AVIS.
Cette Tapisserie
brodée en fils et en laines de différentes couleurs,
sur une bande de toile blanche, se trouve gravée dans les volumes VI et
VIII de t Académie des Belles-Lettres, avec une Explication de
Lancelot ; et dans les volumes I et
II de la Monarchie Française, de
Montfaucon. On a profité, dans le
cours de cette Notice, de plusieurs
Observations de ces deux Savans. |
NOTICE
HISTORIQUE
SUR
la Tapisserie brodée par la reine MATHILDE, épouse
de GUILLAUME le
Conquérant.
L
A Tapisserie qu'on expose au public, représente toute
la suite d'une
des plus grandes et des plus heureuses expéditions qui furent jamais
entreprises : la conquête de l'Angleterre, faite en 1066, par
Guillaume le bâtard, duc de
Normandie, qui échangea ce surnom contre
celui de
Conquérant. Ce
monument est reconnu par tous les
connaisseurs, comme contemporain de la conquête; et la tradition du
pays, que le cours de sept siècles n'a point affaiblie, en attribue la
confection à l'épouse de Guillaume, à la reine Mathilde elle-même. La
tradition porte, que cette Princesse aidée des dames de sa cour, y a
tracé elle-même toute la suite d'une entreprise aussi mémorable. S'il
est permis de rapprocher de la rudesse de l'antiquité féodale la
simplicité des tems héroïques, on pourrait comparer Mathilde, qui peint
au moyen de son aiguille la conquête de l'Angleterre, à l'Hélène
d’Homère, qui trace sur un canevas les exploits des Troyens et des
Grecs sous Troie.
Cette frise en broderie, longue de 214 pieds, et haute de 18 pouces,
était exposée de tems immémorial, en certains jours de l'année, dans
l'église cathédrale de Bayeux. Cette exposition solennelle et
périodique a contribué sans doute à ne pas laisser vieillir ni
disparaître les notices traditionnelles concernant l'origine de cet
ouvrage.
Des inscriptions latines accompagnent pas à pas les figures ; par ce
moyen, la Tapisserie de Mathilde fixe des points incertains de
l'Histoire, et peut corriger et suppléer les Ecrivains du tems. Nous en
allons suivre tous les sujets.
REX : EDWARD.
Le roi Edouard
III d'Angleterre, assis sur son trône,
ordonne à Harold, son beau-frère, de partir pour la Normandie, et
d'aller de sa part annoncer au duc Guillaume, qu'il l’a nommé son
successeur. Le duc de Normandie était proche parent du roi
d’Angleterre, qui n'avait point de fils. Ce dernier s'était déjà assuré
de l'acceptation de Guillaume, par le moyen de Robert, archevêque de
Cantorbery, qu'il lui avait envoyé auparavant.
HAROLD DVX ANGLORVM , ET SVI MILITES EQVITANT AD BOSHAM.
Harold, duc
des Anglais, se met en marche avec sa troupe de gens à cheval, pour se
rendre à Bosham, où il doit s'embarquer. Ici Harald, qu'on
appelle
dans ces inscriptions constamment Harold, est qualifié du titre de Duc
des Anglais. Les Historiens contemporains le nomment Duc de Westsex et
Comte de Kent. Ces figures fournissent des observations curieuses pour
les costumes et pour les usages de cette époque. Harold marche le
faucon sur le poing, suivant l’usage des Seigneurs ; ses chiens le
précèdent ; lui et sa suite ont la barbe rasée, mais ils portent des
moustaches, ce que nous ne voyons pas dans les figures des Français.
Les petits manteaux attachés sur l'épaule droite, et ressemblant aux
chlamydes des Grecs, sont ces mantelettes qui ont formé, dans des tems
postérieurs, la draperie des écussons d'armes.
ECCLESIA:
Une Eglise. Après
que les cavaliers ont mis pied à terre à
Bosham, port de mer qui appartenait à Harold, celui-ci, avec son
écuyer, va faire sa prière à l'église, pour demander à Dieu une
heureuse navigation. Il est à remarquer, que des arbres grossièrement
tracés, des édifices et des draperies, font la séparation des
différentes histoires, justement comme dans les bas-reliefs antiques.
HIC HAROLD : MARE NAVIGAVIT.
Harold
se met en mer. Les voyageurs,
avant de s'embarquer, font la collation ensemble. Plusieurs d'entr'eux
se servent, pour boire, de grandes cornes de bœufs, sorte de gobelets
dont l'usage est très-ancien. Les gens d'Harold passent sur l'esquif
pour s'embarquer, et ils ont soin d'y transporter les faucons et les
chiens de leur Seigneur.
ET VELIS : VENTO : PLENIS VENIT IN TERRA V VIDONIS COMITIS.
Les vents
poussent Harold sur les terres du comte Guy. Ce Guy était comte
de
Ponthieu, et Harold a pris terre, malgré lui, sur une côte qu'il ne
voulait pas aborder. Le navire n'a qu'un seul mât, et un grand nombre
de boucliers sont rangés au tour du bord, de la même manière qu'on
remarque dans des peintures d'Herculanum ; tant il faut de tems pour
effacer les usages anciens !
HAROLD.
Harold. Harold
descend sur la chaloupe, et s'avance pour
parler à Guy et à sa suite, qu'il voit sur le rivage. Le barbare droit
des gens de ces tems-là ne le rassure pas assez sur cette rencontre.
HIC : APPREHENDIT : WIDO : HAROLDV.
Guy
se saisit d'Harold. L'Anglais
n'est pas si tôt descendu à terre, qu'il est saisi par deux hommes
armés, suivant les ordres de Guy de Ponthieu. Le Comte est à cheval, il
n'est armé que d'une grande épée ; mais on ne sait pas à quel usage
pouvait être une corne renversée qui pend de la selle, la pointe en
bas. Une garde de quatre cavaliers le suit ; ils marchent de front,
armés d'épées, de lances et de boucliers. Ces boucliers sont décorés de
quelques emblèmes ; cependant ce ne sont pas de véritables armoiries.
Ces figures, dans le onzième siècle, servaient de devises aux guerriers
; mais elles n'étaient pas encore devenues les enseignes héréditaires
des familles, comme elles le furent dans le siècle suivant.
ET DVXIT : EVM AD BELREM : ET IBI EVM : TENVIT.
Et il le fit amener à
Baurain, où il le retint. Guy à cheval, et l'oiseau sur le
poing,
conduit son prisonnier à
Belrem.
Ce
Belrem est
Baurain-le-Château, situé sur la
Canche ; ses prisonniers le
précèdent; Harold est à cheval, l'oiseau sur le poing; ses moustaches
le font reconnaître ; les autres marchent à pied, conduits par des
soldats.
VBI : HAROLD : ET WIDO : PARABOLANT.
C'est
là que Guy et Harold
viennent à un pourparler. Harold expose peut-être à Guy, qu'il
est un
envoyé du roi d'Angleterre; et Guy lui propose peut-être de traiter
avec lui de la rançon à payer pour sa délivrance. Guy est assis sur une
espèce de trône, l'épée à la main, la pointe en haut ; son prisonnier
est debout devant lui; il a aussi son épée, mais la pointe en bas.
VBI : NVNTII : WILLELMI : DVCIS VENERVNT: AD WIDONEM.
Ce fut là que
les envoyés de Guillaume vinrent trouver Guy. Guillaume, duc de
Normandie, informé du sujet de l'ambassade d'Harold, et de sa
captivité, envoya prier le comte de Ponthieu de relâcher ce prisonnier.
Guy est revêtu d'une cotte de mailles et d'une chlamyde pardessus ; il
tient une hache d'armes dans la main gauche. Les messagers ont mis pied
à terre, et tandis qu'ils exposent au Comte le sujet de leur ambassade,
un valet tient leurs chevaux par la bride. C'est un nain dont le nom,
TUROLD, est écrit sur sa tête. Dans le moyen âge on avait l’usage, dans
les cours des Seigneurs, de se servir de nains pour l'office de valets
ou de pages. Dominiquin à
Grotta
Ferrala, a mis des nains à la suite
de l'empereur Othon ; et Raphaël avait fait de même dans les Histoires
de Constantin.
NVNTII : WILLELMI.
Messagers de
Guillaume. Pour montrer que ces deux
envoyés sont différens des deux premiers, on a séparé les groupes par
une espèce de loge voûtée tout à jour. Les prières et les remontrances
n'ayant pas suffi à déterminer le Comte à se dessaisir de sa proie,
Guillaume emploie la menace. Ces deux cavaliers viennent au galop,
présentant la pointe de leurs lances. Ils paraissent faire comprendre
que leur message est d'une nature moins amicale. Un jeune homme dont le
bonnet ressemble au bonnet phrygien, est monté sur les branches d'un
arbre qui sépare cette histoire de celle qui suit, et il regarde avec
admiration la course des deux cavaliers.
HIC VENIT : NVNTIVS AD WILGELMVM DVCEM.
Un messager vint ici trouver
le duc Guillaume. On a cru que ce messager qui parle ici à
Guillaume,
était un de ses premiers envoyés, et peut-être le nain Turold lui-même.
On n'avait pas fait attention que ce messager a des moustaches et en
conséquence qu'il est un Anglais ; probablement un de ceux de la suite
d'Harold, qui, lors de la prise de son maître, a réussi à s'échapper,
et qui est venu trouver le duc de Normandie dans son château de Rouen,
pour l'informer de l'emprisonnement de l'Ambassadeur anglais. Nous
observerons ailleurs des anachronismes pareils dans l'ordre de cette
histoire. Le château de Rouen ferme la scène.
HIC : WIDO : ADDVXIT HAROLDVM AD WILGELMVM : NORMANNORVM : DVCEM.
Guy
amène Harold à Guillaume, duc de Normandie. Le comte de
Ponthieu,
intimidé par les menaces de Guillaume, va lui remettre son prisonnier
jusqu'à Eu, où le Duc est venu en personne pour le recevoir.
HIC : DVX WILGELM : CVM HAROLDO : VENIT : AD PALATIV SVM.
Le duc
Guillaume amène Harold à son palais. Cette action est distribuée
en
deux scènes. On voit dans la première le duc Guillaume lui-même
escorter à son château de Rouen l'Ambassadeur du roi d'Angleterre ; on
voit dans la seconde le Duc dans une grande salle de son palais, donner
une audience de cérémonie à cet Ambassadeur, qui est debout devant lui.
Le Duc est assis sur un siège magnifique.
VBI : VNVS : CLERICVS : ET AELFGIVA.
Où
l'on voit un greffier et Ælfgive. Le duc de Normandie promet sa
fille en mariage au duc
Harold. On y a ajouté la figure d'un greffier qui parait présenter la
Princesse, pour faire voir que cette promesse ne fut pas une promesse
simplement verbale.
HIC . WILEM : DVX : ET EXERCITVS : EIVS : VENERVNT : AD MONTE
MICHAELIS.
Le duc Guillaume et son
armée vinrent au mont St-Michel.
Dans ces entrefaites Conan, duc de Bretagne, avait déclaré la guerre au
duc de Normandie. Celui-ci invite son nouvel hôte et sa suite à s'armer
avec lui. Ils sont déjà armés de cottes de mailles; leurs casques ont
un nazal pour défendre la figure; leurs écuyers les suivent ; ils
marchent vers le mont St-Michel. On voit ce château sur la croupe d'une
montagne.
ET HIC : TRANSIERVNT : FLVMEN : COSNONIS : HIC : HAROLD : DVX :
TRAHEBAT : EOS : DEARENA.
Ils
passèrent la rivière du Coesnon, où le
duc Harold les tirait du sable. On sait que le passage de cette
rivière, que les fréquentes marées remplissent d'un sable mouvant, est
souvent dangereux. On voit ici des hommes et des chevaux renversés ne
pouvant se dégager du sable. Harold, homme de grande taille et
très-fort, est dans ce danger d'un grand secours à quelques-uns de ses
alliés. Il paraît que l'auteur de l'histoire n'a pas voulu omettre la
moindre circonstance qui pût faire relever l'étroite union d'Harold
avec le duc de Normandie, pour mieux faire sentir, dans la suite,
l'ingratitude de l'Anglais et sa déloyauté.
ET VENERVNT AD DOL : ET CONAN : FVGA VERTIT.
Ils vinrent à Dol, et
Conan prit la fuite. Le Seigneur de Dol était en guerre avec
Conan,
qui l'assiégeait dans sa ville. Un homme qui descend des murs par une
corde, va informer Guillaume de l'état de cette place. A l'approche des
Normands, Conan prend la fuite ; ce Comte et sa troupe se réfugient à
Rennes (REDNES), résidence ordinaire de Conan, et capitale de la
Bretagne.
HIC MILITES WILLELMI : DVCIS ; PVGNANT: CONTRA DINANTES.
Les gens du
duc Guillaume attaquent Dînant. On donne l'assaut à la ville,
située
sur une éminence ; des Normands viennent mettre le feu aux palissades.
ET : CVNAN : CLAVES : PORREXIT.
Et
Conan rendit les clefs de la
ville. Il parait que ce Comte était venu au secours de Dinant,
mais
que, forcé par la valeur des Normands, il dut capituler avec Guillaume,
et lui rendre l'hommage dû pour la Bretagne. Ici notre Tapisserie sert
de supplément à l'Histoire. On voit Conan présenter à Guillaume les
clefs de la ville au bout d'une lance.
HIC WILLELM : DEDIT : HAROLDO : ARMA.
Guillaume
donna les armes à
Harold. C'est-à-dire qu'il l'arma chevalier.
HIE WILLELM : VENIT BAGIAS.
Guillaume
vint ensuite à Bayeux. L'un des
frères utérins du duc de Normandie était alors évêque de Bayeux.
VBI HAROLD : SACRAMENTVM : FECIT : WILLELMO DVCI:
Où Harold prêta au
duc Guillaume serment de fidélité. Guillaume est assis sur un
trône
élevé ; le Duc anglais, debout devant lui, et la tête découverte, est
entre deux grandes châsses de reliques : il étend la main droite sur
l'une, et la gauche sur l'autre châsse, et il parait prononcer son
serment, par lequel il reconnaît Guillaume, comme nommé par Edouard
pour être son successeur au trône d’Angleterre, et promet de lui être
fidelle.
HIC HAROLD : DVX : REVERSVS : EST AD ANGLIGAM : TERRAM :
Le duc Harold
retourne en Angleterre. Il passe la mer dans un vaisseau, et
aborde à
une place dont le nom n'est pas marqué ; peut-être à sa terre de
Bosham, d'où il était parti. Une femme, du haut des remparts, paraît se
réjouir du retour du Seigneur. Toutes les croisées sont remplies par
des gens qui regardent le vaisseau. Harold n'est pas plutôt arrivé,
que, suivi de sort écuyer, il monte à cheval et prend sa route vers la
Cour.
ET VENIT : AD : EDWARDV; REGEM.
Et
il se présente au roi Edouard.
Harold n'est accompagné que de son écuyer, qui tient sa hache d'armes.
Le roi, assis sur son trône, paraît écouter avec intérêt le rapport de
l'ambassade.
HIC PORTATVR : CORPVS : EADWARDI : REGIS: AD ECCLESIAM : S. PETRI APLI.
On porte le corps du roi
Edouard à l'église de Saint-Pierre, apôtre.
Voilà un autre anachronisme : l'enterrement du roi d'Angleterre précède
sa maladie et sa mort. L'église où on le dépose est celle de St-Pierre
de Westminster. On voit dans le haut une main céleste qui parait bénir
la dépouille d'Edouard. On peut remarquer la même main sur les
médailles frappées à l'occasion de la mort de Constantin le Grand.
ADWARDVS : REX INLECTO : ALLOQVITUR : FIDELES:
Le roi Edouard, au lit
de la mort, parle à ceux de sa Cour. Le Roi est à l'extrémité ;
il
parait prononcer avec effort ses dernières paroles.
ET HIC : DEFVNCTVS EST-
Et bientôt
après il mourut. Des gens de sa
Cour soignent son cadavre.
HIC DEDERVNT : HAROLDO CORONA : REGIS.
On donne à Harold la couronne
royale. Harold, à la tête d'un parti puissant, va se mettre à la
place
de son beau-frère, oubliant le serment de fidélité qu'il a fait à
Guillaume. On lui présente la couronne le même jour qu'Edouard le
Confesseur est enterré.
HIC RESIDET : HAROLD REX : ANGLORVM.
Harold
est assis sur son trône
comme roi d’Angleterre. La trahison d'Harold est consommée ; il
est
assis sur le trône d'Angleterre, et revêtu de toutes les enseignes de
la royauté. D'un côté l'on voit des officiers armés qui le
reconnaissent roi ; de l'autre l'archevêque de Cantorbery, Stigant, qui
la couronné. Une inscription fait remarquer ce dernier.
STIGANT ARCHIEPS.
L'archevêque
Stigant. Il est paré de son costume
archiépiscopal. Le peuple en foule, à la porte du château, prête
hommage au nouveau Roi.
ISTI MIRANTUR STELLAM.
On regarde
avec étonnement une Etoile. Les
Ecrivains du tems parlent de l'apparition d'une comète dans le courant
du mois d'Avril de la même année 1066. On a souvent donné ce nom à des
météores ignés. Suivant les opinions de cet âge, ce fut un présage des
malheurs du nouveau Roi, et de la grande révolution qui arriva depuis
en Angleterre.
HAROLD.
Harold. Dans le
groupe qui suit, Harold parait inquiet sur
son trône ; il se lève, il s'arme, et il a déjà une lance à la main. Il
n'a d'autres assistans que son écuyer. La Tapisserie ne nous indique
pas le sujet du trouble de ce Prince : est-ce la crainte du duc de
Normandie qui l'agite, ou la fâcheuse nouvelle d'une invasion de
Norvégiens ?
HIC : NAVIS : ANGLICA : VENIT : IN TERRAM WILLELMI : DVCIS.
Un navire
anglais aborde au pays du duc Guillaume. Un vaisseau partit
exprès
d'Angleterre pour informer le duc de Normandie de tout ce qui s'était
passé après la mort du roi Edouard.
HIC WILLELM : DVX IVSSIT NAVES : EDIFICARE.
Le duc Guillaume commanda
qu'on construisit des vaisseaux. Le duc de Normandie n'était pas
d'humeur à laisser la trahison d'Harold impunie. L'entreprise
paraissant difficile, il assembla plusieurs fois son Conseil ; et,
malgré les remontrances timides de quelques Conseillers qui ne
croyaient pas que le duc de Normandie pût avoir assez de moyens pour
soumettre l'Angleterre, il eut recours à ses alliés français et
flamands ; il rassembla une armée de cinquante mille soldats, et il se
prépara à passer en Angleterre. Le Duc, assis dans son Conseil, a déjà
résolu l'entreprise ; il parle à un chef des constructeurs, qui, son
rabot à la main, paraît sur le point de partir pour aller exécuter les
ordres de Guillaume, et construire une flotte assez nombreuse pour
faire passer autant de forces en Angleterre.
Les groupes qui suivent sont sans inscriptions. On voit les arbres
d'une forêt ancienne tomber sous la hache des constructeurs ; on voit
des hommes occupés à applanir des planches, d'autres à construire des
vaisseaux. Ces vaisseaux sont tout prêts ; il ne reste qu'à les mettre
en mer. C'est le sujet de l'histoire qui suit, marquée d'une
inscription.
HIC TRAHVNT : NAVES AD MARE.
On tire
les vaisseaux à la mer.
ISTI PORTANT : ARMAS : AD NAVES : ET HIC TRAHVNT : CARRVM CVM VINO ET
ARMIS.
Ceux si portent des armes aux
navires, et mènent un char qui
est chargé de vin et d'armes. Il fallait pour une expédition
aussi
nombreuse, une quantité immense de provisions de guerre et de bouche :
cet approvisionnement fait le sujet de cette histoire. On voit des
hommes qui vont charger sur les vaisseaux une quantité considérable
d'armures, de casques, de piques, d'épées et de tonneaux de vin. Les
Historiens, qui comptent trois mille navires de diverses espèces,
formant la flotte de Guillaume, en assignent sept cents pour les
munitions de guerre.
HIC : WILLELM : DVX IN MAGNO : NAVIGIO : MARE TRANSIVIT ET VENIT AD
PEVENESAE .
Le duc Guillaume, avec
une grande flotte, passa la mer et
vint à Pemsey. Le duc de Normandie demeura avec sa flotte sur
l'embouchure de la Dive et dans le port de St-Valéry pendant plus d'un
mois, dans l'attente d'un vent favorable ; enfin il mit à la voile le
22 Septembre 1066, et aborda sans obstacle à Pemsey, dans le Sussex. La
peinture nous présente ici une grande flotte chargée d'hommes et de
chevaux. On y distingue le vaisseau principal monté par Guillaume. Le
sommet de son mât est décoré d'un étendard et d'une croix. Un petit
drapeau est aussi sur la poupe. Ces vaisseaux n'ont tous qu'un mât,
auquel une seule voile est suspendue par une vergue.
HIC EXEVNT : CABALLI DE NAVIBVS.
Les chevaux sortent des
navires. L'armée a déjà débarqué : les vaisseaux vides sont
rangés sur
le rivage. La peinture ne représente ici que le débarquement des
chevaux. On remarque qu'on a omis dans l'histoire de ce débarquement,
la chute de Guillaume, que lui-même prit pour un bon augure.
ET HIC : MILITES : FESTINAVERVNT : HESTINGA: VT CIBVM- RAPERENTVR.
Les soldats se hâtèrent de gagner
Hastings, pour y chercher des
vivres. On voit des cavaliers armés qui courent vers Hastings.
Des
piétons ont déjà amené des fermes voisines nombre de moutons et de
bœufs.
HIC : EST : WADARD-
Celui-ci est
Wadard. Ce cavalier armé,
surveillant les bouchers et les cuisiniers qui suivent, et dont le nom
est écrit sans aucun titre, est probablement l'officier qu'on appelait
autrefois le
grand Queux.
Cette omission de titre, et ce nom annoncé
comme celui d'un personnage assez connu, est une preuve tirée de
l'ouvrage même, propre à confirmer qu'il est contemporain de la
conquête, comme la tradition nous l'apprend.
HIC : COQVITVR : CARO ET HIC : MINISTRAVERVNT MINISTRI.
On cuit ici
des viandes, et les serviteurs de table font leurs fonctions.
Les
cuisiniers apprêtent les viandes à leur manière. Un grand chaudron est
au feu : plusieurs ont des broches chargées de volailles ; d'autres
préparent sur des fourneaux des mets plus recherchés.
HIC FECERVNT PRANDIVM ET HIC EPISCOPVS; CIBV : ET POTV BENEDICIT.
C'est ici que se fit le repas, où un
Evêque bénit les viandes et la
boisson. On voit ici deux grandes tables ; la première est
ronde, et
plusieurs Officiers de la Cour y font leur repas ; l'autre, plus
remarquable, a la figure d'un demi-cercle ; c'est le
sigma des
Anciens et du Bas-Empire. A cette table le duc Guillaume et les Barons
de sa suite sont assis; un Evêque bénit la table ; un Page ou Echanson,
à genoux, présente à boire.
ODO : EPS : WILLELM : ROTBERT.
Eudes
évêque, Guillaume, Robert. Le duc
de Normandie tient Conseil à Hastings, sur les opérations de la
campagne. Il est assis entre ses deux frères utérins, l’épée à la main.
A sa droite est Eudes, évêque de Bayeux ; Robert, comte de Mortain, est
à sa gauche. Probablement on décide dans ce Conseil, qu'il faut se
camper et se fortifier à Hastings, pour y attendre l'ennemi, qui, fier
de sa victoire sur les Norwégiens, marchait, plein de confiance, donner
une seconde bataille.
ISTE : IVSSIT : VT FODERETVR CASTELLVM : ATHESTENGA.
Celui-ci (Robert)
donna des ordres qu'on fit un fossé tout
au tour du camp fortifié à
Hastings. Comme cette inscription est écrite sans intervalle
après le
nom de Robert, il paraît que ce comte de Mortain fut chargé de
surveiller les opérations qu'on avait arrêtées dans le Conseil. C'est
donc lui qui, un petit drapeau à la main, anime les ouvriers au
travail. Ils bêchent la terre, et déjà le camp est palissade.
L'inscription CEASTRA, pour
Castra,
désigne le campement
HIC : NVNTIATVM EST : WILLELMO DE HAROLD.
Guillaume reçut ici nouvelle
d'Harold. Un militaire s'approche de Guillaume, et il paraît
l'informer, avec mystère, de l'approche de l'ennemi.
HIC DOMVS INCENDITUR. On met le feu à une maison. Il paraît qu'en
conséquence de la nouvelle reçue, on a mis le feu à quelque bâtiment
qui gênait le développement de l'armée. Une femme conduisant son fils
par la main, sort de cette maison à laquelle deux hommes mettent le
feu. L'Histoire se tait sur ce fait particulier. On sait seulement,
qu'après la bataille de Hastings, lorsque la ville de Douvres fut prise
et incendiée par les soldats, le duc de Normandie en fit dédommager les
habitans. Peut-être que le groupe de la femme avec l'enfant, a rapport
à quelque acte semblable d'humanité, fait par Guillaume à cette
occasion.
HIC : MILITES EXIERVNT : DE HESTENGA : ET: VENERVNT AD PRELIVM : CONTRA
: HAROLDVM REGE.
Les soldats
sortirent de Hastings, et allèrent
combattre contre le roi Harold. Le duc de Normandie n'attendit
pas
qu'HaroId vint l'attaquer dans son camp ; il marcha à sa rencontre. On
le voit ici tout armé et prêt à monter à cheval : les cavaliers sont
déjà en marche pour chercher l'ennemi.
HIC : WILLELM : DVX INTERROGAT : VITAL : SI VIDISSET EXERCITV HAROLDI.
Le duc Guillaume interroge
Vital, s'il avait vu l'armée d'Harold. Le
Duc, à la tête de sa cavalerie, une massue à la main, interroge un
cavalier qui s'approche de lui au galop. Ce personnage paraît être le
chef d'une troupe de cavalerie envoyée à la découverte. L'inscription
nous fait connaître le nom de ce cavalier : il s'appelait Vital. Il
marque de sa main l'endroit où l'ennemi va paraître.
ISTE NVNTIAT : HAROLDVM REGL DE EXERCITV WILLELMI DVCIS.
Celui-ci
annonce au roi Harold, que l'armée du duc Guillaume s'approche.
Le roi
d'Angleterre a aussi envoyé à la découverte ; il avait même fait passer
des explorateurs déguisés dans le camp français. Guillaume leur fit
tout voir, et les renvoya libres à leur maître ; mais cette fois, l'un
des guerriers à pied qui précèdent Harold, met la main sur son sourcil
pour mieux distinguer les objets dans le lointain, et montre par cette
attitude la présence de l'ennemi.
HIC WILLELM : DVX ALOQVITVR : SVIS : MILITIBVS : VT PREPARENTSE :
VIRILITER ET SAPIENTER : AD PRELIVM : CONTRA : ANGLORVM EXERCITV.
Le
duc Guillaume harangue ses gens. Il les exhorte à joindre la sagesse à
la valeur, pour combattre contre l'armée des Anglais. Les deux
armées
sont en présence. Le duc de Normandie harangue les Français, et les
encourage au combat. Les Historiens du tems rapportent cette
allocution. Dans la peinture, Guillaume paraît être à la fin de sa
harangue. Ses soldats vont charger l'ennemi ; il ne reste que le
cavalier le plus près de Guillaume, qui paraît encore se tourner pour
écouter ses dernières phrases.
La bataille commence : les cavaliers lèvent leurs lances; les archers,
qui vont à pied devant eux, ont leurs arcs tendus. On voit voler une
grêle de flèches. Les boucliers en sont hérissés. Plusieurs tombent
morts ; le carnage est grand. La bordure d'en bas, où étaient peints
ci-devant des animaux, des monstres et des grotesques, est présentement
jonchée de corps morts. C'est ainsi que les Amazones captives forment
la frise d'un sarcophage où leur bataille contre les Athéniens est
représentée ; c'est ainsi que les cadavres des Niobides ornent le
couvercle d'un tombeau dont les bas-reliefs représentent la vengeance
des fils de Latone contre cette malheureuse famille.
HIC CECIDERVNT LEWINE ET : GVRD : FRATRES HAROLDI REGIS.
Lewin et
Gurd, frères du roi Harold, sont tués. Celui qui est appelé ici
Gurd,
est connu dans l'Histoire sous le nom de comte de Word. Lui et son
frère Lewin tombent dans la mêlée.
HIC CECIDERVNT SIMVL : ANGLI ET FRANCI : IN PRELIO :
Il y eut ici un
grand carnage d'Anglais et de Français. Les historiens parlent
d'un
fossé où les Français se culbutèrent vers la fin du jour. On y voit les
Anglais sur le bord, qui reviennent à la charge. Le combat fut
sanglant, et un grand nombre de combattans des deux armées y tombèrent
pèle mêle.
HIC- ODO EPS : BACVLY TENENS CONFORTAT FRANCOS.
L'évêque Eudes, un
bâton à la main, encourage les Français. Cet accident avait
ébranlé
les troupes du duc de Normandie. L'évêque Eudes, à cheval, tout armé,
une massue levée à la main, ranime les Français et les fait revenir au
combat. Les derniers mots de l'inscription sont effacés.
HIC EST : DVX WILLE.
Le duc
Guillaume se trouve ici. Le Duc est là
pour encourager ses troupes. Il lève son casque et se fait connaître
aux siens. Comme il était blessé, peut-être que cette nouvelle avait
découragé les Français. Il les rassure, et la victoire désormais n'est
plus douteuse.
HIC : FRANCI PVGNANT ET CECIDERVNT QVIERANT : CVM HAROLDO:
Les
Français combattent, et l’armée d'Harold est taillée en pièces.
Ici la
Tapisserie représente les Français qui reviennent au combat plus
vigoureusement que jamais. Les Anglais sont en déroute et taillés en
pièces.
HIC HAROLD : REX : INTÉRFECTUS EST.
Le
roi Harold lui-même fut tué.
Harold II mourut les armes à la main. On le voit ici tombé de cheval et
étendu à terre. Il n'avait régné que neuf mois. Un cavalier, sans
descendre de cheval, coupe la cuisse à Harold, ce qui déplût tellement
au duc Guillaume, disent les Historiens, qu'il dégrada ce cavalier de
la milice. La bataille de Hastings, qui plaça Guillaume le Conquérant
et sa race sur le trône d'Angleterre, fut donnée le 14 Octobre 1066.
Ici finissent les broderies de Mathilde, et même les dernières figures
sont un peu effacées. Des Savans ont été d'opinion que les peintures
continuaient jusqu'au couronnement de Guillaume. Cette opinion est
probable, quoique rien de ce qui reste ne l'autorise.