Dans le premier chapitre des
Recherches
philologiques et littéraires mises au devant de son
Glossaire Picard, l'abbé Corblet,
traitant de l'origine des patois, réfute le système de Génin qui ne
reconnaît qu'une langue universelle sans influences dialectales. Il
n'admet pas non plus les prémisses de Fallot, mais, en la limitant aux
dialectes littéraires, il adopte la division des patois en trois
dialectes principaux qu'il nomme le Romano-Normand, le Romano-Picard et
le Romano-Bourguignon. Les lignes de démarcation sont d'ailleurs
difficiles à tracer et tous ces dialectes ont des formes communes. Il
est inutile de dire que la ressemblance porte sur des formes romanes ou
françaises, les Picards ayant pris et conservé dans leur langage des
expressions Wallonnes ou étrangères, les Hauts-Bretons et les Normands
des locutions celtiques ou Scandinaves et les Bourguignons glanant un
peu partout.
En admettant celte division sous toutes réserves, elle nous amène à
constater une chose, le peu de goût des Normands pour les recherches
philologiques et les subtilités de la grammaire.
Le premier lexicographe connu est d'Abbeville. C'est Firmin Le Ver,
prieur des chartreux de Saini-Honoré qui paraît avoir été ignoré, même
de son compatriote l'amiénois Du Cange dont le glossaire, en ce qui
regarde la basse latinité, est une mine précieuse pour les
étymologistes. La longue série de grammairiens dont M. Livet a écrit
l’histoire commence par Jacques Dubois (Sylvius) lequel était de
Leuilly-les-Amiens. Lambin dont le nom de famille est devenu un
adjectif qualificatif et dont le nom est resté attaché à la célèbre et
puérile dispute scolaire des
Quanquan
et des
Quisquis était picard
comme ses devanciers, Ramus était de Cus en Vermandois. Picard aussi et
franc-picard était l'abbé Jules Corblet, enlevé prématurément, il y a
quelques années, aux sciences archéologique, hagiographique et
philologique.
La Bourgogne n'est guère moins bien représentée que la Picardie. Elle
compte parmi les anciens grammairiens Théodore de Bèze que les
réformateurs de l'orthographe feraient bien de relire avant de
reprendre périodiquement, les mêmes arguments en faveur de la méthode
phonétique et le brillant escarmoucheur Guillaume des Autels qui
piquait si gentiment au vif le lyonnais Meigret. Le patois Bourguignon,
toute proportion gardée, a son Homère ; Bernard de la Monnaie a su leur
conserver son sel allique et au besoin y ajouter un peu du sien (1),
Dans notre siècle, M. Fertiault en a donné une nouvelle édition avec
des notes savantes et un glossaire précieux.
Les autres grammairiens français étaient originaires de diverses
provinces. Les Estienne étaient de Paris, Pillot était Barrois et le
doyen des professeurs de prononciation, Claude de Saint-Lien, de
Moulins en Bourbonnais, enseignait le français à la cour d'Angleterre
comme l'avaient fait avant lui Du Guez (1527) et Palsgrave (1531).
Cotgrave était anglais comme eux et le dictionnaire de Nicot n'est
qu'une réédition de celui de Robert Estienne. Pelletier du Mans et Abel
Mathieu de Chartres sont nos plus proches voisins.
Les petites querelles de grammaire ne paraissent pas avoir troublé là
sérénité de nos auteurs bien que la grande scène entre Vadius et
Trissotin se soit jouée pour la première fois à la cour de nos anciens
ducs s'il faut en croire le savant M. Lair, au temps
deRjchard-sans-Peur ou de son neveu Robert-le-Diable (2).
Parmi les grammairiens relativement modernes et.les académiciens
faiseurs de dictionnaires, je ne vois guère que notre Mézeray,
encore n'est-ce que par soupçon, s'il est vrai que Furetière trouva
dans les papiers de son collègue une grande partie du dictionnaire
rival qui le fit chasser de l'Académie.
Huet avait toutes les qualités d'un parfait philologue et les défauts à
un degré encore plus éminent. Bien que seulement Sous-précepteur du
dauphin, il se préoccupa moins de grammaire que son chef de file le
grand. Bossuet qui théorisait sur l'orthographe tout en construisant la
phrase à coup d'ailes. Quand on songe à la brouille de Huet avec
Segrais pour la traduction d'un vers, on se félicite de son dédain qui
épargna bien des flots de petite bile à ce monde de grammairiens « au
front ridé » (3) qu'un autre normand, le sceptique Saint-Evremond
représente comme « ne songeant .qu'aux mots et n'entrant ni dans la
délicatesse du sentiment ni -dans la finesse de la pensée, »
- Que dire, après de si hautains jugements, des modestes patriotes qui,
non seulement se préoccupent singulièrement de la grammaire française,
mais recueillent comme reliques précieuses les expressions de leur
canton et les mots de leur village ? S'il leur fallait des patrons dans
les grands ancêtres, peut-être pourraient-ils se réclamer du grand
Corneille qui, comme Bossuet, apportait au dictionnaire de l'Académie à
son début le concours sérieux de sa science exacte et l'autorité de son
expérience. Plus spécialement encore de ce Mézeray déjà nommé qui
voulait imposer à ses collègues dédaigneux ou ignorants l'introduction
dans le dictionnaire des mots techniques et professionnels en suivant
le vocabulaire des gens du métier et surtout de Malherbe qui trouvait
que les débardeurs du port au foin parlaient plus français que Ronsard
et la pléiade des ronsardisants.
Mais à quoi bon chercher des références quand on marche dans une voie
nouvelle où l’on se sent suivi avec intérêt et curiosité. Plus que tous
les autres peut-être, nos patois normands ont été étudiés par de
patients philologues. Indépendamment de l'enquête officielle de 1812
dont les résultats nous ont été communiqués en partie par M. Duval, des
travaux considérables ont surgi dans tous les coins de notre bonne
Normandie. Après le dictionnaire de MM. Duméril est venu celui de M.
Moisy. Le patois de l'Avranchin et celui du Perche ont été élevés au
rang de dialectes par MM. Le Héricher et Genty. D'autres travaux ont
été publiés et voici qu'à son tour, M. Charles Vérel entreprend la
petite grammaire du patois de
l'arrondissement d'Alençon. Bien que M. Vérel n'en soit plus à
ses débuts littéraires, sa modestie extrême m'a déféré l'honneur de le
présenter du public. Non seulement je le fais volontiers, mais il m’a
semblé curieux, à propos de certaines orthographes, de certaines formes
et de certaines prononciations, de recueillir et de consigner l'avis
des anciens grammairiens français. J’aurais pu multiplier les notes
insérées au cours de ce travail, mais elles le chargent déjà
passablement. Toutefois je les crois de quelque intérêt en ce qu'elles
prouvent une fois de plus, que le patois, au lieu de dénaturer les mots
et de jargonner au hasard de sa fantaisie et de son ignorance, est
souvent le vrai puriste et le vrai conservateur. C'est alors que,
malgré de nombreux écarts, il rend des points à l'Académie.
GUSTAVE LE
VAVASSEUR.
NOTES :
(1) Providus, ut multos haec servarentur in annos
Carmina, burgundo tinxit Apollo suo. LA MONNOYE.
(2) Voir dans *l'étude historique et critique sur Dudon de
Saint-Quentin*, imprimée en tête de l'édition donnée par M. Lair dans
les *Mémoires des Antiquaires de
Normandie* (série 3, vol. 3), la curieuse dispute des pédants
Garnier et Moriuth en pleine église de Saint-Ouen. Plus de six siècles
et demi avant Molière, Garnier avait décoché à son adversaire le fameux
vers d'Alceste à Oronte :
« Per totam curtem versus ructabat oberrans,
*Dignos confectis
stercore paginulis*, »
(3) Montaigne.
~*~
A mon ami Stanislas
MILLET, professeur au Lycée de Lorient.
PETITE
GRAMMAIRE
DU PATOIS DE L'ARRONDISSEMENT
D'ALENÇON
« Tout homme qui n'a pas
soigneusement exploré les patois
de sa langue ne la sait encore qu'à demi. »
Ch. NODIER. (Notions
de Linguistique).
I
RÈGLES GÉNÉRALES
Concernant
les mots français altérés par la prononciation patoise.
1
Acle et
acre. Prononciation : aque : «
C'est un
miraque de vous vais
(voir). — Prenons un
fiaque
pour arriver pus vite. »
2
Ai, ê,
è, rendus par le son
ei,
sur lequel on appuie fortement quand cette syllabe ou ces lettres
accentuées sont précédées où suivies d'une consonne : « Note curé
montit dans la
cheîre, — Hélâ
! que çté fille là est don
malhonneîte
! — Y a pas d'
compareîson, à
c'qué dit mon peîre. »
3
Aigre,
ègre. Prononciation :
aiguë,
ègue : « En n'happe point les
mouches ové du
vinaigue. — Y
travaille comme, un
nègue. »
4
Aille. Prononciation :
âille : « J'avons tué eune
câille bin b'sante (pesante). —
Prenez les cartes et amusous à la
batâille
(sorte de jeu). »
5
Aine, eine, êne.
Prononciation :
aigne, eigne, êgne
: « I m'a donné eune monte ové sa
chaîgne.
—
La baleigne dé mon corset
est mincée (cassée). — L’
alêgne
du cordognier. » (1).
6
Ais, es. Prononciation :
ée : « N'mé caôsez
jamée d'çà. — I reste tout
prée d'nous. »
7
Les mots en
al se prononcent
comme en français, sauf les substantifs suivants :
Marécha (ou mieux
maricha) ;
confessionna ;
carnava.
8
Ancre, encre.
Prononciation :
anque, enque
: « Nos pommiers sont grugés d'
chanques.
— Donnez mai d' l'
enque et
eune pieume pour écrire à mes gens (parents) . »
9
Angle. Prononciation :
angue : « La j'ment a cassé sa
sangue. — Note gâsjoùe d'ia musique
: c'est li qu'a l'
triangue. »
10
Ar. Prononciation :
er, lorsque cette syllabe est
initiale ou placée après une consonne : « Çt'année l'
ergent né r'soudra pas (ne
pullulera pas). — Note pré a quatorze
erpents.—
Cherles, fais don dire
ta clérinette » (2).
11
Ard. Le patois ne fait
pas subir d'altération dans la prononciation des mots en
ard. Seuls, ou à peu près,
tard et
renard échappent à la règle : « Il
est bin
ta, m' s'aisons nous
d'parti (il est bien tard, dépêchons nous de partir).—J'ai pris un
r'na
dans l'huchoué (juchoir). »
12
Ars. Prononciation
âs : « J'avons tras oies et un
jâs (jars). — C'est un bon p'tit
gâs, tout l'monde l'alôse (en
chante les louanges). »
Mars se prononce
toujours
mâr : « J'prenons la
ferme au mois de
mâr. » (3).
13
Bl, Fl, Pl.
Prononciation :
Bi, Fi, Pi :
« Sa vache
bianche est
amouillante (pleine). — Les ribans d'son bonnet
bieu sont corvillés
(recroquevillés). — En n'bat pus l'grain ovec el
fiau (fléau). — Deudpis qu'sa meîre
est dans l'çumequeîre, ou n'fait que d'
pieurer.
— Tuez la poule piglée qui chante el coq et
pieumez-la. (tuez la poule tachetée
qui chante à la manière des coqs (signe de mort) et plumez-la). »
14
Bre, Dre, Fré, Pré.
Prononciation :
Ber, Der, Fer, Pèr
: « C'est anuit qu'en touse les
berbis
(c'est aujourd'hui que l'on tond les brebis). — « J'irons v'vais
venderdi (nous irons vous voir vendredi). — I
fertille comme
un pouesson. — L'
Persident du Comice y a donné un filet (anneau). » (4). Par contre,
Percepteur se
prononce
Précepteu,
appellation moins singulière que celle de
Sérrous
(qui serre l'argent) donnée à ce fonctionnaire par le paysan des environs de Rennes. Remarquons que
Berbis,
Venderdi, ne sont que des
métathèses plus près de l'étymologie que la prononciation usuelle :
vervix (brebis), veneris dies (vendredi).
15
Cla, clai, clan, clo. Prononciation :
Quia, quai, quian, quio : « Tais toué ou j'té fiche eune
quiaque (une claque). — I fait
quair à soi (il fait clair ce soir). — J'guerdinons,
quianchez don la porte (nous grelottons, clancbez donc la porte). — L'couvreux a mis un co neu sus l'
quiocher (un coq neuf sur le clocher). »
16
Dia, dieu, deau, dier. Prononciation :
Guia, gueu, guiau, guier : « C'est un gâs d'
guiâbe (un vaurien). — Priez l'bon
Gueu. — C'est des chercheux, i pâssent leus temps à
menguier (ce sont des gens qui cherchent leur pain, ils passent leur lemps à mendier). — L'gàs Palochin s'est pendu ovec un
corguiau (le gars aux pieds bots s'est pendu avec un cordeau.) »
17
Eau, neau, teau. Prononciation :
iau, gneau, quiau (5) : « Ya un
oisiau dans la logelte (trébuchet). — Les
moigneaux ont ruiné nos pois primes (hâtifs). — Mon
couquiau est déboîté (démoli). »
18 .
Ers Les mots en
ers se prononcent comme en français, excepté
pervers et
travers : « Eslti
pervès pour son âge ! — Oul a lé z'yeux d'
travès (elle louche). »
19
Estre. Prononciation :
Esse : « I paie l's arriérages d'sa rente tous les
trimesses — L'fis à
Sylvesse
dait tras mille francs au notairial, sans compter les papillons (sans
compter les billets qui sont en circulation). « Toutes les fois, dit
Ménage, d'après les anciens grammairiens, que trois consonnes se
suivent en français, on ne doit en prononcer que deux. » Il y a de bons
et de mauvais exemples ; mais la tendance à l'adoucissement explique
beaucoup d'élisions, de retranchements, de syncopes, de crâses, etc. (6)
20
Euf, oeuf. Prononciation :
eu, oeu (7) : « Mon habit
neu est consommé (détérioré, ou mieux perdu, fini). — L'
boeu du Godivellier (tonnelier) vaut bin cinquante pistoles. — Oul est rousselée comme un
oeu d'dinde (elle a des taches de rousseur comme un oeuf de dinde). » Il y a exception pour
veuf,
qui ne change pas dans la prononciation patoise. Il faut dire, qu'à la
campagne, l'homme qui a perdu sa femme est plutôt appelé
veuvier ou
veuv'homme : « Ou s'est mariée d'un
veuv'homme (elle s'est mariée avec un veuf). »
21
Eugle. Prononciation :
eugue : « Ayez piquié d'un pauve
aveugue ! »
22
La lettre
L se supprime toujours dans les mois qui se terminent par
eul : « J'ai donné un cochelin (cadeau de mariage) à mon
filleu. — L'gâs calorgne douchon) est
seu sous l'
tilleu. » (8)
23
Eur. Prononciation la plus habituelle :
eu s'il s'agit d'un substantif ;
eux pour les qualificatifs et les professions : « La
liqueu m'fait mal au
coeu. — Mon cousin r'mué d'germain est
piqueux d'pierrede Hertré (mon cousin issu de germain est tailleur de pierre de Hertré). (9) » — J'allons mener note bourri à l'
écorcheux (équarrisseur). »
Ramoneur ne suit pas celle règle générale ; il se prononce
ramonard : « Donne deux nosses dé suque au p'tit
ramonard (donne deux morceaux de sucre). » Remarquons que souvent l'
eu devient
u : «
Ugène est bin
hureux. »
24
Eure,
ièvre. Prononciation :
euve,
ieuve : « L'orfeuvea tué un
lieuve. — J'ai mal à la
leuve. »
25
Ine se prononce
igne à la fin des mois : « Ma
cousigne portait eune
crinoligne. — La
lapigne a eune
épigne dans la patte. »
Ine et
igne riment dans tous les vieux auteurs ; on en trouve encore au moins deux exemples dans La Fontaine (10).
26
Ir. Dans tous les patois, la lettre
R se supprime dans les verbes de la deuxième conjugaison : « Il a dû
russi dans ses affeîres. — Dé quai qu'j'allons
dév'ni ! (qu'allons nous devenir ! ) » Le participe passé
senti devant
sentu en patois (11).
27
Iste,
uste,
istre : Prononciation :
isse,
usse,
isse : « Son n'veu est
aubergisse.— C'est
jusse.—Môsieu l'
Minisse. »
28
Gli se prononce
Gui : « J'allons
guisser en p'tite bonne femme prée l'noc de l'étang (nous allons glisser en nous asseyant sur les talons près la vanne
de l'étang). »
29
Le paysan éprouve beaucoup de répugnance à prononcer de suite plusieurs syllabes en
i et en
o : « Pisqu'en
défénitive il a dit des reîsons (injures) ès gendermes, y aira du
défécit (surprise, punition). — C'est anuy la
Quasimado.—L'chien n'est pas
c'mode. »
30
Les liquides
L et
R suivies d'un
e final et précédées d'une consonne se suppriment toujours dans la prononciation patoise : «
Capabe,
ensembe,
meube,
risibe,
câde,
chambe,
célèbe,
désorde,
live. etc. » (12)
31
Un grand nombre de verbes en
oir se prononcent
é et s'écrivent
er : « C'est pas l'toul d'
vouler (ou
véler), i faut
pouver. — Va
faller d'mander c'qué çà peut bin
valer. - Tâchez d'
saver combin que peut y en
aver. »
Voir, recevoir, apercevoir, s'asseoir, choir font exception à la règle et se prononcent
vais,
revais,
recieude ou
recieuvi,
apercieude ou
apercieuvi,
s'assire (impératif : assisons-nous ou assiessons-nous, assisous ou assiessous),
chais (part. pas. fém. : chute ; part. prés. : chessant).
M. de Grosparmy, l'un des alchimistes de Flers, emploie le verbe
choir,
à l'indicatif présent et au futur, dans la préface de ses traités : «
Se un grain de la première composition de ladicte ouvrage, nommée la
pierre des philosophes,
chet sur 100, la
seconde
cherra sur mil. etc. (13) ».
La prononciation oué pour les substantifs en
oir est conforme à l'ancienne orthographe. On écrivait jadis
mirouër,
armouëre, etc. : « J'ai perdu mon
mouchoué. — R'garde tai dans l'
miroué.— Al a câssé son
battoué. »
32
Oire. Prononciation :
oueîre : « In'fait que' d'
boueîre ava l'jou (toute la journée). — L'linge est pairé (dressé) dans l'
armoueîre » (ou mieux
ormoueîre).
Croire et
accroire se prononcent
cresre et
accresre -comme dans la vieille langue française.
Croyable devient
créyable.
33
Oit,
oid Prononciation :
Et,
ed : « Oul est tout plain
adrète. — I fait rudement
fred à matin » (14).
Oy, précédé d'une consonne et suivi d'une voyelle composée, s'écrit
ouy : Nouyau, alouyau, bouyau, mouyeu.
34
Ort. Prononciation habituelle
o, avec ou sans accent circonflexe selon les contrées : « J'eime pas qu'en m'fasse
to d'eune centime. — I souffrait si
fo qu'il en est
mo. ».
35
Le paysan supprime quelquefois la lettre
R dans les mots qui se terminent par
our : « J'vas dire
bonjou a vote peire qu'est dans la
cou. »
36
Nier,
nière. Prononciation :
gnier,
gnieîre : « L'
jerdignier va nous qu'ri un
pagnier d'preunes. — Mettez ç'bouquet (fleur) à vote
boutognieîre. »
En patois,
rancunier devient
rancuneux.
37
On ajoute souvent, comme en Italien et en Espagnol, un
e au commencement d'un mot dont la première lettre est un
s suivi d'une consonne : un
esquelette, eune
estatue, eune
estation, Sainte-
Escolâsse (15).
38
Tié,
tier,
tien. Prononciation :
quié,
quier,
quins : « L'
saboquier a bin d' l'
amiquié pour sa tante ; c'est li qui la
souquint. »
39
La lettre
U s'élide dans
bruit,
puits,
joue,
roue et quelquefois
boue :
« J'en faites-ty du brit ! — Guettous d'chais dans l'pits. »
« Il a la joë enflée —Note voiture a eune roë d'câssée. »
Et cil qui fortune a mis el son de sa roë
Peut être trop seur qu'il chaiera en la boë.
(Les regrets de la mort de St-Loys).
Il y a aussi
brôe, pour écume, que l'on fait dériver de l'allemand
Brauen, écumer.
40
Ume,
une. Prononciation :
eume,
eune : « Ajette mai l'
pleumas (ou pieumas) pour oter l's érignées (jette-moi le plumeau afin que j'enlève les toiles d'araignées). — I passe ses journées à
leuneter (à bailler à la lune) » (16).
41
La lettre
X est remplacée par
S dans explication, exposition : « C'était des
esplications à n'en pus fini. — N'pâssez pas sus la planche dé la rivieire, ya d' l'
esposition (il y a du danger) » (17).
~*~
II
PARTIES DU DISCOURS
L'ARTICLE
Au singulier :
L', masculin, devant une voyelle ou H muet : «
L'homme ».
El, masculin, devant une consonne : Note fis est parti pour
el pays d'Amont (la Beauce) ».
La, féminin, devant une consonne : « A la clairlé d'
la leune ».
L', féminin, devant une voyelle : «
L'équervîche (I'écrévisse) ».
Au pluriel :
L's et
Els, masculin et féminin, devant une voyelle ou H 'muet : «
L's oies sont avec les boures (canes). —
Els
hommes chaussument (sèment du blé imprégné de lait de chaux pour le
préserver des insectes) ». Très souvent, devant une voyelle,
les se prononce
lé z : «
Lé z'oies sont logées sous la cherretrie. »
Les, devant une consonne : «
Les femmes pucent la lessive. »
Article composé :
Es pour
aux. C'est le latin
ad plus ou moins défiguré : « Ces bourbettes sont
ès maçons (ces sabots appartiennent aux maçons). »
Es,
tiré du vieux français, s'est conservé dans la langue moderne pour
désigner certains titres universitaires : Bachelier ès-sciences,
bachelier ès-lettres, licencié ès-sciences, etc.
Pour joindre un nom propre ou de profession à un nom précédent, on place
a,
au,
aux ou
es entre les deux, au lieu de la
préposition de : « Le live
à Pierre, le cheval
au boulanger, les pelles
es jerdigniers. »
Remarque
: Lorsque le nom commence par une voyelle et suit immédiatement son
adjectif, celui-ci (ainsi que l'article ou l'adjectif qui le précède)
se met souvent au féminin : « De la bonne ouvrage — C'est la belle âge.
— Une mauveîse augure. »
L'ADJECTIF QUALIFICATIF
Les adjectifs s'accordent en genre et en nombre avec les mots auxquels ils se rapportent, excepté l'adjectif
grand qui
reste invariable quand il précède immédiatement un substantif
commençant par une consonne : « Eune grand femme, eune grand meison. »
A propos de l'adjectif
grand, MM. Larive et Fleury s'expriment ainsi dans leur « Dictionnaire des mots et des choses » : « Autrefois
grand
appartenait à la classe des adjectifs pour lesquels la distinction des
genres n'existe point. Cette classe, réduite aujourd'hui aux adjectifs
terminés par un
e muet comme
juste,
utile,
etc., était beaucoup plus étendue dans l'ancienne langue. Elle
comprenait tous les adjectifs dérivés des adjectifs latins qui, dans
leur déclinaison, avaient à tous les cas une forme identique pour le
masculin et pour le féminin. Or l'accusatif singulier latin
grandem, qui a donné
grand, s'appliquant à un nom féminin aussi bien qu'à un nom masculin, il en est résulté que, dans le vieux français, l'adjectif
grand était invariable quant au genre et qu'en conséquence, on disait et on écrivait
un homme grand,
une femme grand ;
des hommes grands,
des femmes grands. Il nous est resté de là certaines expressions telles que
grand'mère,
grand'messe,
grand'pitié,
grand'chose,
etc., dans lesquelles l'ancien usage continue à être observé. Mais
c'est à tort que, dans ces substantifs composés, l'on place une
apostrophe après le
d de
grand. Cette apostrophe ferait croire qu'un
e muet a été supprimé à la longue. Or il n'en est rien, puisque cet
e muet
n'a jamais existé. C'est à Dolet, à Vaugelas et à quelques autres
grammairiens peu au courant du vieux français, qu'est due
l'introduction fautive de celte apostrophe que l'on devrait bien
supprimer ». .
Gentille se prononce toujours
gentie lorsque, cet adjeclif féminin précède immédiatement le mot auquel il se rapporte : « Eune
gentie fille, eune
gentie propriété. »
L'adjectif pauvre subit une mutilation (apocope) quand il est suivi de l'adjectif
petit : « C'est un
pau' p'tit bonhomme. — Il a eune
pau' p'tite teite
aussi afillotie ! » dira-t-on d'un garçonnet délicat comme une fillette.
D'autres adjectifs, enfin, n'ont pas en patois le sens qui leur appartient dans la langue française, comme :
conséquent (important), barbarisme pour « de conséquence » qui a conquis, on ne sait pourquoi, sa place au soleil du dictionnaire ;
casuel (pour fragile) admis avec ce sens par certains lexiques ;
grossier employé communément pour qualifier un homme replet ;
méchant
pour désigner le plus petit des enfants d'une même famille : « J'avons
un maignier qui n'est point résoud (qui se porte mal). — Lequieul don ?
— L'méchanl ! » (c'est-à-dire le plus jeune, le plus petit).
Méchant s'emploie aussi, comme l'a remarqué M. G. Le Vavasseur, dans le sens de
mal chanceux, poursuivi de
meschance. En effet, on dira d'un infortuné, digne de pitié : « L'
méchant bonhomme ! »
ADJECTIFS DÉMONSTRATIFS
Masculin singulier :
Ç', devant une consonne : «
Ç'gâs là est un feignant. »
Çt' ou
Est' devant une voyelle ou H muet : «
Çt' aoûteron mange par assiettes enfeîtées (dont le contenu s'élève au-dessus des bords, en forme de faîte). — Dé quai qu'c'est qu'
est'homme-là ! » (18).
Féminin singulier :
Çt', devant une voyelle : «
Çt' oie la est mauveise couvoueîre (couveuse). »
Çté ou
esté, devant une consonne : « C'est-i vote servanle
esté fille là ? »
Des deux genres :
Ces : «
Ces gadeilliers (groseilliers) ;
ces gores (truies, fém. de goret) ».
Ce est remplacé par
a dans les expressions suivantes :
à matin,
à soi, pour
ce matin,
ce soir. Cependant pour indiquer le crépuscule, on se sert du mot
çtasoirant, métathèse de
à c't'soirant.
Le soirant ou serant est le crépuscule et par extension la fraîcheur
qui l'accompagne : « En r'caôsera d'ça çtasoirant. — L'serant (ou
résant) est bin malsain. »
A matin,
a soir sont de vieilles tournures françaises dont on trouve des équivalentes dans la langue italienne :
Alla matina, ce matin.
ADJECTIFS POSSESSIFS
M'n, t'n,
s'n, employés pour
mon,
ton,
son, devant une voyelle ou H muet : « C'est
t'n' affeire. —
M'n' homme est demeuré (perclus). — C'est
s'n' affeire, je n'veux point m'en guermanler (m'en occuper). »
Note,
noute,
vote,
voute, pour
notre et
votre : « En va barauder
note poiré (l'affaiblir en y mettant de l'eau).—
Vote guignier est plein d'cherpleuses (votre cerisier est plein de chenilles). »
Leus, des deux genres au singulier : «
Leus domestique,
leus servanle. »
Leux, des deux genres au pluriel : « I z'ont vendu
leux coureux (jeunes porcs). — J'avons tué deux pintardes, les chats ont emporté
leux écofrâilles (intestins). »
ADJECTIFS INDÉFINIS
Nu, pour
nul, aucun, suivi du substantif
mal : Ex. : « Il m'a donné un parapi qui n'a
nu mal. »
Quéque, queuque,
quioque, pour quelque : « J'avons
queuques gadelles et
quioques poueîres. »
L'adjectif interrogatif
Quel se prononce comme en patois manceau :
Quieu, masc. sing. devant une consonne ;
Quieul, masc. sing. devant une voyelle ;
Quieue, fém. sing. devant une consonne ;
Quieule, fém. sing. devant une voyelle ;
Quieulx, masc. plur. (ancienne orthographe française) ;
Quieues, fém. pl.
ADJECTIFS NUMÉRAUX
Numéraux cardinaux :
Un,
iun, masculin : « Vlous que j'vous prête un louchet (bêche) ? — Merci, j'en ai
iun. »
Eune,
ieune, féminin : « Ya-t-i
eune devise (borne) au bout d'vote champ ? — Oui, yen a
ieune. »
Trâs, comme dans cette énigme bien connue à la campagne : «
Trâs moines passaient,
trâs poueîres pendaient ; chacun en prit ieune. Combin qu'il est restit ? »
Quate, comme dans cette vieille chanson dirigée contre la banalité des moulins :
Alléluia sus quate bâtons,
Tous les meugniers sont des fripons.
Quate-en-chîffe, subs. masc. Piège à rats composé d'un gros madrier tendu au moyen de petites baguettes disposées dans la forme d'un 4.
Les
ll sont mouillées dans
million et
milliard. De même pour
milliasses (grand nombre de milliards) : « J'avons des
milliasses dé fermis dans la liette (tiroir) de note tabe. »
Numéraux ordinaux :
La terminaison
ième se prononce
ieîme : « Note fis est l'
deuxieîme du catéchime. »
Noms de nombres,
quantités :
Dizaigne,douzaigne,centaigne.
Treizain. Treizième, quand dans un marché on donne 13 pour 12 : « Ou n'est pas r'gardante, ou donne toujous l'
treizain par douzaigne. »
Tréziaux. Gerbes de blé assemblées par
trois dans les champs.
Diziaux.
Dix bottes de foin empilées sur quatre rangs, en forme de triangle.
PRONOMS PERSONNELS
Première personne
Au singulier :
J', je, mai, moué. Voici comment les paysans traduisent aux enfants le langage des grenouilles : « La Reine. —
J'demande dé qui qu'a cassé l'pot à la crème ? Sa fille. — C'est pas
moué ! Les autres grenouilles (très vite) : « Ni
mai, ni mai, ni mai, etc. ».
«
Jé m'sais égrimé l'daigt avec un piqueron,
j'vas y mette un délot (je me suis égratigné le doigt avec une épine, je vais y mettre un doigtier) » (19).
Au pluriel :
J', nous. «
J'avons des loches et des achées dans note bourselte (il y a des limaces et des vers de terre dans notre valériane). »
La contraction de
Nous avons en
j'avons fut en honneur à la cour du XVIe siècle, comme on le voit dans ce passage d'une lettre de la soeur de François Ier :
«
J'avons espérance qu'il fera beau temps veu ce que disent les estoiles que
j'avons eu le loisir de veoir » (20)
Deuxième personne
Au singulier :
Tu, tai, toué : « Il est dévenu bin fier : l'temps passé, m'disait
toué, astheu i m'vouss'te (autrefois il me disait
toi, aujourd'hui il use du mot
vous en me parlant). »
Au pluriel :
J', vous : «
J'étes gaussante ové vos cancaneries (vous êtes fatigante avec vos médisances » Littéralement,
gaussant a une autre signification puisqu'il est le participe présent de
gausser, se moquer, (gaudere).
Vous s'élide assez souvent quand il est entre deux sons : » Faut-i
v's ainder ? (Faut-il vous aider ?) »
Troisième personne
Au singulier :
Masculin :
Il, sujet, devant une voyelle : «
Il ira. »
I, sujet, devant une consonne et après le verbe d'une phrase intlerrogative ou exclamative : «
I veut parti, mée tout est-
i prêt ? — Est-
i farce, ç'chifequier là ! (est-il drôle ce chiffonnier !) »
Féminin :
A, o, ou, devant une consonne ;
Al, ol, oul, devant une voyelle ; « Quai qu'
oul a qu'
ou crie ? —
Oul a qu'
oul est chute (Courtomer) (21).
E (avec accent aigu) s'emploie pour
elle dans trois cas: lorsque le pronom elle est sujet :
«
E va,
é vient » ; lorsqu'il se trouve après le verbe d'une
phrase interrogative ou exclamative : « Est-
é contente ? — Est-
é enhâsée ! (qui a grand soin de sa toilette). »
Li, pour
lui : « C'est-i à Pierre çté cherrue-là ? — Oui, c'est à
li. »
Lai, pour
elle : « A qui la mitaigne ? (mitaine) — C'est à
lai. »
Yi, complément indirect des deux genres, devant un verbe commençant par une consonne : « Faut
yi donner sa gouline (bonnet). »
Au pluriel :
l's ou
l'z, sujets masculins ; (22)
E's ou
E'z, sujets féminins : «
I's iront v'vais en rapâssant (ils iront vous voir en revenant).—
E'z iront à Paris la s'maigne qui vient (la semaine prochaine). »
E, féminin pluriel : «
é sont parties. — Sont-
é revenues ? »
Ieux, pour
eux, complément indirect : « C'est à
ieux d'véni les premiers. »
Des deux genres :
Leux, leur : « N'manque pas d'
leux dire (ou d'leux y dire). »
PRONOMS POSSESSIFS
Les pronoms possessifs sont les mêmes qu'en français sauf que la lettre
R s'éilide dans
notre et
votre.
PRONOMS DÉMONSTRATIFS
Ceci, cela se rendent l'un et l'autre par :
Ça, devant une consonne ;
Çac, devant une voyelle : « Quand en enlève la puette du baril,
çà gîle dû —
Çac allit bin en commençant. »
Çac est une élision :
Ça que alla bien,
çà qu'alla bien. La vieille langue française a horreur du hiatus et pour adoucir le
Qu'en dira l'on ? devenu
qu'en dira-on ? elle brave le
qu'en dira-t-on et introduit sans façon des consonnes euphoniques. Que mettre entre les deux
a dans :
Ça alla bien ? Ni le
T ni l'
S empruntés d'ordinaire aux velours de complaisance ; mais bien le
C dur, qui quoique rude est peut-être la plus euphonique des liaisons d'abord hasardées el finalement imposées.
Çà qu'a n'est pas le seul exemple. On dit
Champ qu'a la reine pour
champ à la reine.
Champ qu'aux maigniers pour
champ aux maigniers par horreur du quasi hiatus et l'impossibilité de la liaison, même avec la pénultième.
Ç'tila ou
Ç'tite-la, celui-ci ou celui-là ; (23)
Ç'téla, celle-ci, celle-là ;
Çeutes-la, ceux-ci, celles-ci, ceux-là, celles-là : «
Çtite-la qu'a dit ça est un menteux. — Laquieulle pelle qu'est a Zidore ?— C'est
ctéla. — Ces pommes-là sont godies (détériorées) mais
ceutes-la sont bleiches (blettes). »
L'sien, la sienne, les siens, les siennes, la celle, les celles, les ceux. Celui, celle, ceux. « Mes poules sont pus belles que
les siennes à Adrian. — A qui la gouline ? — C'est
la celle (ou
la sienne) à Laguile Marguerite. »
PRONOMS RELATIFS
Au masc. sing. :
lequieul, duquieul, auquieul ; au masc. pl. :
lesquieulx, desquieulx, auxquieulx ou
èsquieulx ; au fem.sing.: l
aquieulle, de laquieulle, à laquieulle ; au fem. pl. :
lesquieulles, desquieulles, auxquieulles ou
èsquieulles.
Le pronom, français
dont, est souvent exprime en patois par
dont que : « Eioù qu'i d'meure l'homme
dont que j'parlez ? »
PRONOMS INTERROGATIFS
Qui qu,. dé qui qui ? Qui, qui est-ce qui, (quis quis ?) : «
Dé qui qui m'caôse à travès la hâ ? (haie). —
Qui qui veut eune pomme ? »
Quai, employé pour
quoi, se trouve plusieurs fois dans la. formulette suivante : « Cocolêko, j'ai mal au dos ! —
Qui qui t'la fait ? — C'est Jacquet ! — Eiou qu'il est ? — Dans les bois ! — A
quai feire ? — A tirer sa vache ! — Dans
quai qu'i la tire ? — Dans son grand bonnet. — Dans
quai qu'i la coule ? — Dans sa grand goule. »
PRONOMS INDÉFINIS
En, pour
on (comme en vieux français) : « Quand
en coupe les moustaches es chats, i n'sentent pus les souris. » (dicton popul.).
Rin, pour
rien : «
Rin n'dit que j'contez la vérité. »
Quéqu'un, quéqu'eune, quioqu'un, quioqu'eune : « Avons eune belle apparaissence dé pommes çt'année ? — Oui, jé n'n'airons
quioqu'eunes (ou
quioques eunes). »
LE VERBE
Conjugaison des Verbes auxiliaires
AVOIR
Indicatif présent : J'ai, t'as, il a, al a, ol a, oul a, j'avons, j'avez, i z'ont, é z'ont.
Prétérit : A la troisième personne du pluriel : i z'eûtent, é'z'eûtent.
Parfait : J'ai iu, t'as iu, etc.
Plus-que-Parfait : J'avais iu, t'avais iu, etc.
Futur : J'airai, t'airas, il aira, al aira, ol aira, oul aira, j'airons, j'airez, i z'airont, é z'airont.
Conditionnel : J'airais, t'airais, etc.
Infinitif : Aver.
Forme interrogative de la deuxième personne du pluriel :
Avous (avez-vous ?) ; avious (aviez-vous ?) ; airious (auriez-vous ?).
Cette forme n'est pas rare dans le style familier des farces de la
première moitié du XVIe siècle : « Av'ous pleuré Boissai, etc ? » dit
Vauquelin de la Fresnaye dans ses
Foresteries.
ÊTRE
Indicatif présent : J'sais, t'es, il est, al est, ol est, oul est, j'sommes ou j'étons, j'étes ou j'étez, i sont, é sont.
Prétérit : J'sus, tu sus, il sut, a sut, é sut, o sut, j'sûmes, j'sûtes, i sûtent, é sûtent.
Impératif : Sais, qu'i sait, qu'a sait, qu'o sait, qu'ou sait, séyons, séyez, qu'i saient, qu'a saient, qu'ou saient.
Subjonctif présent : Qué j'sais, qu'tu sais, etc.
Imparfait : Qué j'sus, qu'tu sus, elc.
Infinitif : Eîte.
Parfait : Aver été.
Forme interrogative de la deuxième personne du pluriel : Etous (êtes-vous ?); étious (étiez-vous ?) ; serious (seriez-vous ?) ; etc. (24)
Dans les verbes de la première conjugaison le prétérit et l'imparfait du subjonctif sont en
i au lieu d'être en
a : «
J'eimis, t'eîmis, il eîmit, al,ol, et oul eîmit, j'eîmîmes, j'eîmîtes, i z'eîmîtent, é z'eîmîtent.
Comme
pour les verbes auxiliaires, la forme interrogative de la deuxième
personne du pluriel des quatre conjugaisons devient très pittoresque en
patois :
Eîmous (aimez-vous ?) ;
eîmious (aimiez-vous ?) ;
eîmerious (aimeriez-vous ?) etc. —
Finissous (finissez-vous ?) etc. —
Recevous (recevez-vous ?) etc. —
Rendous (rendez-vous ?)- etc. » (25)
L'infinitif de la deuxième conjugaison française se prononce
i et celui de la troisième
é (voir Règles générales, 1re partie, nos 26 et 31).
Au présent du subjonctif le pronom
je, employé pour
nous et pour
vous se répète très-souvent après le verbe : « Que j'ayons-
je, qué j'ayez-
je, qué j'séyons-
je, qué j'séyez-
je, qué j'eîmions-
je, qué j'eîmiez-
je, qué j'finissions-
je, qué
j'finissiez-
je, qué j'récévions-
je, qué j'récéviez-
je, qué j'rendions-je, qué j'i'endiez-
je.
Par exception, pour le verbe
aller, le pronom
je
se répète non seulement après les deux premières personnes du pluriel,
mais encore après les deux premières personnes du singulier : « Qué
j'vas-
je, qué tu vas-
je, qué j'allions-
je, qué j'alliez-
je. On disait dans la vieille langue française :
que je voyse, du verbe
voyer (voyager) ; de sorte que la locution
voyons voir, considérée à tort comme vicieuse, équivaut à celle-ci :
Allons voir.
Dans les verbes à idée de réciprocité d'action, qui s'écrivent comme de simples verbes réfléchis,
se est remplacé par
s'ent' devant une consonne,
s'entr' devant une voyelle,
s'ent' devant la syllabe
re laquelle se prononce alors
er : «
S'ent'saluer (se saluer);
s'entr'eîmer (s'aimer);
s'ent'ergarder (se regarder).
LA PRÉPOSITION
PRÉPOSITIONS PATOISES LES PLUS COMMUNES :
Amont : sur le long de... « J'avons eune vénue (grande quantité) d'raisin
amont note pignon. Cloûte don l'image
amont l'mûr. » Robert Garnier a dit dans le Sédécie : Ores, il faut faut monter
a mont un rocher droit / Or, il faut dévaler par un chemin étroit.
Ava : Dans, en descendant : « J'entends la voiture
ava la côte. » P. Cochon raconte dans sa
Chronique normande que Graville et Boucicault s'ôlanl pris de querelle, « ledit Boucicault... le traîna
aval la salle. »
Cheux,
sez : Chez : « Avous élé
cheux les fermiers ? — Oui, mée i n'étaient point
sez ieux. »
Cheux est du vieux français.
D' : Avec : « Son fils s'est marié
d'une vélineuse. ».
Dé : De. Défaut de prononciation commun aux Bretons et aux Normands et sur lequel Vauquelin de la Fresnaye a exercé sa satire.
Dedpis,
deudpis : Depuis (le
du depuis du vieux français) : «
Deudpis qu'la cârre-de-lit (baldaquin) m'est chute sus la teite, j'ai des lans dans l'temple (des élancements dans la tempe).
Drieîre : Derrière : « L'chien est
drieîre li. »
Environ : Après, s'occupant de : « Paul est toujous
environ sa bonne amie. — Les pommes vont beîtôt eîte logées, les domestiques sont
environ. »
O,
d'o,
avé,
ové,
d'ové pour
avec, devant une consonne ;
ovec,
d'avec,
d'ovec, devant une voyelle : « J'm'en vas
ové li,
ovec elle. J'm'en vas
d'o li. »
O vient du latin
apud.
P entre deux voyelles tombe, il reste
aud ; la diphtongue se changeant en
o ouvert, on a
od, autre forme
o, que l'on trouve souvent, ainsi que
ové et
ovec, dans l'ancienne langue française :
Elle emporte mon sentiment
Qui gist o elle sous la lame
Alain CHARTIER.
On dit aussi très fréquemment, comme en vieux français,
Quant et,
à quant et, pour avec, en compagnie de...., copiant en cela la construction latine :
Ibo quando et tu : « Eioù qu'est ton peîre ! dis mon fis ? — Il est à Sainte-Escolâsse. — Et ta meîre ? — Oui est
quant et li. — Et ta soeur ? —
Oui est
à quant et ieux. »
Pa : Par : « Ousqu'est vote homme (mari) ? — Il est
pa la quioque
pa. »
Pou : Pour.
Premier que : Figure avec le sens de «
Avant » dans le manuscrit de Gouberville : « On avoit fouillé au coffre de nostre oncle
premier que nous. »
Sour... employé pour
sous, notamment dans sourventrière, sour-bail, etc.
Sus : sur : « J'n'avez point l'drait d'passer
sus mai (sur ma.propriélt). »
Tout preuche : Tout près de.
Veez-ci : Voici : «
Véez-ci vote live. »
Véez-la, v'la : Voilà : «
Véez-la l'mien » ancienne forme française, de même que la précédente.
L'ADVERBE
Les adverbes, et surtout les locutions adverbiales, sont
très nombreux dans le patois d'Alençon. Parmi les plus usités, nous
remarquons :
Asolutement : Absolument : « J'en sais
absolutement sûr. »
A caliberda : A califourchon : « Mets-lai à
caliberda sus mon g'nou. »
Ad çà ya d'la : Pêle-mêle, en désordre. Du latin
ab hoc et
ab hac. On dit également dans le même sens :
à tibi-taba,
en démence,
bout-ci bout-là,
d'coins et d'quarts.
Adents : A plat-ventre, sens dessus dessous, litt. : sur les dents : « L'vésicaloueîre qu'oul a dans l'dos va l'obliger dé sténi
adents toute la nuit. — La bérouelle est
adents. » Alain Chartier, plaignant les soucis et les insomnies d'une amoureuse, dit : « Au lit se met, puis envers, puis
à dents. »
A fouési : A foison, en très grande quantité : « J'airons des mêles (nèfles)
à fouési. »
A guignettes : A tâtons.
A la va-vite, à la galopée : A la hâte.
A la vire : Du bon côté.
A la dévire : à la dérive.
A l'égrain : Au choix : « I vend ses pommes six liâs
à l'égrain. ».
Amicablement : Amicalement : « Méfious d'li, c'est
amicablement que j'vous l'dis. »
A mon à part : En mon for intérieur. On dit de même :
à ton à part, à son à part, etc.
Anuit : Aujourd'hui. Du vieux français :
En huy qui vient du latin
in hodie : Encore
anuyt vous irai veoir. (Farce de C
OLIN). Car les haulboys l'ont bien chanté
annuyt. (Clément M
AROT)... Mon voisin, je veux / Vous donner
ennuyt à souper. (V
ILLON).
A pigra : A torrents, en grande abondance : « I chait dé l'iau
à pigra. »
A preupos : A propos.
A râse, tout râse : Jusqu'aux bords : « Mon verre est
tout rase, faut que jé l'sôurvide. »
A r'voi : Au revoir. On dit aussi : A vous
r'voi. »
Astheu : A cette heure, présentement.
A tapis, en tapis : A l'abri : « Via eune ârée (averse), mettons-nous
à tapis (allons nous tapir). »
Au tapis est employé par Vauquelin de la Fresnaye.
Au d'zo : Au désespoir. Abréviation de d
ésolation : « Note vache est empansée, j'en étons
au d'zo. »
Becquot, de becquot : De reste, nombre impair : « J'étes tras, j'avais dix preunes à séparer, çâ fait qué y en a ieune
de becquot. » Les enfants disent aussi dans leurs jeux : « Si tu d'vignes combin qu' j'ai d'nousilles (noisette, du latin
nucis) dans la main draite, é sont pour tai. — Couple (nombre
pair). — Non, c'est pas couple y en a cinq ; dis astheu pour la main gauche. —
Becquot (nombre impair). — Dame non, y en a quate. »
Becquot est un petit mot d'amitié qui, en patois, veut dire : baiser.
Bécos, avec la signification de bec, est constaté parmi les mots dont la provenance gauloise est certaine.
Berlin-l'envès : Sens dessus dessous : « I sont chûs
berlin l'envès dans l'mitan d'la route. »
Bin, bintôt, beîtôt : Bien, bientôt.
Bin emplié, bon emplié : Équivalents de « C'est bien fait ! » : « L'chien t'a mordu, c'est
bon emplié,
fallait pas l'akîsser (l'exciter en faisant kss kss). » « Ainsi advint
qu'il cuida empoisonner son neveu et empoisonna son fils. Si fut
bien employé. (Chronique normande, par P. C
OCHON).
Bontivement : Naïvement, stupidement.
Co, core : Encore.
Co devant une consonne ou après le verbe d'une phrase inlerrogative ;
core devant une voyelle : « A-t-i
co son j'va? — L'a-t-é point
core ieue? — Est-i parti vote cousin ? — Non, i est
co la. »
D'aller-t-et d'véni : En allanl et en venant : «
D'aller-t-et d'véni, en dépense co bin de l'ergent. »
De coin, de coigne-en-cul : De travers : « Victor a lé z'yeux
d'coigne-en-cul (il louche). » On dit ausi dans le même sens :
de bicoin, du celtique
Bihen.
De croc et d'hanches : Assez difficilement : « L'affeire né russira pas, çà va
d'croc et d'hanches. »
Bergères franches
De croc et hanches
Les yeulx oulvers
Cueillez pervanches.
(CRÉTIN).
Deffet : En effet : « J'oubliez vote devanqueîre (tablier). — Oui,
deffet. »
D'en par éioù : D'en par ici, d'en par là.
Rester d'en par éioù veut dire ne pas achever : « Si j'm'hébétez d'vos lûres (rabâchages), j'en reste
d'en par éioù. »
Dépétrominette : De grand matin :
Debout dès le patron minette,
J'arrive ici dès le matin
Et j'porte à mam'zelle Toinette
Les fruits qui vienn' dans son jardin.
(Bijou perdu. ADAM).
De premieîre, de fin premieîre : D'excellente qualité, parfaitement : « C'est du cide de
premieîre. — I chante de
fin premieîre. »
D'hô : Dehors ; d'où le verbe
aller cl'hô (cacare) qui a pour synonyme :
Faire ses besoins.
Eioù, ousque ? : Où ? :
Eioù don qu'j'allez que j'courez si fo? —J'nous étons recopérés (restaurés) dans la grande hôtel
ousqué j'vêquissez (où vous prenez pension). »
Une belle vestale habite un beau rivage
D'Orne, ou c'est qu'elle vit comme en un hermitage.
{Idylles de VAUQUELIN DE LA FRESNAYE).
En champ : Aux champs : « Mener les vaches
en champ. »
En chasse : Se dit de la vache lorsqu'elle recherche le taureau.
En fourgane, en frague : Dans l'inquiétude, en état de frayeur : « L'noteire est ruiné, j'étons
en fourgane des tras mille francs qu'j'avons sez li. — Quanté j'vis la j'ment parti au triple galop, j'étais bin
en frague. »
Fouinassement : Sournoisement, à la manière de la fouine. Du substantif fouine, on a fait en patois :
Fouinasser, agir dans l'ombre ;
fouinassier, sournois ;
fouineter, filer à l'anglaise.
Grandment : Grandement, beaucoup : « Çà pousse-t-i l'carrabin (sarrasin ?). — Pas
grandment. »
Hautheure : Tardivement (dans la matinée) : « I s'lève toujous
hautheure. »
Itout, étout : Aussi, également : « Mai
itout, lai
itout (moi aussi, elle aussi). Du latin :
ita ut.
Et tout se trouve dans une vieille chanson citée par Larivey dans ses Tromperies : « Et autre chose,
et tout, que je n'ose dire. »
Nitout, nétout : non plus ; du latin :
non ita ut.
Joué : Pas assez, insuffisamment : « Il n'a
joué d'ergent pour payer. »
Là-le-long, tout-là-le-long : Contre, le long de.... « Mettiez les pierres
tout-là-le-long. »
Là loin : expression qui indique un lieu moins éloigné que là-bas.
Liméro iun : Parfaitement.
Ouai, ouin, ouiche : Non, ce n'est pas vrai !
Par exprès : Exprès, avec intention : « J'n'ai pas câssé la pinte (cruche)
par exprès. »
Pièce
: Aucun, substantif pris adverbialement et équivalent à une négation :
« Y avait-i quioqu'un d'sez vous à l'assembiée? Oua'i, j'n'y étions
pièce. »
P't'ête : Peut-être : « Savous siner ? —
P't'ête bin. »
Pu ché : Davantage, litt. :
plus cher : « J'avons
pu ché d'pommes que tai. »
Puissant : Préfixe superlatif : « Vote taure (génisse) est
puissante bonne »
Quanté : Quand, toutes les fois que : «
Quanté j'vis çà, j'm'événouis. » On trouve quantes en vieux français.
Quasiment : Presque. Du latin
quasi avec la terminaison habituelle des adverbes.
Quette : Nullement. Du breton
ket : « Parlez plus haut, i n'entend
quette. »
Raide : Préfixe superlatif : « Vote cide est
raide bon. »
Ristibilli : Rasibus : « La pignoche (fausset) est câssée
ristibilli. »
Si tellement : Tellement : « Il est si tellement bégaud ! (niais). »
S'ment : Employé quelquefois pour
seulement.
Susbout : Sur le bout, debout : « Mettez l'togniau (tonneau)
susbout. — Note viau est bin fade (malade) i n's'rait s'téni
susbout. » On trouve cet adverbe dans Brantôme el autres anciens auteurs.
Toujous, terjous : Toujours.
Tout plain, tout fin plain : Beaucoup : « Avous des pouessons dans vote mare? — Oui, y en a
tout plain (omnino plané). »
Tout plain, avec le même sens, est fréquemment employé par les vieux auteurs, notamment par de L'Estoile.
Trébin : Beaucoup. Altération de
très bien : « Y en a
trébin qui voudraient vêquir sans travailler. » Trébin est d'origine percheronne.
Trestous : Tous sans exception (vieux français). « J'étons allés
trétous à la fête de Saint-Lhomer. » On dit aussi
Tertous, teurtous, trètous.
Ty : Quantité indéterminée dans une phrase exclamative : « J'en véyons
ty tous les jous d'ces millauds ! (mendiants). »
Un guiabe, Une venue : Très grand nombre : « Avous des hannetons dans vole commeune ? — Oui. jé n'n'avons un guiabe. ».
LA CONJONCTION
Les principales conjonctions ou patois sont :
A mais que : Lorsque, sitôt que : «
A mais qu'ta meîre savé que tu l'y as désobéi !... » On trouve
mais que dans la chronique de Froissart.
Don, donc.
Jusqu'à tant que : Jusqu'à ce que, expression employée par les vieux ailleurs : Basselin, Vauquelin. etc.
Mée : Mais.
Mon : Donc, toujours précédé d'un verbe : « Viens
mon ici. — Dis
mon, Jules. »
Ou bin : Ou bien.
Pasqué : Parce que.
Pisqué : Puisque.
Pourquai : Pourquoi.
S' : Employé souvent pour
si devant une voyelle : « Eune fille laide à feîre peux s'mariera loujous
s'oul a un brin dé d'quai. ».
L'INTERJECTION
Parmi les nombreuses interjections usitées, nous trouvons les suivantes :
A bleu bleu ! Holbleu ! Holbleu ! Mots que l'on adresse doucement aux bestiaux pour les faire boire. Du latin .
abluere.
Aÿe ! Interjection pour exciter le cheval à marcher en avant. M. Gustave Le Vavasseur croirait volontiers que
aÿe
serait par aphérèse l'ancien cri de guerre normand : (Dex) Aïe !
(Nouvelles remarques sur quelques expressions usitées en Normandie et
particulièrement dans le département de l'Orne.
Bull. Soc. hist. et arch. de l'Orne, tome 4, page 48).
Bardaud, bardadaud : Onomatopées qui expriment le bruit que fait un corps en tombant.
Beau d'mage!
Beau dommage ! avec le sens de : « Cela n'est pas surprenant ! Il
n'y a rien de merveilleux dans ce que vous dîtes ! »
Boure, boure ! Cris pour appeler les canards.
Dame oui, dame non, dame si! Restes de l'invocation par Notre-Dame. Rapprocher ces interjections de l'anglais
dam : Goddam.
Diouc ! Même sens que
aÿe.
Drrriâs, rrriâs ! Pour faire reculer les chevaux.
En véricotte ! En vérigousse ! En vérité : « C'est
en véricotte vrai ! »
Foutrine ! Vingt queux ! Nom dé guious ! Sarché ou
sapré mâtin ! Noble gueux ! Sarché noble gueux ! Que l'guiabe m'empue ! Que l'guiabe me patafiole ! Nom dé d'la (nom du diable)
! Sarché nom dé d'la! Bon d'la. Jurons très communs.
Hario ! Le harou et hareu du vieux français, ancien terme d'appel en justice : « I criait fo
hario quand les gendermes l'emmenîtent. »
Héla! Marque la surprise, la joie, la douleur.
Kss ! Pour exciter un chien, le faire aboyer.
La belle happe ! Le bel avantage ! la belle trouvaille !
Mon gueu faut-i ! Mon Dieu, est-ce possible !
Pardé, pardi, pargué, pagué ! Par Dieu !
Que l'guiabe n'sait pas ! (ne soit pas !).
Quiâ, quiâ ! Cris pour appeler les porcs
Tîts, tîts ! Pour appeler les volailles. Apocope de petits ! petits !
CHARLES VÉREL.
Nonant, 1891.
NOTES :
(1) La prononciation
aigne, eigne
est commune à beaucoup de patois. On trouve dans les
Noëls bourguignons de la Monnoye :
babeigne (babine),
breugnette (brunette),
Cateigna (Catinat),
coqueigne (coquine),
cousaigne (cousine),
devignièrent (devinèrent),
faigne (fine),
leugne (lune), etc , etc.
« De
ain et de
ein. — Dans les mots qui finissent
par
ain et
ein, nous ne prononçons ni l'
a, ni l'
e. Ainsi
main,
plein se prononcent
min,
plin. Mais si les lettres
ain,
ein sont suivies d'un
e muet, ce n'est le son ni de l'
a ni de l'
i qu'on entend, mais un son formé
des deux et que Ramus marque par un
è
comme
balène,
capitèine. Ainsi
Romain,
certain se prononcent
Romin, certin. Mais
Romaine,
certaine se
prononcent
Romène, certéne. — On reproche aux
Bourguignons et aux Normands de faire trop entendre l'
i dans les mots terminés en
aine. (Claude de St-Lien :
de pronuntiatione linguae gallicae).
(2) Picard : « erchevêque, erdoise. Ein prinche sans
ergeint ch'est ein apothicair'
sans ongueint. » (Abbé C
ORBLET).
(3) On appelle aussi
Mâr, les
semailles qui se font aux labours exécutés dans le courant de mars : «
Nos
mâr sont biaux ofanqée »
. C. V.
(4)
Ces sortes de métathèses sont fréquentes dans le vieux langage : « Gagne au berlan, au glic, aux quilles. » (VILLON. Ballade de bonne
doctrine). Berlan et ses dérivés,
berlandier, etc., ont eu longtemps les deux
formes. En patois picard :
erchevoir, ergarder, berdouiller, etc. (Abbé
C
ORBLET).
(5)
Yeaue pour
eau, prononciation justifiée par l'ancienne orthographe
était jadis une forme du dialecte parisien. « Il faut », dit Théodore de Bèze, « éviter la faute grossière des Parisiens,
liau pour
l'eau, etc. ».
Yeaue est encore orthographiée ainsi dans le dictionnaire latin
français du picard
Firmin Le Ver (1520-1540).
(6) L'Emploi des trois consonnes consécutives est si antipathique à la
langue française que Firmin Le Ver dont le grand dictionnaire est le
répertoire complet de notre langue, telle qu'on l'écrivait et la parlait de 1420 à 1440
l'a évité presque partout. Le Ver va jusqu'à écrire :
Diptongue et
spère pour
diphtongue
(ou
diphlhongue) et
sphère. De là l'obstination ou plutôt l'
ostination de Ménage à
prononcer sinon à écrire :
ostiné,
oscur, etc. L'affiche du théâtre français a
annoncé pendant plus de deux cents ans le
misantrope et sans doute, bien qu'il ne fût
pas de l'Académie, c'est ainsi que l'écrivait Molière. (V. F
IRMIN D
IDOT.
Réforme de l'orthographe passim.).
(7) « Le français, à cause de sa douceur, est vraiment la langue, des
femmes. Aussi, quand dans une même phrase un mot terminé par une consonne est
suivi d'un autre mot commençant par une consonne, la consonne finale du
premier mot ne se prononce point...
EXCEPTION :
F se prononce à la fin de quelques
mots et exige une légère pause avant le mot suivant du
boeuf salé, etc. » (C
LAUDE DE S
T-L
IEN). Par contre, eu patois bourguignon, boeuf et neuf se prononcent :
beu,
neu. (V. F
ERTIAULT.
Glossaire des Noëls bourguignons de La Monnoye).
Beu,
neu sont l'ancienne prononciation romane, conservée dans le patois
picard. (V. abbé C
ORBLET).
(8) Cotgrave écrit encore :
Tilleu.
(9) Granit que l'on extrait des carrières de Hertré, commune de
Condé-sur-Sarthe (Orne). C. V.
(10) Par contre, en patois normand, on continue à dire :
siner pour
signer, suivant l'ancien usage français : « Le
g n'a aucun son devant l'
n, soit
mouillé comme dans
gagner, soit ferme comme dans
signe,
signer,
règne,
régner qui se
prononcent
sine,
siner,
rene,
rener ». (Théod.
DE B
ÈZE). D'après une note de M. Livet (voir la
Grammaire française et les
grammairiens au XVI° siècle) qui appuie son opinion de nombreux exemples le
g devant
n
ne se prononçait pas dans l'ancienne langue française. C'est l'opinion de l'abbé
Corblet qui constate, la suppression du
g dans la prononciation picarde :
assiner,
etc.
(11) La suppression de l'
R final n'est pas nouvelle. « En outre, dit
Henri Estienne, le peuple supprime
r final, prononçant
plaisi,
resveu au lieu
de
plaisir...
resveur.... c'est une faute.
R final des verbes en
ir se prononce
rarement dans le Vermandois. Il en était de même dans la langue d'Oc ». (Ab. C
ORBLET). La forme italienne
Sentu a été aussi conservée dans le paloîs picard. Quant au changement de
i en
u dans
Sentu, c'est un italianisme ancien.
« Les amateurs de l'Italien », dit M. Livet, « changeaient alors (au temps
des Estienne)
l en
i dans les mois
plaisir,
plume qu'ils prononçaient
piaisi,
pieume.
Ils remplaçaient
i par
u dans
Sentu pour
Senti ». « Au participe passé », dit M. Estienne ; « c'est une faute de dire
Sentu pour
Senti. »
(12) La plupart de ces suppressions de consonnes, quasi tolérées dans le
français familier, sont communes au patois normand et au patois picard.
(13) Voir notre notice sur les Alchimistes de Flers.
Bull. Soc. hist.
et arch. de l'Orne, tome VIII, page 525. C V.
(14)
Fred était du beau langage vers 1540. Guillaume des Autels, dans sa
réplique aux
furieuses défenses de L. Meygret, s'élève contre le langage de
la cour qui affadit l'
oi de l'imparfait de l'indicatif. Il ajoute : « Pourquoi
a-t-on laissé le mot régulier et usité de
royne pour dire
reine ? Pourquoi quelque dame
voulant bien contrefaire la courtisaine à l'entrée de cet hiver dira qu'il fait
fret
? » I)ans la réforme orthographique des précieuses signalée par Somaize,
froideur est remplacée par
frédeur. « Il y a longtemps », écrivaient les Estienne au milieu du seizième
siècle »,« que ceux qui font profession de prononcer délicatement et à la courtisanesque ne prononcent plus la
royne et aiment mieux dire la
reine. Il est certain
que cela est
venu premièrement des femmes qui avaient peur d'ouvrir trop la bouche
en disant :
Françoise, Anglois, »
(15) Nicot et Cotgrave écrivent indifféremment :
estourbillon ou
tourbillon. Jacques Dubois (Sylvius) donne de nombreux exemples de celte espèce de
suffixe qu'il nomme
prothèse.
« Entre les mois qui accomplissent l'an
Deux en y a espèciallement
Qui m'ont fait deul... »
écrivait en 1527 Gilles de Wès à la jeune princesse Marie d'Angleterre.
Ce professeur de français devait prononcer certains mois à la Normande
; il écrit
sinifier pour
signifier,
mescuserez pour
m'excuserez, etc. La prosthèse
estatue, etc. est commune au patois normand et au patois picard. (V. abbé C
ORBLET).
(16) Il y a longtemps que les Normauds s'obstinent à conserver la
diphtongue
eu dans certains mots et à ne pas élider l'
e muet Ils n'étaient pas les
seuls autrefois. « L'
e est inutile dans tous les participes passifs comme
sçeu,
receu,
veu qu'il faut prononcer
su,
reçu,
vu et non par la diphtongue
eu comme on fait en
Normandie, à Orléans et à Chartres. » (Th.
DE B
ÈZE). Nicot et Cotgrave écrivent encore :
enrheumé ou
enrhumé, Robert
Estienne, Nicot et Cotgrave
flegme ou
fleume. « Lune,
leune, humer,
heumer, une,
eune. La diphtongue
eu est fort,
commune dans l'ancien idiome picard,
tondeu,
veu,
perdeu, etc ». (Abbé
C
ORBLET).
(17) Notre
Dictionnaire, actuellement en préparation, montrera que les
expressions patoises usitées dans l'arrondissement d'Alençon se retrouvent pour la
plupart dans le Perche, le Maine, le Fougerais et le Bocage. C.V.
(18)
C't'homme,
c'tilà,
ç'telà sont des formes raffinées introduites à
la cour de France par la manie de prononcer à l'Italienne. « Les courtisans vont jusqu'à dire :
avoo joué,
avoo bu,
avoo gagné
pour
avez
vous bu, joué, gagné.. .. enfin pour
cest homme,
ceste famé,
cest
apprentif, à
ceste heure, on prononce :
stome,
stefame,
astheure, etc... En cela, nous
imitons les Italiens qui disent :
sta mane pour
questa mane,
astora pour
a questa
hora, etc. (Claude
DE S
T-L
IEN).
(19) « Là dipthongue
oi à la place, de la voyelle
e », dit notre plus
ancien grammairien Jacques Dubois (Sylvius), « est tellement du goût des Parisiens
qui nomment leurs lettres
boi.
coi,
doi au lieu de
be,
ce,
de. Il n'est donc
pas étonnant que les Français traduisent le latin
me,
te,
se par
moi,
loi,
soi. .. les
Normands prononcent tous ces mots et les semblables avec un
e et non en
oi.
.. .
Aujourd'hui même, cette prononciation semble avoir envahi Paris. » «
Mieux vaudrait-il pour tous ces maux », dit plus loin le même auteur
en parlant de la transformation de l'
i en
oi dans voie,
voisin,
voirre et
foi, « dire avec les Normands :
vée,
vésin,
verre,
fè. » L' « Isagoge » et la grammaire de Dubois ont été imprimées chez Robert
Estienne, en 1551. « Dans la diphtongue
oi », dit Théodore de Bèze, « quelques-uns,
supprimantle son
o prononcent seulement
ai. Ainsi les Normands écrivent et
prononcent
Fai pour
Foi. Il en est encore aujourd'hui comme du temps de Théodore de Bèze, du
moins dans le patois parlé. Si nous écrivons comme tout le monde, nous
prononçons
dait,
mé,
té,
ner,
sai,
pouvai pour
doigt, moi, toi, noir, soif,
pouvoir, etc. Les Parisiens se sont corrigés, mais leurs ancêtres prononçaient
tras
comme les Percherons et et les Nornands. « Une faute très grande des Parisiens »,
dit Théodore de Bèze, « c'est de prononcer
trois comme
trous et même
tras ». Quant à la prononciation
loé,
foé, elle est ancienne en bon français. «
Les français », écrivait Jean Garnier, en 1558, « ont trois diphthongues :
ay,
oy, etc... et plût à Dieu qu'on les écrivit comme on prononce.. .
loi,
foé, etc. »
(20) Meigret s'élève avec indignation contre cette alliance barbare du
singulier et du pluriel. « C'est l'usage », dit il, dans son
Traité de l'écriture françoise, «
qui donne authorité aux vocables sauf toutefois là où les règles françoises et la
congruité sont offensées, comme ceux qui disent :
Je venions,
je donisse,
je frappisse
qui sont faultes qui n'ont jamais été receues par les hommes bien appris en la
langue françoyse. » « De vray », dit-il plus loin, « le françoys ne souffre jamais un nom
ou pronom surposé au verbe estre d'autre nombre que le verbe. A celte cause,
quelque diligence continuelle que fassent aucuns françoys de cuyder introduire
j'étions,
j'allions, ils ne servent aux autres que de mocquerie. » C'est roide et si « l'inventive et subtile Marguerite » visitait, entre
1542 el 1543, l'imprimerie de Robert Estienne, il est heureux pour elle que Meigret
n'eût pas le
même éditeur que Jacques Bubois et se fit imprimer chez la veuve de
Denys Janot. Elle aurait pu jeler les yeux sur une singulière épreuve.
La question toutefois n'était pas tranchée, chose difficile entre
grammairiens. Pierre Ramus vint à la rescousse en 1572. Son
raisonnement est assez
subtil. Les Rois dans leurs ordonnances et les gens importants parlent
d'eux-mêmes
au pluriel, à-l'exemple de quoy le vulgaire, voire les princes et
grands seigneurs
ont ordinairement à la bouche :
Je dirons,
je ferons, ce qui est condamné par les
anciens grammairiens disant que le françois ne souffre jamais qu'au nom ou pronom
supposé au verbe sont de nom différent. Mais je pense bien que l'usage s'en
dispensera et qu'il renversera le jugement de ces censeurs ; voire ces docteurs mêmes, si
l'on recherche leur langage, porteront témoignage à l'encontre de leur doctrine en
parlant de cette façon : I
l est deux genres simples, il est plusieurs espèces d'animaux. Les poëtes sont plus sévères. Avant Molière et les
femmes savantes, Marot avait écrit dans son
Coq-à-l'âne :
Je dis qu'il n'est point question / De dire
j'aillion ou
j'estion. Le galimatias parisien jargonné par Bérould de Verville, au chapitre 45
du
Moyen de parvenir, est une bouffonnerie un peu lourde, mais elle témoigne de
la persistance populaire à conjuguer le pluriel des verbes en le faisant
précéder du pronom au singulier. Du reste, cette confusion du singulier et du pluriel est latine. Dans
une note à propos d'une remarque des Estienne, M. Livet cite le curieux vers de
Tibulle : « Et seu quid
merui, si quid
peccavimus, uror. Il y a dans
j'avons et dans
je sommes une idée de vanité personnelle et
de dédoublement innée et persistante bien curieuse
(21) Dans le canton de Carrouges, on dira : .( Quai qu'
ol a qu'
o crie ?
Ol a qu'
ol est chute.
A et
al sont relativement peu employés, pour
elle, dans
l'arrondissement d'Alençon. C. V.
(22) Cette prononciation est conforme à l'ancienne prononciation
française. « Dans
ils, suivi, soit d'une voyelle, soit d'une consonne,
s ne se
prononce jamais ; ainsi pour
ils ont droit,
ils disent, prononcez :
il ont droit,
i disent. » (Théod. DE BÈZE).
(23)
S'ti-ci,
s'ti là, apocopes et syncopes de
cettuy ci,
cettuy là. Il ne faut pas confondre
celluy avec
celui.
Celluy est une ancienne
forme qui seule devrait rationnellement précéder
ci et
la.(Voir L
IVET et M
EIGRET.
Grammaire française du XVIe siècle, p. 81). L'abbé Corblet, dans son glossaire picard, donne les formes patoises et
indique l'étymologie : » S
TICHI, celui-ci, du latin
est hic ; S
TILO, celui-là,
du latin
est itte.
Sti, comme la syncope
s'te,
stu en patois bourguignon ont pour
élymologie commune le pronom latin
iste.
(24) L'apocope
os étions,
os étiez,
os serions,
os seriez pour
nous
étions
vous étiez, la métagramme
j'érai,
t'éras pour
j'aurai, tu auras, etc. se trouve
dans plusieurs dialectes picards suivant l'abbé Corblet. Il en est de même de la
prosthèse j'ai
ieu pour
j'ai eu et autres semblables. Dans ce dernier cas ne serait-ce pas l'
i d'habui introduit par metathèse dans son dérivé. Voir plus loin ce qui concerne les syncopes élégantes
av'ous,
eti'ous et
autres semblables. Quant, aux mélagrammes
i pour
ai dans le présent défini et
i pour
a dans l'imparfait du subjonctif, ce sont d'anciennes formes françaises. « — De
ai et de
ay, — ces deux syllabes prennent différents sons ; dans
j'
ay, je
sçai nay et à la première personne du singulier du futur, je
diray, je
dormiray, je
liray, on prononce
ai ou
ay par
è masculin ; mais à la première
personne du présent indicatif, on prononce comme on écrit, surtout si l'infinitif est en
er
; ainsi je
chantay, j'
allay, je
marchay.
Toutefois quelques-uns prononcent comme si
i
seul était étoit et disent :
JE CHANTI,
j'alli. De quelque manière qu'on
prononce, on écrit toujours ay. » (Claude
DE S
T-L
IEN) Jacques Dubois n'osait condamner l'
i dans les temps dérivés du latin
où cette
voyelle se trouve aussi bien que l'
a dans la forme primitive : amav
i,
j'aim
i,
amâvisses,
aimissiez, etc. Plus explicite que Claude de Saint-Lien, Geoffroy Tory (Champfleury)
condamne l'
i au présent et adopte exclusivement l'
a. A la fin du seizième siècle (1581), Pillol soutient encore les formes
condamnées vingt ans auparavant (1559) par Abel Mathieu. — « A la première et à la
seconde personne du pluriel, dites :
aimissions,
aimissiez et non
aimassions,
aimassiez ». Henri Estienne est plus sévère d'abord : « Gardons-nous de dire : il
s'y en
allii
pour il s'y en
alla ». Dans un autre endroit, il constate l'usage. « Au parfait, plusieurs disent : «
j'alli, tu allis. il allit, je
bailli, je mangi pour
j'allay, etc. En 1618. Jean Godard revient à la forme
aimissions, aimissiez. « Quant
à ces autres voix, nous
aimissions, vous
aimissiez, c'est ainsi qu'il faut
dire plutôt qu'
aimassions,
aimassiez
qui, au hasard, pourraient être tolérables.
Toutefois ne les condamnant pas, je ne veux pas aussi les absoudre ».
Dans ses observations sur l'orthographe française publiées en 1868,
Ambroise Firmin Didot fait le procès des subjonctifs en â « dont
personne n'ose
se servir ni dans les discours ni dans les livres afin de ne pas
blesser les
oreilles délicates » et trouve que Godard a raison.
(25 ) Ces syncopes, communes à plusieurs patois, ne paraissent pas avoir
été en usage dans la vieille langue française avant l'italianisme des
courtisans dont parle Claude de Saint-Lien. Après avoir dit que les français ne faisaient
point d'aphérèse, Théodore de Bèze ajoute simplement : « On use de l'apocope dans
quelques locutions comme
av'ous pour
avez vous, s
av'ous pour
savez-vous ». L'elision de l'
u était déjà condamnée du telmps de Jacques Dubois
qui reproche aux gens du Hainaut. de dire :
t'es sage pour
tu es sage.