectes se cachent entre les feuilles pendant la nuit ou au milieu du jour lorsque le soleil est ardent ; mais ils se déplacent le soir et le matin avec une très grande facilité. Les larves passent d'une plante à une autre, mais elles ne franchissent pas des distances aussi grandes que les espaces parcourus par les insectes parfaits. Ces larves restent aussi inertes pendant quelques minutes quand on les saisit. Les larves, à cause de leur état mou et graisseux, se tiennent facilement sur l'eau et elles se laissent entraîner par les courants. Les insectes parfaits nagent aisément.. Ils peuvent aussi voler pendant les grandes chaleurs du jour ; mais leur vol est lourd et ne leur permet pas de franchir de grandes distances. Les insectes parfaits peuvent vivre pendant quatre à six semaines sans aucune nourriture. Les larves et les nymphes ont une existence limitée. A défaut de pommes de terre, les insectes et les larves se nourrissent de feuilles de tomate, de tabac, de datura, de belladone, de morelle, de jusquiame et de pétunia, plantes qui appartiennent, comme la pomme de terre, à la famille des solanées. En résumé, le Colorado ou Doryphore se propage avec une grande facilité et une rapidité effrayante. Une seule femelle, par les deux, trois et quelquefois quatre générations qui se succèdent pendant la végétation de la pomme de terre, peut produire dans l'espace de quatre à cinq mois plus de 100,000 larves ou insectes. 3. Moyens de destruction NAVIRES. — Les équipages des navires provenant d'un des ports d'Amérique ou de l'Allemagne doivent détruire tous les insectes qu'ils trouveront à bord. Ils doivent aussi brûler les pailles, herbes sèches ou fanes de pommes de terre, au lieu de les jeter à la mer ou de les déposer à terre. Ces parties végétales peuvent contenir des oeufs ou des insectes. DOUANES. — Le personnel des Douanes est invité à surveiller les marchandises apportées par les navires venant des Etats-Unis et du Canada. Diverses denrées peuvent contenir des insectes parfaits ou renfermer des végétaux sur lesquels existent des oeufs. En outre, ils sont priés de coller sur les colis contenant les débris précités l'instruction. imprimée sur papier jaune, par laquelle on recommande aux destinataires de surveiller le déballage des marchandises, de détruire les insectes qui s'y trouvent, et de brûler avec soin les pailles, les tiges, feuilles , etc., qui ont été utilisées dans les caisses tonneaux, etc., et qui n'ont aucune valeur commerciale. ÉCOLES COMMUNALES. — Les instituteurs peuvent, par leur zèle et leur dévouement, contribuer dans une large mesure à empêcher le Colorado de se propager s'il pénètre en France. Ils doivent s'imposer la mission d'appeler l'attention de leurs élèves sur la gravure coloriée et l'instruction placardées dans la classe, et qui font connaître les caractères, les moeurs et les dégâts que cause ce coléoptère. De plus, ils doivent les engager à rapporter à l'école tous les insectes qu'ils trouveront dans les champs de pommes de terre, en leur démontrant la nécessité de bien noter les parcelles dans lesquelles ils les auront ramassés. C'est à l'instituteur qu'incombera la tâche de savoir si le Colorado a fait son apparition dans la commune. Les écoles, en acceptant cette mission, deviendront de véritables centres de surveillance. Plusieurs foyers de Colorados ont été découverts en Allemagne par des élèves appartenant aux écoles communales. CULTURE. — Lorsque le Colorado aura été découvert dans un champ de pommes de terre, on devra immédiatement avertir l'Instituteur de la commune, qui en vérifiera l'exactitude, et en donnera aussitôt connaissance au Maire, lequel préviendra le Préfet ou le Sous-Préfet de l'arrondissement par la voie la plus prompte. Le Ministre de l'agriculture et du commerce devra être aussi prévenu par dépêche télégraphique. On empêchera le foyer de s'étendre en exécutant, le plus promptement possible, les opérations successives ci-après : D'abord on examinera avec une grande attention toutes les touffes de pommes de terre situées près du foyer signalé, afin de savoir si elles contiennent des larves ou des oeufs. Cet examen terminé, on entourera la partie infestée de Colorados d'un petit fossé ayant environ 50 centimètres de profondeur et 33 centimètres de largeur ; puis on y placera de la paille arrosée de pétrole et on y mettra le feu. Cette rigole est destinée à recevoir les insectes parfaits qui s'éloigneraient de la partie circonscrite pendant la destruction du foyer. L'odeur développée par le pétrole rendra les insectes immobiles et permettra aisément de les ramasser pour les jeter de suite dans un vase contenant de l'eau de Javel, ou de l'acide chlorhydrique, ou de l'acide sulfurique, ou de l'essence de térébenthine. Il est utile d'enclore avec la partie attaquée et sur tout son contour une bande de terre de 2 à 3 mètres au moins de largeur, dans la crainte que quelques insectes ou larves n'aient échappé à l'attention des observateurs. Le rejet de terre doit être placé en dehors de la superficie sur laquelle la récolte doit être détruite. Pendant qu'on creusera le fossé précité, on apportera près du champ ou de la sciure de bois, ou des petits copeaux ou de la menue paille qu'on arrosera de pétrole, pendant que deux hommes armés de pelles en fer les remueront avec soin. A défaut de pétrole, on peut se servir d'essence de térébenthine. Aussitôt que le fossé aura été ouvert et pétrolé, on fauchera les tiges des pommes de terre et on les fanera sur la superficie délimitée par le fossé ; puis on y répandra de la sciure de bois ou de la menue paille pétrolée et on y mettra le feu. Il se produira alors une flamme très-vive accompagnée d'une fumée très-abondante et très-intense. Cette incinération détruira promptement les fanes de pommes de terre, les insectes, les oeufs et les larves existant en dehors du sol. On pourra, pour agir vite et très-efficacement, diviser la parcelle enclose par le fossé en deux, trois, quatre, etc., parties, et opérer successivement sur chacune d'elles. Les ouvriers qui répandent le combustible pétrolé se servent de paniers et marchent à reculons. Dès qu'une partie aura été incinérée ou carbonisée, on labourera le sol avec une bêche à lame étroite jusqu'à 10 ou 16 centimètres seulement de profondeur, en ayant la précaution de bien émietter la terre et de ramasser les insectes parfaits, qui sont engourdis, mais doués de vitalité, et les nymphes qu'elle pourrait contenir. Ces dernières ne sont pas toujours très-apparentes, parce qu'elles sont assez souvent enveloppées de parties terreuses. Comme les insectes, elles doivent être détruites à l'aide du parole, de l'eau de Javel ou de l'essence. Ce travail terminé, on disposera la terre bêchée en petits ados de 16 à 20 centimètres de largeur, on répandra dans les sillons de la sciure de bois ou de la menue paille imbibée de pétrole et on y mettra le feu. Cette opération complémentaire a pour but de détruire les nymphes et les insectes qui seraient restés dans la couche arable après le labour à la bêche ayant suivi l'incinération des fanes. On peut au besoin répéter cette opération le jour même ou le lendemain, en dirigeant les ados perpendiculairement à la direction donnée aux premiers sillons. La surface ainsi traitée restera inoccupée jusqu'à l'automne prochain, mais on pourra, de temps à autre, la diviser à l'aide d'un scarificateur, afin de s'assurer si elle renferme encore des insectes. Les jours suivants, au moins deux fois par semaine, on examinera très-attentivement les pommes de terre laissées sur le champ en dehors du fossé. Si l'on constate sur la surface inférieure d'une ou de plusieurs feuilles des agglomérations d'oeufs, on devra poursuivre les recherches avec une grande attention dans le but de .trouver et de détruire les insectes parfaits qui les ont produits. Ces insectes existeront très-certainement à une faible distance des oeufs qui auront une couleur jaune citronné. Les feuilles portant des oeufs doivent être coupées, et non arrachées, afin de ne pas faire tomber des oeufs à terre, puis jetées dans un seau en métal. Elles seront incinérées immédiatement après avoir été imbibées de pétrole ou d'essence. Si, pendant ces dernières recherches, on rencontrait des larves, petites ou grandes, il faudrait s'empresser de détruire ce second foyer en opérant comme on a agi quand il a été question d'anéantir la première invasion. Pendant et après ces diverses opérations, on doit interdire sévèrement l'entrée du champ à toutes les personnes qui ne sont pas utiles et ne point permettre, sous aucun prétexte, qu'on emporte des oeufs, des larves, des nymphes et des insectes. Les tubercules extraits pendant les mois d'août et de septembre des parcelles pétrolées doivent être transportés à la ferme ou à la maison d'habitation dans de bons sacs, et lavés ensuite avec précaution. Le dépôt terreux qui se formera au fond de la cuve devra être examiné très-attentivernent. On détruira tous les insectes, nymphes, etc., qu'il contiendra. Le Colorado n'attaque pas les tubercules de la pomme de terre, mais il empêche leur développement quand il dévore toutes les feuilles de cette plante. Paris, Septembre 1877. NOTE :
(1) Le nom de Doryphora, qui
signifie que l'insecte porte à la poitrine une lance ou une épine
dirigée en avant, n'a pas été accepté par tous les naturalistes.
Plusieurs persistent à dire que le Colorado appartient au genre Chrysomèle, parce qu'il est dépourvu d'une pointe au mésosternum, et qu'il doit être désigné sous le nom scientifique de Chrysomela decemlineata. Enfin, d'autres lui donnent les noms de Leptinolarsa decemlineata et de Polygramma decemlineata.
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