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E. de La Quérière : Saint-Cande-le-Jeune, église paroissiale de Rouen, supprimée en 1791 (1858)
LA QUÉRIÈRE, Eustache de  (1783-1870) :  Saint-Cande-le-Jeune, église paroissiale de Rouen, supprimée en 1791.- Rouen : chez tous les libraires, 1858.- 24 p.-1 f. de pl. ; 21 cm.
Saisie du texte : S. Pestel pour la collection électronique de la Médiathèque André Malraux de Lisieux (25.IV.2012)
Texte relu par : A. Guézou
Adresse : Médiathèque André Malraux, B.P. 27216, 14107 Lisieux cedex
-Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01
Courriel : mediatheque@cclisieuxpaysdauge.fr, [Olivier Bogros] obogros@cclisieuxpaysdauge
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Diffusion libre et gratuite (freeware)
Orthographe et graphie conservées.
Texte établi sur l'exemplaire de la médiathèque (Bm Lx : norm 69) .

Saint-Cande-le-Jeune, église paroissiale de Rouen


SAINT-CANDE-LE-JEUNE
ÉGLISE PAROISSIALE DE ROUEN,
SUPPRIMÉE EN 1791 ;
PAR
E. DE LA QUÉRIÈRE
Membre de la Société impériale des Antiquaires de France,
des Sociétés des Antiquaires de Normandie et de Picardie, de l’Académie des Sciences,
Belles-Lettres et Arts de Rouen, et d’autres Sociétés savantes.


AVEC UNE PLANCHE GRAVÉE SUR CUIVRE.


~*~

SOUVENIRS D’UN ANTIQUAIRE.

Dans la rue aux Ours, presque en face d’une ruelle appelée la rue Cabot, l’observateur curieux des anciens monuments repose ses regards avec intérêt sur une tour gothique de la fin du quinzième siècle ou du commencement du seizième, de forme carrée, et dont les ouvertures ogivales, garnies d’ouïes, indiquent la place d’un beffroi.

C’était le clocher de l’église Saint-Cande-le-Jeune, supprimée en 1791. Cette tour, couronnée d’une balustrade gothique, servait de base à une remarquable flèche en bois (1) revêtue de plomb, laquelle a été démolie en 1792 et remplacée par une construction en brique d’assez mauvais goût, destinée à servir de belvédère. Cette flèche, avec clochetons et autres ornements, se terminait par une croix surmontée d’un coq. Quatre petites pyramides en pierre l’accompagnaient à sa base, portées sur les angles de la balustrade.

L’angle nord-ouest de la tour est flanqué d’un escalier en hélice, pratiqué dans une tourelle dont le toit conique est décoré d’une girouette en forme de dragon, de fabrique moderne.

L’église Saint-Cande-le-Jeune était orientée comme toutes les anciennes églises du moyen-âge. Son chevet rectangulaire, percé d’une grande fenêtre, s’aperçoit encore, tout mutilé qu’il est, dans la rue du Petit-Salut. Le portail était au bas de la nef et de côté, comme à la plupart des églises de la ville, qui, bordant la rue, avaient leur pignon engagé dans les habitations particulières (2).

Le corps de l’église, la voûte en bardeau, les fenêtres nord et sud, ainsi que le portail principal sur la rue aux Ours, dataient du quatorzième siècle. Cependant, une fenêtre, encore existante au pignon à l’ouest, dont les compartiments sont du style flamboyant (3), indique là une construction du quinzième siècle. A la même époque, ou plutôt au commencement du seizième siècle, un porche et deux chapelles, dont nous parlerons tout-à-l’heure, avaient été ajoutés hors œuvre.

La fondation de cet ancien monument religieux remonte au onzième siècle. Les chroniqueurs attribuent son érection, sous le nom de Saint-Victor, qu’il perdit dans la suite pour prendre celui de Saint-Cande-le-Jeune, à un combat singulier qui eut lieu dans les circonstances que voici :

« L’an 1047, estant duc de Normandie Guillaume le Conquérant, environ trois ans avant la bataille de Dunes, au mois de Iuillet, il y eut un duel sanglant entre Iacques du Plessis et Thomas de Lépiné, seigneur du Neubourg. La cause de ce combat fut que le sieur du Plessis avoit publié par tout que la femme de Iean comte de Tancarville, sœur du dit de Lépiné, avoit fait bréche à son honneur en se laissant abuser par un nommé Edmont ; mais la mort du dit sieur du Plessis, qui fut tué sur la place, fit revivre la bonne renommée de cette dame, et bienstot apres, aux dépens du vainqueur et du comte (4) son beau frere, fut construite l’église de Saint-Victor de Roüen, qu’on nomme maintenant saint Cande le Ieune.

» Pour sçavoir comment cette église de saint Victor a si tost changé de nom, il faut revoir le chapitre precedent, où j’ay dit que les reliques de saint Cande furent jettées autresfois dans le feu en une place publique, qui est celle là meme où estoit construite la chappelle de saint Victor, et où l’on vendoit de la volaille et principalement des oyes, et c’est pour cette raison qu’on dit vulgairement la rüe aux Oües (5), qui est un vieil mot gothique qui veut dire la rüe aux Oyes ; ce fut en ce méme lieu (disent nos chroniques) que fut fait ce duel. Or, d’autant que les reliques de S. Cande demeurerent suspendües en l’air au milieu des flames qui n’oserent les toucher, les fidelles en dresserent un procez verbal et l’envoyerent au pape, qui, estant deüement informé du miracle, ordonna que cette église, qui s’appelloit saint Victor, seroit nommée pour l’avenir saint Cande le jeune, pour la distinguer de l’autre, qui, estant appelé saint Cande sur Rive, prit le nom de saint Cande le Vieil.

» Les chanoines de saint Cande le vieil ont, depuis ce temps là, fait tout leur possible pour conserver à ce saint oratoire le nom que le saint-père luy avoit donné, et pour cét effet ils l’ont honoré d’vne partie de leurs reliques, ce qui fut fait par le commun consentement de leur chapitre, l’an 1588, le 14 aoust (6). »

La relation ci-dessus ne nous apprend rien de précis quant à l’époque à laquelle l’église Saint-victor perdit son nom pour prendre celui de Saint-Cande-le-Jeune. Toutefois, nous pensons que ce changement de nom se fit antérieurement au treizième siècle. Le pouillé d’Eudes Rigaud (7), archevêque de Rouen, qui vivait au temps de saint Louis, fait mention en ces termes de l’église Saint-Cande-le-Jeune :

« Ecclesia sancti Candidi minoris. Parochiani 104. Valet 40 l. Episcopus Lexoviensis patronus. Archiespiscopus Odo Rigaldi recepit Nicolaum de Trubeville ad dicti episcopi presentationem. Item magistrum de Bello-Campo, Robertum. »

« L’église de Saint-Cande-le-Jeune. 104 paroissiens. Vaut 40 livres. L’évêque de Lisieux a le patronage. L’archevêque Eudes Rigaud a reçu sur la présentation dudit évêque Nicolas de Trubeville, et maître Robert de Beauchamp. »

Il existe au musée des antiquités de la ville de Rouen un petit vitrail fort joli, sous forme de médaillon ovale, lequel représente le miracle apocryphe des reliques de saint Cande. Le costume des guerriers qui figurent dans cette scène appartient au règne de Henri IV. Le dessin en est très fin et très correct, et les physionomies ont beaucoup d’expression.

L’église Saint-Cande-le-Jeune se composait d’une seule nef sans bas-côtés. La voûte était en bois, affectant la forme d’un berceau ogival, et l’intersection des nervures était ornée de rosaces découpées à jour et portant des écussons armoriés.

Dans le haut de la nef, du côté sud, on avait pratiqué deux chapelles contiguës l’une à l’autre et faisant saillie dans le cimetière : l’une était sous l’invocation de la Sainte-Vierge, l’autre était appelée de la Résurrection ou de Grémonville, du nom de la famille qui l’avait fait bâtir. Toutes deux étaient voûtées en pierre, et couvertes d’une terrasse entourée d’une balustrade dans le style gothique.

Deux portes donnaient entrée à l’église, au bas de la nef. Le portail principal, s’ouvrant, comme nous l’avons dit, sur la rue aux Ours, était accompagné d’un porche porté sur deux piliers et voûté en pierre, avec des nervures et une rosace au centre (8). Ce porche était précédé d’un avant-portail, bâti sur la rue même en 1663, dans le style de cette époque. L’autre porte, de moindre importance et sans aucune ornementation, avait son ouverture au nord, sur un très petit cimetière, depuis longtemps abandonné. C’était ce qu’on appelait l’Aître de Saint-Cande, dont la porte, a deux vantaux et à guichet, se voit encore sur la rue du Petit-Salut.

Dans les derniers temps, on avait construit, au-dessus du porche dont il vient d’être parlé, une chambre ou salle d’assemblée des trésoriers de la paroisse, communiquant à la maison presbytérale. Cette salle était surmontée d’une terrasse entourée d’une balustrade fort simple en fer (9).

Douze fenêtres éclairaient l’église, savoir : quatre au nord, quatre au midi, une à l’ouest, une au chevet, fort belle, divisée par deux meneaux et formant trois travées, dont une portion était masquée par le contre-retable et plâtrée dans sa partie inférieure. Enfin, deux fenêtres étroites à un meneau avaient été pratiquées dans la voûte, à droite et à gauche du sanctuaire. A l’extérieur, ces dernières présentaient un pignon décoré de chardons et accompagné de deux gargouilles.

La plupart des vitres étaient garanties des accidents du dehors par des châssis recouverts d’un treillis en fil de laiton (10). Huit lucarnes vitrées en verre blanc avaient été, après coup et successivement, établies sur la toiture, afin d’éclairer la voûte.

La principale décoration de cette paroisse, comme de toutes celles de la ville de Rouen, consistait dans ses peintures sur verre.

Les marguilliers avaient fait remplacer quelques panneaux par du verre blanc, pour y voir plus clair, comme cela a été pratiqué malheureusement trop souvent dans d’autres églises, par exemple à Saint-Nicaise et à Saint-Vivien de Rouen, et dans plusieurs cathédrales, au nombre desquelles nous pouvons citer en première ligne celles de Paris et d’Amiens, qui ont été presque entièrement dépouillées de leurs vitraux peints.

Ainsi, dans une délibération de la fabrique, à la date du 31 décembre 1758, il a été exposé « qu’il convenait de mettre en verre blanc la croisée proche le chœur, à côté de l’image de saint Cande ; une petite croisée donnant sur le confessionnal dans la chapelle de la Vierge (11), et une troisième proche la grande porte de l’église, qu’il faut mettre en verre blanc seulement à la hauteur d’environ trois pieds. Et pour éclairer de plus en plus l’église, il serait à souhaiter que l’on pratiquât deux nouvelles croisées dans le bas, en forme de lucarnes, de la même hauteur et de la même largeur que celles qui sont les plus voisines. »

La voûte en bardeau reposait sur des poinçons et des entraits sculptés de rageurs ; elle avait été construite pour la plus grande partie au quatorzième siècle, ainsi que nous l’avons dit en commençant cette notice. On l’avait repeinte en 1752 (12). A cette époque, la portée des sommiers était pourrie de vétusté. Il y eut alors de grandes réparations de charpenterie, de menuiserie, de peintures, etc.

Tout le mobilier, tel que les autels, les stalles hautes et basses, les confessionnaux, la chaire à prêcher, était de construction moderne, de même que les bancs et les grilles du chœur.

Le maître-autel avait été refait sous le règne de Louis XIV, en bois de chêne, avec peintures et dorures, et des anges pour amortissement (13).

La chaire à prêcher, en beau bois de chêne et fixée au mur du côté du nord, était de la plus grande simplicité (14).

Le chœur était pavé en marbre et élevé de deux marches. Aux deux côtés du sanctuaire étaient deux tables de marbre soutenues par des supports en fer (15).

La grille principale de l’entrée du chœur avait été refaite plus richement avec enroulements ; les ornements étaient en cuivre (16).

En remplacement de vieux bancs, quarante-quatre bancs en bon bois de chêne, sans aubier, furent exécutés pour occuper la nef depuis les stalles du chœur jusqu’aux portes de l’église (17). Le marché porte qu’ils « seront deux à deux, de la profondeur de 2 pieds 8 pouces, de dedans en dedans des traverses, et de la hauteur de 3 pieds et demi, à partir de terre jusqu’au dessus de la traverse. » Quoiqu’il ne soit fait mention ici que de quarante-quatre bancs, l’église en a toujours contenu davantage. Ainsi, en 1719, il y avait cinquante-cinq bancs, lesquels étaient loués depuis 2 livres jusqu’à 6 livres 10 sous ; en 1740, cinquante-et-un bancs, payés depuis 2 et 3 livres jusqu’à 12 livres ; en 1784, cinquante-quatre bancs, payés 5 et 6 livres, et jusqu’à 12 et 15 livres par an.

Parmi les images qui décoraient cette petite église, on remarquait un Ecce Homo en relief, à la muraille près de la grande porte ; la statue de la Vierge entièrement dorée, dans la chapelle qui portait son nom ; saint Cande dans le chœur à gauche, et saint Victor, autre patron de la paroisse à droite, du côté de la sacristie.

Les mémoires quittancés parlent d’un saint Jean, lequel faisait sans aucun doute partie d’un calvaire placé, suivant l’usage, sous la voûte, entre la nef et le chœur (18).

Dans les solennités, des tapisseries étaient tendues à l’intérieur de l’église (19).

Une natte couvrait le pavé du chœur pendant l’hiver. Elle était levée à Pâques et replacée à la Toussaint (20).

Un tableau peint, représentant un soleil avec deux anges, était fixé au mur extérieur du sanctuaire (21).

Les murailles n’offraient au dehors aucun sujet sculpté, excepté aux chapelles, où l’on voyait en relief, sur deux petits encorbellements, un homme nu affourché sur un lion et un griffon, que l’auteur de cette notice a sauvés de la destruction et déposés au musée d’antiquités du département, en même temps qu’une petite porte gothique en bois de chêne, qui fermait l’entrée de l’escalier de la terrasse des chapelles.

On a retrouvé et l’on conserve encore dans cette église, aujourd’hui à usage de magasin, une pierre plate portant une inscription gravée en caractères gothiques, dont le creux est rempli d’un mastic noir, avec la date de 1438 ou 1448 ; c’était une épitaphe destinée à rappeler le souvenir d’une fondation pieuse. Cette pierre était autrefois encastrée dans le mur de la chapelle de la Vierge.

Voici l’inscription, que nous avons relevée nous-même :

texte en gothique 1
texte en gothique 2


En marge de la pierre, à main gauche, en haut et en bas, sont deux écussons : le premier porte de gueules à la tour d’or ; le second parti, au premier, de gueules à la tour d’or, et au second, de gueules à trois gerbes de blé d’or posées deux et une ; un semis d’étoiles d’or sur le fond.

La construction d’une nouvelle sacristie, en remplacement de l’ancienne, fut opérée pour la somme de 3,000 livres, suivant un marché à la date du 22 avril 1763, lequel est accompagné d’un devis et de plans, où l’on voit la fenêtre sud du sanctuaire avec ses compartiments dans le style du quinzième siècle. Cette sacristie avait son pignon sur la rue aux Ours et sa façade sur la rue du Petit-Salut (22).

La couverture du grand comble était de tuile. En 1772, il fut question de remplacer la tuile par l’ardoise, et de couvrir les noues et les faîtages en plomb ; mais ce projet ne fut pas mis en exécution. La dépense était estimée à 4,600 livres, y compris la terrasse de dessus les chapelles à repiquer en ciment.

Un autre devis du même temps fait voir combien peu les édifices gothiques étaient alors en estime. Il porte la suppression des quatre gargouilles faisant saillie sur la rue, aux deux pignons nord et sud du chœur, et leur remplacement par des chéneaux, pourquoi il est dit qu’il faudra « retailler toutes les saillies faisant avant-corps sur la maçonnerie et vider les angles. »

L’église avait de longueur, de dedans en dedans, 97 pieds, et de largeur 36 pieds. La hauteur totale de l’édifice était de 50 pieds environ sous clef de voûte. Ces mesures sont relevées du mémoire de peinture de la voûte, en 1752 (23).

La sonnerie de Saint-Cande-le-Jeune se composait de trois cloches d’un timbre agréable et d’une grande justesse de ton (24). Les jours de fête, les sonneurs jouaient en carillon une partie de l’air si connu du Bon roi Dagobert.

Dans les grandes solennités, ils carillonnaient l’air noté ci-dessous, et que je n’ai point entendu ailleurs :

portée 1


A la Cathédrale de Rouen, on ne carillonnait pas des airs connus ; mais aux grandes fêtes on faisait sur les huit cloches formant la gamme diatonique, et dont la plus grosse pesait 15,000 livres, des gammes montantes et descendantes ainsi modulées :

portée 2


La circonscription de la paroisse de Saint-Cande-le-Jeune était fort resserrée. Elle comprenait la partie est de la rue aux Ours, d’un côté, jusqu’à la maison nos  30-32, que l’on a reconstruite tout récemment en pierre de taille, et de l’autre côté, jusqu’à la maison n° 37, en face de la précédente, inclusivement ; la rue et le cul-de-sac du Petit-Salut ; le côté ouest de la rue Grand-Pont, depuis la place de la Cathédrale jusqu’à la maison n° 61, inclusivement, laquelle est occupée depuis un temps immémorial par un tabletier (25) ; et enfin, le côté est de cette rue jusqu’à la rue de la Madeleine, à l’entrée de laquelle on dressait un reposoir lors des processions du Saint-Sacrement.

Le personnel de l’église se composait d’un curé et d’un vicaire, de clerc, diacre, sous diacre, acolytes, porte-croix, enfants de chœur, et enfin d’un bedeau (26), sans compter les sonneurs et autres gens de peine.

L’abbé de La Barre, frère d’un notaire de Rouen, fut le dernier curé, et l’abbé Fortier le dernier vicaire de cette paroisse. Ces deux respectables ecclésiastiques, n’ayant pas voulu prêter le serment exigé des fonctionnaires publics, furent obligés de s’expatrier. L’abbé de La Barre rentra en France un peu avant le coup d’Etat du 18 fructidor an V (1797), qui le força à se cacher (27) jusqu’au jour où une nouvelle ère politique, s’ouvrant avec le 18 brumaire an VIII (1799), lui rendit la liberté. L’état de sa santé ne lui permettait plus d’exercer le ministère, et, après le concordat, il accepta une place de chanoine honoraire à la Cathédrale de Rouen. L’abbé Fortier occupa une cure de campagne dans le département.

Nous demanderons la permission de raconter ici un épisode de la vie tourmentée de l’abbé de La Barre.

Après le renversement du trône au 10 août 1792, les prêtres qui avaient refusé le serment exigé furent obligés de sortir de France, en vertu d’un décret de l’Assemblée législative, en date du 26 août de la même année. Ceux qui appartenaient à Rouen et aux environs de cette ville avaient conclu un marché avec deux capitaines de navires pour leur transport à Ostende. Un premier embarquement eut lieu à Rouen, le 3 septembre 1792, à dix heures du soir. L’abbé de La Barre s’y trouvait. On mit à la voile, et tout alla bien jusqu’à Quillebeuf, où l’attente de la marée força à relâcher.

Cependant une sourde rumeur avait soulevé le peuple de cette petite ville. La multitude se répandit bientôt en invectives et en menaces contre ces pauvres exilés, qu’elle regardait comme des traîtres et des ennemis de la patrie. Elle les contraignit à descendre du navire, les maltraita et les retint enfermés dans l’église du lieu, comme une prison.

Le curé de Saint-Cande-le-Jeune était un homme fort doux et si timide, qu’il lui était impossible de prêcher. Cependant ce fut lui qui, le premier, eut le courage de descendre du navire au milieu des vociférations d’un peuple égaré.

Aussitôt, avis fut donné à Rouen de la situation périlleuse de ces ecclésiastiques. M. de La Barre, notaire, vint en toute hâte à leur secours, à la tête d’un fort détachement de la garde nationale et avec du canon, les délivra et les ramena à Rouen sains et saufs. Là, ils firent changer leurs passeports, et de concert avec les passagers du deuxième navire, qui avaient rebroussé chemin en apprenant l’événement de Quillebeuf, ils prirent les uns la route de Dieppe, les autres la route du Havre, d’où ils passèrent en Angleterre.

L’église Saint-Cande-le-Jeune fut fermée le 30 avril 1791, comme toutes celles dont la suppression avait été décidée par la loi du 23 février de la même année. Le 5 mai suivant, le recensement du mobilier fut dressé et signé par deux des ex-trésoriers, Enault et Jean-Baptiste Legras, tous deux négociants, et par Goube, administrateur du district. Il ressort de cet inventaire qu’il y avait trente chasubles, seize tuniques, quarante-deux étoles, vingt-trois chapes, etc. ; trois cloches dans le clocher, une croix de cuivre argenté, deux bras pour les images ; un lustre en perles (ailleurs il est dit lustre en cristal) ; une bannière, deux lanternes, l’une pour la procession du Saint-Sacrement, l’autre pour le Saint-Viatique ; un aigle en cuivre, un confessionnal dans la seconde chapelle, au-dessous de la sacristie, etc., etc.

En 1791, la ville de Rouen renfermait, en outre des églises conventuelles en grand nombre, trente-six églises paroissiales. On en supprima vingt-quatre, dont treize furent réunies à Notre-Dame, église cathédrale, et six nouvelles paroisses furent créées dans les quartiers qui en manquaient, au moyen des églises devenues libres par suite de la suppression des couvents, en sorte qu’il ne resta plus que treize églises paroissiales et cinq succursales, en tout dix-huit églises.

Lorsque parut l’ordre de clôture des paroisses supprimées, au nombre desquelles était Saint-Cande-le-Jeune, des officiers municipaux vinrent, un jour de dimanche, s’asseoir au chœur dans les stalles des titulaires ecclésiastiques, et, après la grand’messe, ils donnèrent lecture des décrets de l’Assemblée nationale. Ce fut un sujet d’affliction pour les fidèles, dont les habitudes et les affections se trouvaient ainsi tout-à-coup brisées. Mais la loi avait prononcé, il fallut se résigner.

A ce déplaisir se joignait une autre cause de perturbation. Un dissentiment, ou plutôt un schisme, s’élevait irritant dans le sein du clergé, à l’occasion du serment exigé des prêtres, considérés comme fonctionnaires publics. Le curé et le vicaire de Saint-Cande-le-Jeune, s’étant refusés à prononcer ce serment, n’avaient pas été compris parmi ceux que l’on avait replacés à la tête des paroisses conservées ou récemment créées. Les nouveaux curés avaient été nommés par les électeurs, suivant le mode établi par l’Assemblée nationale dans ses décrets concernant la constitution civile du clergé. A cette occasion, autant pur applaudir aux choix déjà faits que pour chagriner les réfractaires à la loi, les cloches de plusieurs paroisses, celles de Saint-Cande-le-Jeune entre autres, sonnèrent assez longtemps et à plusieurs reprises, mises en grande volée par les domestiques des négociants du quartier, presque tous partisans de la révolution. Celui de mon père avait été embauché pour cette corvée.

Le 18 février 1792, l’église Saint-Cande-le-Jeune, la maison presbytérale et les bâtiments au nord, sur l’ancien cimetière (l’aître de Saint-Cande), occupés par le vicaire et par un maître de classes qui, par parenthèse, enseignait les premiers éléments de l’instruction aux enfants des maisons du voisinage avec une sévérité inconnue de nos jours, furent vendus en une adjudication publique à Louis-Thomas et François-Prosper Quesnel frères, négociants, demeurant dans la rue aux Ours, pour la somme de 125,000 fr.

Bientôt commencèrent les travaux d’appropriation de l’édifice à sa nouvelle destination. Le vaisseau fut coupé dans sa hauteur par des planchers et converti en magasin. On creusa une cave embrassant toute la longueur de l’église, et l’on perça deux portes, l’une à travers le mur du pignon à l’ouest, pour communiquer à la maison de MM. Quesnel frères, l’autre à l’extrémité opposée, pour se procurer un accès facile par la rue du Petit-Salut.

Sans doute qu’à une époque où les arts du moyen-âge auraient été plus honorés, on eût pris souci de la conservation de quelques parties de décoration dont la destruction était tout-à-fait inutile. C’est ainsi qu’on démolit le clocher et que les vitraux peints furent brisés et les baies des fenêtres murées. Mais alors les hommes les plus intelligents ne se faisaient aucun scrupule d’anéantir des œuvres qu’aujourd’hui l’on s’efforcerait de conserver, les intérêts pécuniaires des propriétaires dussent-ils même en souffrir.

Le sentiment qui nous attache aux lieux qui nous ont vus naître nous fait aimer aussi les premiers objets qui ont vivement frappé nos yeux et notre imagination. Quoi de plus imposant, de plus merveilleux pour un enfant à son entrée dans la vie, que la pompe des cérémonies religieuses du catholicisme, que la vue d’une église dont la voûte semble monter au ciel et dont les fenêtres sont décorées de vitraux à personnages diversement coloriés ! Ces lumières, ces chants, ces joyeuses volées des cloches qui retentissaient dans les airs, avaient fait sur moi, tout enfant que j’étais, une impression profonde. Aussi la fermeture, et par suite la mutilation de cette petite église, où, sous l’aile d’une pieuse et tendre mère (28), j’étais allé rendre mes premiers hommages à la Divinité, fut pour mon cœur une sensible blessure. Avec quels regrets j’entendis le marteau, la hache et la scie employés tour à tour avec une sorte d’empressement barbare à abattre cette flèche élancée, dont la contemplation avait pour moi tant de charme ! Avec quelle amertume je vis arracher et briser en morceaux ces belles verrières d’un effet si prestigieux !

Cependant le monument, tout mutilé qu’il était, existait encore dans sa masse, et il resta ainsi l’espace de trente-deux années. Mais, en 1824, un dernier coup lui fut porté : on démolit les deux chapelles qui faisaient saillie dans le cimetière, la sacristie et le pignon de l’abside de l’église, autour de laquelle on éleva des habitations particulières. Du côté de la rue aux Ours, on ne vit bientôt plus de l’ancien aspect extérieur que la fontaine (29), adossée au mur du cimetière, sur laquelle le temps exerce ses ravages, et qui disparaîtra elle-même, si l’on ne se hâte de remédier au mal.

C’est alors que j’eus la pensée de faire dessiner cet ancien édifice religieux par mon collaborateur (30), et ami de regrettable mémoire, le savant et habile artiste E.-H. Langlois, du Pont-de-l’Arche. Grâce à son crayon, j’ai pu reconstruire, en quelque sorte, et sauver de l’oubli un monument auquel se rattachaient les souvenirs de mon enfance : l’église paroissiale de Saint-Cande-le-Jeune, dont la gravure ci-jointe reproduit une vue prise du côté du midi.

Cette vue a été attribuée par Langlois à Mlle Espérance, sa fille, jeune personne alors, bien que lui-même y ait certainement contribué pour une bonne part.

Les documents que je me suis procurés ont permis à l’habile graveur M. Brevière, artiste rouennais, de refaire les meneaux des fenêtres avec une entière certitude de leur forme primitive, et je dois le rétablissement heureux de la flèche du clocher avec ses accompagnements à l’amitié de M. Desmarest, architecte en chef du département, qui s’est aidé pour cela des vues de Rouen de Bacheley, dont on connaît la parfaite exactitude.



NOTES :
(1) Taillepied, dans son Recueil des Antiquitez et Singularitez de la ville de Rouen, met le clocher de Saint-Cande-le-Jeune au nombre de ceux qui sont à citer. C’est ce que l’auteur de cette Notice a omis de dire, lorsqu’il a parlé pour la première fois de cette église. (Description historique des Maisons de Rouen, etc., tome 1er, p. 165.)
(2) Nous citerons pour exemples Saint-Herbland, Saint-Pierre-l’Honoré, Sainte-Marie-la-Petite, Saint-Vigor, Saint-Pierre-le-Portier, Saint-Cande-le-Vieux. – Saint-André-de-la-Ville était une exception.
(3) Cette expression si heureuse appartient à E.-H. Langlois, du Pont-de-l’Arche.
(4) Le comte de Tancarville avait son château dans le voisinage, à l’endroit où depuis fut fondé le couvent des Cordeliers.
(5) D’où, par corruption, l’on a fait la rue aux Ours.
(6) Histoire de la ville de Rouen, par Farin ; Rouen, 1668, édit. in-12, 2e partie, pages 235 et 236.
(7) Le manuscrit du pouillé d’Eudes Rigaud est aujourd’hui à la Bibliothèque impériale ; mais il en existe une copie dans les archives du département de la Seine-Inférieure.
(8) A l’église Saint-Nicolas, supprimée en 1791 et démolie en 1840, nous avons remarqué un porche dans une disposition tout-à-fait semblable. A Saint-Godard, le portail sud était également précédé d’un porche, dont les arrachements sont encore visibles.
(9) Elle avait été construite par Jean-Pierre de France, architecte, demeurant à Rouen, rue des Faulx, paroisse de Sainte-Croix-Saint-Ouen, suivant marché passé le 16 octobre 1740, pour le prix de 1,000 livres. Les archives de la paroisse s’y trouvaient lors de la suppression de l’église. Nous voyons cependant que, le 18 février 1739, il avait été commandé une armoire en bois de chêne, destinée à recevoir les papiers des archives, et qui devait être placée dans un petit être d’environ 60 pieds de hauteur de la tour du clocher. On devait percer une ou deux ouvertures dans le mur de la cour pour éclairer l’escalier. L’armoire dont nous venons de parler existait encore en 1791.
(10) Le 15 janvier 1759, payé pour la garniture en fil de laiton d’un cadre pour la conservation d’une vitre, contenant 9 pieds et demi, à 16 sous le pied, la somme de 7 livres 12 sous. (Archives du département.)
(11) Le confessionnal devait être en face de l’autel. La petite croisée dont il est parlé devait prendre jour à l’ouest. Il s’ensuit que la chapelle de la Vierge était la première à main droite en entrant dans l’église, et que la chapelle de Grémonville était la seconde.
(12) Suivant le mémoire de Le Prince, peintre-doreur, acquitté le 15 novembre 1752, au prix fait avec le curé et les trésoriers de 1 livre 15 sous de la toise, pour deux couches de peinture à l’huile et de couleur grise.
(13) Suivant marchés des 27 septembre 1672 et 16 avril 1674, conclus avec Martin Malandrin, peintre et sculpteur à Rouen, moyennant la somme totale de 3,030 livres, pour l’exécution du contre-retable en bois de chêne étoffé, comme celui de Saint-Herbland.
(14) Marché passé le 11 août 1757, avec Jacques Rivière, menuisier pour une chaire à prêcher et un confessionnal dans la chapelle de la Vierge, moyennant la somme de 700 livres. En sus de cela, 48 livres ont été payées pour avoir verni les deux meubles.
(15) « Au serrurier, fourniture de six supports de fer pour porter deux tables de marbre aux deux côtés du sanctuaire. » (Comptes de l’année 1739.)
(16) Suivant marché arrêté le 5 juin 1737, avec André Leclerc, serrurier, et conformément au dessin paraphé, moyennant la somme de 524 livres.
Dans le mémoire de Thibault, serrurier, pour l’année 1722, il est parlé de la porte du jubé ; c’était la grille qui fermait le milieu du chœur. Il est aussi parlé de la porte des Carolles ; c’était la grille du chœur du côté de la sacristie.
(17) Marché passé le 30 juin 1760, avec Jacques Rivière, menuisier.
(18) Comptes de 1662 et 1663 : payé au sculpteur 4 livres 10 sous, pour avoir raccommodé l’image Saint-Jean, et 45 sous au charpentier, pour avoir monté sa grue pour raccommoder la dite image.
(19) Suivant  le mémoire fourni par Thibault, serrurier, « le 17 mars 1740, fait trente-deux crochets pour servir à porter des bâtons tout autour de l’église, pour porter des tapisseries, à 15 sous la pièce, soit 24 livres. » Dans les années 1776, 1777 et suivantes, Guérard, tapissier, est mentionné avoir reçu 30 livres pour la tenture de l’église.
(20) Mémoire de Bertelin, nattier, montant à 5 livres, somme qui lui a été payée suivant quittance, à chacune des années 1172, 1774, 1779, 1780 et 1781.
(21) Le 19 septembre 1758, il a été payé à Létan, peintre, rue Boudin, 18 livres pour un tableau représentant un soleil avec deux anges, lequel doit être attaché derrière le chœur. – N.B. Dans les compte[s] de 1662-1663, on voit qu’il avait été payé seulement 6 livres au peintre qui avait exécuté le tableau de Saint-Sacrement, derrière le chœur de l’église.
(22) Archives du département.
(23) Sur ce mémoire, la longueur du côté de l’Evangile est portée à 97 pieds, tandis que l’autre côté n’est compté que pour 85 pieds seulement, à cause de la tour du clocher qui faisait saillie dans cette partie de la nef.
(24) Le 10 mai 1741, le marteau de la grosse cloche fut raccommodé ; il pesait 28 livres et demie. Or, d’après la règle proportionnelle qu’observent les fondeurs, cette cloche devait peser 1,260 livres, le battant étant ordinairement d’environ le trentième du poids de la cloche. La deuxième cloche devait peser à peu près 800 livres, et la troisième 600 livres.
(25) Il y a soixante-dix ans, le tabletier-ivoirier qui occupait cette maison s’appelait M. Foureau, qui céda la suite de ses affaires à son neveu M. Duhomme. Le fils de ce dernier continue le commerce de son père ; mais la boutique fort modeste de ses prédécesseurs a été convertie par lui en un magasin décoré avec le luxe qui préside à présent à l’ornementation des boutiques et qui tend à s’accroître tous les jours.
(26) Le bedeau recevait par an (comptes de 1750 à 1784) 50 livres pour ses gages, 30 livres pour le balayage des rues autour de l’église, plus 16 livres 13 sous pour tous les saluts et obits de la paroisse. Dans les comptes des trésoriers, de Pâques 1699 à Pâques 1700, on voit que les deux petites boutiques qui étaient derrière le chœur et adossées à l’église, dans la rue du Petit-Salut, étaient louées au bedeau la somme de 18 livres par an.
(27) Son frère lui avait donné asile dans sa maison ; mais la tolérance de l’autorité était telle, qu’il n’y fut jamais inquiété. Je l’accompagnais dans ses promenades du soir, et il se plaisait à rappeler que j’étais son premier baptême.
(28) Ma mère, née de Mauroy, d’une ancienne famille de Troyes, était une femme du plus rare mérite.
(29) Le 30 novembre 1708, demande fut faite par les maire et échevins de la ville de Rouen aux trésoriers, qui l’accordèrent, d’une petite portion du cimetière de la paroisse de Saint-Cande-le-Jeune, de 12 pieds de longueur sur 3 de profondeur, pour y établir et entretenir, aux frais et dépens de la ville, une fontaine publique, le long du mur du cimetière, rue aux Ours, en face de la rue Cabot. (Registre des délibérations aux archives du département.)
(30) Description historique des Maisons de Rouen, etc., etc., ornée de vingt-et-un sujets inédits, dessinés et gravés par E.-H. Langlois. Paris, 1821.

Rouen – Imp. de D. BRIÈRE, rue Saint-Lô, n° 7.



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