A partir de 1662, en octroyant des Lettres patentes en faveur des
anciens hôpitaux transformés et de ceux nouvellement fondés, Louis XIV,
en vue de prévenir et de combattre le Paupérisme par le Travail,
accorde à chacun de ces établissements les prérogatives suivantes :
« Permettons aux dits administrateurs de faire fabriquer dans le dit
hôpital toutes sortes de manufactures, et de les y faire vendre et
débiter en faisant garder les règlements faits sur icelle. Et, parce
qu’il est important pour que les manufactures soient bien faites, que
les administrateurs y appellent des artisans qui les montrent aux
pauvres, et tout ce qui dépendra de leur art et mettier ; afin que ceux
qui auront esté choisis s’y portent avec plus d’affection, nous
ordonnons qu’après y avoir travaillé cinq ans, et qu’ils auront esté
reconnus avoir bien instruit les pauvres en leur art et mettier, ils
puissent estre présentez par les dits administrateurs au vicomte, ou
autre à qui la connoissance appartiendra, et au substitut de notre
procureur général, pour estre receus maistres es arts et mettiers
ausquels ils auront vaqué et instruit les pauvres, comme réputez
sufisamment capables. »
I
En l’hôpital d’Harcourt, fondé en 1695 par la princesse d’Harcourt, est
introduite la manufacture de la dentelle, pour les jeunes filles
pauvres auxquelles l’illustre fondatrice veut en outre procurer
l’instruction intellectuelle au moyen d’écoles gratuites attachées à
son hôpital.
Dans le contrat passé, le 29 avril 1696, entre les religieuses de
Gentilly et la princesse d’Harcourt, celle-ci leur impose entr’autres
devoirs celui d’apprendre aux pauvres enfants « à travailler à la
dentelle afin de les mettre en état de gagner leur vie. »
Les registres de comptabilité de l’hôpital contiennent d’intéressants
détails sur cette industrie jusque-là inconnue dans ce pays ; on y voit
d’abord les dépenses nécessitées par l’achat de la matière première et
du matériel : fil, épingles, fuseaux, toiles pour les métiers, cartes
et patrons. Citons les chiffres suivants :
1696, – Payé pour des cartes, 3 l 12 s ; – 64 douzaines de fuseaux, 6
l 8 s ; – 2 milliers d’épingles, 18 sols. – 1700. Le fil se
paie, l’once, de 3 livres 12 sols à 5 livres 6 deniers.
Les recettes de l’argent des dentelles, en la première année (1696), se
montent à 169 livres 11 sols ; l’année suivante, elles s’élèvent à 186
livres 2 sols. L’aune de petite dentelle se vend de 18 sols 6 d. à 1
livre 8 sols. La fondatrice en achète une certaine quantité.
Cette manufacture tombe et disparaît peu après la mort de la princesse
d’Harcourt, arrivée le 12 avril 1715.
II
En l’hôpital général de Bernay, fondé en 1697 par Madame de Ticheville,
une manufacture y est aussi immédiatement établie à l’intention des
nombreux enfants orphelins ou abandonnés reçus par cet établissement ;
les garçons sont employés à la fabrication des frocs, brillante
industrie locale ; les filles sont occupées à faire des travaux
d’aiguille et de la dentelle.
Les registres de comptabilité donnent également d’intéressants détails
sur cette dernière manufacture dirigée, vraisemblablement par une
religieuse hospitalière de Vimoutiers. Dans les dépenses de 1697 et
1698 figurent celles relatives aux cartes, fil, fuseaux et épingles
pour la dentelle : 8 milliers d’épingles coûtent 1 livre 18 sols ; 2
douzaines de cartes blanches, 12 sols ; un demi cent de cartes jaunes,
2 livres 5 sols.
A partir du 7 juin 1697, est fait « Mémoire de l’argent reçu du travail
et manufacture de cet hôpital » ; pour les filles, il est écrit : « au
mois de novembre, nous avons vendu des dentelles pour la somme de 54 l
; – le 30 de mars 1698, reçu de la vente des dentelles, 44 l ; – au
mois d’août, nous avons vendu des dentelles pour 106 l 4 s 6 d , – au
mois de novembre, nous avons vendu des dentelles pour 90 l 10 s . – Les
enfants capables de faire de la dentelle y sont employez. »
Bien que soutenue par la prodigieuse activité de la fondatrice, la
manufacture de l’hôpital ne tarde pas à décroître, ainsi que le
constatent les notes suivantes, transcrites sur les dits registres :
« 1703. – Une partie de nos filles file pour faire de la toile et les
autres sont petites. » – (La vente des dentelles, jusqu’au 12 février
1704, ne s’élève qu’à 105 l 6 d.)
« 1706. – Au mois de décembre, il n’y a que peu d’enfans qui font de la
dentelle. Les grandes filent et les autres sont trop petites pour
travailler. »
Aussi, à la mort de Mme de Ticheville (2 décembre 1747), la
manufacture, tant de dentelle que de frocs, est-elle tombée depuis
longtemps et n’est point relevée depuis.
La direction de l’hôpital d’Harcourt et de celui de Bernay ayant
d’abord été donnée aux religieuses hospitalières de Vimoutiers, nous
pensons que la dentelle manufacturée dans ces deux établissements était
le
point d’Argentan, dont
la renommée et le débit étaient si grands dans les premières années de
la seconde moitié du XVIIe siècle (1).
(1) Voir à ce sujet le remarquable travail de M. L. Duval, archiviste
de l’Orne :
Documents pour servir à
l’histoire du Point d’Alençon : 1883. En 1666, dit M. Duval,
l’Intendant d’Alençon avait proposé à Colbert de faire apprendre aux
petites orphelines recueillies dans les hôpitaux à travailler au
veslin, c’est-à-dire à faire de la dentelle.
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* *
Notes sur la Manufacture
de
L’HOPITAL D’ORBEC
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Réorganisé en 1690, l’hôpital d’Orbec reçoit une manufacture de bas et
une de frocs ; la première pour les filles ; la seconde pour les
garçons.
La manufacture de bas semble avoir eu à son début, une certaine vogue :
un titre de 1707 indique que l’on en expédiait les produits et que la
haute noblesse ainsi que la bourgeoisie du pays se fournissaient à
cette manufacture.
De même que pour la dentelle, cette manufacture féminine ne peut se
maintenir ; en 1711, son produit ne s’élève qu’à 194 l. 9 s. 3 d.
Le 23 février 1719, Marin Petit, bourgeois d’Orbec, donne à l’hôpital
140 l. 12 s. 11 d. de rente par an, à la charge, par les
administrateurs de faire apprendre un métier à un pauvre qui aura
demeuré et travaillé dans le dit hôpital l’espace de six années ; et
s’il se trouvait quelqu’un des parents du donateur qui s’y rencontre,
dans ce cas il sera préféré à tout autre pauvre, quand bien même il n’y
aurait pas demeuré le dit temps de six années.
En 1758, il est fait mention de la manufacture de frocs et de
coton établie dans l’hôpital ;
nous pensons que le filage du coton par les filles, en remplacement de
la fabrication disparue des bas. En la dite année, le revenu de cette
manufacture de frocs et de coton se monte à 673 livres.
En 1789, le revenu annuel de la manufacture de l’hôpital d’Orbec est
évalué à la somme de mille livres (1).
(1) Ces notes, et beaucoup d’autres, on été tirées des
archives de l’hôpital d’Orbec par M. Ch. Després, qui nous les a
courtoisement communiquées pour notre Mémoire lu à la Sorbonne, en 1887.