Extrait d'une observation sur une rétroversion de l'utérus, par M. Jourel, D.-M. à Rouen ; et du rapport qu'en ont fait MM. les professeurs Dubois et Désormeaux
Une femme âgée de vingt-trois ans, d'un tempérament lymphatique, ayant eu un accouchement heureux plusieurs années auparavant, éprouva tous les symptômes indicateurs d'une nouvelle grossesse. Six semaines après leur manifestation, à la suite d'une espèce d'orgie dans laquelle elle fut balancée et secouée par quatre hommes qui la tenaient suspendue par les bras et par les jambes, elle fut tourmentée d'un écoulement de sang par le vagin, de douleurs aux reins, aux aines, et d'un sentiment de pesanteur au périnée, de difficultés dans la marche et dans l'excrétion des matières stercorales. M. Jourel, consulté au bout de quinze jours, conseilla le repos, les boissons légèrement astringentes, et ne revit pas la malade pendant un mois qu'elle alla habiter la campagne.
Au bout de ce terme elle lui apprit que la perte de sang n'avait cessé que depuis deux jours, mais que tous les autres accidens avaient progressivement augmenté au point qu'elle ne rendait que très-difficilement les urines et les matières fécales. Leur sortie fut sollicitée à l'aide de la sonde de lavement. Le 13 septembre, six jours après le retour de la malade, le doigt porté dans le vagin rencontra un corps ferme, tendu, figuré comme la matrice dans les premiers mois de la gestation, dont la grosse extrémité comprimait le rectum, et la petite, la vessie qu'elle appuyait sur la face postérieure des pubis. A ces signes, M. Jourel et un de ses confrères reconnurent la rétroversion de l'utérus, et après avoir vidé la vessie et le rectum, ils tentèrent de replacer l'organe en le repoussant avec trois doigts introduits d'abord dans le vagin, ensuite dans le gros intestin. (Diète, bains tièdes.) Le lendemain (14), assisté de deux autres confrères, ils placèrent la malade, au sortir d'un bain, sur les coudes et sur les genoux, et firent encore des essais inutiles de réduction avec toute la main, entrée dans l'anus jusqu'aux os du métacarpe. (Saignée du bras, bains tiède). Le soir du même jour, tentative infructueuse pour introduire un cathéter par l'orifice de la matrice, afin de crever les membranes, et de donner issue aux eaux de l'amnios : le col de l'organe trop fortement courbé, s'opposa à cette manoeuvre, dont nul Auteur n'avait parlé. Dans cette circonstance déplorable, ils crurent ne pas devoir faire la synchondrotomie pubienne, conseillée en pareil cas par M. Gardien ; ils préférèent la ponction de l'utérus, à travers la paroi postérieure du vagin, qui avait été indiquée par Hunter et par la plupart de ceux qui, depuis lui, ont traité le même sujet, mais que personne n'avait encore pratiquée. M. Jourel fit l'opération avec le trocart ordinaire, conduit le long du doigt indicateur de la main gauche, la canule laissa écouler environ une livre d'eau sanguinolente ; quantité qui semble supérieure à celle qu'indiquent la plupart des Auteurs à cette époque de la grossesse, mais que les circonstances particulières de la rétroversion pourraient expliquer, ubi stimulus, ibi fluxus. Aussitôt la matrice devint plus molle, le pouls moins fréquent, et l'état général de la femme sembla s'améliorer. (Potion calmante, bain tiède, lavement émolient). On ne crut pas devoir tenter immédiatement la réduction, la malade était trop fatiguée.
A dater de ce moment les urines commencèrent à couler librement, et le sommeil revint. Le surlendemain tout était dans le même état ; beaucoup de sérosités s'écoulèrent par le vagin ; l'utérus étant un peu douloureux, on fit usage d'injections narcotiques et de fomentations émollientes.
Le 17, le pouls était devenu plus fréquent, plus petit ; la face pâle ; la région hypogastrique douloureuse au toucher ; l'utérus plus dur et plus sensible ; la difficulté d'uriner revint pendant la matinée, et il se manifesta des vomissements à deux reprises différentes, avec des émission de vents par l'anus. Il y avait prostration des forces, l'écoulement était supprimé. Le 18, il reparut ; il y eut des selles liquides : les accidents se calmèrent vers le soir, et furent encore moindre les jours suivants, à l'exception de la grande faiblesse. l'écoulement des urines fut en partie volontaire, en partie involontaire.
Le 22, il se manifesta des signes évidens d'adynamie, avec écoulement grisâtre et putride par le vagin, et sortie involontaire et abondante de l'urine dans la position verticale. (Lavement de quinquina, injections toniques.) A l'aide des toniques, les forces reparurent les jours suivans ; l'écoulement fétide n'avait plus lieu que par intervalles ; signe certain, sur-tout en le joignant aux autres déjà indiqués, que l'on n'avait pas fait la ponction dans la vessie, en croyant la pratiquer sur le corps de l'utérus.
Ce ne fut que le 27 que le col de la matrice, toujours recourbé, reprit sa place dans la partie moyenne du bassin. Le 2 octobre, l'organe avait son volume naturel ; son orifice était dirigé du côté du sacrum, et l'écoulement par le vagin fort diminué. Il sortait par le rectum un liquide d'une couleur blanche, qui avait l'apparence d'un pus phlegmoneux. Le pouls était fréquent, sur-tout le soir, où la malade semblait avoir un léger accès de fièvre hectique : la matière de cet écoulement recouvrait les excrémens, et sortait en abondance avant leur excrétion : cet accident diminua progressivement, et cessa entièrement le 10 du même mois.
Alors la malade alla habiter la campagne pendant trois semaines ; mais pendant cet espace de temps, et jusqu'au 25 décembre que ses règles parurent, elle éprouva une tension douloureuse du ventre, des coliques passagères ; ses selles étaient tantôt liquides, tantôt fermes.
Depuis l'éruption des menstrues, elle a joui d'une bonne santé.
Cette observation prouve, disent MM. les commissaires, que dans des circonstances malheureuses où le chirurgien sera appelé trop tard pour réussir en employant tous les moyens plus doux, tels que la saignée, les bains, les fomentations émollientes, l'évacuation des urines et des matières fécales, il pourra espérer quelque succès en pratiquant la ponction de l'utérus.
Nous y voyons aussi qu'à l'époque de la grossesse où l'opération a été faite, les débris d'un foetus peuvent se dissoudre et disparaître avec les liquides fournis par les membranes, sans qu'on les aperçoive d'une manière distincte.