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L. Garros : Le sucre de pomme de Rouen (1926)
LE ROY, G. A. (18..-1925) :  Le sucre de pomme de Rouen (1926).
Saisie du texte : S. Pestel pour la collection électronique de la Médiathèque André Malraux de Lisieux (31 mai 2013)
Texte relu par : A. Guézou
Adresse : Médiathèque intercommunale André Malraux, B.P. 27216, 14107 Lisieux cedex
-Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01
Courriel : mediatheque@lintercom.fr, [Olivier Bogros] obogros@lintercom.fr
http://www.bmlisieux.com/

Diffusion libre et gratuite (freeware)

Orthographe et graphie conservées.
Texte établi sur l'exemplaire de la Médiathèque (Bm Lx : Norm GF) de La Normandie Illustrée : revue de tourisme et d'art, n°3 - juin 1926.


Le sucre de pomme de Rouen

Son histoire - Sa fabrication
par
G. A. Le Roy
_____

Nous extrayons des travaux de l’éminent chimiste G.-A. Le Roy, décédé l’année dernière, et qui fut directeur du Laboratoire municipal agréé de Rouen, de 1907 à 1925, l’article suivant que nous sommes heureux d’offrir à nos lecteurs :

La ville de Rouen, capitale de la Normandie – province « pommifère », si l’on peut s’exprimer ainsi – paraît avoir été le berceau du sucre de pommes, produit fameux d’une très ancienne réputation mondiale, jadis offert aux Rois et Souverains par l’Edilité rouennaise, à titre de don ou de souvenir local et joint aux « présents d’honneur », en usage depuis l’entrée de Henri II à Rouen (1550).

Cette spécialité de confiserie semble avoir pris naissance dans l’officine des apothicaires qui, autrefois, monopolisaient presque les préparations à base de sucre, tout en formant avec les épiciers et ciriers une corporation ou confrérie, sous le titre de Corporation des Apothicaires, Epiciers et Ciriers, dans laquelle furent incorporées, à la fin du XVIIIe siècle, les confiseurs proprement dits.

Les apothicaires possédaient, au début, le maximum de droits et d’attributions dans la corporation, dont deux jetons avers et revers sont reproduits ci-après. Certains statuts, datant de 1514, définissent leur rôle par la formule suivante : Qui est espicier n’est pas apothicaire, mais qui est apothicaire est espicier.

Il paraîtrait que, dès le XVIe siècle, les apothicaires rouennais ayant la haute main dans la corporation, furent à même de fabriquer les sirops, les électuaires et autres préparations où le suc de pommes était associé au sucre. C’est ainsi que dans la Pharmacopée Universelle du célèbre rouennais, le pharmacien-chimiste Nicolas Lémery, on trouve (Cf. p. 180) la formule et la préparation d’un sirop de pommes sirupus de pommis simplex qui est à base de pommes de reinettes et donné comme cordial, pectoral, lientérique, propre contre la mélancholie. Il ne manque à cette préparation que ⅓ de sucre en plus et une coction plus poussée pour réaliser un vrai « sucre de pommes ».

Le même Lémery donne, plus loin, la formule et la composition d’un électuaire de pommes electuarium de pommis qui, n’était l’adjonction de plusieurs éléments d’ordre pharmaceutique, tels que le bois d’aloès, le santal citrin, l’ambre, etc., ajoutés en surcroît du jus de pommes, représente presque le sucre de pommes réel.

Une thèse de pharmacie, soutenue à Paris en 1817, c’est-à-dire à une époque très ultérieure, il est vrai, par un candidat pharmacien, le rouennais Pierre-Grégoire Mézaise, sous le titre de « Synthèse pharmaceuticoe et chemicoe » montre comment à cette époque les pharmaciens rouennais ne s’étaient pas encore désintéressés de la préparation du sucre de pommes, et ce, nonobstant la scission légale intervenue par la Déclaration royale du 25 avril 1777, laquelle, séparant les apothicaires de la corporation des épiciers et ciriers, constitua les apothicaires en une corporation indépendante autorisée à prendre le titre de « Collège de Pharmacie », mais leur interdit le commerce d’épicerie pour les sucres, les miels, etc.

Cette thèse donne, en un excellent latin de cuisine, la préparation exacte du sucre de pommes. En voici le texte :

                SACCHARUM DE MALIS

R)    Malorum Renetiorum ritè praeparatorum....  quantùm volueris.
    Aquae purae...........................  quantitatem sufficientem.
    Coque ad pulpis consistentiam, cola et leviter exprime.
    Tunc adde, pro
       Decocti Malorum...............  singula parte.
       Sacchari albissimi.............  partes tres.
    Sinito bullire ad electuarii solidi consistentiam ; hinc in tabellam
marmoream effunde, et digitis oleo amygdalino inunctis, formentur
bacilli translucidi

On notera dans cette préparation les termes ad electuarii solidi consistentiam qui viennent à l’appui de l’opinion exprimée plus haut et par laquelle, l’électuaire à base de suc de pommes de Lémery précité, peut être considéré comme un sucre de pommes.

Cependant, la formule et le mode de préparation de l’électuaire pharmaceutique au jus de pommes des apothicaires et des épiciers avaient passé dans les officines des officiers de bouche, après avoir été débarrassés des éléments d’ordre médicamenteux ; l’électuaire s’était ainsi transformé en aliment sucré, ainsi que le relatent : Le Cuisinier François, par le Sieur de la Varenne (1653 à 1726), et L’Escole parfaite des Officiers de Bouche, par Pierre Dadid (Paris, 1682).

Il faut observer qu’à la fin du XVIIIe siècle l’abolition du régime des corporations d’arts et métiers exonéra les pharmaciens, les épiciers et les confiseurs de la méticuleuse surveillance corporative qui les astreignait à la stricte exécution des formules prescrites pour fabriquer leurs produits. Sous l’empire de ces règlements corporatifs, nul n’eût osé ni pu modifier la fabrication à base de jus de pommes du sucre de pommes. Cette transformation devint possible avec l’ère nouvelle de la liberté industrielle et commerciale instaurée par la Révolution.

Parmi les procédés contemporains, voici in extenso la méthode telle qu’elle est donnée dans l’ouvrage Le Confiseur Moderne ou l’Art du Confiseur, par J.-J. Machet, confiseur-distillateur. Paris. Marodan, éditeur, an XI (1803).

SUCRE DE POMMES DE REINETTE

« Vous coupez 50 belles pommes de reinettes par morceaux, après les avoir pelées ; vous en séparez le cœur et les mettez sur le feu avec suffisante quantité d’eau pour qu’elles puissent y tremper ; vous les faites bouillir jusqu’à ce que la pomme s’écrase en marmelade. Quand elles sont à ce point, vous les jetez sur un tamis posé sur une terrine et vous en exprimez le suc ; vous le mesurez et mettez à part. Vous placez dans une bassine trois fois autant de beau sucre clarifié à la nappe. Quand il est cuit ou cassé, vous retirez de dessus le feu et y versez le suc de pommes ; vous remettez la bassine sur le feu pour faire revenir le sucre au grand cassé, et remuez légèrement de crainte que la pomme, qui est un corps mucilagineux, ne fasse brûler le sucre au fond de la bassine.

« Quand le sucre est au grand cassé, vous le retirez et le versez sur une table de marbre, un peu creuse et graissée de bonne huile d’olives. Vous lui laissez prendre une légère consistance ; alors avec un moule à compartiments, soit en losange, soit en autres figures, vous le découpez en petites tablettes ou pastilles, ou bien vous le roulez en forme d’étui. Comme la pomme ferait relâcher le sucre et le remettrait en sirop, il faut avoir soin, aussitôt que les tablettes sont formées, de les rouler dans du sucre en poudre passé au tamis de soie, et quand elles sont bien garnies, de les déposer dans un lieu bien sec, ou même au-dessus d’une étuve ; le sucre alors forme une croûte qui enveloppe la tablette, la maintient et lui donne de la consistance, de manière qu’elle paraît transparente au milieu, et la croûte du sec sert à la conserver.

« Aussi, tous ces sucres qui se vendent à Paris et ailleurs sans avoir cette croûte et ce transparent intérieur ne sont pas du sucre de pommes, mais simplement du sucre clarifié et mis au cassé, transparent à sa surface et en façon de sucre d’orge.

« Vainement le médecin et le malade auraient recours à ces sucres factices : il n’y a que les véritables qui soient efficaces dans la toux la plus opiniâtre et dans tous les maux de gorge, ainsi que pour humecter la poitrine.

« Le vrai sucre de pommes ne peut se conserver, s’il n’est fait selon ma méthode ; il sera donc facile de s’assurer du contraire au simple examen, d’après ce que j’ai dit. »

Telle est donc la formule optima pour obtenir le sucre de pommes vrai et réel, tel qu’on continua à le fabriquer industriellement à Rouen, à la fin du XVIIIe siècle et au commencement du XIXe. Vers 1830, les difficultés inhérentes à une telle préparation amenèrent peu à peu à abandonner partiellement, puis totalement, l’emploi du jus de pommes, ainsi que le déclarent plusieurs auteurs, notamment l’ouvrage le Confiseur National et Universel, par Wirth, ancien confiseur (Paris, Baudoin, 1836 ; Cf : page 30), à l’article sucre de pommes :

« Il n’entre plus de pommes dans cette préparation. Autrefois on faisait une décoction de ces fruits pour la faire, ce qui donnait du vrai sucre de pommes, mais on a reconnu depuis qu’elles étaient sinon inutiles, du moins embarrassantes, sous le rapport de la composition et de la fermeté des bâtons qui étaient dépourvus de la consistance qu’on leur donne aujourd’hui. »

On relève des déclarations analogues dans les traités plus récents de confiserie.

« Dans la fabrication moderne, l’emploi du suc de pommes n’existe plus qu’à l’état de souvenir. » (Manuel du Confiseur-Liquoriste, par L. Arnou. Paris, J.-B. Baillère, 1905.)

La fabrication contemporaine en est donc arrivée, même à Rouen, à supprimer complètement ou presque complètement, l’emploi du jus de la pomme dans le sucre de pommes qui actuellement n’est rien autre chose que du sucre de canne ou de betterave, cuit au « grand cassé » et à une température de 140-145° environ, c’est-à-dire à un degré de concentration tel que la saccharose, après avoir subi la fusion et grâce à la présence du sucre interverti, ou du glucose ajouté, prend un état vitreux par refroidissement. Les fabricants aromatisent le sucre avec de l’essence de citron ou de l’eau de fleur d’oranger, quelquefois ils le colorent en rose. Le plus souvent, ils ajoutent au sucre une proportion de 10 à  20 % et plus de glucose, et aussi parfois de petites quantités de vinaigre ou mieux d’acide acétique ou citrique, dans le but d’obtenir un « graissage » facilitant la liquéfaction et aussi d’empêcher ou de retarder le « grenage » ou opacification ultérieure du produit.

Le sucre étant ainsi, selon les termes de métier, cuit au « grand cassé » (point d’ébullition environ 142° sous la pression atmosphérique), l’ouvrier confiseur le transforme en bâtons (ou magdaleons) plus ou moins pesants et volumineux, soit en coulant le sucre fondu dans des moules cylindriques en métal, dont les parois intérieures ont été graissées à l’huile d’olives ou de vaseline, soit en le façonnant par roulements prolongés sur une table en marbre ou métal, préalablement graissée. Après refroidissement et façonnage complets, le bâton est enveloppé dans une feuille d’étain, puis souvent dans une feuille de papier blanc, et enfin habillé avec du papier doré ou argenté, rehaussé de vignettes chromolithographiques ou analogues.

La planche II reproduit, reproduit, par fac similé réduit, une étiquette ancienne pour sucre de pomme vrai, et qui mentionne : « Sucre de Pomme de Rouen ».

Les étiquettes actuelles des sucres de pommes sont plus luxueuses et plus « tape à l’œil ». Elles sont établies avec des papiers de couleurs, vernis, dorés, gaufrés, estampés et rehaussées souvent de vignettes. Le contenu étant infiniment plus médiocre que jadis, il n’est pas inutile que le contenant ou emballage soit apte à aguicher l’acheteur.

En définitive, à notre époque, le sucre de pommes ne renferme pas plus du jus de pommes que le sucre d’orge ne contient de décoction d’orge. Sauf de très rares exceptions, le sucre de pommes est, si l’on peut dire, apomique surtout pour les qualités foraines et bon marché. Parfois, quelques fabricants rouennais ajoutent une très faible quantité de jus de pommes, mais en proportions bien inférieures à celles du vrai sucre de pommes d’antan ; c’est sans doute pour qu’il ne puisse être dit qu’il n’y a pas de pommes, et s’abriter quasiment derrière le dicton normand bien connu, approprié à cet effet :

        Pour un sucre de pommes où y a des pommes,
            Y a pas de pommes.
        Mais pour un sucre de pommes où y a pas de pommes,
            Y a des pommes.

G. A. LE ROY.


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