PHYSIQUE APPLIQUÉE
PERFECTIONNEMENTS APPORTÉS AU TÉLÉGRAPHE MORSE
Par M. SORTAIS,
DE LISIEUX.
Extrait du Cosmos du 25 décembre 1863.
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On sait que, dans les appareils télégraphiques,
système Morse, le
papier sur lequel s'impriment les signaux se déroule par l'action d'un
mouvement d'horlogerie. La marche du papier étant assez rapide, on
amoindrit l'usure des rouages et on évite le remontage de l'appareil,
pendant l'insertion d'une dépêche, en maintenant au repos le ressort
moteur, tant qu'un signal quelconque n'avertit pas l'employé qu'une
dépêche va lui être expédiée. Alors il faut débrayer le volant
régulateur du mouvement, pour le ramener à l'état de repos, une fois la
dépêche transmise.
Les appareils de
Morse, tels qu'ils sont encore en usage aujourd'hui,
présentent un grave inconvénient : « Ils ne peuvent ni se mettre en
marche ni s'arrêter d'eux-mêmes, après l'insertion. » Autrement dit,
ils ne sont pas
automatiques. Par suite,
pendant l'absence de
l'employé du bureau récepteur, aucune dépêche ne peut être transmise ;
il en sera de même si cet employé est absorbé par un travail urgent.
Quant au contrôle du service, aucun signe indicateur du retard ne se
trouve indiqué, ni dans les réceptions, ni dans les expéditions. Un
système automatique permettrait au contraire la transmission et
l'enregistrement des correspondances en l'absence des employés, et en
outre il offrirait à l'administration le moyen de contrôler
rigoureusement la vigilance des employés.
L'administration des lignes télégraphiques avait invité ses
fonctionnaires à rechercher un moyen simple et pratique, qui permit au
transmetteur de déterminer et d'arrêter, à sa volonté, le mouvement des
rouages de l'appareil récepteur et, par suite, le déroulement du papier
sur lequel s'impriment les signaux. Cet appel provoqua un grand nombre
de solutions qui furent déférées à une commission spéciale.
M. Lemoyne, inspecteur des lignes télégraphiques, classa les différents
systèmes proposés en deux catégories : 1° déroulement du papier
accompagnant toute transmission et s'arrêtant avec elle ; 2°
déroulement du papier commençant et finissant à la volonté de l'employé
transmetteur, mais indépendamment de la transmission.
Dans le premier système, il faut que le papier entre en mouvement dès
la première émission de courant, et qu'il ne s'arrête que quelques
secondes après chacune d'elles, de manière à obtenir les séparations
nécessaires entre les divers signes, lettres et mots.
Les solutions qui ont reçu l'approbation de la commission sont dues à
MM. Guyot, Anfonso, Cuche, Leclère ; elles ont été soumises à l'épreuve
de la pratique. Mais les dernières conclusions du rapport officiel ont
fait abandonner cette tentative d'amélioration. Quelle que soit la
solution adoptée, elle aura pour inconvénient : 1° de compliquer les
récepteurs actuels d'un accessoire délicat et sensible ; 2° d'exiger
une pile locale plus forte pour opérer le déclanchement du rouage ; 3°
de rendre moins régulière la marche du levier imprimeur, auquel une
nouvelle fonction se trouve dévolue. La généralisation de l'un
quelconque de ces systèmes semble donc impossible, tant que les
appareils exigeront, comme les récepteurs de
Morse, la présence
assidue d'un employé pour traduire les signaux au fur et à mesure de
leur impression sur la bande. Avec des appareils imprimant les
caractères alphabétiques, cette disposition permettrait au contraire de
confier à un seul employé la surveillance de plusieurs récepteurs.
L'administration avait examiné spécialement les propositions que lui
avaient soumises ses employés, mais fort peu celles présentées par des
mécaniciens qui lui étaient étrangers.
Nous rappellerons ici un des premiers systèmes qui furent proposés, sur
lequel ne se fixa pas assez l'attention de la commission, et qui reçut,
peu après, d'honorables sanctions, tant de la part des jurys
d'expositions industrielles, que de celle des sociétés savantes, et
qui, dans ces diverses circonstances, eut pour rapporteur M. le comte
Th. du Moncel. Nous voulons parler du système proposé par M. Sortais,
horloger-mécanicien à Lisieux (Calvados).
Les principales conditions d'où dépend la fonction automatique des
télégraphes écrivants, sont les suivantes : le déclanchement doit
s'opérer instantanément sous l'influence même de l'action
électromagnétique qui met en jeu le style écrivant ; et il faut, de
plus, que ce déclanchement ne se maintienne que pendant le temps de la
transmission ; par conséquent, le mécanisme destiné à le produire doit
être susceptible de fournir un enclanchement, quelques instants après
que l'appareil électromagnétique a cessé de fonctionner. Enfin, il est
indispensable que l'intensité d'action de ce mécanisme soit
très-minime, cet appareil devant s'adapter à des récepteurs qui,
actuellement, sont construits avec une telle délicatesse, qu'ils
fonctionnent sans relais. Ces différentes conditions ont été résolues,
ajoute M. le comte Th. du Moncel, par M. Sortais.
Cet habile mécanicien a fait fonctionner devant nous, au Conservatoire
des arts et métiers, le télégraphe Morse usuel pourvu de ce nouvel
appareil à déclanchement automatique ; nous avons pu apprécier les
différentes particularités qui le distinguent, et nous ne voyons que
des avantages réels dans son adaptation aux appareils télégraphiques
système Morse. Le dessin que M. Sortais a bien voulu nous communiquer
étant identique à celui qui se trouve dans l'
Exposé des applications
de l'électricité, t. V, de M. le comte Th. du Monce, nous nous
permettons de faire un emprunt à la description qui se trouve dans
l'ouvrage du savant ingénieur électricien des lignes télégraphiques.
L'appareil de M. Sortais consiste donc dans une roue à rochet
G
portant un levier d'embrayage
h, et sur laquelle réagit l'un des
mobiles du mécanisme d'horlogerie de l'appareil télégraphique, et dans
un cliquet de retient
E mis en action à l'aide du levier de
l'électro-aimant imprimeur, par l'intermédiaire de la goupille
d’. Le
levier embrayeur
h est équilibré par un contre-poids
i' qui tend à
l'entraîner en dehors du volant modérateur, sur lequel il doit réagir
pour produire l'arrêt du mécanisme; mais à l'état normal il ne peut
céder à ce mouvement, à cause du cliquet de retient qui maintient la
roue à rochet dans une position déterminée; alors il butte contre un
doigt d'arrêt
n adapté à l'axe du volant. Le mouvement transmis par
le mécanisme d'horlogerie à la roue à rochet s'effectue par
l'intermédiaire d'une dent
m fixée à l'axe de l'avant-dernier mobile,
laquelle, à chaque révolution de celui-ci, fait avancer d'un cran le
rochet.
Cette description faite, examinons la fonction de chacun de ces organes
: lorsqu'on met l'appareil en action, sous l'influence de
l'électro-aimant, le cliquet de retient du rochet se trouve écarté, et
comme celui-ci ne se trouve plus soutenu, le levier
h qu'il porte est
entraîné par son contre-poids, et le déclanchement s'opère. Si cette
action est instantanée, le cliquet de retient du rochet se trouve en
prise avec lui, et, à chaque tour de cet avant-dernier mobile du
mouvement d'horlogerie, le rochet remonte d'une dent ; le levier
d'embrayage s'abaisse, rencontre, après un certain nombre d'impulsions
du rochet, le doigt
n de l'axe qui commande le volant modérateur et
arrête le mouvement de l'appareil. Si le jeu de l'électro-aimant a lieu
aux intervalles rapprochés qui correspondent aux signaux, le rochet se
maintiendra séparé de son cliquet de retient ; par suite, ce ne sera
que pour des interruptions d'une durée suffisamment longue que l'arrêt
se produira.
Le système de déclanchement proposé par M. Sortais résoud donc
parfaitement le problème de la marche automatique du télégraphe Morse.
Nous avons dit plus haut les motifs pour lesquels l'administration des
lignes télégraphiques a cru devoir renoncer à l'idée de la fonction
automatique des appareils enregistreurs ; outre l'insuffisance de ces
raisons en présence d'une application aussi utile, nous observerons que
l'appareil de M. Sortais offre à l'administration
un moyen de contrôle
encore plus rigoureux pour la régularité du service, puisque les
avertissements ou dépêches s'inscrivant au récepteur sans le concours
de l'employé, l'expéditeur sait immédiatement par le manque de réponse
à certaines formules de convention , si son correspondant est absent ,
ou omet de lui répondre par pure négligence. En effet, si ce dernier
était occupé par un service pressant, un signal de rapide transmission
suffirait à dire au correspondant de continuer son expédition, lui
mandant que la réponse est remise pour cause majeure. On comprend donc
que, ces conventions admises une fois pour toutes, le même employé peut
laisser fonctionner automatiquement ses récepteurs, certain qu'il est
de retrouver leurs enregistrements' tracés de la manière la plus exacte.
Un autre avantage de cette organisation, c'est de permettre, selon les
exigences du service, d'établir très-rapidement la communication avec
les postes intermédiaires. Nos lecteurs se rappellent qu'en 1862, M.
Sortais a modifié aussi le mode d'impression télégraphique ; il fait
usage d'un godet encreur produisant des traits ou des points très-nets.
De plus, il a détaché l'organe écrivant des rouleaux et accessoires
nécessaires au déroulement du papier ; de telle sorte que l'employé
puisse lire les signaux
à l'instant même où ils s'impriment.
Si, pour les motifs que nous avons énoncés, l'administration française
des lignes télégraphiques a cru devoir ajourner l'adjonction à ses
appareils usuels du perfectionnement réalisé par M. Sortais,
quoiqu'elle en reconnaisse les avantages et ait été la première à les
signaler, empressons-nous de dire que les administrations
télégraphiques privées de l'Angleterre en ont fait récemment l’essai,
et il est probable qu'elles l'adopteront définitivement.
ERNEST SAINT-EDME.
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TÉLÉGRAPHIE ÉLECTRIQUE
Extrait du Cosmos du 5 septembre 1862
Déclanchement et encrage automatique des appareils Morse. —
Système
de M. Sortais. — Nos lecteurs connaissent déjà le perfectionnement
considérable que M. Sortais a apporté au télégraphe Morse. Il a réussi
à opérer instantanément le déclanchement ou la mise en marche du papier
par la seule intervention d'une petite fraction du courant qui met en
jeu le style écrivant. Il a su maintenir le déclanchement aussi
longtemps que dure la transmission de la dépêche. Il a déterminé,
toujours automatiquement, l'enclanchement ou l'arrêt du papier,
quelques instants après que l'appareil électromagnétique a cessé de
fonctionner ou que le courant cesse d'agir. Il a mis enfin ces diverses
fonctions d'un même mécanisme à l'abri de toutes les réactions et de
toutes les perturbations qui pourraient les troubler (1). Jusqu'ici
toutefois, ces perfectionnements n'avaient pu être réalisés que sur des
récepteurs à pointe sèche, et, pour les étendre aux récepteurs à pointe
humide devenus d'un usage presque universel, il fallait : 1° fixer le
bras de déclanchement au ressort du levier imprimeur pour qu'il pût le
suivre dans tous ses mouvements ; 2° inventer un mode nouveau d'encrier
et d'encrage qui satisfit à toutes les conditions du problème. Or, nous
avons été heureux de voir par nos propres yeux que M. Sortais avait
surmonté ces dernières difficultés de la manière la plus ingénieuse et
la plus efficace. Son godet-encreur, de forme conique, avec son double
retrait intérieur s'opposant à la sortie brusque de l'encre ; avec son
petit tire-ligne et la broche qui le maintient à distance tant que le
moment d'écrire n'est pas venu ; avec son couvercle et l'appendice
circulaire qui détermine un repérage certain, est un véritable petit
chef-d’œuvre qui nous a frappé d'admiration. Le déclanchement, le tracé
de la dépêche, l'enclanchement, se font avec une régularité et une
précision extraordinaires, et ces modifications si importantes peuvent
être réalisées à très-peu de frais sur tous les appareils
existants.
F. MOIGNO.
(1) Ces divers perfectionnements ont été appliqués
aussi bien sur les appareils imprimeurs, qu'à pointe sèche ; le système
de godet-encreur, avec tire-ligne, est la partie toute nouvelle, et qui
n'a encore été appliquée que sur des appareils à pointe sèche.
PARIS. — Imprimerie de A. PARENT, rue Monsieur-le-Prince,
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