FOURNET, Jean-Lambert (1790-1871) : Pour la défense du travail national.- Lisieux : Imprimerie de J. J. Pigeon, [1847].- 14 p. ; 20 cm.
Saisie du texte : S. Pestel pour la collection électronique de la Médiathèque André Malraux de Lisieux (06.IX.2002) Texte relu par : A. Guézou Adresse : Médiathèque André Malraux, B.P. 27216, 14107 Lisieux cedex -Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01 Mél : mediatheque@ville-lisieux.fr, [Olivier Bogros] 100346.471@compuserve.com http://www.bmlisieux.com/ Diffusion libre et gratuite (freeware) Orthographe et graphie conservées Texte établi sur l'exemplaire de la bibliothèque (BmLx : br norm 2007). RAPPORT De M. FOURNET,
A L'ASSEMBLÉE GÉNÉRALE TENUE A L'HÔTEL-DE-VILLE DE LISIEUX, Le 27 Décembre 1846, POUR LA DÉFENSE DU TRAVAIL NATIONAL. ~~~~MESSIEURS LES PROPRIÉTAIRES, UNE association puissante, dont les ramifications s'étendent à l'étranger, vient d'établir son siége principal à Paris. Son but est de substituer le libre échange au système protecteur auquel nous devons les progrès de nos diverses industries. La Chambre consultative de Lisieux, gardienne naturelle des intérêts de l'arrondissement, effrayée des conséquences de cette nouvelle espèce de propagande, a cru devoir en référer aux principaux agriculteurs et manufacturiers du pays. Vous avez compris, Messieurs, la gravité de la question ; vous avez répondu à cet appel, et, après vous être prononcés à l'unanimité en faveur du système protecteur dans votre réunion du 29 novembre dernier, vous avez nommé une commission chargée de vous faire un rapport sur cette importante question : vous vous êtes réservé le choix d'un comité qui devra correspondre avec le comité central de Paris, pour concourir à la défense du travail national. Je viens, au nom de votre Commission, vous présenter le rapport suivant : Le libre échange, Messieurs, n'est pas une idée nouvelle : la liberté commerciale est le régime des peuples dans leur enfance ; ils restent soumis à cette pratique de tout laisser passer, jusqu'à ce que la civilisation et les arts industriels se répandant peu à peu parmi eux, mais à des degrés différens, forcent les faibles à protéger leur travail contre la concurrence des forts ; le devoir de leur conservation leur impose, tôt ou tard, le recours aux tarifs protecteurs. Colbert a mérité le nom de restaurateur de l'industrie, par l'application du système protecteur. Napoléon a développé la filature de laine et de coton, par la prohibition. L'Angleterre n'est devenue la première nation du monde que parce que, la première, elle a poussé ce principe jusqu'à ses dernières conséquences ; et c'est à l'énergie apportée dans son application qu'elle doit cette supériorité qui lui permet aujourd'hui de modifier un système dont elle n'a plus besoin. La protection est donc l'excitant du progrès industriel ; disons aussi qu'elle est le principal élément de la grandeur nationale ; car elle développe le travail, qui produit la richesse ; et la richesse lève les armées, crée des vaisseaux, le matériel de guerre, et tout ce qui constitue la puissance des nations civilisées. Les traités de commerce, qui passent presque inaperçus au milieu des orages politiques, exercent cependant une grande influence sur l'avenir du pays ; on ne peut trop en signaler les conséquences à l'opinion publique, qui toujours se montre trop indifférente à des actes si importans pour la richesse publique : les traités, entre deux nations voisines dont les produits sont à peu près les mêmes, font toujours une partie dupe : la plus faible en industrie paie les frais de la guerre. Les traités, au contraire, faits sur des bases équitables, avec des nations soumises à des climats différens, enrichissent les deux parties contractantes par l'échange des denrées particulières à chaque sol ; les premiers ruinent le travail du pays conquis, en lui important des produits similaires qu'il aurait pu et dû faire, tandis que les seconds donnent un nouvel aliment à l'industrie, par l'introduction de denrées dont elle a besoin. Le gouvernement doit éviter les uns, parce qu'ils ne sont offerts ou acceptés que par les peuples dont la concurrence est à craindre, et rechercher les autres, comme moyen d'accroître les relations et la richesse de la France. L'Angleterre et son gouvernement, constamment livrés à l'étude des intérêts matériels, savent fort bien qu'ils n'ont rien à craindre de la concurrence étrangère : forts de leur supériorité, ils peuvent jeter le gant à la face du monde industriel, et attendre en toute sécurité que l'amour-propre des nations ose le relever. Le Zollverein vient de répondre à cette nouvelle espèce de provocation par une augmentation de tarifs : cette vaste association élève les droits protecteurs en même temps que l'Angleterre les abaisse. Le reste de l'Allemagne et les Etats-Unis paraissent disposés à suivre la même voie : partout les gouvernemens comprennent que le travail national ne peut prospérer qu'à l'abri de la protection ; que l'ère du libre échange n'est pas encore près de commencer. Cependant un parti réformateur, composé d'hommes élevés à l'école du communisme, se confiant à la bonne étoile nationale, cherche à pousser la France dans la voie de la libre concurrence anglaise, que l'Europe repousse, et que le voisinage des deux peuples rend plus dangereuse encore pour nous. Devons-nous nous laisser traîner à la suite de ce parti témérairement novateur, ou lui opposer une force de résistance puisée dans notre conviction ? Déjà, Messieurs, dans votre séance du 29 novembre, vous avez répondu d'avance à cette question, en proclamant à l'unanimité la pratique du libre échange désastreuse pour le travail national. La discussion intéressante qui eut lieu à ce sujet a dissipé tous les doutes et abrégé la tâche de votre commission : il a été démontré, jusqu'à l'évidence, que les moyens de production des diverses nations présentaient des rapports différens ; que la position géographique, l'aptitude au travail, l'abondance des capitaux, le bas prix de la main-d'oeuvre, le chiffre plus ou moins élevé des impôts, donnaient aux uns de grands avantages sur les autres ; que notre industrie agricole et manufacturière était dans des conditions moins favorables que celle de l'Angleterre et de quelques autres parties du continent ; que les droits protecteurs étaient établis pour compenser ces différences de position ; que la suppression de ces mêmes droits entraînerait, par conséquent, la ruine du travail national ; que l'erreur des libre-échangistes venait de deux causes principales : La première, de ce qu'ils voulaient faire du monde entier une famille de frères, sans s'apercevoir que la nature avait groupé les hommes par nation ; qu'elle les avait placés sur des sols divers, dans des conditions différentes, avec des intérêts souvent opposés, qui rendaient la fusion impossible, et maintenaient dans toute sa force, en dépit des théories, le sentiment appelé nationalité. La seconde, de ce qu'ils oubliaient que l'inégalité est une loi de la création ; qu'elle se manifeste de nation à nation, aussi bien que d'homme à homme, et que toute espèce de lutte engagée entre deux parties de force inégale se termine par la perte du faible au profit du fort. Ces vérités, bien discutées, bien comprises, ne pouvaient trouver d'opposition sérieuse parmi des hommes aussi versés que vous dans la connaissance des intérêts sociaux ; unanimes sur le principe de la protection, vous avez paru cependant vous diviser sur le chiffre protecteur relativement nécessaire à nos diverses industries. Quelques personnes ont prétendu que les droits sur les matières premières étaient trop élevés, et qu'ils arrêtaient les progrès de nos manufactures ; que l'intérêt de cette branche si importante de l'industrie nationale réclamait un abaissement de tarifs qui, sans nuire à l'agriculture, donnerait une nouvelle impulsion au développement du travail. Votre Commission, Messieurs, après avoir examiné ce côté de la question avec tout le soin possible, vous propose, à l'unanimité, de ne pas la prendre en considération, par les raisons suivantes : Le réseau de douanes qui couvre toutes les industries doit être réglé dans un but d'ensemble qu'on s'expose à ne pas saisir lorsqu'on l'examine au point de vue des intérêts isolés. Les documens et les attributions nous manquent pour traiter convenablement cette importante question ; d'un autre côté, votre Commission ne partage pas l'opinion émise par la minorité de l'assemblée, sur la possibilité de diminuer la protection de l'agriculture, sans nuire à sa prospérité et à ses progrès. L'industrie agricole a besoin de protection autant que l'industrie manufacturière : elle soutient souvent avec peine, sur notre propre marché, la concurrence étrangère. Si on demande une diminution de droits sur les matières premières employées dans les manufactures, on la réclamera avec autant de raison sur les bestiaux, qui nous fournissent, outre les cuirs et les graisses nécessaires à l'industrie, la viande devenue indispensable à nos populations laborieuses, on finira par sacrifier l'industrie agricole à l'industrie manufacturière : on suivra une marche contraire à la justice, contraire aux intérêts qu'on a voulu servir. Elle sera contraire à la justice, parce que les droits protecteurs élèvent généralement le prix des salaires et des marchandises protégées, et qu'il n'est pas juste de forcer l'agriculture à payer une journée d'ouvrier à un taux qui n'est pas en rapport avec le profit qu'elle en retire ; de l'obliger à vendre bon marché ce qu'elle produit, et acheter cher ce qu'elle consomme ; toutes les industries ont droit à une part égale de protection, la balance doit être la même pour toutes. Elle sera contraire aux intérêts manufacturiers, parce que la protection est encore une condition indispensable des progrès agricoles, et qu'il n'existe pas de prospérité manufacturière durable avec une agriculture décroissante ou stationnaire. A l'exception des denrées tropicales, notre sol, convenablement cultivé, peut suffire à l'entretien d'une population presque double de la nôtre : c'est à l'intelligence protégée, encouragée de nos cultivateurs que nous devons demander l'abondance des matières premières, naturelles à notre climat. Le père de famille n'achète pas chez son voisin les denrées que son champ, bien cultivé, peut produire. C'est donc par de meilleurs assolemens, par la multiplication des bestiaux, par des améliorations de toute espèce, qui enrichissent l'agriculteur et la France, qu'il faut obtenir le bon marché, et non par des importations étrangères qui nous appauvrissent, qui compriment la source de la fortune publique. Notre agriculture, malgré ses progrès incontestables, est loin encore de pouvoir soutenir la concurrence des laines d'Espagne et d'Allemagne, des lins, chanvres et graines oléagineuses de Russie et de Belgique ; celle des bestiaux de Suisse et d'Allemagne. Retirez-lui une partie de la protection qui la couvre et rendez-la insuffisante, la culture de ces denrées devient impossible. Cependant les plantes oléagineuses et textibles, forment la base d'un bon système d'assolement par leur intercalation avec les céréales et les racines ; les bestiaux de toute espèce sont la source première et indispensable de toute production territoriale ; ils nous fournissent la viande nécessaire à notre subsistance, en même temps qu'ils rendent directement à la terre une fécondité toujours prête à s'épuiser ; il faut élever beaucoup de bestiaux si on veut avoir de belles récoltes, et les belles récoltes sont la condition première de la prospérité manufacturière, de la richesse publique ; tout se lie, tout s'enchaîne dans notre état social : le travail est le principal élément de nationalité. Votre Commission, Messieurs, est donc restée convaincue que toutes les industries ont droit à une part, sinon égale, au moins relative de la protection qui les couvre toutes. Que les droits sur les denrées alimentaires de première nécessité doivent suivre une échelle mobile, et que, sous ce rapport, notre législation ne laisse rien à désirer. Que les droits, ensuite, sur les matières premières doivent être assez élevés pour engager l'agriculture à pourvoir aux besoins du marché français ; mais que cette élévation doit être telle qu'elle permette, en même temps, à l'industrie manufacturière de s'alimenter ailleurs lorsque les récoltes sont insuffisantes à ses besoins. Que les droits, enfin, sur les produits manufacturiers doivent être réglés de manière à préserver le travailleur français de la concurrence étrangère et lui assurer la préférence du marché français, votre commission vous propose, en conséquence, le programme suivant : Considérant que le travail est le principe de la richesse et de la morale publique, mais que l'homme ne s'y livre qu'autant qu'il peut retirer un prix rémunérateur de ses produits ; Considérant que le système du libre échange profite aux nations, dont les moyens de travail sont plus perfectionnés ou plus économiques, et qu'il ruine, au contraire, celles qui se trouvent placées dans des conditions moins favorables ; Considérant que tous les traités de réciprocité nominale, faits par notre gouvernement avec les étrangers, sans qu'il [ait] été tenu compte de ces inégalités internationales, ont toujours tourné à notre désavantage, et que le passé doit servir de guide à l'avenir ; Considérant que la France agricole et manufacturière, malgré ses progrès industriels, est dans l'impossibilité de soutenir la concurrence d'un grand nombre de nations étrangères ; que cette concurrence est d'autant plus dangereuse qu'elle vient, en majeure partie, soit de la nature, soit du caractère national, soit de notre organisation sociale, et que dans notre état d'infériorité il serait plus qu'imprudent de se livrer aux hasards d'une lutte inégale ; Considérant que le système de droits protecteurs, appliqué jusqu'ici, a eu pour effet de compenser ces inégalités et de préserver le travail national d'une concurrence ruineuse ; que nos diverses industries ont constamment progressé à l'abri de nos lois sagement protectrices ; qu'un changement de système arrêterait non seulement leurs progrès, mais entraînerait leur ruine les unes après les autres et compromettrait l'avenir de la France. Par ces considérations, Messieurs, votre Commission vous propose de proclamer, pour la seconde fois, la pratique du libre échange ruineuse pour la France, de réclamer la continuation du système protecteur pondéré de manière à concilier les intérêts de toutes les industries, et à leur réserver, en tout temps et surtout dans les époques de crise, la préférence du marché français, elle vous invite à nommer une Commission chargée de se mettre en rapport avec le Comité central de Paris, à l'effet de combattre, par tous les moyens possibles, la propagande d'une théorie désastreuse pour le travail national. ~*~
NOTA. L'assemblée, composée des principaux agriculteurs et manufacturiers de l'arrondissement, a adopté les conclusions du rapport à l'unanimité, et voté son impression et sa distribution à un grand nombre d'exemplaires. M. d'Heudreville a proposé ensuite, au nom de la Commission , l'ouverture d'une souscription, dont le produit sera versé au Comité central de Paris, pour subvenir aux frais qu'entraîne la défense du travail national ; l'assemblée fixe le montant de la souscription à 500 francs, qui seront repartis entre les souscripteurs au marc le franc du rôle de patente droit proportionnel compris pour les commerçans ; et du rôle des impositions foncières pour les propriétaires non patentés, avec cette restriction que le maximum de la répartition ne pourra dépasser 5 pour 100 de la patente, pour les commerçans, et 2 pour 100 des impositions, pour les propriétaires. L'assemblée a formé ensuite son Comité, il se trouve composé des onze membres nommés dans la séance du 29 novembre, sauf à ceux-ci à désigner trois des leurs pour s'occuper plus spécialement de la défense du travail national ; le Comité est chargé de recueillir les souscriptions, de faire la répartition d'après les bases ci-dessus, et d'en verser le montant à M. Joseph Perrier, député, à Paris, trésorier du Comité central. |