VINTRAS, Albert (18..-19..) : Le Commerce du
hareng à Honfleur il y a cent ans.- Paris : Imprimerie
Nationale, 1914.- 24 p. ; 21 cm.- (Extrait du Bulletin des sciences économiques et
sociales du Comité des travaux historiques et scientifiques,
année 1911).
Saisie du texte : O. Bogros pour la collection électronique de la Médiathèque intercommunaleAndré Malraux à Lisieux (15.XII.2016) [Ce texte n'ayant pas fait l'objet d'une seconde lecture contient immanquablement des fautes non corrigées]. Adresse : Médiathèque intercommunale André Malraux, B.P. 27216, 14107 Lisieux cedex -Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01 Courriel : mediatheque-lisieux@agglo-lisieux.fr, [Olivier Bogros] obogros@agglo-lisieux.fr http://www.bmlisieux.com/ Diffusion libre et gratuite (freeware) Orthographe et graphie conservées. Texte établi sur l'exemplaire de la médiathèque (Bm Lx : Norm br 2019). MINISTÈRE DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE ET DES BEAUX-ARTS _____ LE COMMERCE DU HARENG À HONFLEUR IL Y A CENT ANS PAR M. A. VINTRAS PROFESSEUR AU COLLÈGE DE HONFLEUR CONSEILLER MUNICIPAL _____ Extrait du Bulletin des sciences économiques et sociales du Comité des travaux historiques et scientifiques, année 1911 PARIS IMPRIMERIE NATIONALE _____ MDCCCCXIV ~ * ~ LE COMMERCE DU HARENG À HONFLEUR IL Y A CENT ANS. I. LA PÊCHE. Législation : de la loi du 15 vendémiaire an II à l'ordonnance du 4 janvier 1822. Hostilité de Dieppe contre les ports de la côte du Calvados. Le 8 fructidor an IX, le maire
de Honfleur écrivait à son collègue du Havre : « Il existe dans la
feuille de Le Picquier (imprimeur au Havre), numéros 6 et 7, une lettre
que le préfet de la Seine-Inférieure a adressée au Ministre de
l'intérieur pour le déterminer à remettre en vigueur un ancien
règlement qui limite la pêche du hareng depuis le 15 fructidor jusqu'au
10 nivôse de chaque année. Animé comme vous du désir de réclamer contre
cette injuste prétention et de faire valoir tous les moyens qui
militent en faveur de la ville du Havre, d'Honfleur et d'autres ports
circonvoisins, je vous invite à vouloir bien me participer la marche
que vous aurez fixée sur cet important objet... »
Le lendemain, 9 fructidor, le même magistrat adressait au préfet du Calvados un long mémoire qui résumait excellemment les principaux arguments qu'on fera valoir à différentes époques contre les mêmes prétentions. Ainsi se manifeste dans nos archives municipales une campagne entreprise par les armateurs et négociants de Dieppe contre ceux de la côte du Calvados, campagne qui durera pendant tout le premier quart du siècle, renaissant sous des formes diverses, alors qu'on croyait intervenue une solution définitive. L'affaire était grosse de conséquences pour les adversaires en présence. Pour Honfleur, privé par la guerre maritime des armements qui l'avaient fait vivre dans le passé, ayant une partie de ses chefs de famille sur les pontons anglais ou sur les vaisseaux de la République, se débattant depuis dix ans dans une pénurie d'approvisionnements dont témoignent à chaque page, en termes lamentables, les registres des délibérations ou les copies de lettres de la Municipalité, la limitation de la pêche du hareng au 31 décembre, alors qu'il arrivait à peine sur nos côtes, lui enlevait sa dernière ressource et le condamnait presque à mourir de faim. Aussi, réclamait-il le maintien de la loi du 15 vendémiaire an II qui avait proclamé la liberté de cette pêche. Pour les Dieppois, il s'agissait de ressaisir un monopole que leur avaient assuré en fait, jusqu'en 1793, les anciennes ordonnances sur la limitation et leurs privilèges en matière de gabelle, et que leur avait fait perdre cette même loi du 15 vendémiaire. C'était ce qu'ils se gardaient bien d'avouer, dissimulant, assez maladroitement d'ailleurs, les suggestions de l'intérêt privé derrière de spécieuses considérations d'intérêt général. Tous leurs efforts pouvaient se ramener à ces deux arguments : 1° Le hareng pêché sur les côtes du Calvados était guai (vide) et malsain pour la consommation en salé, au dire de certains naturalistes ; 2° La concurrence que ce produit insalubre faisait aux salaisons supérieures de Dieppe devait provoquer à bref délai la ruine des négociants-armateurs de la côte Nord et amener l'épuisement de cette pépinière de marins que « la grande pêches », comme ils l'appelaient, entretenait pour le recrutement de notre marine nationale. L'expérience de chaque jour, depuis dix ans, protestait assez d'elle-même contre des assertions frappées de suspicion légitime. Cependant, l'attaque venait de haut, appuyée par une personnalité officielle : les autorités du Calvados prirent en main la cause des pécheurs et armateurs de la côte Sud et n'eurent pas de peine à détruire l'échafaudage élevé par nos adversaires. Parmi les mémoires intéressants qui furent rédigés à cette époque, figure au premier rang un rapport du Conseil de santé de Caen (21 fructidor an IX) devant lequel la question avait été portée par le préfet du Calvados, général Dugua. — C'est un travail très étudié, qui, après un préambule sur les mœurs et migrations du hareng à cette date, et la pêche qui s'en faisait, de juin à décembre, des côtes d'Écosse à celles de Seine-Inférieure, se prononce catégoriquement contre la prétendue insalubrité dénoncée par les spéculateurs de Dieppe : « Si l'on observe, disaient les membres de ce Conseil, professeurs à l'École de médecine, ce qui se passe dans le poisson qui n'a pas encore frayé, on observe qu'il a réellement plus de vie et qu'il est plus tendre à manger que celui qui a frayé ; c'est une loi générale à tous les poissons et à tous les mammifères femelles : l'émission de la matière laiteuse du mâle et l'éjection des œufs de la femelle affaiblissent incontestablement le hareng, le rendent plus maigre et changent aussi son goût; mais cette opération ne développe et ne saurait développer aucun principe délétère et malfaisant dans l'animal ; les naturalistes ne connaissent point de poisson qui, ayant été mangé sans inconvénient quand il frayait, ne puisse l'être également quand il a frayé. » La même opinion devait être émise par Cuvier, dix-sept ans plus tard, suivant une lettre de M. de Folleville, député du Calvados, du 6 décembre 1817. Le Conseil de santé allait plus loin, et, après avoir remarqué que les Dieppois ne se contentaient pas de l'ample provision de hareng « plein » qu'ils capturaient depuis les côtes d'Écosse jusqu'au pied des falaises de Caux, mais qu'ils poursuivaient ce poisson, vide alors, vers Saint-Valery, Fécamp et voisinage du Havre, ajoutait : « Le hareng pris sur les côtes du Calvados est même plus gros, parce que ce dernier a eu le temps de réparer ses pertes, en raison de ce qu'il est plus éloigné de l'endroit où il a frayé. » La consommation qu'en font Paris et la Normandie depuis un grand nombre d'années n'a-t-elle pas prouvé qu'il était absolument inoffensif ? Ne suffit-il pas à messieurs de Dieppe de retirer grand profit du hareng vierge ou plein qu'ils expédient vers la Prusse et l'intérieur de l'Allemagne ? Forts de cette décision, les armateurs du Calvados ripostèrent à la demande du préfet de Seine-Inférieure par une pétition longuement motivée, apostillée par le maire de Honfleur, et que le préfet du Calvados fit sienne dans un mémoire au Ministre de l'intérieur, du 22 fructidor an IX. Le meilleur témoignage à invoquer contre les Dieppois ne se trouvait-il pas dans leurs pratiques mêmes dénoncées en ces termes par le maire de Honfleur : « Je dois vous observer, citoyen Préfet, que tous les ans, et notamment lorsque le poisson ne donne pas abondamment sur les côtes de Dieppe, les négociants de ce port (précisément à l'époque où l'on affecte de croire que ce poisson est malsain) achètent des marchands de Honfleur des harengs en barils, et traitent même avec des maîtres de barques de chargements entiers de harengs guais et les font expédier chez eux. Ces faits, qui ne peuvent être contestés puisqu'ils peuvent être attestés par les livres et la correspondance des marchands de cette ville ainsi que par les expéditions du bureau des Douanes nationales, feront disparaître le doute que l'on s'efforce d'établir sur la qualité du hareng qui se pêche sur nos côtes. » (Lettre du 9 fructidor, an IX.) Nous aurions été heureux de constater l'importance de ces achats sur les livres de la Douane, mais il résulte de recherches qu'y fit le maire de Honfleur en 1818, que depuis longtemps ces registres n'y étaient plus. Il n'y eut pas de solution immédiate ; les choses restèrent en l'état malgré une nouvelle alerte dont on trouve l'écho dans une délibération du conseil municipal du 28 pluviôse an X et dans une lettre du préfet Caffarelli, du 24 ventôse même année. Le 13 pluviôse an XI seulement, un arrêté des Consuls confirmait dans son article 1er la loi du 15 vendémiaire an II. L'hostilité des commerçants de Dieppe ne fut pas la seule entrave apportée à la libre activité de nos marins. La présence incessante des croisières anglaises sur nos côtes, leurs efforts pour communiquer avec les complices de l'intérieur, avaient, dès le début de la guerre maritime, provoqué des mesures restrictives de la durée du séjour en mer. Avant 1800, les copies de lettres de la municipalité portent déjà plusieurs traces des plaintes et des arrestations suscitées par les communications des pêcheurs avec l'ennemi. Ces mesures redoublèrent après la rupture de la paix d'Amiens : défense aux pêcheurs des côtes de la Manche de sortir, même pour surveiller leurs filets sur la plage, avant le lever et après le coucher du soleil, quelquefois même deux heures après le lever, deux heures avant le coucher ; en plein hiver, alors que les marins de Honfleur avaient trois lieues à faire, à l'aller et au retour, pour gagner la rade : c'était presque la prohibition. Les pêcheurs de la côte Nord ayant obtenu sous certaines conditions levée de l'interdiction de la pêche de nuit pendant la saison du hareng (décision du Ministre de la police générale, du 24 octobre 1806), le commerce de Honfleur réclama aussitôt les mêmes avantages par une pétition qu'un délégué présenta successivement au Préfet et au Ministre : satisfaction lui fut donnée par un arrêté préfectoral du 13 novembre 1806. « Les bateaux des ports de Honfleur, Touques, Trouville, qui se livrent à la pêche du hareng, seront tenus de se rassembler dans le port de Honfleur ; « Il sera armé dans le port de Honfleur, et aux frais du commerce, un bateau de surveillance pour tous ces pêcheurs ; « Le commandement en est confié au sieur Leroyer, de la ville de Honfleur. Ce commandant sera responsable des pêcheurs et s'opposera à toutes communications avec l'ennemi ; « Sous aucun prétexte, lesdits bateaux ne pourront relâcher dans aucun autre port que celui d'Honfleur, à moins de force majeure ou d'une tempête, dans lesquels cas il sera fait rapport au maire de Honfleur. » Une note, jointe à une lettre du commissaire de marine, du 28 novembre 1806, fait connaitre l'estimation et les frais d'armement du navire la Marie-Anne, chargé de la surveillance. Nos marins étaient-ils dignes de cette faveur ? Avaient-ils déjà été, furent-ils imprudents ? Quelques-uns cédèrent-ils aux suggestions de la misère pour rechercher un profit inavouable dans des communications et des échanges avec l'ennemi ? Toujours est-il que l'arrêté préfectoral était à peine en vigueur, que les dénonciations pleuvent sur eux. C'est le sous-préfet de Pont-l’Evêque qui s'en fait l'interprète dès le 24 novembre 1806. M. Mollien, qui a d'ailleurs l'emphase facile, avertit, menace, flétrit..., donne aussi des noms, des détails précis : « Son Excellence le Ministre de la police générale est informé que des bateaux de pêche de la côte du Calvados ont passé, pendant tous les derniers jours d'octobre, devant les jetées du Havre, prenant la mer vers la fin du jour. Il est impossible qu'à cette heure ils ne se soient pas vus forcés de passer toute la nuit en mer ; cependant nulle surveillance ne fut établie à leur égard... Les pêcheurs de notre côte sont signalés à Son Excellence comme entretenant des intelligences avec l'ennemi ; on cite particulièrement le bateau de Honfleur le Désiré, n°45, que l'on assure avoir vu plusieurs fois aller à bord des croisières anglaises... Des preuves si souvent réitérées de la connivence entre les pêcheurs et les Anglais en croisière ont fait craindre à Son Excellence que la liberté qu'elle vient d'accorder à la pêche du hareng ne protégeât ces manœuvres criminelles. » Et le maire de Honfleur, M. Lion-Dumontry, de s'évertuer à défendre la réputation de ses administrés pour leur conserver le bénéfice de l'arrêté du 13 novembre. Il dénonce à son tour les manœuvres de la malveillance, la jalousie des « malintentionnés » (lisons Dieppois) contre les pêcheurs du Calvados, « des méchants vous ont dit ces nouvelles ». II est bien obligé cependant d'avouer que des communication ont eu lieu puisqu'elles ont été déclarées au bureau de la Marine, « mais je puis vous assurer, dit-il, que c'était dans des cas forcés, et que la police établie par l'Administration de la Marine a toujours pris des mesures pour éviter les abus dans ces circonstances imprévues, puisque les équipages et les chefs de barques ont presque toujours été levés pour le service des ports très éloignés, après avoir subi plusieurs jours de prison, suivant la gravité des cas. » Il semble bien, d'ailleurs, que pendant la période du hareng, la police exercée par le bateau de surveillance ait rendu ces communications très rares. Le 9 janvier 1807, M. Dumontry transmettait au même sous-préfet le témoignage, recueilli de la bouche du garde-pêche, de la parfaite correction de nos pêcheurs : d'où satisfecit officiel. L'autorisation de la pêche de nuit, pendant la saison du hareng, fut renouvelée annuellement jusqu'au décret du 8 octobre 1810 qui, dans son article 1er, levait l'interdiction : « La pêche en mer du hareng et du maquereau est permise pendant la nuit, pour toute la saison de cette pêche, sur la côte comprise entre Calais et Barfleur inclusivement. » Les armateurs de Seine-Inférieure n'avaient cependant pas renoncé à une restriction qui leur tenait tant à cœur. Pensèrent-ils l'obtenir plus facilement, après 1815, d'un gouvernement qui enveloppait dans une même réprobation l'œuvre tout entière de la Révolution ? On serait tenté de le croire en lisant la lettre écrite, le 17 mai 1816, par les membres de la Chambre de commerce du Havre au maire de Honfleur, et où l'on trouve la singulière phrase suivante : « Nos adversaires ont un puissant argument en leur faveur, ce qui se faisait avant la Révolution, qui a amené en bien des choses de nouveaux systèmes qu'il convient de réformer. » Réformer, au nom de la tradition monarchique, un «système » qui faisait vivre des milliers de pauvres gens sans autre privilège que celui que la nature leur avait accordé, c'était oublier que Louis XIV lui-même avait, par arrêt rendu en Conseil, le 17 décembre 1695, autorisé cette pêche le long des côtes de Normandie et de Picardie jusqu'au 15 mars de chaque année. Pourquoi ne pas proposer plutôt de réglementer les migrations du hareng qui s'attardait encore, après Waterloo, en des habitudes démocratiques suspectes ? Quoi qu'il en soit, la députation de Seine-Inférieure, menée à l'assaut par un homme très en vue, M. Castel, président de la Chambre de commerce de Dieppe et maire de cette ville, allait faire le siège du nouveau gouvernement, pendant que les délégués de la côte Nord, venus au Havre, essayaient d'opérer une cote mal taillée qui leur donnerait au moins satisfaction partielle. Dans la lettre précitée du 17 mai, le président de la Chambre de commerce du Havre, en annonçant leur présence en cette ville, faisait savoir qu'ils semblaient disposés à accepter, à titre transactionnel, la date du 15 janvier, et invitait le maire de Honfleur à réunir pécheurs et armateurs afin d'obtenir leur adhésion à cette proposition, dans la crainte de perdre davantage. Que se passa-t-il exactement à Honfleur ? Nous n'avons pas le procès-verbal de la réunion des armateurs et saleurs provoquée par le maire ; mais, le 24 mai, il répondait à la Chambre de commerce du Havre : « Conformément à vos intentions, Messieurs, j'ai réuni les principaux saleurs de cette ville et leur ai donné communication de votre lettre ; quelques-uns ont observé avec raison qu'il eût été à désirer, pour l'avantage de nos ports où le poisson paraît plus tard que dans ceux de Dieppe et autres, que ce délai eût été reculé jusqu'au 31 janvier; mais la majorité m'a paru, par les considérations que vous exposez, déterminée à accéder au sentiment exprimé par les saleurs de votre port ; en conséquence, ils ont pris copie de votre lettre et m'ont assuré qu'ils allaient s'occuper de vous faire parvenir leur réponse. » M. Dumontry ne se doutait guère des mauvais rêves qu'il se préparait en écrivant cette lettre qui, il faut en convenir, ne constituait pas une adhésion formelle. Il n'en fallut pas davantage pour conclure à l'acceptation de Honfleur ; la lettre du maire fut ainsi présentée aux autorités supérieures, et le 15 juin, le même M. Séry, maire du Havre et président de la Chambre de commerce, annonçait que « conformément, aux désirs des divers ports de la Manche, il a été arrêté en Conseil d'État que la pêche du hareng sera fixée au 15 janvier. » Ce résultat provoqua à Honfleur une émotion facile à comprendre quand on constate que, pendant les cinq dernières campagnes, le produit du centime [d]e franc sur la vente du hareng, après le 15 janvier, avait été, année moyenne, de 1,177 fr. 40 (registres de vente du hareng, de 1811 à 1816), ce qui représentait une vente de 117,740 francs de hareng, pêché pour les deux tiers au moins par des barques honfleuraises, préparé, salé, embarillé à Honfleur. Quels salaires et bénéfices commerciaux la limitation allait faire perdre ? Pécheurs et saleurs rédigèrent aussitôt une pétition qu'un délégué de Honfleur présenta au Préfet pour obtenir son appui auprès du Ministre de l'intérieur ; les mêmes saleurs qui avaient « paru », accepter la proposition de Dieppe, réunis devant le Commissaire de Marine, se sont rétractés ; le maire lui-même multiplie ses démarches pour protester contre l'interprétation donnée à la malencontreuse lettre du 24 mai. Peines inutiles ! le 14 août le roi signait l'Ordonnance qui limitait la pêche et la salaison au 15 janvier ; et lorsque les autorités maritimes ou départementales réclament, le Ministre de l'intérieur répond « …. que la question relative à la clôture de cette pêche, débattue en Conseil, contradictoirement avec les intéressés, pendant plusieurs années, n'a fini que par une sorte de transaction entre toutes les parties ; que la Chambre de commerce de Dieppe envoya des députés pour porter le vœu commun et qu'ils ont montré des lettres par lesquelles le maire de Honfleur y consentait ; qu'il ne sait pas comment peuvent venir de sa part des réclamations… » (Lettre du Ministre de la marine au Commissaire de la marine au Havre : novembre 1816.) Le coup fut rude pour M. Dumontry dont les mémoires en faveur de Honfleur ne se comptent plus, qu'il s'agisse de défendre le crédit de la place ou de réclamer des établissements publics, de plus, candidat en honnête posture pour la Légion d'honneur, et qui se voyait présenté à ses administrés comme le facteur principal de leurs maux. Aussi quelle ardeur pour dégager sa responsabilité, prouver « la pureté de ses intentions », comme aussi, hâtons-nous de le reconnaître, soutenir les intérêts de la classe nécessiteuse. Du 24 mai 1816 au mois d'octobre 1821, époque de sa retraite, nous n'avons pas compté moins de quatre-vingtdix-sept lettres, quelques-unes constituant de véritables mémoires, relatives à la question du hareng ou à celle du chalut. (Car il y a une question du chalut, attaqué par Dieppe, toujours, qui se déroule parallèlement à celle du hareng.) Le maire de Honfleur avait le souci de se réhabiliter. Il est probable, cependant, que tous ses efforts eussent difficilement triomphé du crédit dont jouissait la députation de Seine-Inférieure, si le Calvados n'avait trouvé, lui aussi, des interprètes en situation de se faire écouter. Honfleur ne saurait oublier les noms du baron Mottard, du contre-amiral baron Hamelin, de M. Lacoudrais, commissaire de Marine en ce port. De M. Mottard, il n'y a pas de lettres au dossier ; son intervention est seulement prouvée par la correspondance du maire de Honfleur ; mais nos archives sont plus favorisées en ce qui concerne l'amiral Hamelin : onze lettres de lui, écrites du 12 octobre 1816 au 1er janvier 1818, quelques-unes longues, détaillées, prouvent l'intérêt agissant qu'il portait à ses compatriotes. « Pressez , pressez , je vous prie , cette affaire, dont on m'offre déjà demi-gain, que je refuse, parce qu'il faut tendre à la gagner pleinement, » écrivait-il dans sa première lettre. — Et le 7 novembre : « Aidez-moi, s'il vous plaît. Écrivez à Son Excellence le Ministre de l'Intérieur d'une manière pressante ; votre démarche sauvera son amour-propre. Vous sentez qu'il n'est pas agréable d'aller demander au Roi sa Signature pour révoquer un article d'une Ordonnance qui ne fait que paraître…. Quand vous aurez employé vos nouveaux efforts, si nous ne réussissons pas, je prierai Mgr le duc d'Angoulême de nous prêter son puissant appui. » Et il multiplie ses démarches auprès des Ministres de la marine et de l'intérieur, auprès de la section compétente du Conseil d'État ; quoiqu'il voie « …. avec peine cette cause soumise au jugement de gens étrangers au métier de la mer » ; enfin il y intéresse effectivement le duc d'Angoulême qui lui rendit ce témoignage, le 10 novembre 1817, en recevant au Havre la députation de Honfleur : « Oui, Messieurs, c'est aux sollicitations de votre concitoyen l'amiral Hamelin que je dois l'avantage d'avoir fait quelque chose pour les habitants de Honfleur. » Non moins pressant est M. Lacoudrais, dont l'autorité technique avait déjà triomphé en 1812 des entreprises des Dieppois contre le chalut, et dont le rapport avait fait revenir le Ministre sur une mesure presque décidée. « …. Vous trouverez sans doute, écrit-il dans une longue lettre au maire de Honfleur, en novembre 1816,…. que le malheur, assurément involontaire, mais non moins réel, qu'une de vos lettres soit devenue l'arme la plus funeste contre la cause du pays….(vous trouverez)sans doute, dis-je, que tous ces motifs réclament de votre part un mémoire dans lequel vous exposerez sans réserve et sans ménagements comment on est parvenu à tromper la religion de l'autorité supérieure, en montrant sous le jour d'un vœu commun ce qui peut être le vœu des spéculateurs de Dieppe et tout au plus celui de quelques individus de notre place, trop insignifiants pour être comptés s'il s'agit de leur nombre, trop indignes de l'être s'il s'agit des sentiments qui les guident, mais ce qui est diamétralement contraire aux intérêts de la population et du pays (1). » Et il faudrait citer encore M. Chabanon, commissaire général de la Marine au Havre, MM. Otton et Lecarpentier, délégués de Honfleur auprès du Ministre de l'intérieur, en 1820 ; surtout des députés du Calvados, M. de Folleville et M. de Vérigny, député du collège électoral de Lisieux, dont les démarches furent décisives, et auquel alla finalement la reconnaissance des intéressés. Les arguments n'avaient guère varié depuis l'an IX : égoïsme injustifiable de nos voisins pourtant mieux partagés par la nature, spéciosité de leurs moyens, astuce avec laquelle on avait exploité la lettre du maire de Honfleur, surtout la misère publique dont les doléances résonnent à chaque page comme un refrain lamentable. — Obéissant à ces considérations, le Ministre avait chaque année, depuis 1817, accordé une prolongation jusqu'au 31 janvier, mais sans vouloir rien laisser préjuger sur le fond ; en 1819, même, cette faveur fut refusée, « les motifs de disette et de cherté des grains des années précédentes n'existant plus…. ». Et pendant ce temps, les têtes s'échauffaient de part et d'autre : le 26 novembre 1818, un véritable mouvement insurrectionnel avait eu lieu sur le port de Dieppe contre plusieurs barques de Honfleur et de Trouville, auxquelles on refusait de laisser débarquer leur poisson. Des menaces avaient été proférées, des cailloux lancés sur le bateau le Saint-Pierre, un moment envahi par la foule et contraint de sortir du port sous la protection, de la Douane., sans avoir pu vendre son poisson, qui fut perdu. (Rapport du patron Voisambert, 1er décembre 1818.) Le maire de Honfleur, le Tribunal de commerce, le préfet du Calvados, durent intervenir pour empêcher que l'affaire ne fût étouffée. Ces solutions provisoires ne satisfaisaient point les pécheurs du Calvados qui voulaient faire trancher en leur faveur la question de principe. Ils attendirent longtemps ; en vain le Conseil général du commerce émettait un avis « entièrement favorable » (Lettre des délégués de Honfleur, 11 novembre 1820), le Ministre hésitait à prendre une mesure qui, cette fois, devrait être considérée comme irrévocable, et, le 17 janvier 1821, le Secrétaire d'État Siméon faisait savoir au maire de Honfleur « … que la question de la limitation de la pêche du hareng devait être soumise, le 9 février, dans une séance de grand ordre du jour du Conseil général du commerce ». Les députés honfleurais y seraient admis. Et pourtant la députation de Seine-Inférieure put encore la faire ajourner : les mémoires se succédèrent à nouveau pendant l'année 1821, et ce ne fut que le 4 janvier 1822 que l'intervention énergique de M. de Vérigny obtint enfin le rappel de l'article 2 de l'Ordonnance de 1816 et l’illimitation de la pêche du hareng. M. Lion-Dumontry n'avait pas eu la satisfaction d'assister, comme maire, au triomphe de ses revendications. Chargé d'ans et d'honneurs (il avait été décoré le 1er mai 1821, à quatre-vingt-huit ans), il avait pris sa retraite. Il appartint donc à la nouvelle administration de porter l'heureuse nouvelle à la connaissance de la population honfleuraise ; mais hélas ! ce n'était qu'une satisfaction de principe : depuis cinq ans, le hareng s'était frappé lui-même d'interdit et avait, en grande partie, abandonné nos côtes pour ne plus fréquenter que celles de la libre Angleterre. Toutefois, les Honfleurais tenaient à bien faire consacrer ce principe, et comme nos contradicteurs d'au-delà de la baie refusaient de se laisser persuader, la municipalité de Honfleur ne trouva rien de plus concluant que d'adresser à M. de Vérigny un petit baril de hareng, pêché après le 15 février, préparé chez Soumillon , saleur à Honfleur, ainsi qu'il appert d'un certificat en bonne et due forme délivré par les syndics chargés de la surveillance des salaisons (8 mars 1822). « ….. Je vous invite, Monsieur, disait le maire, à vouloir bien faire examiner ce poisson…. sous les yeux des personnes qui ont bien voulu s'intéresser à la ville de Honfleur, afin de les convaincre de plus en plus de la justice rendue aux habitants du Calvados…. » II. LA VENTE DU HARENG.
1° Réglementation. — Il ne saurait être question de rappeler les lois de police générale qui ont réglementé la pêche et la vente du hareng, mais seulement de leur application particulière dans le port de Honfleur. Il semble bien que la vente du hareng n'ait donné lieu, de 1793 à 1805-1806, à aucune mesure de police sérieuse. Un arrêté municipal du 15 frimaire an XIV (5 décembre 1805) qui défendait à « tous maîtres de barques ou bateaux pécheurs de hareng de le débarquer en vrac sur les quais des avant-ports des passagers, des bassins et des jetées…. » et pareillement de se servir de paille pour déposer leur poisson, leur laissant seulement la faculté d'y employer des cuves ou des parcs mobiles, nous en dit long, sur les pratiques antérieures et l'hygiène de nos quais pendant la saison du hareng. Des plaintes ayant été formulées, en brumaire an XIV, contre la mauvaise qualité du hareng salé en cette ville, M. Dumontry sollicitait un règlement pour la pêche, vente et salaison de ce poisson. « Dans la nouveauté de ce commerce, et jusqu'à présent, disait-il, il s'est fait avec une liberté illimitée, sans aucune police ; on ne s'est occupé qu'à en tirer le plus grand parti possible, sans porter son attention sur les inconvénients qui pourraient en résulter. » Suit un long projet de règlement qui eut certainement grande influence sur l'arrêté préfectoral du 2 janvier 1806. Les négociants eux-mêmes signalaient les inconvénients de ce marchandage libre sur les quais et jusque sur la côte, et les contestations qu'il faisait naître entre acheteurs et vendeurs. Dans une réunion tenue le 28 novembre 1806, ils réclamaient un local où la vente se ferait obligatoirement à la criée, sous le contrôle d'agents désignés par la municipalité, chargés d'enregistrer quantités et prix, s'offrant, du reste, à supporter la dépense de cette institution. Une telle réglementation concordait trop bien avec les vues de l'autorité municipale pour ne pas être accueillie favorablement ; mais, dès le lendemain, 29 novembre, l'Administration était saisie d'une pétition adverse, signée de vingt et un maîtres de barques et bateaux pêcheurs de Honfleur, qui protestaient d'avance contre toute idée de les réunir dans un local unique, attendu que les bateaux de la côte de Caen, tirant trois ou quatre pieds de moins, pourraient entrer les premiers au port, y vendre leur produit et repartir immédiatement pour une nouvelle pèche, faisant ainsi deux marées par jour, tandis qu'eux n'en pourraient faire qu'une. L'expérience devait bientôt montrer que leurs craintes étaient exagérées ou peut-être sciemment intéressées. Malgré cette opposition, l'arrêté municipal paraissait le même jour, 29 novembre 1806, pour être complété le 8 décembre suivant. La « ci-devant » Église Saint-Étienne, déjà Bourse du Commerce par arrêté de floréal an IX, était mise à la disposition des négociants ; tout maître de barque devrait à l'arrivée passer déclaration aux préposés à la vente, de la quantité approximative de poisson qu'il apportait ; l'adjudication aurait lieu par le ministère de ces agents et la livraison ne pourrait se faire ensuite que sur la vue d'un permis délivré par eux. D'ailleurs « …. les opérations multiples de la mairie ne permettant pas que les employés puissent s'occuper de cet objet considérable dans ces détails, puisqu'il arrivait 90 à 100 bateaux par marée… », deux commissaires seraient nommés, et les frais de bureau, comme leur traitement seraient couverts par la perception d'un centime par franc sur le montant de la vente. Jusqu'en 1810, la vente se fit surtout au mille, mais le décret du 8 octobre 1810 ayant formellement prescrit la vente à la mesure, des arrêtés municipaux du 27 novembre 1811 et du 5 février 1812, stipulèrent « … que la mesure dont on doit se servir en ce port est de 30 litres ou 18 pots ». Les dimensions de cette mesure, prises en dedans, sont fixées ainsi qu'il suit : Hauteur : 329 millimètres ou 12 pouces 2 lignes ; Diamètre, fond : 370 millimètres ou 13 pouces 8 lignes ; Diamètre, orifice : 311 millimètres ou 11 pouces 6 lignes. Les registres de vente du hareng, très bien tenus depuis 1806, avec bordereaux récapitulatifs, par quinzaine généralement, constituent un des documents les plus précieux de nos archives et des plus intéressants pour l'histoire économique du pays. 2° Produit. — Nous avons pu y relever les chiffres suivants, en groupant les bordereaux par campagne et non par années, ce qui nous a paru rendre les résultats plus saisissables. Produit du centime : L'examen de ces tableaux donne lieu à d'intéressantes remarques. Il en résulte d'abord que si le Mémoire préparé en l'an IX, n'exagère pas le mal pour le besoin de la démonstration, l'époque des migrations a évolué fortement entre 1800 et 1806 : tandis que le hareng ne serait arrivé sur nos côtes que vers le 20 nivôse (10 janvier) en 1801, les registres de vente nous le montrent apparaissant de façon à peu près régulière vers le 20 novembre, c'est-à-dire environ six semaines plus tôt. De nos jours, il a presque repris les anciens errements. Ces chiffres, d'autre part, expliquent et justifient la ténacité avec laquelle les Honfleurais revendiquèrent la liberté de cette pêche, à une heure où elle constituait leur ressource suprême. Pendant les dix campagnes 1806-1816, le produit du centime, année moyenne, est de 4,357 fr. 95, représentant une vente de 435,795 francs. Quelle partie de cette somme revenait aux pécheurs et armateurs de notre place ? Il ne serait pas impossible de le retrouver, puisque chaque adjudication indiquait le port d'attache du bateau bénéficiaire. Ce serait un travail très long ; nous l'avons fait pour quelques bordereaux afin d'en tirer des conclusions approximatives, en choisissant parmi les plus élevés et les plus faibles, et aux différentes époques. Il en résulte, que : Du 1er au 19 janvier 1807, sur un centime total de 724 fr. 19, la part de Honfleur est de 482 fr. 40, soit 66 p. 100. Du 1er au 15 janvier 1810, sur un centime total de 1,349 fr. 78, la part de Honfleur est de 728 fr. 75, soit 54 p. 100. Du 24 novembre au 15 décembre 1812, sur un centime total de 1,713 fr. 19, la part de Honfleur est de 1,198 fr. 19, soit 69 p. 100. Du 16 au 31 janvier 1815, sur un centime total de 1,076 fr. 96, la part de Honfleur est de 908 fr. 07, soit 93 p. 100. Il n'est pas exagéré d'affirmer que la part des Honfleurais dans la vente du hareng atteignait largement les deux tiers du chiffre total. Ce n'est pas tout. Une fraction du poisson débarqué sur nos quais était livrée à la consommation en frais ; mais la très grosse part était salée et préparée dans les ateliers de salaison de la ville. Si, comme l'affirme un mémoire annexé à une délibération du conseil municipal du 15 mai 1807, la quantité de harengs salés à Honfleur peut être évaluée à 20 millions par an, chaque baril en contenant environ 1,3oo, les saleurs honfleurais auraient livré à la consommation de 15,000 à 16,000 barils chaque année (2). Or il résulte d'une pièce officielle, adressée par le maire de Honfleur à nos délégués à Paris, en 1820, « ... que le prix de la main-d’œuvre et du fût d'un baril de hareng, prêt à être expédié de cette ville en deux demi-barils (qui est l’enfûtaillement le plus ordinaire), s'élève, sel non compris, à 7 fr. 30 : C'est donc de 115 à 120,000 francs de salaires qui, bon an mal an, allaient à la population la plus nécessiteuse de Honfleur, et pendant les trois mois les plus durs de l'année. Et il convient d'y ajouter encore le tribut qu'en retiraient les charpentiers de navires, dont la construction trouvait là un aliment assuré, et le gain des femmes et des enfants qui, pendant une partie de l'année confectionnaient les filets, etc. Mais ce furent « les beaux jours du harengs » à Honfleur. Nous l'avons dit : à partir de 1816, il semble nous bouder et se retire chez nos voisins les Anglais où il sera long et dispendieux d'aller le chercher. Qu'on juge du résultat. Pendant les dix années qui s’écoulent de 1816 à 1826, le produit moyen annuel du centime est de 442 fr. 50 seulement. Si une légère recrudescence peut rendre l'espoir dans les campagnes 1821-23, celles de 1819, 1820, 1826-30 se chiffrent par zéro. Depuis 1818, le registre de vente est confondu avec celui du maquereau. C'était l'effondrement. Que fût devenu Honfleur s'il s'était produit dix ans plus tôt? III. LA SALAISON (statistique, réglementation).
Là encore, il ne peut être question que de la réglementation locale et des efforts qui furent faits à différentes époques pour sauvegarder le crédit de la place. 1° Statistique. — La tradition a conservé jusqu'à nos jours le souvenir de la prospérité des salaisons dans notre ville, et ce n'est pas sans amertume que les vieux Honfleurais en déplorent la disparition. L'arrêté préfectoral du 2 janvier 1806, article 5, imposait à tout individu qui voudra faire la salaison du hareng l'obligation « … d'en faire la déclaration à la mairie, avec l'indication des appartements, magasins ou ateliers qu'il destinera à la manipulation, dépôt et salaison du hareng. Il sera tenu de donner, à toute réquisition, l'ouverture des dits appartements, magasins ou ateliers, aux maires, adjoints, commissaires de police et autres préposés à la surveillance du commerce du hareng… ». Cette réglementation nécessita l'ouverture d'un registre dont les données, quoique d'intérêt tout local, complètent heureusement la statistique conservée par les registres de vente. A partir du 29 novembre 1806, et jusqu'en 1810, nous pouvons y suivre le mouvement de cette industrie dans les différents quartiers de notre ville. Le voisinage du Vieux Bassin et de la Bourse du Commerce est le plus favorisé : la petite rue Saint-Antoine n'a pas moins de six ateliers ; la rue de la Prison, deux ; rue de la Ville, trois ; place d'Armes et quais du Bassin, quatre. La rue Haute a encore six ateliers ; la rue Bavole, quatre ; la rue du Puits, trois. Et il est intéressant de retrouver aussi, dans ces listes, des vocables patronymiques parvenus jusqu'à nous. En résumé, pour la campagne 1806-1807, les saleurs étaient au nombre de 39, avec 41 ateliers. En 1807-1808, il y encore 37 déclarations ; 21 en 1808-1809; 36 en 1809-1810. A partir de 1810, le nombre en devient infime : 8, 5, 3. Le registre s'arrête en 1813. Il n'y a certes pas lieu de conclure de ce silence à la disparition des salaisons à Honfleur, puisque les campagnes 1810-1816 ne le cèdent pas aux années précédentes pour la quantité de hareng apporté à la Bourse du Commerce ; mais le décret du 8 octobre 1810 qui révisait toute la législation du hareng est muet à l'égard de la déclaration préalable. C'est assurément à ces dispositions nouvelles qu'il faut attribuer l'extinction du registre. Les livres de la Douane pourraient seuls combler cette lacune par les états des sels délivrés en franchise pendant la période qui suivit; malheureusement, ces documents n'y ont pas été conservés : on ne saurait trop le regretter. 2° Réglementation. — Les saleurs honfleurais, sentant peser sur eux la censure impitoyable de leurs concurrents de Dieppe, auraient dû apporter un soin jaloux à ne livrer au commerce qu'un produit irréprochable. De louables efforts furent faits dans ce sens : la municipalité exerça un contrôle profitable à la collectivité et au crédit de la place ; la masse des négociants fut honnête, mais il y eut cependant de regrettables défaillances. Des plaintes se produisirent, particulièrement en 1805, 1809, 1815. a. 1805-1806 : le guideau.
Le 15 brumaire an XIV (6 novembre 1805), Bourdel, médecin et conseiller municipal, dénonçait officiellement au maire de Honfleur les abus « … signalés depuis longtemps par l'opinion... » et « qui compromettent à la fois la santé publique et le crédit de la place... ». La défectuosité de certaines salaisons est attribuée alors à l'emploi du hareng de « guideau ». (On appelle ainsi le hareng qui, après la saison, n'ayant pas repris la route des mers septentrionales, est jeté sur les côtes et en baie de Seine où, battu par les lames, amaigri, impropre à la salaison, il est capturé dans des filets fixés sur le rivage et appelés guideaux ou guindeaux.) Cette démarche donna lieu à la lettre du 28 brumaire précitée et à la rédaction du projet de règlement qui aboutit à l'arrêté préfectoral du 2 janvier 1806. Les négociants sérieux étaient bien décidés à collaborer avec l'Administration pour assurer la répression des abus signalés. Avant l'ouverture de la saison suivante, le 25 novembre 1806, eut lieu, en présence du maire et du tribunal de commerce, une très importante réunion de vingt-trois des principaux saleurs de la ville : ils y rédigèrent une convention qu'ils demandèrent au maire de rendre commune à tous les saleurs, après homologation. Tout saleur convaincu d'avoir mis en fraude du « guideau » dans des barils encourra la confiscation et une amende de 1,000 francs au profit de l'hospice, laquelle sera double ou triple en cas de première ou seconde récidive. Les contractants s'obligent non seulement au respect de cette convention, mais encore à dénoncer toute infraction parvenue à leur connaissance. Le maire nommera quatre commissaires pour assurer la surveillance, etc. Ces dispositions draconiennes semblent avoir, pour une bonne dizaine d'années, banni le guideau de la salaison. b. 1809-1810.
Les plaintes de l'année 1809 devaient donner lieu à des expériences importantes et que nous croyons devoir rappeler. Le 8 juillet 1809, le Ministre de l'intérieur transmettait « les plaintes les plus graves » sur le mauvais état des harengs qui composaient l'envoi de l'année. Causes attribuées : insuffisance du sel, brièveté excessive du saumurage. Le Ministre était disposé à revenir aux mesures édictées par l'ordonnance de 1680. Au préalable, il consultait le maire de Honfleur, dont l'enquête aboutit, le 8 août 1809, à un rapport où, après avoir rappelé les principales dispositions de l'arrêté du 2 janvier 1806, sur le hareng d'une ou plusieurs nuits, sur la déclaration,.. . etc., il exprimait l'avis : «... Que, pour assurer la conservation, il ne fallait pas, moins de 35 à 40 kilogrammes de sel par baril de 145 à 150 kilogrammes contenant 1,300 poissons ; «… Qu'il ne suffit pas que le sel soit mis dans des barils saleurs ; il faut encore que ces barils soient foncés, étanches, que le poisson puisse baigner dans la saumure et se mouvoir lorsqu'on roule ces barils, ce qu'il semble essentiel de faire pour sa bonne préparation ; «… Qu'il résulte de ce principe qu'on ne peut tolérer plus longtemps l'usage qui existe en plusieurs endroits de saler dans des cuves en briques et ciment jusqu'à 30 et 40,000 poissons, parce qu'il est démontré par l'expérience et l'aveu de nombre de saleurs que le poisson ainsi préparé ne peut prendre le sel ni se garder comme celui déposé dans des barils saleurs… » L'honorable. M. Dumontry avait-il bien interrogé tous les intéressés avant de formuler ces conclusions ? Ce qui est certain, c'est qu'en octobre suivant le Préfet du Calvados se trouvait en présence de deux pétitions contradictoires, l'une demandant, conformément au rapport du maire, la suppression des cuves de salaison au profit des barils saleurs ; l'autre signée de noms non moins considérables qui offraient de supporter la dépense d'une expertise destinée à prouver l'équivalence des deux procédés. Pour en finir, les 19 octobre et 9 novembre 1809, il prenait les arrêtés suivants : « L’expérience sera faite, à la prochaine saison, en présence de trois inspecteurs désignés par le maire, l'inspecteur des douanes et le tribunal de commerce. Les commissaires rédigeront avec soin un procès-verbal de leurs opérations... « Les trois commissaires seront nécessairement : un négociant, un saleur, un chimiste. » Les commissaires furent nommés le 8 décembre 1809, et le procès-verbal de leurs opérations, déposé le 2 mai suivant, est en original à nos archives. En voici la substance : les commissaires se sont transportés à différentes époques chez dix saleurs, cinq préparant en cuves, les cinq autres préparant en barils ; la quantité de sel a bien été celle qui est accordée par l'administration des douanes et le hareng est resté dix à douze jours en saumure. Un baril de chaque préparation a été paqué, empreint de la marque à feu et déposé au magasin des douanes jusqu'au 2 mai, et ouvert alors en présence des saleurs intéressés. L'examen le plus scrupuleux a montré que le hareng salé en cuve ne le cède en rien à celui qui est salé en baril. Conclusion : la qualité dépend exclusivement du sel et du temps. Le rapport est signé : Hamelin, Beauzamy, B. Harang. c. 1815.
Le patriotisme de nos saleurs se trouva-t-il d'accord avec leur intérêt, en 1814, pour excuser l'envoi aux troupes alliés, qui occupaient la capitale et une partie du pays, d'un produit de basse qualité ? Une grande quantité, disait une lettre préfectorale du 27 mai 1815, a été perdue et détruite par les soins de M. le Préfet de police. Cette nouvelle plainte sembla justifiée par l'emploi, fait à nouveau, du hareng de « guideau ». Un arrêté municipal du 5 décembre 1815 vint rappeler la convention de 1806 et le prohiba à nouveau et d'une manière formelle pour les salaisons. Bientôt la salaison suivit la marche régressive de la pèche pour disparaître tout à fait au bout de quelques années. Et pour terminer cette étude, nous exprimerons un regret et un vœu : le regret que, le hareng ayant rallié nos côtes depuis plusieurs années, aucun enregistrement officiel ne conserve pour les historiens de l'avenir des documents aussi précieux que ceux qui nous ont été légués par le siècle dernier ; Le vœu que quelques spéculateurs hardis ressuscitent dans nos murs une industrie pour laquelle nous ne devrions pas avoir moins d'aptitude que nos ancêtres et qui, à 500 kilomètres de nous, s'alimente et vit du poisson péché par nos marins. NOTES : (1) Soit comme sous-directeur à la comptabilité des Fonds et Invalides de la Marine, soit comme chef de division au même Ministère, M. Lacoudrais n'oublia jamais les intérêts de ses compatriotes. (2) D'un bordereau délivré en 1820 par la douane de Honfleur, et retrouvé ultérieurement au présent mémoire, il résulte que, dans les campagnes 1811-1816, Honfleur expédia, année moyenne, 24,133 barils de hareng salé, et prépara, année moyenne également, 13,153 feuillettes de hareng saur. |