Au grenier,
j’ai trouvé une vieille buse, large
dessus et dessous, rétrécie au milieu, avec des
bords comme la main, c’est un chapeau du temps
passé qui n’est plus bon qu’à
faire carnaval.
Depuis soixante ans, peut-être, elle se cachait
là, comme un qui en a beaucoup vu et qui toujours a peur
qu’on se moque de lui.
Quand je la tirai de sa cachette et la découvris ainsi
chargée de toiles d’araignées, toute
grise de poussière, je ne pus m’empêcher
de rire, à voir les modes comiques du temps passé.
Malgré moi, je songeai qu’ils étaient
pas mal godiches les anciens qui mettaient sur leur tête de
pareilles affaires. Néanmoins, je m’enquis
d’une brosse et j’époussetai la vieille
buse. Tout doucement, la poudre s’envolait ; peu à
peu le chapeau redevait noir.
Comme j’étais adossé à la
fenêtre, un rayon de soleil, me tombant sur les mains, fit
chatoyer la vieille buse, ma trouvaille. Je sentis, alors, que les
trépassés, que les vieux
d’aujourd’hui avaient eu leur jeunesse comme nous.
Et l’envie de rire était partie. Ah ! je ne
pouvais plus mal, allez, vieux chapeau, de vous tourner en
dérision. Car, tout en vous regardant, il me sembla que
j’étais aux côtés
d’un vieil homme parlant encore de sa première
amie. Je vous aperçus, antique buse, reluisante comme vous
fûtes, quand on vous prit dans le carton pour la
première fois.
C’est au Condroz, un jour de mois de Mai vers trois heures
après le dîner. Sur le bois, un soleil de
printemps rayonne, chauffe toute la campagne, et bien loin, bien loin,
fait miroiter un toit d’église dans les arbres.
Il y a dans l’air quelque chose de doux et de sain qui sent
bon et qui fait du bien.
Tout à coup, au tournant du chemin, voilà le
mariage qui vient.
En avant, c’est le jeune couple qui marche le premier, tout
fier et tout heureux de vivre.
La mariée a mis sa robe neuve à fleurs ; sur ses
épaules elle a jeté un châle brun et
son petit visage est tout frais sous la cornette blanche qui lui va si
bien.
Ainsi le voilà venu, le grand jour, les voilà
mariés !
Et la jeune femme se rappelle le temps où elle fut
courtisée, elle regarde autour d’elle la campagne
dont tous les grains poussent, les haies vertes et, au bord de la
route, les petites fleurs de la Vierge qui ouvrent leurs yeux bleus au
soleil.
Elle voit tout cela. Elle sent que c’est un grand bonheur
d’être jeune. Et, amoureuse, elle
s’appuie plus fort sur le bras de son homme qui marche
à côté d’elle.
Lui, avec sa buse, son haut col qui lui vient aux oreilles, se tient
tout raide, un peu gêné de sentir sur ses reins un
habit de drap fin, lui d’habitude si à
l’aise dans son grand sarrau de tous les jours.
Ainsi, tout suffoqué de joie, il ne sait vraiment rien
trouver à dire à sa femme, et il en fait que lui
répéter bas et doucement : « ma
chérie, ma petite chérie, va ! »
Près d’eux, une alouette, tirlire,
s’élève joyeusement.
Et, autour des jeunes mariés, la campagne
s’étend pleine de lumière. Des petites
fleurs jaunes, dans les prés, semblent des gouttes de soleil.
Le vent remue doucement de grands carrés de seigle
monté en épis ; des lopins d’orge ont
une couleur d’argent et des trèfles rouges, il
monte une bonne odeur de jeunesse et de courage.
Neuf ou dix couples suivent les premiers. Les jeunes, en avant, rient
et se taquinent, se réjouissant d’être
rentrés pour chanter et danser. Les vieux, qui ne vont plus
vite, viennent par derrière ; eux aussi se
réjouissant d’être rentrés,
pas pour danser, mais pour manger un bon morceau et boire chopine. Et,
la dernière de toutes, la mère du jeune
marié regarde marcher son fils devant elle, avec sa haute
buse qui reluit au soleil.
La pauvre vieille se demande si son fils sera plus heureux
qu’elle ne le fut, si sa femme et lui s’entendront
bien, et si la nouvelle buse qui reluit si fort au soleil
n’ira jamais qu’à des baptêmes
et à des fêtes.
Au grenier j’ai trouvé une vieille buse, large
dessus et dessous, rétrécie au milieu, avec des
bords comme la main, c’est un vieux chapeau du temps
passé qui n’est plus bon qu’à
faire carnaval.
(1)
« Buse » est le nom argotique porté en
wallonie et même dans toute la Belgique par les chapeaux
« hauts de forme » .